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Démétrios de Zéa

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Démétrios de Zéa Empty Démétrios de Zéa

Message  Invité Dim 29 Jan - 19:33

Prénom :  Démétrios

Nom : Il devrait s’appeler Démétrios de Phalère, du nom du dème de son père mais un homme célèbre de ce nom existe à son époque et il ne veut pas de confusion. Il est donc connu comme Démétrios de Zéa.

Surnom : Dès ses quatre ans, il a détesté son surnom d’enfant, Boucle d’Or, que les femmes de la famille lui donnent encore parfois.
Démé :Son frère aîné l'a appelé ainsi deux ou trois fois  quand il rentre de voyage . C'est très bizarre de couper net un nom en deux. Il doit fréquenter des étrangers vraiment étranges.

Âge : 30 ans

Epoque et lieu de naissance :
-353 à Zéa, un port militaire qui fait partie  du Pirée., lui même port d''Athènes. En fait Démétrios ,citoyen athénien, sera élevé à côté de Zéa, à Kantharos, le port commercial où se trouve la grande demeure familiale et aussi dans la maison de campagne  sur les bords verdoyants de l’Illyssos.
Pour situer Démétrios par rapport aux VIP de son siècle:  Socrate est mort en -399, Platon en -348, son grand-père les a bien connus . Aristote  mourra en -322 . Alexandre le Grand est né trois ans avant  Démétrios et meurt en -323.

quelques rappels historiques permettant de mieux comprendre les choix de Démétrios par rapport à son époque.
Le IV° siècle est encore marqué par la puissance de la grande Athènes qui s'est affirmée au siècle précédent, dit le Siècle de Périclès. Mais cette suprématie politique ne cesse d’être remise en question depuis la fin de la guerre du Péloponnèse, guerre qu'elle a perdue devant Sparte. Certes on est depuis retourné à la démocratie, après la brève mais sinistre tyrannie des Trente qui a suivi la défaite. Dracontidès, un des Trente, est d’ailleurs un arrière-grand-oncle paternel de Démétrios. On essaie d'oublier l'épisode dans la famille, restée résolument démocratique (ce qui à l’époque signifie qu’on y a plutôt l’esprit conservateur) et très farouchement patriotique, c'est à dire attachée à l'indépendance et à la supériorité d'Athènes. On vit avec cette certitude : Les Grecs sont les gens les plus civilisés du monde et les Athéniens sont les plus civilisés des Grecs.
Le redressement athénien semble se poursuivre durant la première partie de ce IV° siècle, malgré les guerres incessantes, suscitées par les vues hégémoniques de l’insatiable Sparte. C'est du moins l'opinion de Démétrios, formé par son grand-père, très opposé aux prétentions spartiates.
Les alliances se sont et se défont au gré de Ligues entre cités,unions factices qui contribuent à accroître les tensions plus qu'à les diminuer. Les vieilles familles athéniennes s'appauvrissent, il est de plus en plus difficile pour elles de s'acquitter des charges d'utilité ou de prestige imposées aux citoyens les plus riches. On part chercher fortune et gloire dans les « colonies  » grecques, cités indépendantes dès leur fondation, souvent anciennes, riches, avec des rois, des tyrans ,qui ne prennent pas forcément le parti d'Athènes, comme Syracuse, Cyrène ou Massalia.
Et voilà que les ambitions du royaume macédonien se joignent aux orages troublant le ciel attique. En -338, l’Attique est soumise par Philippe II après la défaite de Chéronée. Philippe martyrise les Thébains mais épargne la prestigieuse Athènes (son fils Alexandre l'imitera en -335 quand les deux villes tenteront de se révolter). Athènes n’est cependant plus le centre politique de la Grèce et le monde suit désormais la montée fulgurante d'Alexandre, roi à vingt ans, et qui en une décade prodigieuse, soumet à son autorité toute l’Asie mineure, l’Egypte des pharaons, Assur,Babylone, Ecbatane, toute la Perse, Samarcande , la Sogdiane , la Bactriane, ne s’arrêtant qu’aux frontières de l’Inde. Il meurt sans être rentré en Grèce. Et Démétrios ne sait donc pas ce qui va se passer après.... sauf si on lui permet d'aller y voir...


Physique:
Peu avant sa naissance, sa mère, Althéa, avait rêvé que les déesses Athéna et Déméter la visitaient et lui offraient un rameau d'olivier et un épi de blé. Tout le monde vit donc le signe d’un destin exceptionnel dans le duvet  doré et les yeux clairs du nouveau-né. On le nomma Démétrios, le plaçant sous la protection de Déméter, la déesse de la terre nourricière et des moissons.  Son père aurait préféré Dionysos,  qualifié par la tradition de  Chrysokomes (aux cheveux dorés), mais les prêtres dirent que ce dieu étant absent du songe maternel , il ne fallait pas provoquer la jalousie des déesses qui s’y étaient manifestées. Le choix de Démétrios s'imposait donc puisqu'un des fils aînés s'appelait déjà Athénagoras. La famille fondant sa richesse surtout sur le commerce des blés, les boucles d'or devenaient présage d'un pactole qui allait se déverser sur la Maison du vieux Théramène, grand-père du précieux enfant. Au bout de quelques mois, le duvet doré tint ses promesses et de splendides boucles, souples et brillantes s'allièrent à des pupilles incontestablement bleu-vert .
Avec l'âge, le blond fonça jusqu'à la couleur du blé mûr, les boucles furent moins soyeuses, moins parfaitement tournées, d'autant que Démétrios se les taille souvent assez court et n'en prend aucun soin. Mais on le remarque encore pour cette particularité. Elle fit son succès à la palestre ou au gymnase, la blondeur étant  très prisée  des visiteurs venus admirer la beauté des garçons . Ces amateurs apprécient donc l'anatomie de l'adolescent bien bâti,  raisonnablement musclé, couronné d'une  divine chevelure. Si son visage est plus anguleux et expressif que ne le recommandent les canons de la beauté grecque, on lui pardonne cette virilité trop accusée en raison de ses yeux clairs. On dit «  pers » pour avoir l'air d’utiliser couramment les épithètes homériques et de ne venir là que pour des motifs hautement civilisés. Quand il coupe ses boucles, on l'admire moins.. Les puristes critiquent son nez , un peu trop large pour avoir été dessiné par Phidias. Le fils de  Démoclès pourrait avoir aussi davantage de grâce dans les mouvements, d'aisance dans les déplacements. Quand il est assis,  il reste immobile, replié sur lui-même, bras croisés, l'air renfrogné. Et à la lutte, où il est doué, au lieu de faire ressortir la plastique de sa silhouette, il se démène avec la rage nerveuse d'un chat sauvage. Le jeune insolent fait même des grimaces à ses admirateurs lorsqu'ils  s'exclament devant telle ou telle pose. A son âge, commentent les esthètes déçus,  son frère Lycias était bien plus proche de la perfection, avant de devenir, hélas, ce gaillard tout poilu qui court les filles.  Et puis Démétrios a quelque chose de Nubien dans les lèvres, le teint un peu trop bronzé pour un blond et il n’a pas la fesse assez charnue, caractéristique du bel éphèbe, comme le dit expressément  Aristophane , avant d'évoquer les proportions idéales, d'ailleurs tout à fait surprenantes, d’autres détails anatomiques .
A trente ans, Démétrios est toujours blond, large d'épaules et mince de taille, ses traits se sont durcis  sous le hâle du voyageur ,un pli s'est creusé entre ses sourcils et ses joues sont un peu hâves. Ses essais de porter la barbe ont été décevants. Au lieu d'une belle barbe bouclée , où passer ses doigts d'un air songeur, il a une barbichette brunâtre en bataille qui le fait ressembler à un satyre des forêts. Il la laisse pousser quand  il se sent porté à la misanthropie.

Caractère :
Au premier abord, on le juge parfois hautain, peu aimable, froidement poli. Il faut dire qu'il a reçu une éducation digne des anciens Eupatrides, les Bien-Nés, (sa mère est une Alcméonide comme Périclès), et sans pour cela se mettre en avant, il méprise ou ignore tous ceux qu'il n'admire pas. Et ses admirations sont très sujettes à péremption. Un jour ou l'autre, les êtres admirés agissent au dessous d'eux-mêmes et ne sont plus que des chandelles éteintes. Il est  plus sûr d'admirer les glorieux morts, qui se tiennent pour toujours tranquilles sur leurs socles de statues.
Très silencieux et réservé dans son comportement, il se sent loin de l'exubérance de ses compatriotes, de leur goût de l'éloquence et des débats publics incontrôlés. Non qu'il manque d'idées, mais il pense que tous les malheurs de l'homme viennent de ce qu'il ne sait pas se taire. Il regrette presque toujours d'avoir parlé, ce qui l'exclura de la carrière politique envisagée un instant . On le considère souvent comme un cynique, un rêveur sans ambition, un  Diogène qui n'a pas encore trouvé l'amphore où loger sa personne et ses rêves. Il le sait, s'en désole mais ne peut aller contre sa propension aux dérives de l'imagination et à son goût de la solitude. Comme il aime la tranquillité, il s'impatiente devant les contrariétés de l'existence et cette impatience lui déplaît car elle souligne à ses yeux les incohérences de sa nature.
Il regrette aussi le côté acerbe de son esprit critique qui lui fait juger sévèrement les esprits étroits qui l'ennuient, les lents, qui l'irritent ,les vulgaires, qu'il méprise.  Il ne  tire guère de satisfaction de sa vivacité d'esprit. par manque de pugnacité et  un sentiment profond de l' « A quoi bon ? ».  Ses idéaux n'ont fait que l'éloigner des rapports superficiels, mais souvent plaisants, finalement productifs, qui sous-tendent la vie sociale. Son manque d'ambition a fait de lui sinon un inutile, du moins un rouage très secondaire dans une famille où même les moins doués ont mieux réussi que lui.
Certes, on le loue pour son intelligence, ses connaissances. On le juge généreux et de parole. On apprécie qu'il puisse distraire la compagnie en récitant  Homère et Pindare, et quand il se décide à discuter en société, on applaudit son esprit mordant  et hardi. Mais le plus souvent, on le regarde comme un être passif, agréable, mais un peu fuyant et on l’oublie d'autant plus facilement qu’il  semble souvent ne pas être tout à fait là.
Elevé en fier fils d’Athènes, la liberté lui est chère . Il donne cependant à ce mot un sens restrictif. Ne doivent être libres  que ceux qui le méritent, par leur statut ou leur naissance . Ce n'est pas un droit attaché à la personne humaine. Chacun a sa place, qui n'est pas forcément immuable,sauf évidemment pour les femmes, et le changement ne peut s'effectuer que par la décision de  libres citoyens.
Démétrios a appris à ressentir de la pitié envers les  malheureux injustement mis à mal. Un noble coeur se doit de protèger les faibles contre la mauvaise fortune. Il doit être magnanime et respecter le courage du vaincu vertueux. Démétrios  a adhéré immédiatement à ces préceptes car il est naturellement ému par la douleur d'autrui.
Né dans un monde  foncièrement guerrier, il n’a guère cependant d’attrait pour la violence et le combat . Mais jamais il ne voudra passer pour un lâche et fuir son devoir. Sa  famille appartient à la Tribu des Acamantides,  et s’il ne se croit pas vraiment descendant de Thésée, il se sent cependant investi du rôle de gardien des traditions qui ont fondé la grandeur d'Athènes.
Aussi est-il sévère pour son époque, trop occupée d’intérêts mesquins, estimant davantage la noblesse d'âme et la gloire des actions quand on peut en calculer le rapport en sesterces. Mais il est aussi sévère pour lui-même. Les Héros des anciens temps ne reviendront plus. Et pourtant n'est-ce pas la seule façon digne de vivre et de mourir que chercher le dépassement de soi-même ? Or qu'a-t-il fait jusqu'alors pour devenir meilleur que ce qu'il est né ?
Il n'est donc pas très heureux, ni de lui-même ni des autres. Et il se dit souvent qu'il est le produit d'une époque de décadence, sans arriver à déterminer s'il est né trop tard dans un monde trop vieux, ou bien trop tôt pour voir sortir un monde nouveau des ruines de l'ancien.

Ordre choisi : Explorateur

Métier exercé dans l'époque d'origine :
 Négociant au service des intérêts familiaux ( huiles, vins, blés, import export) ; il voyage à cette occasion.
Il a aussi étudié  la peinture et la sculpture pour « s’amuser », car sa famille ne voudrait pas d’un artisan parmi ses fils . Socrate était sculpteur mais il a mal tourné.

Métier ou fonction après son premier voyage :
Il pourra fabriquer de  faux vrais antiques pour gagner sa vie ou bien donner des cours  de grec ancien , mais son accent non restitué risque de surprendre. Le Dévoreur avisera.


Histoire :    
En -323, au Cap Sounion

La fracassante nouvelle avait atteint Démétrios la veille au soir et il en ressentait encore le choc. Alexandre, le grand Alexandre, n'était plus. Il était mort  au début de l'été sur les rivages lointains du fleuve de Babylone et depuis, ses généraux se partageaient son empire comme des hyènes déchiquètent le lion foudroyé.
Sous le coup de la nouvelle qui l'avait atteint, à peine débarqué la veille,  sur la Cyclade Kéos, l'Athénien avait cherché la solitude et louant les services d’un pêcheur, s'était rendu au Cap Sounion.
Il s'était assis à même le sol, les bras encerclant ses genoux nus, dans une position rassemblée qui confondait sa silhouette avec les rochers du promontoire . Le soleil se levait au-dessus des Cyclades,  simples lignes grises  posées sur l'horizon. En contre-bas, dans le vert sombre de ses abîmes, la mer  semblait retenir encore  les mystères de la nuit. Mais le jour triomphant montait dans un éblouissement de lumière conquérante, jetant comme un ruissellement de vie sur le monde. Non loin, sur cette pointe extrême de l'Attique, le Temple de Poséidon dressait ses colonnes blanches  recevant déjà le plein éclat du jour et semblait consacrer ainsi l' union des deux forces divines où la terre hellène avait puisé son énergie créatrice: le Soleil et la Mer.
L'Athénien ne croyait plus, comme au temps de son enfance, qu' Apollon s'élançait, emporté par les chevaux du soleil, dans l'immensité bleue du ciel attique. Mais les Dieux morts au coeur des hommes vivent encore dans les lieux où ils furent honorés, et voyant le soleil jaillir hors de l'horizon, le jeune homme se sentait transformé par une force surnaturelle, comme si la lumière  déployée portait en elle une puissance originelle et infinie, sans commune mesure avec le coeur fragile de l'homme, son esprit limité et l'obsédante brièveté de son passage en ce monde.
Mais si Démétrios était fils de la Terre, dont il portait fièrement un des noms divins, il s'en sentait de plus en plus le fils mal aimé et, bien que d'abord exalté par la magie de l'aube, quand le soleil devint insoutenable à la vue, son enthousiasme disparut, il croisa ses bras sur ses genoux, et y posa le front,  les yeux clos ,devenu étranger à cet univers de gloire et de prodiges. L'insupportable conscience de son être l'envahit et il se ferma à une beauté qui ne parvenait plus à lui faire oublier sa misère.

