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Les Justes - Albert Camus

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Message  Invité Ven 8 Nov - 18:09

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Une personne très chère à mon coeur m'a conseillé fortement de lire Les Justes et une fois de plus, elle a fait mouche !

Il y a bien longtemps que je n'avais lu une pièce de théâtre, il doit falloir remonter à mes études, ce qui fait un bail mais j'ai retrouvé ce plaisir de rentrer dans la vie, dans l'action des personnages en un quart de seconde. Tout l'attrait de devoir faire ses propres suppositions, descriptions, de laisser toute sa place à l'imagination fertile ou pas. Mais je ne vous entretiens pas ici de l'intérêt de la lecture d'une pièce, plutôt de l'intérêt de celle de Camus.

Après quelques recherches sur le contexte, Camus relate un fait réel qui se passe en 1905 : la décision d'un groupe de rebelles socialistes d'attenter à la vie du Grand Duc Serge, en Russie, l'oncle du tsar qui mène une politique dictatoriale. L'auteur offre une palette de personnages qui se retrouve dans l'appartement de Dora et de son frère, Boria Annenkov, afin de préparer leur forfait. Dora, la seule femme du groupe est chargée de préparer techniquement la bombe qui servira à tuer le Grand Duc lors de son passage en calèche. Son frère est à la tête de l'organisation et doit demeurer éloigné du lieu du crime afin de conserver la tête froide. Stepen qui revient du bagne après trois ans est absolument résolu, voué à sa cause, obnubilé par elle. Voivoi, un étudiant doit lancer la seconde bombe, il semble être lui aussi porté par sa cause. Yanek qui est également l'amant (terme pour être aimé à l'époque du drame, la relation est courtoise) de Dora, lancera lui la première. Il est décrit comme un artiste exalté.
Le décor est posé, minimaliste puisque l'intérêt porté par Camus est la réflexion sur la cause, les idées, leurs conséquences, leurs limites, leur origine, leur bienfondé...
La première tentative est avortée car Yanek, au dernier moment, constate que les neveux du Duc sont à ses côtés et il se refuse à les tuer. Ce premier constat évoquer le large gouffre qui sépare l'idée de sa réalisation lorsque l'on parle de donner la mort à quelqu'un. S'en suit un long débat, animé entre les protagonistes sur la faiblesse ou non de vouloir épargner des enfants, avec la suggestion de Stepan que ne pas les tuer va potentiellement faire mourir d'autres enfants. A qui va la responsabilité de quoi ? Est-on responsable de sa filiation ? Porte-t-on le poids des erreurs de ses aïeuls ? Doit-on mourir à cause d'eux ?

Mais Camus soulève un nombre important d'interrogations. Une action, si noire, terrible, meurtrière soit-elle mérite-t-elle qu'on en meurt ? Et si celui qui veut faire justice contre l'injustice était lui aussi un meurtrier ? Quand la chaîne des exécutions s'arrêtera-t-elle ? Yanek pense qu'en acceptant qu'on le tue pour son acte de mort, il sera absout de son acte et que celui-ci n'est que justice. Qui est bourreau, qui est victime ?
Doit-on tuer un homme au nom de l'idée que l'on croit juste ? Doit-on tuer un homme pour en épargner des centaines d'autres ? Ne prive-t-on pas sa famille d'un père, d'un frère, d'un oncle, d'un mari ? Peut-on laisser l'injustice d'un gouvernement tuer le peuple ?

Camus exprime toute la torture qui part de la souffrance, mène à l'indignation, à l'insurrection, à la réalisation du meurtre qui concrétise l'idée, la cause embrassée jusqu'à ce que l'esprit supporte après l'accomplissement de l'attentat. A travers la Grande Duchesse, il exprime mais j'ai trouvé faiblement, les ressentis de la famille du mort.
J'ai aussi beaucoup aimé son choix de prendre un homme du peuple ayant tué trois personnes pour bourreau. En acceptant lui aussi de donner la mort à d'autres criminels, il diminue sa peine. Est-ce à dire que l'on se dédouane peu à peu si on rend la justice de quelque façon que ce soit ? Un pied de nez aussi puisque celui qui tuera le meurtrier du représentant de la dictature est un homme de ce peuple qui souffre.

