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Ludmilla Whayne

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Ludmilla Whayne Empty Ludmilla Whayne

Message  Invité Mer 11 Juin - 12:07

Prénom :  Ludmilla

Nom : Whayne

Surnom : Il arrive qu'on l'appelle Lu', ou Milla.

Age : 18 ans

Époque et lieu de naissance: Elle est née en 1995, en France, au Mans.

Physique, Caractère :

. Physique : D'apparence, Ludmilla n'a rien que de très commun. De taille et de corpulence moyenne, seuls ses longs cheveux noirs sont d'une taille un peu étonnante. Elle les fait rarement couper. Mais, c'est surtout parce qu'elle n'en a pas le temps ; et elle n'essaie pas vraiment non plus de les coiffer, si bien que la qualifier de « tête de nœuds » n'est pas vraiment faux au sens littéral. Ses yeux sont d'un marron très habituel.. Elle a cependant des bras un peu plus musclés que la moyenne, du fait de tous les outillage sur lesquels elle s'agite. Elle s'habille souvent sans vraiment faire attention à ses vêtements, qui se trouvent immanquablement tachés avant la fin de la journée. Elle est loin d'être maladroite, et est au contraire plutôt agile, mais elle n'a pas peur de se salir dans l'atelier de son grand-père. Cependant, un signe distinctif qu'elle emmène toujours avec elle est sa petite sacoche en cuir jauni et abîmé de toutes part où elle range la trousse à outil qui contient ce qu'elle estime être le strict minimum de son matériel de mécanicienne.

. Caractère :  De nature passionnée, elle n'aime rien de mieux que...ce qu'elle aime. Lorsque quelque chose lui plaît, elle s'y investit de toutes ses forces. Elle est un peu monomaniaque : presque tout ce qu'elle aime faire a un rapport avec la mécanique. Par contrecoup, elle se montre souvent détachée de tout avec ce qui ne lui procure guère d'intérêt. Elle peut alors donner l'impression de n'être pas très sensible à ce que pensent ceux qui l'entourent, ce qui n'est pas entièrement faux. Calculatrice, elle pense sa relation à autrui en termes d'utile ou inutile. Par exemple, elle trouvera inutile de parler pour ne rien dire, ce qui fait qu'elle peut se taire en compagnie de quelqu'un sans en être gênée. Si elle n'est pas dénuée d'empathie, il peut aussi arriver qu'elle méprise tel ou tel comportement d'autrui qu'elle juge injustifié, par exemple s'il lui en veut de ne pas lui avoir adressé la parole. Et, cela, pour toute autre chose du même ordre qui, bien qu'elle ait conscience qu'elles existent, sont à ses yeux plutôt digne de mépris que d'intérêt. Malgré cela, elle peut se montrer plutôt tolérante, en particulier pour ce qui est inhabituel. Elle ne considère pas comme mal tout ce qui est différent, tant bien sûr que cela n'est pas objectivement mauvais. Elle comprends très bien les personnes qui ont une passion, et s'y intéressent plus facilement. En fait, ce qui est plutôt banal l'ennuie. Elle préfère de loin tout ce qui sort de l'ordinaire. Si elle est si passionnée par ce qu'elle fait, c'est d'ailleurs peut-être parce qu'elle est entourée de choses qui ne piquent pas son intérêt, et qu'elle juge qu'elle a tout compris au fonctionnement de cet ordinaire qui la gêne. Mais elle est toujours captivée par ce qui constitue un mystère pour elle, et par conséquent par ce qui sort des schémas routinier desquels, bien qu'elle n'adhère pas, elle a conscience de l'existence.

Pour en revenir à son côté calculateur, il peut trouver sa pleine expansion dans les actes qu'elle accomplit pour mener à bien la tâche d'atteindre quelque chose qui suscite chez elle un grand désir. Enfin, elle possède une imagination développée, assujettie à une intelligence intéressante. C'est grâce à cela qu'elle n'est jamais à court d'idées pour de nouvelles inventions. Elle a cependant le défaut d'être très opposée à l'idée de se remettre en question. Elle qui néglige souvent de s'énerver pour ce qu'elle n'estime pas être grave, elle peut se mettre dans des colères farouches si l'on critique son mode de vie et sa façon de penser. Elle peut aussi parfois se montrer très égoïste . Il lui arrive également de pousser ses raisonnements jusqu'à l'absurde, ce qui peut la pousser à se comporter de manière contradictoire avec ce dont elle a envie. Enfin, un autre de ses points faibles est son goût pour le défi et les situations à risque. Si elle ne craint pas de se lancer dans l'aventure, cela peut parfois la conduire à la témérité. Rien ne peut plus l'entraver alors, pas même sa faculté calculatrice, qui se soumet à sa passion déraisonné. Elle a une grande conscience de la réalité ; autrement dit, elle se rend toujours compte des implications qu'une chose peut avoir. Elle est donc plutôt du genre à prendre les choses au sérieux, même si elle n'est pas dénuée d'humour. C'est pour cela qu'elle juge presque tout ce qu'elle fait en terme d'utile ou d'inutile.

Ordre choisi : Explorateur

Métier exercé dans l'époque d'origine : Elle est trop jeune pour avoir eu un vrai travail...Et trop occupée pour avoir eu un petit boulot d'été.

Métier ou fonction après son premier voyage : Probablement quelque chose dans la mécanique. Sinon, elle apprend vite et peut essayer de s'atteler à toute autre tâche manuelle.

Histoire

Les jeunes années

Ludmilla est née un 6 janvier 1995. Elle devait son prénom inhabituel à un article que sa mère avait lu sur la Juilliard. Quand à son nom, il montrait ses origines lointaines outre-atlantique, qui ne transparaissent nulle part ailleurs , comme son grand-père avait définitivement coupé les ponts avec cette partie de sa famille, bien avant sa naissance.

Ses parents vivaient alors dans un petit village, un peu à l'écart du Mans . Sa mère, Emma Julien, à l'époque âgée de 28 ans, était professeure de mathématiques dans un collège en ville. Quand à son père, Leo Whayne qui pour sa part avait alors 27 ans, il était infirmier dans l'hôpital de la ville. Très jeune, à cause des emplois de ses parents qui les obligeaient à de multiples allers-retours, Ludmilla a été confiée à une nourrice du quartier. Cette femme, ayant pour sa part deux jeunes enfants qui possédaient un certain nombre de jeux de construction, lui permit de s'amuser avec . Ludmilla développa alors un goût immodéré pour l'invention de constructions étonnantes. La fillette, en particulier, était fascinée par les Lego, avec lesquels elle créait des assemblages divers. Les parents ne s'en étonnèrent pas. Lorsqu'ils rentraient trop tard, ils pouvaient compter sur l'aide de son grand-père maternel. Celui-ci, ancien ingénieur reconverti en mécanicien automobile à la retraite, amusait la petite en fabriquant des jouets mécaniques qui la fascinaient.

Vers ses 5 ans, ses parents la mirent à l'école maternelle du village. L'enfant manifestait encore un intérêt particulier pour les inventions, s'amusant à fabriquer de petites marionnettes de bois qu'elle était ravie de faire bouger comme des personnes en tirant sur quelques fils. Plus que des constructions, elle voulait créer du mouvement. Les dîners de familles résonnaient des rires de ceux qui admiraient ses créations. Mais la fillette était solitaire. Elle ne participait pas facilement aux jeux des autres enfants, même si elle ne rechignait jamais à faire une activité en groupe. Il lui arrivait de s'enfermer dans des occupations si prenantes qu'elle en oubliait ses camarades. L'enfant préférait confusément ses amusements à ceux des autres, et s'en éloignait si elle trouvait mieux à faire. Cette année-là, en 2000, sa mère donna naissance à une petite fille. Elle s’appela Émilie, comme sa grand-mère. Ludmilla fût immédiatement conquise par le bébé, malgré le sentiment de jalousie habituel, et s'ingéniait à inventer des objets qui amusaient énormément la plus jeune.

Ses années de primaires ne se déroulèrent pas différemment, du moins dans son comportement. L'enfant ne cherchait pas les contacts avec les autres, préférant jouer tranquillement avec son carnet de croquis, où elle notait, d'une écriture tremblotante, les idées d'inventions à réaliser qui lui traversaient l'esprit. En même temps qu'elle apprenait à écrire, elle rencontra la lecture : elle se passionna pour les ouvrages qui lui permettaient d'assouvir sa passion, et devint fan des Orphelins Baudelaire , se prenant d'admiration pour le personnage de Violette. Suivant les conseils de son grand père qu'elle continuait de voir régulièrement, puisqu'il habitait tout près de chez ses parents , elle travailla très dur en mathématiques. Sa mère l'y encourageait. Hormis cela, la fillette ne se passionnait pas trop pour l'école, et préférait de loin imaginer des créations farfelues. Dans le même temps, son grand-père lui apprit à utiliser, sous étroite surveillance, ses premiers dispositifs électriques. Les yeux de l'enfant s'éclairaient chaque fois qu'une des lampes qu'elle avait elle-même mise en circuit s'allumait.

Cependant qu'elle ne changeait pas, les enfants autour d'elle grandissaient. Au fur et à mesure que Ludmilla manifestait un désintérêt pour tous leur jeux qui n’impliquaient pas la nécessaire utilisation d'un mécanicien ou des aventures incroyables,  ils la prirent en grippe. Ils en firent alors la cible de leurs moqueries. Déconcertée de cette agressivité soudaine, Ludmilla se tut tout d'abord, ne réagit pas, et ne dit rien à personne. Or, un jour, elle rentra de l'école en larmes, après que tous les élèves de sa classe se soient amusés à chanter chaque fois qu'elle passait près d'eux :« Ludmilla/Face de rat ». Ce fut son grand-père qui l’accueillit. Après quelques explications, il sourit à l'enfant :

- J'ai la solution.

Le lendemain, la petite fille arriva en premier à l'école.
Quelques heures plus tard, les élèves sursautèrent en entendant un bruit de détonation dans leur dos. La maîtresse plaqua la main devant sa bouche. Tous les yeux convergèrent vers un même point : la porte de la salle. Un moment, il ne se passa rien. La classe entière restait figée, les yeux écarquillés, la respiration sifflante. Puis, une voix grave, au timbre menaçant, tonna :

- Ennemis du rat, soyez maudits !

Brusquement, dans la salle, des vrombissements puissants résonnèrent autour des élèves, qui en cherchaient désespérément l'origine ; des cris explosèrent un peu partout lorsqu'ils constatèrent, par terre, le passage rapide de minuscule formes noires qui fusaient de toutes parts. Tout le monde sauta sur sa chaise en hurlant, maîtresse comprise.

Tout cessa quelques secondes plus tard. Les enfants sortirent en trombe de la salle, bousculés par la maîtresse effrayée. La petite brune s'attarda un peu plus, ramassant les petites machines qu'elle avait dissimulées partout dans la pièce ; les magnétophones équipés d'un retardateur, les propulseurs de billes mécaniques. Puis elle se précipita à leur suite.

Pourtant, si la maîtresse ne soupçonna jamais de qui venait ce qu'il s'était passé, les enfants le savaient, eux. A présent, c'était à leur tour d'entendre le mot « Rat » résonner dans leurs petites oreilles ; et plus jamais ils ne s'attaquèrent à Ludmilla.
Cet incident bouleversa sa vie d'enfant. Jusqu'à la fin du Cm2, la petite n'eut plus jamais d'ennuis avec ses camarades. Mais elle était complètement solitaire : même les enfants les plus gentils avaient peur d'elle. Elle était contente qu'on ne l'embête plus, et admirait son grand-père pour l'aide qu'il lui avait apportée. En même temps, elle se rendit compte, à son grand dam, que ses livres et ses inventions ne lui suffisaient plus pour être tout à fait heureuse. Elle ressentait une jalousie qu'elle n'arrivait pas à expliquer en voyant les autres enfants s'amuser ensemble. Mais cette constatation l'énerva considérablement. Elle avait vu les autres enfants être méchants avec elle ; et pourtant, une partie d'elle-même la poussait à se faire trahir de nouveau. Elle s'enfonça alors dans sa solitude, jetant des regards noirs à tout le monde. Finalement, ses parents décidèrent de la mettre pour sa 6ème dans un collège de la ville, désolés de la voir si solitaire.

En l'année 2006, c'est donc au Mans, qu’eut lieu la rentrée en 6ème de Ludmilla. Dans ce collège décentré de sa carte scolaire, elle se retrouva entourée d'inconnus. Cependant, les premiers jours, elle fit la connaissance d'une élève du nom d'Alice, qui s'était assise à côté d'elle . Ludmilla hésitait; puis, voyant que la fille ne semblait pas se moquer d'elle, elle pensa que seuls les élèves de son école étaient vraiment méchants. Alors, elle se prit d'amitié pour cette fille. Mais Alice, quelque jours plus tard, trouva d'autres amies. Peu à peu, elle se détacha de Ludmilla. Finalement, elle cessa tout à fait de lui parler. Alors, à nouveau, la mécanicienne en herbe se retrouva toute seule. Déçue de cette trahison, l'enfant décida qu'elle n'avait définitivement pas besoin d'amis de son âge. Elle se mura dans le silence au collège. Cette fois, les enfants ne l'embêtèrent pas ; son aplomb affiché ne faisait pas d'elle une proie facile. Au contraire de Julie Lepage. Cette fille timide, à l'air studieux et peu au fait des tendances collégiennes du moment avec ses lunettes rondes et ses cheveux blonds toujours rassemblés en deux couettes , devint rapidement l'objet de l'attention des petits caïds de la classe. Mais Ludmilla n'y prêtait pas attention. Hormis certain cours, et son petit carnet de croquis et de calculs qui la suivait partout, plus rien ne l'intéressait au collège. Ses meilleurs et seuls amis étaient ceux de son grand-père, anciens ingénieurs comme lui, et sa petite sœur, qui grandissait peu à peu jusqu'à pouvoir l'aider maladroitement dans ses créations.Du moins jusqu'à un certain jour.

On était en mars, et il pleuvait, une petite pluie fine qui ne tarderait pas à se transformer en averse. Ludmilla rangeait ses affaires dans son cartable. Elle était la dernière. Elle était toujours la dernière, parce qu'elle savait par expérience qu'elle éviterait ainsi la bousculade de la sortie. Mais lorsqu'elle franchit la porte, il restait quelqu'un. Étonnée, elle constata que c'était une élève de sa classe, et que cette élève la fixait. Elle était blonde, plutôt petite, et ses cheveux étaient rassemblés en deux couettes. Elle mit quelques instants à se rappeler son nom.

- Quoi, Julie? demanda-t-elle en fronçant les sourcils.

- Faut que je te parle.

- Ben, parle.

 Ludmilla n'était pas disposée à la patience. La journée avait été longue, et elle voulait rentrer.

- Je ne sais pas si t'as remarqué ,dit Julie, mais y a des gens dans la classe qui m'embêtent. Moi, j'en ai marre. Je veux qu'ils me fichent la paix. Alors, je voudrais que tu me prêtes tes machines.

Ses machines ? Ludmilla haussa un sourcil, comme si elle ne comprenait pas. En réalité, son cœur cognait dans sa poitrine. Elle songeait à ces dispositifs, qui...

- Si tu te poses la question, je parle des machines dont tu t'es servie pour être tranquille à l'école, ouais.

Julie souriait : la surprise que reflétait le visage de sa camarade était visiblement pour elle synonyme de fierté.

- Mais comment tu sais tout ça ? Et que c'était des machines? Je l'ai jamais dit à personne !s'exclama Ludmilla, très surprise.

- Que veux-tu que ce soit ? fit l'autre, haussant les épaules. Des histoires de fantômes ? Les gamins qui étaient là m'ont raconté ça. N'importe quoi ! Le seul truc possible, c'étaient des machines.

- Eh, mais...T'es allée voir des anciens élèves de ma classe ? réagit immédiatement la brune.

L'autre rougit, et plaqua la main devant sa bouche, comme si elle venait de lâcher une énormité. Ludmilla attendait une réponse ; mais la blonde ne semblait pas disposée à la lui accorder. Elle aurait pu partir. Mais elle était bien trop étonnée de voir cette petite fille, qui, alors qu'elle avait toujours été classée parmi les timides de service, et bégayait dès qu'on lui adressait la parole, faire quelque chose d'aussi surprenant.
Cependant, au bout de quelques instants de ce silencieux face à face, Julie craqua :

- Ben oui, je suis allée voir ! Comment tu crois que j'aurais su ça, sinon ?  Si tu veux tout savoir, j'ai trouvé ça bizarre que t'aies l'air de t'en ficher d'être seule après qu'Alice t'aies laissée tomber. Et puis, j'ai vu que personne t'embêtait, alors que moi, si. Donc, j'ai mené une enquête pour voir ce qui te donnait cet air assuré qui repousse les racailles,pour te piquer l'idée. J'ai parlé à des tas de gens, ça a été long. Et t'imagines même pas comme ça a été difficile de rentrer dans ton école en pleine nuit ! Y a des fenêtres partout, alors j'ai même pas pu prendre de lampe de poche, je me suis cognée plein de fois. Et puis crocheter une serrure dans le noir, c'est trop dur !

Suite à cette tirade, l'enfant croisa les bras, et leva les yeux vers Ludmilla d'un air de défi.  Elle attendait bravement la réponse de l'autre qui lui demanda l'évidence :

- Pourquoi tu m'as pas juste demandé comment j'avais fait ?

La blonde se mordit les lèvres, avant de finalement avouer :

- Parce que...Tu vois, les détectives ? C'est ce que je suis. Enfin, c'est ce que je serai plus tard. Mais pour l'instant, je m'entraîne. J'ai trouvé ça plus amusant de chercher par moi- même.  Je parie que tu trouves bizarre de faire comme ça ? Pas grave.

C’était vrai, Ludmilla trouvait cela bizarre. Cependant, elle aurait plutôt dit étonnant. Ou...

- Je trouve ça super ! s'exclama-t-elle spontanément.

Étonnée de cette réaction, Julie haussa un sourcil. Elle paraissait s'attendre à ce que la fille se moque d'elle d'une seconde à l'autre.

- Vraiment ? fit-elle.

- Ben...Oui ! Tous ces trucs que tu as faits juste pour trouver la vérité, ça a l'air trop amusant!ajouta Ludmilla. Ça doit être dangereux...Mais...Je sais pas, excitant !

- Mais, tu trouves pas ça trop indiscret ? fit Julie, suspicieuse.

- Les détectives sont toujours indiscrets, de toute façon. Non ?

Julie paru réfléchir un instant, puis sourit à son tour, sans plus d'hésitation.

- C'est sympa. Eh, tu vois, le truc avec tes machines, je trouve ça trop cool, aussi!

Ludmilla était ravie. Mais le souvenir d'Alice l'effleura. Lorsqu'elle avait vu son carnet, elle lui avait dit que ses dispositifs étaient géniaux. Et puis... Elle se figea. Cependant, Julie poursuivait :

- Tu vois, je fais tout pour avoir l'air timide. On me laisse tranquille, et puis, personne s'étonne de me voir me balader toute seule quand je recherche des choses. Mais ces gars, ils commencent à me faire remarquer. Le seul moyen de pas casser mon image, c'est de faire comme toi ! S'ils ont peur, ils me ficheront la paix!

Ludmilla hésita. Devait-elle lui faire confiance ? Dans sa tête, elle savait très bien que non. Son expérience le lui avait montré : tous les enfants étaient des traîtres.

- Je crois pas que ce soit une bonne idée.

Elle baissa la tête. Elle se sentait triste d'avoir repoussé cette Julie. Mais elle avait le sentiment d'avoir eu raison ; cette fille était comme les autres, elle se servirait sûrement d'elle jusqu'à ce qu'elle trouve quelqu'un d'autre.  Il y eut un silence. Puis :

- Tu as raison!

Ludmilla releva la tête. Quoi ?

- S'ils ont peur de moi, ils vont faire attention à moi, et ce sera plus dur d'être discrète ! Heureusement que tu me l'as dit ! J'y aurais pas pensé sans ça!

Ludmilla se sentait vraiment mal. Elle avait compris qu'elle allait devoir la détromper. Elle ouvrit la bouche, s'apprêtant à lancer quelques mots bien sentis, du genre : « c'est trop bizarre de fouiller dans la vie des inconnus. » ou encore « avec tes couettes, tu ressemble à ma petite sœur, en maternelle. ». Mais elle n'en avait pas envie. Elle savait qu'elle aurait eu raison, parce que cette gamine n'aurait vraisemblablement aucun scrupule à la trahir. Mais le problème, c'est que cette gamine n'était pas comme les autres gamines...

Finalement, elle ouvrit la bouche pour refuser. Mais à la place, voilà ce qui sortit :

- Il faut qu'on trouve une autre idée, alors.

Julie acquiesça, l'air grave.

- Ça te dit de venir chez moi pour ça? proposa-t-elle Ma mère a dit qu'elle ferait des crêpes.

Et Ludmilla accepta.
A partir de ce moment-là, Ludmilla et Julie devinrent amies. Toutes deux s'intéressaient à ce qui sortait de l'ordinaire. Et toutes deux aimaient réaliser leurs passions. Alors, dès qu'elles avaient un moment de libre, elles organisaient des expéditions pour résoudre des mystères qu'elles passaient parfois plus de temps à chercher qu'à clore. Ludmilla s'occupait de créer des objets qui les aidaient dans leurs enquêtes. Elle avait ainsi créé son propre petit magnétophone programmable à distance. A l'aide d'une vielle voiture télécommandée, elle avait imaginé un robot espion silencieux et discret qu'elles pouvaient envoyer dans tous les endroits qu'elles n'arrivaient pas à atteindre,et, quand elles s'ennuyaient, à la poursuite des sales gamins du quartier. Elle avait également trouvé des jumelles très efficace sur l'établi de son grand père. Équipées de pistolets à billes en cas de danger, les deux jeunes filles arpentaient les rues, Ludmilla suivant Julie, qui n'avait pas son pareil pour mener une enquête. La blonde était en effet très vive, et son esprit rapide parvenait toujours à déceler les détails étranges. Au collège, elles restaient discrètes sur leurs activités. Maintenant que Julie restait avec Ludmilla, on ne l'embêtait plus, l'aura de la jeune fille déteignant sur elle. Au bout d'un moment, on finit par les ignorer, ce qui leur convenait à toutes les deux.

Du moins, convenait tout le temps à Ludmilla. Julie de temps en temps, s'en attristait. En effet, la future détective tomba amoureuse d'un garçon. Puis d'un autre. Et encore un autre. Ludmilla regardait en soupirant son manège, toujours le même, lorsqu'elle rencontrait tel garçon qui lui plaisait : elle rougissait dès qu'elle l'apercevait au loin ; ne parlait plus que de lui ; et négligeait tout le reste. Puis elle attendait qu'il vienne l'aborder. Ce qui n'avait jamais lieu, puisqu'elle était si mal à l'aise à l'idée que cela se produise qu'elle l'évitait le plus possible. Finalement, le garçon constatait la façon dont Ludmilla impressionnait tout le monde, et évitait les deux filles à son tour. Alors, Julie passait de longues semaines perpétuellement déprimée. Enfin, elle se soignait, et tout redevenait comme avant. Ludmilla regardait tout cela d'un œil lassé en se promettant de ne jamais agir de façon aussi idiote. Elle en était venue à souhaiter que jamais de nouveaux élèves n'entrent dans son collège. Mais le drame se reproduisait, encore et encore.

A la fin de l'année de 3ème, il fallut affronter le brevet. Ludmilla s'en sortit avec les honneurs en mathématiques, et Julie s'en sortit avec les honneurs absolument partout. Elles visaient le même lycée, et y furent acceptées toutes les deux sans problème. Elles se préparaient à des vacances pleines de promesses, et à une rentrée toute nouvelle (là, Ludmilla espérait que les garçons auraient décidé de déserter l'endroit) . Mais tout ne se passa pas comme prévu.

C'est par un coup de téléphone que la nouvelle arriva. La voix de Julie était frémissante de colère et de tristesse.

- Tu sais, le copain de ma mère...Ce sale type...Ben devine quoi...Il vivait dans le Sud avant de venir squatter, et il veut rentrer...Et le pire, c'est qu'il veut qu'on aille habiter chez lui !

Au départ, elles ne savaient que faire. Julie espérait que le sale type oublierait son projet désolant. Mais ledit sale type resta bien campé sur ses positions. Après quoi, les deux adolescentes n'eurent de cesse d'essayer de convaincre la mère de Julie de laisser sa fille rester. On envisagea même l'internat ; mais les finances n'étaient pas assez bonnes. Ludmilla se retrouva donc à contempler le visage en larmes de Julie à travers les vitres sales de sa voiture qui s'éloignait. Elle même n'en menait pas large. Elle venait de perdre, même si elle la contacterait sans doute à nouveau, la seule amie dont elle était vraiment proche. Leurs relations ne seraient plus jamais pareilles, elles ne connaîtraient plus leurs jeux. Allait-il rester un lien entre elles ? Elle n'en était pas vraiment sûre. Après tout, si elles ne partageaient plus ces moments de leurs vies, que pouvaient-elles partager ?

La rentrée se passa, ni mal, ni bien. Ludmilla s'était de nouveaux habituée à son carnet ; ceux qui l'entouraient, à ne plus faire attention à elle. Les deux amies avaient gardé le contact, par internet. Mais il arrivait parfois qu'elles restent figées derrière leurs webcam, sans savoir quoi se dire, et les images sur l'écran ressemblaient à des photographies floues d'un temps lointain qui ne se remettrait définitivement plus en marche. Néanmoins, lorsqu'il leur arrivait de se voir, c'était comme si rien n'avait changé, et les secondes s’égrenaient de nouveau au rythme de leur rires. Ces moments étaient cependant rares.

Mais Ludmilla ne s'ennuyait pas. Les cours étaient vraiment difficiles dans la branche scientifique, qu'elle rejoignit en première, et elle devait s'accrocher pour réussir à suivre. Mais il fallait avouer qu'elle se passionnait de plus en plus pour ceux-ci. Elle adorait en particulier trouver les réponses aux questions qu'elle s'était toujours posées sur le monde qui l'entourait.  En plus, elle ne cessait de réfléchir à de nouveaux projets, et essayait de les réaliser . A présent, elle passait beaucoup de temps à travailler dans l'atelier de son grand père. Là, les mains plongées dans les fils électriques, les rouages métalliques, les vis, les plaques de métal, les ronds de plastiques, elle se sentait enfin tranquille, et son esprit n'était plus qu'un outil destiné à créer. Son grand-père lui avait donné la clef de l'établi, avec celle de sa maison pour qu'elle lui fasse ses courses en échange. Le vieil homme était atteint de toutes sortes de douleurs musculaires qui l'empêchaient de se mouvoir convenablement . Depuis quelques temps, il avait arrêté de fabriquer des objets ou d'en réparer ; et il se contentait d'aider l'adolescente par ses conseils mais son travail semblait lui manquer. Quelquefois, il marmonnait :

- Si seulement j'avais fait plus attention...

Cela lui était venu à l'esprit depuis que son médecin lui avait expliqué qu'en ayant fait plus de sport  et bu un peu moins d'alcool, il n'aurait sans doute rien eu.

- Oui, mais tu ne l'as pas fait, répondait sa petite fille avec humeur. Pas la peine d'en discuter.

Si elle était énervée, c'était à l'idée que son grand-père éprouve des regrets à cause de ce stupide médecin qui n'avait pas pu se garder ses stupides conseils là où elle le pensait. Et, elle devait se l'avouer, elle-même regrettait que son grand-père ne puisse plus accomplir ses anciens travaux. Mais, quand ces pensées lui venaient à l'esprit, elle contre-attaquait par un puissant raisonnement. On ne peut pas revenir dans le temps, se disait-elle. Rien ne changera. Les conjectures auxquelles l'on pouvait se livrer n'étaient rien de plus que des conjectures ; et tout le temps qu'elles dévoraient pour être pensées était du temps où n'était pas pensé ce qu'il était encore possible de changer. Après quoi elle pouvait à nouveau se plonger sereinement dans son travail.

Le jour de son entrée en terminale, elle aurait cependant bien aimé que l'on puisse changer le passé. Tout avait mal commencé. D'abord, elle avait oublié son sac ; ensuite, elle avait dû partir le récupérer au pas de course, et avait évidemment raté son bus. La course s'était donc poursuivie jusqu'au lycée où, en nage, elle s'était souvenue que les cours commençaient plus tard à l'occasion de la rentrée. Découragée, elle avait filé dehors pour s'asseoir sur un banc et oublier tout cela entre les pages de son petit carnet. Mais quelqu'un s'était assis à côté d'elle.

- Comment tu t'appelles? demanda la voix.

- Et qu'est ce que cela peut bien te faire ? répondit-elle sans relever les yeux.

Elle connaissait tout de l'art et la manière de se débarrasser d'un empêcheur de tourner en rond.

L'autre ne répondit rien. Mais Ludmilla sentait que la présence à côté d'elle ne bougeait pas.  Tant pis, elle avait autre chose à faire que s'intéresser à cette personne après tout silencieuse. Elle l'ignora donc jusqu'à la sonnerie. Lorsque celle ci retentit, elle ferma son carnet, se redressa, et regarda une seconde le propriétaire de la voix qui l'avait abordée. C'était un garçon, à peu près de son âge, il lui semblait. Le premier et seul mot qui lui vint à l'esprit face à sa coupe de cheveux déjà vue, son visage déjà vu, ses vêtements déjà vus, fut : « banal ».

Sans attendre, elle s'enfonça dans les couloirs, se dirigeant vers la salle où allait se dérouler le premier cours de l'année. Manque de chance, lorsqu'elle arriva devant la porte, il y avait...Mr Banal. Elle soupira intérieurement. Elle espérait qu'il n'allait pas chercher à lui parler de nouveau. Elle avait plus important à faire. Par exemple : réfléchir à une nouvelle machine. Celle qui occupait ses pensées était un bras mécanique qui lui permettrait de saisir les objets posés trop haut ou trop loin. Son principal problème était la façon de doser sa force. Comment faire en sorte qu'il puisse saisir un œuf sans le casser, et avec précision ? Si...

- Alors, tu es en terminale S2, toi aussi ?

Mais il n'allait jamais la laisser tranquille !

- Non, je ne suis pas dans cette classe, rétorqua-t-elle. Mais j'adore perdre mon temps à l'entrée de celle-ci, c'est très amusant.

- Tu n'as pas l'air de t'amuser beaucoup, pourtant ! fit remarquer l'inconnu.

- On se demande à cause de qui, continua-t-elle sans s'énerver. Je crois bien que c'est la faute de ce type, tu sais ? Celui qui n'arrête pas de me parler alors que je n'en ai aucune envie.

-Ah.

Le garçon se tut à nouveau. Satisfaite, Ludmilla se plongea à nouveau dans ses pensées. Elle eut exactement deux minutes pour le faire, et le professeur arriva devant l'entrée. Le second problème vint lorsqu'elle voulut s'asseoir. Elle s'était mise tout au fond, sa place préférée. Elle savait qu'elle pourrait continuer, là, ses griffonnages. Le premier jour, les professeurs faisaient toujours un petit speech inutile sur l'année à venir. Ludmilla trouvait ça idiot. Le professeur ne pouvait pas prévoir l'avenir, de toute façon. Elle posait donc son cartable sur sa chaise, lorsque la voix exaspérante qui la suivait depuis ce matin demanda :

- Attends, enlève ton sac ! Je dois m'asseoir à côté de toi. Il n'y a plus de place.

Elle fronça les sourcils en direction de l'adolescent, espérant le faire fuir. Mais il avait raison. Toutes les tables étaient déjà prises. Sans rien dire, l'adolescente enleva son sac de la chaise, s'assit, et ignora son voisin. A la place, elle ouvrit les pages de son carnet. Jusqu'à la fin des deux heures que le professeur passa à expliquer comment l'année devrait se passer, elle ne le quitta pas des yeux. Et quand la cloche de la récréation sonna, elle se précipita dehors, décidée à rejoindre un endroit tranquille. Elle parcourut à toute allure les couloirs, grimpa des escaliers. Finalement, elle arriva devant une porte qu'elle ouvrit sans hésiter. Derrière celle-ci se cachait un débarras poussiéreux, un peu plus grand qu'un placard, ou l'on avait réussi à placer une table et une chaise. La porte n'était jamais fermée, et personne ne venait là. En explorant le lycée, manie qu'elle avait acquise auprès de Julie, la jeune fille avait découvert cet espace miraculeux. Et, depuis, elle en avait fait son repaire, où elle se réfugiait pendant presque tous les temps libres. C'est ce que j'aurais dû faire ce matin, pensa-t-elle. Avec un peu de chance, ce type ne m'aurait jamais adressé la parole.

BAM! BAM !

Elle sursauta. Des coups avaient retentis à la porte. Le cœur battant à tout rompre, elle en observa la surface rectangulaire un instant. Rien. Elle attendit un instant. Pas un bruit. Peut-être une blague ? L'importun s'était-il éloignée ? Doucement, pour voir, elle abaissa la poignée, poussa la porte...
L'inconnu la regardait en souriant.

- Eh, mais t'as carrément une salle rien que pour toi ? C'est trop génial s'exclama-t-il.

Ludmilla hésita à lui claquer la porte au nez. Au lieu de quoi, elle murmura :

-Entre.

Le type ne se fit pas prier deux fois. Elle vérifia derrière lui que personne n'avait surpris la scène : rien. Soulagée, elle referma la porte, prête à en découdre.

-Écoute bien ce que je vais te dire, dit-elle ensuite en le regardant d'un œil noir, parce que je ne le répéterai pas. D'abord, tu as intérêt à ne parler de cet endroit à personne.

Les yeux baissés, l'autre paraissait ne pas l'écouter.

-J'ai un problème. lança-t-il, lui coupant la parole.

Ludmilla dut se retenir de balancer : Et alors ? En fait, elle commençait à se dire qu'elle n'avait pas été assez diplomate avec ce gars. Apparemment, il avait quelque chose à dire. Qu'il le dise ; elle n'aurait qu'à se moquer de ses paroles, et, vexé, il la laisserait tranquille pour toujours.

- Voilà. J'imagine que tu as dû le remarquer, poursuivait-il. En fait...Je suis...banal.

Lumilla eût du mal à s'empêcher de lever les yeux au ciel. Qu'est ce qu'elle avait à voir avec ça ?

- Je suis un gars comme les autres,. Je fais les mêmes choses que les autres, je ressemble à n'importe qui dans la moyenne, et le pire, c'est que c'est sincère. J'aime vraiment les choses banales que tout le monde aime. Et j'en ai marre.

Il leva les yeux vers elle, étonnamment sérieux.

- Je suis nouveau, ici, et j'ai décidé d'en profiter pour changer ça dès maintenant. J'ai essayé de repérer quelqu'un qui ne serait pas banal. Et je t'ai vue. C'était la rentrée, et t'avais l'air de connaître les lieux ; mais t'étais ni scotchée à ton portable, ni scotchée à ton groupe d'amis. Je suis venu voir ; tu m'as rembarré méchamment,et t'avais tellement d'assurance ! En plus, tu inventes des machines dans un carnet. C'est tellement...Je sais pas, moi...Cool ! Alors, j'ai compris que j'avais besoin de toi si je voulais espérer changer.

Il lui adressa un grand sourire :

- Devenons amis.

Ludmilla attendit un peu : oui, il avait fini. Alors, elle contre-attaqua.

- Tu sais quoi ? Tu n'as absolument pas besoin de vouloir devenir mon ami. Crois-moi, c'est suffisamment bizarre de me harceler comme tu le fais. Je t'assure, tu n'as rien de banal.

- C'était très banal, au contraire ! Je veux dire, vouloir être original et faire des trucs bizarre pour.

Il gémit.

- Tu vois, je pense à ça comme « bizarre ». Je suis banal. Être original, c'est pouvoir faire des trucs pas banals, et que toi, tu les trouve banals. Que ça soit ton quotidien.

- Si je te suis bien, rétorqua Ludmilla, tu n'en auras jamais fini avec la banalité. Ton projet est voué à l'échec.

- En fait, non. En fait, non. Tu vois, le jour où, pour toi, n'importe quoi est banal, ben, tu peux aimer n'importe quoi, tu peux faire n'importe quoi ! Et, ce jour là, tu peux vraiment choisir quel est le n'importe quoi qui t'appartient, qu'est ce qui fait de toi quelqu'un d'original, d'unique, et pas juste une espèce de copie, des circonstances et des événements .

Ludmilla laissa passer un silence, puis déclara, sans se presser:

-Non, ça ne marchera pas.  Parce qu'il n'est pas question que je sois ton amie. Alors, va t'en.

Elle attendit. Le garçon ne bougea pas.

- Et pourquoi ça ?

- Quelle question ! Tu me fais perdre mon temps. J'ai mieux à faire que servir à ton développement personnel.

Le garçon eut l'air de prendre conscience de quelque chose.

- Euh, tu m'as mal compris. Je te demande pas que ton aide ; je te demande vraiment qu'on soit amis, tu vois, quand deux personnes se trouvent suffisamment d'intérêt pour passer du temps ensemble.

- Et qu'est ce qui te fait croire que je te trouve de l'intérêt ? demanda Ludmilla en soupirant.

- C'est simple, je ne t'en veux pas de tout ce que tu m'as balancé. Ça me dérange pas. Tu trouves pas ça bien de traîner avec quelqu'un qui peut accepter un truc comme ça?

Silence. Ludmilla se surprit à avoir prêté une oreille attentive à ces mots. En fait, il lui semblait bien qu'ils recelaient quelque chose. Quelque chose d'intéressant. Finalement, elle commença:

- Moi, c'est Ludmilla. Et toi ?

-Lucas.

Et pour la première fois depuis leur rencontre, ils souriaient tous les deux en même temps.

A présent, sauf s'il l'empêchait de réfléchir alors qu'elle avait un problème sur les bras, elle ne crachait plus trop violemment à la figure du garçon. Comme il habitait, hasard étonnant, dans le même village qu'elle, ils pouvaient se voir souvent. Et, à force de le connaître, elle devait admettre que, après tout,  scientifique comme elle, il n'était pas inutile pour l'aider dans ses projets. Parfois, il mettait le doigt sur une évidence qu'elle avait oubliée. Finalement, elle l'y impliqua de plus en plus  et son ami devint également son assistant. Mais elle adoptait également ce rôle de temps à autre, à l'occasion de ce que Lucas appelait les « tentatives d'originalité ». Le garçon lui demandait alors de l'accompagner dans ses projets étranges ; et elle ne voyait pas de raison de refuser, surtout quand il s'agissait de tester ses machines en milieu réel. Le coup de la pince mécanique qui prenait les vêtements dans les cabines d'essayage s'était révélé risqué, mais très amusant. Elle organisa une rencontre entre lui et Julie, et -fait étonnant-, la blonde n'en tomba pas amoureuse. Quant à celui-ci, il trouva immédiatement la jeune fille intéressante, avec son goût pour les enquêtes qui n'avait pas faibli. Ils nouèrent peu à peu tous trois d'étroits liens d'amitié. Pour une fois, Ludmilla comprenait que l'on ait confiance en l'avenir. Elle avait l'impression que quantité de choses amusantes se déroulaient devant elle, et elle n'avait pas été détrompée. Pas encore.

- Rupture -

La première disparition au Mans avait été rendue publique quatre semaines avant le Bac.

Malgré ses notes correctes aux épreuves anticipées, qui n'étaient après tout pas des matières scientifiques, Ludmilla s'était décidée à réviser durement. Elle passait des heures le nez dans ses cahiers, à revoir toutes les matières. C'est pourquoi la rumeur ne lui parvint pas tout de suite.

Cependant, une nouvelle disparition avait eu lieu. Cette fois, c'était dans son village que se passait l’événement  et elle en entendit parler finalement chez elle, un soir, à table. Mais, là encore, ce n'était que quelque chose de vaguement inquiétant, à laquelle on pense un peu mal à l'aise puis qu'on se dépêche d'oublier. Lorsque, quelques jours plus tard, la disparue, une femme âgée, réapparut, elle expliqua qu'elle était partie rechercher l'héritage de ses ancêtres qu'elle avait d'ailleurs retrouvé, et l'affaire s'était classée.

Mais une troisième disparition eut lieu de nouveau, dans la grande ville,  cette fois. Personne ne réapparut alors,et, comme il s'agissait d'un étudiant encore jeune, on communiqua beaucoup plus la nouvelle ; si bien qu'à la fin de la semaine, personne n'ignorait que Benjamin Dulac s'était mystérieusement évaporé sans laisser de traces.
Tout cela ne préoccupait cependant guère Ludmilla. Elle travaillait tout le temps,et devait aussi s'assurer que son ami s'y mette. Ce dernier se passionnait évidemment pour tout ce qui pouvait l'éloigner de ses révisions. L'affaire des disparitions, en particulier, l'intéressait ; et il rapportait certaines anecdotes étranges.

- Il paraît que la femme qui a disparu près de chez toi, Gilberte Montaigné, eh bien, rien n'indique qu'elle avait de vraies origines nobles.

- Ah bon ? fit Ludmilla sans lever les yeux de son cahier.

Elle était plus conciliante lorsqu'on l'interrompait dans ses révisions particulièrement ennuyeuses d'anglais. Et c'est ce qu'ils faisaient, ce jour là, installés dans la chambre de Lucas.

- Du coup, son histoire d'héritage ne tient plus debout. Je te paries qu'elle ment, et qu'elle a volé quelque part tout ce qu'elle a vendu ces derniers temps.

- Oui, mais, objecta la brune, où elle aurait trouvé tout ça ? Je veux dire, elle avait même des vases antiques authentiques qui n'avaient jamais été découverts. Et elle n'est pas vraiment archéologue.

- Alors là, je sèche... grimaça Lucas.

-En parlant de sèche. Ça fait une heure que je relis la même page, et je ne retiens toujours rien. Je crois qu'on ne devrait pas réviser l'anglais ensemble. C'est contre-productif.

-Oh non, t'es sûre ? Si tu t'en vas, je vais m'endormir.

- Dors bien !fit Ludmilla en se relevant du fauteuil où elle s'était avachie.

Il la raccompagna jusqu'à l'entrée.

- Au fait, n'oublie pas que Julie occupe déjà la place de super-détective, alors laisse tomber les disparitions et travaille un peu cet aprem', compris ?  conseilla la jeune fille.

- Ouais, ouais.

- Je parle sérieusement. Si tu te plantes, moi, je serai la seule à partir faire mes études loin, et je ne pourrai plus t'aider dans tes «tentatives d'originalité ». N'oublies pas, tu as besoin de moi, mon cher!

- Et qu'est ce qui te fais croire que je te trouves de l'intérêt ? sourit le jeune homme.

Ils éclatèrent de rire puis se séparèrent. Une fois chez elle, la jeune fille se remit au travail, contemplant de temps à autre la clef de l'atelier de son grand-père avec nostalgie. Elle ne s'était pas rendue chez lui depuis un mois.

Vers 7 heures, elle descendit pour le dîner. Là, le téléphone sonna : c'était la mère de Lucas. La jeune fille s'étonna : que se passait-il? Lucas, dans un accès de colère, avait-il mis le feu à ses cahiers? C'était peut-être la nouvelle idée qu'il avait trouvé pour être original. Mais la femme se contenta de lui demander si le garçon était chez elle.

- Eh bien...Non. Pourquoi, il est sortit ? Il arrive ?

- A vrai dire, avoua la femme, je ne sais pas. Il n'est plus dans sa chambre, et j'ignore où il est passé.

- Je vous tiens au courant, madame. Au cas où, où est ce qu'il aurait pu aller d'autre ?

- Tu sais, depuis qu'il est ici, à part toi et cette Julie, il...il n'a pas d'autres amis.

L'adolescente réprima un petit rire. Elle savait que la mère de Lucas regrettait sa période Mr Banal.

- Je vais me promener, voir si je le croise.

C'est ce qu'elle fit. Pendant deux longues heures, elle vérifia chaque rue de son village. Rien. Elle rentra, appela chez Lucas. Était t-il chez lui ? Non, pas encore. Sa mère avait une voix particulièrement inquiète au téléphone, et elle demanda à Ludmilla de le garder à portée de main, au cas où le garçon appellerait. Rompant le jeûne d'internet qu'elle s'était imposé pour mieux réviser, elle avait alors contacté Julie. Jusque tard dans la nuit, elles avaient attendu un appel, un signe, en vain. Finalement, elles étaient allées se coucher. Mais la brune avait senti un début d'angoisse traverser le rempart de calme qu'elle était, et ce sentiment l'empêcha de dormir un bon moment.

 Le lendemain matin, à 7 heures, elle se rendit immédiatement chez Lucas. Là, elle vit des voitures de police garées à l'entrée. Son sang ne fit qu'un tour ; et, avant même d'avoir pu réfléchir, elle était déjà en train de tambouriner à l'entrée, terrifiée. La mère de son ami, en pleurs, lui ouvrit. L'adolescente réussit à lui arracher quelques paroles : Non, Lucas n'était ni mort, ni blessé. Enfin -et là, elle avait éclaté de plus belle en sanglots- elle ne le savait pas, puisqu'il avait disparu. Un policier vint la rassurer en lui expliquant qu'il était encore tôt, que tout allait bien se passer, etc... Ludmilla, sonnée, resta plantée là. On l'avait alors interrogée, puisqu'elle était l'une des dernières personnes à avoir parlé au jeune homme avant sa disparition. Enfin, on lui avait dit de rentrer chez elle. Ce qu'elle avait fait, suivant le chemin inconsciemment comme l'un de ces automates qu'elle affectionnait tant. Une fois chez elle, sans répondre aux questions de ses parents qui s'attendaient à la voir au lycée, elle monta dans sa chambre et s'effondra sur son lit. Après quoi, elle se roula en boule et ferma les yeux. Les derniers mots qu'elle avait entendu de Lucas résonnaient dans sa tête. En particulier, l'un d'eux lui causait, chaque fois, une vive douleur dans la poitrine. « Disparition ».

Une semaine s'écoula sans qu'il ne réapparaisse, puis deux, puis trois. La ville était en effervescence. Natif de décembre, Lucas était encore mineur. Même Benjamin Dulac en fut détrôné. Tout le monde ne parlait que de Lucas. Des groupes de soutien, un peu partout dans la ville, distribuaient des tracts à son effigie. De grandes affiches le montrant furent mises aux arrêts de bus. La police mit en place une cellule spéciale dévouée à sa recherche. Sa mère se montra plusieurs fois à la télévision, demandant au milieu de sanglots déchirants qu'on lui rende son fils.

