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Une femme peut en cacher une autre ... mais un homme aussi.

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Message  Zorvan Lun 14 Oct - 20:55

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Le petit matin déjà humide, qui peinait encore à se lever, laissait augurer une journée pluvieuse sur les rivages de la péninsule de Freetown. Des bandes de brouillard s'étiraient paresseusement masquant l'origine des cris stridents qui déchiraient l'air, des singes dans les arbres certainement. Djingo cracha la pulpe de caroube qu'il mâchouillait nerveusement, accroupi dans son bosquets de palmiers. Le temps idéal pour un débarquements d'armes et un échange fructueux à l'abri des patrouilles navales de la force internationale. Les bateaux bleus de l'ONU étaient le pire cauchemar des trafiquants d'armes. Il tâta le petit étui de velours qu'il avait autour du cou. Avec son contenu, il pourrait négocier au moins quelques milliers de leones, ce qui leur permettrait d'acquérir des AK 47 pour équiper environ cent hommes. Ils avaient réussi à récolter et rassembler le fruit d'un mois d'extraction dans les mines de Kambia et Kabala, ce qui était rare car les convoyeurs se faisaient souvent attaquer par des factions ennemies avant de parvenir à la côte et le butin se retrouvait ainsi majoritairement dispersé entre les clans, quelque infime partie arrivant à bon port pour les revendeurs de son groupe. Mais c'était ainsi depuis longtemps. Grosse poignée au départ, et quelques gemmes à l'arrivée. Il fallait aussi arroser au passage les forces de l'ordre qui "surveillaient" pistes. En somme le boulot de trafiquant était très ingrat et peu lucratif pour le négociant de base qu'il était. Et toujours risquer de se faire trouer la peau par un tir concurrent ou de se faire pincer par les casques bleus qui patrouillaient. Mais ce risque demeurait moindre car ils étaient encore trop peu nombreux pour surveiller toutes les pistes et les étendues forestières. Et surtout, ils n'étaient pas chez eux et ne connaissaient pas les passes dangereuses des marécages côtiers ou les "tunnels verts" des forêts. Souvent, leurs jeeps s'enlisaient ou ils se perdaient et tournaient en rond dans la verdure tropicale luxuriante. Djingo était à moitié sierra léonais, à moitié ricain, mais plutôt ricain du côté de Porto Rico, et d'ailleurs il était plus porto que rico, lui disaient en se moquant ses compagnons d'armes. Sa mère avait été ramassée par un soldat de la Navy qui avait racheté sa solde et tenté d'installer un comptoir de négoce à Freetown. Mais les affaires n'avaient pas marché, sans doute à cause de la concurrence massive des sud africains qui ne voyaient pas d'un bon oeil cette moitié d'américo qui venait brouter sur leurs plates-bandes. Alors le père avait laissé femme et enfant et était rentré au pays. Lequel ? Nul ne savait et Djingo ne voulait pas savoir. Il avait repris le négoce et l'avait arrangé à sa sauce avec les trafiquants locaux. Il fallait bien avec la mère qui avait encore fait deux petits frères . Devenir enfant soldat ou trafiquant, c'était la perspective qu'avaient les garçons, et franchement, de son avis personnel, il valait mieux acheter des fusils et les revendre que de les utiliser. A 19 ans, il s'était donc retrouvé trafiquant de diamants et d'armes, enfin, intermédiaire... depuis dix ans, il avait fait du chemin, même s'il travaillait seul à présent.

Il plissa les yeux pour tenter de s'assurer qu'il n'avait pas rêvé. Au loin un fanal rouge se déplaçait lentement et s'éteignait puis se rallumait à intervalles réguliers, trois fois lentement, trois fois rapidement. Ce qui voulait dire " on est là mais on ne peut pas débarquer, la voie n'est pas libre". La voie n'est pas libre ? Comment ça la voie n'est pas libre ? Djingo scruta de ses yeux noirs la ligne de sable blanc qui se démarquait des flots sombres. Il balaya la plage du regard, une fois, deux fois, dans un sens puis dans l'autre. Il lui fallut tout cela pour enfin distinguer à travers la brume , effectivement, plantée à quelques mètres du bord, une silhouette dans un long vêtement noir.

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Tel un fauve souple et silencieux, sa peau sombre se coulant entre les ramures des palmiers, Djingo se faufila jusqu'à la dune, puis, de creux en bosses, à moitié courbé dans l'obscurité, à la faveur des langues de brouillard qui le dissimulaient il se glissa derrière l'intrus qui n'avait pas bougé. Le claquement de la Kalakchnikov qu'il armait précéda les paroles qu'il siffla entre ses dents tout en appuyant le canon entre les omoplates de l'homme .

- Tu as choisi le mauvais soir pour prendre l'air ! Tu es déjà mort! Lève les bras et retourne toi lentement.

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Message  Invité Mar 12 Nov - 12:55

Le bruit des vagues, ses pieds qui s'enfonçaient lentement dans le sable, un léger vent salé qui lui ébouriffait davantage les cheveux... Nelson ouvrit les yeux et ne fut pas surpris de découvrir la mer à perte de vue, rapidement dissimulée par un brouillard épais. Il avait quitté Londres au petit matin et il avait « atterri » sur cette plage embrumée visiblement à la même heure. Pendant quelques secondes, le jeune anglais crut même se trouver encore dans son pays natal. Zorvan l'aurait juste déplacé de quelques dizaines de kilomètres ? Mais rapidement, quelques détails lui parurent étrangers. Des cris d'animaux qu'il ne connaissait pas résonnaient aux alentours et une lumière clignotait au loin.
Mais ce qui étonna le plus Nelson, ce fut sa façon d'appréhender cette situation étonnante. Il se sentait très décontracté. Libéré de toute contrainte, un sentiment de liberté infini le portait et lui donnait un petit sourire amusé. Il remonta le col de sa veste bien que le froid n'était pas plus rugueux que celui qu'il venait de quitter. Mais ce n'était définitivement pas un temps londonien. La curiosité commençait à s'immiscer dans l'esprit du scientifique. Sur quelle partie du globe pouvait-il se trouver actuellement ? Et encore plus fou... à quelle époque ? Cela lui parût insensé de se questionner ainsi. Et visiblement, les réponses viendraient en temps voulu. Nelson ignorait si Zorvan se trouvait dans les parages et s'il se trouvait dans un réalité... réelle, passée ou future.

Cette solitude qu'on lui imposait n'était pas vécue comme un handicap et, malgré l'obscurité de l'aube, Nelson commença à faire quelques pas sur la plage, suivant la rive et le va-et-vient des vagues. Ses chaussures de ville, peu adaptées au sable, lui firent perdre l'équilibre plus d'une fois et il dut poser le genou au sol, mouillant alors son pantalon. Pourtant, l'homme rit généreusement. Floriane, Bowers et sa perfide sœur, son laboratoire abandonné... Tout cela était déjà loin et à aucun moment il ne pensa à eux.

Il marcha pendant un temps indéterminé. La notion du temps l'avait quitté temporairement, ce qui était ironique pour un Voyageur du Temps. Les mains dans les poches, Nelson traversait la brume dans une sensation de légère irréalité. Peut-être n'était-il pas sur Terre, finalement. Il lui semblait que la plage ne s'arrêtait jamais bien que sa lente progression n'aidât pas à parcourir de longues distances. Profitant d'un coup de vent qui balaya la brume, le jeune anglais stoppa sa marche et se posta face à la mer pour profiter de la vue. Elle ne lui apprit rien de significatif. Mais le calme et régulier glissement des vagues avait quelque chose d'apaisant. Il ferma les yeux. Qui sait si en les ouvrant il ne trouverait pas un autre paysage ? Peut-être se trouvait-il actuellement dans un lieu de transit où l'on faisait patienter les Voyageurs avant leur prochaine destination ? Mais alors, quand on a le temps à ses pieds, pourquoi patienter...

Un claquement métallique sonore interrompit ses pérégrinations mentales. Et le contact désagréable d'un canon de fusil vint heurter le haut de son dos. Enfin, une voix à l'accent inconnu s'adressa à lui sur un ton de menace. Ne voulant pas faire le malin, Nelson leva docilement les mains. Son cœur accéléra mais il ne ressentit aucune panique. Son sentiment de bien-être était toujours là. Il se sentait maître de lui-même et de son destin. Sans se retourner, il répondit à l'étranger, pour qui il devait être lui-même l'étranger.

- Je ne sais pas qui vous êtes et j'ignore de quoi vous parlez. Je me moque de vos affaires. Je suis juste perdu.

Les mains toujours au-dessus de la tête, Nelson se retourna lentement pour dévisager celui qu'il avait dérangé. Il avait la peau noire et le savant en conclut qu'ils étaient en Afrique. Pourtant, l'homme n'était pas vêtu de peaux de bêtes ou de djellaba, autant qu'il put en juger dans l'obscurité. Son fusil était terrifiant. Nelson tenta de sonder ses yeux pour savoir s'il avait affaire à un guerrier prêt à tuer où juste un homme qui était particulièrement sur les nerfs pour une quelconque raison. Celui-ci avait bien dit que ce n'était pas le bon moment. Et pourtant Nelson n'était pas là par hasard. Cependant, la priorité n'était pas de deviner les plans du Dévoreur ou de Zorvan mais bien de passer l'épreuve en vie. Ainsi, Nelson tenta de paraître le plus innocent possible, ce qui ne devait pas être trop difficile pour lui.
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Message  Zorvan Sam 30 Nov - 19:14



Zorvan se tenait debout sur le sommet de la dune et ne perdait rien de la scène qui se jouait sous ses yeux. Cette fois-ci les calculs n'avaient pas été perturbés par les fantaisies d'un esprit trop rétif au voyage temporel. Nelson était très agréable pour cela, reposant même. A présent qu'il avait accepté le chemin que prenait son destin, après les crise de désespoir et les pleurs occasionnés par les souvenirs douloureux d'une trahison, maintenant qu'il avait ouvert les yeux sur les perspectives que lui offraient le Dévoreur et la faculté dont on l'avait doté, il semblait même totalement enthousiaste et prêt à vivre à peu prêt tout ce que cette vie nouvelle lui proposait. Le gardien de l'Antichambre se félicitait de ce nouvel état d'esprit de son invité et y voyait enfin l'ouverture et la souplesse d'esprit qu'on était en droit d'attendre d'un scientifique digne de ce nom. Finalement la rencontre de Picket avec Floriane avait porté d'heureux fruits bien que cela ne semblât pas gagné au départ. Les femmes avaient des arguments qui, parfois, savaient convaincre le plus entêté des hommes à changer de disposition. Toutefois, l'Aralien se plaisait à croire que son habilité personnelle et l'intelligence brillante de Nelson avaient aussi leur part dans cette transformation. Oui, vraiment, ce jeune Anglais était un passager somme toute très intéressant et plus facile à gérer que ce porteur de sabre hongrois qui avait déréglé les paramètres prévisionnels de la téléportation. Il en fallait bien de tels pour compenser les complications provoquées par les récalcitrants, et bien que Ludwik fût, dans son genre, attachant, Zorvan se serait bien passé de sa tendance horripilante à faire à peu près l'inverse de ce qu'on lui demandait. Avec Nelson, rien de tout cela. Soit il refusait et différait, soit il acceptait et se pliait aux demandes de son Guide en tous points. Aux demandes tout court, comme en témoignait sa réaction tout à fait raisonnable face à l'injonction de cet homme qui le menaçait de son fusil mitrailleur. Le gardien imagina furtivement ce qu'aurait bien pu concocter le Hussard en une situation semblable. Certainement aurait-il refusé d'obtempérer et, par quelque feinte, tenté de désarmer son agresseur pour lui faire manger du sable. Bien sûr Nelson n'était pas un soldat et ce détail pouvait expliquer en partie, mais en partie seulement, sa réaction plus prudente. Les militaires ! Il suffisait aussi de penser à Anita pour convenir qu'ils étaient tout de même les moins aisés à surveiller et à tester dans la sérénité relative qui aurait plu à Zorvan. Certes une épreuve dans l'Antichambre n'était jamais totalement tranquille, et ne s'apparentait jamais à une promenade de sante, sinon on n'appellerait pas cela une épreuve. Le danger pouvait survenir à tout moment et l'imprévisible, même pour le Gardien, demandait toujours une attention psychique très soutenue. Parfois, militaires ou pas, les éprouvés se lançaient dans des aventures hasardeuses. Démétrios en était la preuve; lui qui avait trempé son bonnet dans le Bosphore puis combattu aux côtés des Varègues par admiration pour leur chef... Leur chef ! Ce Roi blond qui exposait sa mine d'ange et son panache avec un air innocent , comme s'il n'était pas conscient de son pouvoir sur les hommes et les femmes si prompts à s'enflammer pour une belle figure. Ahhh les Humains !

