Les arbres ont toujours quelque chose de fascinant. Claude le pensait. Elle ne pouvait pas en détacher les yeux facilement. Jamais. Les grands troncs sombres s'élançaient vers le ciel, s'étoffaient peu à peu en milles divisions qui supportaient des centaines de feuilles qui se perdaient dans un mélange écailleux. Il n'y en avait pas un de pareil. Et surtout, ils étaient rares.
- Il y a un arbre. La voix d'Annie était tremblante, minuscule, comme le chuintement du vent qui s'était levé en bourrasques encore faibles qui tordaient leurs vêtements dans tous les sens.
- Je sais, Annie, répondit Claude. Il y avait environ une heure qu'elles marchaient en direction de l'arbre. Le ciel était sombre, plein de nuages gonflés d'orage. Elles ne voyaient pas grand chose. Au départ, elles avait pensé à une de ces tours où vivaient les oiseliers, qui servaient d'étapes aux vols pour le courrier. Mais plus elle s'étaient approchées, et plus il leur avait paru que c'était un poteau, oublié là quelque part, pour une raison mystérieuse, peut être une idée de mur abandonné. Enfin, elles étaient arrivé plus près, et malgré les nuages et le vent qui cinglait leur paupières, les obligeant à baisser les yeux, elles avaient vu.
- C'est un arbre, Claude. Annie n'avait pas bougé depuis un moment. Son visage, d'ordinaire au teint plutôt mat, avait blanchi. Ses yeux étaient fixés sur l'arbre. Immobile au milieux du vent qui agitait ses jupes et ses cheveux déjà échappés du tissu, elle avait l'air d'une de ces images de tragédies que l'on voyait peinte à l'entrée des théâtres.
- Il n'y en a qu'un seul, Annie. Je n'en vois pas d'autres. Claude sentait cependant son pouls s'accélérer tandis qu'elle contemplait la plante, qui se tenait là, sans disparaître, impitoyablement présente au milieu des flots d'herbes hautes et de buissons de ronces.
- Claude, ça suffit, un seul ! Annie vacilla, recula d'un pas, puis d'un autre.
- S'il y a un arbre, c'est qu'y a une forêt, pas loin. - Mais regarde, il y a pas de forêt, Annie ! Elle tendit les bras comme pour englober ce qui les entourait. Dans l'après-midi sombre et rugissante, des collines mouvantes percées ça et là de rochers ou de buissons. Un seul arbre, là-bas, sur la montée qui leur faisait face, près du chemin.
- Si c'est un arbre, 'y a une forêt ! La jeune fille jeta un regard d'effroi à son amie, la respiration précipitée.
- Non, attends, calme toi, tenta Claude,
on est dans le bon chemin, regarde. Elle sortit doucement le papier de sa robe, le tendit tant bien que mal devant elle, malgré les bourrasques qui tentaient de le lui arracher. Ses yeux sombres parcoururent les lignes sur lesquelles ils s'étaient usés tant de fois depuis qu'elles avaient quitté les larges murailles de leur petit village. Non, elles étaient dans la bonne direction. D'après la carte, quatre heures de marche, et elles seraient à la Cité Jaune.
Sauf qu'il n'aurait pas du y avoir d'arbre près d'une route aussi proche de la Cité Jaune.
L'adolescente releva la tête, le visage concentré. Ce n'était pas normal. Quelque chose n'allait pas. Mais elle avait suivi la route, exactement. Elle savait qu'elle ne s'était pas trompée. Elle avait tellement regardé la carte ces dernières heures qu'elle l'avait un peu déchirée aux coins, alors qu'elle savait combien il était important qu'elle ne l'abîme pas.
- Qu'est ce qu'on fait? La voix d'Annie était très basse, et c'est à peine si Claude l'entendit à travers le murmure de plus en plus fort du vent qui les entouraient.
- Je ne sais pas, Annie, je sais pas... Elle rangea la carte dans ses vêtements, se tourna vers l'autre.
- On devrait continuer, mais...Cet arbre, c'est vrai que...Y doit y avoir une erreur...Je comprends pas... La fille aux cheveux noirs lui jeta un regard désespéré.
