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Bleu Dranesas

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Bleu Dranesas Empty Bleu Dranesas

Message  Invité Dim 18 Aoû - 12:55

Prénom : Bleu
Nom : Dranesas
Surnom : Blue
Âge :  Vingt ans

Epoque et lieu de naissance : XXème siècle, le 05 Août 1904 à Bordeaux en France.

Physique, Caractère : Les premiers regards se posant sur moi pourraient bien se fourvoyer. On me qualifiera de crapuleux en premier lieu, de par mes vêtements hors de prix et mes costumes variés et bien taillés. Les personnes ayant le luxe de pouvoir se permettre tant de variété vestimentaire étant soit des fonctionnaires et autres politiciens, soit des mafieux ou contrebandiers. Tout ce beau monde étant logé à la même enseigne par les temps qui courent : des criminels. De plus, mes connaissances me décriront comme quelqu'un de froid, distant et calculateur. La moue que j'affiche en permanence n'aide pas à calmer les tensions, et malgré ma silhouette élancée et mon apparence soignée, on me qualifiera de rustre, de par mon sale caractère et mon tempérament froid. Pourtant, ceux qui apprennent à me connaître (ils sont de plus en plus rares ) savent que je suis un grand blond aux yeux verts bien sympathique. Réservé, la plupart du temps, mais je sais faire un usage élégant de la parole quand la situation le permet. J'ai cependant hérité d'un tempérament colérique au fil des années qui se manifeste très rapidement lorsque l'on me met sur les nerfs. Quant à mes amis... je n'en ai plus. Tout d'abord car je suis très méfiant. Puis, également, car j'apprécie particulièrement la solitude. Avoir des attaches est une faiblesse. Nos ennemis ciblent ces faiblesses car elles sont apparentes et provoquent une douleur encore plus grande que n'importe quelle mutilation, lorsqu'on s'en prend à elles. Et ma grande taille ainsi que mes quelques muscles ne suffisent pas à les protéger, alors mieux vaut s'en délester. Non pas que cela m'enchante, mais l'expérience a parlé, en dépit de ma volonté. En conclusion, je suis un écorché vif qui essaie chaque jour de se contenir. Mais la carapace s'effrite.



Ordre choisi : Un Explorateur

Métier exercé dans l'époque d'origine : Divers, de l'apprenti écrivain au contrebandier infiltré, en passant par journaliste et  indic.

Métier ou fonction après son premier voyage : Mes compétences sont nombreuses, disons que je sais m'adapter, mais je n'ai pas de profession particulière. Un certain talent pour l'écriture et le meurtre, difficile cependant de combiner les deux, à moins de devenir un assassin tuant à coup de machine à écrire. Mais l'arme du crime serait difficile à dissimuler, du coup.

Histoire :
Entre trois et dix pages maximum.

- Les jeunes années -

Les vagues s'écrasaient sur les rochers. Les dockers s'agitaient, portaient les caisses de marchandises afin de les acheminer vers les hangars du port. On annonçait une tempête ce jour là, des flots enragés, et les livraisons devaient absolument être abritées. Des cris fusaient de toute part sur des visages ruisselant d'eau. Le tonnerre parvenait presque à couvrir l'agitation générale. Sale temps pour mettre le nez dehors. Pourtant, moi, c'est ce jour là que j'ai choisi pour mettre mon corps tout entier à l'air libre. Avec l'impression que, dès la naissance, les éléments eux-mêmes étaient contre moi... Mais je n'étais qu'un nouveau-né. Difficile de mettre un pied-de-nez à qui que ce soit dans ces conditions. Mon père travaillait au port en tant qu'ouvrier ce jour là. Oui, il était de ceux qui courraient dans tous les sens et hurlaient des directives sans vraiment savoir quoi faire en réalité. Il avait passé tant de temps à s'agiter sous les pluies diluviennes qu'à son arrivée à l'hôpital, ma mère eut du mal à savoir s'il était recouvert d'eau ou de sueur. Puis, leur attention se focalisa sur moi, le nouveau-né, bordé par celle qui m'a insufflé la vie. Mon père, né Bernard Dranesas, me dévisageait. Forcément, j'étais son premier et unique enfant. Quoi qu'il aurait également pu me trouver repoussant, mais non. Un nouveau-né, c'est toujours mignon. Parce que c'est innocent.

C'est donc dans l'insouciance que j'ai grandi à Bordeaux auprès de ma famille. J'ai toujours eu une mauvaise mémoire. De mes années d'insouciance, je ne retiendrai que des rayons de soleil, des faisceaux lumineux et des escapades dans les bois de la ville. Il y avait du mouvement, du jeu, de la recherche, des expériences. On pouvait dire que je vivais pleinement ma vie d'enfant, souriant, parfois sale gosse, et déambulant à tout va avec mes compagnons. Cela pourrait sembler cliché, mais après tout, j'avais une vie normale. Ma famille était de classe moyenne, j'avais des amis, j'étais plus ou moins studieux. Très au contact de l'autre, très tactile, très souriant, les gens avaient pour usage de me qualifier d'adorable. Aujourd’hui, je tiens plus du Lorenzaccio. J'ai tendance à détester l'enfant que j'étais, même si certains moments de liberté de cette lointaine époque me manquent cruellement. Mon père travaillait dur pour subvenir aux besoins de Mathilde, ma mère. Et aux miens évidemment. Tous les jours sur le port à soulever des charges de marchandises, à se hâter et à répondre aux directives de ses supérieurs. C'était un travail éreintant, mais il le faisait avec plaisir pour nous. Ma mère, elle, n'avait pas vraiment d'activité. Une simple mère au foyer, qui s'occupait plus des tâches ménagères que de mon éducation. Mais je ne peux pas lui en vouloir. Elle glanait quelques pièces tous les mois ça et là en rapiéçant les vêtements d'habitants de mon quartier. Nous étions loin de la vie de rêve. Mais notre vie simple, en y repensant, c'était le bonheur, le vrai. Celui que l'on cherche toute une vie sans jamais le trouver. Parce qu'on ne peut pas se le rappeler. Enfant, nous sommes heureux, puis nous grandissons et nous oublions.

