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Christiana Von Carter

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Christiana Von Carter Empty Christiana Von Carter

Message  Invité Mer 26 Sep - 21:04


    Prénom : Christiana
    Nom :Von Carter
    Surnom : Honey (uniquement par son père), 'Tiana (par ses "amis"), Princesse (par ses frères)
    Âge : 25 ans

    Époque et lieu de naissance :
    Upadek, Etats-Unis, New-York, le 15 juin 1920.

    Physique :
       Christiana était un petit brin de femme qui n'avait de petit que la taille. Du haut de son 1,58m, elle arborait une fierté sans pareil, résultant d'un port de tête hautain. La taille fine, des petites jambes, des hanches assez plate, une silhouette fluette qui lui était possible sans le port de l'inconfortable gaine. Seule "tâche" sur ce corps élancé, une poitrine un peu au dessus de la moyenne. Sa poitrine jouait comme un petit rappel à la féminité. Mais c'était aussi un atout pour elle, qui évoluait entourée d'hommes. Pour être écoutée, il fallait être vue. Sa poitrine, avec son bonnet D, faisait parfaitement l'affaire car physiquement, elle ne s'arrangeait pas pour être remarquée.

       Tout le monde lui disait qu'elle était le portrait craché de sa mère. Même visage, même voix, mêmes mimiques. Elle portait même son prénom. Elle aurait pu être sa mère, si il n'y avait pas une telle froideur qui se dégageait de son visage. Elle était quasiment inexpressive. Toujours le regard droit, observateur, critique, sévère et autoritaire. Sa bouche pulpeuse et peu souriante était toujours close, comme si l'entrouvrir pouvait laisser sortir des mots, des pensées, des morceaux d'elle. Comme si sa bouche était le couvercle de la boite de Pandore et que l'ouvrir ferait sortir tous les maux de la Terre. Christiana avait la peau naturellement claire mais la noirceur de ses yeux et de sa longue chevelure accentuait la pâleur de ses traits. Elle se maquillait très peu, afin de ne pas entacher l'austérité qui se libérait d'elle.
       Pour parfaire son physique intransigeant, rude, inébranlable, Christiana évitait les tenues colorées. Elle ne passait pas une journée sans porter un vêtement noir. Le haut, le bas, les deux… elle en avait besoin. Après tout, c'était son arme. C'était son bouclier. C'était elle. Ne rien montrer, ne rien laisser sous-entendre.

       A croire qu'elle faisait tout pour être l'opposée de sa mère, qui était enjouée, acidulée, bruyante, remarquable et remarquée. Christiana se parait pour être l'opposée de sa mère. Pour faire taire les comparaisons. En vain. Plus elle s'écartait du modèle maternel, plus on lui rappelait comment sa mère se comportait, se présentait, s'affichait. Mais Christiana n'aimait pas s'afficher. Elle préférait l'ombre à la lumière. Pour passer inaperçue dans l'ombre, il lui fallait donc s'habiller comme une ombre. Le noir était sa couleur. Le noir était sa profondeur. Noir de mélancolie.



    Caractère
    Si elle ne souriait pas, Christiana n'était pas pour autant une personne triste, maussade. Ho non ! Elle avait de l'humour, quoi qu'un peu tranchant. Elle était relativement mélancolique, certes, mais elle savait parfois faire preuve d'optimisme, il lui arrivait d'être d'une grande motivation, voire enjouée. De nature, elle appréciait le calme. De temps en temps, elle sortait, s'amusait, ne s'ennuyait pas et appréciait même cela. Elle évitait juste de trop le montrer pour ne pas casser son austérité naturelle, un atout dans un monde d'homme. Et à ses yeux, rien ne valait le calme de sa chambre et son besoin de solitude la rappelait à l'ordre, quand elle était trop entourée. Peu bavarde avec des inconnus, elle savait tout de même s'ouvrir à ses amis proches, à sa famille. Et surtout, elle aimait espionner. Ecouter et suivre en douce. Surtout Drew, le plus âgés et cavaleur de la fratrie. Christiana était d’une telle curiosité qu’elle ne voyait jamais le danger qu’elle pouvait courir.
       Christiana n'aimait pas grand-chose, mais quand elle se passionnait pour quelque chose ou quelqu'un elle ne le faisait pas à moitié. Elle aimait ou elle détestait. Elle avait entièrement confiance ou elle se méfiait totalement. Elle méprisait ou elle adorait. Avec elle, c'était tout ou rien. Les extrêmes. C'étaient ce qui qualifiait le mieux Christiana. "Extrême". Son humeur pouvait aller d'un bout à l'autre. Elle était lunatique et travaillait sur elle pour le cacher. Pouvant s'énerver pour un rien ou s'émouvoir pour peu, pleurant ou fulminant intérieurement. Toujours tout intérieurement.
       Christiana n'était pas expansive en sentiment. Montrer ses sentiments, ses peines et ses joies était, selon elle, un signe de faiblesse. On ne montrait pas ses faiblesses, on les gardait pour mieux les maîtriser. Si elle voulait pleurer, elle se cachait. Si elle voulait rire, elle se contentait de sourire. Seule la colère sortait sans retenue. Elle serrait les poings, crispait les bras, serrait les mâchoires, et fulminait ouvertement sur l'objet de sa colère.
       Les rares signes d'affection, sourires et rires étaient pour son père et ses frères. Les hommes de sa vie. Quand ils étaient près d'elle, pas besoin de bouclier ou d'arme pour se défendre. Elle se laissait donc aller en émotion. Mais en leur absence, son bouclier était sa retenue et sa froideur, qualité de la jeune femme d'affaire qu'elle était. Son père et ses frères étaient là pour elle, rien que pour elle. Du moins, le temps qu'ils purent. Christiana avait leur affection et le leur rendait bien. Mais uniquement à eux et personne d'autre. Elle était assez débrouillarde, la vie ne lui avait pas laissé le choix. Quoi que vite perdue sans eux. Et capable du pire…


Ordre choisi : Ambitieuse

Métier exercé dans l'époque d'origine : Gérante, puis copropriétaire d'un club (anciennement un speakeasy de son père).

Métier ou fonction après son premier voyage : tout va dépendre de son évolution, mais dans un premier temps, il ne vaut mieux pas qu'elle travaille



Histoire :


- Les jeunes années -
Christiana n‘avait pas de souvenirs très clairs de sa petite enfance. Juste quelques brides du Bacchus Club, leur speakeasy de New-York, comme le bureau paternel, la scène où sa mère chantait avant sa disparition, la ruelle de derrière où des hommes parfois bizarres faisaient des allées et venues. Christiana observait tout ça de la petite fenêtre d‘une cave du club.
À 4 ans, elle grimpait en haut d‘une pile de cartons, avec l’aide de son frère Kyle, âgé de 6 ans, pour observer son père faire « affaire ». Il fallait avoir le cœur accroché pour rester à espionner sans avoir peur, sans pleurer, sans crier. C’était peut-être ce qui avait forgé le caractère introverti de Christiana. Et aussi, surement, le fait d’entendre son père scander aux deux frères aînés :

- Les pleurs, c’est pour les fillettes, pas pour les Von Carter !

Kyle et elle étaient trop petits pour avoir droit à ce genre de sermon. Quoi que Kyle commençait à recevoir les « conseils » du grand papa mafieux. Seule Christiana avait droit aux conseils les plus doux :

- Sois une gentille fille et tu auras tout ce que tu voudras, tu entends Honey, reste notre jolie princesse et quand tu seras grande, tu seras la femme la plus heureuse, la plus belle, la mieux habillée, la mieux parée, la plus adulée de New-york. Tu seras l’Etoile du Bacchus ! Comme maman. Toute la ville viendra pour te voir, et peut-être pour t’écouter chanter. Comme maman.

Comme maman. Christiana aurait aimé la rencontrer, cette maman. Drew, Jared et Kyle, ses trois frères aînés, lui parlaient souvent de « maman ». Une belle femme rigolote, souriante, aimante, quoi qu’un peu sévère. Une maman parfaite, selon leurs dires. Une maman française, à la voix et au visage inconnus pour Christiana. Dans l’appartement au-dessus du Bacchus, rien ne laissait présager la présence d’une femme par le passé. Plus de photo, plus de maquillage et de parfum sur la coiffeuse. Plus de robe dans le placard. Plus de chaussures dans l’entrée. Et sur scène, il n’y avait plus son tabouret.
Un jour, lors de sa cinquième année, suite à une chute dans l‘escalier de la cave, entrainant une belle entorse, Christiana resta inconsolable. Drew avait eu la bonne idée de sortir de grenier un disque phonographique bien caché par leur père. Protégé comme une relique, mis hors d’atteinte pour le préserver du temps et des oreilles indiscrètes, juste à côté des robes, des chaussures, des parfums et des bijoux. Ce disque était un trésor. Comme le reste des affaires maternelles. C’était le seul et unique disque de leur mère. Il avait été enregistré en 1920, un soir où le Bacchus était plein à craquer, avant la naissance de Christiana. Egoïstement, leur père l’avait caché à la disparition de sa femme. Il le gardait surement pour lui. Mais l’idée que sa fille ait besoin d’une chose de sa mère, d’une simple photo ou d’une simple odeur, ne lui avait jamais effleuré l’esprit. Drew, lui, avait compris. Sans réfléchir, il avait lancé le disque. Dans le salon privé des Von Carter, la voix de leur mère raisonnait à nouveau. 5 ans qu‘elle ne l‘avait pas fait.
une chanson du disque:
Préférant éviter les foudres de leur père, Jared et Kyle s’étaient déchargés de toutes responsabilités en allant tout simplement dénoncer leur frère ainé. Le coup de ceinture aurait pu tomber. Ce qui épargna Drew, ce fut le sourire radieux de Christiana. Malgré les larmes séchées sur ses joues, elle souriait, les yeux brillants. Ce jour-là, Georges Von Carter descendit du grenier les cartons. Que ne ferait-il pas pour sa princesse. Les robes retrouvèrent un placard (celui de Christiana), les photos eurent de nouveau des tables où trôner (dont la table de chevet de la petite fille), le disque était une nouvelle fois chatouillé par le phonographe.

1929. Cette année marqua la fin de sa vie de princesse. Les responsabilités et une révélation allaient tout bouleverser.
Janvier, Drew perdit la vie dans un accident de voiture.
Mars, Georges Von Carter tombait malade. Une pneumonie dont il ne se remettra pas vraiment. Elle l’affaiblira.
Novembre, le Krach boursier. Le Bacchus était au bord de la faillite. Mais l’ingéniosité de Jared sortit les Von Carter des ennuis financiers. Le « nouveau » frère aîné avait réussi à récupérer de l’argent prêté à un clan afro-américain. L’accueil fut musclé, haches et armes à feu. Les hommes de Jared prirent le dessus. L’argent prêté fut récupéré et le Bacchus sauvé. A quel prix ? Au prix d‘un bras droit. Celui de Jared. Un coup de machette, une blessure grave, une amputation. Jared devint infirme. Une honte pour le gros bras de la fratrie. Le voilà aux soins de celle qu’il protégeait. Les rôles entre Jared et Christiana s’étaient inversés pour certaines choses. Le protecteur devenait le protégé. Ce qui, à l’adolescence de Christiana, n’empêchait pas Jared de tabasser les hommes trop entreprenants.
Décembre, en pleine prohibition, alors que les affaires marchaient bien, le Bacchus faillit partir en fumée. La faute à qui ? À Christiana et sa manie de grimper sur les cartons. Une petite bougie, du carton et des vieux journaux. Il ne fallut rien de plus pour enflammer la cave. Heureusement que Kyle était là. Il était toujours là. Il ne regardait plus les rixes, les échanges et manigances dans la ruelle. Il se contentait d’être dans le couloir, à attendre sa fouine de sœur. Elle n’en serait jamais ressortie sans Kyle. Cette mésaventure avait valu la punition du siècle à son frère, qui en bon protecteur, s’était dénoncé pour lui épargner les douloureuses corrections de leur père. Depuis ce jour, Christiana n’espionnait plus dans la cave. Non. Mademoiselle allait dans la rue, pour voir de plus prêt les « affaires » de papa Von Carter. Cela ne déplaisait pas à son père. Il la trouvait courageuse, sa petite Honey. À tel point qu’elle avait maintenant droit à ses sermons d’homme :

- Si on ne peut pas vivre, alors il faut survivre. Mais choisir la mort, c'est le principe des faibles ! Un Von Carter ne pleure pas. Même une jolie princesse comme toi. Il te faut comprendre une chose Honey : Si tu es heureuse, ne le montre qu’à ceux qui le méritent. Si tu es en colère, explose et fais-le comprendre à la terre entière ! Mais si tu es triste, ne pleures que pour toi. Comme je l’ai fait quand maman est partie. Quand elle a disparu de la circulation, je n'ai pas chialé. J’étais fort, pour toi et tes frères. Pour toi surtout. Tu étais encore qu’un petit bébé fragile. Mon petit Honey. Regarde-toi ! 9 ans et tu oses descendre dans la ruelle ! Je suis fière de mon brin de princesse. Même Drew ne l’aurait pas fait à cet âge. Ha Drew…


Partie ? Disparu de la circulation ? Christiana ne comprit pas ce qu’il voulut dire. Ou plutôt, elle refusa de comprendre. Pour elle, et selon ce qui lui avait été raconté, sa mère était morte quelques jours après sa naissance. Pour elle, sa mère n’était qu’une voix sur un disque, un visage sur une photographie, l’odeur d’un vieux parfum, les couleurs des vieilles robes du soir. Christiana oublia ces mots. Et elle continua de grandir en occultant volontairement la possibilité que quelque part, dans une rue, une ville, un pays… sa mère vivait.