Zorvan trouvait le pragmatisme dominant la personnalité de Nelson tout à fait confortable et de bon aloi. Mesure et discernement étaient deux traits tout à fait nécessaires et précieux pour faire un voyageur du temps au long cours. Les soldats finissaient toujours par se faire tuer par plus fort qu'eux. Les savant pouvaient vivre très vieux. L'Histoire le prouvait. Ainsi Zorvan avait-il l'impression de forger un voyageur qui durerait et d'accomplir un travail qui traverserait les époques plus sûrement. Enfin, c'était ainsi, certainement que le Dévoreur avait besoin de plusieurs types de voyageurs pour mener à bien sa Quête et qu'il en fallait des éphémère comme des pérennes. Et lui, Gardien de l'Antichambre, se devait d'obéir encore à ses exigences et d'accepter tous les candidats qu'il lui envoyait. La tablette s'activa et le tira de ses expectations psychologiques et philosophiques. Les corrélations entre la trajectoire d'Anita, Ludwik  et Nelson, s'affichaient à présent sur l'écran et le Prêtre Guerrier dut convenir que celui qu'il servait avait bien pensé les choses même s'il n'allait pas être simple de réunir tout ce petit monde. On ne pouvait pas imaginer trois personnalités aussi éloignées les unes des autres et trois caractères plus différents. Les seules traits que Zorvan leur voyait en commun risquait bien de plus les éloigner que les rapprocher. L'indépendance, la droiture, la méfiance, une certaine amertume... Ah ! Il se préparait encore des heures bien difficiles à discipliner ce trio infernal qui ne tarderait pas à se former bon gré, mal gré. Mais pour l'heure il devait se concentrer sur le plus obéissant des trois. Nelson était déjà dans une posture fâcheuse. Ne pas provoquer celui qui le menaçait était déjà une chose, mais il faudrait aussi le convaincre de le laisser en vie. Le dénommé Djingo n'avait rien d'un enfant de chœur même s'il n'était pas un de ces abrutis qui tuent sans raisons. Il avait son pragmatisme également et n'était pas homme à perdre du temps, car le temps, c'est de l'argent. Le Gardien était curieux de voir comment son protégé se tirerait  de ce guêpier.

- Baisse les yeux ! Tu as pas l'air d'être un petit bleu ! Tu es perdu ? Tu es bien arrivé par un chemin, non ? Tu n'aurais jamais dû prendre ce chemin. Marche jusqu'à ce grand palmier là-bas. Reprit l'homme à la peau sombre en poussant Nelson dans les côtes avec le canon de son arme.

Toujours docilement -mais avait-il vraiment le choix ?- Nelson marcha où l'homme voulait le guider, suivi comme son ombre par celui qui le menaçait.

- Assieds-toi contre le tronc  et passe tes mains derrière !  Je pourrais te mettre une balle dans la tête mais les cartouches sont chères. Ou je pourrais t'égorger avec ma machette. Ajouta-t-il en désignant la longue lame recourbée qu'il portait à la ceinture. Mais je vais peut-être pouvoir tirer de l'argent de ce petit contretemps. Tu as certainement de la famille l'English man. Poursuivit-il dans un anglais à l'accent local, tout en lui liant les mains derrière le tronc à l'aide d'une ficelle de chanvre rugueuse qui cisaillait la peau.

Nelson ne pouvait voir que les yeux et les dents blanches qui souriaient en un rictus faussement amical tout en serrant bien fort la cordelette.
L'homme fouilla ensuite en toute décontraction dans les poches du manteau de son otage pour en retirer le peu d'effets qui s'y trouvaient. *
- Te voilà bien installé, mon cochon ! Mais tu n'auras pas droit au spectacle, ni à la parole !

Djingo tira un foulard crasseux de sa poche et banda les yeux de son prisonnier, puis on l'entendit fourrager dans les buissons derrière le palmier. Enfin, il revint et se pencha au dessus du visage de Nelson qui ne disposait plus que de son ouïe et son odorat. L'homme dégageait une odeur de musc et de transpiration légère.

- Ouvre la bouche ou je te pète les dents à coups de crosse !

Il lui fourra une espèce de pelote de fibre végétale juteuse au goût douçâtre dans la bouche et y appliqua un bâillon crasseux dont il valait mieux que Nelson ignore l'usage précédent. Les mains vérifièrent que les trous de nez du prisonnier étaient dégagés puis lui administrèrent une petite tape sur la joue.

- Voilà! Tu devrais te détendre, mec ! Bientôt tu ne comprendras plus grand chose à ce que je vais dire.

Les pas étouffés sur le sable s'éloignèrent de Nelson tandis que Zorvan, invisible au trafiquant, s'en rapprochait. Le Gardien s'enfonça à son tour dans les buissons qui s'agitèrent d'une manière assez inquiétante. Il en ressortit le front marqué d'un pli soucieux. Il ne pouvait pas intervenir mais la tablette identifiait bel et bien la plante qu'il venait de trouver déracinée et en partie amputée de ses racines comme une dérivée de l'iboga du Congo. Nelson en avait vraisemblablement une pleine bouche... Voilà qui était fâcheux ... très fâcheux si l'on considérait le panel d'effets de ce végétal suivant la dose absorbée. Le gardien s'agenouilla devant le prisonnier.

- Nelson  ? M'entendez-vous ? Je ne peux pas intervenir mais vous devez cracher ce que ... vous avez dans la bouche... Si bien que vous puissiez vous sentir tout d'abord... Vous ne devez pas en abuser... Essayez de vous défaire de vôtre bâillon.

Le premier test était en cours ...

HRP:
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Message  Invité Sam 14 Déc - 21:42

Toujours sans montrer le moindre signe de rébellion, Nelson obéit aveuglément à l’homme. Ainsi, il parvint rapidement au palmier, s’assit et eut droit à un ligotage en règle. Ensuite, Nelson subit une fouille complète mais le trafiquant fit une maigre récolte : un petit couteau bien inoffensif face à l’imposante machette et quelques pennies sans valeur. L’anglais voyageait léger. Surtout, il n’avait jamais été vraiment violenté physiquement et son sang-froid en prit un coup devant autant d’agressivité. Si cela était encore un test, il penserait à dire deux mots à Zorvan, au Dévoreur ou même aux deux. Mais pour l’instant, la priorité était de rester conscient et de ne pas faire d’erreur. Sa marge de manœuvre étant plutôt faible, Nelson se contenta de se taire quand on le lui demandait et d’ouvrir la bouche quand on le lui ordonna. L’espèce de pelote végétale fourrée dans sa mâchoire n’avait pas un goût si désagréable mais la situation était inconfortable et très humiliante.

Pourtant, le savant ne parvenait pas à en vouloir à cet étranger. Celui-ci faisait preuve d’une grande nervosité et sa méchanceté était trop forcée pour être véritable. Il devait attendre de quelque chose d’important quand il avait aperçu le londonien. Nelson s’avoua qu’il aurait peut-être été capable d’agir de la sorte si on l’avait interrompu en pleine expérience… sauf qu’il était beaucoup moins intimidant. Ainsi, il espéra que le noir finirait rapidement sa petite affaire et que lui pourrait retrouver sa liberté assez vite. Pourtant les derniers mots prononcés par l’homme qui s’éloignait lui mirent la puce à l’oreille. Qu’entendait-il par là ? L’avait-il drogué ?

La réponse vint plus vite que prévue. La voix si familière et étonnamment rassurante de Zorvan lui expliqua dans quel pétrin il était. Et il y était jusqu’au cou. Pour toute réponse, Nelson réussit à marmonner un :

- Mmemmce mmde mmomnammm ! mmmmtachmmmmoi mmaummmieu mmmme mmme mmmrammmommmmer mmmma mmmie !

Bien heureusement, Zorvan lisait dans les pensées et put ainsi avoir le plaisir de décoder les douces injures balancées par l’anglais.

Pourtant Nelson parvint à se calmer très vite. Devant l’urgence de la situation, il se ressaisit et agit avec distinction. Premièrement, il stoppa immédiatement d’avaler la salive qu’il sécrétait en quantité. Celle-ci était forcément mélangée à la substance empoisonnée. Son menton commença ainsi à dégouliner de bave et même si ce n’était pas très reluisant, il se concentra pour ne plus rien avaler. Puis, il se mit à bouger la tête dans tous les sens pour tenter de faire bouger le bâillon. Il frotta la tête sur ses épaules et en arrière contre le tronc d’arbre afin de détendre le tissu et le faire glisser vers le bas. Enfin, au prix d’une lutte interminable, il parvint à s’en défaire et cracha immédiatement la racine insérée dans sa gorge.

Même si c’était difficile, Nelson tenta de faire le moins de bruit possible. Mais il était essoufflé et s’était presque étranglé avec la salive qui avait coulé également dans ses bronches. La tête penchée en avant, il reprit son souffle quelques secondes avant de relever le visage pour contempler l’obscurité. Il tâcha d’y détecter l’inconnu, tout d’abord, puis Zorvan, malgré une sensation de vertige dont il ne parvenait pas à se libérer.

- C’est bon… Enfin je crois…

Ses paroles étaient entrecoupées d’halètements.

- On est où ? Et c’est qui, lui ?

Apparemment, le flegme britannique de Nelson avait, encore une fois, disparu de la circulation.
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Message  Zorvan Ven 27 Déc - 19:39



La tablette digitale de Zorvan crépita et clignota à intervalles réguliers, et provoqua une marque de mécontentement sur le visage de l'Aralien. Outre la perplexité dans laquelle le plongeait la dernière information qui venait de lui être transmise, la colère devant l'hégémonie du Grand Conseil des Gardiens du Temps ne faiblirait pas de sitôt. Il aurait bien balancé la tablette dans le fleuve si son bon sens ne lui rappelait qu'une machine n'a que faire de l'ire des vivants et n'est que rarement responsable de l'objet de cette colère. Briser le précieux instrument ne servirait à rien d'autre que soulager ses nerfs éprouvés. Son caractère impassible avait bien envie de déroger à la règle et d'oublier qu'il était prêtre guerrier pour ne se souvenir que du dernier aspect  de la combinaison. Ahh s'il pouvait sortir de l'Antichambre ! Il y a belle lurette qu'il leur aurait fait rendre gorge, à ces vieux fossiles du Grand Conseil !  Il regardait fixement l'écran qui scandait visuellement à grands renfort de flash avertisseurs :

SCHHHRIIITTT" Infraction à la règle n°2 de l'initiation au Voyage temporel: l'instructeur ne doit pas intervenir dans l'épreuve de quelque manière que ce soit; l'agent Zorvan a aidé le candidat Nelson en lui donnant un conseil." SCHHRRRIITTTT "La sanction encourue est débattue à l'heure actuelle au sein du Grand Conseil" SCHRRIITTT " Ordre de se retirer immédiatement de l'épreuve transmise au Gardien de l'Antichambre. Veuillez accuser réception !"

Accuser, accuser ! Ahh oui il en avait des accusations à porter, Zorvan ! Mais il rechignait un peu à obtempérer. Pourtant il n'avait guère d'autre choix. Bien qu'abandonner son protégé, le plus supportable depuis longtemps, lui répugnât. Il analysa rapidement la situation de Nelson et consulta les ouvertures possibles à la suite des événements. Il cocha celle qui lui paraissait la plus favorable avant d'annoncer la nouvelle au jeune anglais.

- Je dois m'absenter un moment mais soyez sans crainte. La suite des événements va vous permettre de mettre en œuvre votre pragmatisme et votre bon sens. Je sais que vous n'êtes dénué ni de l'un ni de l'autre. J'ai confiance en vous pour faire face aux épreuves qui vont suivre. Appuyez-vous sur les ressources qui vont se présenter.

Zorvan se doutait que Nelson n'était pas en pleine possession de ses moyens et que les liens qui l'entravaient encore étaient un problème ... qui serait toutefois résolu rapidement si tout se passait comme il l'avait programmé. Restait à espérer que la délivrance ne tarderait pas trop pour le jeune scientifique un peu groggy par les effets hallucinogènes de la plante qu'il avait eu en bouche. Le Gardien n'eut pas trop le temps de se perdre en conjectures. Déjà sa silhouette s'effaçait du bosquet de buissons derrière lequel il s'obstinait à rester caché.


**************

Le silence, brisé par le seul ressac de la mer, enveloppa bientôt Nelson. Même les singes dans les arbres s'étaient tus. L'obscurité décroissante de l'aube fut bientôt trouée par les deux phares d'un véhicule qui suivait la piste longeant la plage . Un coup de freins brutal, un virage sur les chapeaux de roues dans une gerbe de sable, et les feux de la jeep aveuglèrent le jeune voyageur débarrassé de son bâillon. Les feux s'éteignirent brutalement et des voix chuchotèrent dans les buissons.

- J'avais raison ! Il y a bien un homme ligoté à ce palmier. Triompha une voix féminine.

- Qu'est-ce qu'on fait ? On a ordre de ne pas se mêler des "affaires "des autochtones ! Répondit un homme toujours en chuchotant.

- T'as oublié le serment d’Hippocrate, Lewis ? Je peux pas l'abandonner ici, même si c'est une pourriture de trafiquant que ses rivaux veulent livrer aux requins.

- Magne-toi, Maya ! Si on traîne trop dans le coin on va se faire repérer.

- Tu penses qu'ils ont pas vu les feux de la bagnole ? Tu crois qu'ils sont aveugles ? Tiens-toi prêt à démarrer. Arthur, arme le fusil mitrailleur, ça pourrait servir.

Une silhouette furtive se glissa jusqu'à Nelson et il sentit ses liens se trancher ainsi qu'une odeur de savon antiseptique qui tranchait avec l'odeur fauve laissée par son ravisseur. Le clair de lune éclaira un bref instant un joli visage aux cheveux sombres tirés en queue de cheval. Elle intima le silence à Nelson en posant son index sur sa bouche. Puis elle lui fit signe de la suivre jusqu'à la voiture mais l'anglais semblait un peu dans les vapes. "Merde, ils ont du le droguer! " pensa Maya en glissant un bras sous les aisselles du type qui avait tout l'air d'un touriste bizarre et non d'un trafiquant. Mais par les temps qui courraient on ne pouvait se fier à rien. Quelque chose crépita dans le sable et Maya comprit qu'ils étaient la cible d'une mitraille.