Lorsque j'avoisinais mes dix années, mon père prit l'habitude de me ramener une fois par semaine avec lui au port. Au départ, il me laissait m'amuser avec les tonneaux et plaisanter avec les autres travailleurs. Puis, petit à petit, il me forma. Il m'apprit le vocabulaire des lieux, d'abord. Puis le travail, la routine. Porter de petites charges, faire des allers et des retours. Au fil du temps, je ne m'arrêtais plus pour regarder les bateaux amarrés ou qui naviguaient vers l'horizon. J'avais pris du plaisir à aider mon père, même de façon dérisoire. Je l'aidais en fin de semaine, le reste de mon temps étant consacré à l'école qui avait tendance à m'étouffer d'un savoir éphémère. Plus l'année passait, plus je me rapprochais de mon père et m'éloignais de ma mère. Elle semblait aliénée, d'une certaine manière, mais j'étais encore trop jeune pour comprendre. A cet âge, je ne me basais que sur des faits immédiats et peu complexes. Mon père était là pour moi, ma mère ne l'était pas. Pragmatique ? Oui. Mais je n'étais qu'un enfant, pas vrai ? Quoi qu'il en soit, le temps fuyait, et puisque mes camarades de classe ne partageaient pas mon enthousiasme, je continuais mes escapades sur le port aux côtés de mon paternel. Avec le temps, même ses collègues m'appréciaient. Car, évidemment, ils trouvaient l'idée d'un enfant présent sur un lieu de travail aussi affluant ridicule et dangereuse. Puis je suis très rapidement devenu le petit gars drôle et travailleur que tout le monde a fini par accepter. On peut dire que ce nouvel aspect, je le dois à mon père, encore aujourd'hui.

Tout allait pour le mieux jusqu'au mois d'août, tout juste avant mes dix ans. Le début de ce qui va devenir la première guerre mondiale éclata, et mon père fit partie des appelés pour soutenir l'effort de guerre. Il essaya tant bien que mal de m'expliquer, mais allez donc expliquer la géopolitique mondiale à un enfant de neuf ans. Mon père aimait son pays, mais avant de vivre pour lui, il se tuait à la tâche pour sa famille. Papa devait nous quitter au début de l'automne pour rejoindre une caserne située dans la région. Très vite, mes camarades de classe ne parlaient que de ça. Dans les rues, les gens se figeaient. Les sourires disparaissaient de plus en plus, et l'horizon s’obscurcissait de jour en jour. Je me souviens avoir énormément pleurer à l'annonce de son départ. Je ne comprenais pas. Je l'accompagnais une dernière fois au port travailler. Ses collègues ne me prêtaient plus la moindre attention. Tous travaillaient en silence, puis ne discutaient que de leur famille lors de leur unique pause quotidienne. Je me tenais à l'écart, mais je fus néanmoins en mesure d'entendre des bribes de conversation. Certains parlaient de désertion, d'autres de patriotisme. Des idéaux qui se fracassaient, encore des notions trop complexes pour le jeunot que j'étais. Je compris cependant que quelque chose d'anormal se passait, et que de mauvaises choses allaient arriver. Et elles vinrent à moi plus tôt que je ne l'imaginais. La semaine qui suivit, mon père fit nos valises. Ma mère, éplorée depuis l'annonce de son départ, semblait de plus en plus hystérique. En fin de semaine, mon père nous emmena au port, à nouveau. Mais pas pour travailler, cette fois-ci. Il nous commanda d'emporter nos valises. Un bateau partait en direction des Etats-Unis ce soir-là, un cargo gigantesque rempli de matériels divers. Il parvint à nous faire monter clandestinement ma mère et moi avec l'aide et la complicité de l'un de ses amis, de service sur le bateau de cargaison, qui se chargea d'acheminer nos bagages. Tout se fit dans la précipitation.

"Papa ! "

Hurlais-je la tête tournée vers lui, alors qu'il me regardait monter et m'éloigner progressivement de lui. Il se tenait là, debout, sur la jetée. Ses yeux plongés dans les miens, puis furetant vers ma mère qui me portait. Puis la porte du bateau se ferma. C'était la dernière fois de ma vie que je vis mon père.



- La maturation -

"Tu me dégoûtes ! Après tout ce que papa a fait pour nous ! "


fin 1919. Le Volstead Act a renforcé la prohibition aux Etats-Unis, et la production, distribution, vente et consommation d'alcool est interdite. Je vivais en compagnie de ma mère dans une chambre située au dessus d'un bordel à Atlantic City.  J'étais alors âgé de quinze ans, et la guerre avait pris fin. Pour autant, je n'eus jamais aucune de nouvelle de mon père. Pas la moindre lettre. Ma mère l'accusait de nous avoir abandonné, alors qu'au contraire, je savais très bien qu'il nous protégeait, et que s'il était encore en vie, chose que j'espérais profondément, alors il souffrirait là, quelque part, jeté dans ce monde, dévoré par la solitude. Rongé par l'incertitude, ne sachant pas ce que nous étions devenus. Il avait choisi de nous perdre de vue pour nous sauver la vie, du moins il l'espérait. Ma mère pensait qu'il avait eu une réaction stupide, que nous aurions bien vécus en France. Mais je suis persuadé encore maintenant qu'il nous a sauvegardé notre existence. Les premières années furent difficile, et nous menions une vie... pas misérable, mais presque. Ma mère pleurait continuellement. De jour en jour, et je ne faisais que errer à l'extérieur pour ne pas avoir à la supporter. Nous avions été régularisés par le service de l'immigration, mais aucun contact ne nous attendait. Nous étions en territoire inconnu. J'appris l'anglais rapidement et sans trop de problèmes, aidé par des amis que je m'étais fait dans la rue. L'école n'était plus qu'un lointain souvenir pour moi, et je passais le plus clair de mon temps dehors, à traîner, à pester. Les semaines passaient, le temps emportait tout. Et ma mère se mit à sourire, petit à petit. J'étais devenu un adolescent teigneux et facilement irritable, mais je parvenais néanmoins à éprouver un semblant d'empathie pour ma mère, même si elle me paraissait presque comme une étrangère. Et rien que de penser à cela me ronge aujourd'hui, mais ça n'est que la pure vérité. Je n'ai jamais su accepter son caractère et ses névroses. Je compris rapidement qu'elle avait rencontré quelqu'un, et pas n'importe qui. Un banquier d'Atlantic City avec qui elle emménagea avec moi rapidement. Le type vivait dans une magnifique maison en plein quartier populaire et bourgeois. Je n'ai jamais réussi à mémoriser son nom. Inutile, je le reconnaissais à son odeur. Il n'avait pas la même que celle de mon père. Mais ça n'a pas dérangé maman.
Au départ, j'ai accepté de déménager. Nous vivions une vie infernale, et je croisais fréquemment des prostitués dénudées ou des hommes d'affaire ivres dans les couloirs menant à l'étage où se trouvait ma chambre. Je devais m'en aller. Puis, cet individu censé remplacer mon père m'a rapidement paru infect. L'incarnation même du patriarcat, un énergumène auto-suffisant qui se permettait toutes les réflexions envers ma mère, et moi, le "frenchy" malappris. Mais il n'était pas méchant en soi. C'est juste que... je n'ai jamais pu le saquer.