Ludmilla, elle, était le plus souvent amorphe. Elle n'essayait même plus de travailler, car elle ne parvenait pas à se concentrer. L'impuissance la rendait folle. Elle restait enfermée dans sa chambre. Là, elle organisait avec Julie des réunions d'enquête, où celle-ci lui indiquait, au terme de longues réflexions, où chercher. La jeune fille sortait alors en trombe de sa chambre, et se rendait à l'endroit désigné. Mais il n'y avait jamais rien, pas même un indice du passage de Lucas.

On était dimanche. Lucas avait disparu depuis quatre semaines. Demain, c'était le jour de la première épreuve du BAC. C'est que lui dit sa mère, l'air inquiet.

- Il faut que tu te concentres, ma chérie. Je sais que c'est dur. Mais on ne peut rien faire.

Oui, on ne pouvait rien faire. On ne pouvait rien changer. Elle le savait. Elle était bien consciente qu'elle ne pouvait pas retourner en arrière pour empêcher Lucas de s'évaporer. Et elle pressentait que Julie ne le retrouverait pas. Alors pourquoi n'oubliait-elle pas toute cette histoire et ne parvenait-elle pas à se concentrer sur son avenir  ? Pourquoi éprouvait-t-elle autant de regret ? Elle aurait voulu arracher son cœur de sa poitrine, puisqu'il n'arrêtait pas de lui faire mal. Elle aurait bien aimé enlever quelques uns de ses neurones, pour pouvoir cesser de penser au disparu. Mais ça non plus, elle ne le pouvait pas.

En fin de soirée, elle ruminait ces pensées, affalée sur le canapé du salon. L'anxiété la rongeait, et elle se sentait de plus en plus mal au fur et à mesure que le temps passait. Finalement, elle n'en put plus.

- Je sors, décida-t-elle.

Ses parents se regardèrent, embarrassés. Mais son père fit un bref signe de tête, et finalement, sa mère se tourna vers elle, l'air inquiet :

- Ne rentre pas trop tard. Et laisse ton portable allumé. N'oublie pas que...

- Je sais. coupa l'adolescente en ouvrant la porte d'entrée.

Elle sortit. Il devait être aux alentours de 8 heures et le soir commençait à se dessiner dans les couleurs du ciel qui rougissait. Elle hésita. Elle ne savait pas vraiment où aller. Elle avait juste eu envie d'échapper à l'inaction quelques minutes. Elle décida finalement de marcher jusqu'à la rivière.

La rivière, c'était plutôt un filet d'eau minuscule qu'elle avait un jour découvert avec Julie, au hasard d'une promenade dans la forêt qui jouxtait l'arrière de sa maison. Le petit cours d'eau était rapidement devenu leur terrain de jeu pendant l'été. Ludmilla en gardait de très bon souvenirs ; et plus important, des souvenirs sans Lucas. La jeune fille n'avait pas envie de penser à lui ; son sentiment d'impuissance la mettait dans une colère et une tristesse terrible. Elle détestait par dessus tout lorsque son esprit se prenait à imaginer ce qui avait pu lui arriver.

Elle ne mit pas longtemps à rejoindre les bois. Elle s'y enfonça lentement. Là, les feuilles couvraient la lumière éclatante, et celle-ci se découpait en motifs mouvants en tombant sur le sol. Les odeurs parfumées des plantes se dispersaient dans l'air qui se rafraîchissait doucement. S'appuyant sur des roches et des racines, Ludmilla sortit du sentier, et grimpa une petite colline, jusqu'à trouver ce qu'elle cherchait. Entre les troncs sombres et dorés surgissait soudain une petite cascade bruyante et lumineuse. La jeune fille s'assit sur une pierre plate près de l'eau. Elle contempla son mouvement furieux, lorsqu'elle se jetait sur les roches, s'abîmant en éclaboussures qui s'irisaient dans les rais de lumière. Elle se laissa glisser sur la pierre, et ferma les yeux, laissant les ombres des arbres dessiner des formes sous ses paupières.

Elle n'y arrivait pas.
Elle s’assit d'un coup et ouvrit les yeux. Des larmes coulaient sur son visage sans qu'elle  puisse les arrêter. Des pensées effrayantes explosaient dans son esprit, dessinant milles présents horribles pour le jeune homme. Elle en avait assez. Non, elle ne pouvait pas laisser faire ça. Il fallait qu'elle retrouve Lucas. Elle était prête à n'importe quoi pour retrouver Lucas.

Soudain furieuse, elle se leva d'un seul coup.

- Je m'en fiche que ça soit impossible ! hurla-t-elle face à la forêt immobile, les yeux brillants de colère. Je le retrouverai. Je ferai tout pour le retrouver !


Possessions :
vêtements (un jean, un tee-shirt gris clair, une veste claire, et des basket marrons) Ainsi que son sac en bandoulière qui contient son carnet de croquis, un crayon à papier, une gomme, un téléphone portable (chargé). Elle y transporte également sa trousse à outil, contenant :
- 10 embouts de tournevis plat ou cruciforme
- Jeu de 3 clés à pans
- 1 pince plate multi-usages
- 2 mini tournevis de précision
- 1 manche  pour adapter clés et tournevis
- 1 mètre ruban de 1 m
- 5 clés tubulaires de différentes largeurs
- une clé dynamométrique
- un jeu de piles (4 très grandes, 4 de taille moyenne, 4 petites, rechargeables 1,2 volts et une petite batterie pour lanterne 6 volts, non rechargeable)
- un petit chargeur de piles (2 places)
- un jeu de 20 fils électriques (10 conducteurs de phase et 10 neutres) avec 20 pinces.
- un interrupteur
- un sachet d'une vingtaine de clous
- un sachet d'une vingtaine de vis
- des ciseaux
- de la colle (tous supports)

Permissions : Autorisez-vous la pnjisation de votre personnage par vos partenaires ? Merci de spécifier sur le pnjisomètre votre tolérance.
libre: "j'accepte  la pnjisation de mon personnage  et fait confiance à mes comparses de jeu pour être fidèle à son esprit général . Si jamais quelque chose me choque dans sa pnjistion, je leur signalerais sans rancune par mp et de façon polie et aimable afin qu'ils rectifient."

Autorisez-vous les autres joueurs à influer sur le jeu de votre personnage via la zone RP Blue Hospel, c'est à dire à vous atteindre par le monde des rêves ? Oui .
08
Disponibilités in RP (cadence de jeu):A partir du 1 er septembre et jusqu'au vacances d'automnes: 2 fois par mois (néanmoins n'ayant presque pas accès à internet , je ne sais pas si je verrais les réponses à temps pour répondre ce nombre là...Oui c'est compliqué xD).

Espace personnel :

Décharge responsabilité :

Joueurs majeurs: "Moi, joueur du compte personnage Ludmilla Whayne, déclare avoir pris connaissance que ce forum comporte une sous section interdite et cachée aux - 18 ans. Je prendrai soin de protéger la sensibilité des plus jeunes en usant des espaces consacrés si mes récits contiennent des propos violents, choquants ou à caractères érotiques. Toute infraction délibérée sera sanctionnée par la suppression de mon compte. Je prends connaissance de ces conditions en m'inscrivant et les accepte. L'administration du forum ne saurait en être tenue pour responsable."

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Message  Le Dévoreur de temps Jeu 12 Juin - 21:27

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La canopée frémissait au vent du soir qui s'invitait sans gêne dans cette forêt bordant le circuit du Mans telles les mains d'un faune courant dans la chevelure indisciplinée de sa sauvageonne maîtresse. Sa voix semait des murmures passant d'un arbre à l'autre, comme autant de secrets qui n'étaient pas l'affaire des hommes. Istvan avançait le nez levé aux frondaisons sans faire vraiment attention à la direction où le menait l'amble de son cheval. Lequel n'était d'ailleurs le sien que depuis qu'il avait décidé qu'un Hussard perdu dans un endroit dont il ignorait seulement le nom ne pouvait, en plus, demeurer sans cheval. L'animal débonnaire n'avait rien d'un champion mais n'était pas pour autant une rosse, ce qui était bien suffisant pour aller dans la campagne en recherchant son campement. Ces bois ne ressemblaient en rien à ceux qu'il avait quittés en s'éloignant de Vienne. Où étaient les majestueux sapins bleus et les chênes plusieurs fois centenaires ? Il avait dû s'endormir au bord de cette cascade. A moins que, glissant sur les rochers mouillés, il ne se fût cogné violemment la tête et soit en train de délirer.

Peut-être n'était-ce là qu'un songe ? Rien ne paraissait pareil à ce qu'il avait vu en arrivant dans la clairière en bordure de rivière où son régiment avait fait halte en attendant les ordres de l’État-major de l'Empereur. Il se souvenait vaguement s'être approché du rideau mouvant de cette chute d'eau pour s'assurer qu'il n'y avait aucun français dissimulé derrière. Les éclaireurs du petit Corse avaient l'art et la manière de fouiner partout. Mais il ne se rappelait plus ce qu'il y avait trouvé lorsqu'il avait franchi l'onde, mouillant son bel uniforme et son shako. Il s'était retrouvé marchant tout éveillé dans un champ de blé en bordure de cette forêt et avait croisé la route de ce brave équidé qui semblait lui tendre le dos. Rester à couvert lorsqu'on était isolé est la première chose qu'on enseignait à l'Académie Militaire et bien que son jeune frère Ludwik le surpassât largement dans l'art du camouflage, Istvan savait aussi rendre son brandebourg invisible, ce qui, contrairement à ce qui pouvait se dire, n'était pas mission impossible malgré l'ample manteau, le plumet du couvre-chef et autres galonnières.

Louvoyant entre les troncs d'arbres, il commençait à sentir l'appel du ventre qui n'est pas sans vigueur chez un cavalier hongrois d'Empire. Chasser pourrait être envisagé et il avait bien un pistolet dans ses sacoches qu'il portait, déjà dans cette idée, sur l'épaule lors de son inspection des abords du camp. Lorsqu'il avait rencontré son ami à quatre fers, les sacoches avaient été négligemment lancées sur l'encolure, tandis que, s'agrippant à la crinière hirsute de la monture, il sautait prestement sur son dos. Les yeux du jeune homme, scrutaient les taillis et son ouïe était toute entière mobilisée par les bruits des bois environnants. Chasseur par des générations qui l'avait précédé, son instinct mobilisait à présent ses sens vers un seul but, remplir son estomac. Ce qui n'était pas déshonorant pour un soldat, bien au contraire. Savoir se nourrir en l'absence de vivres était même l'une des conditions menant à la victoire. On ne se battait bien que le ventre ni trop plein ni trop creux. Il scrutait donc la voute de verdure en s'efforçant de progresser contre le vent pour ne pas alerter le gibier et il avait le nez en l'air lorsqu'il entendit une voix déchirante hurler à quelques coudées de là. Il sursauta tandis que son cheval faisait un écart et oreilles tournantes, hennissait de surprise. Il eut à le calmer un peu lorsque celui-ci, apparemment peu familier des bêtes sauvages avait cru entendre l'une d'elle. Istvan savait pour sa part qu'il n'en était rien, mais son sang n'avait déjà fait qu'un tour. Ce cri était celui d'une femme en détresse.

Il talonna et fit sauter un tronc couché en travers de la piste, à son cheval qui n'en avait jamais tant vu en un seul jour. Cet animal, noir comme l'encre, était la propriété d'une petite fille qui ne le montait guère depuis qu'il était arrivé ici, car la malheureuse s'était cassé la jambe quelques jours après, en tombant de vélo. Comme quoi rien n'était aussi sûr qu'un bon coursier. Ce désœuvrement bien évidemment, Istvan l'ignorait, sinon il aurait ménagé sa monture. Mais si le cheval avait pu parler cela n'aurait certes pas été pour se plaindre ! Il aurait dit: "Enfin un peu d'action ! Si tu savais comme je m'ennuyais dans mon pré ! Voilà trois heures à peine que je te connais, et déjà je sens la saveur du danger tapis dans les fourrés. Qui es-tu, mystérieux cavalier ?" Ce à quoi le jeune homme aurait certainement répondu qu'il était Istvan Cseszneky, colonel dans le Régiment des Hussards de Württemberg, fils du Comte Ferenz Cseszneky. Il aurait, en outre, promis un peu à la légère de ne plus absorber une goutte de vodka durant une campagne. Le vent sifflait aux oreilles du coursier comme à celle de son Hongrois et les branches battaient ses flancs. Ce n'était qu'un effet de la course car lorsqu'ils débouchèrent sur un petit chemin qui sinuait jusqu'à une cascade il tira rudement sur les rênes pour ne pas heurter une silhouette qui se tenait toute droite dans la pénombre de cette soirée de printemps. La silhouette était une jeune femme. Le cheval se cabra plus de subir la fougue énergique de son cavalier que de peur devant cette petite chose inoffensive. Il était à présent cheval de Hussard et on ne pouvait plus lui en conter. Le temps des effarouchements était passé... Mais déjà le Hongrois volage l'oubliait pour sauter à bas de son dos et accourir au devant de la Demoiselle.

- Dame , sind Sie verletzt ?* dit-il d'une voix grave et dans un allemand daté (enfin, cela, le cheval ne pouvait guère s'en rendre compte)
*:
La main sur la cuiller de son sabre, il scruta les bosquets environnants tout en ajoutant:

- Wer hat Sie angegriffen ?*
*:
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Message  Invité Dim 15 Juin - 23:38

Elle resta debout, immobile. Les échos de sa voix se dispersaient déjà, étouffés par les troncs d'arbre et la terre poussiéreuse. Elle se surprit à tendre l'oreille, comme si elle attendait une réponse. Mais, évidemment, elle ne vint pas. Qui pourrait l'entendre, dans cette forêt perdue au milieu de nulle part, à une heure où le village entier était sans nul doute en train de dîner ? Qui pourrait venir, simplement guidé par sa voix, pour lui donner ce qu'elle recherchait tant ? Comment avait-elle pu céder à cette espèce de superstition, s'imaginer qu'un destin compatissant n'attendait que son appel pour lui accorder l’événement qui la conduirait à Lucas ? Rageusement, elle serra les poings. Pourtant, elle sentait déjà sa colère faiblir. Que pouvait-elle d'autre, de toute façon ? Il n'y avait rien, pas même une trace, qui lui permettrait de se lancer sur le chemin du garçon. Ni sa mère, ni les voisins, personne ne l'avait vu sortir. La police scientifique avait retourné sa chambre, et sa maison, avant d'en conclure qu'il en était partit, sans même être sûre de l'heure. Et après ? Elle perdait sa trace. La jeune fille n'avait qu'à fermer les yeux, pour voir le garçon s'avancer tranquillement dans son allée de graviers. Il poussait doucement la porte du jardin d'un élégant coup de pied, comme à son habitude. Et puis...Et puis ? C'était là, là, qu'elle aurait eu besoin d'éléments, d'une empreinte de pas, d'un peu de poussière, d'un grain de sable.

 Ludmilla se secoua vigoureusement. Non, n'y pense pas. Elle releva la tête, constata que, déjà, entre les feuilles, le ciel se teintait de sang. Depuis combien de temps était-elle là ? Il était sans doute l'heure de rentrer. Elle n'avait plus rien à faire ici. Il fallait qu'elle parte, vite, qu'elle quitte ce théâtre cruel où, actrice malgré elle, elle avait joué un rôle usé jusqu'à la trame, celui de l'espoir, le sale espoir ! Comme si quelque chose de fantastique allait surgir, d'un coup, et la sauver de la fatalité tranchante. Il n'y avait pas d'issue. Lucas était perdu à jamais, torturé, peut être déjà mort. Et s'il était à des milliers de kilomètres d'ici ? Et si, au contraire, un accident avait mit un terme à sa vie, à quelques centaines de mètres de là ? Mais que pouvait-elle, elle, de toute manières ? Rien. Quel que soit le scénario qu’elle imaginait, la même fin, implacable, se dessinait. Il avait disparu depuis si longtemps, n'avait jamais donné de nouvelles. Quelque chose l'empêchait forcément de revenir, et quoi d'autre que quelqu'un, ou, la mort elle-même. Pourquoi ne pas simplement accepter la situation, et cesser de croire en des chimères ? Elle ne la comprenait pas, mais elle haïssait cette souffrance irrationnelle, ce poignard absurde qu'elle enfonçait dans sa propre poitrine sans pouvoir s'arrêter. Il fallait partir, vite. Arrêter d'imaginer que quelque chose allait se produire. Tout ça ne l'amenait à rien, absolument rien. C'était perdre son temps que rester là, à écouter cette imbécile d'espérance, qui chantonnait des paroles réconfortantes de son cruel sourire.

 Attends...

 Elle s'apprêtait à s'en aller ; mais un bruit la figea. Sa respiration se bloqua. N'y avait il pas une sorte de grondement, là-bas, au loin ? Non, c'était stupide, se fustigea-t-elle silencieusement. Vas t'en, espèce d'idiote, c'est ton imagination! Pourtant, presque malgré sa volonté, elle sentit son corps s'immobiliser ; et sa respiration reprendre, mais doucement, infime, presque sans un bruit. Tous les sens en éveil, sans oser bouger, craignant de faire disparaître ce grondement qu'elle percevait, elle écoutait. C'est sans doute un promeneur, pensa-t-elle néanmoins . Ou alors, une voiture, qui passe, au loin. Ça va s'éloigner, et je n'aurais plus qu'à me sentir stupide, une fois de plus. Si j'étais un minimum intelligente, je serais déjà loin. J'ai d'autres choses à faire que rester là, à jouer les poteaux vivants dans un forêt. Bon sang! Aller, bouges toi ! Mais ,rien n'y faisait ; elle était piégée. La jolie lueur brillait à nouveau devant-elle, et elle la suivait, hypnotisée, quitte à se noyer derrière ce feu-follet.

 Cependant, le bruit s'avançait. Elle sentait les vibrations se répercuter de plus en plus prêt, vers elle. Elle ne bougeait toujours pas, comme si le moindre mouvement avait pu rompre le charme. Tout son esprit était tendu, même sans raison, vers ce son régulier et répété, qu'elle commençait d'ailleurs à reconnaître. Ce martèlement... N'était ce pas le son que produisait , lors d'un galop, les sabots d'un...

 Cheval!

 La jeune fille sursauta violemment. L'animal était soudain apparu face à elle, forme écumante et menaçante, surgie furieusement du sentier, prête à l'utiliser comme marchepied. L'adolescente n'eut que le temps de sentir son cœur tomber comme une pierre, l’abandonnant déjà. Tout son champ de vision était couver par la silhouette sombre et lourde, sur laquelle se détachait des yeux blancs et une rangée de dents immenses, comme une créature de cauchemar.

 Mais le cheval se cabra, et cette vision effrayante recula. Mystérieusement,il avait décidé de s'arrêter, à peine à un mètre d'elle. Juste à temps. Il fallut à Ludmilla quelques instants pour considérer cela. Après quoi, elle mit à profit quelques autres pour s'empêcher de se laisser glisser sur la roche, ce qui ne se ferait sans doute pas sans douleur. Enfin, les jambes flageolantes, mais debout, elle se concentra sur la bête.

 Elle se rendit immédiatement compte de son erreur. Un monstre furieux, cet animal ? Elle le connaissait bien ; c'était le cheval, on ne peut plus calme, qu'elle voyait tous les jours dans le champ près de la route où elle attendait son bus. Jamais elle ne l'avait vu faire autre chose que manger ou dormir. Lucas l'avait même surnommé « Ronflex ». Quelle illusion la lui avait faite voir comme une créature assez rapide pour manquer de l'écraser ? Pourtant, cela venait bel et bien d'avoir lieu. L'animal n'avait plus du tout l'air calme,et elle ne l'avait reconnu que parce qu'il s'était heureusement arrêté. Mais pourquoi diable...

 C'est alors qu'elle entendit un grand bruit. Elle n'eut pas longtemps à réfléchir pour en comprendre la provenance, cette fois. Un détail lui avait échappé, un élément qui expliquait bien des choses : le cheval n'était pas seul.Il y avait un cavalier. Et il venait de sauter à terre.

 La jeune fille tourna immédiatement la tête vers lui. Et elle sentit immédiatement que quelque chose d'étrange se tramait.

 La tenue de l'étrange apparition avait de quoi surprendre. Il portait une sorte de veste de couleur bleue couverte de boutons dorés particulièrement voyante, agrémentée d'une sorte de cape de la même couleur.  Son pantalon, d'un bleu très lumineux, ressortait également, rendant l'homme repérable à des kilomètres. En vérité, les mauvaises langues auraient facilement pu l’appeler « Schtroumpf géant ». Tout ce bleu était complété par une plume qui se dressait fièrement sur ce qui ressemblait à un haut képi noir, et qui semblait défier quiconque de se moquer d'elle.  Celui qui portait tout cela, paraissait, pour sa part, un homme d'une vingtaine d'année qui n'était pas particulièrement inhabituel, bien que certaines voix auraient pu s'offusquer de ses cheveux mi-longs.

 Cependant, Ludmilla n'était pas le genre de fille à s'intéresser aux vêtements . Elle ne se laissait pas impressionner par les tenues , quels qu'elles soient, aussi ronds que pouvaient être les yeux de Lucas en les contemplant. Elle avait déjà côtoyé des styles tous plus divers les uns que les autres, de la sweet lolita bariolée au steampunk victorien et au goût presque aussi développée qu'elle pour la mécanique. Un jour, Lucas, dans une autre de ses « tentative d'originalité », l'avait même traînée dans une sorte de festival où il l'avait obligée à s'habiller dans un costume qu'il avait lui même fabriqué. Il appelait ça « cosplay ».

– Tu verras , lui avait -il dit, c'est génial, le cosplay, t'a juste à te déguiser en un personnage, genre, de dessin animé, et puis c'est marrant, d'autres gens viennent prendre des photos avec toi, et tu peux parler avec eux des anime ou des trucs comme ça que vous avez en commun, et tout, tu vois ? Ça doit être cool.

Évidemment, les talents de couturiers du garçon n'avait même pas permis au vêtement tout rapiécé de passer la première heure où il l'avait obligée à le suivre un peu partout dans l'énorme salle, où plutôt l'énorme four ou des centaines de fous étaient venus cuire et se faire bousculer par une foule pressée par un but mystérieux. Et elle n'avait pas manqué de se faire, effectivement, remarquer, alors qu'elle semait sans s'en apercevoir des morceaux de son costume derrière elle. Saleté de chaleur qui l'avait à moitié endormie, si bien qu'elle n'avait plus été à même de se rendre compte de quoi que de soit ! Saleté de foule, qui l'avait bousculée allègrement ! Tout ce qui avait finalement conduit Lucas, lorsqu'il s'était finalement tourné vers elle, à s'écrier : « Eh mais, pourquoi t'es en sous-vêtements ? » Elle avait, après cet enfer, obligé le garçon à faire tous ses devoirs de maths à sa place pendant des semaines. Bien sûr, elle les faisait elle-même à côté, mais quoi de plus amusant que de voir plancher de longues heures le pauvre garçon qui n'avait de matheux que la matière obligatoirement inscrite dans son emploi du temps ? Mais tout cela, elle l'avait fait pour qu'il arrête de rire en racontant cette histoire à tout un chacun, et qu'il comprenne bien que, non, ce n'était pas cool.

 Elle regarda de nouveau les vêtements de l'inconnu, et une idée se dessina dans son esprit : et si c'était, plus qu'un déguisé solitaire, un adepte de ce qu'on appelle un « jeu de rôle » ?Lucas lui avait parlé de ça également. Un tas de gens s'habillaient en les personnages inventés d'un univers qu'ils avaient commun, puis ils s'amusaient à jouer ces rôles . Si leur univers se situait dans des temps plus anciens, ils se réunissaient dans des forêts, ou toute sorte d'endroit à l'air plus naturel. Il avait d'ailleurs prévu d'essayer pendant les vacances...

 Ludmilla sentit soudain une vive douleur dans la poitrine. Il avait prévu...

 La blessure familière se rappelait à elle. Mais elle la considéra avec surprise, étonnée de la ressentir à nouveau. Pendant quelques instants, cette douleur avait disparu, et elle ne le sentait que maintenant que celle-ci revenait. Elle se demanda pourquoi. Puis, elle prit conscience que, depuis que le cheval avait surgit face à elle, elle avait cessé de penser à lui. Ou plutôt, elle avait pensé à lui, mais elle avait cessé de penser à ce qu'il avait pu lui arriver. Pourquoi donc ? Peut être que c'était la forêt. Ou l'inconnu. Ou alors, le cheval.

 Toujours est il que la tenue de l'homme, quoi qu’inhabituelle à ses yeux, ne l'étonna guère. Non, c'était bien autre chose qui la gênait, et elle ne mit pas longtemps à mettre le doigt dessus.

 Si c'était un simple costume, c'était beaucoup trop bien fait. Voilà. Ça avait l'air si...réel. Le tissu des vêtements n'était pas d'une couleur un peu trop vive, mais paraissait ressembler à un tissu d'époque, le brillant des boutons n'était pas celui du plastique, les bottes semblaient faites autrement que dans un caoutchouc que celui que l'on trouvait dans le commerce. Bien qu'elle n'ait pas d'élément de comparaison dans son esprit, elle devait bien l'admettre : ce costume devait valoir de l'or, ou presque. D'ailleurs, n'était-il pas mouillé ? C'était un détail qui le rendait plus réaliste, mais aussi beaucoup plus étonnant. Qui irait prendre une douche dans un costume d'une telle facture ? Et puis, de toute façon, que faisait un cosplayer dans une forêt ?  Qu'avait-il fait à ce cheval pour le transformer en bête écumante ? Non, vraiment, la question était : mais pourquoi dans ce coin de la forêt où il n'y a jamais personne, il y a maintenant un type -remarquablement bien- déguisé qui vient de sauter d'un cheval ?

 C'est alors que, non content d'être une interrogation à lui tout seul, l'homme s'exclama...quelque chose. Il avait sans doute parlé dans un langage quelconque, mais tout ce que Ludmilla pu entendre, c'est :

_ Dam,Sindiveurletchz ?

 Ce qui n'avait absolument aucun sens.

 Elle cherchait désespérément une manière d'interpréter la situation. L'étonnant personnage s'adressait à elle, attendant une réponse de sa part. Mais ça ne ressemblait pas à aucune des deux seules langues qu'elle maîtrisait très relativement : l'anglais et l'espagnol. Qu'est-ce que ça pouvait être ? Et si c'était bien un jeu de rôle, finalement ? Après tout, il existait des univers où l'on avait inventé des langages. En plus, avec ce qui ressemblait bien à un képi, la tenue avait un petit quelque chose de militaire, personnage récurent de ces jeux. Il s'inspirait peut être d'un soldat bien réel, d'ailleurs ; mais elle était incapable de le dire avec certitude. Elle regretta un bref instant que les cours d'histoire s'arrêtent en première. Cependant, sa raison n'eût aucune peine à formuler des objections à sa théorie. Elle n'était absolument pas habillée en elfe ou elle-ne-savait quoi, donc c'était évident qu'elle ne jouait pas. Alors pourquoi serait-il venu lui parler ? En plus, il n'y avait personne dans cette forêt, et à quoi bon jouer un personnage si c'était pour le faire tout seul ? Puis elle n'avait aucune preuve que la langue soit imaginaire, vu ses pauvres connaissances en la matière. De toute façons, lorsqu'on manque d'écrabouiller quelqu'un sous son cheval, on s'amuse pas à lui parler en langue imaginaire, quand même!

 Mais comment expliquer l'emploi de cette étrange idiome ? Bah, ça doit être un touriste. Avec les 24 heures, il y en avait toujours quelques uns, qui allaient même jusqu'à son village perdu histoire de voir à quoi ressemblait un « authentique village français ».Ils tournaient en rond dans les rues, et, comme il n'y en avait pas beaucoup, ils échouaient dans un minuscule square. Là, ils rencontraient le seul commerce du lieu, une machine à pain plus très reluisante depuis que les racailles du village avaient décidé de la faire brûler, parce qu'ils étaient des vrais dangereux et tout comme leurs frères du 9-3, ouaiche . Probablement refroidis, les touristes s'en allaient visiter un village plus grand et un peu moins authentique. Mais comment expliquer qu'il ait l'air passionné par des gens qui n'existaient visiblement pas ? Ah, mais oui!comprit-elle. Il est saoul ! Ou plutôt, complètement pété, pour faire un truc pareil ! En effet, il n'était pas rare , pendant cette période de l'année, de croiser quelques bonhommes, parlant une langue que leurs compatriotes eux-mêmes n'auraient sûrement pas comprise, à une heure plus ou moins tardive, et plus que moins avinés. Après tout, l'homme avait sauté sur un cheval dont elle était presque sûre qu'il ne lui appartenait pas. Cela ressemblait tout à fait au comportement typique de quelqu'un dont le taux d'alcool dans le sang est un peu trop fort. Mais dans une forêt où les bars n'abondaient pas vraiment, et aussi bien cosplayé ? Euh...Un gage? tenta l'esprit de la jeune femme.

 Mais avant qu'elle n'ait pu émettre d'autres hypothèses, un nouveau cri agita l'inconnu. Et, brusquement, il posa la main sur une poignée brillante qu'elle ne remarquait que maintenant. Elle ne mit pas longtemps à voir l'éclat de fer qui s'y rattachait.Un sabre ! Ludmilla ne put retenir un geste instinctif, se protégeant derrière ses bras.

- Hé ! S'écria-t-elle, d'une voix qu'elle-même ne reconnu pas, tant elle paraissait effrayée. Qu'est ce que...

 C'est que l'arme, tout comme le costume, avait l'air fichtrement réelle. La lame n'avait pas l'air en caoutchouc ; au contraire, son tranchant faisait presque mal rien qu'à le regarder. Et l'homme avait l'air d'avoir bien l'intention de l'utiliser, vu la façon dont il la gardait à portée de main. Cependant, l'adolescente oubliait déjà sa peur. Son cœur cessa ses bonds anarchiques pour retrouver un rythme plus normal. A présent, ce qui s'agitait en tournoyant, c'était ses pensées. Comment se sortir de là ? Ah, il était bien beau, l'espoir ! En bouillie sous un cheval, ou en morceaux sous le fil d'une lame, voilà ce qu'il lui réservait ! Elle aurait mieux fait de rester chez elle !

 Cependant, elle remarqua que l'individu ne semblait pas décider à l'attaquer. En fait, il ne la regardait même pas. Ses yeux se posaient partout ailleurs. Il semblait inspecter chaque arbre, chaque fourré. On aurait dit...Mais oui, il cherche quelqu'un! Elle se détendit un peu. Visiblement, il n'en avait pas après elle pour l'instant. Bon. Et après ? S'il était complètement mort, elle ne savait pas très bien ce qui allait se passer.

 Sauf que...A la réflexion, il n'avait pas l'air si mort que ça. Même s'il baragouinait quelque chose d'incompréhensible, il n'était pas très rouge, ses yeux ne décidaient pas de faire un petit tour de-ci de-là, et il ne tremblait même pas sur ses jambes. Ce qui la décida, c'est que sa voix n'avait même pas ce drôle d'accent traînant qui, selon son expérience, était propre aux hommes qui ont un peu trop bu. Mais alors ?

 Une caméra cachée, peut-être ? Ça expliquait l'apparition, la langue étrange et le costume. Sauf que...où était la caméra ? Elle jeta à son tour un rapide coup d’œil tout autour d'elle, à l'instar du mystérieux individu. Rien. Et puis, à moins que les téléspectateurs soient fans de troncs d'arbre, c'était stupide. Non, ça n'était pas plausible. A moins d'être fous...

 Bien sûr ! C'est peut-être un fou! Ca expliquait l'air lucide qu'il avait, malgré l'étrangeté de tout ce qu'il faisait, voire, était. Mais, pourquoi ici ? Pour autant qu'elle sache, l’hôpital n'était pas dans les parages, et l'homme n'était sûrement pas du coin. Alors, comment avait-il atterrit ici ? Et qui pouvait bien laisser un fou déguisé se balader avec une arme ? Vu comme il était voyant, il n'avait pas pu se déplacer tranquillement sans que personne ne le remarque, si ? Ça aussi, c'était étrange . Il pouvait très bien être fou, mais...Ca ne réglait pas la question, autrement dit : que diable faisait-il donc ici ?Au vu de toute ces éléments, elle en conclut qu'il pouvait autant être fou que ne pas l'être, pour ce qu'elle en savait. Alors, qu'était-il ? Elle se creusa la tête. Non, elle n'avait pas d'autre idées.

 Elle décida d'essayer de comprendre ce que ses paroles pouvaient bien signifier. C'était peut être ça, la clef qui lui permettrait de se sortir de là. Là, il semblait chercher quelqu'un. Peut-être qu'il lui avait demandé si elle l'avait vu. Mouais. Sauf qu'il n'y avait personne, ici, et que seul le galop du cheval avait troublé le silence. L'animal paraissait s’interroger tout autant qu'elle, et il lui adressa un regard navré. En fait, c'était plutôt un regard affamé, mais bon.

 Elle ne comprenait donc toujours rien. Elle était face à un épineux problème, et n'avait même pas le moyen de communiquer avec lui. Elle songea qu'elle pouvait essayer de s'enfuir. Après tout, l'homme semblait intéressé par autre chose, et elle avait suffisamment sursauté pour aujourd'hui, merci. Mais...Elle ne pouvait pas partir d'ici, et laisser cet inconnu tout seul dans une forêt, alors qu'il avait visiblement un problème, ne serait-ce que l'arme qu'il avait sur lui . Et puis...Elle devait bien se l'avouer, elle n'aimait pas l'idée de laisser ce mystère tout seul, prenant le risque qu'il reparte de là où il était venu sans livrer ses secrets. Non, elle voulait savoir. Soudain, elle comprit : voilà pourquoi elle parvenait à écarter un peu Lucas de ses pensées. Le désespoir était là, bien sûr, mais, à présent, il se déroulait en arrière plan, comme un film dont on entend les échos dans une autre pièce. C'est que son esprit était tout occupé par la chose qui, depuis toujours, le fascinait le plus : l'inconnu.

 Elle contempla ce brave mystère qui continuait de chercher l'homme invisible entre deux troncs, et sourit. Elle était, à nouveau, plongée dans le rassurant sentiment de pouvoir faire quelque chose ; elle était dans son domaine, après tout. N'était-ce pas ce qu'elle faisait avec Julie quand elles enquêtaient, ou en cours quand elle tentait de comprendre comment les couleurs du ciel pouvaient changer avec un coucher de soleil, ou lorsqu'elle aidait Lucas et qu'ils essayaient de savoir si le garçon trouverait qui il était? Elle savait comment résoudre une énigme. Elle savait ce qu'elle devait faire.

 Comme si son esprit n'avait attendu que de se retrouver dans le circuit de ses habitudes, elle se souvint qu'elle avait une solution à tout cela. Bon sang, mais oui !D'un geste assurée, elle fouilla dans son sac, et en tira ce qu'elle y cherchait : son portable. Un smartphone que ses parents lui avaient offerts pour son anniversaire, et dont elle ne se servait quasiment pas , si ce n'est pour tenter de percer le secret de ses circuits minuscules. Mais, un jour, Julie l'avait obligée à télécharger une application. Il s'agissait d'un traducteur de poche, qui parlait toutes les langues possibles, du grec ancien au chinois moderne. La blonde parlait elle-même un grand nombre de langues, qu'elle apprenait avec une impressionnante facilité. Mais, lui avait-elle dit, je ne serais pas toujours là lorsque tu auras besoin de comprendre ce que dit quelqu'un, pour une enquête. Ludmilla lui avait répondu, en haussant les épaules, qu'elle ne faisait pas d'enquête sans elle. Aujourd'hui, elle était bien contente que la détective n'ait pas cédé.

 Vite, elle le déverrouilla, et activa l'application « traducteur ». Pleine de bon sens, Julie lui en avait choisi un qui n'avait pas besoin d'internet pour fonctionner. Le traducteur s'afficha donc sur l'écran sans faire d'histoire. Dans le doute, la jeune fille décida de laisser l'inconnu choisir sa langue.  Elle se dirigea donc vers l'écran où s'alignaient les différents drapeaux des pays dont la machine connaissait la langue . Au cas où ça ne suffirait pas, elle tenta de s'expliquer, avec les quelques formules automatiques qu'elle avait retenu de son cours d'anglais. C'était après tout la langue que le monde entier devait parler un minimum, du moins d'après son professeur.

– Euh...Sir ? Hem... Are you okay ? 
*:

 Comme elle avait un accent français à couper au couteau, elle le pointa du doigt, puis leva le pouce, puis pencha la tête d'un air interrogateur, espérant qu'il comprendrait globalement ses paroles.

- If you're not...euh... What's the matter ? Er...I don't understand your language, so...
*:

 Elle lui tendit le portable dont l'écran émettait une lueur qui semblait particulièrement forte dans le soir qui tombait, hésitant à peine malgré l'inquiétante lame qu'elle devinait toujours à portée de sa main :

– Take this translator , you can use it to explain me what's happening, so I will be able, to, hem, help you. Sorry, I'd rather you used it because, hem, I don't speak english more than this. So... Do you understand ?
*:
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Ludmilla Whayne Empty Re: Ludmilla Whayne

Message  Le Dévoreur de temps Dim 22 Juin - 22:17

Les alentours étaient étonnamment silencieux et Istvan n'entendait à présent que le souffle régulier du cheval qui récupérait de sa course folle auquel se superposaient les battements de son cœur tout aussi réglés mais bien plus rapides. En y réfléchissant, il trouvait à cet endroit un côté insolite, et pas moins aux derniers événements. Avec le pragmatisme qui caractérisait un jeune homme issu du siècle où l'on commençait à croire que tout était explicable et, surtout, dont la plupart des ancêtres étaient militaires, il examinait, en arpentant à grandes enjambées la petite clairière où il venait de faire une étonnante rencontre, autant les bosquets supposés dissimuler l'ennemi, que sa perception intérieure de la situation. En temps de guerre, il était fort peu raisonnable de laisser son cheval en pâture dans un pré, livré à toute soldatesque en mal d'acheminement. La preuve ! Mais il était encore plus inconsidéré de laisser sa fille où sa femme - il revint vers la jeune fille pour l'examiner plus avant, fronçant les sourcils devant la tenue ... inconvenante, totalement inconvenante- décidément, non. Même si on convolait jeune, cette jeune fille-là ne pouvait absolument pas être mariée. Quel homme d'honneur laisserait son épouse vagabonder par les bois, en tenue de ... Mais quelle était donc cette tenue, d'ailleurs ?

Il allait lui demander si elle avait été enlevée et molestée par des soudards ennemis, voire pire, mais ce genre de question ne pouvait être posée par un gentilhomme à une demoiselle. Cela pouvait se concevoir, puisqu'elle ne répondait pas tout de suite à ses questions pourtant simples. Elle pouvait être en état de choc. Istvan en avait vu plus d'une courir à travers champs ou rue, la guenille déchirée après avoir été outragée par la troupe ennemie. Il savait par ailleurs que l'ennemi n'était pas le seul à se livrer à ce genre de barbarie. Il le savait pour avoir dû corriger lui-même deux artilleurs qui avaient trop bien visité une ferme près de Padoue. Il n'avait pas de sœur, mais il avait songé en apprenant les crimes des deux hommes, qu'il voudrait pouvoir regarder le frère de celle-ci dans les yeux s'il le croisait un jour. Les hommes étaient trop précieux pour qu'il puisse les passer par les armes mais il les avait soumis à l’entonnoir de bromure après leur avoir fait administrer dix coups de fouet bien placés. Il avait ensuite ajouté devant son régiment assemblé que ces deux-là étaient épargnés parce que non avertis mais que désormais, si d'autres s'aventuraient à envahir les entre cuisses de l'ennemi sans y avoir été invités, ils se verraient dégradés et privés de leur artillerie. Sur quoi il avait laisser planer volontairement un doute sur le sens des derniers mots, et ajouté qu'un Hongrois n'avait pas besoin de forcer la victoire quand il s'agissait d'affaires galantes, car la victoire lui souriait d'elle-même en reconnaissant ses talents.

Résolument, quelque chose mettait tous ses sens en alerte. Cette jeune femme avait crié car il était presque certain de reconnaître sa voix, à présent qu'elle essayait de communiquer dans un anglais très hésitant... Une fille de joie... Souvent, celles-ci passant d'un régiment à l'autre par nécessité, maîtrisaient quelques mots ou expressions toutes faites pour tenter d'appâter le client- qui soit dit en passant, n'avait pas vraiment besoin de l'être et se jetait sur le râble des braves filles comme le loup affamé sur un poulailler bien garni- dans à peu près toutes les langues des deux coalitions opposées. Il devait y avoir une maquerelle planquée derrière une futaie, attendant dans sa roulotte que sa "fille" ait conclu l'arrangement avec le beau militaire. C'était toujours ainsi que les choses se passaient. Sauf que la malheureuse avait bien mal choisi son lieu et aurait pu finir sous les sabots du cheval. Voilà qu'elle farfouillait nerveusement dans son étrange sac de voyage qu'elle devait transporter partout -celle-ci était de nature prévoyante, ce qui n'était pas le cas de toutes ses consœurs- une sorte de petit baise-en-campagne. Istvan commençait à se sentir embarrassé. Mais, alors qu'il aurait dû lui faire comprendre d'un geste de la main qu'il n'était pas intéressé et que d'ailleurs ... il avait d'autres préoccupations pour l'heure, et  remonter sur "son" cheval pour tracer son chemin après s'être assuré que la fille n'était pas blessée, il tendit l'oreille à ses propos et son cou devant l'objet qu'elle lui tendait. Il ne s'agissait pas d'un mouchoir parfumé qu'il était censé ramasser ou bien d'un préservatif d'époque, cas de figure plus improbable, bien que possible. L'objet aurait pu passer, fermé, pour une blague à tabac ou un étui pour de petits cigares. Mais il émettait une lumière et Istvan crut un instant qu'il s'agissait d'un poudrier- ahh les femmes- avec son petit miroir. Pourquoi diable lui tendait-elle son poudrier ? Il recula instinctivement lorsqu'elle lui demanda s'il allait bien mais répondit instinctivement:

- No, I'm not interested but ...

*:

Elle avait dû boire pour se donner du courage avant. Peut-être était-ce la première fois qu'elle allait se livrer à la troupe. Mais elle avait une attitude complètement déroutante, faisant de curieux gestes et des grimaces dignes des comédiens ambulants. Et si c'était cela ? Elle faisait peut-être partie d'une troupe de saltimbanques ? Eux aussi suivaient parfois les troupes dans l'espoir que les colonels de régiments comme lui, achètent leurs services pour divertir leurs soldats. Si c'était cela, il devait des excuses à la demoiselle, bien que dans sa famille, une actrice ne fût pas loin d'être considérée comme une fille de joie. Cependant des trois fils Cseszneky, aucun ne partageait cet avis. Antoni, mort de trop aimer les femmes, en faisait de son vivant, ses maîtresses, toujours traitées avec respect si on exceptait le caractère volage de l'aîné de cette maison illustre qui donnait ses meilleurs Hussards à la Hongrie depuis des générations. Ludwik estimait que finalement pour une fille de basse naissance, être comédienne n'était pas plus déshonorant que de devenir blanchisseuse et de laver les draps des bourgeois, mais à la condition que l'actrice ne cédât que par passion aux avances de ses admirateurs et non, comme certaines maîtresses de son frère, par volonté d'arrondir leur jolie bourse de courtisane cultivée. En d'autres termes pour le benjamin des fils, ce n'était pas tant le métier que les perspectives qui en dérivaient qui étaient condamnables. Istvan, lui, ayant moins d'intransigeance que son jeune frère et moins gouverné par sa libido que son aîné, considérait qu'être comédien était héroïque au même titre que d'être soldat et plus encore peut-être car c'était souvent un choix. Là où le soldat se battait pour la cause affichée de son camp, le comédien se battait pour le rêve et l'évasion, qui sont universels et tentent les hommes de tout camp. S'il rechignait à ouvrir les portes de ses casernements de campagne aux prostituées, il le faisait très volontiers aux artistes de tout poil et était dans les rangs arrières à rire ou à briller de l’œil dans l'ombre à une bonne farce ou à un drame antique revisité. Par dessus tout, il aimait voir briller les yeux des soldats. Il aimait leurs applaudissements presque enfantins et se surprenait parfois, alors qu'il se levait aux aurores pour se raser, à regarder d'un air nostalgique les comédiens plier leur campement pour mettre en branle leur vieille carriole, avec cette irrésistible envie de prendre son cheval pour les suivre.

Était-elle une comédienne affublée d'un de ses costumes de scène ?

- Bist du ?... Sorry... Are you an actress ? I'm fine... But you ? What 's the trouble ? You screamed , did you ?


*:

Il mettait à présent le doigt sur ce qui n'allait pas, outre la fille seule au milieu des bois, son étrange accoutrement. Le fait qu'elle ne semblait pas comprendre un traitre mot d'autrichien, dérivé si proche de l'allemand, était étonnant alors qu'elle venait exercer son art aux portes de Vienne. Par ailleurs, elle avait un accent en parlant anglais. Accent qu'Istvan trouvait étrangement proche de celui de Madame d'Alincourt, la préceptrice française de son jeune frère Ludwik. Très jolie femme, au demeurant, certainement courtisée par leur père et leur frère aîné, Hongrois un jour, Hongrois toujours. Istvan avait souri lorsqu'il avait appris sans le vouloir que c'était son élève qui avait eu ses faveurs.

- Sind Sie Französisch? Arr... ! Are you French ?