- Va falloir déplaner très vite mon gars, si tu veux sauver ton cul ! Ordonna-t-elle à Nelson. Lewis, Bon Dieu, démarre cette saloperie de bagnole! Arthur tu nous couvres, bordel ! Hurla-t-elle dans l'élan à ses acolytes.

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Message  Invité Dim 26 Jan - 14:07

- Hey !

Le départ de Zorvan fut vécu avec un enthousiasme modéré de la part de Nelson. Le gardien de l’Antichambre était un peu le filet du numéro périlleux de trapèze réalisé par le jeune anglais depuis son arrivée dans la quatrième dimension. Désormais, sans la présence rassurante, bien qu’agaçante, de l’homme à la barbichette, Nelson sentait le poids du danger et même de la mort prochaine s’abattre sur ses épaules beaucoup trop frêles pour un tel fardeau.

Il se mit à marmonner pour se donner du courage. Mais les mots qui se bousculaient dans sa bouche ne sortaient qu’en bouillie inaudible. Visiblement, le savant avait ingéré suffisamment de toxines pour que ses facultés en soient altérées. Il restait conscient, mais sa tête dodelinante de droite à gauche ne parvenait plus à gérer toute la machinerie de son corps. Ainsi, Nelson commença à ne plus lutter et se laissa aller dans une léthargie de plus en plus profonde. Il était happé par l’obscurité d’un sommeil terrifiant. Il connut alors la peur de s’endormir sans avoir la certitude de se réveiller. Mais à quoi bon tenir ? Quelques images se mirent à parcourir son cerveau. Pas de quoi retracer le fil de sa vie mais il revit les visages de Mary Pickett et… Floriane ?

Loin, très loin, son cerveau capta quelques informations indistinctes… Il sentait que l’on tranchait ses liens, que l’on traînait son corps et un nouveau visage, qui n’était pas le fruit de son imagination cette fois-ci, apparut à ses yeux fatigués. Ce visage de jeune femme lui intima le silence et Nelson n’aurait pas pu lui donner tort. Du coup, le jeune anglais lutta contre la torpeur qui ne l’avait pas encore englouti et entendit les mots de la voix féminine qui s’exprimait avec panique.

Le voyageur du temps aperçut un véhicule inconnu et s’y agrippa afin de se laisser tomber à l’intérieur. De plus en plus distinctement, il distingua des bruits terrifiants et assourdissants d’armes automatiques. Des bruits qu’il n’avait jamais entendus jusqu’à présent et qui lui vrillaient ses tympans. Certains de ces crépitements provenaient du lointain, d’autres semblaient émaner d’un homme placé à proximité.

- Qu’essequisspass ?

Nelson bredouilla une question dans un anglais peu articulé, en direction de sa sauveuse providentielle. Le jeune homme ayant perdu la protection de Zorvan, décida sans trop en avoir le choix de remettre son sort entre les mains de la femme inconnue.

Un bruit de moteur le fit sursauter et il se redressa soudainement. L’adrénaline lui permit de recouvrer partiellement ses facultés et il put enfin admirer le spectacle. Nelson avait l’impression de s’être retrouvé en plein milieu d’une guerre qui n’avait pas encore eu lieu à son époque. Les armes étaient futuristes et l’automobile était d’une sophistication ahurissante. Le scientifique avait déjà pu admirer certains modèles français à vapeur dans sa jeunesse et il avait vu un exemplaire, chez un riche camarade, de l’automobile à moteur à explosion créée par l’allemand Daimler. Il se souvenait notamment que le démarrage de l’engin était laborieux et extrêmement bruyant. Mais dans le véhicule où il se trouvait actuellement, une simple pièce de métal pivotante avait fait ronronner le moteur. Nelson était fasciné et sa curiosité scientifique reprit l’avantage sur son défaitisme. Il était dans l’avenir et il comptait bien ne pas en rater une miette.
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Message  Zorvan Lun 24 Fév - 20:10



La jeep démarra sur les chapeaux de roues tandis que le dénommé Arthur faisait pivoter son fusil mitrailleur afin d'arroser copieusement la plage et de couvrir leur retraite. Maya, accroupie à l'arrière de la plate forme du véhicule, passa son bras sur les épaules de Nelson et le força à faire de même. Ce type était inconscient, peut-être à cause des effets de la drogue qu'on lui avait administré, et tendait le cou pour voir le conducteur faire les manœuvres nécessaires à leur survie. Arquant ses jolis sourcils, elle fusilla l'anglais du regard et lui chuchota à l'oreille.

- Hey, on a pas pris tous ces risques afin de te tirer de ce mauvais pas pour que tu te fasses trouer la peau sous nos yeux ! Lewis conduit très bien, tu n'as pas à t'inquiéter, il est habitué à ce genre de situation. Il gère!

La jeep roulait à présent à tombeau ouvert sur la piste défoncée et les cahots secouaient sans ménagement les passagers. Après un bon quart d'heure à ce train d'enfer, Maya se faufila jusqu'au conducteur et lui cria:

- Tu peux ralentir maintenant, on arrive sous le couvert des arbres. On va entrer dans la forêt. J'ai pas envie qu'on finisse notre course contre un tronc. N'oublie pas qu'on a tout le chargement pour le dispensaire.

Après un cheminement interminable sous les frondaisons, la folle équipée arriva en vue d'une bâtisse de forme allongée et basse à un seul niveau, dont les murs blancs tranchaient avec l'obscurité des feuillages environnants. Au centre du bâtiment se découpait une porte faiblement éclairée par une veilleuse. Sur le pas, un homme d'âge mûr attendait l'air soucieux en fumant un cigare. Maya revint auprès de Nelson et lui murmura:

- Je suis Maya Etcheverry et nous voici arrivés au dispensaire où je travaille comme médecin. Je ne sais pas qui tu es mais évite de parler sans que je te le dise ou qu'on t'interroge. Tu es un malade qu'on a ramassé au bord de la route , ok ? Le type qui nous attend, c'est le directeur du dispensaire, un australien. C'est un homme droit mais très méfiant. Si tu veux que je te soigne et que je te remette dans le bon avion pour rentrer chez toi, tu la fermes, c'est compris ?

Sitôt la jeep immobilisée devant le dispensaire, elle aida Nelson à s'extraire du véhicule en le soutenant sous les aisselles aidée par Arthur qui avait enfin lâché son arme.

- Hi, Gordon. On a un peu de retard mais on a ramassé ce gars sur le chemin. En sale état ... Encore un touriste qui a dû se faire droguer et détrousser par des rabatteurs.

L'homme, la cinquantaine sonnée, une barbe tellement conséquente qu'on pouvait craindre qu'elle ne s'enflamme une fois le cigare devenu trop court , prit le menton de l'anglais dans sa main libre et lui souleva la tête .

- Il a l'air bien parti ouais ... S'ils l'ont largué, c'est qu'ils n'avaient plus rien à en tirer, pas même une rançon, sinon ils l'auraient retenu prisonnier le temps de contacter la famille... Doit être trop pauvre ... Encore un baba  qui vient vivre des sensations fortes en Afrique avec les poches vides et la tête pleine d'illusions ... Maya, on peut pas le garder ici ! Tu sais qu'on a déjà pas assez de place pour les malades ...

La jolie brunette leva les yeux au ciel et se campa les mains sur les hanches .

- Hey, dis-donc, Monsieur le grand manitou, toi tu gères les comptes, moi je gère l'entrée et la sortie des malades. C'est le deal !  Combien crois-tu que ce type avait de chances de survivre seul dans son état, en pleine nature . Je vais pas lui offrir un séjour palace quatre étoiles aux frais de la princesse. Je le remets sur pied, je me charge de découvrir son identité et je le réexpédie chez lui sitôt que j'ai une adresse.

- Il a pas de papiers ? C'est mauvais, ça ! Qui nous dit que c'est pas un agent du gouvernement, ou un espion à la solde des trafiquants ?

La jeune femme haussa les épaules en lorgnant Nelson qui titubait sur le perron.

- Tu trouves qu'il a l'air dangereux ? Franchement, il a la tête d'un trafiquant ? Moi je vois un type paumé qui a dû participer au dernier festival goth avant d'embarquer sur un navire marchand à destination de nos côtes. Tu as vu ses fringues ? Elles sont tout droit sorties de chez un fripier new age ! Occupe-toi plutôt de veiller au déchargement des médicaments ...

Bousculant quelque peu les deux hommes, elle prit Nelson par la main pour l'entraîner à l'intérieur et le guider jusqu'à une petite chambre attenante à un bureau, le sien. Elle le força à s'allonger sur le lit et lui servit un verre d'eau fraîche puis s'assit à son chevet.

- Et si vous me disiez à présent comment vous vous nommez et d'où vous venez ?

HRP:

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Message  Invité Dim 9 Mar - 16:31

Bien que peu habitué à prendre la calèche, Nelson avait déjà connu des courses rapides dans les rues de Londres, la dernière remontant à quelques heures en arrière (dans son référentiel-temps) en compagnie de la jeune française pour échapper à Bowers. Mais cette automobile parvenait à atteindre des vitesses qu’il n’avait jamais envisagées. Sur le coup, le savant anglais se demanda même à quoi pouvait bien servir les chevaux désormais. Le véhicule fonçait sur la piste à toute allure et même si ça bougeait beaucoup, cela restait presque moins cahotant qu’un fiacre sur le pavé londonien.

- Incroyable…

Nelson marmonnait dans sa barbe. Il sentait sa lucidité revenir et il termina le trajet à observer la végétation environnante. L’anglais n’avait quasiment jamais quitté son pays. Il avait visité Paris une fois et, dans sa jeunesse, avait rendu visite aux voisins irlandais qui étaient aussi rustres que leur réputation. Les larges feuilles qu’il parvenait à analyser, malgré la vitesse et l’obscurité, lui signala qu’il n’était définitivement plus en Europe. La présence de l’indigène noir avait également été une bonne indication. L’Afrique ou l’Amérique du Sud. L’excitation qu’il avait ressentie en débarquant sur la plage fit son retour. Et Nelson affichait un petit sourire alors que la jeep pénétrait dans la cour du dispensaire.

Maya (nom charmant et exotique) aida Nelson à remettre le pied au sol, et celui-ci sentit qu’il était encore loin d’avoir recouvré ses forces. Il parvint à trouver son équilibre mais ce fut d'un pas chancelant qu'il se dirigea vers le porche après avoir enregistré les recommandations de la jeune femme. Déjà, celle-ci entrait en grande conversation avec un type au regard inquisiteur, qui mentionna l’Afrique.

- Bon sang. J’suis vraiment en Afrique…

Nelson promena son regard tout autour de lui, voulant profiter de chaque détail et s'attendant à tomber sur un lion ou un crocodile. De loin, il donnait surtout l’impression d’être un peu à côté de la plaque – ce qui n’était pas tout à fait faux – mais le voyageur du temps était surtout très enthousiaste. Comme il ne parvenait pas à tenir droit, il finit par s’asseoir au sol, adossé à un mur. Il parvint à entendre les paroles échangées un peu plus loin. De nombreux termes lui échappaient : festival goth (les barbares étaient-ils de retour ?), touriste (était-ce une insulte ?), fripier new age (un nouvel âge ? l'humanité avait-elle franchie un cap important ?)… Le langage du futur valait le détour. Toutefois, il comprit le sens général de la discussion : le type ne voulait pas de Nelson, Maya si, et c’est elle qui eut le dernier mot. Floriane aurait certainement approuvé que cette jeune femme tienne tête à l’australien. D’ailleurs, elle revenait vers lui et l’invita à entrer dans le bâtiment.

Rapidement, ils parvinrent à une petite chambre à la décoration minimaliste et Nelson ne résista pas une seconde lorsque Maya le pressa de s’allonger sur le lit. Il accepta le verre d’eau avec autant de jubilation et il le vida très vite. Le voyageur sentit la torpeur qui commençait à l’envahir mais il lutta car sa curiosité était en ébullition. Tout comme celle de son interlocutrice, visiblement.

- Je me nomme Nelson Pickett. Je viens de Londres.

Il avait décidé de ne pas se chercher inutilement de fausse identité. N’étant pas un espion, il savait pertinemment qu’il s’embrouillerait bien vite s’il devait jongler entre fausses et réelles informations. En revanche, il était clair qu’il devait passer sous silence sa provenance temporelle. Il ne voulait pas passer pour un détraqué. Même si le Dévoreur ne l’avait pas précisé, il lui semblait évident que le voyage dans le temps n’avait été démocratisé à aucune époque.

- Je… Je… Je n’me souviens de rien. Je suis désolé. Je ne sais même pas où nous sommes et quelle est la date d’aujourd’hui.