- C'est pas possible...Les gens qu'on a croisés nous ont dit qu'on était près d'la Cité Jaune...- Oui, enfin...Ça, c'était y a deux jours...On a pas mal bougé depuis. Y a eu des croisements. - Alors on r'tourne en arrière ? - J'imagine...Si seulement j 'savais lire...Mais si on suit la plus grande route...Ca d'vrait aller. - Mais...On va être en retard!- Je sais, Annie, mais on peut rien y faire. Elle jeta néanmoins un regard à sa main. L'on aurait dit qu'une coulée de fer s'y était logée pour créer des formes complexes. Dans quelques heures, les signes d'acier brillant rougiraient progressivement, et elle sentirait sa main la brûler, comme si elle avait touché une casserole un peu chaude. Sauf que la casserole chaufferait, encore et encore, et que l'argenté liquide s'étendrait sur sa peau en s'étirant en longs filaments, jusqu'à ce qu'elle soit enfermée dans un sarcophage brillant et chauffé à vif. Elle sa peau ne serait pas brûlée, non, mais elle la sentirait tout de même rougir et se racornir indéfiniment . Le seul moyen d'empêcher cela était de poser la main sur la large plaque de métal qui se trouvait à l'entrée de la Cité Jaune. Tout avait été calculé. Monsieur de Maistré avait chuchoté ses ordres au métal vivant, et si elles n'arrivaient pas à temps à cet endroit, pour toucher cet autre métal-là, alors la chose se mettraient en route.
- Je...Et si c'était prévu ?- Quoi ?- Qu'on passe près d'un arbre. Si c'était la carte pour un raccourci ? Si c'était par là qu'on d'vait passer pour y aller ? Annie avait aussi jeté un œil à sa main, et à présent ce n'était sans doute plus l'arbre qui faisait frémir son visage inquiet.
- Monsieur de Maistré a aucun intérêt à c'qu'on se trompe et qu'on arrive en retard. Il nous a quand même pas donné une fausse carte. Il a juste dû s'en ficher qu'on passe près d'un arbre.- Mais Annie ! Un arbre, si près de la Cité Jaune ?- Tu sais bien à quelle vitesse ça pousse. Il est pas bien grand. Six ou sept mètres. Ça doit faire deux mois.- Et personne ne serait passé par là en deux mois ? - Je l'ai vu faire, Claude ! Il a calculé à partir de la carte. Et il sait où c'est, la Ville Jaune. Alors il peut pas s'être trompé. C'est peut être une nouvelle idée d'ces fous qui croient qu'il faut étudier les arbres, comme si un truc risquait pas d'y venir.- Oui, mais, ou alors, c'est un chemin impraticable, et on est pas censées pouvoir y'aller, et on a rien vu parce que le panneau...- Y'aurait eu une barrière ! Fit Annie. Elle observa de nouveaux la marque dans sa paume, puis inspira résolument.
- Ça peut être que ça. On peut pas juste se balader sans savoir où on va, Claude. Sinon, on est fichues. Claude hésita un instant. Cet arbre était étrange, c'était vrai. D'un autre côté, l'hypothèse que monsieur de Maistré prenne le risque de mettre en retard celles qui devraient aller acheter les pousses de buissons fruitiers, alors qu'ils étaient si demandés, et que le prochain arrivage était attendu avec impatience...Ça n'avait pas de sens. Elle soupira, et finalement, sourit à Annie, rassurante.
- T'as raison. Et puis, c'est jamais qu'un arbre. J'en ai vu d'autres. Un seul, ça fait rien.- J'espère bien, Claude. Franchement. Elles se remirent en marche, lentement, Annie à la suite de Claude, leur attention captée par les feuilles tremblantes sous la poussée du vent. Leur pas ralentit encore comme elles amorçaient la montée de la colline. Elle était haute, la pente assez abrupte, l'arbre se dressant presque tout en haut, à son sommet. Claude comprenait pourquoi elles avaient rencontré si peu de passants, alors qu'elles étaient vraisemblablement près de la Cité Jaune. Ce genre de route fatiguait inutilement les montures et faisait dangereusement pencher les carrioles. D'ailleurs, elles aussi, à moins que ce ne soient les bourrasques de plus en plus fortes qui les fassent chanceler, et les pierres qui roulaient près de leur pieds et les déséquilibraient. Mais elles n'avaient pas le temps d'attendre. Elles n'avaient pas de temps du tout. Il fallait se dépêcher. Leurs pas accélérèrent, et les yeux rivés sur l'arbre, elles avancèrent à toute allure. Claude en avait déjà vu, pourtant. Mais, il est, vrai celui-ci était si étrange, là, tout seul, si incongru, et puis, même si elle savait qu'un arbre tout seul, ça n'avait jamais rien fait, elle ne savait pas si ça ne ferait pas quelque chose dans l'avenir.