Démétrios revenait d'un voyage commercial dans les brumes de la Chersonese taurique (la Crimée aujourd'hui) où son oncle Timon avait des intérêts, et sur le retour, il avait dû passer plusieurs semaines  retenu à Tomis, (Constanta en Roumanie) pris par les fièvres sur les bords marécageux  du Pont-Euxin. Tomis semblait une ville faite pour l'exil et les regrets. Le jeune homme se surprit même à commencer une élégie qu'il n'acheva pas, honteux de se complaire dans sa nostalgie. Dans ce lieu isolé, n'était-il pas  en paix, éloigné de tout ce bruit criard des obligations habituelles ? Les rares navires n'apportaient que des nouvelles déformées et contradictoires . Pour la dixième fois, on annonçait la mort d'Alexandre, enlevé par Jupiter lui même sur un char de feu . D'autres disaient qu'il avait épousé la fille du Dieu Indus  à moins que ce ne soit la Reine de l'Oxos qui le retenait prisonnier dans une montagne de glace.
Remis sur pied, Démétrios avait entrepris le voyage du retour et débarqué à Kéos, n’ayant fait que de rares escales dans d’obscurs petits ports pour évaluer leurs possibilités d'accostage. La fulgurante nouvelle n’y était pas encore parvenue et  elle l’attendait donc sur les quais de Kéos où elle le bouleversa. Il avait alors choisi de s'accorder une nuit de solitude avant de rejoindre sa famille dont il s'était pourtant langui chez les barbares.  sous prétexte d’un pèlerinage, il s’était donc fait conduire la veille au soir au Cap Sounion. Les prêtres du temple l'avaient hébergé pour la nuit, flattés de recevoir le fils de  l'héroïque Démoclès de Phalère, mort à Chéronée avec la liberté d'Athènes, quinze ans auparavant. Il avait déposé une riche offrande aux pieds de la statue de Poséidon, afin de remercier le dieu marin de lui avoir permis de rentrer sur la terre paternelle. Après une nuit agitée de rêves et de mauvais sommeil, dans la solitude de l'aube, le pèlerin avait  tenté de reprendre possession de lui-même. Une fois de plus, le sens même de sa vie lui échappait et avec lui, le sens de toutes vies, également dérisoires face à l'écrasante puissance du temps.

L'Athénien éprouvait  une haine fascinée pour Alexandre le Macédonien, le fils de ce Philippe qui  à  Chéronée, ruinant Thèbes, humiliant Athènes, avait tiré un trait sanglant sur la fière indépendance des Cités grecques.
 Au désastre national, pour Démétrios, s'était jointe la tragédie familiale. A  Chéronée, était mort  son père Démoclès,  si brave, si généreux, et son cousin Cléon.  Alexandre et ses cavaliers avaient massacré le bataillon que commandait Démoclès et c'était peut-être ce prince de dix-huit ans qui avait abattu de son glaive le chef de guerre athénien, sous les yeux même de Philippe, fier d'un tel fils... Démétrios avait alors quinze ans et il s'en était terriblement voulu de ne pas avoir bravé l’interdiction de son grand-père et rejoint les hoplites, quand on avait appris que les phalanges macédoniennes se groupaient à Chéronée. Son frère aîné Lycias était  en mer, le second fils,  Athénagoras, était mort durant son service militaire, quatre ans auparavant. Théramène avait dit à l'adolescent que son devoir était de veiller sur sa mère. Il avait obéi. C’était Cléon, l’aîné de son oncle Timon, qui était mort en héros, aux côtés de Démoclès.
Quinze ans plus tard,  Démétrios vivait encore dans le regret de n’avoir pas été là et gardait une image idéalisée de son père vivant et mourant en héros.
Démoclès mort s'était ainsi imposé comme une présence obsédante, liée à la douleur de sa mère et de son grand-père, aux éloges dont on ne cessait de couvrir le glorieux défunt ,au devoir de vengeance inscrit dans toute son éducation.  Le guerrier, avait été moins présent vivant que mort, n’apparaissant qu’entre deux campagnes, et l'époque enchaînait les temps de guerre comme se succèdent les flots tumultueux d’un torrent. Ainsi Démétrios ne savait-il plus très bien si l'image, où il se voyait dans les bras de son père, tout effrayé par le haut cimier se penchant vers lui ,était un souvenir véridique ou une imagination tirée de la célèbre scène d’Hector disant adieu  à Andromaque et à  son fils.
Toute sa vie aurait-elle plus de réalité que ce souvenir incertain ? Elle s’effacerait  un jour dans le néant avec tous les songes et toutes les pensées qui s’étaient pressés dans son esprit et ce serait comme s'il n'avait pas vécu.
Toute sa vie…  A-t-il eu une vie qui mérite qu'on s'en souvienne, qui vaille d'être racontée ? Les évènements majeurs  de ces trente années tiendraient à peine dix lignes s'il s'avisait de les graver sur une stèle funéraire. Et c’était son enfance et ses détails insignifiants qui lui laissaient les émotions les plus heureuses. -

- Les jeunes années-

 Dernier né d'une famille nombreuse, jusqu'à sept ans, il avait vécu au gynécée auprès de sa mère , la noble et respectée Althéa, fille d’archonte et sœur de stratège. Il lui était profondément attaché et elle montrait beaucoup de tendresse pour ce bel enfant blond, venu tard, cadeau des déesses. Les trois soeurs qu'il avait connues et vu partir de la maison dès leurs quatorze ans, il ne s'en souvenait que comme de gracieuses créatures qui jouaient parfois avec lui à la balle ou au cerceau . Seule la cadette, Aglaeia, qui avait six ans de plus que lui, demeurait encore au gynécée quand Démétrios, selon l'usage, fut conduit dans le quartier des hommes et confié à un esclave pédagogue.  Sa mère n'avait plus la conduite de son éducation. Le gynécée devint un endroit où il ne paraissait plus qu'en visite autorisée et même si sa mère restait aimante et attentive, il savait bien que jamais il ne retrouverait cette si douce intimité, les caresses et les tendresses féminines qui avaient entouré le petit garçon.
Ce fut une épreuve qui le déchira. Mais il y gagna la présence chaleureuse  du Triérarque Théramène de Phalère, son grand-père, connu de ses concitoyens pour  la générosité de sa richesse, l'intégrité  de sa conduite, son intelligence brillante de la vie politique, et pour Démétrios, le plus impressionnant; le plus passionnant et  le plus aimé des grands-pères. Théramène avait  un faible pour son dernier petit-fils dont il appréciait la soif de savoir et la précocité d'esprit. Il lui racontait l'histoire et le monde selon Hérodote , Thucydide ou ses propres souvenirs, tout en se promenant au bord de l'Illyssos ou dans les oliveraies familiales. ..Périclès, la Grande Peste d'Athènes, la destruction des Longs Murs au son des flûtes guerrières,  Alcibiade et la  bande à Platon, selon son expression, qu'il avait fréquentée un temps. .. Démétrios prit dans ces récits  la méfiance des cités rivales d'Athènes , fauteuses de guerres et de chaos, en particulier de Sparte, dont Théramène disait qu'on ne peut rien attendre d'un régime autocratique qui oblige ses vierges à défiler en public, vêtues d'une seule tunique courte fendue tout du long,, et qui demande à ses garçons de tuer un esclave en guise de rite d'initiation.
Et puis il fallut aller à l'école, où on se moquait de ses belles boucles. Il ravalait ses larmes quand il lui fallait partir tôt le matin, accroché au manteau de son pédagogue portant une lanterne pour éclairer les rues encore enténébrées. Au bout de deux ans, son grand-père décida que l’enfant était trop intelligent pour perdre son temps dans des écoles publiques, malgré leur vogue croissante, et ce, sous prétexte de se rendre populaire auprès des électeurs. On lui trouva des maîtres particuliers et il respira.

Des scènes lui revenaient de cette époque, vivantes, variées, où il se voyait au fond si peu différent d'aujourd'hui, partagé entre élans passionnés et  passivité bougonne. Mais avec le temps, les élans avaient diminué et une sorte de lassitude sourde l'accablait de plus en plus souvent.
Ainsi, vers ses dix ans, son grand-père lui parle de  Démosthène qu'il fréquente ,admire et soutient. L'orateur appelle depuis longtemps ses citoyens à condamner  les ambitions macédoniennes . Démétrios  s'enflamme   .. Ce Philippe ne passera pas ! On mourra tous pour la Cité! Vive Démosthène !
Comme on dit que le grand homme se met des galets dans la bouche pour perfectionner son élocution, Démétrios décide d'imiter son héros et  s'étouffe à demi avec les trois cailloux qu'il a  coincés dans ses joues.  Ses frères s'esclaffent  et l’appellent Mitsos Lithophagos,.
Il se retourne alors vers l'autre exercice pratiqué par Démosthène et va rugir des vers homériques face à la mer, en gesticulant, debout sur un rocher. Dénoncé par son esclave pédagogue Phocion, qui en a assez de se faire tremper  à chaque coup de vent , il se voit interdire de pratiquer cet entraînement autrement que par calme plat, ce qui retire toute valeur à la confrontation épique de la mer déchaînée et de la voix humaine.
Théramène le console en le présentant à Démosthène en personne. Le grand homme lui caresse ses jolies boucles, comme ils le font tous, et lui fourre une figue confite dans la bouche. Démétrios aurait préféré un caillou démosthénien, relique qu’il aurait chérie toute sa vie . Mais enfin, il a vu un  Patriote et un Homme de Bien..Et la figue était bonne.

Démétrios sourit à cette évocation . Il se retrouve bien dans cette histoire:de grands envols lyrique retombant sur une fin terre à terre. Et puis, Athènes n'a pas suivi Démosthène et Philippe a gagné.  Exit le petit Démétrios... est-il plus intéressant comme adolescent ?
Il est devenu un excellent élève . Ses maîtres de musique, de lettres et de gymnastique ne tarissent pas d’éloge sur sa docilité et ses progrès. En fait, ils ne sont pas trop exigeants, mais Démétrios apprend beaucoup par lui-même et par de fréquents entretiens avec Théramène.

Et puis, le monde s'écroule sur ses quinze ans, avec la mort glorieuse de son père.

-La maturation-

Théramène se voûte un peu et se retire de toute activité politique, sauf de la triérarchie, car il continue, bien qu'il n'y soit pas obligé, et malgré l'énorme dépense, à entretenir pour sa ville une trirème superbe et ses cent soixante-dix rameurs.

A la palestre, Démétrios se fait un ami très proche, Callisthène, qui veut devenir un héros des prochaines Olympiades, car il excelle dans la lutte. Démétrios le soutient dans cette noble ambition.  Ils se jurent d’être amis jusqu’à la mort,  Achille et Patrocle, pas moins.  
Plus tard, on projettera même d'assassiner Philippe de Macédoine, quand on aura passé l'éphébie. On lui plongera la lance de l'hoplite dans le coeur, en criant :Athéna et  Démoclès ! ou Souviens-toi de Chéronée. ! On se dispute un peu sur la phrase qui restera attachée à leurs noms. Car bien sûr, ils seront aussitôt massacrés.
Malheureusement,  un autre mécontent se charge de la besogne. Il reste le nouveau roi,  Alexandre, mais celui-ci quitte la Grèce juste au moment où les deux amis sont enregistrés comme futurs citoyens au dème de Phalère. On attendra.
Et puis ils ne sont plus sûrs que porter une lance soit la tenue idéale pour approcher le tyran . Peu à peu,assagis, leur projet va se limiter à des participations épisodiques à quelques rassemblements secrets de patriotes opposés au pouvoir macédonien. Mais personne n'ose plus agir après le massacre des Thébains et la destruction de la ville révoltée. Démétrios sera vite dégoûté de l'ineptie de ces projets irréalistes, des ambitions personnelles qui les suscitent, et il faut l'admettre, il est ébranlé par la qualité de certains des partisans d'Alexandre, à commencer par Aristote. Celui-ci ouvre son Ecole au Lycée, n'ayant pu succéder à Platon à la direction de l'Académie. Même Théramène admet que ce demi-barbare pro-macédonien est un grand esprit.
Rêves de jeunesse... Callisthène est aujourd'hui père de famille et fait le commerce des étoffes précieuses. Il est devenu très favorable aux Macédoniens.. L'ouverture vers  l'Est promet des merveilles venues du pays des éléphants et de tous ces empires où se lève le jour. L'avenir des négociants est flamboyant. Callisthène exulte.
Démétrios  le rencontre encore de temps en temps, avec plaisir, à l'agora ou à l'occasion d'un banquet donné chez son oncle. Ni l'un ni l'autre n'ose plus évoquer leur projet d'assassiner Alexandre.