*:

Il lorgna le poudrier avec une méfiance renouvelée. Elle semblait tenir à lui mettre sous le nez, or son jeune frère lui avait conté des histoires incroyables de femmes ensorceleuses et espionnes qui endormaient les beaux officiers avec des opiacés qu'elles versaient dans leur brandy ou leur faisaient humer en vapeurs. Pourtant, n'était-il pas risible qu'un homme de 23 ans ait peur d'une femme à peine sortie de l'enfance qu'il dépassait de deux têtes ? Il s'approcha, l’œil toujours aux aguets et regarda le miroir du poudrier qui loin de refléter le soleil mourant à travers les frondaisons, montrait un alignement de petits drapeaux qui pour certains rappelaient vaguement ceux qu'il avait appris à l'académie militaire. Le seul qui était rigoureusement identique était le français. Certains étaient proches. Il reconnut les couleurs magyars mais avec le corbeau en moins. Les couleurs polonaises s'affichaient aussi mais sans aigle ... Le français restait immuable. Il pointa du doigt le petit drapeau tricolore en hachant chaque syllabe. Ludwik était doué en langues, lui pas. Mais il savait diriger plusieurs régiments. Pour l'heure, il aurait préféré être son frère. Il pensait souvent à lui ces derniers temps. Ludwik et ses inexplicables disparitions de ses affectations ...

- Je ... me appelle Istvan Cseszneky. Je... être Magyar, pas viennois ... Et vous ? Française ? Vous ne devez pas rester ici seule.  Les soldats ont ... pensées ... quand ils voient ... jolie fille... Pourquoi vous crier ?
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Ludmilla Whayne Empty Re: Ludmilla Whayne

Message  Invité Mer 25 Juin - 23:14

Malgré qu'elle ait choisi d'être en section Scientifique, Ludmilla aimait plutôt bien la philosophie. Les élèves de sa classe, eux, n'appréciaient pas que les philosophes mettent en doute l'absolue véracité de leurs manuels, et puis trouvaient que ces gens « s'emmerdaient vraiment pour rien, d'abord ». La mécanicienne n'était pas d'accord. Elle aimait bien cette recherche d'exactitude.  Ce qui est inconnu ne l'est plus, après tout, que quand on le connaît, pas quand on croit le connaître. Tous les jours, elle cherchait à comprendre les énigmes de la science, et elle ne voulait pas que les solutions qu'elle trouve soient faussement affirmées « vraies ». Certes, l'intérêt qu'elle portait à cette matière était amoindri par le fait qu'on ne puisse justement donner de réponse aux questions auxquelles elle s'intéressait. Si elle prenait le temps d'y réfléchir, elle finissait toujours par s'embrouiller dans des possibilité métaphysiques, mais rien ne venait éclairer la bonne solution. Le monde, la réalité elle-même étaient ainsi mis à l'épreuve, et elle avait du finir par convenir qu'il existait bien peu de certitudes. Cependant, si elle admettait qu'elle n'était pas sûre de ce qu'elle avançait, elle ne laissait pas les mystères sans réponse. Elle prenait comme la solution la proposition la plus vraisemblable, celle qui était prouvée avec le plus de solidité, expliquait le plus de points possibles du problème, et qui lui donnait l'impression d'être la plus proche possible de la vérité. Puis, dans un souci constant de ne rien dire de faux, elle modalisait sa pensée.  Elle se disait donc à présent :  « si cette fleur s'ouvre, c'est très probablement parce que le soleil se lève» ou « si Julie est attirée par ce garçon malgré sa stupidité manifeste, il est possible que ce soit parce qu'elle est aveugle».

 Elle s'intéressait cependant tout de même à la philosophie, même si les mystères qu'elle lui présentaient cachaient trop bien leur solution pour des yeux humains. Cette discipline lui avait permis de découvrir de nouvelles énigmes, là où elle ne s'était jamais posé de question, et toutes les possibilités qui en découlaient étaient de nouvelles probables vérités, des réponses possibles aux secrets. C'est pourquoi elle avait parfaitement retenu les cours que le professeur leur avait dispensés tout au long de l'année. L'un de ces cours portait sur le langage. Et elle connaissait presque par cœur, tant elle l'avait relu, la formulation exacte des paroles qu'il avait un jour employées. « Le langage, avait elle prit en note, permet de communiquer. Seulement les mots, les signes, ne suffisent pas. Lorsque nous parlons, nous nous situons dans un contexte, autrement dit, dans un ensemble de conditions particulières, de circonstances, liées au lieu et au temps dans lesquels nous vivons. Le message n'est jamais séparé de son contexte. Sinon, même s'il est compréhensible en tant que message, son sens sera incomplet, voire, incompréhensible. Le langage fonctionne avec un contexte. »

 Et, actuellement, Ludmilla n'était pas loin de se dire que l'étrange homme qui lui faisait face avait un gros problème de contexte.

 D'abord, elle ne comprenait pas ce qu'il lui avait répondu quand elle lui avait demandé des renseignements sur son état. Oh, elle comprenait ce que le professeur appelait le « signifiant ». Les mots « I'm not interested » ne lui étaient pas étrangers malgré son piètre niveau d'anglais, et voulaient tout bonnement dire «Je ne suis pas intéressé ».

 Oui, mais, pas intéressé par quoi ? Elle ne lui avait rien proposé du tout, mais demandé comment il allait. Elle avait d'abord pensé que l'homme n'avait absolument rien comprit à ce qu'elle disait, et qu'il s'était contenté de balancer une phrase en anglais au hasard. Elle avait trouvé ça stupide. Tant qu'à faire, il aurait pu se contenter de lui faire signe qu'il n'avait rien comprit. Mais sa logique lui avait chuchoté que son accent était bien trop bon pour quelqu'un qui n'y connaîtrait rien en anglais. Ce n'était pas possible, avait continué la petite voix raisonneuse, qu'il débite n'importe quoi dans une langue qu'il maîtrisait. Peut être se référait il à quelque chose. Quelque chose d'autre que le contexte qu'elle connaissait. Même si, à ce moment, elle n'avait pas très bien vu quoi. Un genre de private joke ? Mais avec qui ? Les arbres? Ou le cheval ? L'animal avait vigoureusement démenti cette idée, tant il paraissait plongé dans la contemplation mélancolique du sol couvert d'aiguilles de pin.

 Cependant, cela la poussa à continuer de l'écouter, au lieu de se contenter de hausser les épaules face à un comportement aussi absurde et d'appeler la police pour leur signaler qu'un individu incompréhensible, tout en bleu, option cheval et épée,s'était perdu dans les bois.

 Sur le moment, elle avait donc décidé de faire comme si l'homme n'avait rien dit, et poursuivi son petit discours, mettant cela sur le compte du problème de contexte. Mais elle n'était pas au bout de ses peines. Après qu'elle eût terminé, il ne trouva rien de mieux à faire que lui demander, après avoir ponctué sa phrase de l'idiome inconnu, si elle n'était pas une « actress ». Il ajouta en plus qu'il l'avait entendu crier, et d'ailleurs, est-ce que vous allez bien ? Cela paraissait commencer bien mal.

 Mais en fait, ces dernières paroles expliquaient beaucoup de choses. Elle dessina un scénario dans sa tête, au fur et à mesure que ses idées s’agençaient. Il l'avait entendue crier...C'était peut-être ce qui l'avait poussé à venir ici. Il lui demandait comment elle allait...Donc ce cri l'avait visiblement induit en erreur, il l'avait prit pour un appel au secours. Très bien ! C'était logique. Elle sentit un début d'excitation l'envahir, tandis qu'elle percevait les rouages de la serrure se mettre doucement en branle alors que le mystère se démêlait. Et l'actrice ? Voyons voir...Une actrice...Quel rapport avec...Mais oui ! Les cris dans le vide, cela pouvait être ceux d'un acteur qui répétaient. En définitive, il lui demandait donc s'il y avait un problème véritable, ou si elle était en pleine répétition sylvestre. Elle se souvint de ses recherches de créatures imaginaires dans les bois...Ces créatures étaient probablement plutôt des ennemis qu'il avait dû imaginer lui posant problème. Oui, tout s'enchaînait. Bon, cela n'expliquait pas tout ce qui clochait chez cet homme, mais enfin, il y avait tout de même un peu de logique là-dedans.

_ I'm all right, sir. répondit-elle, ravie. And I'm not an actress. ajouta elle par souci de vérité, bien qu'elle eût finalement répondu à ce qu'elle pensait être sa demande implicite.

 Mais le « I'm not interested » ? Si l'homme n'avait pas la maladie du hors-sujet, cela devait donc bien avoir un sens. Elle réfléchit. Peut être que l'individu n'avait pas répondu à ses paroles, mais tenté de le faire à l'intention de son propre cheminement de pensée. Ce n'était pas rare que cela lui arrive. Notamment quand Lucas commençait à décrire une activité bien ennuyeuse, et que, devinant déjà la proposition qu'il lui ferait à la fin , elle lâchait ce fameux : « Non, je ne suis pas intéressée », le coupant en plein élan. D'ailleurs... Non. Elle n'avait parlé de rien d'autre à cet homme à plume que de lui-même, à ce moment là. Ça n'avait pas de sens qu'il lui réponde qu'il n'était pas intéressé par le fait d'aller bien. Il croyait forcément qu'elle lui avait proposé quelque chose...

 Mais c'est bien sûr !

 Elle remercia intérieurement Julie. Une fois qu'elle avait été en ville avec la blonde pour une énième enquête, elles s'étaient un moment assise sur un banc, histoire de reposer leurs jambes fatiguées après avoir parcourues les ruelles du Vieux Mans. Alors, avec un grand sourire, un homme s'était approchées d'elles, et des intentions bien définies se lisaient sur son visage tandis qu'il lorgnait le décolleté de la détective. Si bien qu'avant même qu'il n'amorce son prévisible « hé mademoiselle file ton 06 », la jeune fille s'était  levée, l'avait jaugé de haut en bas, avant de déclarer :

- Hm. 2/10. J'suis pas intéressée.

 Après quoi l'homme s'était empressé de filer sous les rires de quelques badauds et le sourire triomphal d'une Julie très contente d'avoir repoussé aussi facilement l’importun.

 L'expression pouvait donc également être utilisée pour repousser les dragueurs intempestifs. Ah ! S'il l'avait repoussé sans même qu'elle ait eût l'air intéressée, cela pouvait vouloir dire qu'il avait été mû par un dégoût au moins aussi fort que Julie face à « file ton 06 » . Et, s'il ne s'était pas interrompu pour la planter là en constatant qu'il n'était vraiment « pas intéressé », c'est... C'est quoi ? Ça avait peut-être un rapport avec le fait d'être ou non une actrice. Peut être qu'il voulait bien de tout ce qui était acteur, même si ce tout lui avait déplu au premier abord. Ludmilla se demanda un instant ce qu'il se serait produit si le cheval avait été acteur, avant de décider qu'elle n'avait pas envie de s'attarder sur cette digression. D'autant plus qu'elle venait de trouver bien plus logique : l'homme avait tout simplement, malgré le dégoût qu'il éprouvait visiblement à son égard, décidé de l'aider tout de même, s'imaginant qu'elle avait un problème. Après tout, c'était presque nécessaire de se comporter ainsi, si l'on  est du genre à foncer à cheval vers un cri inconnu bien qu'il puisse être le signe d'un danger. Le mystère que représentait l'homme s'éclairait soudain .

 Contente d'avoir trouvé la solution, Ludmilla failli sourire. Mais quelque chose la retint. Oh, elle se fichait que l'emplumé ne la trouve pas à son goût. Bien entendu, son ego n'était pas vraiment flatté d'être rejeté ainsi au premier abord ; cela n'avait rien de particulièrement agréable de se voir objet de dégoût pour quelqu'un qui ne nous connaît qu'à peine. Mais cela ne la rendait pas triste pour autant. Au contraire, elle était presque ravie de voir que l'individu le lui avait dit tout de suite, sans ambiguïté. Souvent, les gens ne révélaient pas le font de leur pensée quand ils parlaient, préférant des tournures délicates sensées exprimer la même chose que les mots un peu plus rudes. Mais ces tournures étaient si difficiles à saisir qu'il arrivait qu'on ne les comprennent pas, et alors, toute sorte d'ennuis arrivaient. Là, au moins, c'était clair ; on s'entendait. Non, ce qui ennuyait Ludmilla, c'était que s'il savait qu'elle n'avait pas crié pour appeler à l'aide, l'homme risquait de la rejeter, vu sa réaction lorsqu'elle lui avait simplement demandé des renseignements sur son état. Et adieu le mystère ! Elle ne pouvait pas mentir à cet inconnu juste pour cela, cependant. Et s'il se lançait à la poursuite de types qui n'existent pas? Non, il allait bien falloir lui dire la vérité. Mais comment le convaincre de lui faire dire, à lui, la vérité ?

 Sans se douter des pensées qui agitait son interlocutrice, l'inconnu poursuivait sur sa lancée. Le voilà qui demandait si elle était française. Ce n'était pas bien difficile. Elle failli répondre immédiatement, sans réfléchir, tant c'était évident. Sauf qu'il y avait quelque chose d'étrange. Que pouvait-elle être d'autre ? On était en France. Et il ne pouvait pas l'ignorer, tout de même ! On n'était ni dans un port, ni dans un aéroport, pas plus à une frontière. Il n'y avait aucun doute à avoir. Mais quel était le sens de cette question ? Elle regarda son front, se demandant s'il ne s'était quand même pas prit une branche dans la tête un peu trop fort ou quelque chose comme ça. Après tout, une petite amnésie expliquait bien des choes. Mais il n'y avait pas trace de bosse sur la peau de l'homme, et son observation lui permit plutôt de constater qu'il se décidait enfin à cesser ses recherches de créatures imaginaires et les coups d’œil méfiants qu'il lui jetait sans raison apparente.

 Il s'approcha enfin de son téléphone portable, et d'ailleurs elle commençait à avoir mal au bras à force d'attendre que monsieur daigne y jeter un œil. Elle regarda avec curiosité l'individu qui paraissait hésiter tout en regardant le téléphone comme si celui-ci allait le mordre. Peut être qu'il a une phobie des smartphones.se dit elle sans être très sûre que ce soit même possible. Enfin, après avoir regardé, il montra le drapeau français. Hein ? De toute évidence, il n'avait rien comprit à ce qu'elle lui avait dit. Le français n'était pas sa langue maternelle, ça, elle en était presque sûre. Il ne l'avait d'ailleurs pas parlé.

 Surtout que lorsqu'il s'empressa de le faire, il confirma sans le vouloir ce qu'elle se disait. La langue de Molière, dans sa bouche, émaillée d'hésitations et d'écorchures, lui était encore indomptable. Non, il n'avait pas comprit sa proposition d'utiliser un traducteur. Mais elle n'eût pas le temps de s'attarder là-dessus : ce que l'homme continuait de lui dire lui parut particulièrement étonnant. Si elle n'avait rien à redire sur Istvan Csen...Cesz...Csz... Enfin, sur Istvan, la suite dénotait que le problème de contexte était de retour.

 L'homme disait être Magyar. Magyar ? Cela lui rappelait vaguement la série des Harry Potter, mais l'homme n'avait rien d'un dragon noir et pourvu de pointes. Il ressemblait plutôt à un simple humain. Mais alors pourquoi se prenait-il pour un Magyar ? A tout hasard, elle tapa le mot dans le dictionnaire présent sur son téléphone. Évidemment, l'appareil choisit cet instant pour rester bloqué sur l'écran de chargement. En soupirant, elle l'éteignit, et le ralluma, espérant qu'il ne mettrait pas trop longtemps à se réveiller.

 Ensuite, il disait qu'il n'était pas Viennois. Vienne ? Pourquoi Vienne ? Ses quelques restes de géographie lui apprirent que c'était la capitale de l'Autriche. Ce qui n'expliquait toujours rien du tout. Pourquoi lui disait-il qu'il n'était pas Viennois , comme ça, d'un coup, au détour de la conversation ? Peut-être une moyen de renforcer son image dragonesque. Mais cela pouvait aussi avoir sens plus plausible. Si il ne voulait pas qu'elle le prenne pour un autrichien, c'est qu'elle aurait pu le faire. Et elle aurait surtout pu le faire dans un endroit peuplé d'autrichiens. Donc... . L'homme se croyait il à Vienne ? Cela expliquait qu'il lui ait demandé si elle était française. Il avait trouvé étrange qu'elle ne soit pas Viennoise. Dans ce cas, il y avait vraiment quelque chose de surprenant à ce qu'il le devine comme ça, sans raison. Non, attends. Ça, c'est à cause de ton accent. Tu ne sais parler que le français, même en anglais. C'était logique ; mais cela voulait dire que l'homme savait reconnaître un accent français quand il en entendait un. Et il ignorerait être en France ? Il n'avait vu aucun panneau en français, n'avait entendu personne le parler ?A moins qu'elle ne soit la première personne qu'il croisait depuis son arrivée . Sauf que c'était tout sauf vraisemblable. Ludmilla aurait pu croire à une blague, tant tout était improbable, s'il était encore moins possible que qui que ce soit vienne faire une blague dans cette forêt où il n'y avait jamais personne à cette heure.  

Et puis, il lui reprochait d'être seule ici, se justifiant par une histoire de « soldats ». Des soldats ? Où ça, des soldats ? Elle regarda à nouveaux la forêt autour d'elle ; rien de plus que cinq minutes auparavant. Nul soldat en vue. Et puis, il semblait être sérieusement en rogne contre les soldats. Apparemment, ceux-ci avaient « pensées » quand ils voyaient « jolie fille ». Ce n'était pas une grande nouvelle. D'ailleurs, elle n'avait pas de mal à imaginer que les soldats n'étaient pas les seuls. S'il estimait ça grave au point qu'elle doive rentrer chez elle, sans doute cherchait il à dire que les soldats ne se satisfaisaient pas du fait de penser. Bon. Hormis le fait qu'il n'y en avait pas un seul à la ronde, les pauvres soldats n'étaient pour la plupart, pour ce qu'elle en savait, que des hommes sur de nombreux points comme les autres. Pas du genre donc, à mettre leur « pensées » à exécution juste parce qu'ils étaient des soldats. Ce moustachu les dotaient de bien mauvaises intentions. Peut être qu'il connaît des soldats de ce genre.

 Mais même si ça avait été possible, ce n'était pas une raison pour lui dire de ne pas se promener seule. Quel paternalisme primaire ! Ce n'était pas parce qu'elle était une fille qu'elle avait toujours 6 ans. Elle n'était pas une petite créature faible, effrayée, incapable de se débrouiller dehors et qu'il fallait donc laisser à l'intérieur, ou un objet qu'on rentre chez soi pour éviter de se le faire voler, comme la voiture que l'on enferme dans son garage. Et d'ailleurs, si des soldats de ce genre se baladaient vraiment par ici, ce qu'il fallait faire était assurément les poursuivre avant qu'ils ne s'en prennent à quelqu'un, pas se cacher.  L'homme aurait dût lui demander de l'aide, non la pousser à se terrer chez elle. D'ailleurs, c'était une poussée bien vigoureuse que ce « devez » qu'il employait. C'était un devoir, c'était une obligation, c'était un ordre ! Ce drôle de chevelu bleuté visiblement perdu , donc sans connaissance de la situation, et voleur de cheval par dessus le marché se permettait de lui donner un ordre ! Et au nom de quoi ? Une brusque fureur l'envahit. Il la rabaissait ouvertement, la traitait comme une pauvre chose incapable de savoir quoi faire par elle-même, et qui ne peut se défendre si bien qu'on ne lui en laisse même pas le choix. Si elle avait été un homme, plus jeune ou très vieux, maigrelet, sans le moindre muscle, un freluquet, mais un homme, l'individu n'aurait même songé à lui parler ainsi, elle l'aurait parié. C’en était trop ! Elle serra les poings. Qu'on se moque de ses vêtements, de ses machines, de tout et n'importe quoi de ce genre, soit ! Le vêtement ne souffrait pas des mots qu'on lui jetaient ; les machines brillaient comme à leur ordinaire quels que soient les phrases qui résonnaient sur elles Mais ici, c'était elle qu'on attaquait. C'était son identité même qui recevait ces paroles, elle était niée, on lui refusait d'exister, on voulait la réduire à autre chose, on la faisait disparaître. Ludmilla sentait presque ce moi, tout poisseux du sang que faisaient couler les attaques répétées, qui se levait, se battait avec acharnement pour sa survie. Oui, c'était un combat à mort, une existence en dépendait. Il fallait attaquer, se défendre !

 C'est pourquoi elle hésita une seconde à faire une petite démonstration de force au bonhomme. Rien de bien méchants ; quelques coups de pieds bien placés suffiraient à le convaincre de ne plus jamais la sous-estimer, ni aucune fille. A grande peine, elle se contenta de lever les yeux au ciel, décidant de lui accorder le bénéfice du doute. Le français n'étant pas sa langue première, il pouvait bien s'être trompé. Puis elle songea qu'en fait, elle pouvait tout aussi bien lui rendre la politesse. Après tout, bien que Ludmilla commençait à le trouver assez antipathique après ses propos réducteurs, elle ne niait pas pour autant qu'il n'était pas désagréable à regarder. Si elle l'avait croisé dans la rue, malgré son vêtement bleu qui l'aurait sans doute un peu rebutée -ou alors, plutôt, la plume- Julie l'aurait probablement gratifié d'un « Wahou, t'a vu, le beau gosse ! » émerveillé. Or, si des soldats dangereusement en rut se baladaient en liberté, il avait sans doute autant à en craindre, voire plus, qu'elle. C'était plutôt lui qui aurait dût se terrer où que soit sa maison, s'il ne voulait pas avoir chaud aux fesses. Ces soldats visiblement très impatients d'en arriver à une activité de procréation n'étaient sans doute pas très regardant sur la nature de leur camarade de jeux. Mais vu son  air peu assuré, l'homme à plume avait déjà dû le comprendre, elle se dispensa donc de lui expliquer par le menu tous les risques qu'il prenait en restant ici.

 Et puis voilà le «jolie fille », elle le comprit soudain, lui était destinée. Quelle blague ! Quelques instants plutôt, il l'avait pourtant repoussée en bloc. Elle le regarda avec circonspection. Et si c'était un genre de plan tordu pour l'attirer dans ses filets ? C'était ce que Julie, qui attiraient décidément les hommes du genre « plus lourd, tu deviens une planète » avait appelé la « technique Colonel Reyel ». Ce schéma, dont elle avait reconstitué les mécanismes après maintes observations, était du type Laiiisseuuh moua êtreuh ceuluii qui partâge tâ viiie...T'a vu je suis sensible, hein ? Romantique, hein ? Bon ok, alors, maintenant,  laiiisseuuh moua êtreuh ceuluii qui partâge tâ nuiiit ! Allez ! Allez quoi ! Tout de même...Non. C'était quand même trop tordu. Et il avait vraiment l'air mal à l'aise, à des milliers de lieues de quelque « file ton 06 » que ce soit. Qu'est-ce que c'est que ce revirement, alors ? Peut être qu'il n'aime pas ce qu'il considère comme joli ? Finalement, la seule chose sensée la dedans, hormis son nom, c'était qu'il lui demande pourquoi elle avait crié. Elle doutait de plus en plus qu'il maîtrise le français suffisamment pour savoir ce qu'il avait dit.

 Peu à peu, elle fronça les sourcils. C'était drôle, tout de même, cet homme habillé comme un soldat, même si sa petite plume et le bleu de son costume faisaient un peu tache, et qui la mettait en garde contre des … soldats. Elle avait postulé qu'il connaissait les soldats qu'il paraissait tenir en si basse estime. Mais peut être qu'il les connaissait plus que ça. Peut être qu'il en faisait partie. Et si c'était une menace ? Mais on n'avait aucune raison de la menacer.

 Elle avala sa salive. En fait, il y avait bien une raison possible. Elle cherchait Lucas. Lucas avait disparu. Lucas avait pu être enlevé. Lucas...Si ça se trouve, elle était plus proche de ses ravisseurs qu'elle ne le pensait. Si ça se trouve, elle les avaient mis en danger. Mais...Envoyer, pour l'effrayer, un homme en bleu, et coiffé d'une plume, qui tenait tant de propos incohérents ? Ce n'était pas très pertinent. A part son arme un peu trop tranchante et son cheval un peu trop exterminateur, il ne paraissait pas effrayant. Et puis, de toute façon, il y avait des manières bien plus simple de menacer quelqu'un. Cette idée était vraiment stupide ; elle ne savait pas comment elle lui était venu. La fatigue, sans doute.

 Mais à présent qu'elle repensait à tout cela, cela venait. Des enlèvements. Des ravisseurs. Du danger. Bien sûr. Elle inspira profondément, alors qu'elle sentait poindre un début de malaise. Elle n'aimait pas y repenser. Au manteau gris.

 Bien entendu, on les avait prévenues. Chaque fois qu'elle était prise en flagrant délit d'espionnage, ce qui arrivait bien trop souvent à son goût, Ludmilla devait subir le même refrain.

- Ce que vous faite est dangereux, disait la mère de Ludmilla en soupirant. Il pourrait vous arriver quelque chose de grave !

- Tu ne te rends pas compte, grondait son père. C'est interdit, et en plus, les gens n'aiment sans doute pas que vous les espionniez ainsi ! Je ne veux pas apprendre que tu as recommencé !

- Danger ! » Renchérissait Émilie, du haut de sa chaise haute.

 Ludmilla n'ignorait pas qu'il pourrait leur arriver des bricoles. Mais Ludmilla aimait l'aventure. Non, elle adorait ça. Il n'était donc pas question qu'elle s'arrête pour autant. Surtout que ces dangers dont on lui parlait, elle ne les avait jamais rencontré. Elle n'y croyait pas vraiment.

 Ce jour-là, alors qu'elle était au Mans, marchant avec sa co-équipière d'enquête, elle ne pensait même pas une seconde aux mises en garde de sa famille. Bien au contraire, elle était ravie. Julie et elle venaient de croiser Romain, un gamin du quartier de la détective en chef. Assis par terre sur le trottoir, les bras enroulant ses genoux, la tête baissé, il paraissait triste. Ni une ni deux, les deux jeunes filles étaient allé l'interroger. Sans doute impressionné par leur aura de grandes filles de cinquième, le petit garçon n'avait pas mit longtemps à avouer la cause de son problème :

- Ma sœur a disparu.

- Préviens tes parents ! Avait répliqué Julie du tac au tac.

- Je peux pas. Ils sont partis acheter le nouveaux canapé, ils vont pas rentrer avant longtemps, gémit l'enfant. Ils...ils avaient dit de pas sortir, je sais, mais Mattéo était dans le parc, et c'était pas loin, alors je l'ai emmenée, et...

 Puis, il avait caché la tête entre ses genoux, sans doute pour que les deux grandes ne le voient pas pleurer.

- Il faut prévenir la police , avait immédiatement réagit Julie.

- Ah, non ! Cria le petit garçon, s'étant redressé d'un coup. Je veux pas. Mes parents vont me punir. En plus, elle a pas pu aller loin. Je suis parti chercher le ballon avec Mattéo, parce qu'il avait shooté trop fort. Ça a duré cinq minutes, et quand je suis revenu, elle était plus là...Je suis venu à la maison voir, et ça doit faire que 10 minutes de plus...On peut pas disparaître en juste un quart d'heure, quand même !

 Il avait alors levé des yeux tristes vers chacune d'elles, soudain suppliant :

- Je sais que vous faites des enquêtes, des fois...Vous voudriez pas ?

 Les deux filles s'étaient concertées du regard. Ne pas prévenir la police quand il y avait un problème comme celui-là, ce n'était pas bien, elles le savaient, on le leur avait dit. Mais, à vrai dire, ni Ludmilla ni Julie ne songeait à ce pourquoi ça ne pouvait pas être bien. Après tout, elles étaient largement capable de retrouver la fillette, n'est ce pas ? Pourquoi prévenir la police, dans ce cas ? Ça devait encore être une excuse de parent pour les empêcher de s'amuser au lieu de faire leur devoirs. Et puis, c'était leur première enquête sérieuse. Finit, les chats perdus que l'on retrouvait trois cents mètres plus loin, finit, les histoires de vol de bonbons, finit, de chercher des cartes Pokémon finalement enfouies sous un lit ou dans une chaussette sale. Maintenant, elles recherchaient un enfant disparu, comme de vraies détectives !

- Ok, avait dit Ludmilla. Si on l'a pas retrouvée à la fin de la journée, on ira quand même voir les policiers , avait elle ajouté, prudente.

- Ouais, avait répondu le garçonnet, rose de contentement, ne doutant pas une seule seconde de leur succès.

 Il était à ce moment-là midi, elles n'avaient pas beaucoup de temps devant elle. Elles s'étaient dépêchées d'interroger l'enfant. La disparue était Lena Bontemps, une petite fille de cinq ans, aux cheveux bruns et frisés, habillée d'une robe rose et verte, avec de petites sandales rouges. Elle avait disparu au square du coin de la rue à 11h45 environ, à l'endroit où il y avait un tourniquet et des bancs. Vite, elles s'y étaient précipitées. Une heure et demie plus tard, elles avaient, sans réveiller les soupçons de leurs témoins, remonté le fil de l'affaire.

- Mme Guemant a dit qu'il y avait son grand-père qui était venue la chercher, avait récapitulé Julie. C'était juste quand il n'y avait pas Romain. Du coup, il l'a manqué.

- Sauf que quand on a demandé à Romain, il a dit qu'il n'avait pas de grand-père. Donc, c'était quelqu'un d'autre. Apparemment, un vieux type avec un manteau gris, et une barbe blanche. D'ailleurs c'était bizarre, par une telle chaleur, c'est pour ça que ce cycliste l'a remarqué. Mais il n'a pas vu la petite.

- Sauf que le voisin de ma tante a vu qu'il y avait une drôle de forme sous le manteau, comme s'il cachait un sac dans ses bras, et aucune main ne dépassait de ses manches, il a dit. Peut être que c'était Léna. Et le type allait loin. Le gamin à sa fenêtre a dit qu'il l'avait vu marcher, alors que c'était à 20 minutes du parc. Donc, pas de voiture. Il n'en avait pas besoin, s'il était prêt de l'endroit où il voulait aller.

- Il allait par ici. Et il n'y a que des maisons, dans le coin. C'est sans doute chez lui qu'il est allé, donc. Puis, quand on a demandé à la dame de la Poste, elle a dit que le seul vieil homme avec une barbe blanche qui habite par ici, c'est...

- Là, avait complété Julie en souriant.

 Et elle avait indiqué du geste la maison qui se tenait devant eux. Un bâtiment aux murs rosâtres, qui n'avait rien à envier à tous ses voisins du quartier résidentiel où il se tenait. Allongée à plat ventre sous les branches de la haie de buissons qui la séparaient des autres, les deux filles l'observaient alors depuis une dizaine de minutes. Elles avaient finit par établir que, si elles frappaient chez le monsieur, et que c'était bien lui il ne voudrait pas leur rendre Lena. Il dirait qu'elles s'étaient trompé, il les ferait partir, et il s'enfuirait avec la petite fille, et il serait trop tard quand viendraient les policiers. Non, il n'allait pas se laisser faire. Après tout, un monsieur qui prends les enfant chez lui alors qu'il n'est pas un de ses parents, il est méchant, lui avaient répété maintes et maintes fois les parents de Ludmilla, et si un tel homme s'était présenté face à elle, ils lui avaient recommandé de fuir et d'essayer de joindre une personne de confiance, comme un professeur ou un policier. Mais aucune des deux options n'étaient envisageable pour elles. La seule chose à faire, à présent, c'était de sauver Léna du vieil homme. Voilà pourquoi elles observaient la fenêtre de la cave, un tout petit carré de verre si épais et si sale qu'elle n'y voyaient presque rien. Mais elles pourraient peut être se faufiler dedans. Mais il fallait d'abord savoir si elles ne se trompaient pas de monsieur. Elles y réfléchissaient, quand, soudain, elles avaient vu la lumière s'allumer.

 Ludmilla n'avait pas pu s'empêcher de frémir en devinant, à travers la saleté, une silhouette haute et menaçante descendre des marches qu'elle percevait à peine. La forme presque indéfinissable, mêlée aux épaisseurs de la vitre, semblait porter un lourd sac sur son épaule. Ou...Non... Avant que Julie ait pu la retenir, elle s'était rapprochée, quittant l'abri rassurant des feuillages. Sa respiration s'était brusquement interrompue lorsqu'elle avait comprit de quoi il s'agissait. Sur l'épaule de la silhouette, dans la frêle lumière de l'ampoule suspendue au plafond de la cave, et malgré la saleté de la vitre, elle reconnu un éclat rose bien incongru sur ce manteau d'un gris très sombre. Elle avait deviné sans peine qu'il appartenait à la robe de la petite Léna.

 Un instant, pour la première fois depuis le début de leur équipée, elle s'était sentit mal. Désemparée tout d'abord, puis, peu à peu, effrayée. Son cœur avait brusquement adopté un rythme rapide, un battement de suspens, qui allait en s'accélérant. La petite tâche rose ne bougeait pas, se contentait de suivre les mouvements de l'épaule sur laquelle elle était jetée. Elle avait eu beau la suivre des yeux, l'encourager dans sa tête, rien.

 Mais déjà, ses pensées bondissaient. Il fallait se dépêcher. Elle avait abandonné sa peur, froide, lente, morte, pour s’élancer dans une réflexion, la recherche d'un plan. Elle voulait faire quelque chose. Non, elle pouvait faire quelque chose.

- Julie, va voir le voisin, avait-elle murmuré. C'est bien lui qui a Léna. J'ai vu un bout de sa robe. Je crois qu'il l'a assommée, elle bouge plus. Il faut appeler la police.

- Et toi ?Avait bredouillé Julie.

- J'y vais !

- Mais...T'es folle ? Il est méchant ce type ! On sait pas ce qu'il peut faire ! 

 Ludmilla savait tout cela. Elle savait aussi qu'elle avait peur. Mais elle avait sentit autre chose, qu'elle ne pouvait pas ignorer : un sentiment grandissant d'urgence. Bravement, elle avait déclaré, prenant une grande inspiration pour se calmer :

- Justement.

Et elle avait filé vers la maison. Par chance, l'individu avait laissé la porte ouverte. Elle n'eût qu'à se faufiler dans l'habitation. Sans faire de bruit, elle avait parcourues les pièces. Toutes les portes étaient entrebâillées, ne révélant qu'un décor innocent. Une seule ne l'était pas: ça ne pouvait qu'être celle de la cave. Saisissant son pistolet à bille, la fille s'en était lentement approchée.

 Elle avait hésité. Était-ce le bon moment pour entrer ? Et si l'homme remontait, en ce moment même, les escaliers, et si lorsqu'elle ouvrait la porte, elle se retrouvait face à lui, et si, alors, il l'attrapait par le col, et qu'il...

 Elle avait secoué la tête pour mettre fin à ces hypothèses effrayantes. Il y avait un moyen bien simple de savoir la vérité. Elle avait collé son oreille contre la porte en bois avec attention. Rien, pas un bruit. Il ne pouvait pas être là, derrière, l'attendant, la piégeant. Elle s'était silencieusement répétée l'information une minute ; juste le temps de calmer ses mains tremblantes. Elle avait serré plus fort son arme, et le plastique avait craqué sous ses doigts. Arme, tu parles ! Ce n'était qu'un jouet. Mais elle n'avait pas fait l'effort de penser plus loin dans cette direction. Avant d'avoir pu douter de son geste, elle avait posé la main sur la poignée de la porte. Tout doucement, elle l'avait inclinée. Par chance, les gongs étaient bien huilés ; pas un grincement n'avait perturbé la tranquillité de cet après-midi ensoleillé. Par chance, également, il y avait une deuxième ampoule,allumée, dans les escaliers. Pas un rai de lumière suspect n’apparut sur les marches. La jeune fille s'était agenouillée , et, à ce moment-là, regardait dans l'encadrement de la porte, observant les lieux.

 Elle avait failli pousser un cri lorsqu'elle avait vu la silhouette, face à elle. Plaquant de justesse la main sur sa bouche, elle ne produisit aucun bruit. Puis, elle s'était détendue. Le manteaux noir n'avait rien vu. Il était de dos. Alors, malgré les signaux que lui envoyaient son instinct, qui lui intimait de fuir pendant qu'elle n'avait pas encore été repérée, elle s'était rapprochée un peu plus de l'ouverture. L'escalier, collé au mur de la maison, était séparée de tout son long du reste de la pièce par un autre mur. Elle ne pouvait donc voir que ce qui était face à elle. Il y avait là une forme difficile à distinguer dans la lumière faible de l'ampoule d'en-bas, qu'elle identifia comme un fauteuil. Son cœur fit un bon lorsqu'elle vit qu'une petite fille en robe rose et souliers rouges y était étendue. Léna ! Quand à la silhouette, toujours de dos, en arrêt, elle paraissait contempler la petite fille. Pour combien de temps encore ? Pas beaucoup. Déjà, elle bougeait, ramenait à elle une grande valise. Ludmilla essayait de ne pas penser à ce que faisait cette valise là. Crispée par l'adrénaline qui circulait dans tout son corps, la brune avait levé le canon de son arme...

- Ca ne suffira pas.

 La voix avait bien failli faire crier Ludmilla, cette fois, mais une main avait juste à temps fermé sa bouche. Julie apparu en face d'elle, l'air inquiet, lui faisant signe de se taire. Il y eut cependant un léger bruit, à peine distinct. Mais cela avait suffit pour que l'homme se retourne. Jamais les deux enfants n'avaient vu spectacle plus effrayant. Le visage barbu et parcheminé avait d'abord eu l'air surpris. Ensuite, ses yeux s'étaient étréci, devenant deux minuscules fentes, et son visage s'était déformé dans une grimace mécontente. Sans hésiter, Ludmilla tira sur le masque horrible qui se plissa sous la douleur que lui causaient les petites billes qui s'enfonçaient dans sa chair. Mais il avançait. Pourtant, la brune avait entendu la voix de son amie, confiante, étrange, lointaine :

- Je t'avais dit que ça ne suffirait pas. Mais je sais quoi faire.

 Alors, un sifflement avait déchiré l'air, et une masse énorme était entrée dans le champ de vision de Ludmilla qui l'avait contemplée, fascinée, jusqu'à ce qu'elle termine son vol sur la tête du vieil homme stupéfait. Il avait alors basculé vers le sol, vacillant, avant de tomber brusquement par terre.

 Ce n'est qu'une fois qu'elles étaient allé en bas chercher la petite fille  que Ludmilla s'était aperçue qu'il s'agissait d'un lourd dictionnaire. Elle avait tourné son regard vers l'homme en noir, vérifiant qu'il ne se relevait pas, et aussi parce qu'elle se demandait s'il était...Non, il ne l'était pas, elle l'avait comprit tout de suite en voyant sa poitrine se soulever en mouvements saccader sous son manteau sombre. Mais cette fois, un hoquet de surprise avait passé la barrière de ses lèvres. Ce visage ! A présent que la colère ne le déformait plus, elle le voyait . Elle le connaissait. Elle l'avait déjà vu au supermarché, où elle allait faire les courses tous les vendredis avec ses parents, ce qui était sans doute aussi dans ses habitudes. Un grand-père qui vient faire son marché, régulièrement. Pas d'air particulièrement sombre, pas de sourire étonnant. Rien de particulier. C'était quelqu'un, juste quelqu'un.

 Une fois dehors, soutenant l'enfant que Julie avait tenu à porter sur son dos malgré ses jambes frêles comme des roseaux, accueillie par les lumières des voitures des polices, Ludmilla avait sentit le calme revenir en elle. L'affaire était réglée ; le méchant allait aller en prison, et il n'enlèverait plus jamais personne. Et c'était ce qui s'était passé. L'affaire s'était close sur un procès rapide ,compte tenu du nombre de preuves, et sur les remerciements larmoyants des parents de Léna.

 Cette histoire, sur beaucoup d'autres, aurait probablement eu l'effet d'un souvenir effrayant et mystérieux, que l'on racontait aux repas de famille en riant, et que l'on ressassait de temps à autre tout en éprouvant le frisson terrifiant. Cela aurait même pu devenir une de ces images enfouies qui terrifient leur propriétaires au point de les emmener dans le monde des terreurs nocturnes et des névroses sans fin.

 Mais il n'en allait pas de même pour Ludmilla. Certes, à partir de ce moment là, quelque chose s'était changée en elle. Ce n'était pas , cependant, une destruction. C'était un réveil. La jeune fille avait vu, entendu, perçut l'existence d'un danger. Elle avait profondément ressentit la présence d'une chose dont elle ne s'était pas douté, et alors, sa conscience avait changée. Ces nouvelles idées, qui montraient qu'une chose sombre et dangereuse pouvait être enfouie dans l'être humain, étaient devenues à ses yeux bien réelles, loin des terreurs des livres ou des films. Elle savait que les dangers dont ses parents lui avait parlé étaient vrais. Elle savait qu'il existait, bien plus loin que l'absurde méchanceté des enfants qui se jetaient des insultes à la figure, une cruauté bien plus grande. Il existait des êtres qui faisaient souffrit les autres, pour des causes défiant sa raison, et cette souffrance, ils la perpétuaient d'une manière plus forte que ce qu'elle voulait imaginer. Pour la première fois, elle s'était trouvé face à une question, une question effrayante, une question à laquelle elle ne voulait pas chercher de réponse. Elle avait posé son regard sur une partie du monde absurde et inquiétante, et elle ne pourrait plus jamais l'oublier. Et surtout, ce monde pouvait être dissimulé en chacun.

 Les enquêtes ne s'étaient pas arrêtées pour autant. Et il y avait bien d'autre de ses souvenirs qui dépeignait cette pulsion destructrice qui agitait parfois les êtres humains, dans une mesure plus ou moins grande. Mais, la première fois était gravée dans sa mémoire, marquant une différence entre la confiance qu'elle était prête à accorder au monde, et ou celui-ci avait fait basculer ses certitudes tranquilles . Elle aurait rêvé d'une véritable science de l'être humain, un savoir qui rendait compte des causes de ce qu'ils étaient. Et, lorsque Lucas s'était présenté à elle, lorsqu'elle avait perçu en lui cette même volonté de savoir ce qu'il était, et lorsqu'elle avait comprit qu'il ne s'offusquait pas de la sienne, alors, elle avait su qu'ils seraient amis. Et maintenant...

 Le souvenir avait passé dans sa mémoire, rapide, furtif, rien de plus qu'une évocation, quelques images. Mais la simple mention de l'homme en noir, présence furtive et inquiétante, l'amenait déjà vers un tourbillon de pensées qui lui déplaisaient, ces idées dont elle n'arrivait pas à se défaire malgré leur inutilité complète, les regrets. Lucas enlevé... c'est qu'il est imprudent...J'aurais pu lui raconter, pourquoi je ne l'ai jamais fait ? Il aurait eu peur, il aurait cessé de tout voir comme possible, oui, mais tant pis, il serait là, vivant, j'aurais pu le faire, mais je ne l'ai pas...

 Non, il fallait se ressaisir. Elle releva les yeux vers le potentiel soldat au ton azuré. Se remémora ses paroles une énième fois. Elle ne savait pas quoi dire. Lucas, l'homme en noir, c'était trop, elle se sentait à nouveau mal. Elle regarda son téléphone, qui affichait enfin l'écran d’accueil après son lent et habituel démarrage – tout cela n'avait pas duré cependant plus de quelques minutes – . A présent, basculant sur la dernière application qu'il avait activée avant de planter purement et simplement, il affichait un dictionnaire. Pourquoi un dictionnaire ? Elle se souvint du dragon J.K. Rowlingien apparu au détour de la conversation. A tout hasard, et sans trop d'espoir, elle tapa « magyar » dans la barre de recherche. A sa grande surprise, loin de parler de dragons, l'appareil lui révéla que « magyar, n.m » signifiait « habitant ou originaire de Hongrie ». Deux révélations en une : tout d'abord, Mme Rowling n'avait pas cherché loin pour appeler un dragon hongrois un...hongrois, et surtout, l'homme ne se prenait pas pour un animal de légende mais se décrivait comme appartenant à cette nationalité

  A nouveaux, la légèreté l'envahit, son angoisse s'éloignait ; elle avançait ! Vite, elle sélectionna le hongrois dans la barre du traducteur, et tapa à toute vitesse. Le clavier tactile était vraiment énervant, mais elle parvint dans un laps de temps relativement court à en arriver à l'étape finale de son plan, qui consistait en l'activation de l'icône qui permettait à l'appareil de parler à sa place. Ce serait sans doute un hongrois de médiocre qualité, mais elle ne connaissait pas la langue et n'était même pas capable de la lire, au point de ne pas pouvoir comprendre le nom de Censz...Oh, et puis zut. Elle cliqua, et une voix métallique jaillit du téléphone. Monocorde, elle énonça :

- Figyeljen, uram, én nem értem, mit mondasz. Kik ezek az emberek beszélsz? Van sehol, és mivel nem léteznek, kétlem, hogy veszélyesek. Különben is, mi az a tény, hogy egyedül vagyok? Azt hiszem, ez nem volt a szándék, de elismerem, hogy ez egyenesen sértő. Te nem sokkal idősebb, mint én, és nem azért, mert én vagyok a lány, akit nem tudom védelem, különösen ellenségei ellen, hogy nem létezik! Szóval ne adj több megrendelést a jövőben! Ami azt illeti, nem vagyok benne biztos, hogy tényleg azt mondják, hogy nincs értelme, akkor már jobb, ezt a fordító közvetlenül. Különben is, miért van nem tette?

*:

 Elle effaça, et vite, s'empressa d'écrire la suite, grimaçant devant sa lenteur à exprimer sa pensée.

-Hogy válaszoljak a kérdésre, legalábbis, amit értem, jól vagyok, semmi problémám nincs, sírtam, mert azt gondoltam, valami szomorú, mondjuk. Nem volt félelem az ember, mert mint írtam, nincs. De? Biztos vagy benne, hogy jól megy? Hiszel Bécsben? Ez Ausztriában; itt vagyunk Franciaországban!

*:

 Déjà, l'esprit en ébullition, elle regardait derrière le cheval, se rappelant d'où il avait surgit.

-Vous n'avez pas pu ne pas vous en rendre compte, marmonna-t-elle, oubliant qu'elle n'avait pas de traducteur intégré. Donc...Il vous est arrivé quelque chose.

 Elle contourna le cheval, espérant trouver un indice que l'apparition de l'individu était explicable.

Il n'y a rien...Mais peut-être qu'on l'a déposé. Une voiture ? -elle regarda au bout du petit chemin- Non. Trop loin de l'entrée de la forêt. Je ne la verrais pas d'ici. Mais si une voiture  l'a amené ici...Pourquoi, n'est ce pas lui qui s'est libéré.. ? Ou alors, on l'a libéré...Mais dans quel but...