Elles y étaient. Les racines de l'arbre, parallèles à leur pieds, à peine éloignée de la surface terreuse du chemin. Toutes deux se figèrent, une seconde. Attendant. Il allait se passer quelque chose. C'était obligé. Elles ne pouvaient pas s'empêcher d'attendre, de s'accorder une pause, avant de franchir la limite invisible, avant que
ça ne déferle. Les créatures. Puis elles avancèrent...
Rien. Rien ! Claude se tourna vers Annie, le visage éclairé par un large sourire.
- Annie, c'est bon, tu vois !- Je le savais , sourit la fille aux cheveux noirs, et, reprenant sa marche d'un pas tranquille :
on ne s'est pas trompées, quatre heures de marche,et - Sa voix se bloqua d'un coup dans sa gorge.
- Oh, non... Il n'en fallut pas plus pour que Claude se retourne, immédiatement. Elle s'attendait à presque tout – un feu-follet, un changelin, un essaim de lucioles-contre-la-mort, un Envieux...- mais pas à cela. Devant elle, apparaissant de l'autre côté de la colline où elles étaient montées, en contrebas, s'étendait une marée de feuillages frissonnants, à perte de vue, dont elle entrapercevait les troncs tout proches. Une forêt.
- Non ! La voix d'Annie se transforma en cri, un cri qui diminuait comme elle reculait, reculait de plus en plus, fuyait, enfin, sans nul doute terrifiée. Mais ça, Claude ne pouvait pas le voir. Elle ne parvenait plus à bouger. Elle avait beau supplier son corps de faire demi-tour, de s'éloigner, de partir en courant, rien à faire. Elle n'y arrivait pas. Elle ne pouvait que fixe la forêt mouvante, là-bas devant elle. Elle ne pouvait même pas ouvrir la bouche, même pas faire trembler ses cordes vocales. Seules les gifles que faisaient cingler le vent sur sa peau nue et ses cheveux, son cœur, qui cognait à toute volée contre sa poitrine, et ses pensées qui tourbillonnaient pour essayer de comprendre, lui rappelaient qu'elle était en vie.
- Il me l'avait dit. Elle ne pouvait pas tourner la tête, mais elle perçut immédiatement la lueur blanche qui éclaboussait le sol, tout près d'elle. Et surtout, elle entendit la voix, une voix incroyable, quelque chose qu'elle n'avait jamais entendu auparavant, une sorte de mélodie, oui, jamais elle n'aurait deviné que c'était une parole si ce son indicible ne s'était pas coulé dans des mots qu'elle pouvait comprendre. C'était comme si une musique exceptionnelle s'était jouée là, un instant. Elle aurait presque pu en oublier qu'elle était prisonnière de quelque chose qu'elle ne pouvait même pas voir.
- Il y en aurait une devant l'autre. Et c'est celle là qui serait pour moi. Je ne croyais pas que c'était possible, que cela arrive vraiment. Enfin, si j'avais eu à choisir, le résultat aurait été le même. La lueur blanche s'intensifia, entra toute entière dans le champ de vision de Claude. Elle entourait en vérité un corps, celui de la personne la plus magnifique qu'elle avait jamais vue. On aurait presque pu dire un être humain, si ce mot ne paraissait pas presque vulgaire, petit, incapable de décrire la supériorité qui émanait toute entière de lui. La peau de cet être semblait constituée de lumière, une lumière sans violence, mais d'un éclat que rien ne venait altérer. Son corps était grand, musclé, mais non, ce n'était pas ça qui le rendait si beau. En vérité, Claude aurait pu le jurer, il était exactement comme il le fallait, oui, c'était cela, tout, du plus petit grain de sa peau jusqu'à la façon dont il se tenait, on aurait dit que cela avait été mesuré, calculé, précautionneusement, pour que tout soit exactement juste comme il fallait que cela soit. Tout, jusqu'à son visage, aux traits réguliers, encadré de mèches toutes aussi lumineuses que le reste de son corps, était également comme cela, tout était à la bonne place. Habillé d'un voile blanc irréel qui flottait autour de son corps incroyable, entouré de la lumière d'un blanc doux qui émanait de lui, il souriait d'un sourire si pur qu'il aurait pu faire monter des larmes d'émotion aux yeux du pire des tyrans. Parfait. Il était tout simplement parfait. Parfait à en crever.