Son destin de comploteur et de sublime assassin réglé, quoi d'autre de notable ?
Faut-il parler de sa découverte du plaisir, grâce à son frère Lycias ?  Celui-ci a douze ans de plus que lui et est rentré de son long séjour  à Syracuse. Lycias fait partie de ceux qui ne pensent pas que le plaisir des sens doive avoir exclusivement les couleurs platoniciennes célébrées dans les textes du Maître.. Il aime précocement et prioritairement les femmes et connaît plus ou moins toutes les hétaïres les plus huppées d'Athènes. Voyant que Démétrius est de plus en plus ennuyé par ces admirateurs qui lorgnent les garçons dans les gymnases, il décide de présenter son  jeune frère à la belle hétaïre Aristhéa et la carrière amoureuse de Démétrios est donc orientée officiellement et définitivement dans cette direction. Il n'a que de bons souvenirs de ces lieux raffinés où il peut fréquenter des jeunes femmes belles, cultivées, agréables, autorisées et disponibles.
Et surtout, il découvre un ami en son frère. La différence d'âge fait qu'ils n'ont pas été élevés ensemble. Quand Démétrios  a rejoint le quartier des hommes, Lycias accomplissait ses années d 'éphébie et on voyait rarement passer sa grande stature élégante entre les colonnes du péristyle familial. Maintenant, les voilà compagnons de plaisirs et  Démétrios suit fidèlement les conseils de son aîné. Mais celui-ci  s'absente de plus en plus souvent pour régler des litiges commerciaux et plusieurs fois, on le croit perdu : il n'est pas sur le navire prévu, il a été détourné par des pirates, des tempêtes.. Resté seul ou en compagnie d'indifférents, Démétrios se distrait toujours, mais il a parfois un sentiment de routine dans le plaisir, un vague ennui que Lycias ne semble jamais éprouver.
A dix-huit ans, Démétrios a commencé son éphébie, deux ans de service civil et  militaire, qui le feront citoyen athénien. Sa situation sociale lui facilite la vie quotidienne, si elle  ne lui épargne ni les  rigueurs de l'entraînement ni les dangers de la seconde année, consacrée à la pratique même de la guerre. Un de ses frères est mort durant ce service.
Malgré son amertume actuelle, Démétrios se souvient avec gravité des cérémonies solennelles à la fin de la première année  quand on remet aux éphèbes  la chlamyde, le bouclier et la lance..Il s'était vraiment senti un futur Achille en prêtant le beau serment de l'hoplite: «  Je ne déshonorerai pas mes armes sacrées et je n'abandonnerai pas mon voisin là où je serai en rang ; je défendrai ce qui est sain et sacré, et ne remettrai pas à mes successeurs la patrie amoindrie, mais plus grande et plus forte, agissant seul ou bien avec tous... »
Il en aurait pleuré d'émotion de se sentir ainsi investi du rôle, à la fois modeste et grandiose, de serviteur de la patrie.
Il va donc faire la police du côté de l'Epire, au nom d'Athènes - mais n'est-ce pas plutôt au nom d'Alexandre ?- Après quelques escarmouches où il ne démérite pas, il attrape les fièvres des marais et passe le plus clair de ses derniers mois à grelotter sous la tente. Il refuse qu'on le rapatrie comme le demande sa mère à Théramène. Il ne veut pas abandonner son voisin là où on l'a mis en rang... A sa rentrée dans la vie civile, très affaibli, il voit  le monde suivre,ébahi, l'épopée d 'Alexandre parti conquérir son empire. Démétrios demande alors à suivre un enseignement philosophique, pour se donner le temps de se rétablir et comme ces études, selon le modèle platonicien, sont censées conduire à la carrière politique, toute la famille applaudit et se prépare àsoutenir ces dix ans nécessaires -toujours selon Platon- à la préparation des futurs  Périclès. Il a vingt ans et il est citoyen.

-L'âge adulte-


Malgré sa méfiance envers Aristote, qui fut le maître d 'Alexandre, il fréquente son école, ouverte en-335,  l'Académie étant en perte de vitesse depuis la mort de son chef. Tous les après-midi il  va au Lycée, où se tiennent les cours. Il admire l'intelligence des propos mais se lasse assez vite de tant de paroles et il ne participe guère aux discussions entre élèves . Il est vite à court d'intérêt quand il s'agit de développer des formules du Maître, bien trop abstraites pour son esprit spontané et imaginatif . Au moins Platon était-il poète à ses heures..
"La vertu est le juste milieu entre deux vices." Ne se trouvant pas de vices, mais seulement de nombreux défauts et quelques qualités,  Démétrios se dit qu’il ne pourra jamais être vertueux et se tait.
"Le doute est le commencement de la sagesse." Par contre, il doit être sur le chemin de la sagesse car il doute énormément, à commencer d'Aristote.. Mais le terme « commencement » l’inquiète . Saura-t-il être autre chose qu’un éternel commençant ? Il ne sera jamais un sage . Autant se taire.
"La totalité est plus que la somme des parties." Selon le moment, il juge que c’est la phrase-clé, celle qui détient le secret de l’Etre et du Néant. Puis il se dit que c'est  un propos en l’air qui ne veut rien dire, des mots, qu’il suffit de prononcer sur un ton  pénétré  pour que le public hoche la tête d’un air entendu.
Il fait l'essai  perfidement, et à un professeur réputé venu saisir la bonne parole et qui l'interroge , il assure froidement :« la totalité est moins que la somme des parties » .  Il obtient le  hochement rassurant et approbateur.  Il aurait aussi bien fait de se taire.

En -331, certains qu'Athènes ne trouvera jamais en lui son nouveau Périclès, il quitte le Lycée après deux ans  d'études.  Son oncle Timon l'envoie à Mytilène dans l'île de Lesbos, pour y apprendre les pratiques du négoce chez Trychos , un  affranchi responsable des affaires de la famille . Démétrios voyage, visite des lieux célèbres et accessoirement, achète  des blés  ou vend de l'huile.  A Mytilène, il s'intéresse à la peinture. Un riche  négociant y fait orner une splendide villa.  Démétrios  se lie avec le chef du chantier  et voyant ce dernier à court d'inspiration, lui propose des sujets, inspirés de la poétesse Sapho, ce qui est prétexte  à de nombreuses évocations de gracieuses jeunes femmes dansant ou rêvant parmi les arbres et les fleurs . Notre Démétrios apprend des artisans les premières bases de la peinture murale et aide les apprentis à fignoler les détails du décor. Il devient ainsi un peintre amateur et  décorera la maison familiale à l'occasion . Encouragé par le plaisir éprouvé, il renouvellera  l'expérience avec la sculpture. Il devient tout à fait capable de sortir une tête d'Apollon ou un Hermès, pourvu qu'il ait un modèle à imiter. Il ne réalisera qu'une seule oeuvre originale, le buste de son grand-père, réalisé en  326 , un an avant la mort du vieillard , en-325 à l'âge vénérable de quatre-vingt-cinq ans .
Démétrios, assombri et malheureux, a vingt-huit ans et son oncle décide de le marier. Un citoyen attend habituellement  ses trente ans pour fonder un foyer mais Lycias, marié depuis dix ans , vient de perdre deux fils en bas-âge et comme il est absent presque continuellement, les deux filles qui lui restent risquent de rester sa seule progéniture. La belle-soeur de Démétrios,  Olympias, n'a que vingt-cinq ans à peine, mais elle est de santé fragile. A  Démétrios d'assurer une descendance mâle à Démoclès, le héros de Chéronée.
La famille s'occupe de tout et Démétrios se retrouve époux d'une Chrysothémis de quatorze ans, plutôt jolie et point sotte. Il est tout à fait satisfait du projet et de sa réalisation, en parfaite conformité avec les usages.  La famille a vu sa fortune diminuer  et Chrysothémis est richement dotée, ce qui fait oublier que son grand- père n'était qu'un métèque macédonien, certes devenu citoyen. Démétrios a dû convaincre sa mère qu'il n'attachait  qu'une importance minime à cette origine douteuse.
Son mariage ne changea guère sa vie sinon en lui apportant le plaisir d'une compagne souriante et  de devoirs faciles à observer. Des larmes viennent aux yeux de Démétrios, le soleil est haut maintenant au dessus de la mer.
L'année suivante, alors qu'il est en voyage à Siphnos, sa jeune épouse met au monde un fils prématuré, qui ne vit que quelques heures, et , trois jours plus tard, elle meurt des suites de l'accouchement.  Retardé par un coup de vent et le  délais habituels des transmissions de nouvelles, il ne rentre qu'après  les funérailles pours'incliner devant le tombeau érigé en l'honneur des deux ombres légères qui viennent de s'effacer si vite de mon récit.

Démétrios, raisonnablement affecté , comme on l'est à une époque où la vie est le plus fragile des dons, accepte volontiers une mission en Egypte, récemment conquise. Alexandre y  a fondé six ans auparavant (-331) une nouvelle ville, Alexandrie. Timon n'a plus de nouvelles directes de Lycias depuis un certain temps
Assez curieusement, Lycias avait dès -333 acheté de vastes terrains dans la presqu'île déserte de Pharos et il revendit le tout avec un énorme bénéfice quand le conquéranr décida que ce serait dans cet endroit déshérité qu'il allait fonder la cité de ses rêves. Jusque là, la famille avait une boutique à Naucratis, la seule cité où les Grecs étaient admis en Egypte. Le flair étonnant de Lycias impressionna tout le monde.
Il était retourné à Naucratis pour préparer l'installation d'un nouveau comptoir à Alexandrie, dont  la construction venait de commencer et qu'il disait être promis au plus brillant avenir. Avant de partir, il parla à son cadet de projets de monuments sublimes, une tour de feu sur l'île de Pharos, une bibliothèque où on pourrait passer son existence entière à lire tous les ouvrages  écrits sous le ciel .. Charmé, Démétrios aima encore plus Lycias qui devenait poète avec l'âge.
Démétrios, assis sur son  rocher au dessus des flots, soupire . C'est bien là qu'a commencé ce qu'il appelle Le Mystère Lycias.

-Rupture-


En arrivant à Naucratis,  Démétrios apprend avec surprise que son frère a quitté la ville voici plusieurs mois, en laissant des ordres précis pour les affaires en cours. On le croyait reparti à Athènes. Des étrangers, habillés  bizarrement, avec des tenues de scribe comme on n'en fait plus depuis des siècles, sont venus le chercher et il est parti aussitôt. Le navire qu'il a dit prendre n'est pourtant pas signalé manquant . Mais on ne s'y souvient pas de Lycias. Démétrios s'autorise à jeter un coup d'oeil dans les affaires privées laissées par son frère. Il ne découvre rien expliquant son absence mais deux objets l'étonnent au plus haut point :

Le premier est une boucle d'oreille  en or et pierres précieuses , un chef-d'oeuvre ayant appartenu  à la grand-mère de Théramène.  Son histoire est longue et complexe et tout à fait logiquement ordonnée . Je la raconterai si vous le demandez . Résumons l'essentiel : cette boucle ne devrait pas être là, en témoigne le reçu d'un prêteur sur gage de l'an -400, à moins que Lycias ne connaisse un magicien ami de Kronos.

Le second objet n'a pas d'histoire mais il est un mystère à lui seul. C'est une sorte de parchemin, brillant et poli comme du marbre, à peine grand comme la main et qui semble contenir dans sa matière même une vue, comme figée, d'un lieu que Démétrios connait bien. : le Cap Sounion, où il se trouve justement en ce moment à méditer sur sa vie . Il s'est reconnu  immédiatement.  Sur le rocher, c'est lui , Démétrios, qui déclame les lamentations d'Ariane abandonnée à Naxos, telles que les a transcrites  le vieil Hésiode. Le vent plaque son manteau de manière à faire croire qu'il porte des pantalons à la façon des cavaliers scythes .[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]
L'objet est aussi lié à Lycias , car la fois où il a ainsi déclamé, son frère l'avait accompagné mais il  était resté plus bas.. Si le petit bonhomme en blanc se retourne, il verra Lycias en train de paresser au soleil et buvant le vin de Chypre qu'il devait offrir à Poséidon. Mais en fait, c'est lui,  le Démétrios présent, que l'homoncule verra, ce qui le trouble profondément. Au dos de la mince pellicule, est inscrit en une cursive illisible mais malgré tout vaguement familière, ce que je vous rapporte ici et dont  Démétrios ne comprend rien.
                                                                                       
« Levez-vous vite, orages désirés qui devez emporter René   Démé  dans les espaces d'une Autre Vie ! »
Hahaha ! Mon petit frère adorerait Chateaubriand . S'il pouvait aller déclamer au Rocher du Grand-Bé, à Saint- Malo !!...


Démétrios a pris les deux objets et rentre à Athènes, très inquiet. Où est Lycias ? Que veut dire tout cela ?
Surprise. Le disparu est rentré à la maison  depuis une semaine, avec une histoire fumeuse de bateau égaré.. C'est fou ce que les navires s'égarent quand ils portent Lycias. Le soir même, restés seuls, Démétrios lui place image ,boucle et reçu sous les yeux et lui dit fermement:
-Explique !
Un dialogue excitant prend place entre les deux frères, que je résume aussi, les dix pages me guettant de leur regard sévère..
Lycias avoue qu'il mène depuis des années une double vie passionnante. Démétrios demande à rejoindre cette vie d'aventure.. Lycias doit repartir et il parlera de son frère à un mystérieux prince du Nord, qu'il sert, et, s'il a l'accord, on viendra le chercher sitôt rentré.
Démétrios a promis  à l'oncle Timon qu'il se rendrait en  Chersonèse taurique chercher du blé. Qu'il y aille.  A son retour, on se retrouvera, et si le Prince arctique est d'accord, il partira..

C'était ce qui était prévu.  Mais il a été en retard  à cause de cette maudite fièvre . Il a fait prévenir chez lui , mais avec les délais imprévisibles des messages,  Lycias a dû repartir sans lui ; on ne fait pas attendre les Princes, surtout le Prince des Ours..(arktos= ours)
Démétrios se désole. Oui, il est bien comme Ariane, abandonné et désolé :  Démétrios  au Cap Sounion. Quel dieu viendra le secourir ? Si encore il s'appelait Dionysos ! Il voudrait rattraper le Temps..
Le vent se lève mais ne lui donne pas le désir de tenter de vivre.. ce sera toujours la même vie.. Il a  manqué sa chance. Alexandre est mort à trente-trois ans, maître du monde,  et dans trois ans,  Démétrios de Zéa sera le même incapable qu'il a toujours été.  Régicide, militaire, politique, que des velléités , négociant médiocre, artiste qui ne sait qu'imiter, il n'a même pas su être là quand son fils et sa femme sont morts. Il  voudrait ne pas être lui, coincé dans l'espace étroit et bref de son existence filée par une Parque stupide et sans  idées..Déboulant sans prudence la pente rocheuse, il rejoint la crique où doit l'attendre le pêcheur  loué la veille à Kéos. Il ne repassera  même pas par le Temple. Poseidon est tout juste bon à souffler dans sa conque pour faire  peur aux poissons.