Christiana continua de grandir. Elle allait à l’école, parce qu’il le fallait. Mais son éducation se faisait surtout au Bacchus. Dans l’ombre de son père et de Jared, qui reprenait peu à peu les affaires administratives. Toujours dans un coin sombre du bureau, elle écoutait les conversations. Jared étant infirme, souvent malade et un peu dépressif, Christiana devait être à la hauteur pour le seconder, en cas de crise dépressive importante. Il lui était arrivé, vers 13/14 ans, de gérer toute une soirée, juste parce que son père était alité et Jared en pleine tourmente, dû au syndrome du membre fantôme. Les responsabilités lui tombaient dessus rapidement, sournoisement. Cela avait taillé son caractère froid, hautain, autoritaire. Une Von Carter avait été forgée. Un contenant à l’image de sa mère pour un contenu identique à son père.
Seul Kyle « sortaient » du Bacchus pour suivre des études. Médecine. Kyle était intelligent. Christiana l’admirait. Il était sa fenêtre sur le monde extérieur.

Depuis 1929, Christiana n’avait pas connu d’année sombre. Et si des malheurs arrivaient, elle les accueillait avec plus de maturité, de force. Néanmoins, elle avait le sentiment que quelque chose lui échappait.
Chaque dimanche matin, elle se forçait à accompagner Jared à la messe. Le seul Von Carter véritablement croyant. Et après cette escapade pieuse, avant de déjeuner, elle s’accordait une écoute du disque de sa mère. Toujours assise près de la fenêtre donnant sur l’entrée du Bacchus, un foulard de sa mère autour du cou, un collier de perles en main, qu’elle faisait glisser comme un chapelet, elle l’écoutait. Avec le temps, le son avait perdu en qualité. Qu’importe, il était gravé dans sa mémoire. Christiana avait cette habitude.
Mais un jour, de sa fenêtre, elle vit son père et Jared sortir, se chamailler et s‘engouffrer dans la fameuse ruelle où bien des hommes avaient failli perdre la vie. Quelque chose lui revint en mémoire. Une partie du sermon de ses 9 ans, entendu dans cette ruelle : « Si on ne peut pas vivre, alors il faut survivre. Mais choisir la mort, c'est le principe des faibles ! » Mais que penser quand la vie qui nous entourait ne nous attirait plus. Ne nous captivait plus. Quand elle endormait, ennuyait et tuait à petit feu ?
Christiana coupa le phonographe et pour la première fois, un dimanche midi, elle alluma la radio. C’était le dimanche 7 décembre 1941. La base de Pearl Harbor venait d’être attaquée par les Kamikazes japonais. Christiana avait 21 ans. Kyle arriva dans le salon. D‘habitude il écoutait en douce le disque. Cette fois-ci il sortit de sa cachette et fit la déclaration qui changea la vie de Christiana :

- Si nous entrons en guerre, je pars pour me battre.

La réaction de Christiana fut immédiate. Sourcils froncés, regard empli de reproches, souffle fort, doigts crispés. La colère montait. La petite fille capricieuse avec ses frères avait laissé place, avec le temps, à une jeune femme autoritaire et exigeante. Les Von Carter n'étaient plus sous le joug du père "parrain", mais plutôt sous un matriarcat, avec à sa tête : Christiana. Le Bacchus était la tour de la princesse.

- Cette fois-ci, je ne cèderai pas, conclut Kyle. Pas la peine de me faire ces yeux. On ne peut pas vivre éternellement au Bacchus. Un jour, il faut sortir. Dans les contes pour enfants, tôt ou tard, les princesses doivent quitter leur château. Tu devrais profiter de cette guerre pour t'émanciper du Bacchus, de papa, de Jared… même de moi.




- La maturation -
Après moultes menaces, ordres, jurons de la part de sa sœur, Kyle quitta le Bacchus en tant que médecin militaire. Elle le quitta sur des mots douloureux. Sur des derniers mots difficiles. Derniers, car il ne reviendra jamais. Il fut porté disparu lors de sa première permission, dans un village français. Aucun corps n'avait été retrouvé. Aucune trace de lui. Il avait disparu de la circulation, comme leur mère. Juste disparu. Quelques mois après cet évènement, Georges Von Carter mourut d'un cancer qu'il avait soigneusement caché à ses enfants. Sur quatre, celui-ci était le deuxième enterrement de la famille où un corps meubla le cercueil. Deuxième enterrement où il y avait véritablement quelqu'un à pleurer. Enfin… pleurer était un bien grand mot pour des Von Carter. Ruminer la tristesse était plus significatif.
Jared et Christiana étaient maintenant seuls, au Bacchus, dans leur château doré.

Pearl Harbor. La Guerre. Le départ de Kyle puis sa disparition, la perte d'une moitié, en quelque sorte, presque d‘un jumeau. La perte de son père, la vie avec un frère de plus en plus triste, la gestion du Bacchus… Christiana ne vivait pas. Elle survivait et se terrait davantage en son sein. Son enfermement s'accentuait. Les rires et les sourires disparurent peu à peu. Il ne restait plus qu'une enveloppe austère. Trop austère pour une jeune femme de 22 ans. Célibataire, n'ayant eu que très, trop, peu d'amants, protectrice d'un frère de 15 ans son aîné, qui ne savait rien faire d'autre que se lamenter. Propriétaire d'un club renommé mais qui lui bouffait littéralement l'existence et l'énergie. Son château se transformait en prison dorée. Christiana errait dans le Bacchus Club. Fini les dimanches midi dans le fauteuil à écouter sa mère chanter. Fini les espionnages dans la ruelle. De toute façon, elle n'avait plus personne à espionner. Personne à part son reflet dans le miroir. Reflet qu'elle fuyait. Trop réaliste, trop représentatif de la réalité. Il montrait à Christiana que sa vie lui échappait.

À la fin de la guerre, la liesse exaltait les foules. Même au Bacchus. Jared semblait heureux. Il avait fait une rencontre. Celle d'une aide soignante de la croix rouge. Il avait une nouvelle infirmière. Son infirmière. Christiana redevint la petite sœur. Même pas une princesse, juste la petite sœur de Jared. Il quitta alors l'appartement au-dessus du Bacchus et reprit les affaires en main, avec sa sœur.
La guerre étant terminée, tout le monde était heureux, tout le monde s'embrassait, chantait, dansait, buvait. L'oisiveté s'emparait de la jeunesse.
Mais Christiana était seule dans son club. Elle y voyait bien ses "amis", buvait un peu mais pas trop, pour garder l'esprit clair dans les affaires qu'elle cogérait avec Jared, elle dansait un peu, quand un gros client l'invitait.
À 25 ans sa vie se résumait toujours au Bacchus. Pas de mari, pas d'amant, un semblant de famille qui ne vivait plus près d'elle. Personne à part son reflet dans le miroir de sa chambre. Son fief, dont la porte n'était que l'avant-dernier rempart à franchir pour accéder au plus profond de son être. Sa chambre, qui sentait les effluves du vieux parfum de sa mère, dont le placard regorgeait des vieilles robes.

Un soir d'automne 1945, le Bacchus était plein, elle sortit du bureau où, comme son père, Jared et elle y passaient leurs soirées enfermés à travailler. Elle tenta de se mêler aux clients.
La soirée qui remet en question:
Elle ne se sentait pas à sa place dans ce monde de joie. Là, se lève le voile. Et si en réalité, sa place n'avait jamais été là où elle se trouvait. Pourquoi cette illusion ? Cette sensation d'être là alors qu'en réalité, cette place n'était pas la bonne ?
La noirceur qui l'avait entourée pendant 25 ans, celle des affaires de son père, celle de son frère Jared, celle du fantôme de sa mère… cette noirceur s'était logée au plus profond d'elle. Sa seule lumière était Kyle. Elle s'était éteinte, laissant une pleine liberté au noir qui la mangeait de l'intérieur, peu à peu.



- Rupture -

Il lui fallait mettre fin à cette illusion de vie. Son père avait souvent raison. Mais il eut tort sur une chose. Il était préférable de vivre que de survivre. Et la mort était parfois la seule échappatoire. Disparaître de la circulation aussi. Peut-être que Kyle avait déserté l'armée, fui le Bacchus et les siens, pour vivre heureux sans le poids noir des Von Carter. Quitte à abandonner sa princesse de sœur.

Octobre 1945. Un soir, Christiana décida de ne pas aller travailler. Jared n'allait pas le lui reprocher, après tout ce qu'elle avait fait pour lui. Il lui laissa même les clés de sa voiture. Ce soir-là, il pleuvait. Christiana sortit. Elle roula. Loin du Bacchus. Elle roulait sans savoir où aller. Elle était certaine d'une chose : elle avançait. Sous des trombes d'eau. Elle avançait. Elle filait jusqu'à ce que, devant elle, un pont apparut. Elle ne savait pas où elle avait atterri. Mais ce pont lui fit du bien. Elle voyait ce pont comme la fin d'une chose et le début d'une autre. Quelles choses ? Elle n'en savait rien. Peut-être la vie et la mort. L'obscurité et la lumière. Le bien et le mal.
Elle descendit de voiture, sans couper le contact. S'éclairant des phares du véhicule, avançant sous la pluie glacée, elle s'approcha de la rambarde métallique. Elle se pencha et vit l'eau, plus bas.
Elle respira profondément, la tête penchée en arrière, les yeux levés vers les étoiles, elle laissa aller sa tristesse accumulée au fil des années. Les larmes coulèrent. 25 années de larmes. Mêlées à la pluie, personne n'allait les voir. Elle pouvait se laisser aller sans montrer qu'elle baissait ses barrières.
Il n'y avait rien qu'elle, la voiture qui tournait, ses larmes et la pluie. Personne. Pas âme qui vive. Elle porta une main à son cou et saisit le pendentif qu'elle portait. Une croix. Cadeau de Jared après avoir rencontré sa femme. Cette croix lui appartenait. Il disait ne plus en avoir l'utilité. Qu'elle devait guider une autre âme perdue.
Sur ce pont, la croix entre ses mains, Christiana cria son désespoir, sa peine d'être perdue et seule sans pour autant l'être, sa colère de se sentir vide dans un monde pourtant plein. Elle hurla et demanda pourquoi ce temps et ces lieux lui semblaient ne pas être les siens. Elle cria contre celui que Jared appelait Dieu et lui demanda pourquoi il lui faisait subir ça.
Elle lui demanda un signe.
N'importe quoi.
Quelque chose.
Un signe qui pourrait la retenir, l'empêcher d'enjamber la balustrade et de sauter dans l'eau, pour ne jamais en sortir et disparaître, à son tour, comme bien des gens. Comme sa mère. Comme Kyle. Comme les portés disparus. Partir sans laisser de trace.



    Possessions :
    -> Sa toilette :
    - tailleur noir
    - un chemisier noir à motif carrés blancs
    - des gants en cuir noir
    - un chapeau noir avec petit voile noir
    - chaussures noires à talon
    - des bas couleur chair
    - des sous-vêtements (lingerie fine) bien entendu !
    -> Son sac à main contenant :
    -  une trousse à maquillage
    - un carnet d'adresse peu rempli
    - un crayon
    - un petit couteau suisse hérité de son père
    - un portefeuille comprenant la photo de sa mère, de ses frères et de son père, 10 dollars.
    - des bonbons à ma menthe forte
    - Colt Bankers Special contenant 6 cartouches (petit cadeau de Kyle avant son départ)

    Permissions : Autorisez-vous la pnjisation de votre personnage par vos partenaires ? Merci de spécifier sur le pnjisomètre votre tolérance.

