Après avoir parlé si longuement, si rapidement, Christiana se tut soudainement. Le regard vague, elle ne savait plus où elle en était dans ses propos. Sa bouche et ses pensées n'étaient plus coordonnées. Elle avait l'impression que ses paroles ne suivaient pas le rythme de sa réflexion. Ou peut-être était-ce l'inverse. Quoi qu'il en fut, elle resta bouchée bée un instant, ne sachant plus sur quoi continuer son monologue. L'intervention de Démétrios lui redonna matière à parler.
- Oui, ce qui s'est passé sur le toit est dangereux. Lorsque j'étais enfant, ce genre de choses était courant. Trop souvent même, reconnut-elle. Votre curiosité a été de bon augure. Que savons-nous des projets des cambrioleurs de cette nuit ? Qui nous dit qu'ils n'avaient pas aussi l'intention de venir à l'intérieur. Qu'est-ce qui nous assure que nous aurions été en sécurité dans nos lits s'ils avaient été plus loin que le toit...
La demande de permission pour aller se coucher fut accueillie avec joie par Christiana. Démétrios se leva et elle fit de même non sans difficulté. Elle s'appuya sur les accoudoirs de son fauteuil et se hissa tant bien que mal de l'assise. La tête lui tournait un peu. Elle resta quelques secondes appuyée sur le guéridon le plus proche, posant sa main à moitié sur le carnet recouvert par la photo de sa mère.
- Votre sens de l'observation est plus aiguisé que le mien, dit-elle en se passant sa main libre sur le front. Je n'ai pas remarqué de rupture dans les heures. Je ne ressens qu'une intense fatigue que je ne saurais dire si elle résulte de cette rupture ou de l'ensemble des événements, ceux de l'antichambre, des épreuves, de la préhistoire et de cette nuit, qui je dis l'avouer, font beaucoup pour un début. La volonté est là, mais ma constitution physique va avoir grandement besoin d'être améliorée si je ne veux pas finir si faible après chaque voyage.
Christiana s'éloigna du guéridon quand le tournis cessa. Elle s'approcha de Démétrios et montra la porte de l'escalier qui menait à l'étage des chambres. D'un signe de main, elle l'invita à monter pour se coucher. Tout en allant vers les chambres, elle ajouta :
- Vous étiez à votre aise auprès des Mammouths, tandis que je traînais loin derrière. Un bon entraînement me ferait du bien. Peut-être accepteriez-vous de m'aider à me fortifier physiquement ? Demanda-t-elle en montant la première les marches de l'escalier à pas lents, tout en se tenant fermement à la rambarde. Après que nous ayons résolu mes soucis de vol et de carnet mystère, un petit saut dans votre temps ne me déplairait pas, pour que vous m'appreniez à vivre plus durement et tenir plus longtemps que le temps qui s'est écoulé entre mon entrée dans l'antichambre et cette nuit. Il va de soi que je profiterais d'un tel voyage pour assouvir ma curiosité, tout comme vous ici, dit-elle en souriant et en se retournant vers Démétrios, qui la suivait dans les escaliers.
En haut des escaliers, leur chemin se séparait. Elle répondit au bonsoir de Démétrios d'un signe respectueux de la tête et se dirigea avec hâte vers sa chambre. Elle s'y enferma et resta le dos contre la porte fermée. Elle baissa ses yeux sur ce qu'elle tenait toujours entre ses mains : le carnet et la photo. Christiana ne s'était pas rendu compte qu'en s'éloignant du guéridon, elle avait pris le carnet et la photo avec elle. Christiana ferma les yeux, bascula la tête en arrière et expira longuement. Dans quoi s'embarquait-elle ? Elle rouvrit les yeux et fixa la photo de sa mère.
- Von Carter... Carter... tu rôdes autour des hommes au nom similaire ? Demanda-t-elle à la photographie. Tu as eu papa, tu as apparemment eu Howard Carter. Ne me détourne pas de mon objectif, laisse-moi avoir Kyle, marmonna-t-elle en mettant la photo dans le carnet, cachant ainsi le visage de sa mère et l'air amoureux d'Howard Carter.
Christiana jeta le carnet sur sa coiffeuse, défit son peignoir en satin et se laissa tomber sur le lit déjà défait. Elle se glissa sous les draps et ferma les yeux, se laissant rejoindre Morphée. Elle s'enfonça véritablement dans le monde des rêves, sous le regard protecteur de la photographie de son père, de ses frères et de Kyle.