Le lendemain matin, il est chez lui ; on s'exclame sur ses joues creuses . Lycias ? Il est reparti pour  Alexandrie et il veut que son frère l'y rejoigne le plus vite possible. Il lui a laissé un paquet scellé; Démétrios l'ouvre, seul dans sa chambre . Il y a une sorte de bonnet  ressemblant à celui porté par Pâris le Phrygien, mais bariolé et en une laine bizarre. Un petit morceau d'étoffe est attaché à l'intérieur :  MADE  IN CHINA . NE  PAS LAVER.  Certaines lettres sont très reconnaissables..mais ça n'a pas de sens.  C'est peut-être une formule de protection. Il y a aussi un message de Lycias sur un vélin très fin et souple, écrit en grec avec la même pointe filiforme que sur l'image trouvée à Alexandrie. La référence aux fêtes le sidère; il s'agit des fêtes en l'honneur de Thésée, très suivies dans la famille. Tout le monde s'est réjoui qu'il soit rentré pour y assister.  Comment son frère pouvait-il savoir quand il rentrerait ? Le message est lisible:

Quand tu arriveras, attends la fin des Fêtes et va le lendemain à midi, sur la plage où tu jouais à faire l'orateur . Mets ce bonnet. On te contactera.
Dis que tu pars me rejoindre à Alexandrie, arrange-toi pour que cela paraisse nécessaire et NORMAL. Ne dis rien à personne. Et ne laisse pas traîner ce papyros.  
A bientôt, à Alexandrie..ou ailleurs.
Les fêtes sont passées . Le lendemain, Démétrios s'avance sur le sable d'une plage  blanche de soleil. Il a enfoncé le bonnet sur ses boucles et ça le gratte un peu. Mais il a le coeur battant comme le jour où il a prêté le serment des Ephèbes.


Possessions : un sceau, quelques pièces à l'effigie de la chouette et le bonnet. Une photo (non connue en tant que telle), une boucle d'oreille et un reçu de prêteur sur gage un peu passé.

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Message  Le Dévoreur de temps Lun 30 Jan - 0:33



Au berceau des Hellènes


Revenant des récifs de Pharos si décriés par Strabon, il n'avait cependant pas eu à s'inquiéter de naufrager. Ses récifs à lui relevaient d'une autre physique que la géographie côtière. Ils prenaient la forme d'impasses que constituaient les paradoxes temporels. D'autres, bien plus rodés que lui s'y étaient cassés les dents et demeuraient coincés à jamais dans une autre dimension. Enchaîner un déplacement géographique derrière un glissement temporel pouvait faire des noeuds. Jamais il ne s'y serait risqué au tout début de la mutation mais il connaissait à présent tous les chuintements du tunnel et les cris du vortex. Il avait donc quitté les lieux un peu désertés par les touristes après les soubresauts politiques qui avaient secoué l'Egypte et s'était laissé glisser des jardins de Montaza jusque au port-est de l'Alexandrie antique. Il avait retrouvé l'avisé négociant grec sur la jetée de l'Eunostos. Le bougre maîtrisait à présent de façon remarquable les technologies du XXIème siècle et lui avait laissé un mail. Le noble antique devait lui parler de quelqu'un et avait demandé un rendez-vous fixé dans la cité du Macédonien. Il s'était donc rendu à la demande de ce Lycias valeureux et voyageur émérite. Le port était encore relativement désert à cette heure-là, ce qui valait mieux pour surgir de nulle part en toute discrétion. Il lui fallut peu de temps pour repérer l'aventurier commerçant, assis sur un môle à contempler les oiseaux qui rasaient l'écume à l'entrée étroite du port.

Il posa la main sur l'épaule drapée et sourit des yeux au visage mangé par la barbe bouclée. Lycias était un bel homme dans la force de l'âge. Il avait eu son lot de morts et de désillusions sans doute, comme la moyenne des vivants. Il connaissait plus ou moins son histoire mais de qui voulait-il lui parler ? Il s'agissait d'un frère, un petit frère qui semblait s'éteindre dans l'époque pleine de désillusion où il était devenu homme. Le grand voyageur avait donc écouté le récit de l'enfance, la recherche d'héroïsme, la perte des êtres chers non sans un pincement au coeur. Un grand esprit qui s'étiolait dans son siècle selon Lycias, un homme qui tentait de s'oublier en découvrant de nouveaux horizons mais qui avait vite épuisé les rivages de son époque par l'acuité de son regard. Il restait néanmoins à s'assurer que son esprit saurait s'adapter au choc qui l'attendait. Il fut convenu qu'il n'était possible de le savoir qu'au moment de la confrontation.

L'homme au long manteau se volatilisa, laissant le soin à Lycias de le suivre. Depuis qu'il pratiquait les voyages, le grec ne devait plus guère connaître de désagréments du déroutage et il était certain de le retrouver sur la plage où devait se promener le fameux admirateur de Démosthène. Il avait un petit temps d'avance sur lui, après avoir franchi le flou qui alternait l'ombre et la lumière. Les passerelles lui avait souvent fait penser à des passoires qu'on aurait déformées en entonnoirs. La glissade était plus ou moins agréable, plus ou moins rapide. Il avait noté qu'elle variait selon l'état d'esprit du moment. La volonté psychique influait donc et il n'était pas loin de penser que chacun avait une vision qui lui était propre des transports. Il s'était, pour sa part habitué au sifflement soyeux et à la brûlure du froid. La première fois, il avait cru que cela ne s'arrêterait qu'une fois qu'il serait totalement consumé ou cryogénisé. Puis, au fil des voyages, il avait réussi à ouvrir les yeux et vu le défilement des formes et des images silencieuses tout d'abord puis de plus en plus bruyantes. A présent, il lui arrivait même de capter des bribes de conversations et des odeurs. Là était le danger. Il ne fallait pas trop s'accrocher à ces impressions fugaces sous peine de dérailler, de se retrouver bloqué entre deux lieux ou deux époques et de finir ses jours dans une tranche de néant. Il y avait aussi les trous lumineux , très tentants lorsqu'on ne voit pas finir l'aspiration et ceux-là débouchaient sur des paradoxes, autres mondes, autres dimensions. Si on y entre volontairement par curiosité, on ne peut pas en sortir sans aide extérieure. Autant dire qu'on peut attendre longtemps avant que quelqu'un passe par là. Après, certains y restent par choix. Il en connait au moins un qui s'est érigé comme maître de ce qu'il appelle son "antichambre". Le personnage y est depuis une éternité si reculée que même le grand voyageur ne peut savoir depuis quand. Un très ancien voyageur sans doute.

La fin de l'entonnoir le propulsa sur le sable blanc de la plage balayée par un vent tiède. Il se redressa sans bruit et secoua le sable de son manteau. Le soleil était déjà haut dans le ciel antique et il ressentit la chaleur sous l'étoffe épaisse et sombre. Sur la frange léchée par l'écume des vagues, un jeune homme, un bonnet aux couleurs contrastées sur la tête se tenait face à la mer, comme interrogeant les murmures du ressac. Il le voyait de dos, silhouette se découpant sur l'éblouissante et écrasante force du jour. Il fit quelques pas pour se rapprocher.

- Démétrios ? Démétrios de Zéa ?
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Message  Invité Lun 30 Jan - 15:56

Evidemment, il n'y avait personne sur la plage.
Comment avait-il pu croire que ce rendez-vous aurait lieu ? Tout rendait le fait improbable. D'abord, son incroyable précision : à midi, tel jour ! Et en plus, rendez-vous donné avec une telle avance, alors que lui-même était au loin, ne sachant quand et s'il rentrerait un jour ! Dans un monde où le moindre voyage est soumis à l'incertitude des vents, des flots, et surtout au hasard qui règle le cours des choses sans se soucier des désirs humains, comment pouvait-on affirmer qu'on se trouverait exactement au lieu prédit et au moment fixé ? Dans sa dernière conversation avec son frère, Démétrios avait compris que le Prince du Pays des Ours viendrait le rencontrer en personne, s'il daignait accéder à la demande de Lycias. Mais il fallait des années de voyage pour rejoindre ces terres inconnues. Pythéas de Massalia venait d'en rapporter les récits les plus étranges : l'Océan qui se balançait en suivant les phases de la lune, le jour en hiver qui ne durait que deux heures, le ciel balayé de lumières fantastiques et la mer qui devenait solide, empêchant la progression des navires. Personne n'y croyait, Pytheas affabulait, les Massaliotes y gagneraient à jamais la réputation d'exagérer et de raconter des histoires incroyables. En plus, ce n'était que des récits de seconde main. Un affranchi de Timon qui rentrait de Massalia avait rapporté ce qui se disait là-bas, aussitôt interrogé par Démétrios qui, jusqu'à sa conversation avec Lycias, pensait que, raisonnablement, le monde habité devait s'arrêter aux Colonnes d'Hercule. Et il avait cru qu'un prince venu de ces fantasmagories serait là à l'attendre ? Comment avait-il pu s'illusionner ainsi ? Hier, pendant le dernier jour des Boédromies, il était tellement sûr que de grandes choses allaient arriver. Il s'était même joint à la foule qui courait dans les rues en poussant de grands cris comme le voulait la tradition.. On avait fêté Apollon et Pan et Thésée.. Et il se retrouvait tout seul sur une plage, à attendre ses rêves.

L'Athénien s'était soigneusement vêtu d'un khiton de fête, en lin très fin, bordé d'une frise de pourpre, avec deux fibules ornées d'un motif de feuille de lierre et deux ceintures, pour bien marquer le blousant des plis. Un instant, il avait hésité sur la longueur de la tunique,avant de choisir la courte, craignant de paraître ostentatoire s'il la portait longue, comme celle des conducteurs de chars. Compte tenu de la chaleur et de l'heure, il avait renoncé à porter une chlamyde. Son bonnet devait vraiment paraître bizarre. Et en plus, il grattait.
Démétrios descendit vers le flot qui battait doucement sur la mince ligne de sable entre les rochers. Il donna un grand coup de pied dans une coquille vide qui retomba un peu plus loin, image même de l'inutilité de tout mouvement. En même temps, son gros orteil rencontra un tesson d'amphore et il crut s'être coupé. Il demeura un instant à regarder son pied, qu'il avait soulevé d'une main, comme s'il s'était agi d'une sorte de chose bizarre, étrangère,vaguement hostile. Puis il se vit, debout sur une seule jambe, tel un héron renfrogné ; il se trouva ridicule et reprit sa marche .
Midi dure un certain temps en pratique, si on n'a pas un gnomon bien étalonné. Démétrios s'immobilisa de nouveau, droit comme un piquet et regarda à ses pieds . Son ombre débordait à peine et comme on approchait de la fin de l'été,la première des trois saisons, elle ne pourrait évidemment disparaître totalement . Il aurait dû envoyer plus tôt un esclave, avec mission d'attendre là que le noble voyageur apparaisse. Un habitant d'un pays où le jour peut ne durer que deux heures ne doit pas avoir la même notion du temps qu'un Athénien. Mais Lycias avait insisté sur le secret et le Prince ne pouvait être qu'à Athènes en ce moment ,vivant à l'heure athénienne.
Démétrios cessa de faire le cadran solaire et regarda la mer. S'il ne venait personne, il demanderait à son oncle de l'envoyer à Massalia. Sa mère appuierait sa demande, car il y verrait sa sœur Ariadne, l'aînée de sa fratrie,qu'il ne connaissait pas. Elle avait été mariée quand il n'était pas encore né et avait aussitôt suivi son époux, un marchand de cette ville. Il rencontrerait Pytheas et monterait une expédition vers le Nord. Lycias ne l'avait pas trompé, jamais il ne douterait de la sincérité de son frère . Mais c'était encore de sa faute à lui, Démétrios, toujours décalé, toujours en manque de chance. Le Prince n'avait tout bonnement pas pu venir, ou il avait oublié, ou il s'était ravisé..ou il arriverait l'an prochain...
De toutes façons, les raisonnements se contredisaient continuellement dans cette histoire : ici, là, hier, demain, dans dix jours ou il y a quatre-vingts ans..tout était mélangé, les mots n'avaient plus de signification et le temps semblait perdre son sens immuable. Démétrius aimait lire Héraclite, contre l'avis du sage Théramène qui croyait en un ordre profond des choses. Certain d'être seul, il leva les bras et cria vers le large :

-Nulle chose ne demeure ce qu'elle est, et tout passe en son contraire !

Cela le calma un peu et il regarda le miroitement des vagues, image même d'une réalité insaisissable.
Soudain un souffle étonnamment froid lui glaça le dos et il hésita à se retourner. N'était-ce pas ainsi qu'apparaissaient les spectres remontés de l'Hadès ?
Mais une voix humaine s'éleva, vec un accent marqué :

-Démétrios ? Démétrios de Zéa ?

L' Athénien se retourna.
Le Prince était là, sorti de nulle part, très grand, très mince et très étrange. Il était vêtu d'un long et étroit vêtement de lourd tissu noir, ouvert sur le devant, qui allongeait encore sa silhouette. Sa chevelure lisse était couleur de cendre blanche, comme celle d'un vieillard, mais son visage était celui d'un homme encore jeune. Il descendit de quelques pas vers Démétrios qui se persuada de la réalité de la vision. Le sable crissait sous le poids d'un être qui n'avait rien d'intangible, les pans du vêtement se soulevaient très normalement à chaque pas. L'homme avait de curieuses sandales fermées, noires, étroites.
Démétrios cligna des yeux, encore ébloui d'avoir fixé les flots ; le noir du vêtement, se heurtant à l'éclat du soleil de midi et aux reflets sur la chevelure de neige, l'empêchait de distinguer les traits et le regard de l'homme. Il se sentait saisi par l'émotion de voir se réaliser un événement aussi improbable, mais après un silence, il parvint enfin à répondre :

-Je suis Démétrios, Démétrios de Zéa., citoyen d'Athènes Etes-vous le Prince Ours ?