" -Tu me dégoûtes ! Après tout ce que papa a fait pour nous ! "


Des choses en amenant d'autres, j'ai jeté mes quatre vérités au visage de ma mère. Alors oui, j'étais égoïste, parce que je ne supportais pas de la voir heureuse. La voir sourire, insouciante, les voir se bécoter comme si de rien n'était. Comme s'il n'y avait rien eu. Qu'il n'y avait pas de passé. L'idée que mon père soit là-dehors, quelque part à nous attendre, et qu'elle soit en train de forniquer avec un autre me révulsait. J'avais nourri une haine qui prenait du poids de jours en jours. Je voyais en cet homme la cause de tous mes maux. Car, je dois bien l'avouer, depuis mon arrivée aux Etats-Unis, je me sentais abandonné, d'abord, puis forcé de survivre et de m'adapter. C'est dans un malaise permanent que je me suis forgé, pendant que ma mère, elle, pleurait, se lamentait, craignait maintes fois une expulsion de domicile. Et à force d'évoluer dans un milieu hostile à mes pensées, qui entravait ma liberté, j'ai fini par développer une aigreur. J'étais si jeune... mais c'est cette nouvelle mentalité qui dicte et dictera ma vie, c'est le produit de mon vécu.
J'avais fini par exploser de colère et je ne contrôlais plus mes mots. Debout, faisant face à mes parents attablés qui discutaient d'une sortie nocturne. Ma mère ne m'avait jamais vu dans cet état. A vrai dire, c'était la première fois que je prononçais autant d'insanités à la suite. Ils restèrent figés dans les premières secondes. Puis Zachary, l'amant de ma mère, se leva brusquement et se saisit de mon bras droit. Le dégénéré me serrait le poignet si fort qu'il en coupa presque ma circulation sanguine. Il se mit en colère et hurla, affirmant que je n'étais qu'un malappris qui lui devait le respect, que je lui étais redevable. Que "sans moi, tu vivrais dans un bordel, entouré de putes et de gangsters !" Oh, et il ajouta également que j'étais un petit con. J'avais encore quelques lacunes en anglais, mais son vocabulaire riche en insultes me permit de le comprendre assez aisément. Ce qui n'était pas forcément son cas avec le français, mais je suppose qu'avec ma gestuelle et mes intonations, il avait compris que je n'étais pas en train de leur jeter des fleurs. Je lui décochais un violent coup de pied dans les parties intimes puis m'enfuis en courant. Du vestibule, je pouvais l'entendre jurer et hurler à la mort. J'hésitais un moment en regardant la porte. Si je partais maintenant, j'allais perdre la dernière personne proche de moi, ma mère. Et je savais pertinemment qu'après un tel scandale, je ne pourrais plus revenir comme si rien ne s'était passé. Mais qu'importe, j'avais déjà scellé mon destin. C'est sous les hurlements que je quittais mon dernier foyer d'attache, dans la colère et la précipitation.

J'avais passé la nuit sur la jetée. La zone portuaire se situait un peu plus loin, et je pouvais admirer l'horizon tranquillement, sans le moindre bruit autour. J'étais resté recroquevillé, à fixer la mer sous un océan d'étoiles. Le bruit des vagues m'apaisait. Cette infinité territoriale à perte de vue... elle m'évoquait la liberté, mais aussi l'idée qu'au bout, mon père s'y trouvait. J'avais beau jouer les durs, les événements qui précédèrent ma fugue finirent par me faire pleurer. J'étais désormais orphelin, avec l'océan pour seule compagnie.
Plusieurs semaines s'écoulèrent. J'eus souvent l'envie de rentrer, de m'excuser et assumer mes propos. Mais jamais je ne fis machine arrière. Je préférais pleurer lorsque j'étais seul, puis feindre une vie de débrouille le reste du temps. Au départ, je vivais comme un sans-logis. Il m'arrivait de voler discrètement près des marchés. Je m'étais fait quelques connaissances vivant dans la rue avec qui j'avais partagé mon histoire. Lorsqu'ils me contèrent la leur, j'eus l'impression de n'être qu'un vulgaire idiot. Il y avait des vétérans de guerre, des investisseurs ayant tout perdu, et même des gens qui refusaient le système établi. J'avais l'impression de n'être qu'un abruti à côté d'eux. Tous m'instruisaient en m'expliquant les rouages de notre société et de notre monde. C'était assez surprenant de trouver autant de sagesse en ces oubliés de la vie. Ceux qui ne sont devenus que de simples habitudes à qui l'on jette un regard gêné au détour d'une rue. Des êtres transparents qui étaient pourtant bien plus réels que tant d'autres personnes.

Par la force du temps, j'appris à me débrouiller par moi-même.  J'avais cependant besoin d'aide pour subsister. A tout juste quinze ans, il m'était impossible de survivre indéfiniment dans un pays encore trop étranger pour moi. Un soir, je me rendis au port pour observer les cargaisons qui arrivaient à fret. De multiples pensées traversaient mon esprit, mais à vrai dire, j'espérais simplement trouver un éventuel contact pouvant me faire travailler ici-même, puisque j'étais familier au fonctionnement de ce lieu. Je m'approchais calmement des quais. Il faisait noir, ma visibilité était par conséquent réduite. L'éclairage des quais n'était pas allumé. Etrange, me dis-je, pour une arrivée de marchandises. Le bateau qui amarrait n'était pas très grand. On aurait pu le confondre avec n'importe quelle embarcation de touriste. Hormis son gyrophare diffusant un faisceau lumineux rotatif, rien n'indiquait son arrivée. Trois personnes sortirent de la pénombre et s'approchèrent du navire tout juste arrivé.

"-Ok les gars, chargez tout sur les camions. Pas eu de problèmes avec les gardes côtes ?

-Nope. Dix caisses de whisky, dix caisses de vin, trois de rhum.

-Je vois... "

Dans un énorme fracas, une détonation retentit. Je vis la déflagration éclairer la nuit le temps d'une seconde. J'aperçus le tireur puis je vis  la personne sur le bateau s'effondrer.

"-Chargez le camion."