Je ne donne délibérément pas mon avis complet (suis-je en mesure d'en émettre un puisque j'en suis au stade des idées ?) tout de suite en revanche, je puis vous assurer que l'auteur réussit haut la main à nous faire réfléchir sur des points essentiels concernant la justice/injustice, le meurtre/attentat, les idées/la réalité de leur concrétisation... Les Justes sont-ils justes ?

N'hésitez pas à ouvrir un débat car je crois qu'il y a beaucoup à dire.
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Message  Invité Jeu 5 Déc - 2:45

A part Caligula, je n'ai pas trop d'estime pour  le théâtre de Camus. Bien qu'il fût passionné de scène - dans sa jeunesse il avait lui-même fondé en Algérie des compagnies de théâtre populaire- je trouve qu'il n'a  guère le sens du personnage de théâtre, réduit le plus souvent à des stéréotypes un peu simplistes et on ne trouve aucun esprit novateur dans sa conception du genre, calquée sur la tradition du drame bourgeois et de la comédie de moeurs, établie depuis le milieu du XIXe. Cette tradition me paraît aujourd'hui bien désuète et ne donne plus guère d'oeuvres nouvelles, sinon dans le registre distrayant du théâtre de boulevard..
Quant aux personnages, j'ai parlé de stéréotypes. Dans Les Justes, Stepan, le réaliste actif et dur, est opposé au révolutionnaire  Kaliayev, l'intello livresque et exalté. Ce duo  est hérité d'un schéma qui remonte au roman russe du XIXe, où il s'appuyait sur de très profondes analyses du coeur humain. Camus en était d'ailleurs un grand admirateur, au point d'écrire une adaptation des Possédés de Dostoievsky  qui avait eu une idée d'une autre envergure en réunissant les deux facettes de ce dilemme dans le seul Raskolnikov de Crime et Châtiment. On pourrait aussi voir chez Hugo( Les Misérables)  une mise en place de cette opposition entre le révolutionnaire décidé et "terrible",  Enjolras, et Marius qui rejoint la barricade plus par désespoir romantique que par conviction politique. Quatre vingt-treize oppose encore plus l'implacable Cimourdain au magnanime et sensible Gauvain.
Mais Camus dit refuser l'analyse psychologique et les personnages des Justessont des incarnations d'idées plus que vraiment des êtres humains dans leur complexité unique. Il est certain que le jeu des acteurs et la mise en scène peuvent suppléer et enrichir ces figures placées sous des étiquettes un peu succinctes. A la création, Maria Casarès et Serge Reggiani devaient donner une dimension plus émouvante et passionnée à des dialogues souvent très convenus.
Kalyayev est certainement le personnage le plus abouti, dans ses exaltations. Mais je trouve amer pour les familles de victimes d'attentat de le voir rendu scrupuleux, donc se justifiant au moins partiellement, parce qu'il ne veut pas tuer des enfants. De l'adulte explosé, soit.  Même des civils, mais de l'enfant, non. Il ne dit pas à partir de quel âge il voudra bien tuer un gamin , 12, 13.ans ? Quinze ? A seize, plus de pitié ? Quand cesse-t-on d'être innocent, intouchable,tout simplement un être humain ? Il faut avoir le courage de sa cruauté et, ou bien on pose sa bombe ou on n'en pose pas. Jamais. Je suis pour n'en pas poser...les scrupules taillés à la mesure de sa sensibilité et non de ses principes moraux font toujours un peu hypocrites. Ce qui d'ailleurs n'est pas non plus  sans soulever des cas de conscience. Sartre sera plus net. Toute révolution a définitivement les mains sales, et aujourd'hui, qui croit encore  à une guerre propre ?
Cette question de la violence utilisée pour servir une cause qu'on estime juste (ici, se libérer du pouvoir despotique du régime tsariste en tuant l'un de ses représentants ; l'attentat contre le grand-Duc Serge est historique et Camus a gardé le nom de Kaliayev) est une question grave et qui en certaines situations politiques se pose avec acuité. Mais, des Justes, ne ressort que la morale du Kamikaze "humaniste"qui ,en se sacrifiant (Kaliayev  accepte et recherche même sa condamnation), pense qu'il paie le prix des vies qu'il a prises. Mais Camus dira plus tard qu'une vie donnée ne vaut pas le prix d'une vie arrachée. Il était très hostile à la peine de mort or dans Les Justes, finalement chaque parti a la même attitude  et condamne à mort l'ennemi de classe. Je crois que ce qui affaiblit pour moi la portée des Justes, c'est l'évolution de Camus, attachant de plus en plus d'importance à l'être humain. C'est aussi le contexte de l'époque qui ramène la pièce au niveau d'une discussion politique au sujet de la justification de la révolution russe et par là, de l'acceptation, par les intellectuels du temps, de l'alliance avec le régime qu'elle avait mise en place.
 Or, au théâtre, Camus voulait retrouver le souffle humain de la tragédie grecque (il a écrit longuement sur le sujet et il donne une définition que je trouve très intéressante de la tragédie : "Les forces qui s'affrontent dans la tragédie sont également légitimes, également armées en raison." et selon lui, la formule tragique par excellence  serait :"Tous sont justifiables, personne n'est juste".
La qualité du style ne suffit pas à donner à la pièce une grandeur tragique. Un détail m'a frappée à la relecture, un des personnages recule devant l'assassinat et Stepan l'envoie dans les "comités" c'est à dire dans l'action non violente. Donc on peut se sortir de la situation où se trouve Kaliayev. On renonce à un type d'action et la vie est de nouveau possible. Or on ne peut pas se sortir d'une tragédie. C'est le destin qui frappe à la porte et cela signifie que les issues sont bloquées.
J'aime la remarque de Camus dans la Peste. Le médecin Rieux dit : "Il n'a pas vu assez mourir, c'est pour cela qu'il parle au nom d'une vérité."( vérité au sens d'opinion ; une vérité n'est pas la vérité )