Il fut consterné de sa formule, espéra qu'on ne l'avait pas saisie et tenta de se rattraper :

-Enfin... le Prince Arctique ; je suis le frère de Lycias, qui est à votre service et.. et..

Il lui sembla que le visage grave du visiteur s'était éclairé d'une lueur amusée et il précipita la fin de sa phrase :

-Je voudrais bien vous servir aussi.

Un peu remis d'aplomb, il fixa ses yeux clairs sur ceux de son mystérieux interlocuteur tout en retirant son bonnet qui, décidément, le grattait.


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Message  Le Dévoreur de temps Mar 14 Fév - 19:24

Le jeune homme semblait saisi comme aveuglé et le grand voyageur, omettant la clarté intransigeante du littoral athénien, pensa qu'il pouvait être effrayé des éclats bleutés qui pulsaient dans son regard encore chargé des flux électriques du vortex. Aussi ferma-t-il les yeux quelques instants pour laisser les choses se calmer dans son corps et son esprit. Un voyage n'était jamais anodin et laissait toujours un certain désordre dans le corps et l'esprit, même lorsqu'on était coutumier de l'expérience. Il sourit légèrement lorsqu'il s'entendit appeler Prince Ours. Il se demanda quelle impression avait pu inspirer Lycias lorsqu'il l'avait ainsi nommé à son frère.

- Bonjour Démétrios. Je pense que je vous ai interrompu dans un échange avec les éléments. A moins que ce ne soit avec les Dieux ou, plus agréable, avec les Muses.

Il s'inclina légèrement, un sourcil relevé, amusé par le second sobriquet dont il le gratifiait. Il s'avança de quelques pas, jusqu'à ce que l'écume vint lécher ses bottes puis se retourna face au jeune athénien.

- Prince Arctique ? Voilà qui est plaisant. On m'a attribué bien des qualificatifs mais vous avez la primeur de celui-ci.

Il hocha lentement la tête mais se garda de toucher le jeune grec ou de lui tendre la main. Outre que cette façon de saluer n'était pas en vigueur en son temps, il savait trop bien ce que cela provoquerait et il était encore trop tôt pour l'entraîner dans les méandres temporels. Il se contenta de lever la main en un signe de conivence.

- Je sais qui vous êtes, Démétrios de Zéa, fils du valeureux Démoclès, petit-fils de Théramène de Phalère, le sage. Je sais aussi que les voyages et l'aventure vous inspirent la plus grande fascination, que vous êtes poète et rhétoricien à vos heures, brillant esprit et fin observateur des travers de nos semblables. Votre frère m'a-t-il livré une vision fidèle de vous ? Sachez qu'il ne me sert pas vraiment. Nous nous rendons service l'un, l'autre...

Il plongea sa main dans la poche de son manteau et en extirpa un petit galet couvert d'une substance noirâtre, se baissant, en ramassa un qui scintillait dans son écrin de sable. Paumes ouvertes, il s'avança vers Démétrios et lui présenta les deux pierres polies par les flots.

- Savez-vous ce qui différencie ces deux galets, bien qu'ils soient tous deux originaires de cette plage ?

Il sourit pour encourager une réponse et poursuivit, l'air mystérieux.

- Que vous a dit Lycias à mon sujet et qu'espérez-vous, qu'attendez-vous de moi ?

Le gratifiant d'un clin d'oei, il ajouta.

- Très jolie coiffe... un peu chaude pour la saison peut-être ...
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Démétrios de Zéa Empty Re: Démétrios de Zéa

Message  Invité Ven 17 Fév - 9:59

Même si Lycias n'avait parlé que de" on", Démétrios s'était attendu en fait à rencontrer un personnage majestueusement drapé, entouré d'un groupe de fidèles. N'était-ce pas le cortège indispensable à tout Maître digne de ce nom, qu'il soit dieu, chef d'état ou de guerre, philosophe reconnu ou simplement homme riche et d'importance ? Le vieux Théramène disait en riant : "Il n'y a qu'en statue que l'Homme Illustre veut se voir seul ."
Remis de sa surprise, Démétrios examinait ce grand bonhomme tout droit comme un if -quel beau gnomon, pensa-t-il ironiquement, c'est à lui qu'il faudrait demander l'heure qu'il est !- L'impression de froid avait disparu aussi vite qu'elle était arrivée, comme si s'était refermée brusquement une porte ouverte un instant sur une cave glaciale. Il ne restait qu'une légère sensation à la surface de la peau, un peu comme lorsqu'on touche du métal certains jours d'orage, mais elle aussi s'effaça. Démétrios décida d'être très circonspect, pour ne pas se laisser prendre à des tours de magicien et il s'écarta prudemment quand l'inconnu s'approcha de la ligne de flot après lui avoir adressé quelques mots.
Ces paroles étaient aimables, avec des tournures parfois insolites, mais montrant un esprit bienveillant et raffiné...Bien qu'il n'ait parlé ni aux dieux ni aux muses, mais seulement à lui-même, Démétrios ne le le détrompa pas, espérant que son bref soliloque soit passé inaperçu et satisfait de ne pas avoir été surpris en train de faire des ricochets sur l'eau, ce qui aurait très bien pu se produire si l'attente s'était prolongée.
Il n'arrivait toujours pas à situer le prince annoncé par Lycias. L'inconnu montrait une aisance indéniable, celle d'un homme de pouvoir. Son frère aurait dû être plus précis au lieu de répondre sans cesse à ses questions, lors de la fameuse entrevue du retour d'Egypte : tu verras, tu verras .. Eh bien, il ne voyait rien du tout, sinon que le titre de prince arctique, extrapolé de la formule employée par Lycias, n'était pas le bon et que, par contre, son identité à lui, Démétrios, était parfaitement connue. Certes le portrait fraternel était plus que flatteur. Il faudrait d'ailleurs rétablir la vérité plus tard, afin que le pseudo-prince ne soit pas déçu s'il décidait finalement de l'attacher à son service.
Mais là aussi, son interlocuteur corrigeait ses propos. Echanges de services ? Lysias était un excellent négociant. Se pouvait-il que tout finisse par se réduire à changer l'oncle Timon contre un patron boréal et à aller vendre de l'huile et du vin au pays des ours ?
Démétrios sentait la désillusion menacer de balayer toute l'excitation de ces derniers jours. Mais il avait glissé l'image et le reçu de Trébizonde dans un étui à sa ceinture et cette pensée lui redonna espoir. Il y avait bien là un mystère et il ne laisserait pas l'entrevue s'achever sans que l'homme noir ne lui ait tout dit.
A cette pensée, les sinistres amphores de vin et d'huile s'éloignèrent quelque peu de l'avenir immédiat, d'autant que l'autre avait ramassé un galet, après avoir porté la main dans un repli bizarre de son vêtement d'où il avait sorti un objet noirâtre. Démétrios se retrouva à contempler deux galets, l'un noir, comme peint, et l'autre blanc, un peu brillant, comme tout bon galet de marbre poli par les flots.
La question qui accompagna le geste remit immédiatement Démétrios dans un monde connu, tout en le surprenant un peu par son caractère quasiment ludique. Il se retrouva dans la situation de l'élève devant le rhéteur qui propose un sujet impromptu de discours. Mais il fut un peu déçu de devoir discourir de galets plutôt que des mystères découverts en Egypte. L'énigme était un genre d'exercice fréquent chez les rhéteurs. Eh bien, il avait certainement encore de beaux restes ! N'avait-il pas eu d'excellents maîtres, dont le célèbre sophiste Philologos, choisi par Théramène parce qu'ils partageaient tous deux la même méfiance envers les idéologues,comme Platon et sa bande, à la vaine recherche de la vérité absolue ? Démétrios avait été excellent quand il s'agissait de démontrer la relativité de toute proposition ou bien en quoi l'homme est la mesure de toute chose. Il s'amusait beaucoup en rédigeant des discours en six points et sur n'importe quel sujet, ce qui avait fait croire qu'il avait un avenir politique.. Certains maîtres polémiquaient d'ailleurs quant au nombre idéal des parties d'un bon discours. Mais Démétrios se contentait d'observer les consignes et les règles du jeu. Philologos n'avait tiqué qu'une seule fois, quand Démétrios composa un Eloge du Silence, ou il mettait en doute la nécessité pour les riches familles d'entretenir de coûteux professeurs de rhétorique.
Le prince de Lycias plaçait décidément l'entrevue sous le signe du Logos. Sa première question" Sur les galets " fut immédiatement suivie d'une autre et l'Athénien décida de ramener les six parties à deux: (argumentation et brève péroraison) afin d'aborder plus rapidement la question personnelle, raison de sa présence ici. Car c'était lui, Démétrios qui débordait de questions et ce qu'il attendait de l'autre était justement des réponses fulgurantes. Mais il commencerait par l'épreuve des galets, peut-être un rite des Hyperboréens, et il prit par réflexe, la bonne position de l'orateur, redressant le buste, avançant légèrement un pied pour paraître à l'aise. Comme le bonnet le gênait pour la gestuelle indispensable, il allait le jeter au sol quand le questionneur tenta perfidement de le distraire par une remarque hors sujet, justement à propos du bonnet.
Mais c'était plutôt un essai pour détendre l'atmosphère car le clin d'oeil qui accompagna la remarque n'avait rien de perfide. Comme Lycias avait au retour de ses 'disparitions' l'habitude de commencer souvent ses phrases par un hahaha! prononcé avec bonne humeur, Démétrios crut poli de commenter ainsi la remarque sur sa coiffure :

-Hàhaha! - il s'arrêta, ne sachant trop s'il avait bien placé l'accent, puis reprit aussitôt :

-C'est Lysias qui m'a dit d'utiliser ce bonnet en signe de reconnaissance. Il doit venir de votre patrie. Quant aux deux galets que vous me présentez, je sais ce qui les différencie et en même temps, je ne le sais pas.

Il enchaîna , un peu gêné par la briéveté de l'exorde, partie auquel Philologos attachait beaucoup d'importance :

-Ce qui différencie ces deux galets est premièrement leur origine, secondement leur couleur, troisièmement, que vous en savez plus au sujet du galet noir que moi alors que nous pouvons admettre que j'en sais autant que vous sur le blanc...
Ainsi, l'origine des deux galets est selon vous, identique, et ce serait cette plage . Mais si je vous ai vu ramasser le galet blanc, l'autre est sorti de votre ..euh, khiton. Je n'ai donc pas de certitude quant à son origine et c'est la première différence. Vous pouvez l'avoir ramassé ici et dissimilé à un autre moment, mais de toutes façons, le doute raisonnable subsiste.
Ensuite, leurs couleurs sont différentes jusqu'à être opposées. La blanche est celle habituelle aux galets de cette plage. Le galet noir paraît artificiellement enduit d'une matière sombre séchée qui ressemble au bitume de Judée ou de Colchide et aussi au naphte de Babylone. Hérodote en parle. Il dit que le naphte sent mauvais. Vous permettez ?

Pris au jeu, Démétrios se pencha et huma le caillou noir :

-Ce galet ne sent pas mauvais, cependant il a une odeur bizarre, de plante séchée et légèrement sternutatoire. Mais elle peut provenir de votre vêtement. Et le caillou est sec. Le bitume sert à panser des plaies, momifier des corps, si on est adepte de la chose, et surtout surtout, rendre plus étanches les bateaux. Je ne vois pas pourquoi on aurait gâché un seul iota de cette précieuse substance pour en recouvrir un galet et ceci, sur cette plage solitaire... L'origine de ce galet doit être définitivement remise en question. Il a peut-être été apporté ici et vous l'avez ramassé en raison de cette couleur anormale. Mais ce galet est mystérieux et l'autre, non.
Ainsi,la différence passe-t-elle alors du physique au poétique. Le galet blanc peut symboliser le monde d'ici, blanc et lumineux et le noir, le monde du Nord, où d'après Pytheas de Massalia, il existe des saisons où le soleil ne paraît que deux heures par jour. Ce serait alors une façon de me prévenir que si je vous suis, je vais au devant de périls étranges, d'épreuves terribles, comme celle d'Orphée descendant chez les ombres rechercher son Eurydice. Le caillou blanc, c'est moi maintenant, né sur ces rivages et vêtu de blanc . Le caillou noir, ce sera moi demain, vêtu comme vous et devenu un autre moi-même. Donc, Démétrios d'aujourd'hui et Démétrios de demain.

Le sujet se prêtait très bien aux parallélismes, aux antithèses, aux paradoxes et aussi à des gestes cadencés des mains, montrant alternativement le caillou blanc et le noir. Un public athénien aurait déjà applaudi. Démétrios poursuivit, négligeant l'absence de réaction de l'auditoire :

-Ou bien, c'est pour me dire que nous sommes d'essence différente; vous, le caillou noir, que je crois être un galet voyageur et énigmatique, et moi, le caillou blanc sans histoire, comme on en trouve des centaines sur cette plage. Vous avez pourtant affirmé qu'ils venaient tous les deux d'ici et Lycias m'a dit d'avoir confiance en vous..Votre vérité n'est donc pas la mienne, mais entre deux vérités, il faut choisir la plus belle. Or le noir,assez vilain, attire indiscutablement mon attention alors que si vous rejetez au loin le blanc, plus rien ne le distinguera des autres.
Donc, il faut admettre que ce caillou noir est un paradoxe en soi, inquiétant et fascinant, à la fois d'ici et d'ailleurs.Or, le seul moyen de demeurer le même en devenant différent, c'est dans la durée. Le fleuve est toujours le même mais l'eau qui passe ne l'est pas. Héraclite ..