J'étais caché derrière des containers à quelques mètres seulement des intervenants. Le tireur donna un ordre, et les deux autres le regardèrent presque avec méfiance, mais s'exécutèrent sans demander leur reste. J'étais bloqué. Si je bougeais, ils allaient me voir et m'éliminer. Certes, il faisait nuit, mais si j'étais capable de les voir, alors eux aussi. Quelques minutes s'écoulèrent. Je suais à grosses gouttes. Mes jambes tremblaient toutes seules. Et dans le même temps, j'étais pétrifié. Les trois types venaient de charger les caisses dans un camion garé à quelques mètres seulement du bateau. Ma respiration s'accentuait de plus en plus. Une confusion me prit rapidement, je ne pensais plus, je n'anticipais plus. C'était mon stress qui prenait le dessus. Je me mis à tousser péniblement et très bruyamment. Ca n'avait duré qu'une poignée de secondes, mais j'étais seul sur ce quai, accompagné de trois lascars, et je venais de briser le silence par le biais de ma toux. Une erreur comme une autre. Qui en amena d'autres. Le calme fut rompu à nouveau lorsque j'entendis des voix puis des bruits de bottes s'activant vers moi. Je me mis à courir sans réfléchir, mais je fus immédiatement saisi par le col. Le tireur m'avait attrapé. Il me fit lui faire face. Je n'eus pas le temps d'admirer son faciès, à vrai dire. A peine retourné, j'avais le canon d'une arme à feu collé à mon front.

"..."

L'homme me toisait silencieusement. Je n'osais pas émettre le moindre mouvement. Mes membres tremblaient, je suais, et défier son regard était un véritable supplice. Ses deux associés m'encerclèrent.

"-T'en as trop vu, petit."


Les deux autres affichaient un rictus. Ils se délectaient de la situation, et j'étais comme un gibier prêt à être saigné à vif. J'avais fermé les yeux comme pour m'isoler de ce cauchemar, fuite cette réalité devenue trop hostile pour l'enfant rebelle et un tantinet idiot que j'étais. Quand l'improbable se produisit. Il y eut une première détonation, puis un cri, puis une seconde. J'avais sursauté en laissant un cri s'échapper. Mais je n'avais pas mal. J'entrepris donc d'ouvrir mes yeux, l'estomac noué. J'aperçus les corps des deux associés du tireur à mes pieds. L'un était encore vivant, à l'agonie. Je n'osais pas regarder le tueur. Il s'approcha de moi puis me força à le regarder.

"-C'est ici que tu décide de ton sort. Soit tu vis, soit tu crèves. En d'autres termes, tu te rends utile, sinon tu vaux pas mieux que ces deux cons à tes pieds ! "


L'homme hurla. Il me tendit son arme.

"-Achève-le."

Me dit-il, désignant la victime agonisante. Après un moment d'hésitation, je pris l'arme. Je regardais l'homme au sol, puis le tireur. L'idée de tirer sur le seul homme encore debout me traversa l'esprit, mais je tremblais énormément, et surtout, j'étais un gosse face à un type au gabarit imposant. L'homme mourant avait un regard implorant. Mais je ne pouvais rien faire. Je ne pouvais pas l'aider. Et quant bien même, il était sur le point de me regarder être exécuté, le sourire aux lèvres en plus ! D'un geste lent, je pointais l'arme vers son visage, et d'une déflagration, il passa de vie à trépas.
Lors de ces micros-instants, j'eus des relents de haine à l'égard de celui que je venais d'abattre. Probablement pour tenter de justifier ou légitimer mon acte. De plus, je l'avais exécuté sous la contrainte. Mais comme l'a dit le tireur, c'est moi qui ai choisi de tirer. J'ai décidé de mon sort, j'ai choisi la vie, en emportant une mort.

J'ai énormément tué depuis. Beaucoup de victimes dont j'ai oublié l'existence aujourd'hui. Mais lui, ce gars au regard désespéré qui périt de ma main cette nuit là à Atlantic City, je ne l'oublierai jamais. Il me hantera toute ma vie. Il est de ces choses qui vous marquent et logent dans votre inconscient. Un souvenir toujours là, toujours éveillé et actuel. Une épée de Damoclès prête à bondir dans vos moments de faiblesses. L'une parmi tant d'autres...

- Rupture -

La mafia, les journalistes, cette société complète, je raccroche. Je ne veux plus fréquenter ces gens. Tous sont des crapules, et certains policiers sont encore plus vicieux que le pire des mafieux. Les gens ici ne vivent que de profit, de rêves d'escalade et de course à l'argent. Et j'ai beau ne pas être le plus honnête et droit des hommes, j'aspire au moins à l'élévation, mais la bonne. Celle qui nous fait évoluer. Je ne veux plus de dégénérescence. J'en ai trop vu. Il est temps de suivre cette vieille piste, de le rencontrer.


Après cette nuit au port, ma vie changea complètement. Il n'y avait plus de rêves, plus d'espoir, fini la candeur. Je ne vivais que d'efficacité et de rigueur. Oh, mais au fait, à propos du tireur, je ne vous ai pas tout dit. Il s'appelait Rick Nilgams. La tête haute d'un clan mafieux. Je parle de lui au passé, puisque maintenant, ça n'est qu'un tas d'os officiant en qualité de maigre nourriture pour des vers de terre. Et c'est moi qui tient son poste, je suis le mieux placé dans la "Famille", juste derrière le Padré. Enfin, le Don. Mais je l'appelle le Padré. J'y viendrais. Revenons à Rick. Il ne m'avait évidemment pas épargné par pur altruisme. Il y eut trois morts cette nuit là, au port. Le contrebandier et les deux associés de Rick. Rick et les trois bonhommes travaillaient pour un clan mafieux originaire d'Espagne, et Rick avait prévu de doubler tout le monde. Il vola la cargaison et se débarrassa des témoins gênants. L'homme ne me tua pas, cette nuit là. Je l'avais aidé à charger la cargaison dans son camion, et nous avions livré le tout à Frank Costello, un puissant mafieux. La route vers New York fut interminable. Après avoir à nouveau frôlé la mort, subi des menaces, des intimidations, j'ai finalement intégré la mafia. La famille pour qui je travaillais faisait partie de la Cosa Nostra et avait par conséquent énormément d'influence. Je n'ai jamais rencontré Frank Costello en personne, juste des entremetteurs. On me renvoya à Atlantic City au sein d'un réseau établi là-bas. Grâce, ou plutôt à cause de Rick. J'étais devenu le bras armé de la mafia. Un adolescent utilisé pour semer la mort. Mon physique pouvait jouer l'effet de surprise, puisqu'un gosse c'était pas censé se servir d'un revolver, qu'ils disaient tout sérieusement. C'est comme ça que j'ai oublié ma mère, ma famille, j'en avais une nouvelle. Cela s'est fait rapidement, presque naturellement. Et comme mon intégration au port de papa, on m'intimidait et me détestait au début, puis à force, la confiance s'installa. Les mafieux avaient leurs affaires et l'alcool amenait de l'argent, des femmes, de la notoriété et du renom. Pour moi, c'était simple. Je ne me posais pas de questions. Ce que je faisais n'était pas forcément un mal. Mon père avait fait la même chose, il  avait rejoint un groupe d'hommes armés et affrontait des ennemis pour protéger sa famille. Et j'étais en train de faire exactement la même chose. Protéger ma famille pour maintenir notre subsistance. Bien sûr, j'eus envie de fuir. Mais pour aller où ? Pour mourir comme un orphelin dans la rue ? Ma mère ne m'aurait même pas reconnu, et quant bien même... La page était tournée.