 A présent, elle marchait en cercles irréguliers, perdue dans ses pensées. Tous les films policiers que Julie lui avait montrés fournissaient à son imagination matière à envisager. Tous les éléments que la détective lui faisait vérifier à chaque enquête s'enclenchèrent ; et elle les passait en revue. Il fallait regarder partout, penser à tout.

Suis je bête, le cheval...Il avait prit le cheval. C'est à..pas loin, oui...S'il n'a pas vu assez pour aller en France,  il vient d'un endroit où il n'y a personne...Pas de panneaux, bien, sûr, non plus. On a dut le déposer là-bas...Quelqu'un l'a vu ? Sans doute. Sa sortie n'a pas du passer inaperçue. Il est voyant. Mais personne ne l'a appelé ? Seul, ou pas ? Et qui l'a amené ici? Pourquoi ne s'en est-il pas rendu compte ? On est loin des côtes, des aéroports , il n'a pas vu les panneaux, donc il ignore qu'il est en France...Vitres teintées...Non, évidemment,idiote! Chloroforme ? Non, il aurait fallu prévoir l'heure exacte du réveil...Or, on l'a laissé sur la route...On l'aurait vu, s'il vous étiez resté longtemps inconscient, n'est-ce pas ? Trop grand risque . Un somnifère précis...Si j'analyse son sang, je saurais le temps qu'on avait prévu pour lui...Ça pourrait me donner le temps de trajet. Il en reste ? Non , s'il est réveillé à ce point,  il a tout éliminé...Comment faire...Mais pourquoi tout cela ? Qui est -il?

 Oui, là était la question. Elle s'arrêta brusquement, se souvenant que la réponse à ses questions étaient peu être tout simplement le cavalier bleu. Ses doigts volèrent à toute vitesse sur l'écran, ravis de pouvoir répondre à la soif de curiosité de leur propriétaire, tandis qu'elle interrogeait sans relâche :

- Miért nem tudja, hol vagyunk? Függetlenül attól, hogy jön? Ez hoztál ide erő? Emlékszik valamire? Csak mondd el, hogyan jött ide. Azt hiszem, tudok segíteni, ismerem a helyet. Uram, ha elveszett, a megoldás egyszerű, meg kell találni, ahol jössz. És meg kell mondani, hogy ki vagy.

*:

 Elle tapa une dernière fois :

- El kell mondania nekem mindent.

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Message  Le Dévoreur de temps Mar 8 Juil - 0:18

La jeune fille paraissait assez perturbée, comme plongée dans une réflexion si intense qu'elle n'avait même pas conscience de laisser paraître sur son joli minois toute sortes de sentiments contradictoires. Froncements de sourcils, yeux qui s'arrondissaient, nez qui se retroussait, mordillement de lèvres intempestifs. La donzelle n'avait décidément encore pas l'âge de la rouerie propre aux femmes qui se sont déjà fait les griffes sur des proies masculines et cachent leurs sentiments et leur trouble sous un masque de Déesse. Cela le rassurait quelque part mais le perturbait fortement par ailleurs. Cette enfant était soit une jeune catin lâchée pour son premier exercice, soit une petite paysanne, fille de pauvre métayer qui l'avait envoyé chercher du bois pour la flambée nocturne. Pire! Peut-être était-elle orpheline et les bois constituaient-ils son habitat ? Les campagnes du petit corse avaient mis les contrées de tous les pays à feu et à sang, et chaque famille comptait son lot de "morts au champ d'honneur". Tu parles ! L'honneur de se faire couper en deux par une canonnade ! Istvan avait cessé de croire en l'honneur de cette cause, le panache des Habsbourg, sitôt le destin de son pays scellé par les accords de Schönbrunn, mais son cœur croyait toujours à l'honneur d'un soldat et plus encore, d'un Hussard. Il résolut alors intérieurement qu'il aiderait cette enfant, malgré ses récriminations, s'il le fallait. Car il sentait instinctivement qu'elle n'était pas facile à manœuvrer. Le visage trop tourmenté et expressif pour être sage et coopérante. Pour l'heure, elle semblait s'accrocher désespérément à son faux poudrier, appuyant dessus avec ses pouces. Le malaise d'Istvan s'amplifia alors au point d'imposer une sorte d'évidence. Ce n'était pas un poudrier mais un mécanisme avec un petit mode d'emploi collé dessus indiquant les positions des troupes des coalisés. Cette chose était sans doute une sorte de compas ou de ... Il savait qu'on pouvait envoyer des messages avec des fils et des impulsions électriques, cela s’appelait le télégraphe. Mais où étaient les fils ? Cette fille était-elle une espionne  ? Si jeune ? Cet encorné de corse ne reculait devant rien...
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Il l'observait à la dérobée alors qu'elle se démenait dans son débat intérieur. Elle lui avait dit qu'elle allait bien et n'était pas actrice, ce qu'il avait fini par deviner tout seul. Oui certainement, elle n'était pas actrice. En revanche non, elle n'allait pas vraiment bien. Elle semblait en proie à un monologue intérieur dont la teneur devait être terrifiante s'il en jugeait par la respiration irrégulière qu'il entendait. Peut-être avait-elle des remords de son activité, quelle qu'elle fût ? Où peut-être était-elle juste perdue, et soudain effrayée de se trouver dans la pénombre avec un parfait inconnu. Il ne distinguait plus aussi bien les traits de son visage à présent. La nuit s'étendait sur la forêt et il pouvait concevoir être inquiétant dans ce contexte. Il devait s'efforcer d'être rassurant. Alors qu'il s'avançait sans brusquerie dans l'intention de lui proposer de l'escorter jusqu'au village dont on entendait le clocher au loin, et ce à dos de cheval tandis que lui marcherait à côté ...

...Elle dégaina à nouveau son étui lumineux et se mit à le tapoter plus fébrilement que jamais. Le poudrier émit un son. Il pensa finalement à une sorte de piano miniaturisé qui devait valoir une fortune. Ou une boîte à musique ! Mais oui, qu'il était sot ! Les filles adoraient ça! Sauf que la boîte à musique ne faisait pas de musique. Elle parlait ... Il chercha l'astuce. La jeune fille était ventriloque ? Il avait vu cela dans une fête foraine. Il hocha la tête négativement pour lui-même et recula la main sur la garde de son sabre. Le cheval semblait complètement indifférent à ce qu'on aurait pu qualifier de sorcellerie quelques siècles auparavant. Mais Istvan n'était pas un de ces sombres crétins qui se laissent encore impressionner par ces récits de dryades, de vouivres et autres ensorceleuses des forêts. Il respira et baissa la tête pour revenir au plus près voir cette machinerie. Elle parlait magyar, mal et avec une voix d'homme qui aurait des problèmes de transit, mais elle parlait hongrois.

Une fois fait abstraction des circonstances délirantes qui l'amenaient à se demander s'il n'avait pas inhalé des spores micellaires toxiques, il s'attacha à la teneur des mots. Il fronça les sourcils et s'appliqua à riposter à une attaque qu'il n'avait certes pas prévu. On lui reprochait de vouloir protéger la jeune fille ? Pire on le disait coupable de diffamation ? Il semblait y avoir un malentendu lié à la langue et on lui reprocha  de plus de ne pas avoir amené de traducteur.

- A tolmács múlt hónapban halt meg a csatatéren. Nem vártam, hogy megfeleljen egy idegent a Bécsi-erdőben.Különösen a Francia... Az erdők tele vannak emberek, akik szeretnének egy jó ideje egy csinos lány ... Biztos eszméletlen?...Háborúban állunk ! Ezek a katonák láttam ennyi borzalmak. Egyes férfiak válnak állatokat.*
commença-t-il en tentant d'argumenter.
*:
Mais la demoiselle faisait parler sa boite, plus vite qu'il n'avait le temps de penser. Il commençait à comprendre qu'elle lui avait proposé de se servir de cette boîte qui, par il ne savait quel tour de passe-passe traduisait ce qu'elle pensait, ou plutôt, faisait apparaitre en appuyant sur des carrés sur lesquelles étaient gravées des lettres. Enfin  peintes ou dessinées, il ne savait plus. Cela ressemblait d'ailleurs au télégraphe finalement mais en beaucoup plus petit et rapide. Tout était tellement étrange ce soir... Cette fille était étrange... Il songea à une intoxication alimentaire. Il n'était pas rare que les rations soient périmées ou contaminées par la vermine...Peut-être était-il victime d'une hallucination et en train de parler à une vieille souche ? Si tel était le cas, c'est le cheval qui devait bien rire... Il hocha encore bêtement la tête en entendant  sa blague à tabac dire qu'elle allait bien et qu'elle avait juste crié parce qu'elle était triste.

- Minden rendben van. Répéta-t-il machinalement comme pour s'en convaincre.

Mais, non, tout n'allait pas bien. Enfin, "elle" n'allait pas si bien qu'elle voulait le faire croire. Elle était convaincue d'être en France et qu'il avait eu un souci. Bien sûr. C'était fréquent ce genre de traumatisme après voir assisté à des atrocités. Elle avait dû traverser plusieurs frontières, et certainement autant de champs de batailles, pour arriver si loin de chez elle. Qu'est ce qui l'avait conduit là ? Rejoindre un père, un frère ? Un amoureux ? L'image de la mère maquerelle dans sa roulotte refit son apparition dans l'esprit du Colonel mais il la repoussa avec vigueur. Cette petite avait l'air d'une honnête fille. Mais, oui, Istvan comprenait qu'elle pût être triste et avoir crié de désespoir. Bien souvent il avait dû étouffer ce même cri dans sa gorge . On ne se laissait jamais aller au désespoir quand on était soldat, surtout Hussard et encore plus, quand on était un Cseszneky. Il n'était pas plus acteur qu'elle, mais il allait devoir improviser. Il était hors de question qu'il abandonne cette jeune fille seule ici.  Elle tournait à présent en rond et alla même inspecter le cul du cheval, confirmant l'idée d'un choc traumatique. Elle parlait pour ainsi dire toute seule. Il ne faudrait pas la brusquer, sous peine de provoquer une crise d'hystérie. Il décida de jouer le jeu, de jouer son jeu. Il hocha la tête, s'approcha d'elle, l'air un peu gêné et prit doucement des mains de la jeune femme la petite boîte lumineuse.

- Il pouvoir parler français si moi écrit magyar ?

Il eut l'impression qu'elle était soulagée, presque contente qu'il veuille bien utiliser son "traducteur" et elle tapota l'engin de telle sorte que les lettres ne furent plus latines mais magyares. Il hésita puis appuya sur les signes apparus sur l'écran. Les mots se formèrent comme par magie et il sourit comme un enfant de voir sa langue s'inscrire en haut de la fenêtre. Il sursauta un peu au son de la voix.

- Je m'appelle Istvan Cseszneky. Je suis Colonel de Hussard dans le 1er de Württemberg. Je suis venu à cheval, bien sûr, enfin pas celui -là ... Le mien est resté au campement. Enfin, je veux dire, je suis venu à cheval de Hongrie jusqu'ici. En passant par l'Italie ... Enfin vous savez les ordres ...Au gré des batailles, forcément. Je suis un peu fatigué j'avoue ... J'ai dû me perdre  en chemin...

Il prit la bride du cheval et le ramena vers eux tout en caressant le chanfrein de l'animal puis continua à tapoter sur le clavier sous l’œil placide du coursier.

- C'est une bonne monture, bien brave. Un peu dé musclée par l'inactivité mais il a du cœur.  Êtes-vous cavalière ? Rentrer chez moi ? Je pense que c'est un rêve pieu. Je rentrerai quand la guerre sera finie, avec un peu de chance, avec quelques années de plus, ou plus probablement, entre quatre planches. Parfois je me dis que cette guerre ne s'arrêtera que lorsqu'il n'y aura plus un seul soldat vaillant. Auriez-vous la gentillesse de m'accompagner jusqu'au campement ? Je ne me sens pas très bien. J'ai peut-être été intoxiqué par le repas d'hier soir...

Il cessa de tapoter les touches et secoua sa main qui avait une crampe puis tendit la machine à sa propriétaire. Après quoi il présenta le flanc de son compagnon d'aventures à la demoiselle égarée.

- Vous avez prêté traducteur. Moi prêter cheval. Vous monter ?  Chemin un peu loin... Au fait, vous pas dire comment appeler ...
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Ludmilla Whayne Empty Re: Ludmilla Whayne

Message  Invité Mer 9 Juil - 4:43

Ludmilla avait immédiatement vu que l'inconnu n'avait pas comprit, une fois de plus, ce qu'elle faisait. Alors que le téléphone lui rappelait d'une voix métallique qu'il aurait pu se servir d'un traducteur, il s'était encore laissé aller à parler son langage de dragon incompréhensible.

 Oh, elle avait bien essayé de décrocher quelques syllabes pour les entrer dans sa machine, mais après avoir cru comprendre le mot « tomate », elle s'était rendue compte que l'exercice lui était impossible, et avait tout simplement laissé tomber. Rapidement, elle avait oublié l'incident, tant elle était concentrée sur son raisonnement, et s'était finalement perdue dans sa réflexion, au point de tout oublier, même l'étranger lui-même.

 A présent qu'elle examinait l'hypothèse qu'un vieux film de mafieux lui chuchotait à l'oreille, elle faillit sursauter lorsqu'elle entendit un pas devant elle. Elle leva vivement la tête, qu'elle avait baissé sans se préoccuper de son interlocuteur, ne s'attendant pas à une réponse immédiate. Après tout, il venait d'apprendre une chose qui n'était pas facile à avaler. Cependant, l'origine du pas se révéla être nul autre que le sien. Mais elle, elle se révélait particulièrement idiote. Allons bon ! Baisser sa garde comme cela, se faire surprendre ! Elle soupira intérieurement. C'était nul. D'accord, ce type n'avait pas l'air dangereux, mais qui sait ? La méfiance était de mise. Elle serra son téléphone dans ses mains. Avec un peu de chance, si l'homme avait bel et bien une phobie des smartphones comme elle l'avait supposé, eh bien ! Le jeter à sa figure en cas de danger serait forcément efficace.

 Cependant, il n'avait pas l'air bien impressionné par l'appareil, et se rapprochait. Et zut, encore un truc que je n'ai pas compris sur ce gars pesta-t-elle intérieurement. Mais comment peut-on expliquer sa réaction d'avant, alors ? On dirait qu'il fait exprès d'être absurde. Elle remarqua qu'il avait l'air – enfin, c'est ce qu'elle crut voir dans la nuit tombante - peu assuré. Elle ne put retenir un sourire. Ah ! Mr « Cachez vous les soldats méchants arrivent » semblait avoir peur d'elle, tout d'un coup! Drôle de revirement, dans tous les sens du terme. Mais sans doute était ce le choc, se dit elle. Le choc de découvrir qu'il était en France, et non à Vienne, et elle ne pouvait que comprendre la surprise qu'il devait sans doute éprouver à ce moment là. C'était d'ailleurs pourquoi, prévoyant le silence surpris qui permettrait à l'inconnu de cogiter sur ce qu'elle avait dit, qu'elle n'avait pas fait attention à ce qu'il se passerait, convaincue qu'il mettrait un moment avant d'en finir avec cette incroyable vérité. C'était court, tout de même, songea elle. Très court. L'inconnu tenait presque trop bien le choc. Information que Julie lui aurait dit d'étudier. Pourquoi ? Elle fronça les sourcils. Cela lui revint. Quelqu'un qui tient le choc est habitué au choc. Donc, l'être en face d'elle avait dût vivre nombre de choses étonnantes ; voire, des choses horribles, qui avaient bloquées sa capacité à ressentir la crainte de l'inconnu qui suivait toute découverte de son existence. C'était important. Elle sentit qu'un nom frappait à la porte de son esprit à cette idée, un nom qu'elle chassa, car elle n'avait pas envie de se perdre dans un vertige inutile.

 Alors qu'elle réfléchissait à tout cela, l'autre s'était encore approché. Elle le laissa faire, jusqu'à ce qu'il lui prenne le téléphone des mains. Elle hésita une seconde à le reprendre après le lui avoir laissé, s'attendant presque à le voir jeter l'objet, ou tout autre acte absurde qui aurait finalement complété la somme d'étrangeté qu'il était à ses yeux. Mais il n'en fit rien. Au contraire, il prononça quelques mots qui la remplirent de joie. Enfin! Il la comprenait ! Il avait réussi à voir ce qu'était un traducteur, il allait l'utiliser ! Elle avait presque failli l'embrasser lorsqu'elle s'en était rendu compte, tant elle était contente d'être venu à bout de ce problème. Presque. En plus du fait que ce n'était pas son genre de sauter au cou des gens, de l'antipathie qu'elle éprouvait pour l'inconnu, de sa nature justement inconnue, et du cheval – qui sait, ils étaient arrivés ensemble, il serait peut-être jaloux?-, ce qui l'avait retenue dans son élan était surtout l'étonnement que lui avait causé sa réaction. Qui dénotait une chose bien étrange. Ainsi, il venait de découvrir ce que permettait l'appareil. Donc...Il ne savait pas ce que pouvaient ces machines. Voilà. Il ignorait ce qu'était un téléphone. Étonnée, elle l'avait regardé, un reste de sourire  un peu incertain, plaqué sur les lèvres. Rien d'illogique, tout devenait cohérent, certes. S'il ignorait ce qu'était un téléphone, alors normal qu'il l'ait contemplé avec tant d'incertitude ; normal qu'il en ait ignoré le fonctionnement. Mais...Pourquoi ne savait-il pas ce qu'était un téléphone, bon sang ?

 Mais cette fois, pas question de s'oublier dans ses théories alors qu'enfin, l'inconnu allait pouvoir lui parler, et, elle l'espérait, beaucoup plus que sans son traducteur. Elle réfléchit à toute vitesse ; il fallait que le personnage traduise en français ce qu'il écrirait en hongrois. Elle ne douta pas une seconde qu'il ne saurait pas l'indiquer lui-même à la machine.

_ Attendez...

 Elle se chargea d'inverser les langues sur l'écran que le hongrois avait laissé à porté de sa main, et un nouvel alphabet s'afficha sur l'écran. Elle remarqua que ça ressemblait au sien, et songea qu'elle avait vraiment une mauvaise oreille pour ne pas entendre des lettres qui semblaient si proche des siennes. Après quoi elle le lui abandonna, avec un dernier reste d'incertitude quand à une possible réaction imprévisible. Mais non, il ne le mangea pas ou quoi que ce soit d'autre de peu indiqué lorsque l'on se sert d'un téléphone. Au contraire, il se mit – ô, joie ! - à taper sur l'écran, ce qu'elle avait presque finit par croire comme impossible.

 Elle écouta les paroles de l'appareil avec attention. Elle savait que son traducteur ne remplissait pas vraiment l'emploi et s'embrouillerait sans doute dans ses conjugaisons, et elle s'était concentrée pour être sûre de tout comprendre de ce qu'il cracherait. Mais elle entendit malgré tout la voix artificielle énoncer ,d'un ton bien peu concerné malgré ce qu'elle disait, des énormités.

 Oh, il était un hussard, ça, d'accord, elle voulait bien le croire . Elle n'était pas sûre du sens de ce mot, mais le « colonel » suffit à lui faire comprendre que cela avait un rapport avec les soldats, tout en lui montrant qu'il était gradé. Et, il pouvait tout à fait l'être dans ce premier de Wurt...de...enfin, dans ce régiment au nom que ne percevaient pas tout à fait ses oreilles. Elle avait pressentie cette nature de soldat et ne s'en étonna pas, quoi qu'elle se fit la réflexion que cet homme était quand même jeune pour être colonel, ce qui comme tout grade était dans son esprit réservé aux soldat d'élite, et donc, d'expérience. En fait, comme elle s'y était attendue, sa simple présentation lui offrait de précieux renseignements qui l'aidaient à comprendre ce qui avait pu se passer. Une jalousie intense face à un jeune homme de talent pouvait être à l'origine de son exil en forêt française, même si elle voyait mal comment et pourquoi. Elle croyait alors que tout s'éclairerait enfin. Mais la suite était complètement folle.

 Il disait être venu à cheval.

 De Hongrie, jusqu'en France, à cheval.

 Même pas. De Hongrie en France, en passant par l'Italie. Histoire de faire une joli petit détour.

 Et en prime, une bonne excuse : « J'ai dû me perdre en chemin. »

 Ludmilla n'avait arrêté la géographie qu'une année plus tôt, mais le programme s'attardait sur l'Amérique, l'Afrique et l'Europe côté ouest. Elle ne savait donc pas vraiment ou se situait la Hongrie. Mais, si elle n'en avait qu'une vague, très vague idée, elle savait au moins une chose : c'était impossible de faire tout ce chemin sans voir où on allait. Même à cheval. Tout simplement, avant même toutes les autres objections que l'on pouvait formuler à cet égard, pour une chose : les douaniers. Jamais ils n'auraient laissé passer ce type sans le faire passer à la douane, et là, là, il n'aurait pas pu ne pas entendre leur habituel : « Bienvenue en France »,, ou ne pas voir les énormes panneaux « France » qu'on trouvait là. C'était tout bonnement impossible.

 Et puis, à cheval, quoi!

 Elle regarda l'homme avec stupéfaction. Pas de doutes à avoir. Même le traducteur ne lui aurait pas fait un coup pareil aussi longtemps. Non, tout ce qu'il avait dit venait bien de l'étrange homme. Il lui mentait ! Et en plus, c'était un bien gros poisson qu'il lui servait là. Comment avait il pu croire une seule minute qu'elle allait avaler ça ? Il lui racontait qu'il avait traversé les frontières, était resté aveugle aux panneaux, le tout sans se faire repérer alors qu'il était sur un cheval, et lui servait pour toutes ces choses la bonne excuse du «je me suis perdu », et cela parce que « j'étais trop fatigué ». Ben voyons. Tant qu'à faire, il aurait pu lui dire que son chien avait mangé sa carte du monde. Et puis quoi, encore ? Il venait d'une autre galaxie ? Il s'était téléporté ? Mais bien sûr, mon vieux! Hongrie-France à cheval, normal! Et je parie qu'en plus, tu voyages dans le temps !

 Mais pourquoi lui mentir, et surtout, lui mentir aussi mal ? Elle étudia ce visage avec attention, cherchant à y déceler une quelconque trace de folie qui aurait pu expliquer de telles paroles. Mais ces traits régulier ne reflétaient que le calme, bien plus calme qu'elle-même en tout cas qui bouillonnait de toutes ces pensées qui l'agitaient. De toute façon, elle savait que c'était inutile. En cours de science, ils avaient étudié des cas de schizophrénie, pour comprendre l'influence des médicaments sur les maladies mentales. Les parties du cerveaux qui contrôlaient le langage et l'expression faciale n'étaient pas affectée par la schizophrénie. Le sujet parlait et agissait comme n'importe qui. Après tout, il ne pouvait pas se rendre compte qu'il était fou.

 Mais l'homme n'avait pas -encore?- parlé d'êtres surnaturels, en tous cas, pas intentionnellement. Et, même si son mensonge était énorme, peut être que quelqu'un qui ne songeait pas autant aux détails qu'elle aurait pu le croire ; ce pour qui, peut-être, il la prenait. Enfin, il fallait quand même être très bête pour ne pas douter de ça. Qui voyageait à cheval, de nos jours? Peut être les mongols – elle avait vu un reportage là-dessus l'autre jour, ou, plus exactement, sa mère avait allumé la télévision alors qu'elle était dans la pièce et elle avait vaguement écouté- mais elle n'en était même pas sûre. Et puis, cet homme venait de Vienne, et il était hongrois., vu son langage. Pas grand chose à voir avec les mongols, se dit-elle. Et aussi, il lui parlait de batailles, et d'ordres venus d'Italie. Italie ? Il n'était pas à Vienne ? Quel était le rapport entre les deux ? Elle réfléchit ; aux dernières nouvelles , les relations entre l'Autriche et l'Italie n'étaient pas vraiment mises en exergue, puisqu’aucun de ces pays n'étaient impliqué dans une guerre. Pourquoi un homme de l'armée Autrichienne aurait-t-il eu affaire à des ordres italiens ? Et une bataille ? Où ça, une bataille ? Il aurait pu raconter mieux ; un exercice, par exemple. D'où pouvait-il sortir tout ça ? C'était vraiment un drôle de mensonge. En tout cas, il ne lui mentait pas parce qu'il était fou, ça, elle commençait à s'en convaincre. Il y avait une autre raison, bien plus vraisemblable, à ce qu'il lui explique d'une telle manière son arrivée dans ces bois.

 Il  ne faut jamais croire tout ce que l'on vous dit. C'est un fait élémentaire, que tout le monde connaît. Même le plus naïf des êtres aura toujours un petit doute face aux paroles d'un autre, quelque part en lui. Sans doute parce qu'il est presque un réflexe de survie de ne pas tout croire aveuglément, puisque nous savons que nous même nous pouvons mentir. L'enfant n'aura d'ailleurs au début jamais aucun scrupule à le faire, avant qu'on ne les lui enseignent. Et ce Mr. Css, comme Ludmilla l'avait intérieurement surnommé (par rapport à son nom et aux grincements de dents que lui causaient toutes les interrogations qu'il créait à chacun de ses actes) , avait sans doute bien compris cette petite leçon.

 S'il s'était aussi bien sortit de l'état de choc qu'elle lui avait supposé, c'était qu'il n'y en avait tout bonnement pas eu. Il ne l'avait pas crue. En fait, peu à peu, elle même se rendait compte que sa stratégie avait été mauvaise. S'il se croyait à Vienne, ce n'était pas les pauvres paroles d'une inconnue qui, en plus, l'avait répugnée au premier abord, qui lui auraient fait croire être en France. Il fallait des preuves, des vraies. Seul un fou ou un être incroyable naïf – ce qui revenait, selon elle, à peu près au même -  aurait pu croire avoir changé de pays juste parce qu'on le lui disait alors qu'il ne s'en était pas lui-même rendu compte. Zut! Elle aurait dût y réfléchir à deux fois. Il n'était pas comme son téléphone, non. Il n'allait pas tout dire juste parce qu'elle le lui demandait. Il allait falloir ruser. Que de détours!

 L'homme n'était donc pas fou, loin de là, lorsqu'il se laissait aller à des histoires abracadabrantesques . En réalité, il ne la croyait pas, et à présent qu'elle se voyait dans le rôle de celle qui dit n'importe quoi, elle comprenait son mensonge. Ce n'étaient pas des paroles des fou. C'étaient des paroles pour un fou. Oui, il la prenait pour une folle. Et, comme on ne peut pas réveiller un somnambule par peur qu'il n'en meure, on ne contrarie pas un fou en plein délire si on ne veut pas voir son esprit craquer. Non, on le suit. Ce qu'il avait fait, en tentant d'expliquer son arrivée en France, afin qu'elle s'imagine qu'il admettait y être. Et, apparemment, c'était cette drôle de réponse qui lui était venue à l'esprit. Bon, tout le monde ne peut pas être doué pour mentir, et puis elle-même n'arrivait pas à trouver de raison logique à l'arrivée de cette inconnu ici. Même si le cheval lui restait coincé en travers de la gorge – Mais pourquoi n'a-t-il pas dit une voiture, au moins? Un cheval, tout de même! - en oubliant les petits détails très gênant, et en s'ajoutant beaucoup, beaucoup de chance, c'était quand même possible de faire ça. Ou pas. Bon, c'était cohérent, au moins, comme histoire. Il n'avait pas parlé d'enlèvement extraterrestre, non plus. Elle se reprocha de ne pas avoir pensé au fait qu'il pourrait la prendre pour une folle avant de se laisser emporter. L'autre fonctionnait pourtant selon les mêmes mécanismes qu'elles, il lui aurait suffit de réfléchir un peu à ce qu'elle faisait . Elle sourit; c'était drôle, de découvrir que cet inconnu ne l'était pas tant que cela, en fait. Non, il y avait en lui quelque chose qui était comme elle.

 Mais que faire? Elle n'hésita pas une seconde. S'il pensait à présent qu'elle était folle, rien à faire, ses paroles étaient inutiles. Pis, il ne l'aiderait sûrement pas à résoudre l'énigme de son arrivée ici, puisqu'il n'en avait pas conscience. Il fallait donc cesser de lui expliquer la vérité. C'était inutile.

 Les inconnues de cette équation étaient encore nombreuses et fournissaient une matière plus que consistante pour un gros mal de tête. Le cheval? Le voyage ? Le téléphone ? Mais l'autre ne la laissa pas s'y attarder. Déjà, il avait ramené l'animal, et lui faisait une proposition bien étonnante. L'accompagner ? Campement ? Ça, c'était possible. Mais... Guerre ? Elle le regarda, les yeux ronds. Tout ce déluge d'informations la perturbaient un peu. Un guerre ? Où ça, une guerre ? Alors là ! Elle l'aurait su, tout de même. Tous les soirs, à table, elle suivait le journal, même si elle y avait été moins attentive ces derniers temps. Mais une guerre! Elle entendit à peine lorsqu'il repassa au français, continua sa proposition de promenade chevalesque et lui demanda son nom – en fait, elle ne prit pas la peine de répondre, tant se concentrer sur une chose aussi petite et insignifiante qu'un nom lui semblait absurde face à tant de révélations. Elle reprit mécaniquement son téléphone,qu'il lui avait tendu, et son regard s'attacha à l'écran lumineux comme s'il pouvait lui livrer les réponses. Cependant, elle ne le voyait même pas.

 Une guerre...  Elle avait tout d'abord cru que les batailles étaient un détail folkloriques que le hongrois avait ajouté histoire de lui faire avaler le poisson. Cependant, il lui sembla qu'à ses yeux, ce n'était pas un mensonge. Déjà, cela devenait carrément énorme, surtout qu'elle n'avait manifesté en rien qu'elle croyait à ses paroles précédentes. Même un fou ne croit pas à tout, il garde une certaine cohérence dans son univers, et rajouter des guerres de-ci de-là n'avait aucun sens si on désirait embobiner qui que ce soit. Non, si l'autre mentionnait une telle chose, c'est qu'il pensait vraiment qu'elle existait, et donc que l'on pouvait y croire. Et puis, c'était quelque chose dans sa voix, ou dans son expression, peut-être ? Où que ce soit, en tout cas, elle décela un accent, un quelque chose, de las, de fatigué, comme il exprimait son envie de voir cette guerre se terminer. Elle frissonna, et pas seulement parce qu'il commençait à faire froid. C'était réel, beaucoup trop réel pour être joué. Le hongrois semblait, non, était un homme qui pensait à sa mort prochaine, qui la voyait, et qui la pensait inévitable, quoi qu'il la regretta. C'était presque douloureux à observer. Elle avait envie de le retenir, l'empêcher de continuer la lente descente qu'il semblait accomplir. Lui dire que ce n'était pas vrai, qu'il n'y avait rien qui l'y obligeait vraiment. Qu'il n'avait pas à mourir à cette guerre.

 Mais de toute façon, il n'y avait pas de guerre. Pas plus qu'il n'y avait, à cet heure, d'autres adultes dans le monde entier (sauf sur [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]) qui ignoraient l'existence des téléphones portables.Pas plus que de voyageurs qui n'usaient que leurs chevaux sans paraître s’apercevoir que les voitures existaient. Pas plus que cet uniforme bleu qu'aucun soldat n'aurait accepté de mettre tant il était voyant, où cette plume qui dansait sur sa tête comme une cible. Rien. Non, rien de cet homme n'aurait dût être là. Pas...-elle mit un temps à trouver le mot qui convenait, avant de finalement réussir à le formuler-...Pas maintenant. Voyager à cheval, ne pas utiliser de téléphones, des batailles qui employaient des soldats aussi voyants que ceux de la Première guerre mondiale...Oui, tout cela avait été réel, un jour. Et ça l'était, d'ailleurs, pour l'homme qui lui faisait face. Oui. Cela expliquait l'histoire du cheval magique qui fait passer les frontières – un article qui aurait sûrement ravi les trafiquants en tout genre.  Peut-être que ce n'était pas une question d'invention difficile qui l'avait poussé à en parler. Peut être que ça lui paraissait naturel de voyager à cheval. Peut être que l'idée des frontières ne l'avaient pas effleurées, parce qu'il ne pensait pas qu'elles existaient. Oui, il lui avait menti, parce que c'était impossible de faire ce voyage, concrètement. Mais, en même temps, il n'avait pas raconté n'importe quoi. Elle repensa au problème de contexte. Oui, c'était cela. Il n'était pas dans son contexte à elle. Il se croyait ailleurs. Dans un monde sans voitures, sans téléphones, avec des chevaux pour tout moyen de transport, et des soldats qui brillaient comme des ciels de midi.  Mais...où ? Enfin...quand ? Et puis...pourquoi, hein, pourquoi ? Et si l'homme, sujet d'une expérience, avait vécu dans un univers faux et décalé, qu'on lui avait menti sur le monde, qu'à présent, il était libre, et que...? Mais ça serait complètement dingue ! On aurait dit le scénario d'un film. Non, c'était invraisemblable.

 Sans répondre encore, elle dévisagea de nouveau cet être surnaturel. A présent, elle doutait elle-même de ce qu'elle voyait. Et si elle était folle, comme il le pensait ? Et si, prise d'hallucinations, elle était seule, en cet instant, dans cette forêt qui sombrait dans la nuit, et parlait à un arbre ? Tout était si réel, mais une vraie hallucination paraît toujours réelle. A présent, elle en était presque sûre, seule une illusion de sa part expliquait tout. Pas un rêve ; ses rêves étaient toujours si étranges et si absurdes qu'elle n'aurait jamais pu les confondre avec la réalité. Il fallait que ce soit une illusion d'un autre ordre.

 Oui, rien n'était vrai, ni le cheval, ni l'inconnu, ni peut-être même la forêt. Elle était, qu'en savait-elle ? En ce moment dans son lit, ou ailleurs, à l’hôpital, ou ailleurs, encore ailleurs, elle pouvait être n'importe où, et ne jamais le savoir. Son rythme cardiaque s'accéléra tandis qu'une peur viscérale l'envahissait. Elle ne savait rien. Rien du tout. Lucas. Lucas avait été enlevé, drogué, elle l'avait supposé, pourquoi pas elle ? Je suis peut être endormie dans une camionnette en ce moment même, et il y a quelqu'un qui conduit, qui... Elle recula, regarda l'inconnu avec effroi comme s'il allait se changer en quelque monstre de ses cauchemars, se jeter sur elle, la dévorer.

 Non, il fallait se calmer. Réfléchir. Elle ferma les yeux et inspira profondément. Elle sentit les battements de son cœur résonner de moins en moins vite, de moins en moins fort. Non, elle ne pouvait être, en ce moment, enlevée. C'était idiot. Elle avait marché, parlé, et ça, elle n'aurait pu le faire dans l'espace clôt d'une camionnette sans qu'on l'arrête, mur, ou personne. Or, l'hallucination modifiait ce qu'elle percevait, pas ses actes. Sauf si elle dormait, ce qui n'était pas vrai, ça, elle l'avait déjà compris. Elle avait eu suffisamment de cours de SVT sur le sujet pour savoir quels effets avaient les hallucinations  D'ailleurs, on ne pouvait se douter qu'une hallucination n'était pas réelle. Sinon, c'était à la limite une... « une hallucinose, et dans ce cas, la personne peut douter de ce qu'il se passe, mais cela n'intervient que pour la prise de substance qui génèrent le délire et les actes du patient sont toujours réels, quoi que ce qu'il perçoive soit faux. » Voilà, c'était les mots de la professeure. Or, elle n'avait même pas le souvenir d'avoir prit quoi que ce soit. Donc...Elle n'avait rien. Non ?

 Décidément, le manque de sommeil la rendait bien bête. Jamais elle n'aurait cédé à de telles pensées en temps normal. Cela l'énerva. Pourquoi fallait-il qu'elle soit perturbée, affaiblie ? Elle n'avait pas besoin de ça, non, c'était un boulet de plus à se coltiner, et, en ce moment, s'enliser dans les difficultés était plus que contre-indiqué. Elle n'avait pas le temps pour ça. Non.

 Elle était moins perdue. Mais toujours perdue. Elle rouvrit les yeux, regarda le mystérieux Css. Elle n'avait toujours rien dit ; il fallait qu'elle se dépêche sinon, qui sait ? Il allait peut être partir.

_ Heu...

 Mr. Css lui avait posé une question. Devait-elle répondre ? Réfléchis bien. Elle avait un but. Comprendre. Pour atteindre ce but, que faire ? C'était simple : permettre à ce Css de réaliser qu'elle disait bien la vérité. Oui, le hongrois devait se rendre compte qu'il n'était plus là où il le croyait, sinon, il n’essayerait jamais de comprendre la situation, et jamais il ne lui expliquerait ce qui avait pu l'amener là. Et puis, il fallait qu'il cesse de la prendre pour une folle, si elle espérait qu'il lui fasse confiance. Donc...Il voulait l'emmener quelque part ? Sans doute pour lui montrer que le campement existait bien, que c'était elle qui se trompait. Eh bien, ce n'était pas une mauvaise idée. Car, il verrait alors que lui s'était trompé. De nouveau assurée, elle tapota son écran, qui s'était mis en veille. La lumière qui en jaillit la surprit un peu. Ses yeux s'étaient habitués au noir qui s'infiltrait lentement tout autour d'elle. Elle se rendit compte qu'il faisait presque nuit à présent. Quelle heure pouvait-il bien être ? Un rapide coup d’œil en haut de l'écran lui apprit qu'on approchait des 22 heures.A côté, l' icône des messages, surmontées du chiffre « 3 », clignotait. Probablement ses parents qui s'inquiétaient. Elle les ignora. Elle n'avait que trop fait attendre mr. Css. Il pouvait très bien changer d'avis et décider de rentrer tout seul. Non ! Elle tapa à toute allure :

- Elnézést, még nem válaszolt még, én gondoltam valamit.
*:

 Ce n'était pas une pire excuse que : « Oups, j'avais pas vu que j'étais en France, j'étais trop fatigué et je me suis endormi sur mon cheval magique quand on a passé la frontière lol ». De toute façon, ce type la prenait pour une folle, alors peu importait.

- Szeretném, hogy elkísérik a táborba, uram.
*:

 Il ne fallait pas mentionner ses bizarreries, surtout pas. C'était inutile. Il ne la croirait pas, et cela n'amènerait à rien d'autres que de nouveaux mensonges, où que savait elle encore. On aurait tout le temps de parlementer une fois qu'il aurait découvert la vérité. Elle allait donc faire comme si elle croyait ce qu'il avait dit, comme si elle avait été dans son contexte, son monde, depuis le début.

 Elle examina plutôt le cheval, se demandant comment monter dessus. C'était haut, quand même. Devait elle l'escalader comme un rocher ? Non, ça doit pas être ça. L'animal ne risquait pas d'apprécier. Il suffisait de voir le coup d’œil méfiant qu'il lui jetait alors qu'elle évaluait simplement sa hauteur. Elle capitula.

- Az ellenérvek, fogalmam sincs, hogyan kell csatlakoztatni. De ez nem számít. Bármikor járni, ugye? Hol ...
*:

 Elle suspendit son geste, réfléchit un instant. Non, il ne fallait pas qu'elle le suivre. Il avait réussi à éviter de voir qu'il était en France en passant par un chemin bien précis. Qui sait combien de temps ils pourraient encore s'y perdre avant de trouver un trace de civilisation ? Elle devait lui montrer. Et tant pis si elle devait mentir pour cela. Elle ne voyait aucune autre solution.

- És azt hiszem, van egy parancsikont a tábor itt ...
*:

 Elle fronça les sourcils. Non, s'il la prenait pour une folle, il ne la suivrait sûrement pas avec ces paroles. C'était trop étrange, ce revirement. Vite ! Il fallait trouver mieux.

- Láttam az emberek ott. Ezek nem nekem. Azt hiszem, jobban, mint te. Nem volt ugyanazt a ruhát.
*:

 Oui, ça allait. Elle aurait pu s'y laisser prendre. Elle se tourna vers un sentier qui coupait la route qu'avait suivi le cheval pour arriver. L'accès le plus direct pour arriver à la route. Avec des panneaux en français, bien entendu. Et puis, si ce n'était pas assez, elle pourrait toujours frapper chez les habitants des maisons qui la bordaient à intervalle régulier -tiens, ce serait amusant, ça, de passer chez eux à 22 heures pour leur demander s'ils étaient bien en France, parce que le soldat en bleu, oui, lui là, il n'est pas sûr, et non, ce n'est pas une blague, et arrêtez de rire, cette plume n'est vraiment pas drôle, je ne comprends pas ce que vous lui trouvez. Lucas aurait sans doute adoré. Non. Il allait adorer, parce qu'elle lui raconterait dès qu'elle l'aurait retrouvé. Elle inspira un grand coup, sentant déjà toute sorte d'objections fourmiller dans son esprit, et refusant d'y penser. Il fallait se concentrer sur autre chose, comme par exemple ce Css. D'ailleurs...

_ Au fait, moi, c'est Ludmilla , ajouta-t-elle de sa propre voix . Ludmilla Whayne. Alors...On y va?
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Ludmilla Whayne Empty Re: Ludmilla Whayne

Message  Le Dévoreur de temps Lun 21 Juil - 16:14

La jeune fille s'était accordé le temps d'une très longue réflexion mais, comme il s'y était résolu, après avoir compris qu'il y avait quelque chose de l'ordre de l'aliénation dans son comportement, il ne la brusqua pas, lui laissant au contraire tout le temps de se rassurer, déjà sur l’innocuité des ses intentions à lui -non il n'allait pas lui sauter dessus pour abuser d'elle dans un bosquet , pas plus qu'il n'avait l'intention de la tailler en pièces avec son sabre-mais aussi sur la situation. Cet homme était malade, peut-être intoxiqué par un mauvais repas, en proie à un délire et il demandait juste qu'elle l'accompagne aux portes de son campement, au cas où le malaise s'amplifierait et le ferait perdre connaissance. Il s'amusa qu'elle prétende connaître un raccourci dans cette forêt après avoir affirmé être française et qu'on était en France. La folie tout de même, quel portail béant sur toutes sortes d'incohérences ! Comment pouvait-elle connaître un raccourci dans un bois qui lui était étranger ? Mais elle avait tout de même des éclats de lucidité car elle dût se rendre compte de l'inanité de ses propos et changea bien vite d'argumentation. Cette nouvelle proposition le rassura de plus car, elle pouvait s'appuyer sur des faits réels. Peut-être bien qu'elle avait aperçu d'autres soldats du premier de Hussard. Il était parti alors qu'il faisait encore grand jour pour explorer les abords de cette cascade et il faisait nuit déjà depuis vingt bonnes minutes. Au campement, son ordonnance pouvait légitimement s'être inquiété de son absence prolongée et avoir demandé qu'on envoie quelques hommes à sa rencontre. Hommes que cette demoiselle avait pu entre apercevoir entre les troncs d'arbre dressés de la forêt. Il était étonnant qu'elle les aie croisés et lui non, alors qu'il venait , du campement donc du même endroit qu'eux et qu'ils pouvaient difficilement l'avoir dépassé sans qu'il s'en soit rendu compte. D'autant qu'il était à cheval et eux à pied puisqu'elle ne parlait pas de cavaliers. Du moins le comprenait-il ainsi.

Le mensonge était grossier et imparfait mais plus plausible que le coup du raccourci. Ou alors les deux étaient vrais. A son tour, il s'accorda le temps d'une réflexion. Certains hommes de troupe étaient cantonnés là depuis plus longtemps que lui, qui venait d'arriver d'Italie depuis peu. Il était fort possible que certains connaissent un raccourci du campement jusqu'à ce croisement ou il avait failli percuter la jeune femme. Il était fort possible qu'elle soit tombé sur ce raccourci par le plus grand des hasards, quant à elle, et qu'elle aie bel et bien aperçu les soldats à l'uniforme bleu du Wuttemberg mais les aie pris pour autre chose que des soldats, dans son délire. Il était fort possible qu'à présent , après avoir parlé à Istvan et s'être confronté à la similitude de costumes , elle commence à émerger lentement de son hallucination et comprenne qu'il avait raison, qu'on n'était pas en France mais bel et bien en forêt de Vienne et que oui, il y avait des soldats. C'était troublant tout de même, qu'après avoir crié et affirmé sur tous les tons qu'il n'y avait aucun soldat dans cette forêt, elle confesse soudainement en avoir aperçu tout à l'heure ... C'était très dérangeant qu'elle se dise française mais prétende aussi connaitre des raccourcis dans les bois de Vienne. Rien n'était cohérent et même le scénario de sa folie n'était pas entièrement satisfaisant. C'était bien trop élaboré et construit sur la durée... Voilà.

Une folle aurait fini par laisser filtrer des symptômes comme un agacement, un début d'agressivité et d'hystérie. Enfin, Istvan avait de la folie une idée un peu vague. Les internés que Mère allait visiter à l'Hospice étaient très perturbés et pouvaient passer d'un état de calme étonnant à une crise de délire agressif impressionnante. Mais il y avait certainement des degrés dans la folie. Istvan n'était pas expert et son pragmatisme bien qu'ouvert aux arts et à la culture, le tenait éloigné des lectures sur ce sujet qui passionnait en revanche son cadet, Ludwik. Celui-ci avait dévoré plusieurs volumes écrits par des médecins, notamment un physicien français du nom de Philippe Pinel, au sujet de patients qui souffraient d'une sorte fragmentation de la réalité et de la personnalité. Il s'était toujours étonné de voir son frère nourrir une telle obsession à ce sujet. Ludwik était quelqu'un de secret à bien des égards, en perpétuel questionnement sur de multiples sujets. Il se souvenait de ses questions lorsque la fiancée d'Istvan avait rompu son engagement à l'annonce de son départ sur le front italien. "Mais pourquoi a-t-elle reprit sa parole ?" " Parce que mon retour est trop incertain, je suppose et qu'elle ne peut en supporter l'idée et préfère se tourner vers un parti plus sûr." " Mais ne disait-elle pas vous aimer? " " il faut croire que ses sentiments ont changé, ou qu'elle s'était trompée. " " Comment peut-on arrêter d'aimer quelqu'un, surtout quand il ne vous a causé aucun tort ? Et comment peut-on se tromper sur un sujet aussi sérieux que l'amour ? " Un peu agacé et surtout très meurtri par cette rupture récente, Istvan avait coupé court en rétorquant "Je ne sais pas, je suppose qu'on peut changer d'avis sur tout."  et son jeune chien fou de frère avait répondu d'un air sombre " Non, certainement pas sur ce sujet. Je suppose qu'elle est schizophrène." Et il s'était lancé dans le descriptif détaillé des symptômes. Istvan avait quitté la pièce, excédé par trop de chagrin. Mais à présent il essayait de rassembler ses souvenirs au sujet des paroles de son jeune frère et écoutait Ludmilla, quel beau prénom, se questionner sur la façon de monter à cheval pour finalement décider qu'ils iraient à pied tous les deux.