Soudain, il se tut, semblant quitter comme un vêtement inutile ce rôle de discoureur s'étourdissant de mots. Il fronça le sourcil et et leva les yeux vers le regard bleu qui ne cillait pas et lui parut indéchiffrable. Sa voix baissa d'un ton et son expression s'assombrit :

-Cette histoire de galets, c'est pour me décourager de vouloir imiter Lycias ? Selon vous, je devrais rester sur ma plage ?
Mais savez-vous que Lycias revient toujours de ses voyages, tout joyeux et bondissant, et qu'il se dépêche vite de repartir, comme s'il avait des ailes aux talons, comme si la vraie vie était ailleurs ?
Je pourrais continuer à chercher d'autres différences entre vos galets, mais vous connaissez la seule qui soit intéressante et moi, non. Vous savez, Lycias ne m'a rien dit à votre sujet. Il m'a laissé entendre qu'il fallait être initié et que vous seul pouviez juger de ma capacité à l'être. Il parle de vous en utilisant un nom homérique qu'on ne dit plus: l'Anax, le chef. C'est pourquoi j'ai choisi de le remplacer par Prince. Il m'a dit que vous veniez de la direction que montrent les étoiles que nous nommons les Ourses et donc, des pays arctiques, puisque ces mots sont pour nous semblables.C'est pour cela que je vous ai appelé Prince des Ours et Prince arctique. Prince Ours est une erreur de grammaire due à l'émotion de vous voir enfin. Veuillez accepter mes excuses.

Démétrios fixa cet homme qui l'écoutait patiemment. Il devait bien savoir ce qu'il représentait pour lui, l'espoir de devenir comme Lycias, libre et toujours en action, hors des entraves de la routine et du déjà vu.. Il reprit, sentant monter en lui la crainte de ne pouvoir convaincre, la peur de se retrouver bientôt seul au milieu des galets blancs de la plage.

-Lycias me connaît, et malgré les choses aimables qu'il vous a dites de moi, il sait que je ne suis jamais satisfait de ce que je suis car je ne suis jamais ce que je voudrais être. Tout est déterminé par le présent, qui nous maintient dans un carcan : nous-mêmes. Je ne serai jamais que moi, coincé entre deux dates : ma naissance et ma mort. Toujours dans ce présent détestable. Le temps avance et moi, non. Tandis que le temps glisse autour de moi, je suis immobile, regardant mon corps vieillir et moi rester le même, déterminé par ce que je suis, une fois pour toutes. Même les voyages ne me satisfont qu'à moitié. J'aime le changement mais au fond, tout est toujours semblable. Des ports, où on charge des amphores depuis des siècles, des oliviers qui donnent des olives qui donnent de l'huile qu'on met dans des jarres à côté des amphores. Et tenez, ce que je dis, je peux aussi bien penser le contraire, tellement tout n'est que mots qui s'évaporent sans réalité. Moi ? Je suis le fils d'un héros, le neveu du riche Timon, le frère du brillant Lysias, l'élève d'Aristote, le veuf de cette pauvre petite Chrysothémis, je ne suis jamais moi tout seul, je me demande si j'existe. Et si je me sens moi à certains moments, je me dis alors que ç'aurait été encore plus intéressant d'avoir été un autre.
Je pourrais partir . Aller droit devant soi, comme Alexandre ...oui, mais je n'ai pas l'étoffe d'un héros. Je finirais comme un vagabond, tremblant de fièvre au fond d'une hutte misérable. Et j'aime apprendre, m'amuser, voir de belles choses, me sentir tranquille chez moi, à lire Homère, et dehors, à regarder le ciel . Pourquoi n'avons-nous qu'une vie ?

Démétrios débita ce flot de paroles en se demandant quelle urgence le poussait à s'extérioriser ainsi devant un inconnu. Il sentait la sueur coller ses mèches sur son front et il eut peur d'être malade à nouveau, et juste quand il s'agissait de faire bonne impression ! Il fut soulagé de ne plus entendre le bruit de sa voix, juste le clapotis de la mer et le souffle léger du vent. Il rajusta sa ceinture et sentit l'étui où il avait glissé les deux objets mystérieux. Il les déroula et les tendit à celui là seul qui possédait la clé d'une porte qui pourrait s'ouvrir sur d'autres soleils:

-Et vous, me direz-vous ce qui différencie ces objets de ceux qui nous entourent ?
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Message  Le Dévoreur de temps Sam 25 Fév - 20:59

Le voyageur sentait bien la défiance légitime du jeune homme. Le grec à l'étrange bonnet était curieux mais plein de retenue. Il avait perçu également le mouvement de recul lorsqu'il était passé bien près pour aller mouiller ses pieds. Il le sentit déstabilisé par ses dires, son attitude et se promit d'apaiser les questionnements du candidat qui se concentrait à présent sur les galets après avoir expliqué le choix du bonnet. Pour détendre le garçon, il eut un petit sourire en l'entendant rire de façon un peu crispée.

- Il ne vient pas précisément de chez moi mais d'une terre amie où j'ai entraîné Lycias. Il avait aimé la mer qui entre dans les montagnes pour devenir presque lacs et les cascades majestueuses qui dévalent les flancs escarpés. Les hommes de ces terres sont de grands conquérants... Comme votre Alexandre, ils iront très loin de chez eux dans des contrées très différentes de la leur. Ils ne se laisseront même pas arrêter par les terres pour faire avancer leurs bateaux. Cela a fasciné votre frère de voir des bateaux rouler sur des billes de bois pour arriver enfin à destination, jusqu'à Byzance. Il a été un peu malade lorsque nous avons dévalé les rapides du Boristhène mais je ne devrais pas vous le dire. Il est très fier d'avoir le pied marin mais ce fleuve est absolument terrifiant dans son cours moyen. Les vallées qu'il y traverse sont si étroites qu'il n'est pas navigable sauf pour ces diables du Nord ...

Les yeux clairs du voyageur semblèrent un instant perdus dans des souvenirs lointains mais se morigénant encore de cette digression, il revint vite au sujet qui occupait le temps présent : les galets. Il écouta le brillant explosé du jeune athénien et ne put s'empêcher de tourner un regard admiratif vers l'orateur inspiré.

- C'est assez formidable mais vous avez tout envisagé des aspects de la question. Si vous abordez vos voyages de cette façon, je suis assez serein pour vous ouvrir les portes...

Il referma ses longs doigts sur les galets et haussa un sourcil.

- Vous décourager ? Ce n'est guère mon propos. Vous donner une assurance voyage serait plus juste. Ce qui différencie matériellement ces deux galets , c'est bien entendu leur aspect. L'un est vierge de toute marque hormis celle de l'usure du temps qui est très naturelle. Elle est rythmée par le doux ressac de cette crique. L'autre a subi les outrages d'une autre époque. En l'an 2028 un pétrolier va dégazer au large de cette plage.

Il se redressa, conscient de l'inanité de ses paroles aux oreilles du grec.

- Un navire transportant de l'énergie fossile va nettoyer ses soutes de façon illicite et salir les côtes athéniennes cette année là, au printemps précisément. Le galet que je vous ai montré n'est qu'un infime outrage à la beauté de ces rivages.

Il s'accroupît pour caresser le sable blond.

- Ce caillou vient du futur et c'est en cela qu'il est aussi très différent. Vous avez raison en affirmant qu'il symbolise aussi la différence entre ce que vous êtes et ce que je suis. Vous êtes encore attaché de façon viscérale à votre époque ... Moi, je suis un explorateur d'autres temps...

Il eut un petit sursaut en entendant les derniers mots de l'orateur aux cheveux rebelles sous le bonnet ôté.

- J'ai de multiples vies et tout autant d'identités.

Il avait été bluffé par l'esprit de déduction de Démétrios. Est ce que Lycias avait été trop bavard en s'exprimant plus qu'il n'était permis sur la nature de ses voyages ou est ce que le petit avait une étonnante clairvoyance et un esprit ouvert au point d'entrevoir ce qui ne serait envisagé que bien des siècles plus tard par des savants jugés timbrés par leurs contemporains ? Sans s'en rendre compte il avait glissé au tutoiement, ce qui devait troubler le petit athénien.

- Je comprends que tu sois tiraillé entre l'envie d'apprendre autrement et celle de ne pas finir moribond au détour des chemins. Je te dirais une seule chose. Nul ne peut savoir son destin , qu'il reste chez lui ou parcoure les chemins qui s'offrent à lui. Crois-tu que les habitants de Pompéi ont été plus épargnés que les compagnons d'Ulysse dans la grotte du cyclope ?

Il ne put s'empêcher d'éclater de rire en considérant la mine perplexe de son jeune orateur.

-Pardonne- moi, l'exemple est inapproprié. Le Vésuve est encore en sommeil à l'heure actuelle. Je voulais dire par là que je ne peux te garantir la sécurité absolue mais que tu vivras assurément des heures trépidantes ou enrichissantes à ta convenance... Si tu conviens de passer quelque examen pour tester ta résistance et ta préparation à un tel choc.

Il prit avec précaution les objets que Démétrios lui tendait. Ahh l'hémione de Lycias ! Il avait bien fait en sort d'appâter son cadet et surtout, le voyageur préférait nettement arriver à le convaincre à présent que d'avoir un réfractaire qui exhibe ses trophées inexpliqués à ses congénères, même s'il était peu probable que ce fût le genre du jeune hellène.

- Tu as compris ce qui fait la particularité de cette image qu'on appelle dans son époque d'origine une "photographie" et qui est faite par une boite qui capte la lumière sur une feuille enduite de substances minérales bien choisies. Tu sais aussi que ce reçu émane d'un temps que tes contemporains ne peuvent connaitre parce que Lycias l'a ramenée d'un de ses voyages en arrière où il a voulu racheter le patrimoine familial au moment où ton aïeule s'en défaisait.

Le voyageur s'interrompit en prenant conscience qu'il devait passer pour un fou aux yeux du citoyen de la belle cité grecque. Il se passa une main dans les cheveux, encouragé par les mots enflammés du petit frère de Lycias.

- C'est bien cette même lassitude qui a décidé ton frère à me suivre mais il était aussi un guerrier et un homme accompli. Seras-tu prêt à endurer le froid le plus dur comme la chaleur la plus intense, le dénuement le plus total comme la débauche de luxe outrageante sans sombrer dans la démence ? Tu peux me demander de disparaître ou accepter ce que je suis et désirer me suivre mais sache que si tu consens à ce premier voyage, voyageur tu seras à jamais et rien ne pourra t'assurer d'être à l'abri d'un transfert avant d'avoir acquis une certaine maîtrise, c'est à dire avant assez longtemps. Qu'un autre voyageur te touche ou arrive à ta proximité et tu pourras être projeté dans un autre lieu, un autre espace, un autre temps que tu n'auras ni souhaité ni imaginé.Tu pourrais à l'inverse, choisir ta destination en t'isolant et en te concentrant sur le lieu ou l'époque. C'est à la fois un don merveilleux et un cadeau empoisonné. Réfléchis bien avant de répondre.

Il se souvint du nombre de personnes qui étaient parties en courant ou en l'insultant après qu'il leur eu expliqué ce qu'il était et ce qu'il pouvait faire pour elles. Cela dit, il ne s'était jamais présenté à une personne sans avoir l'intuition qu'il pouvait lui apporter ce qu'elle cherchait ou sans demande clairement exprimée. Il voulait faire confiance à Lycias qui avait intercédé en faveur de son frère auprès de lui. Et si l'ancien négociant grec s'était trompé, il aurait au moins fait une rencontre agréable même si Démétrios le quitterait sur une envie de le lapider avec les galets de la plage.
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Message  Invité Mer 29 Fév - 22:47

Comme toujours après avoir discouru, Démétrios avait eu le sentiment qu’il n’avait été bon que grâce à des recettes apprises, que c’était le bon élève de Philologos qu’on félicitait, avec derrière lui des générations de rhéteurs qui hochaient la tête en se disant que les vieux trucs marchaient toujours. .
Aimait-il vraiment ça, discourir en agitant les mains, en attendant des louanges qu’il n’appréciait même pas vraiment, puisque la seule louange véritable ne vient pas des autres, mais de soi-même ? Comédie que tout cela, car en fait seule sa vanité avait été satisfaite quand l’autre avait trouvé »formidable » ses déductions, copiées sur le modèle « comment réfuter un paradoxe » alors que ce qu’il pensait de son exercice de style, c’ était : j’aurais dû seulement dire à l’Anax , « c’est un caillou noir et un caillou blanc et je m’en fiche complètement. Et je crois bien que vous aussi .Je veux partir, c’est tout. Et pas à Massalia ou même pas là-haut, où Pythias dit que se trouve le Trône du Soleil. Je veux partir là où je me trouverai peut-être, moi, le vrai Démétrios, comme Lycias a trouvé le vrai Lycias.
Finalement, il regarda d’un œil presque méchant l’inconnu qui l’avait fait tomber dans le piège à paroles et il chercha à le détester.

D’abord, le malappris ne s’était toujours pas présenté.
L’autre connaissait son patronyme complet et c’était un manque d’usage que de ne pas décliner son identité en retour, à moins que l’interlocuteur ne s’estime socialement très au- dessus de lui. Mais quoi, lui, Démétrios, était d’une illustre famille et citoyen athénien. Même ces fichus Macédoniens ne rêvaient que de devenir fils d’Athènes. Pella, leur propre capitale, s’effaçait devant la gloire de la Cité attique, même conquise. Démétrius, modeste quant à lui-même, avait une fierté nationale qu’il ne remettait jamais en question, puisqu’elle était admise par tout le monde civilisé.
Il était certes fasciné par ce bizarre visiteur mais il ne fallait pas qu’il se croit tout permis. Lycias avait faussé le jeu avec tout son mystère et ce terme d’Anax. Il connaissait trop bien le côté bon public de son petit frère, toujours prêt à sauter à pieds joints dans n’importe quel récit merveilleux . L’homme noir n’était quand même pas Agamemnon ni Achille. Fâché de s’être laissé ainsi subjuguer, l’Athénien toisa la haute silhouette. Bah ! il avait vu des lutteurs thraces qui étaient autrement mieux bâtis que lui …et ses cheveux couleur de nacre…un signe de malédiction, oui ! Couleur de mort , de ce qui vit loin du Soleil.. il n’avait pas à s’aplatir devant ce métèque qui par ailleurs, disait un peu n’importe quoi.
L’an 2028 ? plus de cinq cents olympiades ! On le prenait pour un barbare qui ne savait pas se repérer dans le Temps ! il fallait reprendre l’avantage et d’abord qu’il dise son nom . Il pensa à l’attaquer par un :

-Je suis Démétrios de Zéa, comme vous le savez. Et vous-même,.. ?..Lycias a négligé de me dire votre nom .