Camus est un grand prosateur mais à l'homme de théâtre, je préfère l'essayiste philosophe, doué pour les formulations incisives qui vous frappent à vingt ans et vous suivent ensuite au long des années. Je préfère aussi le romancier efficace, avec une conception du roman ("le roman est une philosophie mise en images" ) qui fut celle des grands romanciers "engagés" de sa génération. (  Sartre, Malraux, Mauriac...)
Je l'ai beaucoup lu et admiré pour le sentiment poétique et tragique qu'il a eu de l'existence, l'émerveillement devant "l'insupportable" beauté du monde et le désespoir devant son absurdité et j'ai aimé son désir de ne jamais contribuer à la souffrance du monde et d'être comme il le disait vers la fin de sa vie:" toujours du côté des victimes..."
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Message  Invité Jeu 5 Déc - 12:21

il se trouve qu'il était question que nous montions cette pièce au sortir de nos études théâtrale. Tout comme l'a signifié Démetrios, les personnages incarnent d'avantage des opinions que des réels être humains. Ce qui faisait toute la difficulté de mettre en scène une telle pièce. Doit-on prendre le texte à contrepied en donnant de la chaleur, de la vie et de la compléxité à ces personnages? Ou au contraire resté dans un style sobre et neutre mettant en avant la réflexion de l'auteur?

Alors il est certain que cet ouvrage peut-être critiqué pour cet aspect simpliste dans la construction des personnages et la façon dont le personnage central traverse la pièce en paraissant presque innocent de ses actes. Cependant j'ai beaucoup aimé l'ambiance qui se dégage et la réflexion posée sur le justifiable et l'injustifiable.
Et cette réflexion peut aller très loin. Kalyayev aurait été hautement critiqué par Machiavel par exemple. Il dit vouloir épargner des morts futurs et venger des morts passés en tuant le Duc? Que croit-il que les neveux vont faire après la mort de leur oncle? Se venger probablement, de ce fait leur massacre peut-être justifié avec la même logique, du bien du plus grand nombre.
Le fait de vouloir se justifier est purement humain, l'on agit bien souvent en répondant à un instinct et l'on passe un long moment à justifier cet instinct par notre logique. La réalité est que la loi du Talion est celle qui vient le plus naturellement à l'Homme et cela, dès le jardin d'enfants. Se sortir de cette logique vengeresse est extrêmement difficile d'autant plus quand l'image de l'homme viril repose sur sa capacité à protéger et venger les siens quand le danger vient.  Le cinéma américain, notamment, ne cesse de nous assommer de blockbuster où le héros perd un camarade/frère/copine dans les premières minutes du film et passera le reste du film à concrétiser sa vengeance.
En cela Kalyayev pourrait faire figure de héros en se basant sur les même critères, cependant sa tentative d'assassinat aura, historiquement, bien moins d'impact que les grèves généralisées qui frapperont le pays cette année là. Tout comme la révolte sans lendemain d'Enjolras dans "les Misérables".
D'ailleurs dans la pièce les personnages passent beaucoup de temps à s'interroger sur la pureté de leurs intentions alors que seuls les actes et leurs conséquences sont réellement importants. Les plus grands bouchers de l'Histoire avaient de nobles intentions. Ca me fait penser à cette phrase que certains prêtent à Ovide: "La perfection n'est jamais dans les Hommes, mais parfois dans leurs intentions".