Pourquoi pas ? Cela reposerait l'animal de son effort et permettrait aux deux bipèdes de discuter en chemin. Progressivement, il pourrait lui faire remarquer des détails typiquement autrichiens lorsqu'ils arriveraient à la lisière du bois et domineraient la plaine ou s'étendait Vienne. Ils  iraient certainement moins vite pour arriver au campement, mais étonnamment, cela ne gênait pas Istvan qui trouvait fort plaisant de discuter avec une jeune fille, même perturbée. L'essentiel était qu'elle accepte de le suivre sans se débattre et hurler, sans risquer de se faire du mal à elle-même. Il acquiesça à sa proposition et ils se mirent en chemin sur le sentier descendant, le Hussard  tenant le cheval par la bride. La nuit était bien tombée à présent mais fort heureusement la lune apparaissait entre les feuillages, dispensant une clarté laiteuse qui tombait en raies diffuses entre les troncs d'arbres, dessinant des tâches claires sur le sol couvert de feuilles sèches. Il faisait bon. Anormalement bon pour une fin novembre ... il avait neigé abondamment sur Vienne la semaine précédente lui avait dit son aide de camp à son arrivée en Autriche. Où étaient passées les ornières détrempées sur le chemin ? Et les traces de sabots et de roues que les charriots l'empruntant n'avaient pas manqué de faire ?

A la réflexion, il n'avait cessé de se questionner sur le caractère peu familier de la campagne qui l'environnait depuis qu'il avait franchi cette cascade. Ce bien avant qu'il n'entende le cri de Ludmilla et la rejoigne. Mais la jeune fille avait par la suite monopolisé toute son attention et il avait un peu mis de côté cette dérangeant question. La fatigue pouvait aussi changer les perceptions et il n'avait pas eu de bonne nuit depuis des semaines, toujours à ferrailler ou à chevaucher d'une aile à l'autre de son régiment ou d'un point stratégique à l'autre du front, puis enfin entamant son long périple de retour à Vienne pour y attendre ses ordres. La retraite des troupes napoléoniennes était connue depuis plusieurs semaines après la défaite des troupes franco polonaises de Murat contre les Cosaques de Platov et Kouzoutov à Winkowo. Tout était bon à tenter pour retarder le retour de l'Empereur à Paris, mais ce qu'ignorait alors l'Etat major autrichien, c'est que le Corse était en train de jeter des ponts sur la Bérézina.

Le Colonel s'attendait cependant à recevoir un ordre de mise en marche vers la frontière du Grand Duché pour couper la route aux français. Il savait que l'engagement serait rude pour les deux camps, car ils auraient face à eux des généraux aigris par ce qu'il convenait d'appeler, malgré la victoire de la Moskova, une défaite globale des troupes napoléoniennes. Il ferait face à des hommes désirant rentrer chez eux, et il le ferait avec des hommes qui se demanderaient pourquoi on ne les laissait pas rentrer chez eux, ces satanés français. Il y aurait des pertes lourdes, très lourdes des deux côtés et le Hussard avait le sentiment que ce combat serait celui de trop pour lui. La vie était étrange parfois. Il allait mourir bientôt probablement et il se trouvait là dans ce bois à se promener avec une enfant, enfin pas tant que ça, à bien y regarder, et à se demander qui de lui ou d'elle était le plus fou ou le plus halluciné. Tout était folie dans cette époque et cette guerre. Après tout, ils l'étaient peut-être bien tous les deux. Abimés par des conflits sur lesquels il n'avaient aucune prise. Lui pion sur un échiquier qui le dépassait et elle jeté sur les routes de l'exode. Oui ils avaient tout deux vu des choses , sans doute, qui pouvaient fausser leur perception. Istvan fronça les sourcils à ces pensées troublantes mais n'eut pas le temps de s'interroger plus avant. A la lisière du bois, des lumières fusèrent. Deux, plus exactement, parallèles comme les lanternes d'un coche, et se déplaçant remarquablement vite. Le cheval dressa les oreilles et émit un petit hennissement. Il avait entendu lui aussi ce grondement sourd suivi d'un crissement sur du gravier. Istvan posa sa main sur le bras de Ludmilla.

- Attendez! N'avancez plus! C'est très bizarre. Quel est ce bruit ?

Mais déjà le bruit s'éloignait, pour décroître puis s'éteindre finalement dans la campagne silencieuse. Il déglutit et s'avança à l'extrême lisière du bois. La lune éclairait à présent son visage et lorsqu'il se retourna vers la jeune fille, son regard trahissait une détresse bien réelle.

- Connaissez-vous ce chemin juste en bas ? Les ingénieurs de François Jospeh son remarquables. Ils ont dû construire cette nouvelle route pendant que j'étais sur le front italien. Ces pavés sont si bien jointés que de loin, on jurerait qu'il n'y a qu'un seul et unique pavé qui forme un long ruban noir.
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Message  Invité Ven 25 Juil - 18:12

Le soulagement peut prendre de multiples formes chez une seule et même personne. Cette fois là, il se traduisit chez Ludmilla par un large sourire qu'elle ne prit pas garde à masquer malgré qu'il révèle un peu trop ses intentions. Qu'importait ! L'homme mystère acquiesçait à sa proposition. Il acceptait de la suivre.

 Elle avait eut peur, tandis qu'elle auscultait son visage alors qu'il l'écoutait, autant que faire se peu dans la semi-obscurité qui se renforçait de seconde en seconde, qu'il ne refuse. C'est ce que ses traits, éclairés par la fragile lumière du téléphone, reflétaient plus la perplexité que la croyance à ses propos. Mais bon, puisqu'il la prenait pour une folle, elle ne pouvait pas s'attendre à mieux. Et, maintenant qu'elle y repensait, ses propos étaient tellement décousus qu'elle-même les trouvait franchement étranges. Mais, peu importait, finalement. Car le soldat était d'accord pour qu'elle l'emmène avec elle, qu'elle qu'en puisse être la raison.

 Ils cheminèrent un moment, silencieusement. Ludmilla jetait de temps à autre un coup d’œil à l'inconnu, se demandant quelles pensées pouvaient agiter ce front qui s'ornait à présent d'un pli soucieux. Il regardait autour de lui, et il lui semblait bien que quelque chose paraissait le gêner, mais quoi ? Il n'y avait encore aucun signe de la France, ici, enfin, elle n'en voyait pas . Cherchait-il quelque chose ? Peut-être...Bah. De toute façon, à présent que la résolution n'en était plus très loin, elle commençait à abandonner l'idée de comprendre cette énigme toute seule. Il lui fallait au moins l'aide d'un panneaux indicateur. Et, comme elle s'en approchait peu à peu, elle savait à présent qu'elle n'avait pas besoin de s'escrimer dans le vide. C'est inutile, constata-elle.  Et comme ça l'était, son esprit se détourna peu à peu de l'homme, cherchant à se concentrer sur quelque chose d'autre. Sauf qu'elle ne parvenait pas à penser à ce vieux croquis, qui traînait dans son carnet depuis quelques semaines, et qu'il lui faudrait bien achever un jour. Pas plus qu'elle ne réussissait à se rappeler où elle en était rendue sur son dernier travail – une horloge que son grand-père lui avait demandé de réparer, ce qui était incroyablement difficile et passionnant . Il lui vint à l'esprit qu'elle passait un examen le lendemain, tiens, c'était vrai, mais déjà elle l'oubliait. Oui, rien ne pouvait plus retenir son attention, rien ne pouvait plus la distraire.

 Lucas . A nouveaux elle sentait la peur sortir, insidieusement, de sa cachette. La cruelle s'ingéniait à la questionner, encore et encore. Où es-t-il ? Je ne sais pas. Que fait-il ? Je ne sais pas. Et... vit-il ? Je ne sais pas. Je ne sais pas ! Et alors, la peur répondait elle même aux questions, elle inventait des histoires atroces et terrifiantes, des idées qui faisait sentir un tel malaise à la jeune fille qu'elle n'avait qu'une envie, tant cette sensation était forte : disparaître.

 Elle se mordit les lèvres. Non. Elle ne voulait pas penser à tout ça. En cet instant elle aurait fait tout, n'importe quoi, pour échapper à cette horrible impression qui la tenaillait. Et pourtant, elle aurait pu la laisser de côté, puisqu'il y avait ce mystère bien vivant tout près d'elle, cet être si étrange qu'il suscitait sans cesse de nouveaux questionnements. Sauf qu'à présent, ça ne marchait plus. Il ne servait à rien de s'interroger pour l'instant, alors que les réponses étaient si proches, et d'ailleurs, sans aucun doute, cette énigme serait résolue dans peu de temps. Mais elle ne le voulait plus vraiment, parce qu'alors, que pourrait-elle faire pour s'enfuir ? Rien. Elle eut presque envie, pendant une seconde, de s'arrêter, d'arrêter tout, et de pouvoir continuer à s'interroger encore et encore, mais c'était peine perdue, son esprit savait à présent qu'elle pouvait mettre un terme à ses recherches, il ne s'y intéresserait plus, il savait que c'était inutile. Il n'y avait rien d'autre à faire que continuer à marcher, suivre ce chemin qui disparaissait peu à peu, sa terre molle supplantée par le goudron qui le grignotait avec voracité. Ses yeux cessèrent de s'accrocher désespérément aux contours de la forêt qui s'effaçaient dans la nuit, son nez de respirer les parfums fades qu'exhalaient les plantes endormies, sa chair de sentir le contact d'un vent léger qui s'effaçait peu à peu. Elle laissa tout son être sombrer, doucement, dans le flot rapide et froid de sa terreur qui l'enveloppait tant et si bien qu'elle ne percevait plus rien d'autre que sa fureur languissante.

 Cependant, un contact la fit sursauter. Là, sur son bras ! Elle stoppa net, se tourna instinctivement vers l'origine de cette chaleur inattendue sur sa peau : c'était la main d'Istvan. Quoi donc ? Comme pour répondre à sa question muette, il se mit à parler, dans un français étonnamment bon. Mais ce qui la surprit, ce fut le sens de ce qu'il disait. Il semblait avoir peur de ce bruit sourd qui décroissait, et qu'elle reconnaissait parfaitement comme celui d'un moteur en marche. Sauf que ça n'avait aucun sens. Pourquoi un pauvre véhicule qui suivait bien tranquillement la route qui lui avait été échue aurait-il été dangereux ? Pourquoi son ronronnement aurait-il été bizarre ? Pourquoi...Pourquoi ne reconnaissait-il pas ce bruit ? Elle se demanda ce qu'il lui arrivait, hésita presque à répondre :

_ Euh...Mais c'est simplement...une voiture...

 Ses pensées déjà s'emballaient. Ce bruit était reconnaissable entre mille. On ne pouvait pas ne pas le reconnaître. Bon, peut-être qu'il blaguait. Mais, à moins d'être très bon acteur, sa voix portait si réellement les accents de l'étonnement qu'elle en doutait.Et puis, il fallait vraiment avoir un humour pourri, pour faire une blague à un moment pareil. Oui. Tout était vrai. Il ignorait ce qu'étaient les voitures.

 Normal, pour un type qui ne voyage qu'à cheval.

 Sauf que...Non ! Ce n'était pas normal ! Elle n'avait pas encore réellement cru qu'il ne connaissait pas les voitures, quoique son esprit en ait conclu. Ce n'était pas certain. Quelque part, au fond d'elle même, elle s'était dit qu'il existait une explication logique à tout cela. Peut-être qu'il était si mauvais menteur qu'il avait balancé la première idée qui lui était passé par la tête, et que, du fait du doctorat d'histoire qu'il préparait, c'était à cette étrange guerre qu'il avait pensé, d'ailleurs, il aimait tellement l'histoire qu'il s'habillait comme sa période préférée, et puis, et puis...C'était bizarre, c'était tordu c'était un enchaînement de hasard incroyables, c'était possible. Sauf que maintenant, plus du tout. Car il ignorait vraiment ce que c'était qu'une voiture. C'était l'explication la plus probable pour son comportement, et cette dernière information venait de la transformer en seule explication possible tout court.

 Cependant, pendant ce temps, l'homme s'était avancé vers la route qui venait terminer la forêt. A présent, il ne bougeait plus, et comme elle le regardait de l'endroit où ses paroles l'avaient arrêtée, s'étant figée tant sa réflexion l'obnubilait, il se retourna, et parla.

 Elle remarqua distraitement qu'il faisait allusion à un François Joseph dont le nom lui rappelait irrésistiblement celui de « Franz Joseph », sans qu'elle ne puisse dire pourquoi, ni ne comprenne son possible rapport avec la construction de la route. Elle entendit également le front italien qui revenait, confirmant qu'il parlait bien d'une guerre italienne...qui n'existait pas. Mais ce qui attira son attention, ce fût la façon dont il décrivit la route...comme s'il ne comprenait pas en quoi elle était faite. Comme s'il ne savait pas ce que c'était.

 Un instant, elle le regarda, bouche bée. Elle n'avait aucune idée. Rien . Ce n'était tout simplement pas possible. Sauf que ça avait lieu. Alors quoi ? Elle avait tout exploré de sûr, de certain, de vrai. Tout. La folie ? Trop libre ; quelqu'un l'aurait arrêté, vu, forcément, s'il avait parcouru le trajet entre un hôpital et cette forêt; et elle savait qu'il n'était pas d'ici. L'alcool ? Pas assez rouge, pas assez traînant. L'enlèvement d'un type normal, lâché là ? Pas assez de connaissance sur des choses aussi simple que la voiture ou le téléphone pour qu'il soit un type normal. La blague ? Pas assez de gens , trop d'arbres. Alors, qu'est ce qu'il restait ? Conan Doyle aurait répondu : l'impossible. Enfin, il l'aurait fait en anglais.

 Et c'était bien l'impossible qui restait finalement, parce que ce n'était pas possible, ça, non, qu'un visage puisse refléter autant de peur que ne le faisait le sien, à la vue d'une route. Une route? Oui, il avait peur de cette route, parce qu'il ne la connaissait pas. Oui, et il ne connaissait rien non plus des smartphones, des frontières, des voitures. Donc...Il n'avait pas été à leur contact. Mais...Comment ? Elle se rappelait une drôle d'histoire, celle d'une personne dont la mémoire n’excédait pas 24 heures, mais non, elle ne recommençait pas de zéro pour autant, revenant toujours à un moment précis de sa vie...Et l'homme avait plus de mémoire qu'un bébé d'une journée de toute façon. Non, non, non. C'était autre chose...

- Attendez …

 Elle s'avança vers l'homme. Il fallait qu'elle soit sûre. Elle regarda ce qui l'avait tant ému, avec attention. Oui. Elle ne vit que la ligne de goudron qui se déroulait au loin. Rien d'autre qui puisse ressembler à ce « long ruban noir » qui avait tant dût l'effrayer. Elle ne savait pas quoi faire. Elle était complètement perdue. Que faire lorsque l'on est perdu ? Il faut demander de l'aide. C'est donc pourquoi elle demanda, sans hésiter :

- Vous n'avez vraiment pas reconnu...La route ?

 Elle ressortit son portable, tapa à la va-vite :

- Une route , lâcha la voix métallique. Vous comprenez ? Ajouta-t-elle.  C'est cette chose (elle l'indiqua d'un geste) en goudron, je crois. Et je ne sais pas si ça à un rapport avec un François Joseph, je ne connais pas les noms d'architectes. Je ne pense pas que ça ait été construit pendant votre front, vu votre âge.

 Et aussi vu le fait que ce front n'était pas censé exister. Mais bon.

- Hm...Et c'est là que passent les voitures...

 Enfin...Il ne savait pas ce qu'étaient les voitures. Bon sang . Son esprit s'emballa. Mais alors, cela voulait dire que là d'où il venait...Avant... Oui, quelque part où tout était resté bloqué auparavant, dans une sorte de passé où manquaient tout un tas de choses, et qui ne touchait pas au vrai monde extérieur. Le voyage... Oui, il avait voyagé, il en avait parlé, c'était pour lui une évidence que de voyager à cheval. On avait pu mentir sur les pays qu'il avait cru traverser. Mais il a donc fallu du terrain... Du terrain, oui, pas de doute, car il ne croyait pas être en France en sortant d'Autriche ; il fallait de la distance. Mais comment trouver suffisamment de terrain pour lui donner l'illusion de grands voyages tout en lui cachant la vérité, à lui, et au reste du monde ? Et, des gens... Oui, il avait d'ailleurs parlé de soldats, il n'était pas seul dans ce monde-là...Il y en avait d'autres...Tout ces gens, tout ça...Secret ? Vraiment ?

 Cependant qu'elle réfléchissait, elle s'était dépêchée de taper la suite. S'il ne comprenait pas ce que tout cela était, il fallait au moins que les explications soient dans sa langue. Et il lui avait semblé qu'il lui en fallait.

- Les voitures, ce sont les véhicules à moteur, comme ceux que vous avez entendu, à l'instant. Vous n'avez vraiment pas reconnu ce son ?

 Elle fronça les sourcils. Elle venait de se souvenir qu'il la prenait pour une folle. Il fallait que ça cesse, tout de suite. Sinon, il ne l'écouterait peut-être pas, quoiqu'il soit secoué par ce qu'il venait de voir. Elle montra de la main un panneaux de plastique blanc sur lequel la lune se reflétait, et où il était écrit : « Bois privé – interdiction de couper les arbres sans autorisation »

- Ce panneaux, vous le voyez ? C'est écrit en français...car nous sommes en France...

 Elle pensa qu'elle devait peut être se taire pour lui laisser le temps d'avaler la pilule, mais elle n'en pouvait plus de ne pas savoir. Parce que peu à peu, il lui devint presque évident qu'il était impossible que tout cela se soit déroulé ici. Dans le monde. Non. Il vient d'ailleurs.

- … Et nous sommes aussi à l'époque où les téléphones portables, les voitures, les frontières et les routes existent depuis longtemps...Alors comment pouvez-vous ne pas être au courant? On est en 2014, quand même ! D'où vous venez, à la fin ?
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Message  Le Dévoreur de temps Lun 28 Juil - 20:19

La jeune fille avait presque sursauté lorsqu'il avait posé la main sur son bras mais Istvan n'avait rien vu, tant il était absorbé par l'énigme qu'il avait sous les yeux. Les mystères architecturaux jalonnaient l'Histoire, en première ligne les pyramides d'Egypte qui susciteraient un engouement croissant suite  la fameuse phrase de Napoléon. Istvan était songeur devant le ruban d'asphalte et c'était lui, pour le moment, qui le contemplait et non l'inverse. Il revint vers Ludmilla et lui prit les mains pour la rassurer.

- Vous avez raison ! Suis-je sot ! Il ne s'agit que d'une « voiture ». Il n'y a aucun risque à s'en approcher, n'est-ce pas ? Mais, dites-moi ? Où est cachée la chaudière qui produit la vapeur pour la faire avancer ? Elle n'est pas très grosse …

Il lâcha les mains de la jeune fille qui continuait ses explications et l'interrompit en secouant la tête.

- Je sais ce qu'est une route...  Des véhicules à moteur ?  Je m'en doutais oui, mais comme je vous le demandais: où ont-ils mis la chaudière ?  Il y a plus étrange... Vous avez vu... je parle et je comprends le français à présent … Comment est ce possible ? Je n'ai plus besoin d'avoir recours à votre … « traducteur »

Il se tourna pour voir ce qu'elle lui désignait de la main et lut à voix haute avec son accent « boa prifay, inntairdiktyon deu coupay lay zarbreu sanzo torissazion ».

- Ce n'est pas de l'autrichien en effet. Mais peut-être le propriétaire des lieux est-il un de vos compatriotes ? Mais pourquoi avertirait-il des voleurs de bois autrichiens en français ?

Istvan, esprit pragmatique par devoir mais finalement assez romanesque en vérité, peinait à trouver une explication logique mais satisfaisante pour l'intérêt de la situation. Il faisait les cent pas sous le panneau qui le narguait de son éclatante blancheur.

- Je sais ! S'exclama-t-il en se frappant le front du plat de la main. Il avertit tout simplement les troupes françaises que son bois n'est pas pour eux. C'est un homme prévoyant qui sait très bien que Napoléon risque de repasser par là en se repliant du front d'est. Imaginez ces pauvres soldats, qui ont dû avoir si froid et vont être tentés de se réchauffer autour de bonnes flambées. Il aura voulu les avertir que ce bois n'était pas à disposition sans permission.

Sitôt qu'il énonçait le fil de sa pensée, il prenait conscience de l'inanité de ses propos. L'horreur de la situation lui apparut alors. Il était bel et bien fou et halluciné, drogué peut-être par cette fille, comme Ludwik l'avait été par une de ses maîtresses qui lui avait fait prendre de l'opium dans un breuvage. Non, ce ne pouvait pas venir d'elle car depuis qu'il l'avait rencontrée, il n'avait rien absorbé. Et si l'hallucinogène était dans son parfum. Il lui tourna autour en la humant avec méfiance. Mais surtout, pourquoi, oui pourquoi parlait-il si bien français à présent ? Seule une hallucination pouvait lui laisser croire qu'il avait appris une langue en si peu de temps. Il s'adossa contre un arbre, ferma les yeux et se passa une main sur le visage avant de murmurer en Hongrois :

- Megőrülök ...A lány igazat mondott. Én vagyok az őrült!

Mais Ludmilla tout comme les oiseaux, les arbres, le cheval (tiens on l'avait oublié, lui) et tout ce qui se trouvait alentour entendit :

- Je suis en train de devenir fou... Cette fille a raison, c'est moi le fou !

Le cheval, tout comme la jeune fille semblait ennuyé de voir le jeune homme dans un tel état. L'un comme l'autre se rapprochèrent prudemment du jeune colonel qui portait tout de même un sabre …

Au loin, sur la route, un autre bruit de moteur se fit entendre, se rapprochant dangereusement. Istvan restait sans réaction contre son tronc d'arbre. Tant et si bien que la voiture arriva bientôt à leur hauteur, ralentit pour s'arrêter finalement totalement. Ludmilla ne semblait pas plus surprise que cela. Istvan osa une question.

- Taxi, ce n'est pas en français ça … C'est hongrois ! C'est hongrois !


Et il se mit à sauter sur place car taxi en hongrois désignait comme partout en Europe à son époque le petit compteur destiné à mesurer la distance parcourue par les fiacres. Le mot était inscrit sur un petit panneau sur le toit du « véhicule » . Donc ce véhicule devait être un fiacre dans cet endroit insolite où il se trouvait. D'ailleurs, ils n'avaient pas croisé les soldats dont la fille avait parlé. C'était un piège, un piège … Un complot mais de qui et pourquoi... Et pourquoi comprenait-il et parlait-il à présent aussi bien le français ? Oui, pourquoi ?
Un homme descendit du taxi après avoir payé la course. Grand, enveloppé d'un long manteau sombre, les cheveux blancs comme neige, il s'avança vers Ludmilla.  De près , à la lumière diaphane de la lune, il se révéla  bien plus jeune qu'elle n'aurait pu le croire de loin. Il lui adressa ce sourire chaleureux qui le caractérisait, plongea son regard d'orage dans celui de la jeune fille, comme s'il cherchait à sonder le tréfonds de son âme et lui dit d'une voix douce à l'accent étrange.

- Bonsoir Ludmilla, vous m'avez appelé...


Puis se penchant pour considérer l'agité qui sautait le long de son arbre derrière la jeune fille, il ajouta :

- Lui aussi m'avait appelé et comme j'ai encore du mal avec l'ubiquité, que je n'avais personne de disponible à vous envoyer, je n'ai pas eu d'autre choix que de vous regrouper. J'ai préféré le transférer lui, dans votre époque, car elle me semblait plus sûre que la sienne aurait pu l'être pour vous. Malheureusement, on dirait qu'il est en train de sombrer.

Il contourna la jeune fille sans s'attarder à considérer la mine que sa déclaration avait suscité sur le visage juvénile :

- Veuillez m'excuser, je dois m'occuper de votre compagnon avant qu'il ne glisse dans le délire total. Le mal des transports, vous savez ce que c'est... Soyez tranquille, je vais tout vous expliquer ensuite...

Il s'approcha d'Istvan et le fixa d'un air ennuyé.

- Je suis désolé mon colonel. Il faut vous calmer. Je peux tout vous expliquer...

Le Hongrois semblait complètement désorienté et s'efforçait en vain de se raccrocher à quelque chose de tangible...

-M'expliquer quoi ? Et tout d'abord qui êtes-vous ? Comment savez-vous que je suis Colonel ?

- J'aurai pu le deviner à votre uniforme, si j'étais originaire de la même époque que vous, mais tout simplement parce que vous m'avez appelé...

- Moi ? Je vous ai appelé ?

La perplexité se peignait à présent sur le visage naguère sérieux  et sûr de lui.

- N'avez-vous pas clairement souhaité disparaître de cette folie et rejoindre votre frère Ludwik ? N'avez-vous pas émis le souhait d'être n'importe où ailleurs qu'ici, c'est à dire engagé dans une guerre dont vous ne comprenez plus le sens ?

- Si fait, mais … Vous connaissez Ludwik ?

- Me voilà donc... Mais cette jeune fille était encore plus en détresse que vous, aussi me fallait-il agir d'abord ici en priorité. J'ai donc tenté une première un peu risqué parce que vous me sembliez être un homme d'une trempe exceptionnelle et apte à supporter l'inexplicable ? Me suis-je trompé Colonel Cseszneky ? Tenta Stanzas pour apaiser les angoisses du jeune cavalier.

-Je ne sais pas ! Je ne sais plus ! Mais pourquoi dit-elle que nous sommes en France, pourquoi parlé-je français comme si c'était ma langue natale ?

- Parce que je traduis en simultané par ma simple présence ici. J'abolis les frontières, le temps et les langues... Cela répond-il à votre question ?

Istvan scruta longuement l'inconnu qui se tenait devant lui et gronda l'air menaçant

- Pas le moins du monde. Des foutaises que tout cela... Vous êtes un agent français, vous m'avez drogué, la fille est votre complice, vos hommes vont attaquer Vienne sous peu... Je vous ai percé à jour.

L'homme recula et prévint d'une voix toujours égale.

- Vous vous leurrez Istvan. Je suis venu vous aider et l'aider elle aussi ...Ne me touchez pas, ne vous approchez surtout pas !

L'homme à la chevelure de neige revint vers Ludmilla et lui sourit d'un air qui se voulait rassurant.

- Il est en train de craquer... Syndrome post traumatique, ça ne date pas d'hier, si vous voulez mon avis, pauvre gosse...  Je vais vous demander quelque chose qui va vous paraître insensé. Considérez cela comme le premier test d'une épreuve qui vous permettra, si vous la surmontez , d'avoir les réponses à vos questions actuelles... Je ne peux pas le faire moi-même sous peine de l'entraîner dans une mort affreuse,  mais vous, vous pouvez l'aider. Je vous sais capable d'assez de détermination... Imaginez, je ne sais pas … Qu'il vous a insultée, ou … mieux, qu'il a cherché à vous embrasser et …euh, bon d'accord... Imaginez qu'il vous a traité de faible petite femme …  Et tirez lui un marron de façon à le mettre groggy. Vous pouvez en ajouter d'autres s'il le faut. En général un uppercut bien remontant suffit... Et euh , au fait … On m'appelle le Dévoreur de temps...
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Empreinte : L'histoire de Vladimir Stanzas ou comment on devient le Dévoreur de Temps
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Le Dévoreur de temps
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Ludmilla Whayne Empty Re: Ludmilla Whayne

Message  Invité Jeu 31 Juil - 17:48

Elle avait commis une erreur.

 Elle ne le comprit pas tout de suite. Son esprit s'était focalisé sur les paroles de l'homme. La façon dont il parlait de la voiture, qu'il s'obstinait à vouloir doter d'une chaudière, avait bien confirmé qu'il ignorait ce que c'était. Ou plutôt, qu'il ne le savait pas encore. Son grand-père lui avait raconté, pendant un de ces moments où ils travaillaient encore tous deux à l'atelier, comment les voitures avaient évolué.Il y avait eu un premier véhicule doté d'une machine à vapeur ressemblant à une marmite, vers, oh, elle ne savait plus très bien, disons 1770, et ses petits frères avaient suivi son exemple jusqu'à quelque chose comme 1880. Ce souvenir avait scellé ses doutes. Ce type venait à coup sûr d'un espèce d'endroit plongé dans le passé. Un passé qu'elle pouvait commencer à situer.

 Mais avant qu'elle n'ait eût le temps de s'intéresser à l'hypothèse de l'existence d'une autre dimension, Istvan lui avait rappelé l'existence de son français parfait. Elle n'avait pas décidé de s'y attarder. Par comparaison avec tant d'étrangetés, parler le français d'un seul coup, c'était minable. Elle s'était dit, dans un coin de sa tête, que peut-être, l'homme maîtrisait comme par hasard ces mots là dans une langue admirable. Mais comme lui-même s'en étonnait, cette explication s'effondrait, et de ses décombres s'élevait une toute nouvelle question : pourquoi diable cet homme était-il devenu un parfait polyglotte ?

 Question qui était devenue très étrange lorsqu'il avait lu le panneaux qu'elle lui avait montré pour étayer ses propos. Sa prononciation n'avait plus rien de celle, parfaitement française, qu'elle avait entendu de sa bouche. On aurait presque dit qu'il s'agissait des paroles de deux personnes différentes. Julie n'aurait pas manqué de s'exclamer « trop mignon ! », chose qu'elle faisait invariablement quand un (bel) étranger écorchait maladroitement le français . Ludmilla secoua mentalement la tête. Non, ce n'était pas mignon, juste complètement dingue.

 Puis il se mit en devoir d'expliquer rationnellement pour lui les éléments de sa propre argumentation. Bref, il  ne voulait pas la croire. Elle grimaça ; c'est vrai que, pour prouver un long voyage, elle aurait pu trouver mieux qu'un simple panneaux. Mais comme elle réfléchissait à cela, il lâcha le nom de Napoléon qui la plongea dans un tout nouveau problème. Napoléon ! Ça y est, elle savait ! Napoléon ! Alors ça ! Et dire que ce type était son programme de première, et qu'elle ne l'avait même pas reconnu ! Ça remontait à loin, mais...Napoléon avait cédé la place à Louis XVIII...En 1815. Voilà. Waterloo, exil, et puis le retour, et puis re-départ... Ça, elle en était sûre, elle l'avait appris par cœur. Donc...Il se pensait avant 1815 ! Et toutes ces guerres...Cela lui rappelait de vagues souvenirs. Et François Joseph ! Bien sûr, ce bon vieux François, dont elle avait surligné le nom une bonne dizaine de fois dans ses cours ! C'était fou, cet homme disait venir d'un moment passé depuis longtemps, et c'était peut-être vrai, mais comme elle avançait, elle jubilait! Elle avait presque envie d'éclater de rire, et ce furent des yeux brillants qu'elle releva vers Istvan.

 C'est là qu'elle se rendit compte de son erreur. Elle avait négligé les effets de ses révélations. Elle avait cru qu'elle pouvait laisser libre court à sa curiosité. Elle avait oublié que l'être en face d'elle risquait de ne pas vouloir se prêter à ce petit jeu. Pire ; qu'il risquait d'en pâtir. Mais, elle n'y avait pas fait attention, pas plus que si ça avait été à sa réaction qu'elle avait dû faire face. Bien sûr, si jamais elle avait voyagé des kilomètres, enfin traversé des dimensions, si elle s'était retrouvée coincée dans le monde de cet homme, elle aurait eût un choc. Sa voix aurait gagné quelques octaves, ses membres des tremblements, et son cerveaux une légère surexcitation. Elle aurait rapidement craint le pire ; la folie. Mais elle l'avait craint. Et elle avait réussi à se relever. Parce qu'elle avait eu des raisons de ne pas y croire, l'habitude de renfermer les peurs bien loin, là où elles ne pourraient pas la gêner, et surtout, elle était toujours chez elle. Elle avait naïvement pressentit comme une certitude que cela ne pouvait qu'être la norme. Elle n'avait pensé qu'à, que come elle. C'est pourquoi elle n'avait pas vraiment réfléchit aux dégâts que ses paroles auraient pu causer.

 Mais ça ne les avaient pas empêchés de venir.L'homme agissait bizarrement. Il marchait autour d'elle, préoccupé, respirant bruyamment. Elle devina sans peine ce qui devait s'agiter dans sa tête. Une explication logique qui expliquerait la vérité de tout cela. Oui, il cherchait à comprendre, quitte à agir d'une façon étrange. Sauf qu'elle savait qu'il n'y avait pas ce genre d'explication par ici. Et il devait en être arrivé à la même conclusion, puisqu'il se laissa aller contre un arbre, et murmura la folie qu'il pressentait en lui.

 Quelques temps plus tôt, la jeune fille aurait sans nul doute appuyé ses propos. Maintenant qu'elle savait pourquoi il doutait, elle pouvait lui répondre que ça n'avait que pas (beaucoup) de chance d'être vrai. Mais si l'homme se croyait fou, et ne voir que des hallucinations, il ne la croirait pas plus que quand il la croyait elle, folle. Elle ne savait pas quoi faire. Quelle imbécile! Comment avait-elle pu abandonner toute prudence ? Cet état n'était pas anodin, et pouvait même se révéler dangereux, si l'homme croyait un peu trop qu'il était fou, et tentait de se prouver le contraire en risquant sa vie. Elle aurait pu y aller doucement, et alors, peut-être...

 Non, ça ne sert à rien de regretter. Cette conclusion l'amena à se ressaisir, et à s'approcher, prudemment, de l'homme. Elle ne savait pas trop comment il allait réagir, s'il se croyait fou. La découper en morceaux, histoire de vérifier si elle était bien réelle ? Cette idée l'attirait moyennement, mais elle n'avait rien d'autre à faire que se rapprocher de lui. Parler de loin serait vraiment trop étrange pour ne pas l'amener à se dire que quelque chose ne tournait pas rond, et que cette chose était lui. Et pas question de fuir. C'était de sa faute si l'homme était dans cet état, de sa faute s'il semblait que cet arbre était le seul soutien qui l'empêchait de glisser sur le sol comme une poupée disloquée, de sa faute si la seule chose qui tremblait sur son visage était sa mâchoire qui tressautait à intervalle régulier, agitée d'un tic qui lui seul indiquait quelque chose de vivant sur ce corps amorphe.

 Cependant, comme elle s'avançait doucement, agitée d'idées diverses sur la conduite à tenir, un ronronnement lointain ébranla le silence. Elle se figea, détachant lentement son regard d'Istvan, le portant vers la bande de goudron noir qui luisait sous l'éclat lunaire. Alors que ce véhicule allait sans le moindre doute passer sans s'arrêter sur cette route de campagne ;et leur seul lien serait assurément que son conducteur rirait peut-être un peu en apercevant au passage, éclairés par l'astre, cette fille et ce cheval se diriger précautionneusement vers une forme mystérieuse dissimulée dans l'ombre d'un arbre .

 Sauf que le bruit enfla de plus en plus, sans s'arrêter, et qu'il ne diminua que lorsque le véhicule qui en était à l'origine s’arrêtât au bord de la route, près d'eux. Le cheval compléta rapidement ce brusque déluge de sons par un léger hennissement, assortit d'un mouvement de recul méfiant. Peut être n'aimait il guère voir une voiture oser bruire si près de lui, à moins que ce ne soit le manque d'habitude de voir des taxis. Car c'était bien un taxi qui venait de s'arrêter là, un événement suffisamment rare pour que, s'il avait eût lieu en pleine journée, l'on en eût sans aucun doute reparlé dans tout le village pendant au moins une semaine entière.  

 Mais Ludmilla était bien loin d'éprouver beaucoup de curiosité pour cela, et c'est simplement avec l'impression d'être en plein rêve, sans doute à cause de la lumière de la lune qui donnait à tout ce qui l'entourait un éclat au moins aussi surréaliste qu'Istvan, qu'elle entendit la voix de ce dernier. Elle se tourna vivement vers lui, soulagée qu'il soit sortit de son état d'apathie. Mais l'idée d'avoir retrouvé  un semblant de hongrois avait apparemment plongé l'homme dans quelque chose de presque pire. Maintenant, il sautait sur place, une expression hésitante sur la figure, comme si son visage ne savait-il plus très bien que choisir entre la joie et la peur. Elle le regarda, effrayée. Parce que ; que faire ?

- Attendez ! Vous vous trompez ! Ce n'est pas hongrois, enfin, nous ne sommes pas en Hongrie, si c'est ce que vous croyez... s'exclama-t-elle, en désespoir de cause.

 Elle se rappela le taxi, qui venait de s'arrêter, d'ailleurs, pour quelle raison, mais peu importait, il fallait demander de l'aide...Elle se tourna à nouveaux. Et se retrouva face à...l'homme au manteaux !

 Non, non, bien évidemment, ce n'était pas, lui, expliquèrent ses yeux. A bien y regarder, à part le manteaux, et la couleur des cheveux, il n'y avait rien de semblable entre ce vieux souvenir, et le nouvel arrivant, qui s'avançait vers elle. Si elle y avait cru, ce devait être à cause de la lumière de la lune, et ce pauvre Istvan qui continuait, lentement, mais sûrement, de perdre les pédales derrière elle.

 Cependant, ignorant ces réflexions intérieures, l'inconnu était arrivé à sa hauteur. Là, il la regarda, souriant. Interdite, sans savoir comment réagir, elle se contenta de remarquer l'évidente jeunesse des traits du visage par rapport  aux cheveux blancs qui l'encadraient.  Et de se rendre compte que cet étranger était, avec son taxi qui l'amenait là, dans ce coin perdu, et son assurance qui signalait que c'était voulu, une bizarrerie de plus. Elle commençait à en avoir une assez conséquente collection.

 Les paroles qui sortirent de cette bouche allaient sans aucun doute en augmenter les proportions. Comment connaissait-t-il son prénom ? Et puis, qu'était-ce que ce « vous m'avez appelé » ? Elle n'avait pas le souvenir d'avoir passé un quelconque coup de fil, enfin, il arrivait que son téléphone décide d'appeler quelqu'un quand même, fichu clavier tactile. Mais le clavier n'était pas en cause, comme le lui rappela l'écran endormi qui reposait dans sa main, et de toute façon elle ne connaissait pas l'étrange individu, à qui elle n'arriva pas à adresser une parole, tant elle ne savait que dire face à ce charabia.

 Et il n'en avait visiblement pas finit avec les étrangetés, que presque chacun des mots qui suivi semblait porter. Vous envoyer ? Quoi ? Transférer ? Pardon ? Votre époque ?Vous avez bu ? Car, à n'en pas douter, l'homme, avec ses envois, ses transferts, et ses changements d'époque, parlait de...de voyage dans le temps.

 L'inconnu s'attarda cependant sur l'état d'Istvan, ce qui la tira hors de ses considérations métaphysiques. Elle se mordit la lèvre inférieure avec nervosité. Le problème était qu'elle ne trouvait justement pas de solution au problème, et puis, l'autre l'embrouillait avec toutes ces nouvelles informations. Mais apparemment, son assurance existait jusque dans ce territoire qu'elle ignorait, puisqu'il proposait d'aider le soldat lui-même. Elle haussa distraitement les épaules, approuvant. La meilleure chose à faire était donc de surveiller le comportement de l'inconnu, qui s'approchait à présent d'Istvan. Elle lui devait bien ça, s'assurer que ce type n'était pas un fou sortit de nulle part , quoique son ton confiant promette tout le contraire. En vérité, les paroles de cette personne, qui lui auraient avant parues nées d'une blague, d'un problème nerveux ou d'une dizaine de verres de trop et autres substances du même acabit , collaient à présent un peu trop bien avec la situation actuelle pour qu'elle les attribuent à tout cela.

 Elle regarda ce nouvel être fascinant entreprendre de discuter avec Istvan, et entendait ce qu'ils se disaient, mais pensait à tout autre chose. Voyager dans le temps ! Oui, ça collait. Ça collait avec tout ! Il n'y avait pas d'autre mondes mystérieux, enfin, pas de prouvés. Le colonel se croyait dans un autre temps parce qu'il en venait. Il venait du passé ! Mais bien sûr ! Tu te crois dans un film, pauvre imbécile ? Mais Einstein, le temps qui change selon le référentiel, et l'exemple des jumeaux? Non, non, je ne dois pas commencer à croire à ça, ce type n'a même pas dit clairement qu'il voyageait dans le temps. . Sauf qu'il venait juste de dire à Istvan qu'il aurait reconnu ses vêtements s'il avait été dans son époque. Son époque. Et sauf que l'autre alternative, celle d'un voyage entre les dimensions, était au moins aussi folle. Et ça fonctionnait si parfaitement qu'elle ne savait pas comment empêcher l'idée de s'introduire dans son esprit et de perturber toutes ses réflexions.

 Le problème, c'est que la voix paisible de l'inconnu semblait tout à fait décidée à poursuivre dans cette direction. Elle énonça en effet qu’apparemment, c'était un souhait du soldat qui comptait comme appel. Un souhait ? Cet homme était il un génie, qui sortait d'un taxi dès lors que résonnaient les souhaits ?

 Et cette même voix enchaînait les énigmes, expliquant que ce français parfait qui s'était établit l'était par un abolissement de l'espace-temps qu'il aurait lui-même provoqué. Cet homme était donc un traducteur vivant,et un espèce de perturbateur des lois de la physique qu'elle connaissait, en plus d'être un génie potentiel. Bien. Ce n'était pas une explication pire qu'une autre, et elle ne la trouvait pas impossible – sauf pour le coup du génie. Déjà, elle ne doutait pas un instant qu'il perturbe les langues ; ainsi, elle était incapable de parler depuis qu'il était arrivé, tant il la bombardait de choses incroyables. Et puis, après tout, au point où elle en était maintenant, elle aurait pu croire à peu près n'importe quelle explication, pourvu qu'elle soit cohérente. Enfin, tant qu'elle est prouvée, évidemment.

 Mais, face à elle, la discussion s'envenimait. Istvan n'était visiblement pas convaincu par les paroles de l'inconnu, ou alors, tout simplement, il refusait de s'y laisser prendre. Toujours est il que le ton de sa voix, lorsqu'il annonça ce qu'il croyait, enfin, ce qu'il voulait être vrai, ne laissait nulle place à l'équivoque. L'autre prit d'ailleurs le soin de s'éloigner, prévenant qu'il ne fallait ni le toucher, ni l'approcher. Et sinon? Mais il y avait autre raison de s'interroger. Il disait être venu pour les aider. Les aider ? Était-t-il vraiment un génie, venu exaucer les vœux, chose qu'il faisait à chaque appel à l'aide ? Non, elle n'y croyait pas une seconde, c'était beaucoup trop farfelu, il y avait tant d'appel à l'aide, et il avait dit lui-même qu'il ne pouvait pas se dédoubler, de toute façon. Mais alors, qui ?

 L'homme était revenu la voir, et lui expliquait, toujours souriant – pourquoi ? - que le soldat devait souffrir d'un syndrome post-traumatique. Elle fronça les sourcils quand il parla de « faible petite femme », non pas tant à cause de l'insulte, que parce qu'il savait que c'était une insulte, chose bien peu évidente aux yeux de trop de monde autour d'elle. Hasard ? Ou bien...Après tout, il connaissait son nom. Elle décida de ranger l'information dans un coin de sa tête, pour plus tard. Le plus urgent n'était pas là. Apparemment, cette exhortation étrange à imaginer des humiliations n'était là que pour échauffer une colère dont le coup terminerait la causalité, et que l'inconnu ne pouvait lui même donner sous peine de mort. Son contact tue ? Mais en quoi il est fait, bon sang? Et ce coup était censé ramener Istvan à meilleur état. Pourquoi pas ? Elle ne s'y connaissait pas vraiment, en truc post-traumatique. Enfin, pas plus que ce que son père lui en avait déjà raconté de ces patients qu'il croisait parfois, le regard vide, le corps tremblant, plus effondrés qu'assis sur les chaises en plastique orange des salles d'attentes. Mais ce n'était pas la même chose, elle devait se tromper. Et puis, si c'était le cas, il aurait fallu des médicaments, de l'hypnose, de la patience. Elle n'avait pas tout ça sous la main. Et, l'homme aux cheveux blancs prononça ce nom. Le Dévoreur de temps... Ce n'était qu'un nom, mais cela suffisait. Le temps.. Elle ouvrit la bouche :

- V-vous êtes....Enfin...Non... Vous avez raison.

 Non, ce n'était pas l'heure de parler. D'ailleurs, sa voix tremblante semblait l'indiquer. Elle même, la première euphorie évanouie, commençait à sentir un début de panique l'envahir. Voyager. Dans. Le. Temps ! Mais rien qu'elle ne pouvait pas gérer. Elle regarda l'inconnu, intensément. Deux options. Lui faire confiance. Ou le frapper, lui, avant qu'il ne s'en rende compte, puis appeler la police et les secours pour annoncer la présence de deux fous dans les bois, et que tout se termine. Mais cet homme n'avait pas l'air de n'importe quel fou. Il la connaissait, il connaissait Istvan, et il savait ce qu'il se passait ici, les lois de la physique et du langage s'éteignaient autour de lui, et elle avait bien trop d'élément qui le prouvaient pour refuser l'idée qu'il soit bien à l'origine de cette incroyable apparition, et de tant d'autres choses. Elle se retourna. Derrière elle, Istvan les regardaient, l'air égaré. Si elle appelait qui que ce soit, elle ne savait pas s'ils arriveraient à temps pour trouver l'homme en bon état mental, ou en bon état tout court. Et s'il décidait du pire, et s'il s'enfuyait et avait un accident ? Et ce « Dévoreur »  ne pouvait pas l'aider. Elle était seule. Et prit sa décision. Ce n'est définitivement pas ce Dévoreur qui importe. On verra plus tard. Oui, il y avait plus urgent. Elle respira profondément. Il fallait qu'elle se concentre. Elle n'avait pas le droit à l'erreur. Elle devait oublier tout ce qui lui était inutile.