    • aucune : "je suis absolument et définitivement  allergique à toute pnjisation" ( auquel cas lors d'une absence prolongée dans un RP multi-joueur, vos partenaires devront faire comme si vous aviez disparu de leur champ de vision mais sans le dire, libre à vous  ensuite lors de votre retour dans le rp, de trouver une explication plausible à votre "disparition")


    Autorisez-vous les autres joueurs à influer sur le jeu de votre personnage via la zone RP Blue Hospel, c'est à dire à vous atteindre par le monde des rêves ? Pour le moment non.

    Disponibilités in RP (cadence de jeu): deux fois par mois au mini et une fois par semaine au maxi pour le moment. Plus si irl le permet.

    Espace personnel : [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

    Décharge responsabilité : En fonction de votre âge. Cette mention n'a pas pour but de vous montrer du doigt bien au contraire. Nous sommes un forum  12 ans et pour ce faire, par respect pour votre âge et par respect pour les administrateurs et la responsabilité qui leur incombe, nous vous demandons de vous déclarer par cette mention:

    Joueurs majeurs: "Moi, joueur du compte personnage Christiana Von Carter, déclare avoir pris connaissance que ce forum comporte une sous section interdite et cachée aux - 18 ans. Je prendrai soin de protéger la sensibilité des plus jeunes en usant des espaces consacrés si mes récits contiennent des propos violents, choquants ou à caractères érotiques. Toute infraction délibérée sera sanctionnée par la suppression de mon compte. Je prends connaissance de ces conditions en m'inscrivant et les accepte. L'administration du forum ne saurait en être tenue pour responsable."

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Message  Le Dévoreur de temps Dim 30 Sep - 20:14

Le Dévoreur de Temps était peut-être un personnage étrange et insaisissable qui effectuait des sauts d'un temps à l'autre comme certains changent de trottoir. Il était sans doute un être mu par une cause connue de lui seul et dont la quête ultime demeurait mystérieuse à la plupart des Voyageurs, pour autant il n'en restait pas moins un être humain sensible aux vibrations de ses congénères. Plus que tout, la vie était précieuse à ses yeux, infiniment précieuse, tant il l'avait vue reniée et bafouée dans sa vie première et il ne pouvait ignorer un appel de détresse lorsqu'il en captait un. Et il en captait souvent au cours de ses périples. Il faut bien vous figurer ce que peut donner une vie consacrée à arpenter les couloirs du Temps et les mondes parallèles pour imaginer le nombre d'âmes en désarroi qu'on peut y croiser surtout, si comme Radu Stanzas, on les cherche particulièrement.

Ce soir là, il portait toujours son éternel cache poussière en cuir qui, pour le coup, ne détonnait pas avec le temps qu'il arpentait. Normal puisque c'était son temps d'origine même si pas son lieu. Il n'était pas né sur le sol américain et avait vécu la guerre d'un autre point de vue. Il se matérialisa derrière la voiture dont le moteur tournait et la contourna en silence. Cette scène le tendit comme un arc. Il fallait qu'il mette la main sur la jeune femme près du parapet avant qu'elle ne le voie sans quoi, pouvait-on savoir quelle réaction elle pourrait avoir. Enjamber, sauter dans le vide et ensuite il serait quitte pour aller la repêcher sans certitude qu'elle soit encore en vie. Trop risqué. Il lui fallait donc opérer par surprise. La voiture l'y aida, ses phares projetant des faisceaux de lumière jaunâtres sur la jeune femme alors qu'ils le maintenaient, lui, dans l'obscurité par contraste, de sorte qu'elle n'aurait pas pu le voir avant qu'il sorte de l'ombre pour entrer dans la lumière. Pouvait-il lui dire que ce n'était pas par hasard qu'il passait par là mais que quelqu'un l'en avait prié ? Il hésitait et tournait ses phrases dans sa tête tandis que, les mains dans les poches de son grand manteau, il avançait dans l'ombre en longeant la voiture. Au loin, de l'autre côté du fleuve, derrière le ruban de brume qui s'accrochait aux rives, la vie s'épanouissait, la vie nocturne, et des effluves de musiques provenant des bastringues à jazz, et même de rires parvenaient aux oreilles du Grand Voyageur.

La jeune femme ne semblait pas y prêter attention le regard perdu dans le cours du fleuve. Il distinguait son profil droit et régulier, la courbe de sa nuque, son chignon assez strict sous le chapeau à la mode dont goûtait la pluie. Seulement à ce moment, il prit conscience qu'il faisait un temps de chien et que l'eau ruisselait aussi sur lui, lui plaquant les cheveux sur le crâne, suivait la courbe de sa mâchoire mal rasée, dégoulinait sur son manteau de cuir. Il devait avoir un air peu engageant. Il s'était arrêté d'avancer et la vit porter une main à sa poitrine pour en extirper un pendentif. Dans la lueur des phares, il perçut la forme du bijou. Une croix. Un pli amer se dessina au coin des lèvres de l'homme. Si elle croyait, alors tout n'était pas perdu. Les âmes pieuses étaient toujours plus faciles à rattraper. L'autre main de la jeune femme, appuyée sur la rambarde, tremblait pourtant. Colère, tristesse ? Il n'aurait su le dire car il n'avait pas le don de son comparse Zorvan. La personne qui lui avait demandé de passer par là avait pourtant raison. Il était temps qu'il intervienne, avant qu'elle ne fasse une bêtise, qu'elle regretterait peut-être immédiatement. Cette personne la surveillait de près depuis un moment et lui avait donné des informations précises sur ses activités et sur la rupture de routine qui avait lieu ce soir. Les événements semblaient se précipiter et c'est dans l'urgence que le Dévoreur de Temps avait franchi les kilomètres et les époques qui le séparaient de Christiana Von Carter. Alerté par cette âme qui chérissait la jeune femme, le Grand Voyageur avait tout laissé en plan dans un autre monde pour venir la cueillir au saut ... du pont. A la voir si bouleversée, il ne regrettait pas d'avoir remis à plus tard ses explorations sur Agedim' Prime, appellation qui ne manquerait pas de contrarier Zorvan s'il lisait dans ses pensées actuellement. Pour l'heure, il n'était plus le moment de tenter de racheter les erreurs d'un Prêtre Guerrier du XXIIIième siècle venu d'un autre système solaire mais bien de sauver une terrienne de son époque dont la situation paraissait bien plus critique.

Elle lui rappelait singulièrement une autre jeune femme, bien que physiquement, elle fût très différente, aussi brune que la sienne était rousse, aussi petite que Gala était grande. Il serra les poings dans ses poches et fit un pas sans sortir de l'ombre. Plus il en sauverait et moins la fatalité pourrait lui refuser de sauver celle qui lui avait été enlevée, du moins était-ce la logique inexplicable à laquelle il s'accrochait pour oeuvrer à cueillir les destins égarés qu'il croisait lors de sa quête. Elle aurait aimé qu'il utilise son pouvoir ainsi, il en était persuadé. Elle serait fière de lui le jour où il la retrouverait. Si jamais cela devait arriver. Et si cela n'arrivait jamais, tout du moins, sa découverte aurait-elle été utile à d'autres. Il chassa ces sombres pensées pour se concentrer sur le drame qui était en train de se jouer sous ses yeux. Respirant doucement pour calmer les battements de son coeur et rassembler sa volonté dans les nerfs de ses muscles, il ferma les yeux puis les rouvrit. Le bruit doux de la pluie sur le pavé ponctué par des impacts plus mats sur la carrosserie de la voiture fut couvert par le bruit d'une sirène au loin. Comme si c'était le signal pour passer à l'action, il bondit dans la clarté des phares et passa son bras autour de la taille de la jeune femme. Elle avait juste eu le temps de se retourner en voyant cette silhouette surprenante fondre sur elle, de sorte qu'elle lui fit face alors qu'il la serrait contre lui.

- Je crois que l'eau n'est pas à la bonne température pour un bain de minuit Mademoiselle Von Carter !
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Message  Invité Lun 1 Oct - 12:54

Une main sur la croix, l'autre sur la rambarde, les larmes coulaient toujours. Elle avait mal. Au plus profond d'elle, quelque chose se déchirait avec une facilité déconcertante. Aussi aisément qu'une feuille de papier. Un univers s'effritait, se fissurait, s'envolait. Non. Pas un univers. C'était elle qui partait en lambeau. Elle se croyait forte, capable de tout encaisser. Elle savait recevoir le meilleur comme le pire, mais uniquement quand il venait de l'extérieur. Une attaque de l'intérieur, c'était nouveau pour elle. Déstabilisant, humiliant, douloureux. Oui. Être face à la vérité était douloureux. Mais la vérité était toujours nécessaire pour avancer. Alors pourquoi tout ce temps pour voir cette satanée vérité ? Christiana n'avait-elle pas son reflet ? Ne lui lançait-il pas des messages de détresse ? Si. Il le faisait. Mais Christiana ne le voyait pas. Elle ne regardait plus son reflet. Elle le fuyait. Car au plus profond d'elle-même, elle le savait. Elle connaissait déjà la vérité.

La vérité.
C'était le mot préféré de Drew. Il disait surtout qu'avec les mensonges, il était facile de faire du mal aux autres et à soi-même. La vérité ressortait forcement un jour. Et souvent, c'était pour blesser. Il conseillait aussi à Christiana de se lâcher quand il s'agissait d'inconnus ou de personne n'ayant aucune valeur à ses yeux. À ce moment, il lui préconisait d'arranger les choses à sa sauce, pour son profit et celui de la famille. Christiana n'avait jamais vraiment appliqué ce conseil. Lorsqu'elle mentait, c'était pour se protéger et rien de plus. Pour endurcir sa carapace, affûter la lame aiguisée des monstruosités qu'elle pouvait cracher. Pour se mettre du baume au cœur et se dire : j'ai fais mal à l'autre, bien fait pour lui, il ne fallait pas m'attaquer. Concernant la vérité, elle écoutait plutôt Jared. Le très croyant Jared. L'homme au muscle de fer et à la foi de velours. Drew avait le chic pour les conseils à la Von Carter et Jared celui pour les humaniser un peu. Drew était l'aîné de la fratrie, il avait 18 ans de plus que Christiana. Elle aurait presque pu être sa fille. De toute façon, il avait eu sur elle un regard de père à enfant. Jared en avait 15 de plus. Des trois frères, il était le plus "fraternel". Quant à Kyle, il était tout le reste. Ami, confident, allié, soutien. Mais aussi lumineux, joyeux, attachant, aimant. Leur relation était presque fusionnelle. La faible différence d'age voulait ça. Et peut-être l'accident dans la cave.

Les larmes ayant été versées, la pression étant retombée, Christiana était parée pour 25 nouvelles années à retenir ses émotions. Elle était prête pour attendre 25 ans avant d'attendre la limite de sa soupape de sécurité. Maintenant, c'était tout son corps qui tremblait. Elle était gelée, trempée jusqu'à l'os. Des mèches de cheveux s'étaient plaquées sur son visage. Son tailleur lui collait au corps. Elle était frigorifiée. Elle n'avait qu'une hâte, retrouver un endroit paisible, agréable et apaisant pour se réchauffer. Mais où le trouver ? Même le Bacchus, terrain de jeu de son enfance, ne lui était plus profitable. Quand elle baissa la tête, quand les larmes cessèrent de couler, une question lui vint en tête. Deux en fait. Que faisait-elle là ? Qu'était-elle en train de faire ? Elle regarda de nouveau la rivière. Là elle comprit. Elle était à deux doigts d'aller goûter à l'eau.

- Ce ne sera pas pour maintenant Kyle, murmura-t-elle pour elle-même, après tout, elle était seule, ou du moins le pensait. Je me sens déjà mieux.