Là encore, il ne mentait pas. Et à l’intonation de sa voix, Maya dut comprendre que son protégé attendait une réponse de sa part.
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Message  Zorvan Dim 9 Mar - 20:48



Maya hocha la tête d'un air entendu lorsque son mystérieux invité lui révéla son identité et son origine. Un anglais ! Elle avait donc vu juste en pensant qu'il était d'origine anglo saxonne. Elle avait hésité entre américain et anglais mais il avait ce petit truc en plus que seuls les natifs de la blanche Albion possèdent. Ce charme un peu désuet, cette apparence décalée et un peu hors du temps. Avait-il aussi cet humour pince sans rire légendaire ? Elle le découvrirait bientôt. Cependant, si on avançait, les renseignements étaient tout de même vagues. Il venait de Londres, soit, mais la capitale britannique était vaste et ce qu'il fallait à Maya, c'était un adresse et les coordonnées de proches du jeune homme à contacter. Bon, avec son nom, elle pouvait toujours contacter l'ambassade britannique à Freetown et essayer d'en savoir plus. L'essentiel était de le confier à de bonnes mains, d'être certaine qu'il était sauf et hors de danger. Le fait qu'il soit partiellement amnésique ne la surprit pas plus que cela. S'il avait été enlevé et drogué, le choc et les effets secondaires pouvaient expliquer sa perte de mémoire. Il pouvait aussi avoir pris un mauvais coup sur la tête. Les trafiquants aimaient à user des crosses de leurs fusils comme de massues lorsqu'il ne faisaient pas crépiter les balles. Elle fit une petite moue et se caressa le lobe de l'oreille, tic qu'elle avait depuis sa plus tendre enfance et trahissait une intense réflexion. Peut-être qu'un avis de disparition avait été communiqué à Interpol ou à la police militaire de l'ONU. Enfin, ce n'était pas sûr. A en juger par son apparence, le pauvre garçon n'avait rien d'un fils à papa plein aux as, pour qui on remuerait ciel et terre. Il avait plutôt l'air tout droit sorti d'un roman du 19°, un peu ahuri mais malgré ses réponses laconiques, doté, semblait-il d'une éducation. Après avoir pris sa tension et l'avoir examiné sommairement, elle constata que hormis les traces que les liens avaient laissé sur ses poignets et ses chevilles, il ne portait aucune trace de contusions importantes. Elle l'examinerait plus amplement demain. Pour l'instant, il avait surtout besoin de récupérer. Elle quitta donc son chevet en lui intimant de ne pas bouger et de se reposer.

- Je vais vous préparer quelque chose à manger. Vous devez avoir faim.

Elle disparut dans la cuisine du dispensaire et sortit du réfrigérateur quelques galettes de céréales locales et deux œufs fournis par les poules qui couraient dans la cour. Après avoir mis de l'eau à bouillir, elle passa dans le bureau ou trônait une radio et activa le commutateur. Un grésillement se fit entendre et elle tapa sur le côté de l'émetteur puis prit en main le micro.

- Fichue machine, tu vas arrêter de déconner oui ? Allo, ici tango alpha, le dispensaire de Kagali, vous me recevez ?

Nouveau craquement.

- Ici la base militaire de Lungo, antenne médicale de la  MINUSUSIL, nous vous recevons tango alpha. Que puis-je pour vous ? A vous.

- Nous avons dans nos locaux un ressortissant britannique en état de choc, possible qu'il ait été victime d'un enlèvement. Avez-vous un avis de disparition au nom de Nelson Pickett ? A vous .

- Bien reçu. Nous vérifions dans notre base de données, un instant. Quel est l'état physique du sujet ? A vous.

- Pas de blessures physiques visible, amnésie partielle, perte de repères temporel et spatial. Il montre quelques symptômes hallucinatoires, et de désorientation,  probablement dus à l'absorption d'une drogue. Il affirme venir de Londres.

- Aucun avis de disparition à ce nom. Je vous conseille de contacter l'ambassade britannique. A vous

- C'est bien mon intention. Pourriez-vous prendre en charge Monsieur Pickett et assurer sa protection ? Nous sommes en zone sensible et nous avons peu de temps à consacrer à sa sécurité. Vius êtes mieux équipés pour soigner les troubles post traumatiques, ici, c'est un dispensaire épidémiologique.

- Nous ne sommes pas mandatés pour prendre en charge la population civile dans nos locaux. Il vaudrait mieux le conduire à l'ambassade. A vous.

- Bordel, votre nom ! Donnez moi votre nom! Vous croyez qu'on est mandatés pour faire les nounous avec les touristes nous ?

Un court silence fit suite à l'éclat de voix de Maya. Puis une autre voix plus grave se fit entendre.

- Lieutenant Kaperski, sous officier radio de l'antenne médicale de la MINUSUSIL. Déclinez votre identité madame.

- Docteur Maya Etchevery, membre de médecins sans frontières en poste au dispensaire de Kagali. Nous avons un civil britannique en état de choc, à moitié amnésique. Je l'ai trouvé ligoté sur la plage. Vous allez faire quelque chose pour lui lieutenant ou je dois venir botter votre cul kaki moi-même ? Merde, on s'est fait canarder quand même!

- Vous avez été la cible d'un tir ? Il fallait le dire tout de suite. Les agresseurs vous ont -ils suivis jusqu'au dispensaire . A vous .

- J'en sais foutre rien. C'est bien possible.

- Attendez un instant.

Maya leva les yeux au plafond et soupira.

- C'est ça. Attendons qu'ils foutent le feu au dispensaire.

Un nouveau crépitement .

- L'essentiel de notre contingent est actuellement en opération le long de la frontière. Nous vous envoyons quelques hommes avec le Commandant Detmers qui est à côté de moi et vient de rentrer de permission. Elle se porte volontaire.

- Anita ? Enfin, je veux dire, le docteur Detmers est rentré de New York ? Passez là moi ! Tout de suite!

Maya piaffait d'impatience et tortillait le fil du commutateur avec nervosité. Enfin quelqu'un de sensé à qui parler!  Enfin une femme et collègue de surcroit avec qui échanger ses dernières expériences autour d'un thé ou d'un bon gin, Maya ne crachait pas dessus non plus. Le retour d'Anita tombait à pic pour elle qui commençait à maquer sérieusement de conversations nouvelles entre ses collègues du dispensaire, l'Australien bougon et les singes qui sautaient d'arbres en arbres. Bien sûr la journée passait très vite et même certaines nuits lorsqu'il y avait affluence de malades et Maya était passionnée par son métier, dorait le contact humaine avec ces gens qui manquaient de tout et se battaient  chaque jour contre la mort, la faim, la misère, juste pour survivre et qui pourtant lui adressaient des sourires qui lui réchauffaient le cœur comme jamais lorsqu'elle soignait un bébé, posait une atèle à une jambe brisée, gagnait un combat contre la malaria qui faisait des ravages, adaptait une prothèse sur un membre amputé. Le malheur était partout dans ce pays ravagé par la guerre civile et les trafics illégaux et si la mise en place d'un contingent de la MINUSUSIL avait apaisé les choses, rendant à la population un espoir de retour à la normale et de reconstruction, il y avait encore loin avant de dire que la Sierra Leone était un pays où il faisait bon vivre. Anita était le seul apport civilisé venu de l'occident fréquentable et agréable qu'elle ait eut depuis qu'elle travaillait à Kagali, la seule trêve avec l'horreur du quotidien. Avec elle, elle pouvait aussi bien parler médecine que chiffons, même si le sujet n'avait pas leur prédilection ou partager des anecdotes sur les patients ou les hommes qui traversaient leur vie de façon toujours éphémère. La savoir de retour était une vraie bouffée d'oxygène. Mais pour l'heure, elles avaient un sujet de conversation tout trouvé: Nelson Pickett. Pourquoi diable cet anglais étrange était venu se perdre dans un pays ravagé par tous les fléaux possibles et imaginables ? Il y avait mieux comme destination touristique, non ? Même si le pays en lui-même n'était pas dépourvu d'attraits et de paysages à couper le souffle. Un paradis où se déchainait l'enfer, telle lui était apparue la Sierra Leone lorsqu'elle y avait débarqué.

- Le commandant Detmers ne peut pas vous parler! Elle a pris connaissance de votre problème auprès de nous et se prépare déjà à vous rejoindre. Elle sera sur les lieux demain à la première heure si les pistes sont praticables. A vous.

Maya soupira de déception mais sourit à ces mots. Elle reconnaissait bien là l'efficacité proverbiale de son amie. Inutile de perdre du temps à répéter la même chose ! Il fallait agir, et vite!

- Très bien, nous l'attendons ! ... Et Lieutenant Kaperski, merci de votre aide. Désolée si j'ai pu vous paraître un peu ... péremptoire ...

- Oh nous avons l'habitude ici, vous savez . Je coupe. Bonne soirée Docteur .

Maya posa le combiné et retint un petit rire en songeant à l'allusion du lieutenant. Il faisait certainement allusion au caractère bien trempé de sa supérieure hiérarchique. Elle s'apprêtait à appeler l'ambassade lorsqu'un bruit de mobilier renversé attira son attention. Sur le pas de la porte, appuyé au chambranle, plus pâle qu'un fantôme, Pickett se tenait debout et montrait du doigt une épaisse fumée blanche qui s'échappait de la cuisine.

- Mais qu'est ce que vous faites debout ? Bon sang, je vous avez dit de rester couché ! Depuis combien de temps êtes-vous là à m'écouter au lieu de vous reposer ?

- ...

L'Anglais montrait toujours la fumée, comme s'il cherchait ses mots.

- Bordel ! L'eau pour les oeufs. Cria Maya en se ruant vers la cuisine.

L'eau s'était totalement évaporée et la casserole commençait à prendre feu par la poignée. Elle coupa le bruleur et empoigna les galettes, un couteau et un pot de beurre de cacahuètes qui trainait sur le plan de travail puis revint vers un Nelson titubant .

- Allez, au lit maintenant ! Vous avez eu assez d'émotions pour aujourd'hui. Je vais vous faire quelques tartines, un ou deux vaccins et dodo!


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Message  Invité Dim 30 Mar - 17:25

Changement de réalité

Anita venait à peine de passer le pont ouvert par Zorvan qu'elle retrouvait son corps de femme et qu'elle perdait sa tenue d'adolescente au profit de son uniforme de médecin militaire. Il n'y avait plus de forêt tropicale, plus de père la pourchassant, plus d'homme de Vasquez, plus d'étrangeté venue du passé. Il ne lui restait plus qu'un apaisement qu'elle ne s'imaginait pas avoir besoin. Elle se sentait apaisée d'avoir fait face à son père. D'avoir eu la chance de le faire alors que sa mort ne le lui permettait plus. C'était un petit, tout petit apaisement agréable. Mais ce n'était pas celui qu'elle attendait. Elle serait réellement apaisée lorsqu'elle pourrait border de nouveau son fils le soir, le serrer dans ses bras et l'avoir près d'elle.
Un petit sourire s'afficha sur son visage. Il n'était pas dû au petit apaisement. En fait, elle était satisfaite d'un retour à la normalité et à la réalité. Mais en regardant attentivement autour d'elle, Anita se douta que s'il était possible que tout soit normal autour d'elle, qu'il n'y avait pas de revenant, la réalité n'était pas pour tout de suite. Elle ne se trouvait pas dans l'étrange couloir au mur à l'aspect de gelée anglaise, parsemé de portes, où un bruit répétitif fracassait les tympans. Elle n'était pas dans ce qu'elle avait cru être le lieu d'un canular. Anita ne savait pas vraiment où elle se trouvait cette fois-ci, mais ce ne lui était pas inconnu. Elle avait comme une sensation de déjà-vu. Des antennes médicales militaire, elle en avait suffisamment vu pour deviner qu'elle se trouvait dans l'une d'elle. Anita était plantée au milieu de la partie bloc chirurgical de l'immense tente de l'antenne médicale.

- Que me réservez-vous maintenant ? Demanda-t-elle à Zorvan.

Elle sortit de la partie bloc opératoire en écartant le pan de toile cirée kaki qui servait de porte et arriva dans la salle de déchoquage. Elle était aussi vide que le bloc opératoire. Anita poursuivit son chemin afin de sortir de la tente. Elle entra dans la salle de triage, où se trouvait enfin de la vie, pas forcément dans un bon état, ainsi que la sortie. Elle s'apprêtait à sortir en soulevant le pan de toile mais elle se retrouva nez à nez avec un homme. Aussitôt, celui-ci la salua respectueusement, avec un fort accent allemand dans son anglais. Anita fut surprise d'être reconnue dans cette antenne médicale qu'elle n'avait pas l'impression de connaître.

- Bon retour de permission, Commandant. Nous venons de terminer l'inventaire pour le bloc opératoire. Il a été donné au Lieutenant Kaperski qui s'apprête à la transmettre. Il est au poste de transmissions.

Le militaire garda le pan de la tente ouvert afin qu'Anita puisse en sortir, qui la remercia avec un peu d'hésitation, ne comprenant pas vraiment ce qui lui arrivait. L'homme continuait de parler de l'inventaire sans qu'Anita ne sache quoi dire. En réalité, elle savait parfaitement quoi répondre à l'énumération de l'inventaire dans lequel il n'y avait pas suffisamment de compresse au goût d'Anita.

- Je veux voir l'inventaire avant qu'il ne soit transmis, dit finalement Anita, qui ne voyant pas quoi répondre d'autre.

Le militaire la conduisit donc auprès du Lieutenant Kaperski, qui attendait l'accès à la radio. À l'intérieur, le Lieutenant Kaperski étudiait une dernière fois son inventaire, pendant que le militaire responsable de la radio attendait. Anita entra et bénéficia de nouveau d'un salut respectueux. Elle venait tout juste d'entrer dans la tente où se trouvait la radio lorsque celle-ci se mit à réceptionner un appel en provenance d'un dispensaire.