- Je m'en occupe , murmura-t-elle.

 Lorsqu'on change un mécanisme de milieu, il fonctionne différemment. Une seule variable peut suffire à détruire une machine, même un simple coup de vent peut exercer une force sur l'orientation d'un rouage un peu trop sensible, et c'est alors tout le mécanisme qui se bloque. Dans pareil cas, il faut procéder avec minutie, et changer doucement les propriétés de chaque composé, adapter les rouages en taille et en poids, tout cela...Sinon,il s'effondre.

 Le nouveau contexte terrifiait Istvan, parce que ses propres rouages ne pouvaient y fonctionner. Cette vérité était trop différentes de toutes leurs certitudes, et les mécanismes s'agitaient, comme d'habitude, cherchant à s'y raccrocher. Mais cette agitation ne pouvait modifier ce qui les entouraient ; et la vérité les frappaient, les disloquaient.

 Elle-même n'en menait pas vraiment plus large. Mais ça ne servait à rien de se laisser aller à l'hystérie dans un moment pareil. Pour cela, elle avait relégué tout ce qui avait trait à l'incroyable loin, très loin de ses pensées, et seule sa respiration un peu trop précipitée trahissait encore une panique qu'elle ne ressentait que vaguement. A présent, tout ce qu'elle voyait était cet homme dont le regard frémissant montrait la panique croissante. Il avait posé la main sur son sabre. Le Dévoreur avait parlé suffisamment doucement pour qu'il ne sache pas le sort qui lui était réservé, mais il était sans doute déjà préparé à ce que les « espions » l'empêchent de prévenir son camp tranquillement. Pourquoi n'en avait-il pas profité pour fuir ? Sans doute qu'une partie de lui-même ne croyait pas à ce qu'il disait, et il craignait de voir la fable s'écouler quand il s'en irait, et verrait qu'il n'y avait aucun camp, à l'horizon.

 Elle le regarda, concentrée. A présent, elle comprenait le sourire qu'avait eu le Dévoreur. Il fallait rassurer. Rétablir ce mécanisme un instant, pour qu'il fonctionne comme elle le voulait. Et pour cela, il fallait qu'il change de milieu. Très bien. Elle allait faire cela tout de suite. Elle rangea son téléphone dans sa poche, puis s'avança, lentement, les paumes ouvertes, bien en évidence, pour montrer qu'elle n'avait pas d'arme. Elle espérait que l'autre n'entendrait pas la sacoche qui cliquetait discrètement à sa hanche – fichus outils, il y en avait toujours un pour taper sur l'autre. Cependant, elle le regardait dans les yeux, fixement, pour que son regard ne se pose pas ailleurs. Et elle parla.

- Oui, Colonel, vous avez raison. Nous sommes des espions français. Et c'est parce que nous vous avons drogué que vous avez l'impression de parler et de comprendre si bien notre langue. C'est un effet secondaire de la drogue que nous employons. Elle déclenche des hallucinations auditives, et active la partie de votre esprit qui s'occupe des langues, si bien que vous comprenez beaucoup mieux que d'habitude celles qui vous sont étrangères... Mais je vous promet que vous parlez aussi bien que tout à l'heure.

 Les paroles lui venaient tout naturellement, maintenant qu'elle y réfléchissait intensément. Elle fit un pas de plus, l'air toujours aussi calme. Il fallait faire vite ; même dans son état, si le soldat réfléchissait trop longtemps, il la percerait tout de même à jour.

– Et je vous arrête ;ne nous prenez pas pour des ennemis, nous ne sommes pas qui vous croyez. Nous sommes simplement une organisation qui cherche à mettre fin à la guerre sans léser aucun camp...Et cet homme, qui connaît votre frère, sait que vous avez le même souhait...Et moi aussi...C'est pour cela qu'il est venu, aujourd'hui. Pour que vous nous rejoigniez.

 Deux autres pas, et toujours aucune lame n'était venu rencontrer son cœur qui tambourinait comme un fou, désireux de s'éloigner le plus possible du danger. Mais peu à peu, elle gagnait en assurance, comme elle imaginait tous ces détails qu'elle avait examiné s'agencer en une histoire qui prenait forme comme elle la racontait. Et cette histoire fonctionnait. Elle fit un pas de plus.

- Je suis désolée de vous avoir drogué. Je ne voyais pas d'autre moyen de vous convaincre de me suivre pour venir ici. Je n'étais pas certaine que vous soyez vraiment de notre côté, et c'était le seul moyen de tromper votre vigilance, et de pouvoir vous faire tout oublier par la suite, si vous n'aviez pas été la bonne personne. Mais cet homme vous a reconnu, et je sais donc que je ne me suis pas trompée...Je vais donc pouvoir vous administrer l'antidote.

 Elle était tout proche du soldat, à présent. Elle sortit, par gestes lents, son téléphone portable, le mettant bien en vue, tout en cliquetant sur l'écran. L'homme ne comprenait pas les portables, il pouvait donc inférer n'importe quoi de son geste. Elle expliqua donc, le plus naturellement du monde :

- Cet appareil va me le permettre, d'ailleurs...

Son visage, éclairé par l'écran, ne reflétait rien de particulier, mais à l'intérieur, elle bouillait. Il allait falloir qu'elle fasse très vite. Elle posa son pouce sur l'écran, et leva soudainement le dos de l'appareil, où une minuscule diode venait de s'allumer.

- Oh ! Regardez !

 Le flash du téléphone ébranla la nuit, et les yeux grands ouverts du soldat, qui reçurent toute la force de ses rayons en plein dans le mille. Avant qu'il n'ait eu le temps de se remettre du choc, elle remercia son téléphone qui faisait appareil photo avec flash, pria pour avoir eu raison de faire suffisamment confiance à ce « Dévoreur de temps » pour lui avoir tourné le dos, serra fermement son poing, se souvint de placer son pouce à l'extérieur pour éviter les fractures, et le leva d'un seul coup, de toute la force dont elle était capable, sur le menton du soldat.
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Message  Le Dévoreur de temps Lun 4 Aoû - 23:56

Lorsque Stanzas avait abordé Ludmilla, il l'avait fait de manière directe, allant à l'essentiel, sans s'encombrer d'un préambule pour lequel l'état d'Istvan ne lui laissait guère de temps. Mais s'il s'était permis d'entrer dans le vif des voyages temporels, c'était parce qu'en plusieurs jours, il avait eu le temps d'examiner son dossier à la loupe. Cette jeune fille était doté d'un esprit ouvert et foncièrement intrépide doublé de pragmatisme et d'un goût fortement prononcé pour les inventions et expériences scientifiques. Même si sa façon de pratiquer la mécanique et la chimie restaient artisanale, elle avait ce que le Dévoreur nommait "une âme de défricheur". Ils avaient cela en commun, aussi Stanzas l'avait abordé comme il se serait abordé lui-même à 17 ans: en énumérant quelques un des tours de passe-passe qu'il maîtrisait sur le plan scientifique. Il avait eu raison de penser qu'il pouvait se le permettre avec Ludmilla. Si la demoiselle garda un silence prudent au tout début, elle le laissa néanmoins se préoccuper d'Istvan sans faire d'embarras, elle ne s'évanouit pas et ne le traita pas de malade sur un ton hystérique comme cela se produisait avec certaines postulantes. Il était normal qu'elle soit un peu abasourdie par toutes les implications des paroles qu'elle venait d'entendre. La plupart des possibles voyageurs prenait ces révélations au mieux pour les propos d'un ivrogne, au pire pour celui d'un échappé d'établissement psychiatrique et se faisait fort de l'y raccompagner. Certains mettaient un temps considérable à prendre conscience qu'ils avaient eux-même provoqué sa venue en laissant échapper des souhaits ou propos ressemblant fort à des appels au secours . L'Humanité s'était habituée à voir ses doléances, ses souhaits et même ses espoirs demeurer lettre morte et même la religion était excusée de ne pas répondre à tout. Alors quand un type surgissait de nulle part en disant, je vous ai entendu espérer ou vous plaindre ... Une grande majorité d'hommes et de femmes éprouvait une vague honte et/ou pensait avoir été espionné dans un moment de leur vie privée, ce qui était l'explication la plus plausible. Aucun ne pensait que ce pouvait être un être cher, un ami ou un autre voyageur qui avait confié eu Dévoreur connaître quelqu'un dans la détresse et s'inquiéter pour lui. Ce genre de prise de conscience venait en général avec les révélations plus détaillées que faisait Stanzas  lorsque le sujet paraissait prêt. Même pour quelqu'un de bien campé, il pouvait être très déstabilisant d'apprendre qu'on avait côtoyé  sans le savoir quelqu'un qui se baladait dans le temps. Cela suscitait des réactions très diverses allant de l'indignation  -"comment a-t-il pu me cacher ça ? "-  à l'inquiétude rationnelle pour la personne -"vous mentez! C'est vous qui l'avez enlevé et le gardez en otage ! "-. Vladimir se demandait bien quelle serait la réaction de la jeune brune lorsqu'elle apprendrait qui l'avait sollicité pour qu'il la surveille. La colère n'était pas à exclure, et encore moins une certaine énergie, songea-t-il en la voyant mettre un uppercut au malheureux Istvan. Voyez-vous cela ? Un Hussard qui se fait défaire par une frêle jeune fille. Stanzas sourit en pensant qu'il avait su trouver la phrase motivante pour la rendre efficace. Toujours se méfier d'une femme qu'on vient de traiter de fragile petite chose...

Petite chose, petite chose ! Elle avait tout de même de l'aplomb et de la répartie, la fillette. L'histoire d'espions dévoués à la cause pacifiste pouvait marcher. Il y avait eu des forces secrètes œuvrant pour abréger les guerres napoléoniennes qui mettaient l'Europe à feu et à sang. Ces instances avaient d'ailleurs contribué à l'exil définitif de l'Empereur. Ludwik, le propre frère d'Istvan, était un agent double connu aussi bien dans le camp autrichien sous son identité hongroise que chez les Français sous le nom de Guillaume de Salès. Stanzas aurait presque pu ajouter "d'ailleurs votre frère que nous connaissons en est aussi un"... mais il se retint en songeant à la postériorité du fait. C'est en effet motivé par la volonté de retrouver son frère porté disparu aux portes de Vienne que Ludwik l'avait "contacté" involontairement en en émettant le souhait. Le recrutement du jeune Hongrois, Hussard comme son aîné, avait été catastrophique. Les deux semblaient partager une même vivacité d'esprit et une méfiance sans borne envers les étrangers, mais Ludwik cumulait en plus l'emportement, l'imprévisibilité et un entêtement prodigieux. Aussi Stanzas préférait-il faire manœuvrer Ludmilla qu'il savait en sécurité car jamais un homme de la trempe des frères Cseszneky n'oserait lever la main sur une dame et puis il avait déjà donné avec la téléportation accidentelle du plus jeune. Lequel était en train de se faire tailler en pièce sur une piste de Sierra Leone. Il ne voulait pas ajouter un autre Hongrois impétueux à la charge de Zorvan qui avait déjà des aigreurs d'estomac avec le premier. Pas en ce moment. La situation était très compliquée. En revanche, il faudrait faire passer les derniers voyageurs approchés avant que les Gardiens du Temps ne mettent leurs menaces à exécution. Quitte à être figé sur un instant, il valait mieux être ailleurs que dans les couloirs du Temps. Et même dans l'hypothèse où le Dévoreur réussissait à contrer l'action de ces Gardiens, tous les voyageurs pris au piège dans le vortex au moment de la suspension temporelle seraient perdus à jamais. Istvan était à l'abri et il lui suffirait de le transférer à Targoviste, où, d'ailleurs, le choc des cultures serait moins flagrant, mais il fallait qu'il mène rapidement cette jeune fille à Zorvan, avant l'échéance fatidique. Voilà pourquoi il pensa qu'il était sage de neutraliser le Hongrois avant de l'évacuer, pour pouvoir ensuite se concentrer sur le cas Ludmilla. Il aurait tout le temps d'expliquer au Hussard les tenants et les aboutissants de sa situation et de lui annoncer, une fois son frère tiré d'affaire, que celui-ci le cherchait ardemment.

Ardemment... Le coup montant vint frapper le malheureux au menton et Stanzas plissa les yeux et serra les dents par empathie. Le coup n'était pas d'une grande amplitude étant donné la taille de la jeune fille et sa corpulence, mais assez pour provoquer une sorte d'électro choc. Il trouva le coup du flash antidote vraiment bien ficelé, de la même veine que l'histoire de l'organisation pacifiste. Le Colonel n'y vit que du feu et le coup le surprit tellement qu'il bascula en arrière, tenta de se rattraper à une branche. Mais son talon buta sur une racine et il bascula en arrière et s'affala sur le dos dans un cliquetis de sabre. Vladimir s'attendit à une vigoureuse protestation estampillée Cseszneky mais rien ne vint. Ludmilla secouait en grimaçant, son poing endolori. Le professeur se rapprocha et se pencha au dessus du malheureux Hussard. Il constata que sa tête avait heurté une souche . Il sortit de sa poche un microscan  emprunté au futur et soupira de soulagement. Derrière lui, la jolie brunette se mordait la lèvre nerveusement. Il la rassura aussitôt.

- Rassurez-vous. Vous voyez cet appareil  ? C'est une des nombreuses inventions dont je dispose. Il permet de faire un bilan encéphalique succinct et rapide. Notre homme est juste étourdi. Il s'en sortira avec un léger traumatisme crânien. Quel punch! J'ai cru un instant que vous l'aviez mis K.O. Il a juste eu la malchance de heurter ce rondin. Mais il a la tête dure ... Je vais l’emmener chez moi où il sera soigné et surveillé de près. Je suis docteur ... en physique quantique mais j'ai des confrères médecins... A présent qu'il est calme, je vais pouvoir le transporter à l'abri sans risquer de le perdre.

Le Professeur se redressa et s'approcha de la jeune lycéenne tout en prenant soin de rester à une distance prudente.

- Mais avant de partir Ludmilla, je voulais vous expliquer quelque chose... Vous voulez retrouver quelqu'un ... Je peux peut-être vous aider... Si vous pouviez remonter dans le temps  que feriez-vous ? Je reviendrais ici demain à la même heure, je vous attendrez une heure, pas une minute de plus. Si vous voulez me suivre et apprendre à voyager dans le temps, il vous faudra passer des épreuves. Je vous en crois capable . Si vous êtes déterminée à franchir le pas, prenez vos dispositions. Vous pourrez revenir dans ce temps précis, passer votre Bac, à la condition de ne pas tricher en allant voir les épreuves dans le futur, une fois que vous aurez réglé ce problème qui vous étreint. Mettez à profit ces 24 heures pour vous organiser. Prévoyez le cas échéant, une explication rassurante pour vos parents...Vous ne savez pas quand vous reviendrez...

Il eut un regard pour le Hussard inconscient allongé sur l'herbe.

- Ne vous faites pas de souci pour lui... Ça va aller... C'est juste un gamin qui a été propulsé dans les horreurs de la guerre et j'aurai dû prévoir qu'il n'était pas prêt à affronter un "transport" dans cet état psychologique dégradé. Son frère en a vu de belles aussi mais il n'a pas le même tempérament et fait mieux front. Vous pourrez le croiser à nouveau si vous devenez une voyageuse, parce que lui, il l'est par la force des choses ... Je vais lui laisser le temps de se reposer chez moi le temps qu'il faudra.

Stanzas se tût enfin et observa le profil de la jeune fille qui se découpait sur la lumière de la lune. Quelles idées s'agitaient derrière ce joli front ?

- Ne parlez à personne de ce que vous avez vu ce soir. Vous pouvez refuser de venir demain mais je vous retrouverai une dernière fois, où que vous soyez, pour effacer de vos souvenirs les dernières 24 heures. Vous vous demandez comment je sais tout cela de vous et comment je vous ai entendu implorer l'impossible ? Par le même prodige que celle qui fait parler un Hongrois en français: la science.
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Message  Invité Ven 8 Aoû - 3:54

Ludmilla avait appris à se battre toute seule. Plus exactement, elle avait appris à se battre au contact de ses partenaires de combat. Mais comme c'était toujours de vraies  bagarres, elle n'avait pas vraiment pu en retirer de leçons. Deux, particulièrement, lui étaient restées en tête. La première : ne jamais mettre son pouce dans son poing. C'était l'assurance de longs jours mornes et ennuyeux à contempler sa main devenue inutile qui ne pouvait se plonger dans aucun mécanisme,aucun croquis, et tournait à peine les pages d'un livre. Deuxième règle : toujours anticiper. On ne sait jamais quelle pourra être la réaction de l'adversaire après un coup. Dans le doute, inutile d'attendre gentiment qu'il nous mette au tapis.

 Juste après que son poing fût entré en contact avec le menton du soldat, elle avait ressentit également deux chose : une vive douleur dans ses articulations ; et le sentiment qu'elle devait s'éloigner, très vite. Elle n'avait pas oublié le sabre, et tenait très peu à faire sa connaissance. Elle recula donc d'un bon, probablement pour elle la meilleure manière de survivre à un adversaire à qui l'expérience de soldat et l'arme conféraient un certain avantage dans le domaine du combat. Mais, au lieu de la brandir avec fureur, l'autre eût un mouvement de recul, trébucha sur quelque chose, et tomba en arrière.

 Tout d'abord, elle ne bougea pas. Prudence. L'homme allait peut-être se relever dans l'instant. Sa chute était sans nul doute due à ce dans quoi son pied s'était pris, pas dans son coup de poing qui n'était pas le meilleur qu'elle ait donné dans sa vie, quoiqu'elle y eût mis toute son énergie. Mais elle n'avait pas vraiment l'habitude de se battre. Il fallait en effet des choses plutôt graves pour qu'elle décide de se salir les mains, alors qu'elles étaient ses précieux outils de travail, qui plus est sachant que la bagarre ne l'intéressait pas particulièrement. Elle ne se risquait à cet exercice que face à quelqu'un dont le comportement était dangereux, ou alors un imbécile qui s'obstinait à l'insulter, quoiqu'elle l'ait prévenue de s'arrêter. En témoignaient sa main douloureuse, dont elle dépliait et repliait les articulations dans l'espoir de faire passer cette sensation assez désagréable. Mais, après tout, elle avait infligé quelque chose du même genre au Colonel...

 ...Qui ne s'en relevait toujours pas. Tiens, ce n'était pas bizarre, ça ? Elle abandonna sa main endolorie, fis un pas en avant, attentive à un piège qui ne se déploya nullement. Au contraire, aucun mouvement sur le corps de l'homme,dont elle distingua que le visage, quoique plongé dans le noir, était d'une immobilité qui n'augurait rien de bon. Elle commença à sentir une sérieuse inquiétude se profiler dans le frisson qui la parcourut . Eh mais.... Le Dévoreur de Temps se faisait probablement le même genre de réflexion, puisqu'il était arrivé près d'eux, sans qu'elle ne s'en rende compte, et qu'à présent, penché sur le soldat, il paraissait l'examiner. Elle attendit, silencieuse, mordillant sa lèvre inférieure, les yeux suspendus au moindre des mouvement du Dévoreur, quoi qu'elle n'en distingua pas grand chose. Enfin, il se retourna.

 « Rassurez vous » ! Dès qu'elle eu entendu ces paroles, tout son corps se détendit. Elle laissa échapper un long soupir de soulagement, libérant l'air oppressé dans sa cage thoracique. Et, avec lui, quelques souvenirs, libres de se déployer à présent que la barrière qui les avaient retenus n'avait plus lieu d'être. Des souvenirs tels que : « Ce type voyage beaucoup trop probablement dans le temps. » Cette pensée s'était plus particulièrement réveillée suite aux mots qu'il venait à présent de prononcer, ces derniers désignant un petit appareil qui censé fournir des données sur l'état d'un cerveaux,  au point de pouvoir lui-même en tirer des conclusions. Incroyable  ! Elle n'avait même pas à penser à la machine IRM qu'elle avait déjà vu à l’hôpital , énorme, et dont les images n'étaient jamais assez précise, pour éprouver le désir d'ouvrir le ventre de ce petit objet que l'homme tenait si négligemment dans sa main, exactement comme si ce n'était pas une invention qui n'avait pas encore été inventée.

 Cette réflexion lui donna le vertige. Mais pas à son interlocuteur, qui, après lui avoir confirmé que l'état d'Istvan n'était pas grave – « traumatisme » ne sonnait pas si encourageant, mais, elle n'était pas médecin – , lui en avoir expliqué l'origine, et que la dureté de son crâne lui permettait de n'en subir que peu de dommage – ça, c'était vrai, pensa-t-elle en secouant sa main endolorie-, lui révéla qu'il était docteur en physique quantique. Un docteur en physique quantique ? Immédiatement, elle fit le lien. Cet homme a-t-il inventé le voyage dans le temps? Elle constata en même temps qu'elle ne se posait même plus la question de la réalité d'un tel voyage. C'est qu'elle était Istvan face  au portable. Elle avait vu un objet qui ne pouvait pas venir de son temps. Un objet incroyable. Certes, l'homme aurait pu raconter n'importe quoi – sauf qu'il s'intégrait beaucoup trop dans tout ce qu'il s'était passé pour qu'elle puisse encore le croire fou. Et l'appareil était donc une preuve, une preuve de quelque chose que finalement, sa pensée incrédule admettait comme très probable, beaucoup plus probable qu'autre chose. En vérité, il y avait plus de chances que cette histoire soit vraie plutôt que cet homme soit faux.

 Mais le Dévoreur n'allait pas rester répondre à toutes les questions qui commençaient à se bousculer dans sa tête, par exemple : «Comment vous faites ça ? », puisqu'il devait partir. Il lui céda néanmoins quelques explications. Elle fût à peine ébranlée qu'il ait deviné qu'elle cherchait quelqu'un. Pour une personne qui venait apparemment s'occuper de - certains – souhaits qu'on ne lui avait pas adressé, c'était cohérent. Pour ce qu'elle en savait, l'individu pouvait très bien lire dans les pensées. L'image de Lucas se superposa néanmoins aux paroles qu'il prononça ensuite. M'aider ? Elle devinait déjà le « pour quoi », et même le « comment »,qu'il confirma immédiatement. Remonter le temps. Voyager le temps. Elle sourit, satisfaite de sa déduction, comme elle souriait quand la machine qu'elle avait mis en route fonctionnait. Puis, peu à peu, tandis que l'autre déroulait sa proposition, tandis qu'il lui expliquait, qu'elle, elle allait peut-être faire la même chose, son sourire se changea en une moue interdite.

 Et, comme il s'intéressait au sort du soldat évanoui, mentionnait son passé difficile et les horreurs qu'il avait vécu, elle voyait tout autre chose – elle voyait ce qu'elle avait vu mille fois,  un jeune homme aux cheveux bruns, un jeune homme qui vivait des choses horribles, un jeune homme traumatisé – mais tout cela s'arrêtait, parce qu'elle revenait, ce soir là, quand il la raccompagnait à la porte, mais elle ne sortait pas de la maison, non, elle s'arrêtait, elle attrapait cet homme par le bras, et elle lui dirait de ne pas sortir, non, surtout, ne sors pas de...

 Elle cligna des yeux, vivement. Elle s'était encore une fois laissée emporter. Mais cette fois, peut-être, ce ne serait pas qu'une idée, cette fois, ce serait peut-être réel.  

 L'homme s'était tu, c'était peut-être le moment de dire quelque chose, mais elle n'arrivait plus à décrocher une parole. Elle avait déjà beaucoup trop à digérer. Le voyage dans le temps existait, ce docteur le maîtrisait, et lui proposait de partager cet incroyable pouvoir , alors qu'elle n'avait franchement rien fait pour l'aider- mis à part frapper quelqu'un ce qui avait malheureusement amené ladite personne à s'évanouir, et qui n'était pas d'une aide si incroyable qu'elle ait été la seule à pouvoir donner. En vérité, la seule question qui lui venait à l'esprit en cet instant était « Comment ? » mais elle n'était pas sûre de pouvoir suivre un docteur en physique quantique à propre son niveau , qui plus est un docteur qui devait s'en aller sous peu.

 Cependant, le Dévoreur reprit la parole, lui révélant ainsi qu'une telle offre avait une condition bien précise – n'en parler à personne. Après, une journée, et elle pourrait espérer voyager dans le temps. Surviendraient quelques épreuves, bien sûr. Mais c'était tout. Tout ? Vraiment ? Obtenir, aussi simplement, ce qui avait fait rêver tant d'esprits, couler tant de larmes trop pleines d'espoir, habité tant de passions irraisonnées, le contrôle du temps ? On aurait dit l'une de ces choses, trop belles pour être vraies, comme un cadeau de ce fichu espoir, mais ce fichu espoir avait mit Istvan sur sa route, et – quoi qu'il avait connu à cette occasion un bien plus mauvais sort qu'elle - , elle en déduisit qu'il n'était pas si fichu que ça, tout compte fait.

 Car, après tout, l'homme ne se colora, pour expliquer les lois raisonnablement établies qu'il rompait avec tant d'aisance, ni de fantasmagories, ni de mythes, ni de religion ; non, il employa le mot de science, et alors, à la façon dont il prononça ce dernier, elle comprit qu'elle avait eu raison de lui faire confiance. Cet homme ne mentait pas, cet homme disait la vérité. C'était un physicien, un scientifique, un semblable. Il cherchait à comprendre, comme elle...Sauf que lui avait déjà réussit.

 Alors que son esprit tentait de réaliser tout cela, l'homme retourna vers Istvan, se pencha , le redressa doucement, puis, alors qu'il soutenait debout le soldat toujours groggy, une lueur bleue les enveloppa...Et ils se volatilisèrent.

 Abasourdie, elle regarda l'endroit d'où ils venaient de s'évanouir. Puis, instinctivement, pour voir, elle s'avança, tendit la main dans l'espace où se tenaient, un instant plus tôt, les corps de deux adultes. Rien. Elle ne rêvait pas, elle n'était pas folle, et pourtant, ces deux personnes venaient de s'évanouir dans l'air ambiant. Probablement pour voyager dans le temps. Tout ceci maltraitait sa pauvre raison, mais cette dernière lui adressait néanmoins un message du genre : ma chère, oublies la plupart des choses que je t'ai apprises, je trouve beaucoup plus logique cela : les êtres humains peuvent voyager dans le temps, et un tas d'autre trucs, comme apparemment, modifier les langages aussi, et entendre les souhaits. Bref, toutes tes petites quasi-certitudes deviennent vraiment fragiles, pour le coup, si une telle chose arrive. La science peut rendre pas mal de choses possibles, finalement. Et tu ne sais même pas quoi. En fait, tu réalises que tu ne sais plus rien ?

 Soudain, ses jambes tremblèrent, puis cessèrent de la soutenir, et avant d'avoir pu se ressaisir elle se retrouva par terre, à genoux. La tête lui tournait un peu. Elle posa les mains sur le sol, une manière de se rassurer, de se raccrocher à quelque chose de réel, sauf que ce n'était pas une vraie assurance, malheureusement. Elle se laissa tomber en arrière, espérant ainsi calmer l'étourdissement qui continuait de l'envahir. Ses yeux se perdirent dans l'immensité du ciel, et elle eût l'étrange impression qu'elle le voyait pour la première fois, cette immensité sombre que tranchaient quelques éclats de lumières, ça et là. Car, elle le sentait à présent, tout était peut-être possible, n'importe quel phénomène pouvait surgir de ce ciel, à tout instant. Rien n'était plus habituel, tout était nouveaux, et ce ciel en particulier, dont elle ne distinguait même pas les éléments, l'attirait. C'était grisant, effrayant, hypnotique. Peut-être serait-elle resté là jusqu'au matin si son téléphone n'avait pas vibré assez fort dans sa poche, où elle avait dû le mettre à un moment où un autre. Machinalement, elle décrocha.

-Allô ? Ludmilla ?

 Sa mère. Elle se souvint à temps qu'il fallait répondre.Sa voix murmura, doucement:

– Oui.

- Ludmilla ! Nous nous sommes fait un sang d'encre, ton père et moi ! Où es-tu ? Nous allions appeler la police ! Il est plus de 23 heures !

- Désolée...J'arrive, dit elle avant de couper la communication.

 Elle se releva d'un bond, épousseta ses vêtements où quelques brins d'herbe s'étaient égarés, et se mit vivement en marche. Au fur et à mesure que ses pas s’enchaînaient, elle sentait un énorme sourire se peindre sur son visage. Un de ces sourires un peu idiot, un sourire que l'on ne fait pas quand on veut sourire, mais qui vient tout seul quand quelque chose d'incroyable nous arrive. Et c'était précisément ce qui arrivait à la jeune fille. Elle commençait à comprendre. Mieux ; à accepter. Elle allait voyager dans le temps. C'était possible. Et elle allait retrouver Lucas. C'était possible aussi. En fait, tant de choses devenaient possibles qu'elle sentait jusqu'à son cœur battre à toute vitesse dans sa poitrine, quoi qu'elle ne courait pas. Et, si sa raison, oublieuse, murmurait de temps à autre que cela n'était pas habituel, elle lui rétorquait que c'était possible tout de même.

 Elle arriva devant chez elle les joues rouges, les yeux brillants. Elle se rappelait cependant le secret qu'il fallait garder, et, quand ses parents l’accueillirent, à la fois soulagés et furieux, elle fit un effort pour masquer l'excitation qu'elle ressentait. Elle n'eût qu'à baisser la tête sous la pluie incessante de « tu ne donnes jamais de nouvelles, alors que tu as un portable », « tout le monde a eu peur », « tout ça pour te promener en forêt » (ce n'était pas le meilleur mensonge de sa vie), « tu sais bien qu'avec Lucas... ». Elle n'écoutait pas vraiment. Même le nom de Lucas, quoi qu'il lui provoqua toujours de vives douleurs dans la poitrine, ne la détournait plus autant de ses pensées. Parce qu'elle allait le retrouver. C'était possible.

 Sa mère s'étant cependant souvenue de l'épreuve du lendemain, on remit la dispute à plus tard. Ludmilla s'empressa de disparaître dans sa chambre, après avoir souhaité une bonne nuit à sa petite sœur qui la dévisageait de ses grands yeux inquiets. Probablement étaient ils aussi un peu accusateurs, mais la jeune fille n'avait pas l'intention d'en tenir compte – elle ne pouvait rien y faire.

 Ce qu'elle pouvait faire, par contre, c'était fermer soigneusement la porte, s'asseoir à son bureau, et réfléchir. Son regard se perdit dans le monceaux de croquis qu'elle avait accrochée sur le panneau en face d'elle, mais elle n'aurait su dire quel calcul pouvait bien s'y trouver. A présent, ce qu'elle se demandait, en plus de tous les mystères qui l'en détournaient toutes les cinq minutes, c'était comment faire. Et que faire ? Pour ça, elle ne se posait même pas la question. C'était évident.

 Il était trois heures du matin lorsqu'elle trouva un plan convenable.Cinq lorsqu'elle parvint enfin à s'endormir. Six quand son père passa la réveiller. Un autre petit quart d'heure fût nécessaire pour qu'elle prenne sa douche et enfile quelques vêtements, descende dans la cuisine, et annonce fièrement à ses parents qu'elle leur avait mentit, hier. Que si elle avait disparu pendant si longtemps, c'était parce que :

- J'étais avec mon petit-ami.

 Ça, c'était une très bonne idée. Elle en était particulièrement satisfaite, car elle était persuadée que celle ci aurait le mérite de figer les visages de l'assemblée – ses géniteurs, en l’occurrence. Et ce fût en effet le cas. Profitant de cette transformation en statue qu'elle prévoyait malheureusement beaucoup trop courte, elle déclara :

- Vous savez...il habite très loin d'ici, et il doit bientôt repartir, alors...Je voulais passer du temps avec lui avant qu'il ne s'en aille...

 Elle prit un air particulièrement triste qui lui était inhabituel sur sa figure qu'elle savait qu'il ferait grand effet sur ses parents. Elle n'avait même pas besoin d'imiter les héroïnes pâmées de ces films « romantiques » dont elle voyait les affiches chaque fois qu'elle passait devant les cinémas. Comme l'on n'attendait pas grand chose de sa part de ce côté là, elle aurait pu leur présenter une vingtaine d'amant-e-s en même temps qu'ils n'auraient pas eu une meilleure réaction. Elle s'était attendue à leur questions, qui vinrent immédiatement. Elle les évita aisément, répondant sporadiquement : « ne me demandez pas », « ça me fait souffrir ». Le temps qui vint à manquer fit des miracles ; il diminua leur débit, et elle pût leur annoncer son intention de passer la nuit chez ce petit ami imaginaire, tout en coupant court à leurs protestations :

- Vous comprenez...Quand...Il a disparut...Et...Lui...Il m'aide à...je pense que sans lui...Je ne pourrais pas...Y arriver.

 Échec et math. Le feu de questions ne reprit pas.  Elle avait deviné sans peine que l'argument en faveur des études ferait mouche, tout comme celui pour son propre bien-être.

 Ne restaient que les au-revoir. Comme c'était le « grand jour » selon les mots de sa mère – elle ne devinait pas à quel point-, toute la famille s'était rassemblée sur le pas de la porte, y compris sa sœur, même si elle ne pouvait s'empêcher de bailler toutes les trois secondes. Elle les contempla un instant. Elle ne parvenait pas à bien se dire qu'elle ne les reverrait peut-être pas. Comment quelqu'un qui voyage dans le temps peut-t-il mourir, autrement que lorsque son corps seul le décide ? Mais ce Dévoreur de Temps n'avait pas dit cela pour rien. Elle les regarda donc chacun, un par un. Son père avait l'air mécontent sans raison particulière – sans doute s'essayait il au rôle du « père protecteur »- ; sa mère paraissait simplement quelque peu démoralisée – elle avait cours avec la pire classe possible, à son avis- ; et sa sœur dormait quasiment debout – elle avait encore passé la moitié de la nuit sur son ordinateur- . En ce moment, ils s'accordaient cependant pour lui souhaiter « Bonne chance. »

 Elle frémit. Comme cela ressemblait à des paroles que l'on adressait à quelqu'un qu'on se préparait à quitter pour longtemps ! Et pourtant, ils ne devinaient pas un seul instant ce qu'elle tramait. Ils ne s'imaginaient pas qu'elle avait utilisée l'excuse du petit-ami car elle savait qu'ils voudraient une justification logique à son comportement de la veille, et qu'il fallait qu'elle soit suffisamment étonnante pour justifier qu'elle leur ait mentit auparavant. Que ce garçon imaginaire avait pour fonction de justifier sa propre disparition qu'elle avait mis en place avec son prétendu retour au pays qu'elle avait fait en sorte de paraître beaucoup regretter. Qu'elle bénéficiait également de l'aide pour faire croire cela d'une lettre cachée dans un tiroir où elle expliquait qu'elle avait voulu l'accompagner, et l'avait donc fait. Qu'elle ne le leur avait absolument pas décrit, parce qu'elle ne voulait pas qu'ils partent à la poursuite de quelqu'un par erreur. Aucun indice, rien incriminant pour qui que ce soit ; juste une nouvelle disparue, disparue majeure et volontaire, une disparue que l'on cesserait de chercher ; voilà le mieux qu'elle pouvait leur offrir. C'était le seul risque qu'elle voulait prendre. Si elle disparaissait, elle disparaissait. Point.

– Merci...Et au revoir.

 Elle sourit, étrangement hésitante, sans qu'elle ne sache bien pourquoi. Elle avait envie d'ajouter quelque chose. Mais le moment était passé. Sa sœur était repartie dormir, sa mère cherchait les clefs de sa voiture, et son père offrit de la conduire à l'arrêt de bus en passant – elle déclina. A présent, elle préférait de loin être seule, pour réfléchir.

 Et c'est ce qui l'occupa une majeure partie de la journée. Réfléchir. En contemplant le paysage défiler à travers la vitre du bus ; en entrant dans le lycée peuplé de candidats en effervescence ; en s'asseyant à sa table qui se couvrit rapidement d'un sujet ; en expliquant ce qu'était vivre pour être heureux, et ce que cela impliquait ; en quittant les autres candidats, soudain beaucoup moins en effervescence, ;en se rendant à la BU ; en regardant le mur un long moment, la tête entre les bras ; en prenant son bus, vers 20 heures ; et en s'asseyant sous un arbre, celui là même qui la veille avait traîtreusement fait trébucher quelqu'un à l'aide de ses racines.

 Il commençait à faire nuit, mais ce n'était pas encore tout à fait l'heure. Elle ne pouvait pas rentrer chez elle après le mensonge qu'elle avait dit. Cela ruinerait en plus sa mise en scène. Elle n'avait pas vraiment eu le choix, cependant ; elle n'aurait jamais pu sortir de chez elle, avec ses parents bien décidés à surveiller cet enfant un peu trop impliqué dans des enquêtes bizarres et des événements étranges, surtout après qu'il eût encore disparut la veille. Quand à sa fenêtre , elle se trouvait  au premier étage, et trop loin des branches d'un arbre salvateur qui lui aurait permit de s'enfuir. Mieux valait donc être déjà dehors.

 Mais de toute façon, quelle importance, qu'elle soit ici où chez elle ? Elle n'avait rien envie de faire d'autre qu'essayer de comprendre. C'est ce qu'elle avait fait toute la journée. Lucas, le temps, la science. C'était le trio gagnant, celui qui occupait tellement ses pensées qu'elle avait l'impression qu'il déteignait sur tout ce qui l'entourait. Son regard avait été happé par chaque silhouette masculine aux cheveux courts et d'un brun foncé ; mais c'était un tout autre garçon qu'elle voyait à leur place, jusqu'à ce qu'elle voie leur visage et que l'illusion se brise. Elle avait vu un enfant trébucher sur le sol ; elle s'était dit qu'elle pourrait peut-être inverser bientôt la situation, voir l'enfant se relever sans une égratignure, comme quand on rembobinait un film. Un mouvement bousculait l'air près d'elle, elle se questionnait sur la réalité de ce souffle, sur ce en quoi l'on pouvait le transformer. Elle avait sortit certains de ses cours de son tiroir la veille, ceux qui parlaient de la théorie de la relativité, surligné des mots sur son livre de cours, échafaudé quelques théories. Le Dévoreur de Temps avait un vaisseau spatial. Le Dévoreur de Temps se changeait en particules plus rapides que la lumière. Le Dévoreur de Temps...Il y avait cette vitesse de la lumière, qu'il fallait dépasser. Elle ne savait comment on pouvait réaliser une telle chose. Elle gardait aussi à l'esprit que ce Dévoreur pouvait mentir, même si les chances qui soutenaient cette proposition étaient un peu faiblardes. Mais, après tout, il avait disparu – voilà un fait. Mais qui lui disait que ce n'était pas ailleurs que dans le temps ? Cependant, elle ne s'était pas amusée à s'imaginer où – parce qu'un homme appelé Dévoreur et qui disparaissait avec des gens, cela rappelait terriblement des histoires d'ogres et beaucoup d'autres choses qui avaient si peu de chances d'être vraies, de toute façon, que c'était complètement inutile de s'y plonger. Elle ne savait donc pas. Elle ne savait tellement pas qu'elle en avait oublié son sac de cours à la BU, ou dans le bus, ou elle ne savait où. Seule la sacoche de cuir s'accrochait à son épaule – c'était le plus important, après tout.

 Ses yeux s'étaient égarés du côté du chemin qui pénétrait à l'intérieur du bois, et elle pensa à Istvan. Comment allait-il, celui-là ? Elle avait encore un peu mal à la main, mais ce n'était probablement rien à côté de ce que devait ressentir l'homme en ce instant – oh, bon sang ! Pouvait-on encore parler d'instant?- . Elle s'en voulait d'avoir provoqué cela .Quelle idiote ! Elle avait pensé à éviter le coup suivant, mais oublié que ce coup serait soumis à de fortes contingences physiques qui pouvaient aussi bien l'empêcher d'exister. Après ce qu'on lui avait dit avoir vécu, il ne méritait sûrement pas une chose pareille – d'ailleurs, il n'avait rien mérité du tout de tout cela. Enfin, le Dévoreur avait dit que ça irait. Pensivement, elle contempla la terre molle qui apparaissait de temps en temps , découpant l'herbe, comme des plaies. Ainsi, le soldat était un homme du passé. Un passé si vieux qu'elle l'avait étudié ainsi qu'elle aurait lu une histoire – quelque chose d'inventé. Et pourtant, il l'avait vécu, lui. C'était une réflexion au caractère si étrange qu'elle aurait pu suffire à l'envoyer à nouveaux au pays de la recherche perpétuelle, si elle ne s'était pas aperçue que son portable clignotait vigoureusement, lui indiquant un message.

 « De : Julie A : 22h14 – C'est quoi, ce message, sérieux? Toi ? Amoureuse ? Très amoureuse ? Tu te fous de ma gueule ?  »

 Ludmilla savait que la blonde ne croirait pas facilement à son idée.Son amie l'avait trop vue s'endormir devant des films d'amour qu'elle avait absolument tenu à lui montrer, trop entendu que «Mais je ne comprends pas pourquoi tu as peur de parler à ce type, s'il est si génial que ça. Surtout que tu en verra sans doute un autre dans pas longtemps, et tu le trouvera aussi génial. ». En plus, la détective n'admettait pas, et avec raison, que la brune ait pu lui cacher une telle chose aussi longtemps . Mais elle ne pouvait évidemment pas servir une histoire différente pour chacun. De toute façon, si elle disparaissait, son amie n'aurait d'autre choix que de la croire – après avoir remué ciel et terre. C'est ce à quoi elle avait été prête quand elle avait appris la disparition de Lucas. Ludmilla n'avait aucune envie d'amener son amie à de telles extrémités, mais elle ne pouvait pas faire autrement. Dire la vérité était complètement stupide – non seulement sa mémoire serait effacée,  le Dévoreur qui lisait peut-être dans les pensées ayant sans aucun doute les moyens pour voir qu'elle aurait tout raconté ; mais surtout, elle perdait ainsi la seule chance de retrouver Lucas. Aucune preuves, aucun signe, rien. Elle était peut-être la seule à pouvoir faire quelque chose. Elle n'allait pas seulement le retrouver ; elle allait réussir à l'empêcher de se perdre. Elle avait déjà commencé à élaborer un plan – il fallait juste qu'elle trouve un moyen de cacher quelqu'un pendant quelques semaines, mais ça irait. Les disparitions, cela commençait à lui connaître. D'ailleurs – elle fronça les sourcils – n'y avait-il pas une ressemblance étrange entre cette disparition qu'elle voulait empêcher et celle qu'elle préparait si activement ? Non, des milliers de personnes disparaissaient sans laisser de traces, et...Mais ces personnes, elles-même, au fait...Comme Istvan...Et si...

 Mais l'heure n'était plus aux suppositions. Elle était à celui qui prétendait pouvoir la dévorer.
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Message  Le Dévoreur de temps Ven 22 Aoû - 4:05

Le temps était court parfois, entre le moment où le Dévoreur rentrait chez lui et celui où il repartait. Parfois il en payait les conséquences sur le plan physique. Son corps lui faisait payer, non pas, comme le commun des mortels pouvait le penser, le fait de lui faire subir quelque chose pour lequel il n'avait pas été créé mais plutôt de devoir s'adapter trop vite à une mutation programmée dans l'ADN humain. Stanzas en était certain, l'homme était fait pour tout conquérir. C'était dans sa nature. Il était bien trop prédateur au sens large du terme pour se contenter d'un royaume en trois dimensions dont il pensait en plus, et bien sûr à tort, avoir déjà fait le tour. L'espace demandait du temps à conquérir et beaucoup d'argent. Les technologies spatiales évoluaient somme toute lentement, même si Richard Geere s'était inscrit pour un voyage touristique dans la navette. Il fallait encore des siècles pour atteindre les confins du système solaire. Les abysses maritimes étaient des gouffres peu engageants et nécessitaient aussi des fortunes. Finalement, l'homme avait dû aller au plus simple en pensant à la quatrième dimension, qui en plus, pouvait régler les problèmes précités des trois autres. Le Professeur n'était pas assez naïf pour penser qu'il était le seul à s'être penché sur la question. Il était fort possible également qu'il ne fût pas le premier à l'élucider. Après tout, ce genre de secret n'était pas une chose qu'on était prêt à partager dans une conversation impromptue avec le voisin. "- Bonjour Mr Watson, vous allez bien ? " "-Oui, et vous ? Vous avez vu, il va faire beau aujourd'hui, je vais en profiter pour tondre la pelouse. "  -"Ça va... Vous avez raison, moi je vais en profiter pour aller faire un tour en l'an 2250. J'ai une jeune fille à y secourir. Vous pourrez nourrir le chat si je tarde à revenir ? " Non franchement, même un illuminé qui aurait eu envie de hurler à la face de tous "je voyage dans le temps" se serait ravisé au dernier moment "euh, je vais éviter en fait... Je n'ai pas envie de voyager dans une ambulance sous neuroleptiques et avec une camisole de force jusqu'à un hôpital psychiatrique." Oui, il était très probable que d'autres sachent, mais la grande majorité du monde n'était pas encore prête à admettre pouvoir le faire. La nature avait tout calibré : une évolution des mentalités supra lente pour permettre au corps humain de muter de génération en génération vers un être adapté à cette nouvelle faculté. Non ! Adapté à l'éveil de cette faculté, plutôt. Car elle était en dormance chez chacun. Voilà ce que pensait Stanzas. Mais lui et les quelques milliers de Voyageurs, dont ceux qu'il avait engendrés, n'avaient pas vraiment eu ce temps nécessaire pour préparer leur corps... Ça leur était tombé dessus. Un peu de modération pouvait palier cette lacune. Du repos, entre deux voyages. Alceste le lui disait souvent. Mais à cela il avait envie de répondre " Je me reposerai quand je serai mort! " ou encore " Me reposer ? Mais, et tous ces gens mon ami ? Ces gens qui sont au bord du gouffre, dans une impasse avec leur vie actuelle ? Puis-je les laisser sans aide alors que je PEUX les aider, je DOIS les aider."