- La plus courageuse des deux. J'aurais pu le deviner même si tu n'étais pas passé devant. Et puis, c'est toi qui porte mon dût. La perfection incarnée s'approcha d'elle, d'un pas mystérieux qui ne semblait pas toucher le sol. C'était incroyablement beau. Elle sentit une larme couler sur sa joue paralysée. Elle savait. Elle savait ce qui allait se passer.
L'ange sourit, d'un bonheur léger qui l'eût embelli un peu plus, si cela avait été possible.
- Je le lui avait dit. Que je voulais qu'il te fasse sortir. Elles ne tiennent pas longtemps sinon, elles perdent si facilement conscience, il suffit de les approcher d'un arbre, et les voilà qui essayent de se suicider. Quelles idiotes ! Les autres ont un peu d'espoir, elles croient pouvoir s'en sortir, alors, elles tiennent. C'est si beau de voir cet espoir se briser, peu à peu. L'espoir des humaines est l'une des choses les plus mystérieuses que j'ai pu voir. Je me demande combien de temps tu tiendras, toi. Claude sentait les larmes couler sans s'arrêter sur son visage figé. Elle sentait encore, plus profondément, la peur qui tordait ses entrailles, embourbait sa respiration. Et elle ne pouvait rien faire, même pas reculer un peu, même pas mettre une distance, quoi qu'illusoire, infime, vouée à disparaître avec cette créature qui pouvait de toute façon l'attraper quand elle le voulait. Elle le sentait, comme l'ange s'approchait, cette espèce de chaleur qui émanait, et c'était horrible et effrayant, de juste sentir ça, et de savoir qu'elle ne pouvait rien faire. Le sang qui tambourinait à ses oreilles paraissait chuchoter :
fuis, fuis, fuis. Elle ne désirait rien d'autre que la fuite. L'ange éclata d'un rire cristallin. Il approcha sa main d'une de ses joues, puis se ravisa.
- Non, non. Nous commencerons plus tard. Nous avons tout notre temps, maintenant. Et je n'aimerais pas que tu meures avant d'arriver à la maison. Tout mon élixir s'y trouve. Ça serait vraiment dommage de devoir renoncer à toi, depuis le temps que j'attends que tu sois mûre. Il pencha sa main vers sa robe, fouilla dans ses poches, y attrapa le rouleau de pièces, qu'il tint devant ses yeux, les examinant avec intérêt.
- Eh bien. Cela ne vient pas de n'importe où. Ce bon viel humain a eut bien de la chance de trouver un trésor pareil. Enfin, ne t'inquiète pas, tu as aussi du prix à mes yeux. Il rit à nouveaux, très amusé. Ses deux yeux brillaient comme des globes lumineux. Il s'approcha de Claude, et la regarda un instant. Le corps de la jeune fille se mit en marche. Seul. Elle se sentit bouger, mais en même temps,
elle ne bougeait pas. Un vertige la saisit devant cette information terrifiante. Un bizarre soulagement, alors.
Si je m'évanouis. Oui.
Si je ne me réveille pas. Si seulement. Cela serait mieux. Mieux que ce que l'ange allait lui infliger. Les anges sont les pires. Elle l'avait entendu, des dizaines de fois. Il y avait toutes ces choses, dans les bois, ces choses dangereuses, qui pouvaient vous faire souffrir, vous rendre fou à lier, qui pouvaient même vous tuer. Mais les anges, eux, faisaient tout cela de manière encore plus horrible. Parce que les anges ne vous laissaient aucune chance de les fuir. Et surtout, eux, ils voulaient vous garder en vie. Les autres la voulaient tous, peu importe comment. Mais pas eux. Eux, ce qu'ils voulaient, ce qui leur plaisait, plus que tout, c'était la souffrance.