1924. Aujourd'hui, je décroche. Durant les dernières années, j'étais devenu aussi pourri que ceux que je hais aujourd'hui. Ayant officié en en tant que bleu au départ, j'ai vite appris à gravir les échelons. Dans ce genre de milieu, tout se joue au paraître. Quand on est un petit, qu'on ne pèse pas, il faut brosser tout le monde. Plier le genou, faire des courbettes, complimenter ça et là. Mais jamais trop. En d'autres termes, il faut calculer, peser chaque mot, et chaque geste. Ces méthodes ne sont pas seulement ce qui nous permet d'être promu, c'est également ce qui nous permet de survivre. Dans la mafia, on travaille tous ensemble mais également chacun pour soit. Paradoxal, mais c'est bien la réalité. Disons que j'évolue dans une micro-société qui alimente une économie souterraine, mais en soit, elle est à l'image même du système de notre société. Grâce au contact permanent avec des informateurs, des acteurs influents, ou de simples exécutants, j'ai rapidement appris les règles du "jeu", et les choses à ne pas faire afin d'éviter de finir en cellule... ou six pieds sous terre. Et jusqu'à aujourd'hui, ça m'a plutôt bien réussi. Même s'il y eut quelques compromis... j'ai dû assassiner l'homme qui m'a épargné, Rick. Pour une simple affaire de trahison. Il avait à nouveau prévu de nous doubler pour mettre les voiles pour de bon cette fois-ci. Mal lui en pris. Evidemment, j'ai semé la mort bien d'autres fois. Mais je ne préfère pas y penser. Parfois, je regarde mes mains rougies et ma tête de tueur, et je me demande comment cet enfant si innocent il y a quelques années a pu tourner si mal.
Lors de mes sorties, il m'arrivait de passer dans le quartier où vivait ma mère et son nouveau mari. Si l'envie me démangeait de la voir et la serrer contre moi, je ne passais jamais à l'action. Plus elle était loin de moi, moins sa vie était en danger. Dans la mafia, j'étais un garçon sans attaches, on ne pouvait donc s'en prendre qu'à moi si jamais fomentait un complot.
En 1922, j'ai été arrêté par un agent de la prohibition. J'ai réussi à passer un contrat avec lui. Ma liberté, et en échange, j'étais devenu un informateur pour les forces policières. Un travail d'infiltré. Rien de très différent en soit, si ce n'est que j'enfreignais toute les règles de ma "famille" en la trahissant ainsi. Mais je n'avais pas d'autres choix. Et puis, à la base, j'étais devenu cet être violent par contrainte. Alors j'ai pris la situation comme un juste retour des choses. Je n'ai pas de famille à proprement parler, juste des connaissances utiles. A moi de continuer à bien les utiliser. Les informations consistaient à donner la location de distilleries clandestines, lieux d'échanges, planques... tout ce qui pourrait freiner l'expansion mafieuse et la mainmise sur Atlantic City. L'agent avec qui j'étais en contact fut toujours honnête avec moi. Nous honorions donc tous deux notre accord jusqu'au bout. Dans la même année, je fus journaliste sous pseudonyme pour un petit journal local. De quoi me tenir tout le temps au courant, aiguiser ma plume et récolter des informations auprès de mes collègues de travail. Sur les deux années qui suivirent, je pris plus au goût à l'écriture et aux idées qu'au pistolet et aux balles. Je sentais une possibilité d'évasion, je goûtais à une autre vie, un ailleurs, une porte entrouverte, de laquelle j'avais vu sur un tout autre moi, mais sans pouvoir franchir ladite porte. Malgré l'aversion de plus en plus présente que je portais à la mafia, je portais toujours mon masque et exécutais chaque ordre, participais à chaque réunion. J'étais devenu un acteur influent de la vie souterraine d'Atlantic City. Assez controversé, sachant que j'étais également un agent double. Je devais gérer les accords importants entre les réseaux influents des différents territoires sous notre contrôle. Et dans le même temps, je renseignais les agents pour des descentes. Autant l'avouer, je n'étais pas heureux. J'étais conscient d'avoir fait beaucoup de mal, mais, et ça peut semblait égoïste, mais qu'importe, je ne voulais pas finir ma vie en prison. J'avais le sentiment d'avoir été manipulé et entraîné dans un engrenage où je devais absolument faire le nécessaire pour survivre. Au delà du pragmatisme, c'était du survivalisme. Et je me sentais bloqué, menacé à la fois par la mafia et la police. J'avais beau avoir un rôle influent et des gens sous mon contrôle, je ne demeurais qu'un pantin ayant deux couteaux sous la gorge. Une épée de Damoclès sur le point de tomber. Je vivais dans l'inquiétude permanente. Le pion d'un jeu malsain qui devenait de plus en plus difficile pour moi.

1924. Aujourd'hui, les masques tombent. Je ne renseigne plus l'agent. Je ne me rends à aucune réunion mafieuse. Je ne vois plus personne. L'agent ne va pas m'arrêter. Non, il va faire pire. Rendre l'affaire publique, révélant le fait que je sois une taupe, et il me laissera me faire assassiner par la mafia, dans le meilleur des cas. Si je ne finis pas démembré. A vrai dire, peu m'importe la façon dont on me tuera. Pourvu que je règle ma sale besogne avant que l'on me tombe dessus. Je porte mon costume, comme à mon habitude aujourd'hui. Je suis au comptoir de l'un des nombreux bars d'Atlantic City, dans une rue bourgeoise, qui je sais n'est fréquenté ni par la police, ni par la mafia. L'un des seuls bars honnêtes qui propose de l'alcool presque ouvertement. Un scotch en main, je scrute les gens. L'alcool est censé être banni, alors tous crachent des volutes. L'un d'eux attire particulièrement mon attention. C'est lui, j'en suis sûr. Je tâte le canon de mon arme rangée à ma ceinture tout en buvant une lampée. J'ai toujours fait attention, depuis mes quinze ans. Pas d'amis, pas de familles, juste des connaissances. Ainsi, j'étais sûr que sans attaches, je ne blesserais personne, je ne me ferais pas trahir, et surtout, personne ne souffrirait à cause de moi. Idiot que j'étais. Si obnubilé par le milieu dans lequel je baignais que j'en ai oublié l'essentiel. Ma mère, massacrée par Zachary, son amant. C'est arrivé avant-hier. Le pire, c'est la façon dont je l'ai appris. En rédigeant la rubrique nécrologique au journal. Puis en rédigeant l'article, qui faisait la deuxième page, accompagnée d'une photo macabre. Tuée par un pervers ivre. Ma mère était absente de ma vie depuis des années, mais c'était une absence temporaire. Avec l'espoir que tout s'arrangerait. Maintenant, il n'y a que du vide. Des sentiments que je ne connaissais pas remontent en moi. L'amertume, la rancœur. Et beaucoup de regrets également. Que je traîne depuis si longtemps...
J'hésite. Sur la façon dont je lui ôterai la vie. Soit en l'isolant puis en le faisant souffrir, soit en discutant puis en lui logeant une balle au cerveau par la suite, ou alors un assassinat immédiat. Je termine mon verre et m'apprête à me lever, mais un homme s'avance au comptoir. Il porte de drôles de vêtements. Je l'observe. Ce sont mes dernières secondes dans cette vie. Quoi qu'il arrive ensuite, la porte entrouverte s'ouvrira complètement, quelle que soit la destination.