Ce casque rêve bleu !
Silencieuse, Anita écouta la conversation qui s'établissait, lui permettant d'apprendre qu'elle se trouvait à la base militaire de Lungo, et qu'elle avait fait son entrée au sein de cet étrange et nouvel univers, directement dans l'antenne médicale de la  MINUSUSIL. Elle avait donc une indication sur le lieu sur lequel elle se trouvait maintenant. Mais pas d'indication sur la date. Elle n'était plus dans sa période ado. Mais était-elle mère dans cette nouvelle réalité ?
Le son de la radio était mauvais, mais la voix qui émanait de la radio lui était familière. Mais avec Zorvan et ce qu'il lui avait fait subir plus tôt, la confrontant à un père pourtant décédé, Anita se méfia et préféra écouter la suite. Dispensaire épidémiologique, ton autoritaire et langage fleuri, Anita savait déjà qui se trouvait à l'autre bout des ondes radios. Et ses soupçons devinrent une certitude lorsque la femme se présenta à Kaperski, qui venait de prendre en main la communication. Il s'agissait bien de son amie Maya Detcheverry. Dans cette étrange nouvelle dimension, Anita avait de nouveau droit à une personne qu'elle connaissait, qui provenait de sa réalité. Après son père, elle avait maintenant Maya.

- Je m'en charge, déclara Anita, après que Maya ne parle de feu au dispensaire.

Anita était bien décidée à aller vers une personne qu'elle connaissait déjà plutôt que de rester dans cette antenne médicale qu'elle n'arrivait pas à associer à un moment de sa vie.
Le crépitement de la radio n'avait pas encore cessé qu'Anita avait tourné les talons pour sortir de la tente et se préparer à rejoindre Maya, qui fut informée qu'Anita arriverait le lendemain, si tout allait bien.

Les premières heures d'Anita dans ce rêve éveillé furent destinées à préparer le voyage jusqu'au dispensaire où exerçait Maya. Anita avait toujours souhaité être missionnée par l'ONU au Sierra Leone. Elle avait déjà rêvé une fois qu'elle y était envoyée. La voilà maintenant à vivre un rêve.
Dès qu'elle se retrouva seule, Anita laissait échapper l'excitation qui s'éveillait en elle. Elle se demandait si Zorvan lui faisait un cadeau en modifiant sa réalité pour lui faire vivre un rêve. Était-lait un génie habitant une lampe et réalisant trois souhaits, après avoir au préalable une épreuve à son maître. Étrange génie que de faire subir cela à son maître !
Zorvan avait pu la faire retourner à Curaçao pour affronter son père. Maintenant elle vivait un de ses rêves de casque bleu. Cela ne pouvait que relever de la magie. Peut-être pourrait-il faire revenir son fils... Penser à Damian lui fit lâcher un long soupir désemparé.
Anita fit tirée de sa rêverie par le sous-lieutenant allemand qu'elle avait croisé plus tôt. Il venait prendre de nouveaux ordres. Puis, lorsque tout fut prêt, le départ fut rapidement donné. Anita ne perdait pas son temps.

De l'antenne au dispensaire, il n'y a pas qu'un pas !

Maya avait été prévenue que le Commandant Detmers arriverait le lendemain à la première heure, si tout allait bien. Il lui fallut bien plus de temps pour arriver. Le convoi militaire avait mis plus de temps que prévu.

Les fortes pluies de la veille et des jours précédents avaient rendues une partie de la voie difficilement praticable. La jeep dans laquelle Anita et deux hommes avait pris place avait même failli faire une sortie de route. Ce que la seconde, occupée par trois autres militaires, avait bien subi. Le convoi dut dégager la voiture pour poursuivre leur route. Et ils durent le faire sous une pluie battante et dans la pénombre du petit matin.

Voilà un trajet qui avait de quoi mettre le Commandant Detmers de bonne humeur. Elle avait d'ailleurs offert à Zorvan un regard qui en disant long sur son humeur, lorsque celui-ci l'observait en pleine manœuvre pour dégager le véhicule. Elle savait que le Sierra Leone n'avait rien d'un rêve idyllique, mais commencer par la pluie, c'était le pompon ! Si jusqu'à maintenant, Zorvan avait eu droit à un « Monsieur » de la part d'Anita, cette fois-ci, il pouvait s'estimer heureux de savoir ses fesses loin de sa paire de ranger boueuses d'Anita.

Quand Anita arriva au dispensaire, il était environ dix heures du matin. Elle était trempée, pleine de boue. Mais se savoir arrivée à bon port et bientôt face à son amie Maya atténua sa mauvaise humeur. Elle fut accueillie par un certain Gordon. Anita se présenta brièvement et ne chercha pas à converser longuement avec lui. Elle coupa rapidement les salutation en lui demandant :

- Où se trouve le Docteur Detcheverry ?
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Message  Ludwik Cseszneky Dim 27 Juil - 20:01

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Alors qu'il était entrain de défendre le Roi fondateur de la nation magyare, Ludwik assista à un phénomène étrange qu'il attribua immédiatement au garde chiourme popesque. Rappelant les ébranlements qui suivent de près une canonnade, l'air s'était mis à trembler et le paysage à se brouiller. Si l'on exceptait que le canon le plus proche était dans l'entrepont à tribord et n'avait aucune raison d'être mis à feu et si on faisait abstraction du fait que le tremblement se prolongeait de façon bien anormale. Pas assez intensément toutefois, pour masquer le souci qui se présentait sur la falaise sous la forme de archers dont Ludwik n'eut pas le temps de déterminer l'appartenance. Il y eut comme un éclair de foudre d'une blancheur éclatante. Un Zuip ! Tout aussi crépitant que la foudre. C'était donc ça, la grâce de Saint Etienne ? Il avait trépassé sous les traits multiples des archers. Il allait s'élever au Panthéon des braves de la Sainte Hongrie. Une forme de Valhala finno- ougrien avec un Odin un peu trop orthodoxe, mais après tout, n'avait-il pas droit lui-même en trépassant, à quelques fantaisies d'interprétation de sa propre fin ? « Bénissez-moi mon père parce que j'ai baisé  euh … pêché. » . Le Hongrois vit ainsi défiler plusieurs visages et quelques paires de cuisses ayant marquées sa vie. Il allait sans doute rater le Paradis, mais il l'avait quelque fois effleuré sur Terre. Il ferma les yeux sous le coup de l'éblouissement et lorsqu'il les rouvrit, il se tenait debout, le sabre toujours au clair, l'uniforme tout fumant du coup de l'éclair sans doute.

Qu'il faisait chaud dans cette forêt de l'Enfer où il était à présent arrivé. Des volutes de brume s'élevaient entre les arbres dotés de larges feuilles étranges.  On entendait encore ça et là  le plic ploc des gouttes d'eau tombant d'une feuille à l'autre, traces d'une averse récente. Il pleuvait donc en Enfer ? Quelle incongruité !  Ce Zorvan aurait pu lui offrir un Styx digne de ce nom, avec des fleuves de lave en fusion, des scories  s'abattant sur de malheureux squelettes rongés par les flammes, des serpents se coulant entre les cranes amassés. C'était le comble ! Des arbres qui avait la même forme que ceux sur l'illustration des révoltés du Bounty … Il évita de justesse la chute d'un fruit de l'arbre. Mais pourquoi après tout ? Un mort ne redoute pas d'avoir le crâne fendu. Il se donna une gifle sans y penser. Il y avait des moustiques grands comme des libellules. Mais s'il sentait les piqûres , c'est qu'il n'était pas mort et s'il n'était pas mort... Où pouvait-il bien être ? La densité végétale était sans pareil à sa connaissance et il ne tarda pas à se servir de son sabre pour se frayer un passage à travers la luxuriance.  Il injuria Zorvan en magyar , ce qui ne troubla pas plus que de mesure les macaques qui se pendaient aux branches pour essayer de lui épouiller les cheveux.

- Quel besoin aviez-vous de me déplacer ici ? Matthias doit être en bien mauvaise posture à présent ! Apparaissez si vous l'osez et je vous ferai tâter de mon sabre !

Le Hussard s'interrompit soudain. Des voix se faisaient entendre sur un sentier non loin. Il prit le parti de le rejoindre pour voir qui s'y trouvait. Redoublant d'effort avec la lame de son sabre qu'il prenait garde de ne pas trop émousser, il continua à invectiver Zorvan en magyar. Le Dévoreur de temps ne fut pas épargné non plus. Il déboucha finalement sur la piste et se trouva … nez à nez avec un homme aussi noir que le diable était cornu. Les deux poussèrent un cri conjoint mais tandis que Ludwik brandissait son sabre, l'autre reculait et le mettait en joue avec une sorte de très long  mousquet. Derrière l'ennemi, se profilaient plusieurs silhouettes, toutes arborant des armes avec des canons de longueur diverse. Le Hongrois était assez intelligent pour savoir lorsqu'il avait une chance de s'en tirer en causant le maximum de dommage à l'adversaire et lorsque la peine était perdue d'avance. Il plongea donc dans les bosquets et sortit lui-même son mousquet pour tirer le coup qui y était préparé. Cela dégagea assez de fumée pour lui permettre de battre un peu en retraite . Il s'enfonça dans la forêt et constata au passage d'une large flaque que ses bottes étaient ornées de cailloux collants de couleur vives oranges et vertes... Il s'accroupit derrière un tronc d'arbre pourri et marmonna :

-Comment des sangsues peuvent s'accrocher à des bottes cirées ? Ont-elles des dents ?

C'était proprement répugnant et il n'osait imaginer l'effet que le contact d'une de ces petites bêtes affectueuses produirait sur ses jambes. Il en avait déjà vu sur les champs de batailles marécageux, mais jamais de telle taille.

- Zorvan, vous allez me le payer... Gronda-t-il en levant les yeux vers le ciel.

Des exclamations se firent entendre sur le chemin. De là où il s'était réfugié, il vit trois hommes dans des tenues vertes et marron, très étranges, armés et couverts de cartouchières énormes. Ils s'agitaient autour d'une charrette pétaradante. Y 'avait-il des explosifs dans ce transport pour qu'il fît un bruit si dérangeant? Lequel transport semblait avoir une roue enlisée dans l'ornière . Il décida que c'était peut-être le bon moment pour essayer de filer à la hongroise, c'est à dire, non sans avoir neutralisé au moins un des ennemis. Il rechargea donc son mousquet et visa l'homme qui portait un curieux couvre-chef mou à visière avant de s'élancer sur le sentier. L'homme s’effondra  en portant les mains à sa poitrine. Deux autres se lancèrent aux trousses du Hussard tandis que le quatrième restait près du convoi. Il essuya  un tir nourri et se demanda comment ils faisaient pour recharger leur arme en courant tout en zigzaguant pour éviter les projectiles. L'un d'entre eux se ficha pourtant dans sa cuisse et il grimaça sous la douleur. Une de plus... Aucune artère vitale n'avait été atteinte . Un soldat qui voit la mort en face plusieurs fois par jour savait la reconnaître. Mais les marécages n'étaient jamais bons pour les blessés. Celui-là lui paraissait plus inhospitalier que jamais. Il semblait ne jamais devoir finir... L'un des hommes se rapprochait dangereusement maintenant que le Hongrois boitait. Ludwik rangea son arme à feu qui ne lui servait plus. Il était malaisé de recharger en courant avec une jambe folle... Il sortit son couteau de sa botte. C'était très risqué et aléatoire de marquer un temps d'arrêt pour viser. Il ne pourrait donc pas s'arrêter. Viser en mouvement à travers les troncs était un pari presque perdu d'avance mais le couteau était remarquablement équilibré. Le sentier formait un coude au détour duquel une bâtisse  aux murs blancs apparut au loin. C'était le moment où jamais. Ludwik se retourna et lança. La lame se ficha dans la gorge de l'homme alors qu'il avait visé le cœur mais peu importait. La cible s'effondra, dévoilant son compère qui mettait sa proie en joue. Ludwik tenta le tout pour le tout et plongea dans les éventails de larges feuilles dont il essaya de retrouver le nom . Des philo... philodendrons ? Ils étaient énormes …

Tombé au sol, le Hussard porta sa main à son épaule et l'ôta pour la regarder d'un air incrédule. Elle était poissée de sang. La seconde salve l'avait fauché en pleine clavicule. Cette fois-ci, l'issue semblait très compromise. Cette maison n'était pourtant pas si loin, mais comment savoir si ses habitants seraient hostiles ou amicaux ? Ainsi ce pervers Zorvan avait-il décidé d'en finir avec lui. Il avait toujours senti une certaine jalousie peser sur lui lorsque le … le. D'abord qu'était ce que Zorvan ? Un ange noir ? Déchu peut-être ? En tout cas le Hongrois doutait de plus en plus que Metternich fut mêlé à tout ça.


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Une femme peut en cacher une autre ... mais un homme aussi.  Empty Re: Une femme peut en cacher une autre ... mais un homme aussi.

Message  Zorvan Mar 19 Aoû - 2:05

Maya attendait Anita Detmers "à la première heure" selon les termes du lieutenant Kaperski. "Si les pistes étaient praticables" avait ajouté le prudent officier.  Un type sympa, posé et qui n'était certes pas né de la dernière pluie. Cette formulation amusa Maya compte tenu des trombes d'eau qui s'abattaient sur les toits de tôle du dispensaire.
L'Anglais  dormait ; elle fit encore un peu de paperasse, envoya un mail à Patrick puis alla se couche après un dernier coup d'oeil à Nelson Pickett  parti au pays des rêves pour plusieurs heures apparemment.
Le jour se levait à peine quand le garde la réveilla d'un coup violent dans la porte. Immédiatement alertée, la jeune femme, sans quitter la moustiquaire, attrapa sa veste posée au bout du lit, gardant ses shorts kaki qui lui tenaient lieu de pyjama  et,  tout en  s'asseyant pour enfiler ses tongs d'un seul geste rapide avant de sortir du lit, elle s'adressa au tambourineur pour lui demander ce qui se passait et alla tirer le verrou.
Comme elle s'y attendait c'était le garde de l'étage. Il salua tout en annonçant  :  
-En rentrant en ville, y a Berta qui a vu un type bizarre, qu 'est tombé  dans le fossé devant elle, à  hauteur de chez  Mamadio; elle est revenue et ne veut pas repasser devant l'endroit toute seule. Il avait du sang partout

Elle attrapa ses treillis :

-Blessé grave ? Elle est sûre qu'il est encore vivant ?