Christiana s'était recouchée en espérant qu'aucun toc à la porte ne viendrait de nouveau perturber sa nuit. Ou du moins ce qui restait de nuit. Il lui importait peu de dormir jusque tard dans la matinée. Elle se disait que si Démétrios se levait avant elle, il pouvait très bien réussir à survivre dans la maison pendant qu'elle dormait. Tout ce qui l'importait, c'était le droit à un repos complet et qu'il n'y ait pas de toc à sa porte pour la réveiller.
Malheureusement, elle pouvait toujours rêver ! Au matin, on frappa à sa porte. Le premier toc ne la réveilla pas. Et l'homme qui frappait préféra réitérer le toc en douceur plutôt que prendre le risque d'ouvrir la porte et entrer sans y être invité, même si c'était pour réveiller la patronne. Après cinq tentative, le toc devint plus violent. Christiana avait été réveillée au troisième. Feindre le sommeil ne marcha pas et au sixième toc, lui aussi plus fort, elle s'assit au bord de son lit, enfila le peignoir qui traînait par terre. Elle passa une main sous l'oreiller, où son petit colt banker special dormait bien au chaud. Elle se tourna vers la porte, gardant une main sous l'oreiller et s'exclama :
- Qui est-ce ?
- C'est Bobby, Patronne. Le FBI est en bas. Ils savent pour cette nuit. Ils vous réclament. Ils insistent et sont bien armés.
Christiana lâcha un faible juron.
- Je ne suis pas présentable. Dis-leur que j'arrive dans quelques minutes.
- Bien, M'dame, dit Bobby en tournant les talons pour regagner le rez-de-chaussée.
Christiana se leva précipitamment et ouvrir la porte de sa chambre. Bobby était quasiment rendu aux escaliers.
- Bobby ! L'interpella-t-elle en serrant les pans de son peignoir d'une main et en repoussant ses cheveux de l'autre.
Le gaillard se tourna vers sa patronne et en voyant qu'elle n'était véritablement pas présentable, il détourna les yeux.
- Ne t'avise pas à prévenir Jared, dit-elle d'un ton sec, avant de retourner dans sa chambre et de claquer violemment la porte.
Bobby se retrouvait dans une situation délicate. Soit il prévenait Jared et se faisait sévèrement punir par la patronne, soit il ne le prévenait pas et c'était Jared qui lui faisait sa fête. Les événements de la nuit et la présence du FBI lui fit prendre la décision d'obéir à la princesse du Bacchus. Il préférait attendre de voir ce que donnait l'entrevue avec les agents du gouvernement.
De retour dans le hall du Bacchus, il informa les sept hommes du FBI que sa patronne s'habillait et arrivait sous peu.
Au dernier étage de l'immeuble, Christiana faisait les cent-pas dans sa chambre. Que faire ? Fuir en se transportant à une autre époque au risque de compromettre ses nouveaux projets pour le Bacchus ? Fuir pouvait être une option mais avant, elle devait savoir ce que ces hommes voulaient véritablement. Savoir comment ils avaient su si vite pour la fusillade nocturne.
Christiana fit un brin de toilette dans sa salle de bain et enfila des sous-vêtements et des bas propres. Elle alla ensuite fouiller dans ses vêtements pour trouver la tenue la plus confortable pour affronter cette nouvelle situation délicate. Elle chercha une tenue susceptible de l'aider dans une potentielle fuite. Elle monta sur une chaise pour chercher sur les étagères les plus hautes et tira sur un vêtement coincé au fond, ce qui entraîna une chute de magazines oubliés. Christiana pesta et repoussa un magazine coincé entre elle et les étagères du grand placard. Le magazine tomba et s'ouvrit à une page qui attira son attention. Sur cette page, se trouvait une photographie de Rita Hayworth... en pantalon !
- Spoiler:
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Christiana descendit de son perchoir et prit le magazine. Ses mains se crispèrent sur les pages chiffonnées après avoir été sauvagement entassées sur l'étagère, afin de faire oublier le magazine. Elle se souvint de ce magazine. Il avait entraîné un des derniers cadeaux de Kyle. Un des derniers avant qu'il ne parte en guerre de l'autre côté de l'océan. Il lui avait offert un pantalon !
Christiana se souvenait parfaitement de ce qu'il lui avait dit en le lui offrant. « Tu seras comme Rita Hayworth en voiture, lorsque nous partirons. Tu seras encore plus libre de vagabonder où ta voiture te portera sur la côte ouest ». Ses mains se relâchèrent doucement et un sourire apparut sur son visage.