Kyle…
Christiana soupira à l'énonciation de ce prénom. Elle n'avait pas songé à lui depuis un moment. Pourquoi maintenant ? Peut-être parce qu'elle était à deux doigts de le rejoindre et qu'elle se préparait à lui demander pardon, si elle avait la chance de le rejoindre.
Que dirait-il si il la voyait ainsi ? Il ne dirait rien. Il la prendrait tout simplement dans ses bras. Il y avait des gestes qui valaient plus que des mots. Que ce fut pour faire du bien comme pour faire du mal. Des clins d'œil, des sourires, des tapes amicales, des bras accueillants et réconfortants. Des accolades, comme celle que Christiana reçut soudainement.

Un inconnu venait de l'enlacer, alors qu'elle s'apprêtait à retourner à sa voiture. Il l'avait fermement saisi par la taille et serré contre lui. Elle avait le visage plaqué contre le torse de l'homme. Elle se sentait si petite, si faible, si vulnérable. Aucun Von Carter pour la protéger. Pas même elle. Son bouclier venait de voler en éclat en libérant 25 ans de noirceur. En attendant de retrouver ses esprits et son armure de froideur, elle n'avait plus rien pour se défendre. Si. Elle avait bien quelque chose. Il était là, dans son sac à main, suspendu à son épaule. Mais l'étreinte de l'inconnu l'empêchait de s'en saisir. Christiana leva les mains contre elle, les fit glisser entre elle et l'inconnu. Puis, elle les plaqua contre l'homme et tendit brutalement les bras afin de briser son geste un peu trop entreprenant. Elle recula d'un pas et se libéra totalement. Le menton levé, le regard méprisant, les sourcils froncés, elle dévisageait comme elle put cet inconnu. Un long manteau noir et usé. Le visage caché de la lumière. Il devait s'être tenu silencieusement dans l'ombre, sinon elle aurait remarqué sa présence. Son allure laissa présager le pire à Christiana. En plus, il connaissait son nom. Certes, dans un certain milieu dangereux, les Von Carter étaient célèbres. Mais cet homme n'avait pas l'allure de ceux de son environnement, de ceux de l'univers du Bacchus Club des années 20 et 30. Les années mafieuses des Von Carter étaient loin. Elles s'étaient arrêtées avec le départ de Kyle et la mort de leur père. Il restait bien quelques petits trafics, mais rien de bien palpitant. L'inconnu n'avait pas non plus l'allure des militaires et des businessmen qui fréquentaient dorénavant son établissement. Qui était-il ? Son cœur s'emballa. La peur montait. Mais la présence rassurante de son colt Bankers Special, ce semblant de protection, lui permit de reprendre le dessus.
Sans se poser d'autre question, en une fraction de seconde, Christiana passa une main à son sac et la plongea dedans. A tâtons, elle chercha son autre arme. Sa véritable arme. Quand elle trouva la crosse, elle garda le cadeau meurtrier de Kyle à l'abri.

- Trois questions. Je veux trois réponses, exigea-t-elle à l'inconnu. Qui êtes-vous ? Pour qui travaillez-vous ? Et que me voulez-vous ? Je vous préviens, pas d'entourloupe… si vous connaissez mon nom, vous savez à qui vous avez affaire. Je joue dans la cour des grands, retenez bien cela.

Ces trois questions étaient souvent celles posées en premier par son père dans la ruelle, après qu'un de ses hommes ait violenté un autre. Elles avaient été les siennes, à ses débuts dans le banditisme, aux côtés de son père trop faible pour les poser lui-même et pour avoir le nez partout. Elle n'en avait pas fait usage depuis très longtemps. En un sens, cela lui avait manqué car c'était le bon vieux temps, où elle était le centre de l'univers des Von Carter. Le temps de l'innocence pas si innocente.

Quelque chose lui vint en tête. Et si l'homme était là sur ordre de Jared ? Son frère gardait des liens avec des petits délinquants redevables aux Von Carter. Le prêt de la voiture, le don d'une croix alors qu'il savait pertinemment que sa sœur n'était pas croyante... alors pourquoi pas un garde du corps. Oui. Jared en serait capable. Du moins le vieux Jared, celui du passé et non le Jared amoureux, marié et bientôt père de famille. Celui qui ne la considérait plus comme une princesse, mais comme une simple sœur et associée.
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Message  Le Dévoreur de temps Dim 7 Oct - 19:33

Farouche, très en colère, désespérée. Plusieurs qualificatifs vinrent à l'esprit du Dévoreur de Temps lorsqu'elle se dégagea fermement de son emprise. L'étreinte avait été un peu franche et directe mais nécessaire étant donné ce qu'elle s'apprêtait à faire. Il avait préféré risquer une gifle que de voir encore une personne commettre l'irréparable. Cette cruelle expérience lui était déjà arrivée alors qu'il venait chercher un apprenti voyageur, et cela plusieurs fois. Il était arrivé parfois trop tard, de peu, et avait vu la vie de celui ou de celle qu'il venait chercher lui filer entre les doigts, s'évanouir dans le néant. Il avait tant de fois vu la fin souvent tragique de ces âmes qu'il avait manqué de peu pour leur proposer une alternative, une dernière chance de changer de vie, d'en trouver une plus supportable. Alors il prenait maintenant des mesures parfois radicales. Enlacer une inconnue sur un pont était une mesure radicale mais efficace. La preuve, Christiana Von Carter ne pensait plus à enjamber la rambarde du pont mais à se fâcher contre lui. Le danger immédiat était écarté, la diversion avait fonctionné.

Alors qu'elle s'était dégagée avec énergie, sa main avait plongé machinalement dans son sac à main et le Voyageur savait trop ce qu'il pouvait contenir. Mademoiselle Von Carter était une femme dangereuse aux propres dires de la personne qui avait supplié le Dévoreur de la chercher pour la " sauver" d'elle-même. En étudiant le dossier de la jeune femme, il avait lui-même constaté qu'on n'avait pas exagéré la chose. La famille entière était dangereuse d'ailleurs, et avait un parcours atypique inscrit dans le milieu du crime organisé de la première moitié du XXième siècle. Il en fallait plus à Radu Stanzas pour s'émouvoir. Le danger, il l'avait toujours côtoyé depuis sa naissance et encore davantage depuis qu'il faisait des sauts dans le temps et les mondes parallèles. Le danger était un paramètre tellement ancré dans sa vie qu'il se demandait parfois comment il réagirait en son absence. Certainement qu'il se trouverait déstabilisé et désemparé par une existence calme et pacifiée. Il ne recula pas lorsqu'elle eut ce geste de le repousser plus loin et ne tenta pas d'arrêter son geste lorsque sa main fouilla dans le sac à main. Il savait très bien ce qu'elle pouvait en sortir et se contenta de croiser les bras en signe d'apaisement et de détermination. Il hocha la tête avec un demi-sourire à l'énoncé des questions de la jeune femme.

Il avança même d'un pas, sortant complètement de l'ombre et dévoilant la blancheur éclatante de sa chevelure qui repoussait un peu depuis qu'il s'était tondu. Son regard gris bleu fixa les yeux noirs alors qu'il murmurait doucement:

- Je suis celui qui vous a empêché de sauter dans le cours glacé du fleuve. Je n'agis que pour moi-même.

Il fit un pas vers la voiture dont le moteur tournait toujours et ouvrit la portière du conducteur.

- Vous êtes trempée, vous devriez venir vous mettre à l'abri. La pluie n'a pas l'air de vouloir s'arrêter et vous risquez bien de rencontrer celle que je voulais vous éviter par noyade d'une autre façon si vous n'enfilez pas très vite des vêtements secs.

Il savait en énonçant ces paroles qu'il lui laissait l'opportunité de retourner au club ou pas. Il voulait tester son attachement ou son rejet de cet univers qui était sien mais ne semblait plus la combler.

- Je veux bien et je peux tout vous expliquer, mais si je le fais ici, vous finirez à l'hôpital avec une pneumonie et cela retardera tout même si vous vous en remettez. Vous devez prendre quelque chose de chaud et changer de vêtements, une bonne douche chaude serait même souhaitable. Chez vous ou chez moi ?

Il devança sa réaction outrée en levant la main pour protester.

- Et n'allez pas croire que j'ai des intentions douteuses à votre égard. Si j'avais voulu abuser de vous, je vous aurais abordé tout à fait différemment, ne croyez-vous pas ? Et puis, je suis franchement à des lieues d'avoir ce genre de préoccupation... Lorsque vous entreverrez le début de ce qu'implique ma présence ici, vous le comprendrez rapidement... Mais pour cela il faut être prête à m'écouter... Alors, chez vous ou chez moi ? Conclut-il avant de monter dans la voiture pour prendre le volant.

De toute façon vu sa crise de nerfs, elle n'était pas en état de conduire et personne n'avait jamais conduit le Dévoreur que lui-même.
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Message  Invité Lun 8 Oct - 22:35

Cet inconnu ne manquait pas de gène. D'abord il enlaçait Christiana, il lui parlait comme si il la connaissait. Il avait une attitude des plus dérangeantes et étranges. Cela la mettait terriblement mal à l'aise. Elle se sentait épiée. Il la fixait avec une telle force qu'elle avait l'impression que son regard la transperçait. Il y avait autre chose qui la transperçait. C'était le froid. Elle était glacée. Ses tremblements se faisaient plus fort. Presque incontrôlables. Cette journée était pleine de choses incontrôlables. Un comble pour la femme qui contrôlait tout, jusqu'à la moindre de ses émotions. Après son mal-être au club, son envie de fuir, puis de pleurer et d'en finir, voila qu'elle n'arrivait plus à contrôler ses muscles. Christiana tenait toujours la crosse de son arme. Il fit un pas vers elle. Christiana en fit un en arrière et serra encore plus fermement son arme. Voila qu'il se dévoilant physiquement à elle. Il semblait âgé. Quoi que des cheveux blancs n'étaient pas forcement signe d'un âge avancé. Surtout que sa poigne n'était pas celle d'un vieillard. Ses yeux bleus étaient perçants. Ils mettaient Christiana mal à l'aise. Il soutenait son regard.

Voila une personne qui aurait pu être un adversaire de taille. Une personne pouvant faire front à la personnalité et au caractère de Christiana. Il l'aurait pu, si Christiana ne sortait pas d'un moment de faiblesse. Il lui répondit en toute simplicité qu'il l'avait juste empêché de faire une bêtise regrettable et qu'il ne l'avait fait sur aucune demande. Alors que faisait-il exactement ici ? Qu'est-ce qu'un homme seul pouvait-il faire ici, sur le pont, sous la pluie ? Surtout, comment était-il arrivé ici ? Il ne semblait pas y avoir d'autre véhicule autour d'eux.

- Vous… vous n'avez pas… pas répondu à mes questions. Qu… qui êtes-vous et qu… que me voulez-vous ? Demanda-t-elle en grelottant, la faisant un brin bégayer.

Christiana regarda l'homme. Pas de réponse. Que faisait-il maintenant ? Il se dirigeait vers la voiture de Jared. Il parla de nouveau. Ses mots firent froncer les sourcils de Christiana. Insinuait-il qu'elle puisse prendre froid et mourir ? Oui, à l'entendre parler de pneumonie, c'était bien ce à quoi il pensait. Un inconnu se souciait de la santé de Christiana, même de sa vie. C'était inhabituel. Encore une chose inhabituelle. La routine était loin. Que d'imprévus. Christiana n'avait pas pris de vêtements secs. Elle n'y avait pas songé. Elle avait quitté le club en trombe, n'emportant que son sac à main. La fuite s'était faite si pressante qu'elle n'avait pas bouclé bagage. Pourtant, elle n'avait pas l'intention de faire une promenade nocturne avec chemin en sens inverse. Elle voulait simplement partir et ne jamais revenir sur ces pas, quitte à ce que cela se fut terminé par un saut dans l'eau glacée. Enfiler des vêtements chauds n'était pas une solution envisageable. L'inconnu parlait maintenant de douche chaude et d'aller chez lui. Christiana se sentit subitement en danger. Il ne s'agissait pas d'un garde du corps. Ni d'un ancien ennemi des Von Carter, ni d'un bon samaritain venu empêcher un suicide. Il était un pervers ! Elle en était maintenant persuadée, l'inconnu était doué de mauvaises intentions, d'abord ses bras autour d'elle, puis cette proposition indécente. Christiana craignait pour son intégrité. Elle sortit son arme de son sac, la pointa sur l'homme, qui s'apprêtait à monter en voiture.

- Vous ne me toucherez pas ! S'écria-t-elle en tenant son arme en essayant de maîtriser ses tremblements. Si vous me touchez, je tire !

Christiana posa son bras libre contre sa poitrine afin de la masquer au mieux du regard de celui qu'elle prenait pour un vieux pervers.

