--Franchissement de la Corne d'Or--
--Réflexion démétrienne sur la Foi de Nestor et la Réalité en Aparadoxis--
Toute la troupe ayant approuvé la proposition du Grec, on se prépara à franchir l'estuaire bien que la porte de Sainte Thédosia n'ait été entr'ouverte que de très mauvaise grâce par des miliciens multipliant les mises en garde.
Les nouvelles étaient inquiétantes. Des dizaines de navires rùs arrivaient du nord, on avait signalé des fumées vers la côte nord-est. Les maigres garnisons maintenues dans les postes disséminés autour de la ville avaient été rappelées dans l'enceinte urbaine. Certaines n'avaient pas répondu. On se battait devant Pera. Photios le patriarche demandait qu'on se rempare dans la ville en attendant le retour de l'Empereur Michel et qu'on prie la Vierge Marie. La ville pouvait soutenir un siège durant des mois en attendant que revienne l'armée partie combattre les Infidèles.
Tous avaient une telle confiance dans leurs célèbres murs qu'ils n'envisageaient même pas de tenter d'empêcher les Rùs de débarquer. Quelques réfugiés de Diplokionon racontaient que des navires effrayants, bariolés, débarquaient de grands diables ricanants, dépoitraillés sous le soleil. Ils vidaient les tonneaux, violaient les filles et découpaient les grands-mères. Il fallait rester à l'abri des murailles si on ne voulait pas être massacré inutilement.
Mais Nestor s'était mis en tête de sauver Sainte Pélagie, du moins sa phalange, et tout en multipliant les signes de croix, il enjoignit aux soldats de mettre deux barges à l'eau et de souquer ferme. Démétrios s'étonna de la ferveur du moine, qui n'avait vraiment rien d'un va-t-en-guerre et s'apprêtait cependant à risquer sa vie pour un petit bout d'os ou plutôt, ce qu'il représentait. Car cet homme craintif n'aurait jamais songé à mettre sa vie en danger pour récupérer seulement un bien matériel, aussi précieux soit-il, et même s'il lui avait appartenu. Démétrios supposait que le prêtre timoré oubliait sa peur, poussé par la Foi, notion dont Nestor lui rebattait les oreilles et dont le sens demeurait obscur à l'Athénien. La foi soulève les montagnes, disait le moine. Les Géants avaient fait de même et ils avaient été expédiés sous le Tartare. La Démesure, l'hubris, est la faute majeure qui appelle la punition. L'héroïsme n'est pas démesure, un dépassement de soi, mais se révèle naturel dans la compétition avec les autres et seuls les forts, les bien-nés, peuvent y prétendre. Pour le commun, s'améliorer signifie seulement connaître ses limites et s'y contenir. Certes, Démétrios s'était souvent senti coincé dans cette façon de voir. Homme médiocre, qu'avait-il à se laisser emporter par des élans, des aspirations s'il n'avait pas les moyens de les accomplir ? Le bien était la mesure, l'équilibre.. Nestor n'équilibrait rien du tout, son dieu vomissait les tièdes et il fallait toujours tendre à à un mieux qui n'était plus l'ennemi du bien mais son prolongement exigé. Ce bon vieux Nestor, homme de paix et d'humilité, armé de sa croix, voulait jouer les héros sauveurs de phalange, comme Achille partant reprendre Hélène ou Thésée délivrant Ariane ! Les monothéistes étaient des gens qui se compliquaient l'existence.
Brandissant son crucifix, Nestor avait donc intimé l'ordre aux soldats de ramer . Démétrios en profita pour rassembler ses esprits. Il était devenu le stratège de la petite troupe et scruta la rive gauche qui se rapprochait pour estimer le terrain. La ville y avait envoyé des antennes de son activité selon les fluctuation de sa prospérité : des appontages, des entrepôts de transition, des fermes mêlées à des maisons disparates, quelques belles demeures entre des arbres et évidemment des clochers et des coupoles marquant ermitages et petits couvents. Le tout, disséminé sur des collines encore champêtres, composait les faubourgs d'une cité redevenue prospère et qui débordait de ses murs. Mais tout semblait déserté en ce jour. Les pilleurs pourraient s'y répandre sans opposition. Il fallait faire vite.. L'excitation gagnait Démétrios. Son caractère volontiers méditatif, voire songe-creux, connaissait aussi de brusques élans vers l'action, la prise en main d'évènements qu'il décidait soudain d'infléchir selon sa seule volonté.