Par paresse, ils sortaient rarement de leurs forêts, et n'attrapaient que les êtres assez fous pour s'approcher trop près d'eux. Mais ils les attrapaient, immanquablement. Et cette paresse était le seul élément qui avait permis aux êtres humains de rester en vie. Personne n'avait jamais revu une seule des victime des anges. Ils ne laissaient jamais repartir qui que ce soit. Jamais.
Elle demeurait consciente. Et l'ange lui sourit, magnifique. Il se tourna vers la forêt, et elle sentit son corps s'avancer mécaniquement. Le vent lui-même paraissait la pousser, droit vers elle. Chacun des pas vacillants l'amenait plus près des troncs immenses et resserrés. Des buissons rampaient hors de la forêt, mais n'allaient pas bien loin, regroupée autour des hauts feuillages qui s'évasaient vers le ciel. Il lui semblait percevoir des choses dans l'ombre, là bas, entre les arbres. Des mouvements précipités, des chuchotis. Mais rien n'était pire que la lumière qui brillait à côté d'elle.
- 17 ans...Il en a fallu, du temps, à attendre...Oh, ce n'est rien, pour moi, bien sûr. Mais j'étais si impatient, cela m'a paru immense... Et la pente redescendait, doucement, ses pieds avançaient dans les herbes hautes qui avaient envahis le chemin, trouvant tout seuls où se poser, tranquillement, alors qu'elle hurlait à ses muscles de se contracter, de s'arrêter, même plus de reculer, non, simplement de s'arrêter...
- Je ferais attention, tu imagines...Je ne te casserais pas trop vite. Pourquoi faut-il que vous mourriez ? Et c'était proche, là, devant, les premières racines, quelques mètres encore, et elle les toucherait, et les ombres derrière les arbres frémissaient. S'arrêter, s'interrompre. Non, même plus. Elle essayait juste de réagir.
Bouge. Bouge. Elle essayait, tout, n'importe quoi, même bouger son œil figé droit devant elle, juste ça, mais non, ça ne fonctionnait pas.
Allez. Bouge. Elle essayait de crisper, juste se crisper, chanceler, tomber...Et alors...Sauf que son corps avançait, encore, sans cesse.
Bouge, bouge, bouge. Ses yeux lui faisaient mal. Elle ne pouvait pas les cligner. Même instinctivement, elle ne pouvait pas. Plus rien ne marchait.
Non, non, allez, bouge... Est-ce qu'il y avait quelque chose qu'elle n'avait pas essayé ? Quelque chose, n'importe quoi ?
Réfléchis. Réfléchis. Il faut que tu bouges. Elle ne voyait rien, non, rien...La première ombre d'arbre glissa sur sa botte...Finit...Non...
Bouge ! Ça bougea.
- Ah ? La voix cristalline était étrangement interrogative. Fascinée . Un cliquetis retentit, le bruit de métal qui tombe par terre. En même temps, Claude sentit soudain son corps se tourner, violemment, et elle se retrouva face à la créature dans une position instable, comme involontaire. Face à elle, l'ange, étonné, avait levé son bras. Des cloques bizarres gondolaient sa peau, incongrues, pas à leur place. Elles formaient comme une ligne, qui partait de sa main, et elles se multipliaient, de plus en plus vite, rongeant sa peau lumineuse, soulevant sa chair brillante, dévorant les moindres centimètres qui les rapprochaient de sa poitrine nue. Puis la dernière atteignit son cœur. Et elle explosa.
BAM !
La déflagration souffla d'un coup, projeta puissamment Claude vers l'arrière. Loin. Très loin. Elle sentit des choses derrière elle défiler, à toute vitesse, dans son dos, quelque part sous elle, et tout autour. Le vent hurlait à ses oreilles. Mais elle n'entendait plus rien. Et ses yeux fermés ne lui permettait pas de voir. Elle ne pouvait pas les ouvrir. Une lumière blanche, trop forte, douloureuse, les brûlaient.
Puis son dos heurta violemment quelque chose. Sa respiration se bloqua sous le choc. Désorientée, elle palpa maladroitement ce qu'elle venait de heurter -froid et dur, de la pierre- et, à l'aveuglette, se cacha derrière. Enfin, elle pût ouvrir les yeux.