Excellent, cela . Le Mystère se résolvant en simple négligence ! Et s’il précisait : Démétrios de Zéa, tribu des Acamantides ? L’autre cesserait de prendre ce ton de précepteur s’adressant à un petit athénien de rien du tout.
A moins que comme un Barbare, il ignorât que les Acamantides descendissent de Thésée, fils de Zeus, et de Phèdre, la fille de Minos et de Pasiphaé, et donc demi-soeur du célèbre Minotaure.
Mais il se souvint des rires échangés quand son frère, sous prétexte de l’instruire, lui avait fait remarquer que, en tant qu’Acamantides, ils avaient tous deux de jolis ancêtres : Mamie Pasi (toujours cette manie de Lycias de couper les noms en deux) : une folle, sujette aux amours bestiales. Tonton Mino, dévoreur de jeunes gens bien frais. Grand papa Thésée, courant le guilledou avec Tatie Ariane, avant de la plaquer sur un rocher et de revenir épouser sa sœur. Grand-mère Phèdre, épousant du même coup le tueur de Tonton Mino et le tombeur de sa sœur Ariane, et se révélant sur le tard avoir aussi du goût pour les beaux jeunes gens, fussent-ils de la proche famille .. Les Acamantides n’impressionneraient certainement pas l’homme noir, surtout si Lycias les lui avait déjà présentés …
Et évidemment ce rappel du joyeux et irrespectueux Lycias lui fit perdre le contact avec sa situation présente d’Athénien outragé. Démétrios sentait aller et venir en lui de plus en plus d’ impressions contradictoires et fluctuantes, à l’image des vagues qui se croisaient avant de disparaître sur le rivage, ne laissant qu’un peu d’écume sur le sable, tandis que d’autres se formaient déjà, pressées de les remplacer.

Avant d’écouter patiemment sa rhétorique, l’Anax avait évoqué d’un ton rêveur les terres lointaines où il voyageait avec Lycias. Lacs, cascades, fleuve géant, tout cela avait beaucoup plu à Démétrios qui aimait l’élément liquide et trouvait qu’Athènes et la Grèce en général n’avaient guère été favorisées du côté de l’eau douce. Il n’avait pas compris de quels conquérants du Nord parlait le frère des ours, mêlant, de façon incohérente, l’évocation d’Alexandre à un usage du temps futur des plus surprenants. Mais peut-être le visiteur anonyme maîtrisait-il mal la conjugaison, ce qui est fréquent chez les étrangers. En tout cas, Pytheas ne parlait pas de ces peuples nordiques, bateliers et conquérants. Ce petit élan lyrique avait néanmoins beaucoup plu à Démétrios. Et il avait donc choisi de se montrer brillant, pour qu’on l’emmène, lui aussi, descendre le Boristhène, dont il n’avait aperçu que le delta marécageux, lors de son voyage en Chersonèse taurique.
Mais maintenant, il n’était pas content, ni de lui ni de l’autre, et il essaya de réactiver sa fierté d’Athénien contre celui qui l’avait obligé à faire le bel esprit à propos de galets. Mais plus l’autre parlait et moins Démétrios était sûr de ce qu’il comprenait. Il avait relevé tant d’obscurités qu’il se demanda si la Pythonisse de Delphes avait trouvé un successeur, sentiment qui culmina quand il entendit, prononcé d’une voix qui lui parut soudain plus grave, ce qu’il prit pour une sorte de révélation incantatoire :

J’ai de multiples vies
et tout autant d’identités,

ce qui le suffoqua littéralement , car qui pouvait affirmer pareille énormité, sinon les dieux ? Ils avaient autant de vies qu’ils le souhaitaient, pouvaient se transformer selon leur désir. Démétrios, comme de plus en plus de ses compatriotes cultivés, ne croyait pas vraiment au panthéon hellène, mais les mythes étaient le fondement même de sa culture et de sa façon d’interpréter et d’exprimer le monde. Et un nom jaillit dans son esprit : Mentor !
Athéna avait pris l’apparence du sage Mentor pour guider Télémaque. Pêle-mêle, toutes les métamorphoses des dieux se présentaient à lui, mêlées au songe de sa mère, dont on lui avait rebattu les oreilles durant toute son enfance, en attendant de lui qu’il devienne le héros, l’homme exceptionnel que les déesses avaient annoncé.
Le prince de Lycias, un dieu ? cela expliquait l’inexplicable. Les dieux traversaient l’espace en un éclair, le passé leur était connu et à certains élus, ils inspiraient la connaissance de l’avenir… il demeura à écouter, se demandant quelle divinité pouvait, avec cette voix grave, discourir du destin indéchiffrable et de Pompéi – ça, il connaissait , il y avait encore des Grecs à Pompéi, malgré les guerres entre Rome et les Samnites ; on l’avait envoyé là-bas parce qu’il parlait la langue du Latium, grâce à son grand-père qui disait qu’il faudrait un jour se méfier des Romains. Pompéi, pourquoi Pompéi . et que venait faire le Cyclope à Pompéi ?
L’éclat de rire qui accueillit sa mine ahurie ne l’offensa pas. Les dieux sont connus pour leur rire inextinguible et homérique..
Mais en même temps, la scène autour de lui était tellement éloignée de toutes les images fantastiques qui défilaient dans sa mémoire, qu’il reprit un peu son sang-froid. On n’était pas sur l’Olympe, il n’était pas le boiteux Héphaistos et Zeus ou Arès ne se seraient jamais excusés d’avoir ri, ce que l’autre fit avec simplicité tout en lui promettant une vie riche en imprévus .
Pour sortir de l'impasse, Démétrios avait finalement montré ses objets mystérieux. Ce serait décisif, on verrait si cet homme détenait la clé de tous les mystères, s’il était un magicien, un dieu, ou …un fou ? il n’avait pas envisagé une seule fois que son tourmenteur soit simplement un illuminé . Il y pensa brièvement. Non. Lycias était la garantie du sérieux de toute l’aventure. Il écouta donc sans dire un mot l’explication de la photographie- un mot bien grec et rassurant- et admit le fait que le magicien pouvait avoir envoyé Licias plusieurs décades en arrière. Certes, il y aurait mille paradoxes à régler mais les paradoxes du spécialiste Zénon, indiscutables en paroles pouvaient être évacués par l’action la plus simple. Ce serait sans doute de cette façon évidente qu’on remontait ou descendait le fleuve du temps, au lieu de le regarder de la rive . Le Boristhène devait avoir une valeur imagée, comme la caverne dans Platon. Très bien. Il pencha ses boucles blondes vers la photo qui le montrait toujours déclamant au Cap Sounion. Il avait cru longtemps qu’il verrait un jour son petit moi disparaître, ou bien il ferait nuit ou un navire traverserait l’espace marin …mais non, l’instant avait été capté, fixé, éternisé. Une seconde de sa vie dans ce petit papyrus brillant. Il faudrait demander ce qui était écrit au dos, mais l’heure n’était pas aux détails.
Il écouta les avertissements que lui prodiguaient Mentor. Le nom lui vint naturellement à l’esprit. Ce n’était pas Athena, mais Mentor lui irait bien en attendant de savoir comment il fallait l’appeler. S’il le savait un jour…Il releva la tête et sans même chercher le regard de l’autre, il fit de son mieux pour plaider sa cause :

-Si vous voulez être sûr de ma résistance physique, je suis prêt à me soumettre aux épreuves que vous jugerez bon de m’imposer. Il est vrai que j’ai une faiblesse. J’ai attrapé les fièvres des marais en Epire ; mais je n’ai eu que deux épisodes graves, à dix ans d’intervalle . Je n’aime pas combattre mais je le fais quand il le faut. Je sais dormir sur un pont de navire et aider à la manœuvre dans le mauvais temps, monter à cheval, chasser le sanglier ; je joue passablement de l’aulos bien que ce ne soit plus très à la mode, je pratique l’art du peintre et du sculpteur, je peux réciter Homère. Je vous préviens, je préfère l’Odyssée. J’ai été habitué au luxe dans ma famille. Mon grand-père a équipé et entretenu une trière pendant plus de dix fois le temps obligatoire. Mais j’ai connu les cahutes, les tentes, les bouges de certains ports de contrées barbares et je n’ai jamais été aussi heureux que dans notre bergerie sur les bords de l’Illyssos. Je ne suis pas un enfant gâté.
Et je suis au moins autant musclé que vous .

Il rit à son tour en jetant un regard sur la longue silhouette dans son vêtement noir, puis tendit son bras nu hâlé, de ce beau hâle des blonds au teint mat, et en fit jouer les muscles longs et durcis par une vie au grand air.
Il crut sentir un léger recul, se souvint que Mentor avait parlé du danger à se faire toucher par un voyageur ; en fait, il n’avait pas compris comment tout cela fonctionnait mais il avait oublié sa méfiance et son désarroi. Il voulait descendre le Boristhène avec les guerriers du Nord.
Il reprit donc, sur le même ton calme et comme délivré de ses incertitudes :

-Je n’ai pas besoin de réfléchir. Cela fait quinze ans que je réfléchis. Je vous obéirai en tout, sauf si vous demandez des actes déshonorants. Mais Lycias me connait, et je le connais, et nous nous regardons toujours en face. De toutes façons, je ne rentre pas chez moi. J’ai fait mes adieux ce matin à ma famille, comme il avait été prévu par Lycias, et un navire quitte demain le Pirée pour Alexandrie. On me croit en ville pour m’amuser un peu avant de partir. J’ai mon sac sous un buisson, à l’entrée de la plage. Que dois-je faire maintenant ?

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Message  Le Dévoreur de temps Jeu 1 Mar - 22:30

La figure humaine pouvait être passionnante quand elle laissait se lire les tumultes de l'âme qui l'habitait. Démétrios de Zéa, malgré sa maîtrise de la Rhétorique était doté d'une de ces figures. Le voyageur qui s'était posé, tel un oiseau de passage, sur cette plage balayée par une douce brise estivale, avait vu tous les sentiments animer ce visage, beau au demeurant, qui lui faisait face. Que de déchirements, que d'interrogations s'exprimaient sur les traits du jeune hellène qui n'était dans l'absolu pas tellement plus jeune que que notre voyageur mais certainement plus vierge de toute empreinte. Démétrios ... Son âme et son esprit étaient comme le velin d'une pure qualité qu'il avait pu toucher aux belles époques de l'enluminure et qui attendait précisément que de beaux motifs et pigments vinssent parer son histoire déjà ébauchée. Cela émut en quelque sorte notre navigateur de l'infini. Il perçut la colère quand le jeune homme se méprenait sur le ton dont il usait avec lui. Tant avaient cédé à la même erreur, ne percevant pas tout de suite la gravité et l'incroyable fragrance de ce qu'il proposait. Oui, il était péremptoire, ce ton, pouvant passer pour une arrogance insupportable mais il n'était si exigeant qu'en regard des lourds risques qui pèseraient sur le nouveau voyageur. Souvent le Dévoreur de Temps était partagé entre la volonté de leur montrer sans précaution la cruauté de ce pouvoir et celle de ménager le candidat, lui épargner ce que lui avait du affronter en essuyant les couloirs du Temps. Il n'avait pas la prétention d'être le premier. Non, bien sûr que d'autres l'avaient précédés dans ce même statut. Il était simplement le seul à avoir échappé aux écueils - pour le moment, car qui pouvait avoir des certitudes sur les caprices du temps ? - des voyages périlleux. Au prix de quelles souffrances et égarements ?

Mais le Dévoreur avait ses raisons pour affronter ce qui semblait démesuré. Le voyageur en avait-il d'aussi bonnes ? Pour eux, le jeu en valait-il la chandelle ? Pour reprendre cette expression qui avait traversé le temps. Notre voyageur avait parfois besoin d'être convaincu qu'il avait de bonnes raisons de leur offrir un cadeau aussi "empoisonné", que cela apporterait dans leur vie une dimension nécessaire. D'autres fois, il devait se laisser persuader que l'individu en était digne, d'autres encore, qu'il lui serait d'une utilité absolument indispensable dans sa propre quête. Démétrios relevait des deux premiers questionnements. S'il ne voyait pas la nécessité qu'il avait des services du jeune athénien, il sentait que l'homme au bonnet avait besoin de large dans son couvre chef serré. Il temporisa en se disant que le bel éphèbe avait l'esprit vif et cultivé et qu'il lui offrait un duel intellectuel qui valait son pesant d'or. Cependant l'âme athénienne était nourrie de grandeur et il était naturel qu'elle se défie d'un pouvoir qui lui était inconnu. Un pouvoir qu'il avait traqué, il est vrai, mais pas à des fins mégalomanes. Seulement, cela l'Athénien ne pouvait le savoir. Il avait cependant vu l'étincelle dans le regard attique lorsqu'il avait narré ses aventures varègues avec Lycias. L'homme était partagé entre le scepticisme et l'espoir, à n'en point douter, entre l'agacement et la fascination. Le voyageur était tellement coutumier du fait. Susciter l'intérêt et le rejet, il en avait pris son parti. Seule importait l'impression qui demeurait au final, quand tout était dit.

L'étonnement final et l'oeil brillant du noble grec semblaient encourager l'espoir qu'il allait accepter. Pourtant, l'homme aux cheveux immaculés ne voulait pas trop s'enthousiasmer. Nombreux avaient été ceux qui avait renoncé aux portes de l'Antichambre ou encore avaient supplié de revenir sur leurs pas. Demande à laquelle il avait accédé quand il le pouvait, ce qui n'était pas toujours le cas quand le sujet sombrait dans les méandres des temps déformés qui n'avaient de parallèles que le nom. La belle affaire ! Que la courbe de ces temps fut au contraire déformée rendait parfois l'extraction impossible et il fallait se résoudre à perdre un âme à jamais. Avec le fol espoir de la recroiser au détour d'un chemin imprévu et de lui tendre la main un jour... ou une nuit. Il écouta et regarda son jeune postulant qui évoquait ses faiblesses de santé et eut un petit geste de la main.

- Les aléas de la santé ne sont pas à négliger mais bien légers en comparaison des affres de l'âme. Si le souffle qui t'anime est fort, ton corps cherchera la santé et la trouvera dans l'exaltation des voyages... Tu sembles posséder ce souffle et ta volonté te sert plus surement qu'un corps aguerri à tous les assauts. Je n'avais rien d'un guerrier quand je me suis plongé dans cet inconnu mais j'avais la volonté de trouver ce qui me manquait plus que tout et que je savais caché dans les replis de ce monde mouvant qu'est le temps infini. Peu importe ce qui te manque, que ce soit une dimension à ton toi ou une tierce entité. S'offrir une autre dimension pour le quérir multiplie forcément la chance de le trouver.