--Berta a pas voulu s'approcher. Mais il grogné.

Maya soupira. Il n'y avait pas que la pluie qui tombait cette nuit. Elle avait déjà un type bizarre  dans la chambre d'à côté et on lui en signalait un autre dans le fossé à l'entrée du faubourg.. Un blessé, c'était encore pour elle. Le garde ajouta :

-- Il est habillé comme un diable, un revenant d'Anglais comme au cinéma ! Genre garde de la reine Elizabeth. Rouge, bleu , des trucs en or.

Maya réagit aussitôt

-Un Anglais ! Déguisé ! Encore ! Ah non !  C'est un débarquement  de timbrés ou quoi ?


Tout en laçant hâtivement ses chaussures, elle pensa à l'ennemi sournois qui l'attendait, la plaie de toute expédition militaire ou civile en  climat tropical : la boue. La molle, visqueuse, envahissante, insupportable boue, peuplée de petites bêtes hostiles remplies de dents et de venin, de vers parasites, de virus foudroyants. Dire que certains s'entêtaient à considérer la Nature comme une preuve de l'existence de Dieu...Elle se mit debout dans ses rangers à haute tige. Dire qu'elle venait d'un pays qui avait inventé l'espadrille. Dire que..
Mais elle n'était pas femme à se perdre en récriminations contre un sort qu'elle s'était d'ailleurs choisi. C'était ça ou se faire une clientèle à New-York et entendre ses patients lui vanter la french baguette de son cher et tendre.
Dans la permanence, Berta  roulait des yeux effrayés en racontant les détails horribles de l'apparition. La silhouette trébuchante brusquement dressée devant elle, un visage tout blanc avec des balafres sanglantes. Il tenait une longue machette à la main et articulait des mots très horriblement prononcés, des jurons de l'enfer ou des malédictions. Elle était restée comme pétrifiée quand il avait brusquement perdu l'équilibre et disparu dans le fossé. Berta avait rebroussé chemin . Le zombie n'était sans doute pas seul et une cohorte sanglante et grimaçante venait peut-être au devant d'elle.
Maya  approuva sa prudence  mais décida qu'une jeep, son conducteur et un garde seraient suffisants pour affronter les zombies à moins de deux kilomètres du dispensaire. Elle pensa à l'arrivée d'Anita qu'elle allait peut-être manquer. Mais Gordon pourrait aussi bien l'accueillir. D'ailleurs, vu le temps, elle serait forcément retardée, peut-être de plusieurs heures. L'idée de revoir son amie la remplit de joyeuse impatience. Et elle avait de quoi l'étonner avec ses English apportés par  les démons de la nuit.  
Dix minutes plus tard, la jeep arrivait sur les lieux encore déserts. Berta travaillait de nuit au dispensaire et rentrait chez elle au petit matin dans cette zone semée de bâtisses dispersées, entre cabanes et paillotes doublées de sacs plastiques. Tout autour, la forêt  étirait un mur grisâtre derrière le rideau de pluie. La cahute de Mamadio fut dépassée. Autrefois, c'était une buvette restaurant mais la guerre avait dispersé patron, famille et clients. Certaines tôles manquaient au toit et l'enseigne avait disparu  mais on disait toujours "Chez Mamadio"
Il fallut descendre et aller à pied, la route étant surélevée, on ne voyait pas le bord des champs depuis la jeep. Et tout de suite apparut la tache multicolore d'un homme appuyé sur le revers du fossé, la tête inclinée sur l'épaule.

- Bon dieu de putain de  .. " commence élégamment Maya en arrivant au dessus du corps à demi étendu  c'est quoi ce carnaval ?
 Mais elle est déjà à côté de ce grand gaillard qui ressemble en effet à un figurant pour film napoléonien et elle ne s'intéresse plus qu'au corps souffrant que cache cet uniforme d'un autre temps. Le diagnostic est vite fait : Des blessures sérieuses, mais ne mettant pas la vie en danger si on bloque l'infection commencée. Car ces blessures, par balle, datent au moins de la veille, oui, entre douze et vingt heures. L'homme est à demi conscient et la fièvre le fait délirer. Au milieu de mots étrangers –en tout cas, ce n'est pas de l'anglais– Maya a la surprise de l'entendre, en français, appeler la malédiction sur la tête d'un certain Zorvan. Sans arrêter les premiers soins, préparant une première seringue, elle demande à son adjoint :

Va dire à Tom qu'il amène la jeep ici. On embarque le zombie, et fissa !


""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""


Zorvan passait ses longs doigts dans son impeccable ordonnancement capillaire. Il n'était pas du genre pour cause de désespoir et de vie gâchée, à s'être jamais laissé aller à négliger sa tenue et  abandonner le souci de son apparence. C'était d'autant plus facile, il est vrai, que la quasi immatérialité de son corps et de tout ce qui le touchait lui rendait la chose facile. Il suffisait qu'il se voit mentalement d'une certaine façon pour que son apparence soit conforme à ce qu'il souhaitait .  D'ailleurs il avait fixé depuis longtemps un modèle de Zorvan qui lui convenait et qui lui épargnait d'avoir à se concentrer sur ce grave problème : De quoi vais-je avoir l'air aujourd'hui ?
Mais la disparition du hussard l'irritait au plus haut point et le désorientait dans ce qu'il se flattait de posséder pleinement : la maîtrise de l'Antichambre. Le système des ponts qu'il jugeait une totale réussite lui était source non seulement de fierté quasi professionnelle mais aussi d'un plaisir d'essence artistique dans la mesure où les ponts pouvaient s'adapter aux personnalités les plus variées. A partir du modèle de base, un peu lugubre mais saisissant, abandonné à la brume, à la rouille et aux herbes folles, peut-être une image de sa propre destinée, l'Aralien avait su créer d'autres passages fantômatiques de style variés, s'adaptant aux caractères de ceux qui les franchissaient. Cette possibilité entraînait moins de pertes d'apprentis, tout environnement tissant des liens avec notre sensibilité et nous rendant plus ou moins efficaces. Les ponts mettaient les futurs voyageurs en accord avec le présent  qu'ils quittaient et l'avenir qui se dessinait au delà. Le gardien grinça des dents. Un jour, ce serait lui qui passerait un pont, un pont  fait pour lui, aux couleurs de vengeance et de liberté.
Le gardien n'aimait pas perdre un des candidats à lui confiés, non qu'il se sentît fréquemment en sympathie avec ces humains instables, superficiels et aux faibles potentialités spirituelles. Mais on lui avait donné une tâche, celle d'en faire passer le plus possible dans les couloirs du temps  en tant que Voyageurs patentés et Zorvan était un prêtre-guerrier, doublement lié par la  discipline. Un voyageur qui disparaissait en raison d'un hasard malencontreux c'était regrettable. Mais si l'accident venait d'une erreur de sa part, c'était déshonorant.
Ludwik Cseszneky depuis le début semblait destiné à déranger ses calculs les plus fins, à désorganiser ses plans et à détruire sa grande machine à  franchir les espaces mêlés du temps et du rêve. D'un autre côté le gardien aimait assez  l'esprit peu conciliant du comte hongrois et son caractère indubitablement aristocratique, ce mot étant pris dans le bon sens du terme, à savoir le refus des calculs médiocres et le souci de demeurer maître de soi en toutes circonstances.
Mais où était donc passé ce séduisant et insupportable hussard ? Jamais il n'aurait dû forcer la manoeuvre. Tant pis pour le Hussard ! Il avait détraqué une aire temporelle, certes ténue, mais tant qu'elle ne se stabiliserait pas d'elle-même, il ne pourrait savoir si Ludwik Cseszneky était à inscrire définitivement au martyrologe du professeur Stanzas. Cet hypocrite verserait une larme sur sa victime. finalement, c'était lui le coupable et il avait pas mal de casseroles funèbres attachées à son cache-poussière.
Suspendue au mur derrière lui, la grande horloge variait le rythme de ses aiguilles et le pendule oscillant en permanence au dessus de son bureau avait encore changé d'amplitude. C'est alors que soudain, le cadran consacré au parcours du hussard  s'éclaira d'une lumière mauve d''abord discrète mais qui augmenta rapidement. L'énergumène était localisé !  Tous les cadrans le concernant  se mirent à envoyer des messages. Zorvan eut un petit sourire satisfait. Il n'avait pas perdu son Polono-Magyar. Mais son contentement fut de courte durée quand il vit s'afficher les coordonnées spatio-temporelles qui l'avaient conduit à la fin du XXe siècle en Sierra-Leone livrée  à une guerre civile atroce. Or il y avait déjà envoyé Nelson Pickett, le savant britannique, afin de le sortir un peu de ses histoires sentimentales et aussi Anita Detmers, le médecin militaire à la recherche de son fils. Deux candidats s'épaulant dans leur deuxième épreuve, c'était prévu au programme. Mais trois ! et en plus, suite à une mauvaise manoeuvre de sa part ! On lui avait déjà envoyé un avertissement pour avoir sauvé Nelson d'une mort assurée. Et si on y regardait bien, il avait récidivé avec Csesznecky  en l'expédiant trop vite dans Blue Hospel pour qu'il ne soit pas truffé de flèches ottomanes. Et bien, que lui ferait-on de plus qu'on ne lui avait déjà fait ?

Il allait cependant se rendre sur les lieux. Car, intervention ou non, Stanzas  voulait des recrues et  qu'elles restent vivantes. Les Gardiens du temps l'avaient bel et bien laissé prendre le contrôle de l'Antichambre et de son gardien. Celui-ci devait donc satisfaire le Professeur et celui-ci ne voulait pas accumuler trop de pertes dans les couloirs du temps. Question de propreté ou de sentimentalisme benêt, qu'importait ! Zorvan irait porter secours au hussard et surveiller les autres. Ludwik en avait besoin, son écran de compte-rendu indiquait qu'il était blessé et avait passé une partie de la nuit évanoui dans la forêt, heureusement près de lieux habités.
Zorvan mit la salle de contrôle en semi-automatisme, lissa sa barbiche et ses cheveux d'une simple injonction mentale et disparut dans une moirure de l'espace....
.... Pour en ressortir devant le dispensaire de Kagali où, par un concours de temporalité tout à fait remarquable, une jeep portant son hussard vilainement amoché arrivait du nord, tandis que du sud apparaissait une autre jeep avec le médecin militaire Anita Detmers. Entre les deux, dans le dispensaire, Nelson Pickett dormait profondément suite à son cocktail d'iboga et de calmants dispensés par Maya Etcheverry laquelle, avec trois apprentis Voyageurs sur les bras, allait bien finir par se douter de quelque chose.
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Une femme peut en cacher une autre ... mais un homme aussi.  Empty Re: Une femme peut en cacher une autre ... mais un homme aussi.

Message  Invité Dim 26 Oct - 16:59

La seconde épreuve après celle de la rencontre avec mon père dans un corps plus jeune  et qui m’avait laissée un gout amer, commençait à se dessiner lentement sous mes yeux. Vêtue de mon uniforme de médecin militaire, je devais me rendre à l’antenne médicale de Kagali, donc j'étais bien au Sierra Leone, par un convoi qui venait de prendre la route à l’instant. Au moins, j’étais dans mon élément, mais je ne perdais pas en vue que c’était un test de la part de Zorvan et que tout pouvait arriver, en bien comme en pire. La voix de Maya résonnait encore dans ma tête tandis que la jeep dans laquelle j’étais, tentait  bien que mal à avancer sur les routes devenues presque impraticables à causes des pluies de ces derniers jours. Quand enfin, après plusieurs péripéties, l’antenne médicale se déploya devant moi avec son dispensaire, mon cœur se mit à tambouriner contre ma poitrine. Il était 10 heures du matin. Le convoi était arrivé à destination et avec plusieurs heures de retard. La première chose qui m’importait le plus était de retrouver mon amie. Le son d’un moteur au loin me fit me retourner. Je plissai légèrement les yeux jusqu’à ce que le véhicule s’arrête. Le conducteur en  sortit et fit appel à un homme qui venait vers eux. La bâche de la jeep se releva à l’arrière et je reconnus le Docteur Maya Detcheverry. Je m’élançai à sa rencontre et je compris soudainement en freinant mon envie de la serrer dans mes bras, qu’elle s’occupait d’un blessé que les deux hommes placèrent prudemment sur un vieux  brancard.

- Je vois que tu ne chômes pas et que j’ai eu raison d’accepter cette mission avec le convoi.

A ma voix amusée, le médecin fit volte-face aussitôt, posant ses mains sur ses hanches.

- C’est maintenant que tu te pointes Detmers ? Tu devais arriver au petit matin. T’as un souci avec ta montre ! C’est pas possible autrement !

Elle secoua la tête, levant les yeux au ciel avant de faire les derniers pas qui nous séparaient et m’étreindre avec sa poigne habituelle.

- Tu ne peux pas t’imaginer combien ta présence tombe à pic. Je viens de ramasser un inconnu  déguisé en … Hum … Viens avec moi et tu verras par toi-même. Promis ce n’est pas une blague, on l’a trouvé affubler dans cette tenue.