Autour du rocher, se découpant autour de son ombre minuscule, une lumière blanche épaisse éclaboussait tout. Rien. On ne voyait plus rien. Cela ne dura qu'un instant. Et la lumière recula, s'étrécit, s'éloigna à toute vitesse, perdant de sa force. Claude s'écarta du rocher, aimantée par elle. La lueur violente reculait encore, loin, très loin, se concentrait, et soudain, à un endroit qui semblait incroyablement éloignée, toujours visible pourtant, elle partit vers le ciel en une longue colonne blanche qui lui semblait un filament. Pendant une seconde, elle brilla , s'élançant vers l'orage ,brillant d'un éclat douloureux, puis soudain elle disparu.
Claude s'écarta un peu de la pierre. Les yeux toujours tournés vers le ciel, la bouche entrouverte, elle tentait de comprendre ce qu'il venait de se passer. Ses pupilles sombres fouillaient l'espace à la recherche de la silhouette qui n'allait pas manquer de se profiler, riante, expliquant que ce n'était qu'un jeu, pour lui donner un peu d'espoir, et le voir se briser aussi sec. Elle ne vint pas. L'ange avait disparu. Tout simplement. Il n'était plus là.
- Oh, c'est pas vrai. Sa voix tremblait dans le silence, et elle l'entendit à peine, sous le bourdonnement de ses oreilles, mais de toute façon, elle ne l'écoutait pas. Elle ne parlait pas pour dire quoi que ce soit.
C'est alors qu'elle prit conscience qu'il y avait la forêt. Elle ne la vit pas devant elle, elle se retourna...mais ne la vit pas non plus. La forêt avait disparu. Non, plus de forêt, plus d'ange, mais même plus de collines ou quoi que ce soit de l'endroit où elle se trouvait quelques secondes plus tôt. A la place il y avait une grande prairie vide, à peine vallonnée au loin, un certain nombre de rochers. Et, découpant cette vision, un chemin très large et pavé qui s'avançait fièrement au loin, ainsi qu'un grand panneau placé à côté où des signes qu'elle ne savait pas déchiffrer tournaient furtivement en lettres d'or.
Ce n'était pas l'endroit où elle aurait du se trouver.
Elle chancela. Son cœur battait si fort qu'on aurait dit qu'il voulait s'échapper loin de sa cage thoracique pour repartir beaucoup plus loin, dans un monde ou le corps qu'il animait n'aurait pas été menacé par un ange, contrôlé par lui, puis envoyé mystérieusement parcourir des distances incroyables dans un vol aveugle. Oui, peu à peu elle comprenait. Quelqu'un...Quelqu'un les avait envoyées ici, à la mort...Sans doute celui à qui elle appartenait, oui...Et là... L'envoyé de Dieu corrompu l'avait approchée, l'avait capturée, l'aurait torturé en la maintenant en vie pour toujours... Elle se mit à trembler sans pouvoir s'arrêter. L'ange l'emmenait, il avait été proche, si proche – ses bras se serrèrent convulsivement autour de sa poitrine, comme pour se protéger – elle avait pu sentir sa lumière – ses lèvres se serrèrent en une moue dégoûtée - , et elle n'avait pas pu s'enfuir, parce qu'il était là, elle n'avait pas eu le choix, ce n'était plus une question de choix, c'était juste pour
lui , ce choix. Et des larmes dégoulinaient de ses yeux écarquillés , traînaient sur sa figure avant d'aller éclabousser les brins d'herbe du sol.
Mais il n'était plus là. Elle ne comprenait pas pourquoi, ni comment, mais il n'était plus là. Et toute cette violence grimaçante et cette douleur aliénante , c'était partit, oui,
c'est partit, allez. Mais son cœur battait toujours beaucoup trop vite, sa respiration hachée ne voulait pas se calmer, et son regard sautait d'images en images, cherchant si...allait revenir.
Elle se redressa, rapidement, avec des gestes brusques, vibrante d'adrénaline, et, sans plus s'interroger, sans un regard en arrière, elle rejoignit les pavés qui brillaient sous les nuages. Alors elle prit simplement une grande inspiration. Et la fuite.
- couleurs:
Claude parle en [royalblue], Annie en [Rosybrown] et l'ange n'a pas besoin de couleur parce que c'est un ANGE okay il a pas besoin de couleur lui lol non mais sérieux vous le prenez pour qui au juste?!
- HRP:
Le Victor blond a disparu, les portes de l'Enfer se sont refermées. Alléluia!