Possessions : Une arme de poing, un calepin, un couteau fixé aux chaussures, dissimulé par le pantalon.

Permissions : Légère

Autorisez-vous les autres joueurs à influer sur le jeu de votre personnage via la zone RP Blue Hospel, c'est à dire à vous atteindre par le monde des rêves ? ( voir modalités de fonctionnement ici)

Disponibilités in RP (cadence de jeu): Deux à trois fois par semaine

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Joueurs majeurs: "Moi, joueur du compte personnage Bleu Dranesas, déclare avoir pris connaissance que ce forum comporte une sous section interdite et cachée aux - 18 ans. Je prendrai soin de protéger la sensibilité des plus jeunes en usant des espaces consacrés si mes récits contiennent des propos violents, choquants ou à caractères érotiques. Toute infraction délibérée sera sanctionnée par la suppression de mon compte. Je prends connaissance de ces conditions en m'inscrivant et les accepte. L'administration du forum ne saurait en être tenue pour responsable."

Crédits avatar : Il s'agit de l'acteur Michael Pitt. L'image est issue du personnage de "Jimmy Darmody" qu'il interprète dans la série Boardwalk Empire.

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Message  Le Dévoreur de temps Sam 24 Aoû - 0:44



Il poussa la porte du bar qui n'avait pas pignon sur rue, mais presque. L'intérieur était propre et le mobilier ciré et rutilant, le zinc étincelant à l'image de la barre en laiton qui courrait le long du comptoir. Un piano mécanique déversait une rengaine [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] que Stanzas finissait par connaître à force de voyager au début du XX° siècle . Elle avait, comme lui, fait le tour du monde entre deux guerres, appréciée des officiers honorables de la Luftstreitkräfte comme de la noblesse européenne en mal de divertissement. Etudiant, il l'avait donc dansé en cachette dans des endroits qui tenaient plus de hangars que de salon de danse, loin des valses et mazurka-polka que lui avait enseigné son précepteur. A cette époque, la jeunesse roumaine argentée s'amusait, ironie du sort, en prenant modèle sur la berlinoise, mais les aînés étaient, à Bucarest, bien moins compréhensifs qu'à Berlin et la société encore ancrée dans une féodalité dont elle avait du mal à se départir malgré de prodigieux progrès scientifiques et une élite intellectuelle qui n'avait rien à envier à celle de l'occident. Il fallait se cacher pour s'amuser en Transylvanie, alors que la perle allemande et mondaine polyglotte semblait peu se soucier des nuages sombres qui s'amoncelaient à l'horizon. Bientôt le pays des modèles deviendrait celui des tyrans ou des ennemis et la jeunesse roumaine devrait choisir entre la mort et la collaboration. Ou l'exil très lointain ... incertain. Ouest ou Est, quel salut espérer ? Pour les enfants d'une petite nation qu'on a, au mieux, peu estimée, au pire déportée. L'entrée en résistance, c'était à Bucarest ou dans les campagnes roumaines, embrasser la mort et la solitude, avec la certitude que le salut ne viendrait pas de l'extérieur mais de cette mort même. Une délivrance après avoir livré sa dernière cartouche. Stanzas avait brièvement connu cet état, car il avait trouvé une porte de sortie assez unique, ou plutôt une porte d'entrée vers le retour en arrière. Malgré ce fort bon alibi, il s'en voulait d'avoir choisi l'exil, même si c'était pour empêcher que l'innommable se produise et ce , avant même qu'un esprit malade conçoive cet innommable. Ce n'était pas une excuse, selon lui, tout juste un échec lamentable qui le torturait chaque fois qu'il traversait la seconde guerre mondiale.

Ce soir, se retrouver en pleine prohibition était presque un baume même s'il savait ne pas vivre la même dimension que celle où il avait rencontré Gala et l'avait aimée. Une autre Gala vivait encore en Roumanie dans celle -là, une Gala qui ne le connaissait pas, qui peut-être pourrait fuir par le Sud chez des amis juifs d'Afrique, comme on le lui avait proposé. Cette Gala là ne l'avait pas encore rencontré et ils n'avaient pas d'enfant. Elle accepterait peut-être de fuir au lieu de rester pour ne pas  l'abandonner lui et ses espoirs fous d'empêcher les choses de l'intérieur. Un mari assez idéaliste pour croire qu'en travaillant pour les nazis, du moins en faisant semblant pendant qu'il menait des recherches dans un tout autre sens, il empêcherait l'hégémonie des nations dominantes sur les petites. Vaste foutaise. Les petits pays étaient rarement aussi unis que les grandes puissances lorsqu'il s'agissait d'affirmer leurs droits. Il en avait fait le constat en maintes occasions au cours de ses périples temporels. Mieux, le principe s'appliquait aussi sur le plan purement humain. Il était rare qu'une multitude d'individus oppressés s'unisse contre quelques puissants redoutés. Différents modèles de sociétés se construisaient sur ce constat. De sociétés parallèles même. La Pègre américaine d'entre deux guerres en était une. Sur le fumier de la lâcheté et de la corruption, poussaient les plus jolies fleurs comme les pires mauvaises graines. Parfois les premières se transformaient et rejoignaient les secondes mais il n'avait jamais constaté l'inverse.