- Oh Kyle... que me fais-tu faire ! Bon. Pourquoi pas ! S'étonna-t-elle en remontant sur la chaise.
Si le magazine était là, le pantalon ne devait pas être loin. Lorsque Christiana enfouissait sa douleur, elle veillait à faire les choses correctement. Le magazine lui rappelant Kyle, le pantalon aussi, celui-ci devait aussi être sur l'étagère. Et il l'était. Bien au fond, caché derrière de vieilles jupes, il y avait le pantalon. Il sentait un peu le renfermé. Mais Christiana se dit que si elle devait fuir, son pantalon prendrait l'air et l'odeur avec !
Christiana redescendit de la chaise et mit le pantalon, qu'elle accompagna de l'habituel duo chemisier et veste de tailleur. Elle laissa cependant de côté le chapeau à voilette. Elle chaussa des chaussures suffisamment plates pour être confortables et s'observa dans un miroir. Ce qu'elle vit l'étonna. Elle vit une Christiana bien différente de la routinière qu'elle était. Cela ne lui déplut pas. Au contraire. Elle se peigna, se fit une coque à l'instar de la célébrité du magazine, laissant pour une fois ses cheveux relâchés.
Elle inspira un bon coup et quitta sa chambre pour se diriger vers celle de Démétrios. Elle frappa à la porte plusieurs fois et s'écria suffisamment fort pour être entendue à travers la porte :
- Navrée si je vous réveille, Démétrios. Mais les ennuis sont là. La police, pour être plus précise. Elle semble être au courant pour nos péripéties de cette nuit. Si vous souhaitez me rejoindre pour en savoir plus, je serai tout au rez-de-chaussée. Au club. Si vous descendez tout en bas, quelqu'un vous conduira à moi.
Christiana quitta ensuite l'étage des chambres et descendit les trois escaliers qui menaient au rez-de-chaussée. Elle hésitait entre aller voir directement les hommes du FBI dans le hall ou les recevoir de façon plus formelle, dans l'ancien bureau de son père. Christiana jugea finalement qu'il était plus judicieux de les recevoir dans le petit salon privé. Cela rendait l'accueil hostile que si elle devait se trouver derrière le grand bureau d'ébène et cela les laissait tout de même loin des yeux curieux du personnel et des bouches susceptibles de rapporter à Jared les propres qui allaient être échangés.
Arrivée au rez-de-chaussée, dans le hall privé, elle se rendit compte qu'elle avait laissé son colt à l'étage. Même si le bureau avait sa propre arme, que pouvait-elle faire, seule contre eux ? Rien. Alors elle ne fit pas demi-tour. Une femme de ménage du Bacchus se trouvait dans le hall privé. Surprise de voir sa patronne descendre si tôt, elle la salua timidement.
- Sarah, prévenez Bobby que je suis dans le petit salon et dites-lui de faire venir nos visiteurs. Demandez aussi à Carlson de nous apporter du café et un thé pour moi. Un certain Monsieur de Zéa, qui séjourne actuellement au Bacchus, risque de nous rejoindre. Veillez à ce qu'il soit conduit au petit salon privé.
Aussitôt, la femme de ménage s'éclipsa. Christiana entra dans le petit salon privé et s'installa dans un des confortables fauteuils de club, faisant face à la porte du hall privé. Bobby fut prévenu en premier. Puis se fut le tour de Carlson, le barman.
- La patronne est prête. Suivez-moi, dit Bobby sur un ton monocorde qui cachait mal son envie de faire des trous dans ces hommes.
Bobby les entraîna dans le couloir, puis dans un premier hall qui desservait sur deux portes. Ils franchir celle de gauche et arrivèrent dans le hall privé où Christiana avait donné ses ordres à Sarah. Bobby montra la porte du petit salon privé aux hommes du FBI et dit :
- Elle vous attend.
Il frappa à la porte du petit salon et Christiana l'autorisa à entrer. Bobby ouvrit la porte du petit salon et il s'éclipsa aussitôt, en montant les escaliers qui menaient au premier étage, afin de conduire Démétrios au petit salon privé s'il souhaitait prendre part à l'entrevue. Dans le petit salon privé, Christiana attendait tranquillement son thé et les agents du FBI.
- Spoiler:
Si cela peut vous aider à visualiser le plan du RDC du Bacchus ainsi que l'aspect du petit salon privé, voici un lien vers l'espace de Christiana :
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