Alors, il voyageait, de plus en plus loin, de plus en plus vite, de plus en plus souvent. Bien qu'il protestât  contre ce train d'enfer qu'il s'imposait, son corps s'adaptait, développant des capacités de l'ordre sensoriel et cognitif. Il s'adaptait aussi dans sa structure moléculaire même si son aspect général n'avait pas changé depuis les cheveux blanchis et les yeux pulsant du premier voyage. Il évacuait le trop plein d'énergie liée aux tachyons accumulés lors du transfert à vitesse sub luminique. Son corps constitué à 80 % d'eau restituant logiquement l'Effet Vavilov-Tcherenkov. Bien entendu le phénomène avait un visuel inquiétant, pouvant rendre le Dévoreur de Temps terrifiant pour certains sujets. La seule parade était de décélérer avant d'arrivée à destination mais ce n'était pas sans danger, principalement celui de rater le créneau d'entrée et de se retrouver là où on ne voulait pas. A choisir, il valait mieux faire peur. Cela faisait partie des mutations importantes mais c'était loin d'être la seule qu'il constatât. Il n'avait guère le temps de s'appesantir sur le fait de savoir s'il fallait s'en alarmer ou pas. Une insensibilité à la fatigue et à la faim, au froid, à la chaleur n'étaient pas foncièrement dérangeante en soi quand on menait la vie actuelle de Vladimir Stanzas, mais s'il en avait parlé à Alceste, ce dernier n'aurait pas manqué de lui faire observer que ne rien ressentir était le propre d'une entité dématérialisée, ou en voie de dématérialisation.

Une fois encore, il aurait été bien en peine de procéder autrement qu'en se privant de sommeil et, il aurait aussi oublié de manger si Dame Gertrude n'était entrée minaudant, non auprès de Stanzas mais auprès du chat persan récemment arrivé au Monastère, lequel avait été doté d'un nom et arrivait sur les talons de son admiratrice mais surtout du gigot sous cloche qu'elle apportait à son maître auquel elle vouait une véritable adoration. Le professeur leva le nez de ses papiers et posa ses lunettes en soupirant mais arborant un sourire attendri devant le dévouement de cette femme. Laquelle ne manqua pas de remarquer l'air las du scientifique.

- Vous êtes contrarié des nouvelles, n'est-ce pas ?

Il s'étira sur son fauteuil.

- Haa, Gertie... On le serait à moins...

- La mère du petit a finalement renoncé... Ça m'attriste aussi. Je me faisais une joie de l'accueillir moi, cet enfant. Et monsieur Alceste est tout nostalgique aussi. Il passe des heures à rêvasser dans le jardin avec Chapka ou à faire du jogging. Vous croyez qu'il en pinçait pour Miss Hadley ?

- Hmm! J'aurais plutôt avancé que c'était le cas de Thorvald  au vu de son apparition en vêtements surmoulant lors du repas d'arrivée de Miss Fairfield  mais ... Qui peut savoir ?

- Rhhoo Monsieur Vladimir! Même quand vous essayez d'être coquin, on voit quand même que vous êtes triste ! Pouffa la dame habituellement sévère. Mais c'est vrai que Herr Drogmund est déçu et puis il voulait emmener le petit à la pêche.

- Herr Gorthünson, Dame Gertrude. Drogmund  est le nom de la capitale de son royaume. Possible, oui, les Varègues accordent une très grande importance aux enfants et sa soeur a accouché il y a peu... L'idée de la paternité doit le travailler.

- Il a encore le temps... Il est jeune... Et puis un si bel homme ... Il trouvera quand il voudra.

- Jeune, beau ... mais très occupé par les combats qu'il a à mener, dont certains à ma demande ... Parfois je me dis que je vole la vie de tous ces gens Gertie...Je comprends qu'Hadley aie finalement refusé dans un sens.

- Ne vous tourmentez pas. Tous ces gens étaient dans la détresse avant de vous connaître. Vous n'y êtes pour rien. Vous proposez une aide. Si certains refusent, vous ne pouvez pas les forcer. Le père James prendra soin d'elle et de Baptiste. Et mangez donc votre assiette tant qu'elle est chaude et pendant que je vous fais la conversation. En tout cas, il y en a une qui ne quitte plus le chevet du jeune militaire depuis que vous l'avez amené, c'est Elymara. Si elle n'était pas en boulons et acier comme la chaudière, je mettrais ma main au feu qu'elle a le béguin pour le gamin.


- Gertie , vous disiez déjà cela au sujet de Thorvald et de Gannicus... Vous prêtez une âme de midinette à cette pauvre Elymara...

- Ohh mais pas du tout! s'exclama la dame patronnesse un peu vexée. De toute façon, elle va en être pour ses soupapes ! Le petit n'arrête pas d'appeler une certaine Ludmilla dans son délire. Ce doit être une fiancée laissée au pays...


- Il délire ? Vous n'exagérez pas un peu ? Et puis pensez-vous qu'il soit approprié de l'appeler "le petit ". Il doit avoisiner les 1m 80. Mais vous faites fausse route .. Ludmilla n'est pas hongroise.

- Il a l'air en état de choc  et tient des propos incohérents comme " Donnez moi votre poudrier parlant" ou "Voulez-vous mon manteau... Pourquoi êtes -vous en colère ? " et toujours en répétant le prénom de cette fille... Ludmilla. Comme s'il était ...

- Il l'est ...  je veux dire, en état de choc... Il est en état de choc, doublement... peut-être triplement...

Dame Getrude porta les mains à ses joues.

- Ohh! Pauvre cher ange ! Et pourquoi donc ?

- Eh bien comme vous avez du le lire dans le dossier mauve en époussetant mon bureau ... Ce jeune homme est un Hussard impérial d'Autriche/

- Mais vous disiez qu'il était hongrois ?

- Gertie, il va falloir réviser votre Histoire avec Alceste quand il aura un moment. La Hongrie était un état vassal de l'Autriche au XVIII° et ce jusqu'à ... Bon  quoiqu'il en soit, il a traversé une guerre abominable, a pris un coup de poing de Ludmilla et sa tête a heurté une souche . De plus il était entrain de prendre conscience/

- Qu'il l'aimait quand elle l'a frappé! C'est horrible, horrible ! Pauvre enfant ! Les femmes sont cruelles !

Vladimir leva les yeux au ciel et ses deux mains au dessus de l'assiette, même celle qui tenait un bout de pain pour saucer. Il ne savait pas s'il devait hurler de rire ou sermonner cette brave femme pour son esprit excessivement romanesque.

-  Il venait de prendre conscience qu'il n'était pas dans son époque mais avait voyagé dans le temps... et donc .../

- Que leur amour était encore plus impossible !!! Mais c'est horrible triplement ... Pensez-vous qu'il s'en remettra ?

Stanzas se leva et se tourna vers la fenêtre pour cacher son fou-rire. Quand il put regarder son ange gardien à nouveau il lui dit en tendant l'assiette vide et la cloche.

- Regardez ! J'ai tout mangé! Mais je dois travailler Gertie. J'ai tous les rapports de Thorvald à compulser avant la réunion de demain matin. Sans compter que je repars demain soir pour ramener la fameuse Ludmilla .

- Vous allez les réunir ! Que vous êtes bon ! Mon Seigneur est témoin que vous êtes bon !

- Mon Seigneur est témoin, surtout que je dois la mettre en sécurité avant une échéance fatidique. J'ai encore deux voyageuses à récupérer. Alors Gertie, vous pouvez filer en cuisine pour essayer différents cas de figure afin de  les "caser" toutes avec ces Messieurs les Voyageurs ... J'ai mangé mais maintenant je dois travailler. Poursuivit-il en poussant la brave femme jusqu'à la porte.

- Oui Monsieur Stanzas... Mais je ne lis pas vos dossiers... Le mauve était tombé et les feuilles s'étaient éparpillées.. j'ai juste survolé pour les remettre en ordre ... Je vous assure ... C'est vrai qu'il est Comte le petit ? C'est un noble alors ?

- Par la Barbe de Dracul !

- Je m'en vais... ne jurez pas !  Je vous laisse travailler ...

Vladimir Stanzas referma la porte et tenta d'étouffer un fou rire, y parvint presque, puis éclata finalement en se tapant sur les cuisses d'un rire tonitruant qui fit sursauter le chat majestueux mais dépité de n'avoir qu'un bout d'os tombé sur le tapis. Il rit, rit, comme il n'avait pas ri depuis fort longtemps mais son rire se transforma lentement en soubresauts puis en sanglots et c'est un homme en larmes qui s'appuya sur le chambranle de la porte.

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A peine 24 heures plus tard ...


Cette fois il n'avait pas eu besoin de taxi pour arriver à cet endroit qu'il connaissait déjà. Il lui avait suffi de visualiser l'orée des bois près du circuit du Mans. Ludmilla le vit donc arriver pulsant et brumeux , plein de vibrations tachyques . Elle était au pied du même arbre qui avait fait chuter le Hussard. Il attendit que les ondes bleutées s'apaisent et s'approcha lentement de la jeune fille.

- Vous avez eu le courage de venir ... Vous êtes un sacré numéro Ludmilla. Vous avez du cran, oui. Vous avez pu avancer un scénario pas trop alarmant pour vos proches ? Demanda-t-il, rongé par la culpabilité.

Il avança à couvert sous les arbres et lui fit signe de la suivre hors de la vue des rares voitures qui pourraient passer sur la route.

- Je ne vais pas avoir beaucoup de temps pour tout vous  expliquer. Je sais que vous recherchez votre ami. Mais je n'en sais pas plus que vous à son sujet, ce qui signifie en d'autres termes que ce n'est pas moi qui l'aie transféré , si  l'idée vous avez effleurée. Peut-être a-t-il été victime d'un transfert accidentel. Cela arrive ... Ou peut-être est-ce une anomalie liée aux premières manifestations des menaces qui pèsent sur nous tous. Peut-être a-t-il simplement fait une mauvaise rencontre ... Je ne veux pas vous donner de faux espoirs. On peut réécrire le passé mais ce n'est pas sans risque. Et ce n'est pas très bien vu par certaines instances ...

Il se tourna pour regarder Ludmilla dans la pénombre.

- Normalement, j'aurais dû vous proposer de choisir entre trois destinations pour passer les épreuves qui feront de vous une Voyageuse, mais les temps étant trop incertains, je dois regrouper les voyageurs débutants et les mettre en sécurité pour leur expliquer à tous, ce qui les attend. Nous allons nous rendre à Targoviste, dans un lieu qui existe vraiment géographiquement mais que je fais évoluer en suspension entre les époques, c'est un sas que j'ai créé.  Ensuite, nous partirons tous ensemble pour l'Antichambre de Zorvan qui en est un autre mais pas de mon fait, celui-là. C'est le lieu ou se déroulent habituellement ces épreuves qui nous forment au voyage temporel.

Il jeta un œil sur la sacoche que la jeune fille avait toujours en bandoulière.

- Vous avez pris vos affaires ? Si vous avez envie de refuser, il est encore temps, Ludmilla. Si je vous touche, vous serez capable de vous déplacer physiquement dans le temps. Ce sera irrémédiable. Mais ne croyez pas que cela fera de vous une voyageuse... Sans aide, sans formation aucune... Vos chances de survivre sont ... Je ne connais que deux personnes ayant réussi seules à atteindre l'Antichambre et une troisième que j'ai sauvée in extremis mais qui a subi un changement ... Si vous vous demandez ce qu' est cette Antichambre et pourquoi elle est un passage obligatoire pour devenir un voyageur, imaginez-là comme un vaccin au mal temporel. Il y a certainement des personnes qui arrivent à voyager sans y être passées mais je n'en n'ai encore rencontré aucune ... J'en ai vu périr en revanche qui avaient raté l"entrée de l'Antichambre et n'étaient pas assez fortes mentalement et physiquement, et ont péri ... sous mes yeux ... happées par le néant ...

Le regard du Dévoreur, dans l'ombre des feuillages, devint fixe, comme vide de toute vie... Il n'était plus là mais dans le vortex au tourbillon assourdissant. Le bourdonnement insensé était lacéré des cris des malheureux qui passaient. Accroché à la marche du seuil de l'Antichambre qui surplombait le vide intersidéral, il avait tenté d'en saisir un à son passage mais en vain. Ils filaient trop vite. Il s'était hissé sur la marche, collé à la porte gluante et ... une main nerveuse, masculine et précise l'avait saisi par l'épaule pour le tirer à travers la porte ... mais tous les autres ... ces morts ...TOUS ... MORTS.

- L'Antichambre, existait pour éliminer les Voyageurs les plus malins qui arrivaient à se diriger mentalement. Certains ont développé seuls ce don mais c'est extrêmement rare. Elle servait d'attrape-mouche pour voyageurs trop curieux et habile. Mais je l'ai transformée et retournée contre ses créateurs. Elle est devenu un terrain d'entrainement pour apprentis voyageurs. Toutefois, elle n'en demeure pas moins dangereuse ... Vous l'explorerez avec un ou deux  voyageur plus expérimentés.

Il soupira et regarda le ciel constellé d'étoiles. La nuit était belle, calme, presque silencieuse. Et il était en train de demander à une fille de 18 ans à peine de sombrer dans l'horreur et le chaos. Juste parce qu'elle avait dit qu'elle voulait que les choses changent, qu'elle avait désiré en pensée retrouver son ami et qu'il l'avait perçu.

- Lorsque l'épreuve sera finie, et que nous aurons triomphé des Gardiens du Temps... Vous pourrez vous mettre en quête de Lucas. Je vous y aiderai. Je n'ai encore jamais croisé de voyageuse aussi jeune que vous...De plus âgés que vous, de très courageuses personnes, ont préféré abandonner. Rien ne garantit que vous retrouverez certainement votre ami... Mais cela reste la façon la plus efficace d'essayer ...Peut-être la seule option ... Êtes-vous certaine de vouloir ?
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Message  Invité Lun 25 Aoû - 20:31

La lumière ! Elle s'était préparée à la voir. Cette aura bleutée avait une fois indiqué un voyage dans le temps ; elle n'avait pas douté qu'elle en soit une manifestation inévitable. C'était soit ça, soit le Dévoreur était en partie composé d'ampoules bleues qui s'illuminaient au hasard, mais cette option était vraiment trop étrange. En effet, si ces lampes étaient sans rapport avec le voyage dans le temps, le Dévoreur se les seraient collées dessus par pur amusement, sauf que ça n'avait rien d'un amusement, si ? Par contre, tout s'expliquait si la lumière venait bien du voyage. C'était peut-être bien une diode indiquant une dépense d'énergie, ou alors, une manifestation des particules qui permettaient ce prodige, ou alors...

 Elle se leva d'un bond, oubliant les multiples hypothèses que bombardaient son esprit. L'être bleuté ne l'était déjà plus vraiment, et elle pouvait à présent le distinguer. C'était bien cet homme enveloppé dans un long manteaux noir que venaient surmonter des cheveux blancs qui ne paraissaient pas liés à l'âge qui s'approchait d'elle. Et qui, à présent, lui parlait de son courage, avant de lui demander si elle avait pu trouver une bonne raison pour disparaître.

- J'ai trouvé quelque chose de crédible, oui. Et je ne crois pas avoir été très courageuse , rectifia-t-elle par pur souci d’exactitude.

 Parce que, le courage n'avait rien à voir avec sa décision ; qui aurait pu, sachant tout ce qu'elle savait, ne pas venir ici ? Qui aurait pu être assez fou pour refuser cet incroyable pouvoir ? Parcourir le temps comme un vulgaire chemin ! Accéder à des mondes qui n'existaient pas encore et connaître leurs savoirs ! Retourner dans ceux qui avaient déjà été emportés dans les méandres des souvenirs, et les voir tout vivant ! Et comprendre, enfin, le secret de cette entité obsédante qui faisait exister l'être humain depuis si longtemps sans qu'il ne puisse en appréhender la nature ! Oui, elle ne voyait vraiment pas qui aurait pu refuser ces choses incroyables, et c'est pourquoi elle n'hésita pas non plus à suivre le Dévoreur vers l'ombre des arbres, au lieu de crier au fou ou à l'amateur de lampes bleutés.

 Celui-ci lui expliqua rapidement un certain nombre de choses. Tout d'abord, qu'il était pressé. Décidément, c'était plutôt lui qui se faisait dévorer par le temps, pas le contraire. Mais cette information s'effaça de son esprit aussi vite qu'elle y était arrivée. C'est que l'autre en était venu à parler de Lucas. Elle fût à peine surprise qu'il sache ce à quoi elle avait pensé, s'étonna cependant qu'il ne paraisse pas certain de ce qu'il disait – il ne lisait sans doute pas dans les pensées finalement. Et surtout,cela brisa le tout jeune espoir qui avait commencé à s'installer en elle. Ainsi donc, Lucas n'était pas partit voyager dans le temps. Ou peut-être que si ? « transfert accidentel » ? Qu'est ce que c'était que ça ? Mais de toute façon, le reste était également possible. Elle sentit son cœur se serrer, instantanément. En ce moment... Non! Cela n'avait aucun sens, de toute façon. Si le temps était accessible n'importe quand, alors, ce moment, il n'existait plus. Il n'y avait pas d'instant universel que chacun vivait différemment, non. Il y avait d'autres moments dans celui ci, des changement, des voyages. Tout état simultané. Tous existait, là, maintenant. Il n'y avait tout simplement pas de « ce moment », pas un seul temps linéaire dont le moment était une portion de sa longue marche, mais « ici », un lieu parmi tant d'autres possibles qui avaient tous lieu là, tout de suite. Ce n'était plus une tranche dans le cours d'un film éternel, c'était une porte vers tout. En ce moment, d'autres moments étaient accessibles, d'autres temps se déroulaient. En ce moment, tout peut-être avait lieu.  Et, pourquoi pas, la disparition d'une autre disparition. Elle sourit.

 Cependant le Dévoreur continuait, la mettant en garde contre la réécriture du passé. De hautes instances ? Elle nota ce détail avec énervement. De hautes instances ! Elle s'en serait douté. Elle avait lu des livres, vu des films ; et, souvent, des empêcheurs de voyager en rond venaient gêner tout le monde. A la fin, habituellement, les héros, des sourires niais plaqués sur le visage, déclamaient dans un bel ensemble, à la suite de ces fichues instances : « il ne faut pas changer le temps ». A l'époque elle s'en fichait, maintenant, elle avait envie de les gifler. Il ne faut pas ! Ben voyons !Lucas peut mourir, et nous, faire un joli sourire ! Ces moralisateurs de pacotille se trompaient, assurément. Il fallait changer le temps, et le Dévoreur l'avait bien compris puisqu'il se tenait là, modifiant par sa simple présence les secondes de son temps à elle, de celui des particules de la terre sous ses pieds, de la forme de l'herbe, de l’oxygène qui entrait et ressortait régulièrement de ses poumons, de... Quoique...Pouvait-on parler de changement, dans quelque chose qui n'allait peut-être jamais exister tel qu'on l'avait prévu ? La réécriture permanente du temps qu'avait créé ces voyages existait-elle vraiment, ou n'y avait il qu'un seul temps, lui-même morcelé en référentiels, mais sans rupture, que les modifications ne changeaient pas, puisqu'elles étaient prévues dans son cours? Et si le changement en faisait partie intégrante ? Tout cela était si délicieusement compliqué qu'elle dut contenir l'envie d'y réfléchir sérieusement. Car le Dévoreur n'en avait pas finit avec les explications, auxquelles il ajouta matière tout en se tournant vers elle.

 Tout d'abord, il y avait les fameuses épreuves dont il avait déjà parlées. Elle seraient remises à plus tard, ce qui était inhabituel. Tiens, tiens. A n'en pas douter, cela faisait suite aux menaces dont il avait parlé peu avant. Il n'y avait plus qu'un pas à franchir, et elle le fit. Les hautes instances ne sont pas d'accord pour qu'on modifie le cours du temps...Et ce type le fait. Donc... Mais c'était un peu étrange ; pourquoi n'avaient-elles rien fait avant ? Elle imaginait un groupe de personnes occupées à surveiller les méandres du temps, hors de celui-ci qu'ils regardaient, alertées au moindre incident qui troublerait un déroulement jugé habituel. Oh, mais pouvait-on encore parler d'un avant ? Si, bien sûr, dans un de ces autres temps auxquelles elle avait pensé – mais n'était-t-il pas lui même constamment manipulé ? Enfin, combien de temps pouvait-t-il exister, à la fin ? Beaucoup, apparemment. Par exemple, il y avait un lieu en suspension dans le temps, « Targoviste ». Un temps dans le temps. Une « mise en abyme » aurait dit son ancienne prof de français. Comment était-ce possible ? Là, encore, cette question s'ajoutait à d'autres. Parce qu'il y avait aussi une certaine « Antichambre » de, euh, « Zorvanne ».  Qu'était ce que Zorvanne ? Un lieu ? Une personne ? Un animal ? Encore autre chose ? Mentionnant que cette Antichambre n'était pas de son fait, le Dévoreur révéla également que la mise en abyme, si. Comment, bon sang?Il peut créer un référentiel temporel au milieu d'un autre ? Et, apparemment, l'Antichambre était le lieu des épreuves qu'elle aurait à traverser. Pourquoi ici, et pas ailleurs ?

 Mais elle ne pouvait pas poser les questions qui lui brûlaient les lèvres, le Dévoreur continuait. Il lui demanda si elle avait pris ses affaires, ce à quoi elle répondit en indiquant simplement d'un geste sa sacoche. Ce qui suivi la surpris. Il lui expliqua qu'elle pouvait encore refuser. Refuser ? L'incompréhension se peignit sur son visage. Refuser ! Mais pourquoi ça, refuser ? N'était-elle pas là, à l'écouter briser des croyances qu'elle avait depuis si longtemps, à dévoiler un monde dont elle n'aurait jamais supposé l'existence ? Peut importait qu'il y ait des « menaces » mystérieuses, tout était une menace potentielle pour la vie, si l'on y réfléchissait. Peut importait que des épreuves l'attendent à cette Antichambre bizarre de « Zorvanne » non moins bizarre dont elle ne déterminait toujours pas la nature exacte. Connaître le temps était une raison plus que suffisante.

 Mais en était-elle encore une pour tout ce dont il parla ensuite ? La voix de son interlocuteur en effet ralentit, hésita, s'attarda sur des chances de survies plutôt faibles, des personnes ne restant en vies qu'en raison d'un miracle,des histoires de « changement » inquiétant...Elle haussa les épaules. Sa décision n'en était pas  pour autant modifiée. Évidement, cela aurait été bien, s'il avait suffit de voyager, tout simplement. Mais surtout, cela aurait été trop beau. Non, forcément, il fallait un sacrifice à la hauteur du présent que l'on poursuivait. C'était normal, presque , le moment difficile avant que n'arrive quelque chose d'intéressant, un peu comme rencontrer un cheval exterminateur pour que puisse en descendre un homme venu tout droit du passé.

 Néanmoins, l'individu  aux cheveux blancs n'en avait toujours pas terminé. En vérité, comme il mentionna la nature de l'Antichambre ,qui permettait apparemment de protéger des effets néfastes du voyage dans le temps quels qu'ils puissent être , sa voix s'assombrit peu à peu. Elle se fit plus grave au fur et à mesure qu'il décrivait des images qui semblaient se dérouler sur ses yeux vagues, à présent perdus dans le lointain. Son regard noyé dans la nuit ne laissait certes rien deviner, mais son visage s'était figé en une expression troublée qui la fit frémir. Elle eu le sentiment de connaître cela. Oui, elle l'avait déjà vu, pas plus tard que...la veille. Comme quand elle avait surpris le visage d'Istvan , hanté par une guerre. Ces morts, « happés par le vide »... A présent,ils lui paraissaient si réels qu'elle les imaginait. Des corps indistincts, engloutis dans un noir obscur et sans fin, la bouche grande ouverte en un cri déjà muet qui s'évanouissaient silencieusement. Un accident...Et si c'était comme pour ces « transferts accidentels », dont il avait parlé auparavant ? Et alors, Lucas...Non, ce n'était pas possible. Elle croisa nerveusement les bras. Ce n'était pas possible, parce qu'elle allait l'empêcher de disparaître, ce soir-là. Pour cela, il suffisait qu'elle ne tombe pas...Serait-elle, elle aussi, happée par le vide ? L'idée lui traversa l'esprit, fulgurante. Oui, c'était possible. Peut-être que, dans quelques instants, s'ils existaient encore, elle serait morte, enfin, elle partagerait le sort de ces malheureux dont les stigmates ornaient l'air crispé qu'abordait encore le visage assombri du Dévoreur.

 Ou peut-être pas.

 La voix de l'homme reprit, didactique. En effet, elle expliqua les origines de cette mystérieuse Antichambre, ajoutant au passage que les voyageurs du temps pouvaient se diriger mentalement. Un mot cependant s'arrêta aux oreilles de Ludmilla - « don ». Un don, que certains auraient développés seuls. Un don ? Elle fronça les sourcils, perplexe. N'était-ce pas lui qui avait parlé de « science » ? D'où venait cette histoire de don, alors ? Méfiante, elle contempla ce visage, qu'elle venait de voir perdre pied de manière beaucoup trop convaincante, mais pas assez pour qu'un doute ne s'installe en elle. Un doute à propos du Dévoreur, qui pouvait toujours ne pas être celui qu'il prétendait...Ou alors, du voyage dans le temps lui-même. Il lui avait semblé évident que cet individu en était forcément l'origine. A présent, cela n'était plus si sûr. Un don...Non, vraiment. Mais alors... D'où pouvait-t-il donc venir, ce voyage si particulier ? Si c'était un don, qu'est ce qui en était à l'origine ? Elle nota l'information dans un coin de son esprit, marquée de la mention « urgence », cependant que le Dévoreur continuait à parler, révélant la nouvelle nature de l'endroit sans en omettre les dangers, ainsi que la nécessité de ne pas l'explorer seul.

 Puis il lâcha un soupir, levant les yeux au ciel. Elle le regarda, sans chercher à comprendre l'origine d'un tel comportement. Elle s'interrogeait. Cette histoire de voyage dans le temps, si elle provenait d'un don, en prenait pour un sacré coup dans la crédibilité. Ce qui ne voulait rien dire par rapport à sa véracité, évidemment. Sauf que cela causait de nouveaux doutes chez elle. Et si elle avait eu tort de faire confiance à cet homme, finalement ? Peut-être voyageait-t-il vraiment dans le temps, mais ne le maîtrisait-t-il pas aussi bien qu'il semblait le penser. Ces Zorvanne, ces autorités invisibles, ces vides mystiques, tout cela n'était peut-être qu'une façon pour lui d'interpréter des choses vraies – et alors, comment savoir si ce qu'il disait correspondait à la réalité ? C'est un docteur en physique quantique, quand-même. se souvint-elle. Un scientifique. Il dit peut-être la vérité . Et s'il mentait ? S'il refusait de croire à la physique et la trouvait stupide, alors, il ne s'en poserait pas en connaisseur. Au contraire. Mais un don sonnait si peu scientifique qu'elle ne comprenait toujours pas où il pouvait bien vouloir en venir. Si on pouvait le développer seul, c'était naturel. Sauf que si l'on avait vraiment pu faire cela, comment expliquer que le monde entier ne soit pas, en ce moment même, en train de parcourir les différentes routes temporelles ? Et pourquoi fallait-t-il alors toucher cet homme pour obtenir son pouvoir, si l'on pouvait l'avoir soi-même? La seule solution lui vint tout de suite à l'esprit. Une élite. Oui, ce n'était pas tout le monde qui pouvait voyager dans le temps. Mais qui, et pourquoi ? Elle le regarda avec une attention renouvelée . Rien de particulièrement incroyable cependant chez cet homme qui ne ressemblait à un rien d'autre qu'un homme. Un homme, certes, encore un, qui aurait peut-être fait monter quelques rougeurs sur le visage de Julie s'il l'avait regardé de trop près, mais ça n'avait rien de vraiment extraordinaire...En fait, les joues de la pauvre détective auraient sûrement été mises rudement à contribution si elle avait vécu les derniers jours de la vie de son amie, tant cela y devenait habituel.

 Et cet homme lui proposa son aide pour retrouver Lucas. Après avoir affronté épreuves et Gardiens du Temps – avec un nom pareil, aucun doute, ils étaient les hautes instances sévères - , cependant. C'était donc bien eux, les causeurs d'ennuis. Et s'il ne suffisait pas de revenir dans leur passé pour changer ce qui les amenaient à ces dispositions, c'est sans doute que c'était impossible...Tiens, étrange, ça. Mais elle y penserait plus tard. L'homme lui demandait, encore une fois, si elle était sûre de vouloir voyager dans le temps. Sans aucun doute parce qu'elle était apparemment la plus jeune des voyageurs temporels qu'il connaissait, ce qui paraissait le perturber. Elle fronça les sourcils. Dites donc! Cette fois, la réponse si longtemps formulée franchit ses lèvres sans hésiter,agrémentée d'une nuance plus énervée :

- Monsieur le...Dévoreur de Temps, pour quelqu'un qui porte un nom qui n'aurait pas dépareillé sur un super-héros imaginaire, je vous trouve bien porté à juger ce qui n'a pas lieu de l'être. J'ai beau être jeune, je ne pense pas être moins courageuse que ceux qui voyagent déjà dans le temps. Ça n'a absolument rien à voir. De toute façon, il ne s'agit pas de courage, vous vous en rendez bien compte, ni d'âge, puisque certaines de ces personnes qui remplissaient ces deux "conditions" ont quand-même refusé.

 Elle haussa les épaules, et poursuivit :

- A mon avis, elles n'ont surtout pas dû se rendre compte de ce qu'elles risquaient de rater...Je ne vois pas d'autre explications. Parce que sinon, il n'y aucune hésitation à avoir. Vous l'avez dit vous-même. C'est la meilleure solution pour retrouver Lucas. Et c'est la seule également qui rende possible énormément de choses. Et vous le savez bien, puisque vous êtes là...

 Elle attrapa une mèche de ses cheveux et se mit à la tortiller entre ses doigts, pensive .

- D'ailleurs je ne comprends absolument pas comment c'est possible...Vous avez parlé de don, mais...Ah, si seulement vous n'étiez pas toujours pressé ! Désespéra-t-elle. J'aurais un milliard de questions à vous poser, mais le temps joue apparemment contre vous. Donc...Cela ne sert à rien de s'attarder là-dessus. Je ne sais pas comment, mais vous savez que je cherche quelqu'un. Je veux simplement le retrouver au plus vite, même si ça n'a plus vraiment de sens.

 Tant parce qu'elle n'aimait qu'on la traite en enfant – elle avait déjà le droit de payer pour se saouler et de voter, quand-même - que parce qu'elle ne doutait pas de ce qu'elle disait, elle ajouta:

- Je ne sais pas si vous allez pouvoir m'aider à retrouver Lucas, si vous n'en savez pas plus que moi. Donc, je ne pense pas que votre aide me soit utile, hormis le pouvoir que vous délivrez. De toutes façons, vous paraissez chercher à exaucer certains vœux. Alors...Vous êtes suffisamment occupé comme cela. Je m'en sortirais toute seule sans aucun problème.

 Elle s'interrompit un instant pour scruter le visage de son interlocuteur, comme pour y trouver une trace de ses motivations, sur lesquelles elle commençait à s'interroger. Mais il n'y en avait aucune, pas plus que l'explication du voyage dans le temps et de tout ce que cela impliquait, et elle reprit rapidement la parole :

- De toute façon, puisqu'il y a des Gardiens à affronter, il faut s'y préparer également...Vous êtes pressé, eh bien, moi aussi, je le suis...Nous sommes donc d'accord. Il faut y aller.

 Elle leva lentement la main.

- D'après ce que j'ai compris il suffit d'un contact, c'est ça ? Alors...Allons y.
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Message  Le Dévoreur de temps Dim 14 Sep - 15:34

Il aurait ri de la voir si véhémente à défendre le droit des jeunes à être vaillant si l'heure n'avait été si grave. Il voulait lui répondre mais elle ne lui en laissa pas le temps, déversant un flot ininterrompu de questions toutes très légitimes. Il l'écouta donc en hochant la tête d'un air compréhensif et lorsqu'elle eut fini et esquissé un geste pour le toucher, il recula de quelques pas. Même s'il avait l'intention de remettre les explications de détail à un autre moment, à savoir une réunion préambule pour les nouvelles recrues avant le conseil de guerre général, il devait tout de même éclairer Ludmilla sur certaines choses et sur le bien fondé de ses mises en gardes et offres de refus.

- Vous vous leurrez Ludmilla. C'est justement parce que je sais que la bravoure n'attend pas les années et que j'ai moi-même dû mener des combats d'homme dans un pays déchiré par la guerre que je vous accorde le droit de choisir . Le conflit n'est pas à votre porte, il est encore loin. D'autres vont s'employer à le stopper. Moi je n'ai pas eu le choix. La mort était dans nos murs. Vous l'avez. Vous êtes jeune et on peut vous accorder le droit de voir autre chose que du sang et des morts. Je suis venu à vous parce que vous avez imploré un autre possible. Je veux qui vous soyez bien consciente que cet autre possible , s'il peut vous faire retrouver votre ami, peut aussi être pire que votre vie actuelle. L'aimez-vous assez pour préférer partager avec nous et peut-être lui, les épreuves qui vont suivre, à votre vie, certes meurtrie par son départ mais relativement prometteuse. Vous avez l'avenir devant vous. Si vous rejoignez les Voyageurs du Temps, vous aurez tout devant vous : la mort, la vie, les guerres, les épidémies, les fléaux de toutes les époques planant sur vos voyages...

Il se mit à faire les cent pas dans la petite clairière, les mains dans le dos, attitude qui lui conférait indéniablement des airs de chefs d'état major.

- Ils ont peut-être raté une mort affreuse ou une cuisante déconvenue, ceux qui ont refusé...  Si je suis là, c'est parce que j'étais le seul à pouvoir vous aider, il est vrai. Comme je suis le seul à pouvoir aider les miens. Avoir découvert cette porte ne me laissait pas d'autre choix que l'action. Vous, en revanche, pouvez dire non. Vous n'êtes pas dépositaire de cette découverte. Et vous n'avez pas développé naturellement cette faculté latente qui est enfouie en chaque être humain . Ce que l'on appelle communément un "don".  C'est un peu comme si votre destin vous laissait le choix. Je ne l'ai pas eu parce que je suis dépositaire de cette découverte qui a fait de moi un catalyseur de cette faculté chez les autres. Vous avez raison, vous l'expliquer serait trop long et ce n'est guère le moment. Cela sera fait en temps et en heures.


Il secoua la tête négativement lorsqu'elle aborda le sujet de Lucas et de la quête solitaire qu'elle comptait entreprendre pour le retrouver et le sauver peut-être d'un péril.

- Seule, vous n'aurez aucune chance. C'est un travail d'équipe entre les Voyageurs qui opérera de manière positive. C'est un échange de bons procédés: ils interviendront dans votre temps et vous dans le leur, pour mener des missions . Mais vous comprendrez mieux quand vous assisterez à la grande réunion qui aura lieu à Targoviste autour de leurs leaders. Avant cela nous aurons une entrevue dans mon bureau vous et moi, avec quelques nouvelles recrues. Je ne sais si je dois y voir un signe des temps, mais vous serez sans doute heureuse d'apprendre qu'elles sont toutes des demoiselles dont deux ont sensiblement votre âge. Comme le Temps fait bien les choses, l'une vient du futur et l'autre du passé. Je ne doute pas que cela donne lieu à des échanges passionnants et à une collaboration fort enrichissante entre vous.


Il s'avança vers elle et lui tendit la main.

- Vous avez raison, ce n'est pas moi qui vous aiderais dans votre démarche en premier lieu, mais les Voyageurs avec lesquelles vous créerez des liens. Soyez cependant certaine que je ne serai jamais loin de vous, prêt à intervenir. Vous arrivez à un moment tourmenté de l'Histoire des voyages. Celui où nous devons tous nous réunir pour défendre notre droit à voyager. Quand cette épreuve ajoutée sera franchie, chacun d'entre vous pourra se consacrer à son propre chemin.
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Message  Invité Lun 29 Sep - 23:13

Ludmilla avait mal aux yeux.

 C'est qu'à force de les lever au ciel, cela devenait douloureux. Mais ce n'est pas comme si elle avait eu le choix. Trop des paroles qui sortaient de la bouche de l'homme au manteaux noir était de nature à l'énerver. Si elle avait été paranoïaque, elle en aurait conclu qu'il le faisait exprès.

 Elle avait pourtant commencé par écouter ses dires sans énervement aucun. Rien qui ne soit de nature à la surprendre, quoiqu'elle eut du mal à comprendre ce qu'était un « combat d'homme ». Qu'est ce que c'était que ça, un combat d'homme ? Seul un homme pouvait le mener ? Mais ça n'existait pas, et elle avait conclut avec perplexité que c'était sans doute une parole mal dite. Et puis, il y avait eu les mots de guerre, de mort. Des images qui ne l'amusèrent pas du tout, et elle n'y fût pas tout à fait indifférente. Mais cela n'allait pas la faire changer d'avis pour autant.

 Ce que l'autre ne compris pas, puisqu'il parla à nouveaux de choix. Elle laissa passer. Elle ne percevais décidément pas pourquoi il n'admettait pas qu'elle l'avait déjà fait, ce choix. Un soupçon vague était monté en elle. Et si il continuait encore à la traiter comme une enfant, une irresponsable, incapable de réfléchir aux conséquences de ses actes ? Mais elle s'était rattrapée avant de lâcher une nouvelle bribe de colère, non, non, cet étrange individu avait vu des choses atroces, des morts, il avait entendit des cris de terreur, croisé peut-être des regards sanglants et vides ou pleins d'un effroi sans mesure. Il ne voulait pas lui épargner ça à elle, sans doute; il voulait épargner ça à tout le monde.

 Mais il avait commencé. « Vous êtes jeune ». Ses yeux étaient montés vers le ciel, instantanément, comme un mécanisme de défense, et un soupir énervé avait passé la barrière de ses lèvres. Ce type. Est-ce qu'elle ne lui avait pas déjà dit ? Que l'âge n'entrait pas en ligne de compte ? Ce n'était pas comme si elle avait été une enfant qu'il fallait différencier d'un adulte. Absolument pas ! Et puis, qu'est ce qu'il avait, avec ce droit des plus jeunes ? Les plus vieux pouvaient bien aller mourir, eux ? Donc, elle-même, au bout d'un certain temps, quand elle aurait passé cette limite invisible, elle irait prendre un bon bain de sang, parmi les cadavres. Et il n'y aurait pas à se plaindre. Il fallait pas vieillir, hein ! Bah oui, mon vieux. Logique. Et toi, t'as passé la date de péremption, alors qu'est-ce que tu fous là ? Va prendre ta douche.

 Et il avait repris en l'exhortant à la conscience, ignorant les signes de colère évident qui se peignaient sur le visage fermé de la jeune fille. Elle avait croisé les bras devant sa poitrine, regardant l'étranger avec un mélange d'énervement et de curiosité. Est-ce qu'il ne se rendait pas compte de ce qu'il disait ? D'abord, il lui rappelait qu'elle devait bien réfléchir. Ben oui, rappelle le moi encore 36 fois, au cas où je serais une écervelée. Parce que visiblement, tu penses qu'il faut être débile pour voyager dans le temps. J'imagine que ça s'applique pas à toi, hein ? Ces mots auraient franchis ses lèvres, si elle ne se souvenait pas douloureusement que l'homme était probablement la seule option de salut pour Lucas, et la porte vers le voyage dans le temps, vers le monde. Elle en avait déjà trop dit. Elle ne devait plus rien dire. Les lèvres douloureusement fermées en une moue glaciale, elle s'était donc tue.

 Elle avait dut se retenir d'exploser lorsqu'il lui avait demandé si elle aimait assez Lucas pour voyager dans le temps, avant de lui parler d'avenir. L'avenir devant moi ? Tu parles ! Je ne voyage pas dans le temps, moi ! Je vais mourir avant de le voir, ton avenir ! Elle avait écarquillée les yeux, soudain. Comprenant. Il ne pense pas que je veux voir l'avenir... Elle commençait à percevoir pourquoi il agissait ainsi, pourquoi il refusait de la croire quand elle exposait ses choix raisonnables, pourquoi il répugnait à l'emmener voyager dans le temps, pourquoi il s'entêtait à lui en décrire les horreurs. Ce type ne l'avait jamais prise au sérieux. Pour lui, elle ne voulait pas voyager dans le temps, non. Lucas . Il la regardait, et une image se dessinait sous ses yeux. Les contours délavés de la jeune fille romantique apparaissaient, augmentaient, un corps faible et perdu dans une attente lasse agrémentée de larmes, qu'agitaient parfois de brusques chaleurs du sang. Victime de cette sensation, l'image s'élançait en courant, trébuchant sans cesse, tombant, enfin, une vaine agitation animant encore ses membres cloués au sol. Là, elle demeurait , incapable de se relever seule, ne pouvait qu'attendre indéfiniment, gagnant en opacité de seconde en seconde. Cette pathétique comédie glissait devant les yeux gris. C'était ça, qu'il voyait. Pas elle.  

 Et, bien sûr, il lui jetait un regard, avec ses yeux calmes, son pas militaire s'avançait, protecteur, et il pensait « Ah,la,la. », il baissait les yeux vers elle, « pauvre créature », il souriait, sûr de lui, le cœur bercé de la douceur de la bonté supérieure et saine qu'il déployait paresseusement, « heureusement que je suis là, pauvre chose va, je vais t'aider, allons, laisse moi t'expliquer».

 Cette fois, si elle n'avait pas parlé, cela avait été sous l'étonnement. Un étonnement mêlée d'amertume, un peu comme cette brusque trahison lorsque quelque chose nous percute, on ne l'avait pas vu, c'est la surprise, d'un coup, la douleur monte, et avec elle, une question instinctive, « pourquoi ? ». Pourquoi, oui, pourquoi cet inconnu se permettait-t-il autant de condescendance à son égard ? Pourquoi l'insultait-il, se moquait-t-il d'elle ? Pourquoi refusait-t-il de la considérer comme ce qu'elle était ? Pourquoi ne voulait-t-il pas simplement la regarder, la voir ? Certes, elle s'était énervée. Mais elle n'avait fait que répondre à un mot blessant qu'il avait déjà lancé. Elle ne l'avait jamais observé d'un air si suffisant, prononcé des paroles sûres face à ce qui était, sans aucun doute, une pauvre petite chose. Elle n'avait pas été toute cette lourde certitude marbrée de sourires, elle n'avait pas dégagé ce mépris vicieux qui avançait avec une fermeté de certitude assurée. Non, assurément, elle n'avait pas été cela, elle, cette être qui tout entier, dans son ton, ses gestes, ses mots, n'envoyait qu'un seul message : tu m'es inférieure.

 Oui, ainsi qu'il l'avait dit, il avait un don, et pas elle. Oui, cela lui laissait le choix. Mais, bon dieu ! Elle l'avait fait depuis longtemps, ce choix ! Fallait-t-il qu'elle arrache son cerveaux de sa boîte crânienne et qu'elle l'expose, qu'elle montre , « si si, là, regardez, des neurones, je vous jure ; ça pense ». Pourquoi devait elle s'expliquer, pourquoi devait elle prouver ? Elle n'était rien d'autre qu'un être humain qui agissait en être humain, et ce type, non, ce sale type, en était un, lui aussi, et il agissait pareillement, alors pourquoi ne le voyait-t-il pas ?

 Une douleur sourde la blessait, quelque part près du cœur. Elle se sentait tout simplement insultée. Et elle ne pouvait rien dire. Pense à Lucas. Pense au temps. Ça ne servirait à rien. C'est tout le contraire. C'était vrai, ça ne servirait rien. Ce type tournait en rond, tout à fait, exactement comme le cercle infini que traçaient ses pas sur le sol, martelant encore et encore le même chemin , trouvant devant lui une direction qu'il croyait devoir suivre, parce qu'elle était là, sans même se rendre compte que c'était celle qu'il avait fabriquée et qu'elle ne le menait nulle part. Elle avait profondément inspiré, et s'était concentrée pour ne plus regarder celui qui déversait sur elle un flot d'injures d'un visage impassible.

 Car il ne s'était pas arrêté là. Tout s'annonçait mieux, pourtant. Il avait d'abord procédé à quelques explications. Elle les avait écouté en écartant l'animosité croissante qu'elle éprouvait pour cet homme. Cependant, il ne lui suffit pas de faire cela. Il n'avait pu s'empêcher de glisser qu'elle serait heureuse de rencontrer de pouvoir rencontrer des « demoiselles ». Cette fois, elle soupira de manière beaucoup plus audible alors que son regard brûlant allait se ficher vers le ciel endormi. Il se moquait d'elle, ce n'était pas possible. Elle l'aurait pensé si la voix n'était pas aussi sérieuse, comme si elle se contentait d'énoncer banalement des faits, et pas autre chose. Alors qu'il venait encore de proférer une énormité. Un image s'était dessinée dans sa tête.  Une table , quelques chaises, et des corps enveloppés de larges tissus souriaient autour de tasses de thé parfumées , plantés au milieu d'un champ fleuri et ensoleillé. Le voyage dans le temps pour dames !  Un sourire déchira son visage, douloureusement. Elle avait envie de rire, un rire nerveux, qui se serait sans doute finit en larmes d'indignation. Ce n'était absolument pas drôle, finalement. Oh, merde.

 Le pourquoi ne se posait plus, non. Elle savait. Ce n'était pas l'image de la jeune fille amoureuse, non, c'était toutes les filles. Toutes les femmes. Elles se peignaient, réunies en un amas de clichés, et devenaient une entité incroyable et irréelle : « lafâme ». Une entité que l'on voyait en chaque femme, avant de la voir, elle. Le Dévoreur de temps ne verrait jamais Ludmilla. Il ne verrait jamais aucune autre femme. Tout ce qu'il verrait, à la place de toutes les personnes possibles, ce serait une seule et même chose, « lafâme ». Nul besoin pour lui de les connaître ; il lui suffisait d'appliquer cet attribut magique qui lui permettait de reposer et flatter son ego tout en profitant de jolis objets qu'il voyait fleurir partout autour de lui, puisque c'était comme cela qu'il voyait « lafâme ». Car cet homme, non, cet homme immonde, avait décidé. Les hommes étaient comme cela, les femmes étaient comme cela. Tout le bien , le temps, la valeur, le courage, l'esprit, était du côté les hommes. De son côté, bien entendu. Faibles, piaillantes, inconséquentes, et sans autre intérêt que quelqu'un d'autre, les femmes étaient l'irrémédiable inférieur. Un inférieur joli et plaisant ; mais un inférieur.