Le voyageur recula néanmoins lorsque l'athénien lui offrit de contempler la musculature sèche de son membre supérieur. Encore heureux que ce fut ce membre-là. Les grecs avaient une réputation si particulière au fil des âges. Notre homme en noir n'y accordait qu'un crédit limité mais avait plutôt craint de précipiter l'aventure. Il l'écouta néanmoins d'un air grave mais réjoui intérieurement, sceller son destin et arrêter sa décision. De presque haï, il s'était senti adulé et il ne s'en offusqua pas car il était homme et savait ses congénères enclins aux variations de sentiments.

- Tu as beaucoup réfléchi, sans doute. Mais il te faudra continuer à le faire un minimum, si tu ne veux pas perdre toute mesure et aussi la boussole dans ce qui t'attend .

L'homme au manteau noir parut réfléchir un moment et ajouta d'une voix sourde:

- Encore qu'il te faudra aussi parfois apprendre à lâcher prise. Tu ne vas pas seulement arpenter les époques qui défilent sous les pieds de nos semblables mais aussi les mondes qui fleurissent dans les imaginations les plus débordantes. Y est tu prêt ?

Il fit alors une chose inattendue qu'il faisait peu. Il s'assit sur le sable chaud et commença à dévoiler la suite des réjouissances.

- Fort bien, toi qui aime les énigmes et discourir à leur sujet, sache que si tu acceptes de me suivre, je te guiderais dans [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]. C'est un lieu où les lois du temps comme de l'espace sont abolies pour se fondre dans le creuset du gardien. Il se nomme Zorvan. Il lui appartient de révéler plus ou moins sa nature suivant les personnes qu'il aura en face de lui. Tu peux le croiser à ton choix dans trois lieux. [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien], un monde où le rêve domine la réalité et où ce que tu vis pourrait avoir des répercussions sur ta réalité une fois réveillé. La contrepartie est que tu pourras, dans tes voyages ultérieurs, y influer sur les personnes que tu croiseras, mais ne te leurre pas, dans ton premier voyage, tu ne rencontreras que Zorvan, le gardien des lieux... Bien malin celui qui peut influer sur le cours de l'existence de ce reclus tout puissant qui te soumettra à bien des énigmes et des tentations avant de te relâcher pour l'horizon infini des voyages .

Le grand voyageur laissa le temps nécessaire à Démétrios pour assimiler ces donnée étranges puis poursuivit

- En revanche, si tu ne goûtes guère aux voyages oniriques, mais que ton coeur a envie de remonter le temps et de vivre à l'envers les émotions qui ont marqué ta vie, alors [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] est fait pour toi. Tu y retrouveras Zorvan qui te guidera dans ce délicat périple qui consiste à vivre une période de ta vie à l'envers. Je me doute que tu pourrais me traiter de fou, mais ce lieu m'a souvent servi pour retrouver le moment où j'ai fait le mauvais choix et savoir ce qu'il adviendrait si j'en avais fait un autre. Tentant finalement, non ?

Le jeune athénien pouvait être plus que perplexe son bonnet sur la tête ou à la main et le Dévoreur le comprenait fort bien car il avait connu ces affres. Au moins Démétrios avait -il la chance d'avoir un guide pour lui tenir la main.

- Ne te frappe pas, tu peux encore renoncer mais Zorvan a plusieurs clefs à son trousseau et l'une d'entre elles ouvre la porte d'[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]. Qu'est- ce que ce monde en fait, sinon une déclinaison différente du fabuleux mot qu'est ta vie ? Tu crois être dans des repères connus mais en fait tout est mouvant et un paramètre différent peut te faire basculer dans l'inconnu. Tu aimes l'imprévu et l'aventure ? Alors ce domaine du maître de l'Antichambre est pour toi.

Démétrios semblait perplexe, et peut-être plus encore mais le grand voyageur ne voulait pas entrer dans ces considérations, malgré la sympathie qu'il portait au jeune homme. Il se risqua néanmoins à lui glisser dans un sourire:

- Je ne serais jamais loin si tu acceptes l'aventure. Sache simplement que je vais te guider jusqu'aux portes que je franchis naguère et que celui qui va t'ouvrir n'a simplement pour but que de meubler son inextinguible solitude. Sa vie ne s'éclaire que des passages des voyageurs car il est condamné aux limites de son antichambre. Toi, si tu réussis l'épreuve qu'il t'imposera, tu auras l'infini du temps et de l'espace qui te seront offerts.

La main de l'homme au long manteau se perdait dans le sable fin, tandis qu'il énonçait les multiples possibilités, et pourtant encore infimes par rapport à ce qui s'offrait au voyageur accompli, à cette âme en quête d'aventure.

- Tu es toujours décidé Démétrios ? Sache qu'une fois l'épreuve que tu auras choisie passée, tu pourras choisir un compagnon de route pour ta première aventure. Vous êtes plusieurs à avoir, consciemment ou pas, sollicité mon apparition. Tu auras à mener une aventure exploratoire en duo avec ce compagnon dans une autre alcôve de Zorvan. Si vous montrez un coeur valeureux et avide d'aventures, alors il vous relâchera dans[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] dans un lieu de mon choix car tels sont ses ordres. Je peux choisir un lieu familier à l'un de vous ou pas, au fil de mon humeur et au regard de vos échanges . N'y vois aucune mesquinerie mais seulement la volonté de vous surprendre pour exaucer vos voeux tandis que vous me serez aussi utiles sans forcément en avoir conscience . Ton frère a eu le cran de me faire confiance. L'auras-tu, toi, comme il me l'a annoncé ? Sache que si tu refuses, tu es libre de partir en échange de ton silence sur ce que tu auras vu et qui t'aura été révélé.

Le voyageur se pencha, toujours un peu anxieux de la réponse de celui qui avait voulu le rencontrer.

- Si tu décides de passer ton chemin, sache que j'ai été heureux de te rencontrer, Démétrios de Zéa.

[HRP]
Spoiler:
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Empreinte : L'histoire de Vladimir Stanzas ou comment on devient le Dévoreur de Temps
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Message  Invité Ven 2 Mar - 20:51

L'inconnu restait finalement un inconnu. Démétrios aurait pu l'appeler Personne puisqu'il connaissait l'histoire d'Ulysse et du Cyclope.Mais Mentor était plus réconfortant.
Sa dernière réplique avait ouvert deux voies devant Démétrios et le choix serait définitif.. L'une de ces voies, trop connue, le ramènerait au Pirée où il passerait la nuit dans une auberge à matelots, à boire leur bière infecte et à ne pas comprendre ce qu'il faisait là, alors qu'il aurait pu être ailleurs et un ailleurs qu'il ne connaîtrait jamais.. C'était exclu ! D'ailleurs déjà décidé. Plutôt aller se jeter du haut du Cap Sounion. Ce qu'il ne ferait d'ailleurs pas, car un homme ne doit se donner la mort que si sa gloire l'exige. Seuls les esclaves se tuent par désespoir.
L'autre voie était celle du vrai départ. Quand il l'imaginait, il voyait une brume grise, épaisse comme celle qui s'appesantit parfois sur la mer et désoriente les marins privés d'étoiles. Dans cette brume, la silhouette de l'homme en noir lui semblait déjà s'éloigner et il fut saisi par l'urgence de le suivre, de ne pas le perdre de vue avant que le brouillard ne l'ait englouti, le laissant, lui, Démétrios, seul sous ce soleil cruel qui n'éclairait qu'un monde indifférent.
Quand Mentor s'était assis à même le sable, Démétrios lui avait d'un coup trouvé l'air fatigué, celui du voyageur qui s'accorde une pause imprévue, juste parce que l'endroit, l'instant s'y prête, qu'on est las et que la route est encore longue. Il sentit qu'il éprouvait une sympathie d'instinct pour cet être si étrange, possesseur de pouvoirs inconnus et qui savait cependant se montrer chaleureux et humain. Pour mieux l'entendre et ne pas l'obliger à lever les yeux vers lui, l'Athénien s'accroupit sur les talons à ses côtés. Il écouta très attentivement chaque phrase, pour s'en souvenir et se les répéter, car bien des points, qui au ton paraissaient explicatifs, soulevaient en fait d'autres obscurités. Il attrapa un nom.au vol : l'antichambre de Zorvan , ce qui le réjouit fort. Enfin un élément concret, identifiable, qu'on pouvait mettre en images, comme le Boristhène.
Zorvan ! Ce devait un Gardien forgeron, une sorte d'Héphaistos qui fondait ensemble le temps et l'espace dans un creuset, creuset que Démétrios imagina aussitôt gigantesque, car chaque parole de Mentor le propulsait maintenant dans la seule dimension qu'il connaissait pouvant expliquer le monde : celle du Mythe.
Zorvan ! le nom était étrange sans l'être trop . Z ,comme l'éclair qui zèbre le ciel d'orage , le foudre de Zeus, qui écrit ainsi son nom à la face des cieux lorsque la colère le fait se dresser sur sa couche de nuées. Démétrios se sentait en pays de connaissance avec Zorvan, et même ZORVAN !!! Et comme toutes les entités divines, voilà que ce Zorvan se présentait sous des formes variables. Il n'osa pas interrompre Mentor pour demander lesquelles. Chaque Immortel avait ses spécialités, ses préférences..Tout était prétexte à contes et légendes et l'Histoire ne disait pas encore ouvertement son nom, mêlée aux cosmogonies fantastiques. Ainsi, même le sceptique Démétrios ne parvenait pas à formuler autrement ses idées. Dans Homère ou Hésiode, quand les dieux se révélent aux mortels, ceux-ci tombent sur le sol, muets, frappés de terreur sacrée. Enfant, il s'était bien promis, si un dieu venait à se révéler à lui, de demeurer fièrement campé sur ses jambes d'Athénien et de lui montrer que la terreur, même sacrée, n'était pas un sentiment digne du fils de Démoclès. Il n'était plus un enfant qui croyait aux fables. Mais il voyait cependant Zorvan comme une sorte de demi-dieu.
Heureusement, Mentor avait l'air si proche de lui, filtrant le sable entre ses doigts de joueur de cithare, parlant certes de choses incroyables, mais sans prendre l'air inspiré d'un Messager divin annonçant que l'Olympe s'ouvrait pour Démétrios. Enfin, à condition de satisfaire aux épreuves.
En trois lieux différents, se tenait Zorvan le Reclus, mais on ne pouvait le rencontrer qu'en un seul : il fallait choisir.
Ça, c'était de la divinité pure. Choisir, toujours choisir ....les mortels passaient leur vie à devoir choisir et quand ils rencontraient un dieu, c'était encore pour s'entendre dire : Choisis, que ça te plaise ou non et d'ailleurs, tu n'as pas le choix... Agamemnon, Achille, Pâris, tous avaient dû choisir... Par Zeus ! ces immortels ne savaient donc pas que choisir, c'est se limiter et que la seule utilité à leur fréquentation, c'était justement d'espérer pouvoir échapper à ses limites humaines ?
Mais puisque c'était la règle du jeu et qu'il voulait rencontrer Zorvan, il allait choisir.

Le premier domaine de Zorvan avait un nom bizarre et semblait être un monde de rêves. Démétrios rêvait beaucoup et l'influence des rêves sur la réalité était la plupart du temps catastrophique. Il accepterait tous les dangers plus ou moins annoncés par Mentor, mais non de devoir souffrir pour ou par des ombres.
Ensuite venait le Champ des Oublis. Remonter sa vie à l'envers ? Mais il le faisait tous les jours, incurable rêveur qu'il était, et cela ne lui apportait rien sinon d'avoir souvent l'air ahuri, alors que les autres s'activaient autour de lui, vivaient très bien en ayant oublié les trois-quarts de leur passé ou bien s'en souciant comme d'une figue. Et il savait quand il avait fait les mauvais choix : Toujours, en fait. Un bon choix était seulement moins mauvais que d'autres, puisqu'il y avait certainement une infinité de possibles et qu'il n'en connaissait jamais que deux ou trois à la fois entre lesquels choisir
Dans sa perplexité, Démétrios s'était mis à imiter son interlocuteur et laissait filtrer le sable serré dans son poing, comme un sablier, images du temps qui fuyait, secondes, heures, jours après jours, et les saisons et les années, des vies entières, des flots de morts toujours s'enflant des vivants qui les rejoignaient. Le cône qui naissait de tous ces grains indistincts n'avait aucune réalité, se formant par le haut, s'effondrant par la base, comme une image du Temps insaisissable entre deux néants. Le Boristhène s'éloignait, avec ses rapides et ses solides guerriers et leurs bateaux qui semblaient si vrais tout à l'heure, glissant sur leurs billes de bois...Tout cela était irréel ; des mots, renvoyant à des chimères ou à des paradoxes de logique. Et puis, comment choisir entre trois fruits qu'on n'a jamais goûtés ?
Mais peut-être n'était-ce pas très important. S'il s'agissait d'une épreuve pour aller plus avant, sinon aux côtés de Mentor, du moins dans son royaume, il tenterait cette épreuve et il choisirait la dernière porte, pour en finir..
Aparadoxis. Son nom lui chanta aussitôt aux oreilles et cette fois il désira voir ce monde, connu et différent tout à la fois. Après tout, le Boristhène, qu'il avait vu étalé en couleuvres d'eaux grises dans les marais de son delta, et le fleuve dément et chaotique décrit par Mentor étaient aussi vrais l'un que l'autre.

Il écouta plus sereinement la suite des propositions et conseils du prudent et somme toute fort prévenant envoyé de Lycias. Bien sûr qu'il allait lui faire confiance, ne serait-ce que pour vérifier qu'il avait eu raison de le faire ..
Il ouvrit le poing, le sable retenu tomba et cessa d'exister. Il se mit debout, renfonça son bonnet sur ses mèches emmêlées, comme on met son casque avant la bataille, et déclara d'une voix ferme et neutre :

-Je vous suis. Si vous voulez bien me présenter à Zorvan, en Aparadoxis ...





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