Blue Dranesas avait déjà expérimenté le processus premier, si Stanzas s'en tenait à son informateur. Un gentil garçon qui avait mal viré. Il savait se battre lui disait-on, et Vladimir Stanzas avait besoin de recrues sachant se battre. En revanche, le dossier révélait bien plus de virages négociés dans le sang que le contact avait bien voulu lui laisser entendre. Il était évident que celui-ci était partial quant à la nature du jeune Dranesas. Le Dévoreur l'aurait simplement qualifié de petite ordure s'il n'avait pas entendu parler du petit garçon courageux, volontaire et respectueux qui soulevait des caisses au côté de son père sur les docks d'un port français. D'aucuns diraient même « petite ordure irrécupérable » mais le mot irrécupérable même, insupportait le docteur en physique appliquée. Il y avait peu d'hommes qu'il jugeait irrécupérables et ceux-là, il projetait de les tuer, pas de les aider. Le petit Dranesas avait droit, malgré tout le sang qu'il avait sur les mains, à une chance de faire autre chose de sa vie et surtout pour la communauté humaine. Un homme avait tout fait pour lui donner cette chance une première fois, et il l'avait laissée passer. On demandait à Stanzas de lui en accorder une seconde. Par égard pour celui qui demandait et parce que le savant croyait encore inexplicablement en la possibilité de s'amender d'un homme, il était venu dans ce bar moins mal famé que la plupart, pour y croiser un ancien ponte de la mafia dont la tête était à présent mise à prix et lui proposer un marché qui le ferait probablement hurler de rire ou sortir sa grosse artillerie.

Lorsqu'il franchit le seuil de l'établissement, son cache poussière légèrement dégoulinant sur les tomettes cirées de fausse respectabilité, il pleuvait à verse et les gouttes perlaient dans la chevelure argentée du professeur. Le regard acier balaya la pièce, discrètement dissimulé sous une rangée de cils bruns et il le vit immédiatement. Le « petit », plus  aussi petit que cela, était assis. Beau garçon aux yeux verts. Il retrouva le même menton, du moins lui semblait-il … Le jeune homme fit un mouvement pour se lever puis se ravisa. Stanzas fit un petit signe au barman et commanda une Sobieski, ce qui était mieux qu'une Eristoff par principe. Le front plissé par la perplexité, le nez dans son verre, sans jeter le moindre regard à son voisin, il murmura d'une voix si sourde que son interlocuteur pouvait presque se demander s'il n'avait pas rêvé.

- Quoique vous vous apprêtiez à faire, je crois que nous devrions discuter avant … Dans un lieu sûr … Monsieur Dranesas...

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Message  Invité Sam 24 Aoû - 3:01

Il riait à gorge déployée, laissant dans le même temps s'échapper une fumée opaque. Des verres en désordre sur la table, et des crapules en costume autour. Zachary se tenait à une dizaine de mètres derrière moi à faire le bon vivant comme si rien n'eut lieu. Il avait du payer grassement son avocat pour ne pas être détenu en attendant son procès. Ou bien avait-il simplement envoyé une missive à l'un de ses amis, allez savoir. Cette ville est gangrenée, le jugement ne pèse aucun poids, puisque son patrimoine et ses liasses d'argent feront pencher la balance et sont un bien meilleur plaidoyer que le réquisitoire d'un procureur. Quoi qu'il arrive, cet assassin sera un homme libre, et il continuera de se donner en spectacle aux yeux de tous alors que ses mains sont tâchées de sang. Il al'air si fier... Je suis pourtant persuadé que ce genre de personne qui aiment à se complaire dans leur petit monde n'ont jamais vu un quelconque danger. Il est temps de percer sa bulle et de le confronter au monde réel. Je ne sais pas si je suis quelqu'un de bien. Mon âme ne brille pas, je ne répands pas la joie. Des gens meurent, et ça ne m'intéresse pas. J'assassine machinalement, et ça ne m'atteint plus. L'envie de changer ne m'est pas étrangère, mais je me mentirai à moi-même. Je tue des gens, puis gagne de l'argent, puis manipule. Je fus autre chose, mais aujourd'hui, ma vie se résume à cela. L'argent, je l'ai. Il ne me reste plus qu'à tuer. J'effleure le canon de mon arme, puis avale une dernière gorgée bien corsée de mon verre de scotch. M'apprêtant à me lever, j'entends l'étrange inconnu rentré quelques instants plutôt murmurer. Une voix si lourde et paisible à la fois... Mais qui me provoqua une poussée d'adrénaline presque instantanément. Il s'adresse directement à moi, et en employant mon nom de famille. Ce qui n'était qu'un simple inconnu est rapidement devenu mon premier centre d'intérêt, pouvant potentiellement faire échouer mon plan. Ne laissant aucune émotion transparaître, je tourne ma tête vers lui brièvement et le jauge d'un simple regard. Il semble âgé, à en juger par ses cheveux, et légèrement trempé. Son allure lui permet de se fondre dans la masse. Il boit. Et il dispose du meilleur atout ; il me connait mais c'est la première fois que je le croise. Tout cela me mène à une conclusion évidente. Ca n'est pas un policier. Ni un proche. Discuter dans un lieu sûr... un homme de sa trempe... ça ne peut être qu'une haute tête de la mafia. Il m'a pisté jusqu'ici et il veut m'ôter la vie discrètement. Je devrais l'éliminer. Mais si je le tue, alors Zachary survivra. La moindre détonation ici créera un énorme mouvement de panique incontrôlable. Je fais signe un barman de me servir un verre de whisky et je commande dans le même temps un verre de Stolichnaya pour mon interlocuteur. Il nous sert rapidement, et je porte le verre à ma bouche, tout en fixant les étagères pleines de bouteilles en face de moi.

"- Nous sommes dans un lieu sûr. Discutons-donc. "

Je parle d'une voix calme et posée. Bien qu'un peu inquiet, je ne veux pas le laisser m'intimider pour autant. Mon seul avantage est la connaissance du terrain et des lieux, suivre un inconnu dont j'ignore tout dans un hypothétique lieu sûr serait du suicide.
Le barman sert l'homme.

" Vous semblez apprécier la vodka, vous m'en direz des nouvelles. "

J'essayais de paraître le plus à l'aise possible, mais quelque chose me dérangeait. Ce type dégageait une aura... et ses mots... Peut-être était-il au courant pour Zachary ? Mais alors, rien ne l'empêchait d'atteindre mes proches... Ma paranoïa gagnait du terrain, mais c'était la première fois depuis des années que j'étais frappé de la sorte. En une seule phrase, cet homme m'avait assassiné psychologiquement. J'étais désarmé, et alors que je m'apprêtais à prendre les devants et agir, le voilà qui me reléguait au simple rang de spectateur, lui se chargeant d'endosser le rôle d'acteur. Quoi qu'il pouvait arriver, j'étais prêt à rentrer dans son jeu, je n'avais pas le choix, et puis, peut-être avait-il quelque chose à m'offrir, un marché, ou que sais-je. En tout cas, les choses allaient devenir intéressantes. Le fond élancé de piano s'interrompu pour s'ouvrir à nouveau, sur la [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] cette fois-ci. Le piano me fit jubiler. Inhabituel, d'entendre ça dans un bar. Ca me rappelait mon enfance à Bordeaux, elle était parfois jouée ça et là, et les notes que j'entendais frappaient ma mémoire tel un écho perdu entre les montagnes mais qui murmurait quand même, comme pour tenter de laisser vainement une trace dans ce monde. Une simple réminiscence. On pouvait croire à l'accompagnement de ce qui allait être une joute pour le moins intéressante, du moins c'est ce que j'espérais. Un adversaire à la hauteur pour ma dernière journée sur terre.