 Et c'était encore mieux, après tout. Qu'avait-il alors besoin de s'embêter au respect ? Avec un inférieur, s'il se sent lui-même inférieur car on le lui a répété depuis toujours, quel délice ! Un sourire de pitié, et le voilà qui s'illumine ; on obtient de l'admiration à peu de frais. Il n'y a jamais tout ces embêtements que l'on a dans les relations entre hommes, par exemple. Baissez la main ; l'inférieur la saisira comme un forcené, car il sait bien qu'elle est sa seule chance de survie, en tant qu'inférieur. Comme c'est pratique ! Et puis, comme cela renforce la cohésion du groupe, d'avoir un inférieur commun ! Il n'y a pas à chercher grand chose pour s'unir face à celui-là. L'erreur d'une seule est la faute de toute ; c'est ce qui est pratique quand on dit que tout vient d'une nature. On voit une femme tomber et toutes en sont salies. Nulle individualité ; toutes ne sont qu'une part, après tout, de cette idole que l'on révère parce qu'elle est si bien soumise qu'est « lafâme ». Ainsi, de tout temps, les hommes s'étaient rassemblés autour de cette expression magnifique et pleine de charme, qui sortaient de leur bouches comme une délicieuse incantation : « Ah, les femmes ! » . On soupirait, joyeusement, les rires se déversaient hors des gorges épaisses, l'on se tapait fraternellement dans le dos. Quel bonheur, de pouvoir ainsi se détendre en s'amusant ! Le mépris est un plaisir si bon et si généreux. Savoir qu'il existe, en ce monde, un nombre conséquent d'être inférieurs à soi, que l'on peut façonner de ses jugements, que l'on peut contrôler par sa force, que l'on peut échanger avec son voisin ; bref, pouvoir posséder une infinité de choses, et sentir qu'elles nous sont inférieures, n'est ce pas un amusement bien doux et bien heureux qui remplit aimablement le cœur de l'honnête homme ? De temps à autre, il peut faire preuve de pitié, tapoter la tête d'une de ces créatures, soutenir mollement une de ses phrases; alors, la sensation de sa générosité envers des choses qui n'en méritent pas tant l'emplit d'une valeur si juste et si parfaite ! Aucune joie n'est si grande que sentir sa domination sur d'autres êtres humains. Il n'est rien de meilleur.

 Ludmilla se sentait très mal. Elle était pourtant bien rodée à ce genre de discours. Pouvait-il en être autrement pour quelqu'un comme elle ? Les amis de son grand-père l'appelaient, sans doute ce qu'il jugeaient amical, le « garçon manqué ». Lorsqu'elle obtenait de moins bonnes notes que d'habitudes aux contrôles de mathématiques, de science, de physique, elle devinait les quelques haussement d'épaules qui en concluaient, parfois avec pitié, parfois avec un sourire, « c'est normal, c'est une fille». Son comportement était analysé, justifié, elle était une exception venue confirmer une règle, une fille bizarre, mais une fille tout de même, si l'on cherchait bien dans son comportement, l'on pourrait toujours le justifier. Si elle ne parlait pas beaucoup, c'est qu'elle était timide, car les femmes n'aiment pas par nature s'imposer. Si elle aimait la mécanique, c'est parce qu'elle avait une névrose, une maladie de l'esprit, un souvenir, qui la poussait dans un chemin où elle ne se rendait pas compte qu'elle ne pouvait pas se plaire, du fait de sa nature, bien évidemment. Si elle se laissait emporter par sa raison, c'est qu'elle était une femme, et qu'elle mettait bien trop de passion dans ce qu'elle faisait comme elles toutes. Si ses sentiments l'envahissait, c'est qu'elle était une femme, et qu'elle était bien trop sentimentale pour ne pas réagir à tout et n'importe quoi. Si elle souriait, c'est qu'elle était une femme, et que les femmes souriaient souvent du fait de leur trop-plein de sentiment. Si elle ne souriait pas, c'est qu'elle était une femme, et qu'elle devait avoir ses règles . Tout s'explique ! Satisfaits d'avoir résolu l'énigme, leurs esprits contemplaient les idées qu'ils avaient dénichées d'un sourire suffisant, et, gonflants leurs plumes avec fierté, ils comprenaient le monde.

 Ludmilla observait ces contentements de la pensées, et elle voulait leur expliquer qu'ils se trompaient. Cependant, elle voyait bien à leur poids qu'ils pesaient bien trop lourd dans le jugement, comparée à sa parole, que l'on pouvait de toute façon interpréter à l'envie. Qu'avait-elle besoin de montrer aux autres ce qu'elle savait, puisqu'ils ne la croiraient pas ? Mais il était dur d'être ainsi attaquée sur son identité. Il était dur de sentir une permanente et irrémédiable injustice que l'on n'a même pas le droit de nommer. Souvent, elle ne disait rien, mais décochait un regard vif et brûlant de colère. Si l'on se lançait dans un débat près d'elle, elle ne résistait pas longtemps au besoin d’expulser son énervement. Il était si rare de la voir dans cet état que son interlocuteur, surpris, se taisait. Mais elle n'avait jamais gagné : elle était à ces yeux une hystérique, une aveugle qui, comme les adversaires de Freud, voyaient leur indignation traduite comme une marque de refus. C'était un échec permanent.Elle n'était déterminé que par une chose ; ce chromosome qui avait décidé d'être le sien. Tout ce en quoi elle croyait était négligemment nié, tout ce qu'elle pensait, mensonge. Toute cette confiance que les hommes s'accordaient, tout ce savoir sur eux-mêmes qu'ils affirmaient, ils le lui refusaient. Je pense, donc, je suis. Je sais. Mais toi, tu ne sais pas. Tu ne penses pas vraiment, et tu n'es pas. Elle n'existait pas. Elle était une femme. Juste une femme. Pas quelqu'un.

 Et pourtant, comme elle se défendait avec virulence ! Comme elle s'énervait! Comme, les joues enflammées, la bouche grand ouverte, les sourcils froncées, elle cherchait à sortir de ses entrailles une vérité qu'elle laissait toute brûlante à l'air libre, un air qui ne l'affadissait pas, mais entretenait cette flamme ! Mais l'on regardait avec étonnement et peur cette chaleur , elle inquiétait un peu, ou elle faisait rire. Pourtant, elle ne pouvait pas se taire, elle ne pouvait pas être indifférente.

 Car l'attaque était si forte,il fallait bien se défendre. Les coups que l'on portait contre elle-même, les agressions répétées de ce qu'elle était, la façon dont on la ramenait à ce qu'elle n'était pas avec tant d'assurance, la façon dont elle était perpétuellement niée, tout cela lui faisait mal. Il y avait bien là quelque chose d'absurdement cruel, dans la façon dont  on cherchait à tout pris à la tailler d'une façon qui plaisait bien à tout le monde. Ces intérêts s'accrochaient à elle, se bousculaient pour la définir, pour la manier, aux gré de leurs envies fluctuantes. Si une rivière coule quelque part, sans gêner personne, mais que l'on a envie d'eau, on en fait toujours un barrage.

 Quelque fois, lorsqu'elle était seule, chez elle, la nuit, et qu'elle n'arrivait pas à dormir, elle se levait et s'accoudait à la fenêtre de sa chambre, après l'avoir grande ouverte. Elle donnait sur la campagne environnante. Là, elle pouvait voir la nuit qui s'étendait à perte de vue, composé dont elle distinguait peu à peu les éléments différents, des formes changeantes et mouvantes, des éclats de lumières de la lune qui éclairait au rythme des nuages des détails nouveaux. Alors, les yeux perdus dans le vague, respirant un air frais et bruyant, elle sentait une énergie incontrôlable l'envahir, quelque chose de primitif et d'énormément vivant. Ce qu'elle voyait, ce n'était plus la nuit, mais un monde entier, un monde d'alternatives gigantesques, des avenirs différents qui naissaient et s'évanouissaient au rythme de ses pensées. Elle était tout et elle n'était rien encore. Les possibles s'étendaient à perte de vue, la contingence du monde lui apparaissait, elle était libre. Tout en elle n'était plus qu'un élan vers les choix qu'elle pouvait faire, vers tout ce qu'elle pouvait accomplir, et, encore indéterminée, elle savourait le fait de ne pas les avoir encore arrêtés, et de pouvoir le faire un jour.

 Mais on lui refusait l'avenir. Ce qu'elle faisait n'était pas vrai, et elle ne pouvait réellement se plaire dans le raisonnement, la mécanique, la froideur. En vérité, elle aimait les robes à fanfreluches, les rires haut perchés, les sucreries, la douceur, l'amour. C'est juste qu'elle ne le savait pas encore. On le lui disait, on le pensait sur son passage. Et quelque chose en elle, indigné, se relevait, tentait de sortir de l'étouffement où on le maintenait. Ses protestations étaient un cri désespéré, un puissant « J'existe, pourtant ! » qu'elle aurait voulu hurler à la face du monde, tant elle sentait qu'on ne l'écoutait pas.  Entaillée de toute part, ensanglantée, torturée, son identité se battait dans un sursaut de volonté, dans une peur incontrôlable, celle de son imminente disparition. Elle ne voulait pas mourir, manquer d'air, étouffer sous les poudres lourdes, les jolies jupes qui l'empêchaient de se mouvoir, les colifichets qui s'enroulaient méchamment autour de son coup et l'étranglaient. Elle revendiquait la plus simple prétention, la volonté la plus humaine et la plus pure possible : le droit d'être .

 Ludmilla sentait qu'elle n'en pouvait plus. Son cœur tambourinait dans sa poitrine. Il fallait qu'elle intervienne. Elle ne pouvait pas le laisser la rabaisser à ce point. La détruire à ce point. Non, arrête. Encaisse, laisse passer, ça va se finir, il y a bien un moment où il va arrêter ça, il ne peut pas parler indéfiniment. Elle s'était tue.

  Le pas de l'autre s'était approché. Une douleur sourde pulsant à ses oreilles, l'humiliation imprimée dans son visage,elle avait baissé les yeux sur lui . Il faisait sombre, l'on ne voyait plus grand chose, mais pourtant, elle avait distingué les traits palis de cette silhouette qu'éclairaient une lune brouillée. Cette face blanche et froide, vide, lui semblait celle d'un cadavre. Il y avait quelque chose de mort dans cette figure pétrie de certitudes fausses, d'idées de surfaces, de sourires d'une bienveillance absurde et d'une pitié toute répugnante. Il tendit la main. Elle eut un frisson, un mouvement de recul presque instinctif, devant cet amas de chair froide et crispée. Il tendait la main ! Il voulait qu'elle accepte ! Maintenant, alors qu'il lui expliquait pesamment que tout ce qu'il avait dit était mensonge, qu'il ne la laisserait pas, que le temps n'avait pas de place pour elle, parce qu'elle était elle ! Maintenant qu'il avait jeté tout son mépris dégoulinant d'une sûreté bien-pensante ! Et se serrer la main, amicalement, comme si rien ne s'était passé, comme si on n'avait pas traité quelqu'un comme une chose que l'on surplombait !

- Comment osez-vous...

 Elle s'interrompit, juste à temps. Elle avait failli laisser éclater les barrières. Par chance, l'homme n'avait rien paru remarquer, il parlait. Elle se tut.

 Or, quelque chose se brisa. Peut-être était ce don de raison incongru après l'avoir tant pris, qui mettait sa lumière au milieu de ces ombres indistinctes. Peut-être aussi ce droit qu'il y avait à défendre, qui lui rappela que le sien était bien mis à mal, puisqu'on lui retirait la possibilité d'être un individu responsable. Peut-être enfin ce dernier mot de chemin, de chemin qui lui appartenait, à elle, et à personne d'autre. Toujours est il que lorsqu'il cessa de parler, le flot la transperça, d'un seul coup, ce n'était plus possible, elle ne pouvait pas laisser faire ça.

- Je ne sais pas ce qui est le plus drôle dans tout ce que vous avez dit...C'est peut-être que vous y croyez ? Vous vous voyez vraiment comme ça ? Un bon samaritain, hein ?

 Ce visage ! Elle aurait voulu pouvoir le frapper, oh, ce n'était pas tant l'idée de faire mal, c'était plutôt ébranler cette pierre glacée et immobile, vissée sur son socle bâti depuis des millénaires, que ça se craquelle, se fissure, tombe ! Que ces yeux éberlués se teinte d'un coup d'une lumière froide qui éclairerait la scène, qui montrerait l'insulte ! Voir un un vacillement de suffisance, une hésitation de la hauteur, voire même, un frémissement de honte !

- Franchement. Si c'est le cas, c'est vraiment triste. Aider les gens. Pff ! C'est tout le contraire. Tout ce que vous faites, c'est m'insulter, monsieur. Oh, j'imagine que vous allez me dire que vous n'avez rien fait. Parce que, bien sûr, vous savez tout mieux que tout le monde. Vous n'en doutez pas une seconde, c'est tellement clair. Douter, ce n'est pas pour vous. Vous savez tout, n'est ce pas ?

 Sa voix vibrait de plus en plus, l'indignation.

- Vous me dégoûtez. Vous me traitez comme une idiote. Vous me ramenez à des images stupides. Vous vous moquez de moi. Tout ça, bien sûr, parce que je suis - oh, crime! - une femme. Et évidemment, vous en concluez une hiérarchie qui vous autorise à me traiter en inférieure, avec le sourire. Oh, c'est pratique, ça, ça vous permet de vous placer au-dessus. C'est sûr que si on a pas de marchepied, on ne peut pas regarder facilement les autres de haut. Mais vous voyez, quand on traite les gens en marchepied, ils ne vous aiment pas. Ciel ! Ils sont si peu reconnaissant vis-à-vis de votre grandeur. On se demande bien pourquoi, si elle existe, cette grandeur. Sans doute parce que vous ne la prenez qu'en écrasant les autres.

 Elle secoua la tête.

- Et vous me demandez d'accepter ça. Comme si c'était normal, ça, me dire que je suis bête, me dire que je suis irresponsable, parce que je suis une femme. C'est insultant. C'est injuste. C'est ignoble ! Oh, oui, vous ne le voyez pas. Parce que vous n'êtes pas celui qu'on discrimine, vous. Vous ne le serez jamais, ou alors, vous pourrez, vous, vous en défendre parce que personne ne vous fera douter. Mais, allez, arrêtez de mentir cinq minutes. Réfléchissez sincèrement : auriez vous agit comme cela avec un autre homme, même de mon âge ? Bien sûr que non. Il n'y a que les femmes que vous pouvez traitez comme ça, c'est vrai, ce n'est pas comme si c'était des personnes différentes, non, bien sûr, elles n'ont pas besoin d'être des gens dans votre esprit. Il vous suffit de pouvoir alimenter votre petite suffisance . Mais moi, je n'ai pas envie de l'alimenter, cette suffisance. Pas question que j'accepte. Alors vous pouvez ranger votre main, votre ego, et votre cerveaux – ah non, ce dernier n'était pas de sortie, visiblement. Et tant qu'à faire, aller vous faire foutre.

 Un pas. Puis l'autre. C'était tout ce qu'il y avait à faire, et ça serait terminé. Elle n'aurait plus à sentir tout ça. Elle ne pouvait pas, de toute façon. Toucher cette main, non, c'était dégoûtant, c'était abdiquer. Une réaction épidermique la parcourait chaque fois qu'elle y repensait, un sursaut, un refus. Cet homme était déjà perdu, fini, c'était fichu, il ne verrait rien, il était inatteignable. Là, au loin, perdu dans les brumes de son regard aveugle, ne voyant du monde qu'un reflet égaré, indifférent, il concluait. Ses rouages paresseux s'agitaient sans problème, ronronnaient d'une permanente satisfaction face à ces données inchangées que le filtre maintenait dans la bonne teinte. Il était là, posé, face à l'existence, et il était fier : il savait. Il n'y avait qu'à abandonner, elle gesticulait face à une statue.

 Sauf qu'il y avait Lucas, sauf qu'il y avait l'avenir, sauf qu'il y avait le monde. Elle n'avait pas vraiment le choix, c'était évident. Mais laisser tomber! Un espoir se réveilla, soudain. Peut-être qu'elle n'aurait pas vraiment à abandonner. Peut-être qu'elle avait une chance. Une chance de ne plus se faire insulter. De ne plus être traitée différemment. De ne plus sentir ce mépris abject. C'est pourquoi elle continua presque immédiatement :

- Ou alors, vous reconnaissez que vous m'avez méprisé sans raison, mieux, vous reconnaissez que vous avez eu tort de le faire. Bref, et je sais, c'est très difficile, mais essayez de le concevoir : vous pouvez tout simplement essayer de vous comporter comme...Vous voyez...Un être humain décent.
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Message  Le Dévoreur de temps Mar 21 Oct - 14:57

Il était rare que Stanzas perde son sang froid et il s'y efforçait encore face à cette jeune fille. Il se répétait sans cesse que ce n'était pas sa faute, qu'il était logique qu'elle réagisse ainsi. Les générations qui n'avaient pas connu la Guerre autrement que sur des films d'archives ou en simulation dans des œuvres de fiction, des jeux vidéo, en avaient fatalement une image différente de ceux qui avaient dû échapper aux balles ou les tirer. Il devait garder son calme et laisser glisser les insultes sur lui. Après tout, elle n'était pas obligée de l'apprécier lui, pour devenir une voyageuse, pour mener à bien ses recherches et participer à sa mesure à la mobilisation contre les Gardiens du Temps. Lui, savait qu'elle était honnête, courageuse, droite, sincère. Cela suffisait pour accéder à sa requête. Si elle voulait ignorer ses mises en garde et foncer sans savoir, c'était son droit. Il les avait énoncées, il n'allait pas taper sur le crâne de la jeune fille pour les faire entrer. De toute façon, elle verrait bien par elle-même, lorsqu'il les réunirait tous et leur demanderait de se présenter avant de leur expliquer ce qui les attendait dans l'Antichambre. Elle côtoierait alors d'autres guerriers et guerrières, des policiers et policières , des personnes qui avaient fait plus qu'imaginer ce qu'était se battre contre un ennemi sans concession et omniprésent, des personnes qui avaient en commun avec Ludmilla d'avoir perdu un proche, disparu sans explication, mystérieusement. C'était peut-être ça qui les séparait: lui savait comment et pourquoi Gala et Loudna avaient disparu. La raison était commune à plusieurs millions de personnes, la raison se nommait Holocauste. Ils ne partageaient pas la même peine, finalement et c'était peut-être pour cela qu'elle le haïssait

Ce que Ludmilla ignorait, c'est qu'un autre Holocause se préparait et que seuls les Voyageurs pouvaient l'empêcher. Chaque minute passée à se disputer en était une qu'ils ne consacraient pas à cette cause. Il fallait recentrer la conversation sur le voyage. Il parla d'un ton las et doux

- J'ai bien compris que vous ne m'appréciez pas et me méprisez. J'ai pris note que je vous dégoûte. Peu importe. Je vais reformuler la situation autrement et en termes clairs. Vous voulez retrouver Lucas. Je suis le seul à l'avoir entendu, et le seul voyageur capable de vous transformer en voyageuse, donc de vous permettre de le chercher sur plusieurs plans temporels. C'est votre problème central, celui qui vous a fait implorer une aide: retrouver Lucas. Le fait que je suis venu pour vous aider et non pour une ballade de santé vous échappe. Soit !


Il glissa sa main dans sa poche pour jouer nerveusement avec le briquet qui s'y trouvait. Une sorte de tic avant d'allumer une cigarette. Il faisait tourner le zippo dans sa main. Il ne faisait cela que lorsqu'il était très énervé.

- Vous avez cependant un autre problème. Un problème que nous avons tous. Celui qui me mobilise depuis plusieurs jours, voire semaines. Et tous les voyageurs que je peux mobiliser vont devoir s'unir pour y faire face. C'est pour cela que j'ai prévu de vous emmener à Targoviste avant de passer par l'Antichambre. Vous allez y retrouver Istvan  et bien d'autres que vous ne connaissez pas. Vous ferez leur connaissance et vous n'aurez plus guère à faire à moi après cela. Sauf si vous le demandez. D'autres pourront vous aider dans vos recherches, vous n'aurez plus à me supporter. Mais avant, nous allons mener un combat dans lequel certains d'entre nous vont mourir. Je vous ai prévenue. Pour cela, j'ai été insulté. Ce n'est pas grave. Je me devais de vous prévenir. On n'entraîne pas une enfant dans une guerre sans la prévenir. Car pour moi, vous êtes une enfant et cela n'a rien d'insultant. Que vous ayez passer l'âge légal de la majorité n'y change rien à mes yeux. D'ailleurs cet âge à évolué au fil du temps. Je devais vous prévenir parce qu'aux yeux d'un père, son enfant n'est jamais assez vieux pour vivre ça. Je le devais à vos parents que vous ne reverrez peut-être jamais. Vous aviez le choix, contrairement à ma fille... de rester en vie ou de préférer risquer de mourir. Je ne pouvais pas oblitérer ce choix à vos yeux. Lucas n'est pas une raison suffisante pour mourir, d'ailleurs, il ne voudrait probablement pas que vous mourriez pour le chercher. Vous pourriez attendre qu'il revienne ou vous résigner à l'avoir perdu. Comme la majorité des proches de disparus. Tous n'ont pas invoqué mon aide, et parmi ceux qui l'ont fait, tous ne l'ont pas finalement acceptée, une fois que je leur ai expliqué ce que cela impliquait. Et ce n'est pas la première fois que l'on m'insulte. C'est cependant la première fois qu'on le fait lorsque j'en suis à la "mise en garde". En général, les insultes viennent bien avant.  Ce qui vous révolte n'est donc pas que je prétende pouvoir me déplacer d'une époque à l'autre mais que je dise que ce peut être mortel... Et que vous avez le choix de ne pas le faire. Fort bien! Vous voilà plus qu'avertie. Maintenant, vous voulez y aller! Allons-y!


Et pour la seconde fois, il tendit la main dans sa direction.
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Empreinte : L'histoire de Vladimir Stanzas ou comment on devient le Dévoreur de Temps
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Message  Invité Ven 24 Oct - 1:28

Cinq minutes.

 C'était généralement le temps que ça durait, dans ces situations. Cinq minutes de pure animosité, cinq minutes de dégoût, cinq minutes d'indignation. Après, la colère retombait, et elle sentait un espèce de découragement tomber sur elle. L'animation disparaissait, ses bras s'abattaient le long de son corps, ses yeux s’éteignaient , ce n'était plus la peine, tout ça. Alors, c'était la culpabilité qui venait la tourmenter. C'est inutile. Pourquoi j'ai fais ça ? A quoi je m'attendais ? A rien. Elle ne s'attendait à rien. Elle avait prévu, que ça se passerait comme ça, exactement comme toutes les autres fois. Elle le savait bien, en fait. Même l'espoir ne pouvait pas masquer cette évidence. Pourquoi cela aurait-t-il changé ? Une assurance aussi vieille, aussi bien assise, elle ne pourrait pas la renverser en quelques mots, ça ne servait à rien. C'était le contraire, oui. Elle aurait mieux fait d'oublier tout, de ne pas approuver d'accord, mais simplement, d'attraper cette fichue main silencieusement, et tout se serait terminé sans problèmes. Pourquoi s'était elle laissé aller comme ça ? Pourquoi avait-t-elle cru qu'elle pouvait faire quoi que ce soit ? C'était stupide. Elle aurait dû s'habituer, dû se laisser faire, depuis tout ce temps. Tant d'autres y arrivaient. Pourquoi pas elle ? Pourquoi fallait-t-il toujours qu'elle veuille répondre ? Elle n'aurait pas dû, non. J'ai eu tort. La sentence, implacable, fit sortir un léger soupir de ses lèvres entrouvertes.

 C'était sûr, elle ne pouvait pas avoir eu raison de parler. Il suffisait d'écouter le discours de ce satané type. Affronter un peu la nature de ce qu'il avait dit, pour un homme de son importance, c'était trop difficile. La vérité blessait son cœur innocent et pur qui s'extasiait si bien de lui-même qu'il ne pouvait se passer de ce plaisir intense. Son ego se dépêchait donc de rassembler des choses abandonnées, des débris, des déchets, et il les assemblaient rapidement pour boucher les trous qui laissaient passer la lumière. Tout ça pour laisser place à sa grossière morale rafistolée qui s'empressait de rayonner de sa petite lueur crasseuse au dessus de ses actes. Alors, il s'installait dévotement en face de lui-même pour s'adorer. Les infidèles qui osaient ne pas lui vouer un culte déclenchaient son immense courroux, et il leur jetait des piques du haut de son trône d'ordures, drapé dans sa tristesse éplorée. Déjà, il expliquait à quel point il souffrait, le triste individu. Il avait bien compris que cette peste de Ludmilla osait le trouver répugnant, lui qui était si bon et si généreux. Par contre, il n'avait absolument pas compris qu'il n'avait été ni bon ni généreux.

 Ce fut sans étonnement qu'elle l'écouta développer ce chapitre larmoyant, en habituée des justifications vaseuses. En vérité, elle ne l'écoutait qu'à demi. Elle se demandait comment se rattraper. Il ne fallait pas qu'elle s'attire la défaveur de cet inconnu. Elle avait trop besoin de ce qu'il pouvait lui fournir. Comment avait-t-elle pu laisser sa fureur prendre le pas sur ses intérêts ? Bon, c'est plus la peine d'y penser. Concentre toi, Lu'. Il faut vraiment que tu fasses ce qu'il faut maintenant. Elle réfléchit. L'homme continuait de se plaindre de ce qu'elle ne voulait pas comprendre que lui, le pauvre petit chou, il l'aidait gentiment, et qu'elle ne comprenait pas comme c'était dangereux, parce qu'elle était vraiment très bête, et le grand monsieur était si gentil, et bla, bla, bla. Sans doute aurait-t-elle dû se rouler par terre en pleurant pour qu'il comprenne à quel point elle voyait le danger. Il fallait clairement quelque chose de ce genre pour qu'elle exprime sa pensée, parce que le dire, visiblement, ça ne lui suffisait pas. Mais maintenant, c'était trop tard pour ce genre de spectacle. Elle se contenta de le toiser d'un regard vide où l'on ne pouvait rien lire du tout. Elle se sentait juste découragée, incapable de s'énerver, et elle ne voyait pas quoi faire d'autre que laisser glisser toute cette fausse tristesse gluante jusqu'à ce qu'elle se tarisse.

 Et dire qu'elle aurait pu éviter ça ! Elle avait appris, pourtant. Julie lui avait expliqué. La détective n'avait pas son pareil pour soutirer des informations aux gens. Et son verdict était sans appel :

-  La majorité des mecs que tu croisera dans ta vie te prendront pour une conne. Le meilleur moyen pour qu'ils te donnent ce que tu veux, c'est de les laisser croire que oui. Les brusquer ? Ça briserait leur petit cœur, voyons !

  La jeune fille s'était levée du canapé où elles étaient affalées, avait doucement passé la main dans ses cheveux blonds, incliné la tête tout naturellement, sourit, et les yeux levés en direction d'un interlocuteur invisible, déclaré :

-  Oh, monsieur, vous êtes si intelligent ! Heureusement que vous êtes là ! Je ne sais pas comment je ferais sans vous...D'ailleurs...Vous pouvez m'aider à...Euh...Marcher ? J'ai oublié comment faire, hihi !

Elles s'étaient regardées un instant avant d'éclater de rire.

- Le principal est dans le sourire, Lu', avait conclut la blonde en se rasseyant. L'inclinaison de la tête joue pas mal aussi. J'ai remarqué qu'il y avait un angle idéal, ça a un effet monstre.

- Moui...C'est difficile, quand même.

- Difficile ? Pour toi, je veux bien le croire … Tu tiens jamais deux minutes ! C'est toujours à moi de m'y coller ! Sauf si je veux que le gars perde les pédales ! Avait-elle fait, moqueuse.

- Pfff...Mais...Je ne supporte pas d'être prise pour une imbécile comme ça, sans raison, par quelqu'un qui ne sait rien de moi.

- Bien sûr ! C'est injuste. Mais tu n'as pas besoin de leur dire, que ça l'est ! Des gens comme, ça mérite même pas de franchise. Et puis ça permet de fournir un bon petit air inoffensif particulièrement utile, quand tu veux obtenir quelque chose de quelqu'un.

- Si encore, ça le faisait, ça! Le truc c'est que ça ne marche même pas à tous les coups. Au final, ça dépend quand même de l'humeur du type. Ça dépend toujours de lui. Et puis, et si justement, tu dois pas paraître inoffensive ?Comment tu fais, dans ces cas-là ?

- Pour détruire un préjugé comme celui-là, dans pas mal de cas, il faut du temps, beaucoup de temps avant qu'on te prenne vraiment, mais vraiment au sérieux. Ça sert à rien de juste agir comme tu le fais d'habitude, le gars va se sentir tout déçu, et s'empresser de te taxer de folle. Et là, pour partir à la pêche aux infos, bon courage.

- Mais comment tu ferais, là, maintenant, si tu veux juste que le gars te traite comme...Ben...Un être humain?

- Là, tu me demande l'impossible. Enfin...Si tu me caches un peu cette poitrine...Encore que...Je sais pas comment cacher ça...

- Oh, allez, Julie... Avait fait la brune, en soupirant.

- Non, mais, sérieusement...C'est juste pas possible. Alors 'faut fait avec. On s'habitue. Si tu fais autre chose, ça foire, de toute façons. Donc, bon...C'est pas comme si on avait le choix. 

Oui, elle aurait dû y penser, elle devait le graver dans sa mémoire pour la prochaine fois qu'un incident du genre se présenterais. Elle n'avait pas le choix.

 Il parla de nouveaux du « problème ». Autrement dit, de l'affrontement. Puis provoqua un léger sourire sur ses lèvres quand il mentionna qu'elle n'aurait plus à le supporter. Ça, c'était de la bonne nouvelle. Il s'effaça quand il rappela le combat à mort. Cela, au contraire, n'était pas du genre encourageant. En fait, c'était même plutôt propice à la crainte. Mais elle avait depuis longtemps compris qu'elle ne pouvait pas , non, elle n'était pas capable de se dire qu'elle ne vivrait que ça, qu'autre chose, que le reste. Et elle avait déjà envisagé sa propre mort. C'était comme cette fois là, collée contre le bois d'un parquet inconnu, le regard dans l’entrebâillement d'une porte grinçante, le cœur tressautant beaucoup trop vite, la main serrée sur un jouet, l'esprit vide, quelque part, tout au fond d'elle-même, elle savait. Et toutes les autres fois, et maintenant aussi, elle savait. Et c'est pourquoi elle n'avait pas besoin que cet homme essaie de lui expliquer, parce que c'était quelque chose qu'elle savait déjà, quelque chose qu'elle connaissait, la respiration qui se bloque, le cœur qui hésite, et loin, très loin, tout au fond, cet espèce de cri bizarre et incrédule qui gémit quelque part, même sans avoir été prononcé. Comme une protestation.

 Mais il ne voulait pas comprendre la raison de la détermination qu'elle n'avait cessé d'aborder. Il ne voulait même pas comprendre les sens de ses propres actes à lui, et ça, c'était peut être pire. A présent, il se posait calmement, le ton bas, les yeux tristes, l'image de la victime courageuse, soutenant le poids du monde sur ses épaules, et qui se prenait en prime quelques tomates dans la figure. Il avait été insulté. Et toi, mon vieux, tu m'as fais quoi ? Des chatouilles ? Est-ce qu'il se rappelait ce qu'il avait dit, au moins ? Non, visiblement pas. Pour lui, c'est parce qu'il l'avait prévenu qu'il était insulté. Elle le considéra, sincèrement étonnée. C'était bizarre, quand même. Il croyait vraiment que quelqu'un pouvait se faire insulter pour ça ! Il ne voyait pas que tout ce dont il avait enroulé cette prévention, toutes ces fois où il l'avait répétée sur ce petit ton paternaliste qu'il affectionnait, bref, tout ce qui en débordait, c'était cela qu'elle lui reprochait ? L'avait-t-il au moins écoutée ? Était-t-il plongé dans le déni au point d'avoir effacé ses paroles de sa mémoire ? Là, c'était énorme. Jamais elle ne s'était trouvée face à un cas pareil. En même temps, jamais je n'ai vu quelqu'un qui voyage dans le temps. Pour ce qu'elle en savait, ce Dévoreur de temps pouvait bien avoir des sautes de mémoire impromptues. D'ailleurs, ça collait bien avec son nom.

 Le problème, c'est que s'il croyait véritablement qu'elle s'était acharné sur lui sans raison, elle avait toutes les chances de lui déplaire au point qu'il refuse de lui permettre le voyage dans le temps, quoiqu'il en parle . Elle se mordit la lèvre avec inquiétude. Oh, non, pas ça. Heureusement, cette infecte petite morale qu'il s'était constituée l'éloigna de cette dangereuse idée. Grand prince, il pardonnait. Parce qu'il savait, oui, il savait qu'il avait eu raison. Alors après tout, lui, le gentil et bon monsieur, il pouvait bien jeter un petit regard de commisération sur la vilaine qui l'avait cruellement et injustement agressé. Elle fût immédiatement soulagée qu'il se croie dans son bon droit. Sans doute, si elle l'avait fait vaciller, oui, maintenant qu'elle y pensait , c'était bien clair, alors il aurait réellement tenté de prouver quelque chose d'improuvable, et face à cette vérité, incapable d'y croire, il aurait plutôt pris la fuite, et elle se serait retrouvée seule dans l'orée du bois. Comme elle était chanceuse d'être tombée sur un esprit religieusement obtus !

 Cet esprit plana sans nul doute sur le reste  de la tirade du Dévoreur. Il expliquait qu'il avait le droit de la considérer comme une enfant, parce qu'il le faisait. Donc, voilà. Ça, c'est de l'argumentation. Dans le même registre, ce n'était pas insultant, parce qu'il ne trouvait pas ça insultant, et par conséquent, hein, je sais ce qui est insultant ou pas parce que, euh, je sais tout moi sale gamine, donc voilà, tu la fermes. Waouh. Je suis subjuguée par cette intelligence dans le raisonnement. Non, mais, c'est pas possible. Il a vraiment eu un doctorat ? Elle ne leva pas les yeux au ciel, cette fois. Elle se concentrait pour garder la figure la plus impassible qu'elle pouvait. Pas question de briser cette tournure engageante, aussi insultante et bête soit-elle. Et puis pour ce qu'elle en savait, ce type venait peut-être du futur, et le doctorat pouvait alors là-bas être quelque chose que l'on trouvait dans les pochettes-surprises électroniques. En tout cas... Il faudrait peut-être que j'aille dans son sens, pour que ça marche encore mieux. Oui...Même...Que je m'excuse. Oh, non ! Pas ça. Mais pourquoi devait-elle mentir comme ça, pourquoi devait-elle se laisser faire comme ça ? Parce que c'est un devoir , se rappela-t-elle. Parce que n'ai pas le choix. Elle ne bougea pas, le regard sans émotion.

 La seconde justification de l'autre fût plus étrange. Apparemment, il pouvait se permettre de la prévenir plutôt 10 fois qu'une – mais tout ceci était parfaitement respectueux, puisqu'il avait dit que c'était respectueux, hein – sous le prétexte qu'il avait une progéniture, et que les enfants restaient toujours trop jeunes aux yeux de leurs parents, sans doute même à 50 ans. Ah oui ? Et tu traites tout le monde comme ça, du coup ? Parce que sinon, je préfère te prévenir : tout le monde est issu de géniteurs sur cette terre. Mais le souvenir de cet argument en bois s'effaça derrière un premier élément qu'elle percevait enfin sous la masse. Une fille. Il avait une fille. Morte. Elle se mordit la lèvre. Par réflexe, elle l'observa avec un peu plus d'attention, cherchant les traces de tristesse sur son visage, au cas où il mentirait. Mais elle ne parvenait plus à bien voir, un nuage cachait un peu la lune. De toute façon, ses mots étaient suffisants. Ils expliquaient. S'il la traitait comme cela, c'était peut-être bien aussi parce qu'elle lui rappelait cette enfant. Ce n'était pas une justification valable, évidemment. Ça n'excusait rien, mais montrait, juste. Et puis, elle savait que ces paroles venaient au moins aussi de quelque chose de bien plus mauvais, de bien plus immonde que ça, qu'il en ait conscience ou pas. Mais, si son animosité ne s’apaisa nullement par cette déclaration discrète, il s'y ajouta une certaine dose de tristesse. Cet inconnu avait traversé des choses qu'elle n'imaginait pas, et elle ne pouvait pas demeurer entièrement indifférente à cette idée, quoiqu'elle ne puisse pas vraiment comprendre. En fait, elle espérait de toutes ses forces ne jamais comprendre quoi que ce soit de semblable, et le nom de Lucas qu'il prononça juste après la fit frissonner, et pas seulement parce qu'il continuait de refuser de voir qu'il n'était pas la seule raison de sa décision. Et puis, juste après, le Dévoreur lui balança tout de go qu'il ne valait pas la peine de mourir. Comme si lui, là, qui s'aveuglait sur ce qu'elle disait , qui s'aveuglait aussi lui-même, pouvait savoir ce qui valait la peine ou pas. Que lui proposait-il, d'ailleurs ? Oublier, accepter. Sauf que si j'avais accepté, il ne serait pas là. Si j'avais accepté, la solution ne serait pas là. Ça ne valait pas le coup, d'accepter. Cela lui paraissait si évident. Et peu importe qu'il lui faille démêler tant de choses pour le voir, il n'était pas elle, de toutes façons.

 Alors qu'il le conçoive, un peu, et qu'il cesse de la traiter comme un objet relié à ses parents qui auraient un droit de regard sur ce qu'elle allait faire de sa propre existence, un droit que lui, par glissement de nature génitrice, posséderait également. Qu'il cesse, également, de ne pas envisager une seule seconde qu'il avait tort,alors qu'il en était tout de même réduit pour se défendre à accepter de ressasser des pseudos-arguments qu'un élève de primaire n'aurait eu aucun mal à dégommer. Qu'il cesse, aussi, de ne pas la croire quand elle disait qu'elle était capable - chose tellement incroyable ? - de prendre une décision éclairée sans qu'il n'ait à l'écraser de tout son mépris et de tout son paternalisme . Qu'il cesse, encore, avec ce paternalisme, comme si ce n'était pas injurieux de traiter quelqu'un comme un enfant, un être dépendant encore d'une autorité pour réfléchir, un être incapable donc d'accomplir cet acte par soi-même, un être qui n'a pas le droit à sa propre responsabilité! Qu'il cesse, enfin, de s'énerver tranquillement, de se complaire dans sa saleté de colère sourdement entendue, dans les pauvres petites larmes de crocodile qui suintaient dans sa voix, comme si elle, Ludmilla Whayne,  avait été la méchanceté personnifiée alors que c'était lui qui, du début à la fin, l'avait injuriée avec de larges sourires !

 Calme, comme si la colère ne se réveillait pas de nouveaux sous sa peau, comme si elle ne mourrait pas d'envie de montrer au type ce qu'il était, exactement, histoire de le voir perdre sa belle assurance de je-sais-tout-et-toi-pas, elle répliqua :

– Je crois que l'on peut au moins être d'accord sur un point.

 Elle hésita une demi-seconde, pas grand chose, juste le temps de considérer cette main tendue devant elle, qui semblait la narguer comme une énième insulte. Puis, sans regarder, les yeux droits dans ceux du triste sire, elle la prit.
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Message  Le Dévoreur de temps Mar 11 Nov - 20:02

Le Dévoreur se sentit soulagé de la voir enfin se décider après les palabres et le mépris qui transparaissaient dans les propos de la jeune fille. Il n'avait pas vécu la gestion de l'éducation d'une adolescente, ayant perdu Loudna en bas âge et il ne savait pas que c'était si compliqué de parler à une enfant que se prenait déjà pour une femme alors qu'elle n'avait rien vécu en dehors du foyer familial et du lycée. Il ne savait pas ce que c'était d'être pris pour un vieux con. Pour lui, la malveillance et la méchanceté, la hargne étaient l'apanage des adultes. Il savait les adolescents excessifs et remués par leurs hormones mais il ignorait qu'ils pouvaient haïr un adulte sans le connaître. Les vibrations informelles qui émanaient de Ludmilla avaient glissé vers ça, progressivement... Simplement parce qu'il lui disait qu'elle pouvait changer d'avis, et être faible, qu'elle était vulnérable et que ce serait dangereux. Il se serait agi d'une personne adulte et d'un homme, il lui aurait épargné cette sensibilisation renforcée sur les risques du voyage. Il était issu d'une éducation qui prônait "les femmes et les enfants d'abord" et Ludmilla se situait entre les deux. Stanzas était ainsi. Un homme déraciné  et réimplanté dans une époque qui n'était pas la sienne et qui plus est, naviguant dans d'autres qu'il méconnaissait encore plus. Pourquoi aurait-il été au dessus de ce mal qui frappait chaque voyageur ? Celui du mal des époques, du décalage culturel ? Si Ludmilla était née au Moyen Âge peut-être aurait-elle remercié cet homme de la traiter avec autant d'égards quant à sa condition de femme fragile ? Il y avait le tempérament bien sur, même sous le règne des Mérovingiens, Ludmilla aurait eu ce sale carafon qui lui faisait dire "même pas peur, même pas mal, besoin de personne, je suis prête à mourir pour Lucas et pour vivre cette aventure et vous faites ch*** avec vos leçons de moral en carton", mais elle y aurait mis plus de ... compréhension. Bien sûr elle ne savait rien de l'éducation de Stanzas, issu d'une vieille famille qui véhiculait une droiture et une galanterie désuète. Mais finalement, peu importait d'être haï comme un vieux con, une incarnation du summum du machisme et de l'archaïsme des genres. Il voulait bien passer pour un cromagnon latino, avachi sur un sofa pour regarder un match de foot et en train de manger des chips en sirotant une bière  posée sur son ventre proéminent, si ce vieux con pouvait s'allonger sur un lit et dormir quelques heures avant la grande réunion.

C'est sur cette valse de clichés qu'il ferma les yeux et saisit la main de la petite. La forêt disparut instantanément et tandis que sifflaient les millions de quarks autour de leurs oreilles, il sourit en pensant que peut-être Ludmilla changerait d'avis sur lui à Targoviste, surtout quand elle croiserait Thorvald qui était quand même un archétype du machisme. Pas si sûr ! Le blond varègue avait pour lui un physique qui impressionnait les jouvencelles. Stanzas, lui, était un homme, juste un homme, pas une sorte de fils caché d'une divinité ... Et puis il était légèrement plus vieux que Thorvald . Pour la première fois, ils se sentit réellement vieux et cela aussi le fit sourire. Pendant ce temps il avait rouvert les yeux et voyait défiler les points lumineux des particules que leur déplacement moléculaire surchauffait. Il fallait ralentir. La poigne de Ludmilla le rassura : elle restait ferme, ce qui laissait supposer qu'elle n'avait pas tourné de l'oeil. Bientôt le noir de l'entonnoir à particules se colora et des paysages déformés apparurent en fond. Comme une trainée de peinture de couleurs diverses mélangées par un peintre négligeant ou avant gardiste un flou mêlé de vert et d'ocre, d'ardoise se dessina. Puis un bleu nuit. Ils se matérialisèrent de nuit dans les jardins de l'ancienne Abbaye de Targoviste. Au fond de l'enclos du verger l'aboiement de Chapka se fit entendre.

- Nous voici arrivés, Ludmilla. Je ne sais pas vous, mais moi, j'ai besoin d'une petite nuit de sommeil avant la réunion de demain matin. Rassurez-vous, personne ne vous oblige à dormir. La chambre que ma gouvernante va vous désigner est, comme toutes les autres,  dotée d'une belle bibliothèque.  

Comme pour appuyer les propos de son patron, Gertie dévalait le perron en s'essuyant les mains dans son tablier.

- Il me semblait bien que le chien avait aboyé. Professeur ... le voyage s'est bien passé ? Ohh qui est cette jolie frimousse ? S'exclama la brave femme en détaillant Ludmilla.

Vladimir fit les présentations non sans avoir lancé un clin d'oeil facétieux à sa vieille gouvernante.

- Hé bien, je vous présente Ludmilla , Dame Gertie... Ludmilla, voici la maîtresse des lieux, une amie plus qu'une gouvernante. Elle veille sur notre confort à tous entre deux voyages. Dame Gertie  de Salzbourg.  Puis il enchaina. Gertie, voudrez vous bien conduire cette jeune femme à sa chambre et lui fournir une bonne collation ainsi que tout le nécessaire pour ses ... commodités.

- Bien volontiers ... aah mais je suis heureuse... De la jeunesse et une femme ! Hormis Elymara, je me sens un peu seule au milieu de ces messieurs ...  Que diriez-vous, ma chère si, je vous donnais la chambre contigüe au petit salon bleu qui donne également sur celle du petit jeune homme ... Comment  déjà aah oui, ... Istvan ?

Stanzas soupira en levant les yeux au ciel et monta les marches du perron en compagnie des deux femmes.

- Ludmilla, on enverra quelqu'un vous chercher demain matin après le petit déjeuner et tout vous sera expliqué  au sujet de ce qui nous attend. Il y aura plusieurs voyageurs  et qui sait, certains auront peut-être des renseignements au sujet de Lucas. Mais je préfère ne pas vous bercer d'illusions, le plus souvent c'est une longue quête que de retrouver un disparu surtout sans aucun indice. Reposez-vous bien. Ce sera la dernière nuit au calme avant longtemps... Soyez la bienvenue à Targoviste Ludmilla...

Puis il se tourna vers Gertie et ajouta:

- Quand mademoiselle sera installée, vous serez gentille de m'apporter un encas au bureau. Je vais encore travailler un peu.

Il ignora le regard mêlé de réprobation et d'inquiétude de sa gouvernante et tourna dans le hall pour se diriger vers l'aile est tandis que Gertie invitait la jeune femme à monter à l'étage par un escalier double monumental.

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