Je ne comprenais pas un mot de son explication et en voyant que je fronçais les sourcils, elle me tira par le bras pour m’amener à l’intérieur du dispensaire et vers le lit où les deux hommes avaient posé le blessé. Je fus alors frappée par l’uniforme, perplexe. Ce n’était pas un hasard. Zorvan devait y être pour quelque chose. Ce n’était pas un déguisement rien qu’à voir le raffinement de l’uniforme britannique qui devait dater du  XIXème siècle. Je jetais un bref regard autour de moi. Un homme se reposait dans un autre lit un peu plus loin. Un autre patient ?  Je revins à notre inconnu mal en point.

- Quelles sont ses blessures ?

- Une balle à la cuisse, une seconde à la clavicule. Je ne pouvais pas le soigner sur place. Il est brulant, je lui ai injecté du paracétamol pour faire tomber la fièvre.

- On va devoir s’occuper des balles, et les lui retirer.

Deux militaires infirmiers se tenaient près de moi.

- Vous deux, apportez tout le matériel stérile que vous trouverez : compresses, plateau, pinces, pansements, champs.

Ils acquiescèrent et partirent en direction de deux malles en fer qui contenaient certainement tout le nécessaire pour ce genre d’opérations délicates. Un récupérateur d’eau de pluie avait été installé pour permettre d’avoir de l’eau courante dans le dispensaire même. Avant de commencer quoi que ce soit, j’avais besoin de me rafraichir. Je retirai la veste de mon treillis et avec un peu de savon, je me débarbouillai le visage, les bras et les mains. Maya sortait de la pharmacie tous les médicaments dont on pourrait avoir besoin.

- Tu as une préférence ?

- Prépare-moi deux pochons de G5%, dont un où tu y mettras du Néfopam. Le second, tu le laisses neutre. Du sucre sera le bienvenu s’il nous fait un malaise à son réveil. J’ai besoin aussi de Propofol. Je ne voudrai pas qu’il reprenne conscience au moment où on lui retire ses balles. Ça serait un désastre pour lui.

- Tu as de la chance que j’aie reçu récemment tous ses médicaments.

Les deux infirmiers militaires m’apportèrent, sur un petit chariot à roulettes, tout le matériel stérile qu’ils avaient pu trouver. Je fis mon choix en éliminant ce qui me serait inutile.

- Tu m’aides?

- Non, je vais surveiller la conscience de ce zigoto en uniforme ainsi que sa tension.

Je fis rouler le chariot qui me servirait de plan de travail jusqu’au lit du militaire. Je pris soin de découper son pantalon, au niveau de sa cuisse pour avoir un accès à sa blessure. On m’aida par contre à lui retirer sa veste et sa chemise qui me gênaient.

- Tu aimes le risque toi. Il va te sauter à la gorge quand il verra le trou que tu lui as fait à son pantalon.

- Tu crois que j’ai que ça à faire ? Tu lui trouveras un treillis à sa taille, je n’en doute pas.

Maya ricana dans son coin tandis qu’elle positionnait le brassard du tensiomètre à notre blessé. Je passai mes gants stériles et je commençai par désinfecter les deux plaies méthodiquement. Bien que pas très jolies à voir, il n’y avait aucune artère de touché. D’après ce que Maya avait raconté, cet homme devait être blessé depuis la veille. Il avait une volonté de fer de rester en vie. Délicatement, avec ma pince à griffes, je fis sortir la première balle logée dans sa cuisse. Mon amie continuait à prendre régulièrement la tension de notre inconnu, vérifiant par la même occasion son inconscience. Changeant de gants, je recousue la petite plaie avec le plus petit fil qu’on m’avait donnée. Un pansement et un bandage plus tard, je m’attaquai à la seconde blessure.

- Bordel  de merde ! Il commence à remuer les paupières ! Anita !

- Pose-lui une voie et passe le Propofol, ça va le shooter !

Un infirmier remplaça Maya qui s’équipa pour poser une voie périphérique. Une fois la perfusion mise en place, je continuai mes soins sur la plaie au niveau de la clavicule, répétant mes gestes.  Vingt minutes plus tard, je me redressai du lit, jetant mes gants dans la poubelle, donnant mes instructions aux deux infirmiers.

-  Voilà ! J’ai terminé ! Surveillez-le et appelez-moi s’il commence à se réveiller.

Maya me fit signe de la suivre dans une petite pièce privée. Je découvris une chambre avec un confort minimum.

- Une chambre de garde ?

- Non la mienne. Je préfère être présente 24h/24h au dispensaire. Repose-toi Anita. Je viendrai te chercher s’il se réveille. Tu as besoin de repos. Le conducteur de ta jeep a déposé ton sac à l’entrée du dispensaire, je vais te l’apporter. On discutera plus tard, ton voyage n’a pas dû être de tout repos.

- Pas vraiment … Merci Maya.

- A ton service Detmers ! On ne s’ennuie jamais avec toi … je l’avais presque oublié !

Elle referma la porte non sans me lancer un petit clin d’œil amical.
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Message  Ludwik Cseszneky Mar 6 Jan - 20:26

Le corps a parfois besoin des garde fous de l'esprit pour se sauver. A moins que ce ne soit le contraire. Ludwik gisait depuis la veille au soir dans un fossé plutôt boueux mais dans un dernier réflexe, avant de sombrer dans l'inconscience, il avait fait en sorte de prendre appui sur la pente de ce dernier, plutôt que de se laisser rouler au fond comme l'aurait fait un ivrogne. Cela lui évita de s'y noyer dans quelques dizaines de centimètres d'eau boueuse, et surtout le gros désavantage de voir ses plaies mariner dans la fange. La plaie à la cuisse, elle-même, était maintenue hors du cloaque, mais pas à l'abri de l'humidité pour autant. Il pleuvait toute l'eau du ciel, comme souvent lorsque les vannes s'ouvraient dans ces contrées africaines. Le fait d'être tombé sur le côté à flanc de talus avait aussi un autre avantage, celui qui probablement lui sauva la vie. Il était visible. Son uniforme, bien que n'étant pas celui d’apparat mais plutôt celui de voyage, discret et élégant, avait tout de même des couleurs dignes d'un perroquet. Assez pour contraster dès le lever du soleil et malgré le rideau grisâtre que la pluie incessante imposait au paysage, avec le vert émeraude de la végétation.

Cependant, s'il avait conscience d'être à demi debout contre ce talus, il se savait plus mort que vif. La nuit n'avait été qu'une succession de réveils en sursaut provoqués par les grelottements ou les cris d'une bêtes sauvage au loin. La seule chose qui empêchait toute cette sauvagerie de venir le dévorer à moitié vivant était sans doute cette bâtisse blanche qui semblait abandonnée et se dressait telle une nef salvatrice veillant sur l'âme égarée. Il l'entrevit une ou deux fois, silhouette blanche dans la nuit noire, et peu à peu les contours flous de la bicoque se dessinèrent plus précisément et il sourit dans sa demi conscience. L'Ambassade de Hongrie à Vienne ... Le bal des cadets ... Il avait reçu une invitation d'un cousin récemment incorporé. Un sacré bon vivant que ce Ferdinand Nimitz-Cobourg. Prince de son état. Il avait un vague souvenir de l'ouverture du bal durant laquelle son compagnon de soirée et les gradés du 1er de Hussard tout entier avaient fait sensation lors du quadrille des officiers.

En digne Hongrois, il n'avait pu qu'exceller alors que la musique rendait hommage à la plus grande figure du peuple Magyar. Mais c'était surtout à la faveur de la nuit qu'il avait été le plus fameux dans l'Hôtel particulier où son compagnon de fortune et lui-même avaient fini avec un escadron de jolies filles bien plus hospitalières que leurs nobles compagnes de bal. Chaque bal d'Empire avait son lot d'aventurières attendant derrière les riches drapés de rideaux, que les beaux officiers lassés du cérémoniel prennent congé une fois leur devoir de loyauté à l'Empereur accompli. Dans toutes les cours d'Europe, c'était le même ballet des courtisanes à soldats, qui se déroulait parallèlement aux valses et autres viennoiseries. Paris, Vienne, Rome ou Madrid, la seule chose qui variait était l'Empereur auquel on prêtait allégeance. Le petit Corse ou Franz.

Cseszneky errait donc entre deux eaux et deux airs de polka trish trash lorsqu'il crut apercevoir un joli minois se penchant au dessus de lui, puis deux. Deux belles brunes aux yeux de biche et aux lèvres de velours. Ferdinand avait bon goût!  Il avait vaguement senti qu'on le déplaçait, qu'on lui soulevait un bras. Il se sentait bien plus gris qu'à l'accoutumée. Il avait vraiment dû forcer sur ce schnaps bavarois après le champagne de l'ambassade. Et puis la vodka de cet officier norvégien avait achevé le travail. Il n'était pas ivre, il était vaseux. Pourtant il riait bêtement au souvenir des deux belles figures vaguement aperçues entre ses paupières mi closes. Il hurla avec une vigueur encore étonnante lorsqu'il commença à retrouver ses esprits.

- Nischka !!!! Apollonia !!!! Gyere meleg me up! Mi a fene! Inni !!! Én szomjan halnak!*
*:

Demain, il rejoignait son cantonnement en bordure du Danube et prendrait part à l'une des plus grandes offensives de l'armée autrichienne contre l'Aigle fourbe, donc il voulait boire jusqu'à plus soif et embrasser de jolies filles avant de voler vers un possible trépas. D'ailleurs il conservait de sa dernière traversée du fleuve un souvenir cuisant qui semblait encore lui lancer dans le bras. Il ouvrit complètement un œil et le fixa sur son dolman qui trônait sur une chaise.

-Ááá! Ravasz huncut! Ön levetkőzött! Gyere ide adok neked egy klassz! *


*:

Il voulut se redresser mais bien que l'alcool amoindrisse ses sensations, il grimaça et retint un juron. Il lui semblait qu'on l'avait cloué à ce fichu lit par la cuisse et l'épaule. Il avait dû se battre et perdre la mémoire suite à un mauvais coup reçu. Mais où était donc le Prince Nimitz-Cobourg ? Ces drôlesses qui les avaient accostés au bal étaient sans doute des agents de de ...

-Pokolkutya! Bonaparte! Malac a vályú! A sólyom felfalják a szem, a szív és a golyó!*


*:

Il tenta de se lever pour partir à la recherche de son sabre que l'ennemi déloyal lui avait dérobé mais tout tourna autour de lui et il s'effondra, entraînant avec lui un bassinet en métal et quelques instruments qui s'écrasèrent au sol avec un bruit de ferraille. Sa main se tendit pour saisir une petite lame pointue. Il aurait du mal à s'évader avec ça, surtout dans son état, mais au moins il pourrait se donner la mort si jamais on le torturait pour lui soutirer des renseignements.

-- Ihre Mächtigkeit? Prince? Prinz Ferdinand? Wo bist du? Hören Sie mich?* Haleta-il en essayant de ne pas s'évanouir sous l'effet de la douleur.
*:
- Espèce de crétin ! Fut la seule réponse qu'il obtint, mais pas de la part de Cobourg. Le pope était revenu... avec sa grande chasuble sombre . Puis le fameux pope fut traversé par Nischka et Apollonia qui s'étaient habillées en hommes. Deux espionnes donc! Il avait vu juste!

- Pokol és kárhozat!* Eructa-t-il en proie à une colère homérique.
*:
Mes excuses:
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Une femme peut en cacher une autre ... mais un homme aussi.  Empty Re: Une femme peut en cacher une autre ... mais un homme aussi.

Message  Invité Mer 14 Jan - 16:15

A demi retournée vers le corps allongé à l'arrière de la jeep, d'une main gantée de latex, Maya maintenait le tampon compressif sur la cuisse perforée. Le véhicule n'était pas équipé pour les blessés de guerre. Maya s'occupait des civils et pratiquement on ne les transportait jamais dans la jeep.Trop de risques de contagion. Les familles apportaient leurs malades sur des brancards de fortune qu'on brûlait aussitôt.
La pensée qu'Anita allait arriver la remplissait de joie. Mais comme toujours dans cette fichue mission, des soucis brouillaient l'arrière-plan de ce contentement. En arrivant, il faudrait s'occuper du blessé. D'un autre côté, c'était bien qu'on l'ait récupéré à temps. Affaibli comme il l'était, deux ou trois heures de plus passées sous cette pluie auraient eu raison de lui. Il avait eu de la chance que Berta l'ait pris pour un revenant et soit retournée au dispensaire. Un corps dans le fossé, on ne le signalait même plus. Des passants auraient pu l'achever pour le voler. Et peut-être, même pas achevé, mais seulement dépouillé et abandonné là, à crever comme un chien. Maya savait combien dans la désespérance des guerres, le sens moral est perverti par l'urgence de la survie et l'habitude de l'horreur. Et lui, qu'avait-il fait pour en arriver là ? Les victimes ne sont pas toujours innocentes. Berta avait parlé de machette brandie.
Bref, il fallait soigner sans réfléchir, que ce soit un enfant malade, un abruti qui s'était fait tirer dessus en voulant violer une infirmière ou cet inconnu vilainement amoché.
Elle repensa à l'autre Anglais qui ne sortait pas de son coma. La coïncidence des deux arrivées la perturbait même si elle la prenait volontiers sous l'angle de l'ironie, compte tenu de la bizarrerie des deux types. Mais qu'est-ce qui était normal dans ce pays en proie à une guerre atroce ? L'absurde s'y rencontrait à chaque pas. un  pays d'une pauvreté extrême où circulaient des fortunes en diamant , des trafics florissants d'armes et de drogue là où les gens manquaient de tout, des familles qui s'entr'égorgeaient, des chefs politiques effarants de corruption dont certains de vrais pervers, et pour couronner ce pandemonium, la multiplication des enfants-soldats. Rien n'avait de sens. A l'horreur permanente, l'English et le soldat d'opérette ajoutaient une sorte de comique décalé mais pour eux aussi, la mort guettait sous ce ciel bas de pluie et d'orages.
D'ailleurs avec le temps pourri, tout prenait des dimensions de cauchemar, les gestes les plus usuels s'avéraient problématiques, les situations imprévues se transformaient en catastrophe ou en pagaïe monumentale. Ainsi en passant le portail, Maya s'aperçut d'un côté que la jeep de Kigali était arrivée et de l'autre que la citerne débordait  joyeusement, une belle nappe d'eau qui dégoulinait sur les tôles, et comme le canal d'évacuation n'avait pas encore été élargi, un quart de la cour d'entrée était transformé en pataugeoire. Quelle idée de placer un si petit réservoir sur une côte marécageuse où le sol n'absorbe plus rien et où la saison des pluies dure sept mois ! Où était Johnny, en principe chargé de la surveillance des bâtiments ?  Elle eut une exclamation de soulagement en voyant Fode, le caporal "prêté " par le lieutenant Kapersky pour les gros travaux, qui arrivait, aidé de deux gars poussant le chariot avec la pompe et des pelles. Fode lui dit en passant :

-On s'en occupe, Major. No problem !