- Prenez la voiture s'il le faut mais vous n'aurez rien de moi !

L'homme était maintenant en voiture. Il tenta de la rassurer. Christiana baissa son arme mais ne la rangea pas pour autant. Il pouvait très bien lui mentir. Elle en savait des choses sur les mensonges. Sa vie n'avait été entourée et faite que de mensonges.

Chez les Von Carter, chacun avait le sien pour cacher une vérité aux autres Von Carter, même Christiana. Parmi tous les mensonges, il y avait celui de son père concernant la véritable fin de sa mère, celui de Drew et sa manie de duper tout le monde pour cacher son homosexualité, celui de Jared lui permettant de cacher son addiction pour les jeux d'argent, celui de Kyle pour garder sa trop forte affection pour Christiana et celui de Christiana qui mentait sur son plaisir à aider sa famille sans prendre en compte ses désirs. Mais le plus gros de tous les mensonges était celui de tous les Von Carter réunis. C'était le mensonge visant à cacher au monde que Kyle avait été adopté, qu'il était le fils d'un homme d'affaire rival des Von Carter.
Kyle avait été tout simplement kidnappé alors qu'il était encore un bébé, pendant que sa nourrice le promenait dans Central Park. George s'était félicité de cette victoire, de cet enlèvement réussi, qui allait conduire à une belle rançon. A cette époque, sa femme allait avoir leur troisième enfant. Elle perdit l'enfant en fin de grossesse. Kyle était là, caché chez les Von Carter, prêt à être échangé contre une belle somme. A la naissance de son petit garçon mort-né, elle s'était prise d'affection pour le petit Kyle, dont elle ignorait le vrai nom.
Elle s'était appropriée l'enfant, elle lui avait donné le nom de son bébé. Tout le monde savait qu'il allait y avoir un nouveau-né chez les Von Carter, que la star de la famille ne chantait plus, qu'elle devait rester alitée. Alors forcement, personne ne se douta qu'elle n'avait pas donné la vie à Kyle, que celui-ci la sauvait d'une grave dépression. Tant pis pour l'homme d'affaire, il n'allait pas revoir son fils. Telle était la décision de George Von Carter. Kyle allait être et rester un Von Carter.
Ce secret fut révélé à Kyle vers ses 18 ans. D'abord en colère, déçu, il finit par accepter la révélation. Être adopté, cela signifiait ne pas partager de lien de sang avec Christiana. Il se sentait nettement moins coupable de la trop grande affection qu'il portait à sa petite sœur. Christiana l'apprit en même temps que Kyle. Elle l'avait accepté avec plus de facilité que Kyle lui-même. Mais elle ignorait pourquoi et ne cherchait pas à en connaître la raison. Kyle existait, il l'aimait. Cela lui suffisait.

Bref, l'inconnu l'attendait au volant de sa voiture et lui proposait deux choses : rentrer chez elle ou aller chez lui pour tout savoir. Le Bacchus ne portait plus l'étiquette "chez soi", "maison" ou "cocon". Non, le Bacchus n'était plus sa maison, c'était sa prison. L'idée d'aller chez l'inconnu ne lui plaisait pas. Il était un inconnu, bon ou mauvais, il restait un inconnu. Cela résumait tout.

- En effet, j'ai besoin de vêtement sec, accorda-t-elle en s'approchant de la voiture. Mais je n'ai pas l'intention de vous suivre chez vous. J'ignore qui vous êtes. J'ai des principes Monsieur et suivre aveuglement un inconnu chez lui n'en fait pas partie.

Christiana monta côté passager et posa son arme sur ses genoux. Elle ne la pointait pas vers l'inconnu, ne la tenait plus. Mais l'avoir sous les yeux la rassurait.

- Rentrer au Bacchus ne fait pas partit de mes projets. Je n'ai pas l'intention de suivre un inconnu chez lui sans avoir une raison valable de le faire. Par conséquent, nous allons sûrement être bloqués dans cette voiture le temps pour vous de me convaincre que le mot inconnu ne peut plus être utilisé pour vous qualifier. Ensuite, j'aviserai.

Peut-être qu'elle le suivrait. Après tout, où aller ? Elle n'avait pas l'intention de remettre les pieds au Bacchus. Ce n'était plus son foyer. C'était une prison. Jared lui avait laissé sa voiture, elle voyait cette offre de son frère comme un signe de sortir, de quitter le Bacchus comme Kyle et lui l'avaient fait. Certes, différemment Kyle avait fuit loin. Jared s'était construit sa famille. Alors autant profiter de cette voiture pour filer en toute liberté. Elle aurait bien été en France, pour chercher Kyle. Elle était persuadée qu'il vivait encore. Peut-être qu'elle suivrait l'inconnu, au moins pour se sécher, laver ses vêtements et repartir en quête d'un nouveau foyer, comme si de rien n'était… C'était envisageable. Le suivre pour vite repartir.

- Persuadez-moi, dit-elle à l'inconnu en posant sur lui un regard déterminé à avoir réponse à ses interrogations, à avoir quelque chose pour la rassurer, presque à la recherche d'aide, d'un petit quelque chose pour l'éclairer, la guider.

Si elle n'avait pas cette dureté naturelle sur son visage, on aurait pu qualifié son regard de suppliant. Difficile pour elle d'avouer cela. Autant dire qu'elle était faible. Il en était hors de question. Elle ne voulait pas se qualifier de faible.
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Message  Le Dévoreur de temps Ven 12 Oct - 21:22

Bien sûr, elle se montra terriblement méfiante et rétive face à l'invitation et la déclina. Il l'avait prévu et ne se découragea pas pour autant. Il avait senti le désespoir annonciateur des grands changements qui orchestrent une vie. Cette jeune femme était à bout et prête à sauter dans l'eau glacée, il n'y avait pas dix minutes. Il était persuadé qu'elle serait prête à jouer le jeu et à faire le grand pas vers l'inconnu: devenir une Voyageuse. Mais il ne devait pas la braquer ni bousculer ses principes. Il réfléchit un moment. Il fallait qu'elle eut l'impression que l'idée venait d'elle. C'était souvent ainsi qu'il avait convaincu des candidats réticents ou peu confiants à remettre leur vie entre ses mains. Au moins, si elle refusait la douche et le repas chaud dans son modeste pied à terre local, il avait réussi à la rassurer suffisamment pour qu'elle monte dans la voiture , à l'abri des trombes d'eau et s'asseye à ses côtés, ce qui restait quand même assez téméraire car il aurait facilement pu la maîtriser s'il était animé de mauvaises intentions, toute armée qu'elle était. Il aurait peut-être pris une balle dans la cuisse mais son bras n'aurait rien pu contre la poigne d'un homme si massif, elle, petite poupée au caractère d'acier. Elle n'avait rien d'une grande sportive même si elle n'était pas une "chialeuse" comme il aimait à appeler les femmes de faible détermination. Il aurait pu lui briser le poignet rien qu'en voulant la désarmer. Voilà donc qu'elle était assise à ses côtés, comme un chat mouillé et pitoyable qui n'ose plus retourner chez lui après avoir volé le gigot. La pluie s'écrasait en grosses gouttes sur le pare-brise et noyait la vue dans un flou difforme et grotesque. Il chercha machinalement les essuies-glaces et constata qu'ils étaient bien moins efficaces sur cette voiture que sur celles du XXIième siècle. L'averse redoubla et les isola encore un peu plus de l'extérieur, comme si elle gommait le pont, les lumières de la ville au loin, en étouffait aussi les sons avec son bruit de tambour sur le toit du véhicule. Sans la regarder, fixant le rideau mouvant qui ondulait sur la vitre, il prit la parole.

- Mon véritable nom n'a pas d'importance mademoiselle Von Carter. Il ne vous évoquerait rien. Ceux qui me font confiance me connaissent sous celui du Dévoreur de Temps. Je ne vous veux rien. C'est vous qui voulez quelque chose, ou quelqu'un... On pense que j'ai peut-être la solution à votre problème.

Il eut un petit sourire énigmatique et posa ses mains sur le volant en cuir de la voiture luxueuse pour l'époque.

- Je ne vous veux aucun mal, bien au contraire. Si vous me tuez, c'est votre dernier espoir que vous effacez. Que vous apporterait un meurtre ? Etre l'égale de votre père, de votre frère ? Est-ce à cela que vous aspirez ? Ajouta-t-il en jetant un regard en coin au revolver qu'elle avait posé sur ses genoux. Vous devriez ranger ceci. Un accident est si vite arrivé.

Il consulta sa montre digitale qui marquait 23h 45. La soirée filait vite. Le petit écran verdâtre projeta une lumière étrange sur le visage encore jeune de l'homme qui contrastait avec la coupe en brosse immaculée. Il eut une petite moue amusée de pouvoir user d'un gadget anachronique à cette époque. Il lui importait peu qu'elle le vit. Dans peu de temps, soit il disparaîtrait de son univers, soit elle le suivrait aveuglément. Il n'y avait pas d'autre alternative.

- Il se fait tard mademoiselle, et j'ai beaucoup d'affaires en cours. Je suis venu pour vous aider parce qu'on m'a dit que vous étiez en détresse. Je ne peux que constater que la personne ne s'était pas trompée mais je ne peux pas aider quelqu'un qui ne veut pas l'être. Aussi n'aurai-je pour ma part qu'une seule question. Etes-vous prête à changer de vie et à me suivre ou dois-je informer notre ami commun que cela ne vous intéresse pas et que vous avez retrouvé un sens à votre vie ?

Il savait que cette dernière phrase allait éveiller la curiosité de la jeune femme et posait déjà la main sur la poignée de la portière, prêt à sortir de la voiture.

- Je ne peux rien vous dire. Il m'a fait promettre de ne pas vous dévoiler son identité. Continua t-il en triturant l'étui à cigarette que Kyle Von Carter lui avait remis comme preuve en extrême recours. Je peux juste vous dire que c'est quelqu'un qui veille sur vous, de loin, depuis toujours. Il a connu les mêmes affres que vous et m'a demandé un soir de l'aider. Le marché a une réciproque bien sûr et il l'a accepté. Si vous décidez, vous aussi, de me laisser vous aider, il y aura également une contrepartie. Vous voyez que je ne vous ai pas menti, je n'ai pas dit toute la vérité d'un coup, c'est tout. Je n'agis que pour moi car j'aurai pu refuser d'accéder à sa demande vous concernant. Mais il se trouve que nos intérêts convergent et que j'ai besoin de son aide. J'aurai du mal à lui refuser la mienne actuellement.

Il baissa la vitre de la voiture et de petites éclaboussures de pluie crépitèrent sur la portière intérieure. Il alluma une cigarette en s'excusant.

- Désolé, habituellement je ne fume pas au volant mais les circonstances sont particulières. Ce n'est pas tous les jours qu'on sauve une jeune femme de la noyade. Vous en voulez une pour vous aider à réfléchir ?
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Message  Invité Ven 12 Oct - 22:43

Christiana se sentait terriblement mal à l'aise. Cet inconnu semblait la connaître. Elle ignorait tout de lui. La connaître mieux qu'elle-même se connaissait ? Peut-être. Probablement. Voire certain. Elle ne savait plus vraiment qui elle était, ce qu'elle devait faire, où aller. Ses mains agrippaient fermement la jupe de son tailleur, de part et d'autre du colt. Elle fixait l'inconnu. Elle n'avait pas l'intention de baisser les yeux. Elle reprenait peu à peu du poil de la bête. Sa respiration et son rythme cardiaque s'étaient ralentis, ses doigts se décrispaient. Christiana redevenait peu à peu la femme qui se contrôlait. Les mâchoires serrées, elle ignorait la pluie, ignorait le froid. Elle ne voyait plus que l'inconnu. Un oiseau aurait pu percuter le pare-brise, elle n'aurait pas bougé d'un pouce. Elle était statique. De temps en temps, un muscle se crispait subitement, sous l'effet du froid. Mais si son corps bougeait sous l'eau glacée imbibée dans ses vêtements, son visage restait figé. Le cou rigide et tourné vers l'homme qui daigna enfin se présenter. Le Dévoreur de Temps. Était-il dans une secte ? Un groupe religieux ? Cela faisait très "gourou".
Ce Dévoreur de Temps en savait plus que Christiana ne l'imaginait. Oui, elle voulait quelque chose. Oui, elle voulait quelqu'un. Elle voulait trouver son vrai "chez soi" et elle voulait retrouver Kyle. Son "frère" adoré. Son Kyle qui l'avait abandonné.