Si Zorvan avait voulu jouer le rôle de chef, le Grec n'aurait cependant pas objecté. Derrière le Gardien, il voyait toujours l'ombre du Dévoreur et il conservait intacte sa confiance dans le mystérieux voyageur au long manteau ...Cette présence de Zorvan avait aussi son côté rassurant, mais elle colorait le présent d'Aparadoxis d'une teinte de surnaturel ou de rêve éveillé qui demeurait toujours à l'arrière-plan de sa conscience. Au contraire, le souvenir du Dévoreur était fixé dans un paysage attique dont la permanence dans sa mémoire n'était jamais remise en doute. Démétrios se disait que s'il retrouvait un jour l'ex-prince des Ours, quel que soit le lieu ou le moment, il retrouverait en même temps le sentiment de sa propre réalité.
Mais le moment présent n'était pas à la méditation sur l'être ou le néant. La phrase brutale du Gardien le renvoyant à ses choix poussa le rêveur à se recentrer sur le présent. D'autant qu'un moustique venait de le piquer dans le cou. Il l'écrasa d'une claque bien placée, sans s'interroger davantage sur le degré de réalité que présentait la bestiole.
-- A travers faubourgs et collines --
-- Adieu, Nestor --
Le débarquement se fit au départ d'un chemin qui montait dans les collines. Tout semblait abandonné.. la porte d'une étable, restée ouverte, montrait qu'on avait emmené les animaux en se repliant sur la ville. Seules, quelques poules picoraient les talus. Mais deux ou trois maisons de maître étaient fortement barricadées , avec des charrettes bloquant les entrées, des bruits de voix derrière les murs, et on sonnait la cloche d'alarme quelque part, dans un couvent sans doute. Tous n'avaient pas voulu abandonner leurs biens.
Les soldats prirent un chemin conduisant à un pré où selon eux, on gardait des chevaux pour la remonte. Avec un peu de chance on pourrait y trouver des montures passables et peut-être, dans un petit fortin voisin, des armes pour Démétrios. Les jeunes.étaient de plus en plus de plus en plus agités à l'idée de devenir de vrais guerriers. Ils voulaient des lances, en plus de la courte épée remise aux civils enrôlés dans la défense urbaine, et pourquoi pas une broigne et un casque ?.et bien sûr, des arcs. Frères jumeaux, bien que se distinguant sans peine l'un de l'autre, ils avaient décidé de se mettre au service de Démétrios : Il était grand, bizarre, exotique, il parlait avec un accent terrible, il avait sauvé Nestor, et c'était un païen avec un bonnet magique qui repoussait les flèches. Et surtout, il n'avait pas haussé les épaules quand ils s'étaient portés volontaires, il n'avait pas grogné des remarques désobligeantes sur les blancs-becs qui feraient mieux d'attendre que la barbe leur pousse pour se croire des hommes. Ils ignoraient que les frères de Démétrios avaient tous à quinze ans suivi leur père en campagne et qu'il pensait encore à sa rage d'avoir dû obéir à sa famille et de ne pas avoir suivi Démoclès à Chéronée, quitte à y mourir à ses côtés. Il avait donc pris les garçons très au sérieux et ceux-ci ne le quittaient pas des yeux, négligeant ostensiblement le sergent d'armes contempteur de la jeunesse.
Avant même d'arriver au pré, on trouva deux montures, en conséquence d'un accident où le conducteur s'était tué, précipité en contre-bas par le versement de son chariot qui avait épargné les chevaux. Les gardes y virent crûment un signe de chance pour l'expédition, avec un manque de charité que Nestor réprouva aussitôt. Il dit une courte prière pour l'âme du malheureux tandis que Démétrios et les garçons dételaient les animaux, de grosses et grandes bêtes fort bonasses. Démétrios avait déjà noté que les chevaux étaient, en ce temps, devenus bien plus grands que ceux de son époque et qu'ils ne servaient plus seulement à la guerre ou aux jeux. Ceux-là traînaient une vulgaire charrette et il admira leur corpulence. Ce ne devait pas être facile de monter là-haut ; la selle et les étriers étaient vraiment un des apports utiles du millénaire écoulé . Il se promit d'essayer en un moment moins grave.
On était à hauteur du souterrain conduisant au monastère et le moine, sitôt l'ouverture dégagée, bénit tout le monde et très ému, regarda son catéchumène :
-Ah ! Démétrios, le coeur me fend de vous voir partir sans vous avoir baptisé, alors que le danger guette et que les démons nous entourent.