"Et, vous savez..."

Je me tournais vers lui, le défiant du regard.

" Que l'on discute ou pas, le déroulement de cette journée ne changera pas. Que vous soyez ici pour m'arrêter ou m'assassiner, qu'importe. A la fin de notre discussion, je me lèverai, et le plus calmement du monde je me dirigerai vers l'immonde porc que vous voyez là, à ma gauche ! "

J'avais levé volontairement la voix tout en désignant Zachary du doigt, qui, trop occupé à se saouler, ne m'avait toujours pas remarqué. Quelques personnes s'étaient néanmoins tournées vers moi, interloquées. Le sourire aux lèvres, je renchérit, non sans prendre une gorgée de whisky.

" Mais vous savez sans doute tout cela, pas vrai ? D'ailleurs, puisque vous semblez parfaitement me connaître, prenez donc la peine de vous présenter, je vous en prie ! C'est la moindre des choses, et puis, je n'ai pas vraiment eu l'occasion de parler à des gens ces derniers temps. Offrez-moi cet honneur. "

Il doit me prendre pour quelqu'un de bien cynique voir méprisant. Pourtant, j'étais quand même assez sérieux. Cet homme m'intrigue. Il me sait plus ou moins en danger, mais en est-il la cause ? Les masques n'avaient pas fini de tomber...
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Message  Le Dévoreur de temps Dim 29 Sep - 23:49




La nervosité du jeune homme semblait aller crescendo, tout comme l'opacité de l'air environnant de plus en plus chargé des volutes de fumée dégagées par les consommateurs de l'endroit. L'ambiance un peu bastringue à moitié illicite que distillaient certains d'entre eux était aussi lourde que le titrage du whisky qu'ils ingurgitaient. Whisky de contrebande, donc même si fait avec de bons ingrédients forcément plus alcoolisé que celui jadis commercialisé. Pour en avoir goûté, Stanzas avait évalué le degré entre 50 et 65°, ce qui allait contre les préconisations de Mendeleïev en son temps. De quoi dissoudre un foie en quelques années avec une consommation massive et régulière. Quand il n'était pas frelaté. Mais cela n'était certainement pas le cas de celui que servait cet établissement. Pour autant, le parallèle avec la situation du peuple russe face à la vodka était évident. Sauf qu'en Russie, pas de prohibition, mais plutôt de l'exhibition durant une longue histoire d'amour entre le breuvage et le peuple. Seul le Prince Ivan avait en son temps instauré une prohibition assez peu respectée malgré la crainte qu'il inspirait et qui ne dura pas plus longtemps que son règne, puis un autre Ivan, Tsar lui, instaura la production contrôlée par le gouvernement, et favorisa l'ouverture des distilleries d'état. Il y avait fort à parier que celle des américains ferait encore moins long feu, car le gouvernement peinait davantage à se faire respecter que les deux Yvan. D'autre part, si on savait s'y prendre, un peuple abreuvé de vodka était facile sous le joug et docile au labeur. Il arrivait toujours un moment ou le pouvoir basculait vers l'intérêt d'état au détriment de la santé publique. Pour l'heure, la loi américaine décrétait que la consommation d'alcool était un délit fédéral, favorisant ainsi la naissance d'établissements comme celui-ci ou de pires. Vladimir tira une de ses JPS du paquet noir et anachronique au risque de susciter la curiosité du jeune homme et lui en proposa une.

- Puisque nous en sommes à nous ruiner la santé, faisons les choses jusqu'au bout ! Plaisanta-t-il dans un clin d'oeil.

Le Roumain eut un sourire étonné en acceptant le verre de Stolichnaya. Bethoveen et sa droiture parmi les maffieux d'Atlantic City, la plus vieille vodka russe au pays des cow boys, étant voyageur du temps, il était habitué à côtoyer les contrastes, mais là on nageait en pleine mondialisation avant l'heure. Il plissa les yeux en tirant sur sa cigarette, s'envoya le verre de vodka et essuya du revers de sa manche une goutte de pluie qui glissait sur son nez.

- Vous savez qu'un groupe français va en acheter la licence pour l'internationale ? Enfin dans plusieurs décennies...  Cela dit, vous avez raison, pour de la russe, elle est remarquable.

Les dernières notes du second mouvement qui sonnait véritablement comme une marche funèbre mais que Stanzas voyait plus comme le destin dans sa marche inexorable, s'égrenaient lentement.

- Il était totalement sourd quand il a composé cette symphonie. Imaginez-vous la terrible sentence de ne jamais entendre et voir respirer ce à quoi on a donné naissance  ? C'est comme un père qui verrait grandir son enfant de loin. Ajouta-t-il en coulant un regard en coin à Dranesas.

Le Professeur tirait sur sa cigarette et regardait la danse des nappes aux reflets bleutés jusqu'au plafond en stuc mouluré faussement bourgeois.

- Vous savez, les apparences sont parfois trompeuses. Par exemple, vous me pensez sans doute plus âgé que je ne suis, à cause des cheveux... J'ai 31 ans depuis 72 ans... Vous avez raison, je vous connais un peu à travers ce qu'on m'a raconté sur vous. Je ne suis pas là pour vous descendre ni pour vous arrêter, mais pour vous empêcher de faire une bêtise. Si vous tentez de flinguer Zachary vous vous mettrez Lansky à dos, parce qu'ils sont associés... Eh oui, beau papa travaille pour la concurrence mon petit. Si Lansky vous a dans le collimateur, autant dire que vous réussissez le tour de force de vous mettre Costello et Luciano SUR le dos, ce qui relèverait d'un record étant donné que vous avez aussi la maison d'Atlantic City aux fesses... Deux types dans la Ford garée en face ...  ils étaient là quand je suis entré et ils n'ont pas bougé

Faisant signe au barman qu'il en voulait une autre, il fredonnait "I got you babe" un air incrusté dans sa tête depuis qu'il avait vu Thorvald danser dessus à Targoviste. L'image était tellement choquante en soi: voir ce grand viking devant le miroir en train de tirer sur son pantalon moderne et psalmodiant entre ses dents
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