- Le Dévoreur de Temps ? Répéta-t-elle. Rassurez-vous, je n'ai pas l'intention de vous tuer. Je ne tue pas. Chez nous, il y a toujours eu quelqu'un pour le faire à notre place. Vous qui semblez me connaître, ne le saviez-vous donc pas ? Demanda-t-elle avec un brin de moquerie.

Il semblait préoccupé par le colt. Du moins c'était peut-être ce qu'il voulait laisser penser. Christiana était persuadée du contraire. Cet homme n'avait pas peur. Mais elle hésitait tout de même à le ranger. Elle détourna son visage vers l'arme et jeta un coup d'œil en coin vers le Dévoreur de Temps.

- Ne faites pas comme si vous aviez peur qu'un accident arrive.

Elle le rangea tout de même dans son sac à main, mais garda le sac ouvert sur ses genoux, et une main posée sur l'ouverture du sac. Ce fut à ce moment qu'une étrange lumière verdâtre émana du côté du "conducteur". Christiana, qui avait les yeux sur son sac, les leva et cru apercevoir un étrange objet. Elle fronça les sourcils, comme pour faire une mise au point sur l'endroit d'où provenait la lumière. Elle avait pu voir brièvement des chiffres. Qu'était-ce donc que cette chose ?

- Que faisiez-vous à l'instant ? Qu'est-ce que…

Elle hésitait à l'interroger davantage. Après tout, elle avait qu'une chose en tête : partir loin. Loin de New York. Du Bacchus. De ce qu'elle considérait maintenant comme son ancienne vie.

- Quand je vous ai dis que rentrer au Bacchus ne faisait pas partie de mes projets, vous n'avez donc pas compris où je voulais en venir ? Un ami commun vous a dit que j'étais en détresse ? Qui se permet une telle déclaration ! S'exclama-t-elle vivement, presque offensée que quelqu'un dont elle ignorait l'identité puisse la juger faible, tandis que le Dévoreur de Temps sortait une cigarette d'un boîtier si familier. De quoi parlez-v…

Christiana cessa subitement de parler. Elle écarquilla les yeux. Resta bouche bée. Le boîtier à cigarette. Oh ! Elle le connaissait que trop bien, ce boîtier. Christiana eut un haut-le-cœur. Il n'était pas causé par une nausée. Mais par le retour d'un souvenir agréable et douloureux. Le dernier qu'elle avait de Kyle. Celui où elle lui crachait ses derniers mots.

Ce souvenir datait de la veille du départ de Kyle pour la guerre. Il était dans sa chambre, il rangeait ses affaires et bouclait son sac. Christiana était dans l'embrasure de la porte et le surveillait. Les bras croisés, le regard sévère et empli de reproches. Elle maugréait dans son coin, lui répétant qu'il ne pouvait pas lui faire ça. Kyle ferma son sac et le prit. Il tourna les talons et s'approcha de sa sœur. Une cigarette dans la bouche, prête à être allumée, il s'avança et se pencha pour poser son front sur celui de Christiana, qui s'empressa de lui rappeler que la cigarette jaunissait les dents et lui donnait une mauvaise haleine.

- A quoi bon se soucier de ça, puisque tu n'auras pas à supporter ma mauvaise haleine pendant les semaines voire les mois à venir, dit-il en collant le bout de son nez contre celui de Christiana.

La jeune femme détourna la tête et fronça les sourcils. Kyle leva les yeux aux ciels et secoua la tête, déçu qu'elle refuse leur habituel câlin, celui qui résultait de leurs typiques bisous d'esquimaux. Il tira un boîtier de sa poche et mit la cigarette dedans. Il le tendit ensuite à Christiana.

- Prend-le. Garde mes cigarettes. Je les récupèrerai à mon retour. Je paris que tu t'y seras mise avant que je ne revienne.

Ce fut là que les horreurs sortirent de la bouche de Christiana. Traître, lâche, salaud, lâcheur, monstre… tout ce qui lui passait par la tête sortait. Elle n'en pensait pas un mot, Kyle le savait. Mais sur le moment, elle le disait. Elle le traita aussi de menteur, sur ses sentiments à son égard par exemple. Ou sur les promesses qu'il lui avait fait. Comme celle de partir sur la côte ouest et d'y ouvrir un cabinet médical. Elle était prête à se rabaisser au ménage du cabinet. Oui ! La princesse avec les mains dans la poussière. Elle était prête à ça pour lui. Mais au lieu de cela, monsieur préférait partir à la guerre. Il avait préféré sa patrie à sa "sœur". Elle se sentit trahie, abandonnée, bafouée. Elle refusa le boîtier et s'enferma dans sa chambre. Ce fut la dernière fois qu'elle voyait Kyle. Il était allé à la guerre avec ce boîtier.

Revoir le boîtier dans les mains du Dévoreur de Temps lui fit revoir ce souvenir douloureux. Comment avait-elle pu lui dire cela ? Pourquoi ? Elle se sentit volée. Le Dévoreur avait le boîtier. Il avait une part de Kyle. Christiana fit un bond sur le siège passager. Elle se rua presque sur le Dévoreur. Pas pour le violenter. Non. Elle lui attrapa le col de son long manteau, alors qu'il avait la main sur la portière.

- Où avez-vous eu ce boîtier ? De qui parlez-vous depuis tout à l'heure ? Qui veille sur moi ? Qui !! Est-ce… Ky…

Christiana tremblait. Pas par le froid, ni par la peur. Par l'émotion. La barrière anti-invasion, qui s'était réinstallée, se levait de nouveau. Juste un peu. Sa deuxième main s'empara du col. Elle ne tenait pas le Dévoreur avec violence et fermeté. Elle y était plutôt suspendue.
Ce soir-là, Kyle était partout. Dans ses pensées. Dans le boîtier. Christiana relâcha le col mais garda ses mains plaquées contre le Dévoreur, afin de lui faire comprendre de ne pas partir et qu'elle ne lui ferait rien. Elle ferma les yeux et baissa la tête. Presque honteuse, elle murmura :

- S'il vous plait... Aidez-moi…
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Message  Le Dévoreur de temps Sam 13 Oct - 15:30

L'étui à cigarette eut l'effet escompté et Christiana se mua en une jeune femme quasi hystérique, empoignant le Dévoreur par le col et le suppliant de l'aider. Il la repoussa sans brutalité mais fermement. Il fallait qu'elle se calme et cela n'en prenait pas le chemin.

- Quand je disais qu'un accident était vite arrivé, je ne pensais pas seulement à un coup de feu qui part tout seul dans votre cuisse. Ne vous avisez plus de me toucher sans prévenir ou vous pourriez vous retrouver ailleurs.

Les contacts physiques avec le Dévoreur étaient toujours risqués, ce qui d'ailleurs pesait lourdement sur sa vie affective. Le plus souvent, il contrôlait ses déplacements dans le temps et l'espace et celui des personnes qui entraient en contact avec lui mais il y avait parfois des ratés. L'impulsivité de la jeune femme la mettait en danger dans la proximité du Dévoreur. S'il pensait au moment où elle le touchait à l'attaque japonaise de Pearl Harbor, elle avait tous les risques de s'y trouver projetée. Or, comme il pensait précisément à la façon dont il avait rencontré Kyle, il venait d'avoir des images de ce raid aérien et elle l'avait échappé belle. Heureusement que dans la minute suivante, juste avant qu'elle ne pose les mains sur lui, il avait pensé que cette voiture devait être une Plymouth Sedan 1937 car elle aurait pu se retrouver projetée sous les bombes. Au lieu de quoi, elle avait juste fait un petit bond en arrière de quelques années et se retrouvait dans la même voiture avec lui mais plus au même endroit. La pluie avait cessé et il faisait jour, un grand soleil inondait le vaste parking où était garée la voiture. Au milieu d'autres voitures semblables. Il fronça les sourcils et éclata de rire.

- Hé bien! On peut dire que le déroulement des choses nous joue parfois des tours mademoiselle Von Carter !

La voiture ne possédait pas de compteur de miles mais il aurait parié qu'il aurait fait un bond en arrière si cela avait été le cas.

- Sortez de votre voiture, faites en le tour et dites-moi si elle a conservé ses traces de boues des flaques que vous avez traversées aux abords du pont.

Il souriait déjà en pensant à sa surprise lorsqu'elle remarquerait aussi que les éraflures avaient disparu sur la portière conducteur et que les marche pieds étaient d'une propreté immaculée. Est- ce qu'elle allait comprendre ? De toute façon, elle devait déjà avoir remarqué qu'ils n'étaient plus au même endroit. Lui avait compris qu'ils étaient sur le parking de l'usine Plymouth, en 1937 et que la Sedan venait probablement de sortir de la chaîne de fabrication et avait été parquée avec ses semblables en attendant son acquéreur. Il se demanda qui avait acheté cette voiture dans la famille Von Carter et surtout qui en avait pris livraison. Le père ? Jared ? Kyle ? Pas Drew, il était mort dans une autre voiture en 1929. Et si jamais... ils devaient croiser Kyle... Cela créerait un paradoxe temporel et c'était extrêmement dangereux. A cette époque les concessionnaires avec leurs luxueux magasins étaient rares et il était fréquent que les clients viennent acheter leur voiture directement à l'usine. Il ne fallait pas traîner ici. Il espérait qu'elle allait se décider rapidement et le suivre au moins à l'hôtel qu'il devrait louer dans cette nouvelle ville. Nouvelle, car de toute évidence, ils ne se trouvaient plus à New York.

Il sortit de la voiture pour allumer une autre cigarette. Au moins, s'ils étaient surpris, ils passeraient pour de simples potentiels clients venus admirer les voitures et pas pour un couple en train d'en voler une. Il se baissa pour lui jeter un regard par la vitre. Elle était toujours figée sur son siège, comme pétrifiée. Sans doute avait-elle ressenti les effets du couloir, l'aspiration dans un vortex terrifiant la première fois. Elle était devenue voyageuse sans même le demander mais le petit voyage était un saut de puce en arrière par rapport à ce qu'elle pourrait faire, s'il lui ouvrait les portes de l'Antichambre, et elle le ferait seule, sans lui.

- Alors ? Vous descendez vous sécher au soleil ? Demanda-t-il en tirant sur sa cigarette.


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Message  Invité Sam 13 Oct - 21:34

Christiana fit un bond. Elle resta figée sur son fauteuil. Cramponnée à l'assise. Elle regardait droit devant elle, ne comprenant rien à ce qui venait de se passer. Quelques instants plus tôt, il faisait nuit et il pleuvait. Là, il faisait beau et chaud. Le soleil tapait à travers le pare-brise. Il procurait une chaleur agréable. Le pont aussi avait disparu. Laissant place à des voitures similaires à celle de Jared. Que venait-il de se passer ? Le Dévoreur de Temps, comme il se faisait appeler, semblait prendre cela avec légèreté. Christiana se demanda si elle n'était pas morte finalement. Si elle n'avait pas plongé dans le fleuve. Et si le Dévoreur de Temps n'était pas là pour faire défiler sa vie sous ses yeux. Elle se posait cette question, car ce lieu lui était familiers. Elle avait une impression de déjà-vu. Si c'était le cas, s'il était une sorte d'esprit s'occupant des morts, alors il venait de se tromper. Ce souvenir n'était pas au début de sa vie.

Elle avait 17 ans, lorsque son père et elle avaient acheté la voiture de Jared. Christiana se rappelait parfaitement de ce jour-là. C'était aussi une journée ensoleillée. Son père voulait offrir un beau cadeau à Jared. Quelque chose de pratique et de coûteux, afin de se débarrasser d'une grosse somme d'argent acquise illégalement bien sûr. Un peu d'argent sale. Christiana avait eu l'idée lumineuse : une voiture. Kyle n'était pas présent lorsqu'ils avaient récupéré leur nouveau bien. Georges Von Carter avait mis du temps à plier à la suggestion de sa fille. Comment Jared allait-il faire pour conduire, avec un bras en moins ? Mademoiselle "réponse à tout" avait envisagé la possibilité de payer un chauffeur à Jared, si celle-ci et Kyle n'étaient pas disponibles pour conduire leur frère aîné.
Christiana et Georges Von Carter traversaient le parking stockant les quelques voitures commandées par de riches clients. Accrochée au bras de son père, l'air enjouée, Christiana bavassait. Elle prévoyait déjà quelques escapades avec Jared, afin de lui aérer l'esprit. Le cigare en bouche, Georges se délectait de la bonne humeur de sa fille.