-Ce n'est pas grave ! Si je suis tué, j'expliquerai à votre Dieu que je voulais être baptisé, dit Démétrios en souriant gentiment afin de ragaillardir le bon père, et il ajouta pour montrer qu'il avait été bon élève et connaissait les usages:
Il me fera miséricorde et me baptisera lui-même. Alleluia !]Nestor sembla interloqué, puis attendri, et ajouta seulement une bénédiction supplémentaire avant de disparaître avec cinq des gardes, les cinq autres, dont le sergent Nicanor, restant avec Démétrios.
--Sous le signe du cheval--
--Voilà les Rùs ! --
Deux chevaux pour huit hommes . Démétrios ne pouvait connaître la légende des Quatre Fils Aymon qui, sur leur unique cheval Bayard, cheval magique et extensible, franchissaient d'un bond monts et vaux des forêts d'Ardenne. Mais Nicanor lui-même lui tendit les brides du cheval de flèche et ce fut donc en chef qu'il les prit et qu'il indiqua aux jumeaux d'avoir à l'imiter avec le second animal. Les autres gardes ne semblèrent pas désireux de leur contester ce privilège.
Démétrios n'était pas un cavalier entraîné militairement, mais sa famille possédait des chevaux et tout enfant, il avait suivi ses frères au petit galop sur les pentes caillouteuses de l'Hymette ou le long de l'Ilyssos. Théramène les surveillait au départ et ne jurait que par le traité d'équitation de Xénophon qu'il citait à tout propos :
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Vous êtes encore assis ! Un cheval n'est pas une chaise ! Jambes écartées, par Zeus ! Restez debout ! Descendez la jambe ! [/color]
Démétrios était habitué à monter à cru ou sur une peau fourrée. Bien qu'il ne soit jamais monté sur un si grand cheval, il n'hésita pas, prit son élan, en se tenant fermement à une touffe de crins, sans tirer sur la bouche, comme le demande Xénophon, - et se retrouva les jambes écartées en demi-cercle autour des flancs rebondis. Xénophon n'en demandait pas tant. Mais l'exemple plut aux jumeaux qui tentèrent de l'imiter en s'aidant mutuellement tout en riant de l'aventure. Ils avaient le charme des Dioscures, figures traditionnellement associées aux jeunes cavaliers. Démétrios se sentit fraternellement ému. Pour une fois où il était le grand frère ! Depuis qu'il était en Aparadoxis, il n'avait rencontré que des brutes, sauf Nestor qui n'avait guère de charme. Et aussi les demoiselles d'Abydos qui monnayaient les leurs.
On rejoignit ainsi le pré du poste de garde. Zorvan, que Démétrios avait perdu de vue depuis un moment, semblait les y attendre. Où allait-il dans ces intervalles ? Dans son Antichambre, accueillir quelque nouvel arrivant ou bien dans un des autres mondes que Démétrios avait refusés ?
Ce fut une bonne surprise de trouver cinq chevaux en liberté ; on leur avait ouvert les portes pour qu'ils s'enfuient avant l'arrivée des Rùs, mais ils se trouvaient bien là, au frais et au vert, et n'avaient donc pas quitté leur pâtis. Ce n'était certainement pas les meilleurs qu'on avait abandonnés, mais ceux-là n'étaient pas des barriques à pattes. Tandis que Démétrios descendait de son tonneau, Castor et Pollux partirent chercher les autres chevaux. Les gardes avisèrent des lances abandonnées contre un mur et non loin, un appentis avec quelques selles poussiéreuses. Deux hommes refusèrent de quitter leur rang de piétaille, par manque de pratique à cheval. Démétrios aperçut un glaive à peine plus long que l'épée courte grecque qu'il savait assez bien manier, grâce à Lysias qui le poussait à s'entraîner, même après l'éphébie. Il prit l'arme au passage et passa la courroie à l'épaule.
Son grand-père, appuyé par Xénophon, lui ayant toujours recommandé la douceur envers un cheval, Démétrios enleva le harnachement de sa monture– mors et rênes ayant changé eux aussi en douze siècles – lui donna une tape amicale sur le col et le laissa aller vers le pré. Puis il se dirigea vers la porte fermée de la construction et la fit sauter de trois coups de pied dans la serrure. Il ressortait, avec des arcs et flèches et un casque d'écailles qu'il jeta à Flavius quand, en bas de la pente, on entendit un âne, protestant de ce ton indigné qu'ont tous les ânes, quel que soit le siècle, quand on dérange leurs projets.. Puis des voix indistinctes. Zorvan alla se pencher sur le bord du chemin. Les gardes sellaient déjà leurs chevaux. Démétrios fonça à hauteur du Gardien, qui aurait pu lui dire ce qu'il voyait et comprenait, et en contre-bas, aperçut un vieux moine sur une charrette. Il tenait tête du moins verbalement à une demi-douzaine de cavaliers, grands et forts comme des ours, avec de longs cheveux plus ou moins tressés ou pendants, couleur de rouille ou de sable, sous un casque oblong. Ils étaient bruyants, assez hirsutes et torse nu, la poitrine noircie par la sueur et la poussière ; mais de belles armes et fière allure. Moitié déçu -
ces bonshommes hilares et mal soignés, des Rùs ? et moitié impressionné -
de solides gaillards, ces bateliers du Boristhène ! - Démétrios décida de ne pas chercher à savoir ce qui se passait. Les bribes de phrases qui montaient jusqu'à lui étaient en une langue inconnue, que Zorvan semblait comprendre car il eut un petit sourire comme à une plaisanterie.. Mais il garda son savoir pour lui.