Quoiqu'il en soit, je pense que c'est le débat en lui-même que soulève Camus dans sa pièce qui est finalement plus intéressant que les personnages en eux-même. En cela, ils servent bien l'objectif de l'auteur, je parlerai donc d'une réussite.
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Message  Invité Jeu 5 Déc - 20:24

Olalala ce que tu dis, James, me fait penser à la question que se posait ma prof lorsque l'on a monté quelques diablogues de Dubillard et elle a voulu en rester au texte, parfois n'apparaissaient que des parties de nos corps...c'était minimaliste et selon moi, c'était tellement...

Toutes vos réflexions me parlent, je prendrai le temps au plus vite de donner mon opinion.
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Message  Invité Ven 6 Déc - 12:28

Puisque c'est une discussion, je crois que je peux encore intervenir même si je ne réagis que sur des points de détails :
Voilà ce qui m'est venu à l'esprit en lisant James, citant Ovide, lequel dit: "La perfection n'est jamais dans les Hommes, mais parfois dans leurs intentions".
 Héhé ! On sait bien que l'enfer est pavé de bonnes intentions !  alors, les intentions parfaites, c'est la voie royale assurée vers l'enfer !

Quelle transition pour discuter de Huis clos ( la pièce de Sartre, pas le forum apparu dans la rubrique partenariat) et le fameux " L'enfer, c'est les autres", d'ailleurs en général compris en dehors de son contexte philosophique et réduit au sentiment épidermique ressenti à six heures du soir dans le métro ou quand un quidam gare sa voiture devant votre sortie de garage.

Et en lisant  Hadley et son expérience du dubillardage revu par son prof ( de lettres  ou de théâtre ou atelier de  découpage ?) :
Ah, le minimalisme... que de liquides variés on verse dans la bouteille portant cette étiquette et que de crimes on commet en ton nom, employé bien souvent hors de son sens. (par exemple, en musique, mais je me retiens au bord du gouffre marqué : Totalement Hors Sujet !)
Je ne suis pas sûre que la disparition de l'acteur au profit du texte soit une idée qui me plaise. Une des principales qualités de l'acteur, n'est-ce pas justement la présence ? Et puis, si on poursuit dans cette voie, on peut aussi supprimer la présence de la scène, donc celle du metteur en scène, réduire le public à un seul (moi !), et le théâtre à un livre lu dans un fauteuil...( salut, Musset ! )
Hadley en écrivant :"c'était minimaliste et selon moi, c'était tellement... .." que veux-tu dire : Tellement génial, convivial ( Ouah ! Le nez de Cléo ! Oooh ! Le genou de Claire ! Mais c'est l'oeil gauche de Hadley ! Et ça, c'est le nombril de Qui ?) ??

Pour retomber sur mes pieds dans le sujet, voilà une image :
Spoiler:
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Message  Invité Ven 6 Déc - 19:05

Alors pour répondre à ce qui ne touche pas totalement Camus - même si... - par minimaliste, j'entends minimum. C'était épuré, c'étaient des jeux de lumière en plus des jeux de voix et donc des jeux d'ombre. Il est terriblement difficile de mettre l'absurde en scène et lorsque, par exemple, Un répond à Deux "mais je suis là" et qu'on ne voit qu'une partie de son corps (bien présent sur scène pourtant) ça n'est qu'une expression de plus de l'incongruité géniale du dia(b)logue. Et mon "tellement" s'opposait à minimum parce que selon moi, un minimum peut se suffire à lui-même.

Donc non ça n'était pas du théâtre (pas plus que du découpage) pour désincarner les Molières, Shakespeare et autres, faire sentir le spectateur seul ou le réduire à ce qu'il a de plus minimal (un être seul) mais bien une intention de créer une ambiance, de souligner par le jeu de scène l'ambiguïté des mots pour répondre à peut-être autre chose qu'une pièce classique qui pourtant, est toujours un moment de grand plaisir.
La variété n'est pas un vain mot pour moi, il exprime son sens le plus exact : varié, de différentes sortes. Qu'est-ce que la variété et la différence sinon des richesses ?
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