- Tu peux aussi avoir la tienne Honey. Une plus grosse même. Avec chauffeur. Demande et papa te l'offrira. Une bien belle et imposante pour la Princesse du Bacchus. Tu pourras sortir avec. Faire la fête…


Christiana avait refusé. Elle voulait celle de Jared. Proposer ce cadeau lui permettait d'en avoir une sans vraiment en avoir une. S'il y avait rayure ou casse, Jared aurait payé les réparations. Si elle avait dû posséder sa propre voiture, elle aurait été contrainte d'en faire bon usage, d'en prendre soin, et surtout : de l'utiliser et sortir de sa tour dorée.

Dans ce qui était la "réalité", et ce que Christiana croyait être un souvenir à revivre, personne ne vint. Pas de George ni de Christiana âgée de 17 ans. Il n'y avait que le Dévoreur et elle. Incitée à sortir et faire le tour du véhicule, mademoiselle Von Carter hésitait. Si elle ouvrait la portière, qu'allait-il se passer ? Allait-elle être aspirée vers un autre souvenir ? Allait-elle tomber dans les limbes ? Le sol se déroberait-il sous ses pieds ? Prudente, elle ouvrit la portière et tâtonna le sol du bout de son pied droit. Dur. Stable. Présent. Le sol était réconfortant. Surtout après le voyage temporel qu'elle venait de subir ! Septique, elle regarda la portière. La rayure dont le Dévoreur avait fait allusion avait été causée par elle-même. Une poubelle mal rangée dans la fameuse ruelle du Bacchus, d'après les dires de la jeune femme. En réalité, elle avait fauché un cycliste en le doublant. Elle le jugeait trop lent et encombrant. Mais là… Rien. Plus de trace. Le garde-boue était propre. Christiana passa la tête à l'intérieur du véhicule. Il avait cette odeur de propre digne du jour de sortie d'usine. Elle fit le tour du véhicule. Une fois. Deux fois. Trois fois. Chaque fois qu'elle passait à côté du Dévoreur, elle le contournait soigneusement.

Le Dévoreur fumait tranquillement. Quand elle eut terminé, Christiana s'approcha de lui, s'adossa contre la voiture et le scruta. Elle le dévisagea, le considéra de haut en bas.

- Suis-je morte et êtes-vous là pour me montrer ce que j'ai loupé dans ma vie ?

Les bras croisés, son air hautain retrouvé, elle lui montrait son visage le plus fier. Elle n'avait plus peur. Elle se croyait morte. Elle ne craignait pas la mort (encore une règle des Von Carter : ne pas craindre la mort). Si le Dévoreur était la Morte, la grande Faucheuse, alors elle n'avait rien à craindre de lui. Parfaitement détendue, elle s'adressa avec plus de calme et de facilité au Dévoreur.

- Alors comme ça, quelqu'un veille sur moi ? Vous avez le boîtier de Kyle. Est-ce lui qui veille sur moi ?

Elle esquissa brièvement un sourire. Un court instant, un très très bref instant, elle avait souri chaleureusement en prononçant le prénom de son "frère". Elle avait l'impression d'être encore vivante. Alors comment avait-elle quitté le pont, la nuit et la pluie ?

- Je ne sais pas ce qui vient de se passer, mais c'est assez intriguant… Voyage-t-on librement quand on est mort ? D'ailleurs, le suis-je ?

Librement. Voila un mot bien plaisant. Si être mort signifiait voyager librement, alors elle aurait donné n'importe quoi pour l'être. Mais s'il s'agissait d'autre chose, alors elle souhaitait aussi pouvoir le faire. Voyager librement… cela signifiait se trouver une place. Trouver Kyle. Vivre.
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Message  Le Dévoreur de temps Lun 15 Oct - 23:17

Elle le toisait à présent, après avoir fait le tour du véhicule flambant neuf, de la hauteur de son petit bout de femme et recommença à poser sa litanie de questions. Il écrasa sa cigarette du bout du pied et chercha en vain une poubelle où la jeter.

-Ils ne sont pas encore soucieux de préserver l'environnement, c'est vrai! Dit-il en allant fourrer son mégot dans le cendrier chromé de la voiture. Opération qui lui demanda de se plier pratiquement en deux par la portière tant il était grand.

- Ces voitures ont beau être monumentales, elles sont faites pour les petits hommes. Rit-il doucement en se redressant.

Elle s'était écartée prudemment, preuve qu'elle avait instinctivement compris ce qui émanait de lui.

- Non, vous n'êtes résolument pas morte Christiana. Il s'en est fallu de peu mais vous êtes bel et bien vivante. Reste à savoir ce que vous voulez faire de votre vie. Voulez-vous commencer une nouvelle vie ?

A présent qu'elle semblait moins méfiante, il pouvait entrer dans le vif du sujet. Il se gratta pensivement la joue sur laquelle courrait une barbe naissante.

- Quelqu'un veille sur vous, en effet. Cette personne m'a assuré que vous seriez intéressée par ma proposition. Répondit-il à moitié. Cet objet, m'a-t-il dit, vous prouverait que vous pouvez me faire confiance et me suivre. Peut-être que cette personne connait celui dont vous parlez. Kyle, c'était votre frère, n'est-ce pas ? Je crois me souvenir de cela.

Il pressentait vaguement qu'elle ferait tout pour en savoir plus et pour essayer de retrouver ce fameux frère. Il pouvait la comprendre... Lui-même n'était-il pas en quête d'un être aimé perdu dans le même chaos de cette seconde guerre mondiale ? Sans doute pour cette raison, il prit le sourire de la jeune femme, alors qu'elle prononçait le nom de l'être cher, comme une lame en plein coeur. Est ce qu'il avait ce même sourire lorsqu'il murmurait le nom de celle qu'il cherchait ? Il y avait bien longtemps qu'il n'avait même osé penser à son nom, comme si le penser pouvait attirer sur elle l'attention de ses prédateurs. Comme si les Couloirs du Temps pouvaient répercuter à l'infini ses pensées les plus intimes et réveiller l'instinct des bourreaux. Il répondit par un demi sourire à sa question au sujet du voyage sans contrainte.

-Il n'est pas nécessaire de mourir pour voyager librement, bien que le fait de voyager librement puisse occasionner la mort. Tout est question de maîtrise et de patience. Etes-vous patiente Mademoiselle Von Carter ?

Il eut un grand geste du bras comme pour lui ouvrir un espace.

- Marchons un peu, voulez-vous ? Je crains qu'on nous prenne pour des voleurs de voitures si nous demeurons ici plus longtemps. Vous n'avez rien d'autre que ce sac, n'est- ce pas ? Pas de bagages dans la malle j'espère ? Sinon, ils se seront volatilisés. Les objets inanimés ne traversent le temps que si le voyageur les tient serrés contre lui.

Il commença à faire quelques pas en espérant qu'elle le suivrait.

- Vous arrive-t-il de rêver ? Aimez-vous cela? Demanda-t-il à brûle pourpoint.

La question pouvait paraître saugrenue et abrupte mais visait à sonder la personnalité de la jeune femme pour savoir dans quel monde elle choisirait d'être projetée. Il se retourna soudainement et lui fit face .

- Je peux vous faire voyager parmi vos rêves, les plans que vous auriez souhaité voir réalisés mais ce n'est pas sans danger. Ce monde se nomme [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]. Y mettre les pieds peut changer votre réalité et on ne peut jamais prévoir avec certitude si le rêve sera beau, vous le savez aussi bien que moi.

Elle semblait le considérer avec un air indéchiffrable dans le soleil éblouissant de début de journée.

- Je peux aussi vous faire revivre à l'envers vos souvenirs les plus marquants, enfin quand je dis "je", c'est inexact. Un ami qui se nomme Zorvan, a ce pouvoir. Il vous mènera au seuil du [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien], si vous le souhaitez.

Elle devait le prendre pour un cinglé et s'était figée comme pour essayer de comprendre ce qu'il lui expliquait.

- Vous paraissez dubitative mais comment expliquer que votre voiture soit neuve et que nous ayons changé de lieu ? Cela vous intéresse-t-il ?

Il la considéra alors qu'elle grelottait encore en plein soleil, son sac toujours serré contre elle.

- Votre arme pourrait vous être utile en [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien], ce lieu si semblable en apparence au monde que vous venez de quitter. Mais Aparadoxis est le terrain de jeux favori de Zorvan, le Gardien de l'Antichambre et ce qui peut vous y sembler familier est trompeur et pleins de surprises, bonnes ou mauvaises.

Il fit jouer l'étui à cigarettes entre ses doigts et un éclat de lumière vint se refléter sur le visage de Christiana, lui faisant cligner les yeux.

- Il vous faudra affronter l'Antichambre par laquelle passent tous les Voyageurs si vous décidez de me suivre. Après l'épreuve, et si vous la réussissez, ce seront non pas une vie mais une multitude de vies qui s'offriront à vous. Etes-vous prête à courir le risque pour le retrouver ? Etes-vous prête, Christiana, à affronter [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] ou me prenez-vous toujours pour un fou ? Acheva-t-il en agitant l'étui dans la lumière du jour.
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Message  Invité Mar 16 Oct - 10:33

Ce que Christiana voulait faire de sa vie… On venait de lui demander ce qu'elle voulait en faire ? Jamais cette question lui avait été faite. Elle-même ne se l'était posée. Sa vie avait été tracée par les Von Carter. Elle était la seule présence féminine, elle occupait presque un rôle de mère. Elle avait soigné ses deux malades, son père et Jared. Elle avait géré le Bacchus seule, et les affaires douteuses qui allaient avec. Puis avec Jared. Durant son enfance, son père lui disait sans cesse qu'elle chanterait au club, comme sa mère. Seul Kyle n'usait pas d'elle comme d'une mère. A aucun moment, elle n'avait fait son propre choix. Certes, elle dirigeait d'une main de faire la famille Von Carter. Mais c'était comme si elle avait accepté cette voie, comme si elle s'était imposée ce que les siens lui imposaient. Sa seule initiative fut la fuite. Ce fut sa première action d'initiative personnelle. Pour elle. Pas pour la famille. Juste elle. Alors la question du Dévoreur la laissa perplexe. Au moins elle était fixée, elle vivait. Une vie digne d'une mascarade, mais au moins elle vivait. Mais qu'allait-elle vivre maintenant ?

- Je n'ai jamais vraiment eu de vie, répondit finalement Christiana.

Oui. Elle n'avait pas réellement vécu. Elle avait survécu. Peut-être pas pendant 25 ans. Le début de son existence était normal. Tout avait probablement changé quand les Von Carter comprirent qu'ils pouvaient s'appuyer sur elle. Christiana n'avait pas lutté contre cela. Après tout, en vivant ainsi, elle était aux commandes de tout, au centre de tout.

- Commencer une nouvelle vie ? Hmmh. En commencer une serait pas mal. Et oui, Kyle est en quelque sorte, mon frère. Quelle est cette proposition, qui est sensé m'intéresser ?

Puis vint la question de la patience. Plus patiente qu'elle, cela ne devait pas exister. Sinon, pourquoi aurait-elle attendu 25 ans avant de tout lâcher. Avant de voir la vérité, ou plutôt de l'accepter. Avant de faire enfin le grand saut et partir. La situation était des plus étranges. Surnaturelles. Divine ? Christiana ne saurait le dire. Elle posa une main contre son cou et sentit la chaîne en or. Était-il le signe qu'elle avait demandé ? Elle, l'incroyante, qui avait exigé un signe à celui dont elle niait l'existence. Le Dévoreur du Temps était peut-être sa solution. Christiana le dévisagea une nouvelle fois. Il semblait songeur. A quoi pouvait-il penser ? Au vu de son expression, ce n'était pas à quelque chose de joyeux. Elle se contenta d'un hochement vertical de la tête pour répondre à la question de la patience.

Puis elle suivait le Dévoreur, en gardant une distance prudente entre lui et elle. Ils marchèrent. En silence pour Christiana. Mais pas pour le Dévoreur du Temps, qui lâchait un flot de paroles plus ou moins farfelues. En fait, très farfelues. Mais terriblement attirantes, qui éveillaient la curiosité de la jeune femme. Curiosité qui l'avait mené plus d'une fois à quelques incidents et dangers.