Il fallait s'équiper au plus vite pour délivrer ce moine qui ressemblait fort à Théocolès, vieux, moine, avec petite charrette.
--Avant la bataille--
Trois minutes plus tard, le Grec passait ses troupes en revue. Démétrios avait pour lui-même sagement remis à plus tard la pratique de la selle, dont Xénophon n'avait rien dit. Il était monté sur un cheval noir peut-être un peu borgne, et qui avait résolument refusé de piaffer. Démétrios n'insista pas, bien qu'un cheval piaffant sous un général donne du coeur aux hommes....
Mais un coup d'oeil aux hommes suffisait à justifier le refus du cheval .
Plus Dioscures que jamais, les jumeaux avaient gardé leur large monture et caracolaient joyeusement. Flavius, en croupe, était,selon son frère, un archer remarquable, et il se proposait de tirer de côté tandis que Solus, casqué, envisageait de pousser le cheval pour culbuter l'ennemi terrorisé. Deux des trois cavaliers se tenaient à leur lance plus qu'ils ne la tenaient et rien que l'idée de les voir dévaler la pente donnait le vertige à leur capitaine improvisé. Mais son regard se posa sur Zorvan, lequel visiblement s'apprêtait tranquillement à assister au spectacle, et il se sentit soudain plus irrité qu'abattu. Zozor aurait bien encore mérité qu'on le menace du lac Trasimène, mais le moment n'était pas aux chansons et puis le Gardien avait bien prévenu qu'il n'interviendrait pas. Démétrios entendit monter une voix plus forte, devenue menaçante, et dit hâtivement au sergent Nicanor, celui qui savait tenir une lance :
- Nous deux, on attend juste après la sortie du chemin. Les autres se cachent le plus longtemps possible sur le côté qui forme entonnoir. A mon signal, Nicanor, tu fonces sur le Rùs de droite. Au galop, dans ce chemin, ils ne seront pas plus de deux de front... Et on est au dessus d'eux. Ne l'oublie pas. Moi, je saute à terre et je prends l'autre Rùs aux jambes. Ils devraient quand même être ralentis et gêner les autres.Le Grec espérait plus qu'un simple ralentissement, mais il faut mieux être heureusement surpris que déçu au début d'un combat. A la fin, la déception, se muant en désespoir, redonne parfois une sorte de rage capable de miracles. Au commencement, elle ébranle la confiance en soi, surtout chez les amateurs, et Démétrios se sentait horriblement amateur. Il poursuivit cependant en affermissant encore sa voix :
-Vous deux, Damon et Cosmas, vous partez derrière nous pour arriver exactement quand nous en serons à découdre avec les premiers, vous faites ce que vous pouvez pour mettre au moins vos lances dans les jambes de leurs chevaux. Faites alors comme moi : tous à terre, les chevaux devant nous et l'épée sortie. On sera quatre de front. Au plus près du corps, car ils ont de grandes armes. Vous, les hommes à pied, vous arrivez aussitôt par le talus et frappez d'en haut. Il faut les emmêler avant la sortie. S'ils gagnent le pré, on est fichu. Calculez bien le moment où vous intervenez. Il ne faut pas leur laisser le temps de réagirOn entendit se préciser la ruée de chevaux qui montaient la pente. Les Byzantins prenaient déjà position. Démétrios regarda vers les jumeaux. Ils semblaient avoir communiqué leur entrain à leur gros cheval qui secouait sa crinière et s'agitait, maintenu bien en main par Solus, fier cavalier sous son casque d'écailles :
-Castor, tire en visant le buste et Po .. Solus, ne reste pas immobile. Ne mettez pas pied à terre. Si ça tourne mal pour nous, retournez à la ville pour ..pour.. demander du secours. Ils sont six, on est huit. On a nos chances.
--Mêlée--
Huit soldats d'occasion, dont deux gamins, contre sept guerriers aguerris..Les chances étaient minces mais le rusé Ulysse avait vaincu le monstrueux cyclope et Démétrios était grec.
Il poussa vigoureusement son cheval, mais il n'avait pas l'intention de charger à la lance. Avec un javelot, passe encore, mais allez donc charger sans étriers ni selle et en portant une lance de dix pieds. Et les lances byzantines étaient encore plus longues que les grecques. Le glaive servirait, mais après la lance, ainsi que procédaient les hoplites. La lance était l'arme noble. Comme exercice recommandé par Xénophon, les cavaliers athéniens s'entrainaient cependant à monter à cheval rapidement en s'aidant d'une lance. Etriers et selle devait vraiment faciliter la mise à cheval, surtout quand on prenait de l'âge et du poids...Xénophon disait ...Des souvenirs traversaient en éclair l'esprit enfiévré de l'Athénien et leurs images familières le calmèrent un peu. Le bruit de la calvacade s'amplifiait. Heureusement, le chemin montait en lacets et leur donnait le temps de prendre position. Dans la dernière boucle, Démétrios vit avec conternation que les Rùs étaient sept, le septième étant le chef qui les conduisait, brandissant une épée digne d'un Titan.
Mais on n'y pouvait plus rien et Démétrios et Nicanor à ses côtés, du haut de leurs chevaux, virent monter vers eux un groupe de centaures vociférants. Le Grec pensa un instant à ces diables déchaînés qui lui étaient apparus dans Constantinople, avec leur musique de tonnerre et leurs rugissements.
C'était le moment. En criant :
On y va ! il poussa férocement son cheval vers la pente, vit du coin de l'oeil passer Nicanor bien appuyé sur ses étriers, tenant la lance allongée à deux mains, comme le voulait le geste du lancier byzantin, et le Grec sauta immédiatement du cheval au galop, après avoir jeté sa lance devant lui. Le cheval libéré suivit celui de Nicanor. Héhé, il avait été bon au gymnase et avait gardé sa souplesse et aussi son coup d'oeil. Il toucha terre, ramassa sa lance et était en position quand les Rùs, qui n'avaient pas ralenti, furent sur eux. . l'arme prit le cheval du chef en plein poitrail. Elle se rompit sous le choc, le cheval s'effondra en tumulte de membres convulsifs et de hennissements, tandis que son cavalier cherchait à se dégager, gêné cependant, et par le désordre total que le plan de l'Athénien avait suscité et par sa grande épée qu'il n'avait pas lâchée .
Démétrios eut le temps de saisir la sienne et de la main gauche prit un tronçon de lance - car les hoplites jouent autant du bouclier que de la lame – avant de se jeter vers le chef. Les lances de Damon et de Cosmas arrivaient alors sur le deuxième rang ennemi, mais avec moins de succès, le choc les précipitant tous deux à terre près de leurs montures déséquilibrées.
Démétrios fut sauvé provisoirement par l'enchevêtrement de quatre chevaux affolés, dont un à terre, blessé et se débattant dans son sang, deux tentant de se relever, des lances enchevêtrées dans les rênes. Celui du Rùs libéré de son cavalier par Nicanor dès le premier heurt, voulait absolument redescendre la pente et mettait à lui seul plus de pagaille que tous les autres. Le cheval noir voulait se coller contre celui du sergent, lequel cherchait à faire volte face pour rentrer au pré. Le guerrier rùs de Nicanor en tombant avait dû s'assommer, mais il commençait à reprendre conscience. Nicanor aussi était à terre, couché sur le nez, et complètement inerte.
Les deux gardes à pied dévalaient à leur tour du talus, lances pointées bas. L'un, assez adroitement, arriva entre le Chef Rùs, qui venait enfin de se remettre debout, et le cavalier suivant, désormais bloqué, et il glissa sa lance sous le ventre du cheval qui se cabra en bousculant ceux de l'arrière, obligeant le chef à se retourner pour éviter les sabots battant l'air. Démétrios, prêt à parer avec son bois de lance, épée bien en main, s'apprêtait à la pousser sous les côtes du géant, dont les yeux bleus de glace lui firent froid dans le dos. Il avait fallu à peine trois minutes pour que le plan prévu se réalise. Après ce serait à chacun d'improviser selon les circonstances.
Juste à ce moment, Zorvan , qui se déplaçait en haut du talus, sans doute pour mieux voir la suite des évènements, fut rattrapé par les jumeaux qui le traversèrent au galop et arrivèrent devant l'entrée du chemin où Solus fit tourner le cheval. La flèche de Flavius siffla.
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