- Je n'ai que mon sac, répondit-elle lorsqu'il lui demanda ce qu'elle possédait. Oui, il m'arrive de rêver. Mais je n'ai jamais trop aimé cela. Les rêves me sont toujours douloureux. La seule chose qui ne me blessent pas, ce sont les souvenirs. Eux sont vrais, quoi que parfois un peu flous. Les rêves sont... difficiles à accepter. Je ne les ai jamais affronté et accepté. Peut-être qu'il serait temps. Oui. Surement !

Christiana tenait au moindre de ses souvenirs. Aux plus beaux, comme un dîner en tête-à-tête organisé un soir par Kyle, aux plus douloureux, comme la mort de Drew, de son père ou l'accident de Jared, et aux plus blessants, comme ses dernières paroles pour l'homme qu'elle aimait plus qu'elle ne l'imaginait et osait se l'avouer. Mais elle se mentait sur les rêves. Si elle ne les aimait pas, c'était simplement parce qu'ils lui montraient la nuit, dans son sommeil, ce qu'elle refusait de voir lorsqu'elle était éveillée. Peut-être que cela changerait, quand elle aura trouvé une réalité agréable et vivable. Peut-être que cela avait déjà changé, maintenant qu'elle voyait la vérité en face, qu'elle se rendait enfin compte que sa vie n'était pas la sienne.

Le Dévoreur parla d'un certain Zorvan. Quel nom saugrenu. Quoi que… Dévoreur de Temps n'était pas des plus communs ! Pouvoir, voyager parmi les rêves, Gardien de l'Antichambre… d'où sortait cet homme ? Christiana repensa au moment sur le pont. Elle n'avait pas vu de véhicule, pas de vélo. Rien. Mais l'homme apparut là. Apparaître. Comme ils venaient de le faire, sur ce parking ? Tandis qu'elle réfléchissait, la lumière se reflétant sur le boîtier l'éblouit. Elle fit un pas sur le côté, afin de ne pas rompre le contact visuel avec l'homme.

- Je ne sais pas si je vous considère comme un fou ou comme un sain d'esprit. Mais votre Zorvan ne me fait pas peur, dit-elle, acceptant implicitement la proposition du Dévoreur de Temps. Si cela me conduit à trouver ma place, Kyle et une vie, alors sachez que je suis prête à tout, quitte à partager votre folie.

En agitant l'étui à la lumière, un nouveau reflet éblouit Christiana. Mais cette fois, elle ne bougea pas. Elle restait fixe, un regard déterminé sur le Dévoreur, une expression de puissance sur le visage. Et un coin de lèvre se soulevait légèrement. Un faible sourire s'afficha sur son visage. Le sourire d'une personne prête à en découdre, à relever le défi, sans crainte et sans peur de l'échec. Le sourire d'un Von Carter.
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Message  Le Dévoreur de temps Mer 17 Oct - 23:33

Christiana était perplexe et il pouvait la comprendre. Après tout, ce qu'elle venait de vivre était simplement invraisemblable pour le commun des mortels. Elle était déjà passablement ébranlée par le constat qu'elle avait fait au sujet de sa vie. Sa tentative sur le pont en était la preuve concrète. Alors se voir projetée dans le passé avec tout ce que cela supposait comme remontée de souvenirs plus ou moins douloureux! Oui, elle avait de quoi être secouée. Aussi se demandait-il si elle résisterait aux épreuves que Zorvan allait lui imposer. Il fut touché lorsqu'elle avoua n'avoir pas eu de vie à elle et l'écouta avec bienveillance. Elle n'avait pas peur, semblait-il, et faisait montre d'une détermination farouche. Il avait ressenti la peine lorsqu'elle avait évoqué des rêves douloureux.

- Les rêves sont bien souvent l'expression de ce qu'on refoule, effectivement. Vous savez, si vous devez passer par Blue Hospel, il vous faudra affronter certains de vos anciens rêves. Même si vous ne choisissez pas ce monde comme destination première, les aléas de l'Antichambre peuvent vous y projeter. Il faut vous y préparer. De même, le Champ des Oublis vous mène à affronter certains de vos souvenirs et ce, en remontant dans le temps. C'est très déstabilisant.

Sans en avoir l'air, il se rapprocha un peu d'elle ou du moins, ralentit pour qu'elle puisse le frôler. Il voulait qu'elle voit son visage et son regard sans la dérive lumineuse qui les animaient parfois. Il n'était avant tout qu'un simple humain et il avait envie qu'elle en prit conscience.

- J'ai moi-même eu à affronter les miens, car je suis un voyageur et je me suis trouvé comme vous, sur le seuil, à devoir prendre la décision de franchir le pas. La différence, c'est que j'étais seul. Vous serez accompagnée pour aller jusqu'à Zorvan.

Il regarda les rares voitures, symbole flamboyant du rêve américain, qui passaient sur l'avenue qu'ils étaient à présent en train de longer, avec nostalgie. Il avait promis à sa fiancée qu'il l'emmènerait un jour aux Etats- Unis, pays qui cristallisait à l'époque tous leurs espoirs de liberté et de paix . L' Amérique du Nord n'était pas encore entrée en guerre alors et elle symbolisait à leurs yeux la seule échappatoire pour deux réfugiés politiques roumains. Il y était parvenu ... Sans elle. Et il ne se passait pas un jour sans que la culpabilité le ronge. Ses pensées revinrent aux questions de Christiana.

- Ce que je vous propose ? C'est bien simple. Si vous acceptez de me suivre pour subir les épreuves du Gardien de l'Antichambre, et si vous les passez avec succès, vous pourrez ensuite voyager librement dans le passé, puis le futur et aussi le monde des rêves et celui de vos souvenirs passés et dans les mondes parallèles.

Il se tut et garda le silence un long moment afin de lui laisser assimiler les révélations qu'il venait de lui faire.

- Vous comprenez mieux pourquoi on me prend parfois pour un fou ? Mais si vous avez vraiment besoin de changer de vie, quel meilleur moyen que celui de devenir une Voyageuse entrevoyez-vous ? Si vous cherchez quelqu'un de proche que vous avez perdu dans les méandres de l'Histoire, alors je vous mets en garde. Les retrouvailles ne sont pas toujours faciles à accomplir car si vous vous déplacez, lui le peut aussi pour peu qu'il soit voyageur et quand vous trouverez cette personne, rien ne garantit qu'il souhaitait être retrouvé.

Il fit une pause car il sentait les larmes lui venir aux yeux. Peut-être que celle pour qui il avait mené ce projet fou ne voudrait plus jamais le revoir. Il devait lui paraître bien noir quand elle s'était trouvée seule face aux bourreaux.

- Ce que je peux vous laisser espérer, si vous avez la force de réussir l'épreuve de passage, c'est le moyen de le chercher partout, absolument partout.

Il secoua gravement la tête lorsqu'elle affirma ne pas craindre de devenir folle.

- Vous ne devriez pas dire cela à la légère. J'ai vu plus d'un voyageur finir complètement dément. Et n'allez pas croire que Zorvan est un sadique psychopathe quand vous le verrez. La plupart des épreuves qu'il vous infligera, c'est moi qui les requiert pour vous éviter de mourir entre deux plans de réalité ou coincée dans un couloir temporel, ou encore égaré dans une époque où vous êtes sans aucun repère possible. J'ai du, une fois, aller chercher un Voyageur qui avait mal fait son calcul, à l'époque de la Grande Glaciation. Nous aurions pu ne jamais revenir tous les deux. Voyager ne s'improvise pas, cela s'apprend et l'Antichambre est une étape indispensable à votre survie future.

Il alluma une énième cigarette.

- Alors, toujours tentée ? Et où Zorvan devra-t-il vous éprouver ?
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Message  Invité Jeu 18 Oct - 12:51

Affronter les vieux rêves dans Blue Hospel. Si elle devait commencer une nouvelle vie, affronter ce qui avait noirci la précédente était une bonne idée. C'était peut-être la solution. Le Dévoreur avait raison, cela allait être déstabilisant de se battre en partie contre soi-même, puisque les rêves sont des émanations de soi. Passer ensuite par l'espace permettant de revenir sur les souvenirs allait parfaitement boucler la première vie. Christiana voyait ainsi une bonne manière d'en finir définitivement avec ce qu'elle fuit. En finir sans passer par dessus la rambarde d'un pont.

Le Dévoreur s'avança. Elle le vit réellement. Il n'avait rien, sur son visage, d'un fou, d'une chose non humaine. Il semblait si normal, au premier abord. Et pourtant, quelque chose de différent se dégageait de lui. Une sorte d'aura. Quelque chose d'à la fois intriguant et inquiétant. Christiana ne le trouvait pas vieux, son visage et sa tenue étaient ceux d'une personne ayant un long, très long vécu. Il avait ce regard de l'homme qui avait vu, fait, apprit, comprit des choses peu communes, difficiles, voire douloureuses. Son regard n'était pas celui d'un fou. Christiana se demandait si lui aussi, il n'avait pas son bagage. Son "truc" à trainer. Un boulet de prisonnier.

En acceptant la proposition de l'homme magique, Christiana savait pertinemment que son lourd bagage referait surface. Que ce fut dans un souvenir ou un rêve. Après tout, elle était une princesse aux mains maculées de sang, certes de façon indirecte puisqu'elle n'avait jamais tué qui que ce soit... directement. Elle se contentait de donner son avis, d'approuver ou réprouver lorsqu'elle assistait son père et Jared et que ceux-ci lui demandaient son opinion. Elle s'était tout de même prononcée à quelques reprises pour un "oui". Christiana était une princesse à l'âme ternie et héritière d'une famille au passé criminel bien rempli, une famille qui avait vu grandir la crème du grand banditisme. Georges Von Carter ne regardait-il pas jouer dans les rues de Brooklyn avec un certain Alphonse Gabriel Capone lorsqu'il passait dans ce coin de New York ?

Christiana se sentit comprise. C'était apaisant. Un grand soulagement pour elle. Quelqu'un d'autre qu'un Von Carter la comprenait. Puis un doute s'éveilla en elle. Les Von Carter l'avaient-ils au moins comprise ? Peut-être un peu. Mais pas totalement, sinon leur vie n'aurait pas été ainsi. Et si la choyer avait été leur manière de la garder pour eux, de l'avoir sous le coude, d'avoir sa bienveillance rare et réservée aux Von Carter ? Kyle savait la comprendre. Il était le seul à ne pas se reposer sur elle, ou du moins, pas totalement, pas comme Drew, Jared et leur père. Pourtant elle les aimait, les "hommes de sa vie". Sûrement trop, sinon il n'y avait pas un tel mal-être en elle. Ha ! Christiana et sa manie du tout ou rien. Aimer ou haïr. Accepter ou refuser. Maintenant, il était temps pour elle de se détacher de tout cela. De tirer un trait sur son ancienne existence. Drew et Georges morts. Jared marié et détourné de sa sœur. Mère inconnue et Kyle disparu. Qui était encore là pour la retenir ? Personne. Le départ était inévitable. L'offre du Dévoreur était la bienvenue et plus agréable que l'eau glacée.

Écoutant attentivement l'avis du Dévoreur sur la question de la folie, elle se demanda si elle allait être capable d'arriver à ses fins. Le chemin vers une nouvelle vie allait être long. Difficile. Elle se disait que cela n'allait pas être qu'un parcours de santé. Mais elle avait de l'expérience face à la difficulté et aux obstacles, expérience acquise dans sa première vie. Finalement, sa vie d'avant avait été peut-être ainsi parce qu'elle devait l'être. Sa première vie avait été un échauffement pour ce qui s'offrait maintenant à elle. Tout semblait naturellement fait : d'abord survivre pour ensuite, vivre réellement.

- Je compte bien réussir et trouver ce que je cherche. Je chercherai partout où il me sera donné de le faire, dit-elle quand le Dévoreur parla des recherches.

Vint le moment de répondre à la question fatidique. Faire le grand saut ou retourner au Bacchus. Chercher le vrai Kyle ou se contenter de celui présent dans les rêves ? Survivre ou vivre ? Stagner ou avancer ? Errer ou trouver sa place ?
Christiana tendit une main vers le Dévoreur, qui s'était avancé. Il était proche. Elle était prête. Cette main tendue était claire. Elle était là pour signer l'accord. Christiana était prête.

- Les rêves et moi avons une vieille guerre à laquelle il serait temps de mettre fin. Et je compte bien gagner face à eux. Blue Hospel, c'est cela ? Présentez-moi donc à votre ami Zorvan.

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