Fode l'appelait toujours Major, sans doute pour faire honneur à sa nationalité. Son grand-père sénégalais avait servi dans l'armée française durant la seconde guerre mondiale et lui avait appris qu'on appelait major un médecin militaire français. Maya avait renoncé à expliquer, un, que le grade de médecin-major avait été supprimé depuis des décennies, deux, qu'elle n'était pas médecin militaire mais membre d'une O.N.G. Mais il persistait. Peut-être qu'en tant que caporal, il préférait obéir à un"Major" plutôt qu'à un civil, surtout si ce civil était une femme.

Les brancardiers sortirent de l'auvent où ils s'abritaient et le blessé fut allongé sur la toile déjà trempée. Maya avait dû arrêter la compression et aussitôt le sang déborda de la déchirure du pantalon. Rageant une fois de plus contre les pansements minables dont elle disposait, Maya repositionna tant bien que mal le tampon d'urgence. Elle allait devoir faire du scandale quelque part pour obtenir les FCP (First Care Products) performants que le moindre secouriste aurait eu à sa disposition dans un pays moins naufragé que celui-ci.
La couleur improbable du pantalon au tissu lourd et serré l'intrigua de nouveau. De quel ballet macabre pouvait sortir ce Casse-Noisette ahurissant ? Le blessé fut enlevé et Maya aperçut alors , poussé sous le siège avant, la"machette" que l'un des hommes avait dû ramasser. C'était une grande lame, salie de boue. Une épée, un sabre ? En tout cas, pas une machette.
Elle se redressait quand la voix amusée d'Anita l'interpella.  Ses gants pleins de sang, elle baissa ses poings fermés à ses côtés pour éviter tout contact. C'était trop moche de ne pouvoir s'embrasser et de se revoir au milieu de toute cette merde.
On ne pouvait rester là à se regarder et  Maya entraîna son amie vers l'intérieur en lui expliquant la situation. Finalement c'était aussi bien de parler boulot que de s'attendrir sur le temps qui passe et combien elles étaient heureuses de se retrouver .

Maya laissa  Anita prendre la direction des opérations quand il s'agit d'extraire les balles. Son amie ne semblait pas fatiguée par le voyage et elle-même avait à s'occuper de l'Anglais et de deux ou trois autres visites repoussées pour aller chercher le zombie de Berta. Elle servit donc d'assistante pendant quelques minutes, contente de parler un peu avec son amie qui, assez bizarrement, ne  s'étonna pas outre mesure du look extraordinaire du blessé. Savait-elle quelque chose ?
Sitôt la perfusion mise en place, Maya s'éclipsa, estimant que le plus gros était fait, voulant au moins jeter un coup d'oeil à ses patients les plus problématiques. C'était vraiment bien qu'on lui ait envoyé un médecin de secours, même provisoirement. Elle n'avait plus aucun médecin diplômé avec elle depuis la mort du Docteur  Chapman, tué par une mine sur la route de Mayamba.

Quand elle revint après un bon quart d'heure, Anita avait terminé, donnait ses derniers ordres et Maya lui proposa d'aller dans sa chambre pour se reposer, tandis qu'elle-même veillerait au réveil de l'opéré.
 Elle demanda que les affaires de l'inconnu soient bien sécurisées, y compris l'arme et apprit que des papiers trempés ayant été aperçus dans la drôle de veste, on venait de poser le vêtement sur une chaise près du lit. C'était contraire aux règles, mais l'homme ne semblait pas malade et tant que la maladie ne se déclarait pas, il n'était pas contagieux. Elle verrait ça plus tard.
Le blessé, simplement recouvert d'un drap, dormait assez tranquillement. Il avait un tonus remarquable et il allait assez vite reprendre conscience. Débarrassé du sang et de la boue, c'était un beau garçon,  avec un fier profil. Quelles étaient les raisons possibles pour qu'un individu ainsi costumé se retrouve dans une zone de Sierra Léone ravagée par la guerre et les épidémies ? Et ce n'était pas un costume de fantaisie, de la frime de carnaval. Le tissu, les bottes...pas du synthétique ou du simili cuir!  Malgré la prise de la ville et les 6000 morts, Freetown avait peut-être encore des fêtards. Mais certainement pas d'amateurs de reconstitutions historiques. C'était le mystère absolu. Il fallait attendre.
Maya avait très peu dormi, elle se laissa aller dans sa chaise à accoudoirs, regardant la veste posée sur l'autre chaise. Comment s'appelait donc ce truc avec des tresses transversales ?.. Un dolman ? Oui, comme sur les peintures de ce peintre spécialisé dans les batailles napoléoniennes... Detaille, Eugène, Edouard ?  Wagram, Eylau.. Un type à cheval, avec des brandebourgs et brandissant une épée, un sabre...

Des cris la sortirent de sa somnolence. Le blessé appelait, s'exclamait, avec une énergie peu commune pour un réveil d'opéré. Maya regarda l'heure. Pas de doute, cet homme était une force de la nature … et il parlait une langue qu'elle n'identifia pas. Europe centrale ? Maya éberluée crut entendre le nom de Bonaparte. Mais l'autre gesticulait, voulut se lever, retomba sur le bord du lit en envoyant valser un plateau avec ciseaux et pinces. Un infirmier arriva.  A deux, ils parvinrent à recoucher l'agité qui s'était mis à parler allemand. Voilà qu'il appelait un Prince Ferdinand. Wo bist du ?
Finalement, ce devait être un acteur qui débitait son rôle, encore à demi dans ses rêves, se croyant en scène.....ce qui n'expliquait rien de sa présence en Sierra Leone.Il fallait le calmer :

-Ruhe ! Alles in Ordnung ! 
Spoiler:
Le malheureux semblait ne pas la voir mais regardait devant lui comme halluciné et retournant à sa langue première, il injuria le vide, l'air furibond.
Un garde pointa la tête  à la porte. Maya lui cria :

-Allez chercher le commandant Detmers !
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Message  Invité Mer 25 Fév - 19:08

Notre mystérieux inconnu semblait être très coriace face aux médicaments que nous lui injections. Il luttait et se débattait comme si sa vie en dépendait et pourtant il mettait à mal les soins que nous lui prodiguions.  Il parlait une langue que je ne pratiquais guère : le hongrois et que j’avais vite reconnu. Je parlais le néerlandais qui était ma langue maternelle comme d’autres langues telles que l’espagnol ou l’anglais et le français. C’était un Colonel médecin qui m’avait appris le hongrois, du moins les bases, à me dépatouiller avec quelques mots pour me faire comprendre. De toute façon, je n’aurai pas été capable de communiquer avec lui sur le moment, j’étais beaucoup trop concentrée sur mes gestes et sur les blessures de ce Monsieur fort agité. Je repensais encore à Zorvan et à la première épreuve qu’il m’avait faite endurer à me projetant dans mon corps d’adolescente auprès de mon père bien vivant et d’avoir pu lui faire face. Là j’étais encore dans un monde étrange, peut-être une dimension parallèle, quelque chose dans ce genre-là. Une sorte de rêve qui prenait forme, car j’avais toujours rêvé d’être missionnée par l'O.N.U dans ce pays, la Sierra Leone, en Afrique. J’avais retrouvé un visage familier, mon amie Maya, mais je savais quelque part que tout cela ne pouvait être la réalité. C’était une nouvelle épreuve de Zorvan, un défi à relever ? Aucune idée, mais je supposais que j’allais découvrir pourquoi j’étais là. Rien ne se faisait d’une manière innocente avec ce fou. Au moins j’étais dans mon élément. Les dispensaires et autres antennes médicales militaires, ça je connaissais sur le bout des doigts. Peut-être que mon arrivée ici était en relation avec Maya ? Avait-elle des ennuis ? Avait-elle besoin de mon aide ? Ou alors c’était cet inconnu qui était le centre de toute cette histoire ? Et si Zorvan était aussi responsable de l’apparition de cet homme ? Pfff trop de questions tuaient la réflexion surtout la mienne avec ma fatigue.

Maya m’avait gentiment offert de me reposer dans sa chambre qui se situait à l’intérieur même du dispensaire. Elle avait raison, elle pouvait garder ainsi un œil sur ses patients. J’en aurai fait tout autant.  Ne jamais s’éloigner de nos patients, c’était notre priorité. Un soldat infirmier m’avait ramené mon sac et je pus prendre une petite pause. Je fis couler un peu d’eau pour me rafraichir le visage et retirer ma chemisette ainsi que le débardeur kaki. Il faisait chaud surtout avec les efforts que j’avais dus déployer devant le comportement titanesque de cet inconnu. Là, le calme était revenu dans l’infirmerie, c’était bon signe. Il avait besoin de repos et moi aussi, tout comme mon amie. J’enfilai un autre débardeur que je trouvai dans mon paquetage et je m’allongeai sur le lit de Maya faisant bien attention à ne pas salir la couverture avec mes rangers.

Une demi-heure après  peut-être même une heure passa avant qu’on ne tape à ma porte et qu’un soldat vienne m’avertir que Maya avait besoin de ma présence auprès de notre cher patient qui venait de se réveiller. Je basculai mes jambes hors du lit et je me redressai vivement en attendant la voix de cet homme. C’était vraiment une force de na nature. Avec les antalgiques et la morphine, il aurait dû dormir des heures, mais ce n’était pas le cas. J’accourus vers la salle découvrant mon amie en train de calmer le blessé. Elle lui avait répondu en allemand.

- A force de bouger comme un verre de terre, il va finir par rouvrir ses blessures ! Avec la dose des injections qu’on lui a données, il trouve l’énergie de se lever. Avec ça on aurait endormi un éléphant !

Deux infirmiers apparurent derrière moi. Ce n’était pas la bonne solution d’avoir autant de monde autour de cet homme. Il ne fallait pas attiser sa peur et empêcher tout mouvement dangereux.

- Messieurs veuillez attendre derrière le paravent. On vous fera signe s’il y a un problème. Pour le moment cet homme est assez fragilisé sur le plan émotif. Il vaut mieux tenter de le calmer avant tout, que de lui montrer une quelconque hostilité.

Ils acquièrent et se positionnèrent derrière la protection en vieux bambou. Je me tournai alors vers Maya.

- J’ai cru déceler du hongrois tout à l’heure quand je m’occupais de ses plaies. Ça fait longtemps que je ne pratique plus cette langue. C’est un ancien colonel médecin qui m’avait appris les bases, lui-même était Hongrois. Quand on avait un peu de temps, entre deux patients, j’aimais bien apprendre quelques mots et expressions de son pays. Je dois être rouillée, c’est certain. Bon … on va bien voir si j’arrive à communiquer avec lui … Espérons que je ne lui sorte pas de bêtises ou une phrase à double sens !

Je me mis à sourire malgré la situation complexe devant le regard espiègle de Maya. Je pris une grande inspiration avant de commencer à parler, pas très à l’aise et pas vraiment certaine que je me ferai comprendre.

- Ön a Freetown Sierra Leone. Én Anita DETMERS, katonai orvos.  Itt a klinika vezetője, Dr. Maya Detcheverry. Az egyik azt akarja, nem árt.*
**:

Au moins l’inconnu me détaillait avec de grands yeux et il s’était tu un instant. Néanmoins, je ne savais toujours pas si mes mots étaient justes. Je jetai un œil inquiet à Maya avant de poursuivre. Je décidai de me rapprocher de son lit, les paumes en avant pour lui stipuler que je ne lui voulais aucun mal.

- A sérülések fontos.  Meg kell maradni az ágyban *
**:

Je lui fis signe sans brusquerie en désignant la carafe d’eau et le verre. Peut-être avait-il soif.

- J’espère que je ne lui ai pas raconté n’importe quoi ou il va me prendre pour une folle ! Reste plus qu’à croiser les doigts …

Mmm … j’avais oublié un détail important :

- Eltávolításra került a ruháit.*
**:

Cela pourrait le faire réfléchir sur le fait de vouloir à tout prix poser un pied parterre devant deux femmes … quoi que...



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Message  Ludwik Cseszneky Jeu 14 Mai - 17:12

Ludwik se calma devant la première demoiselle qu'il avait, à tort, pris pour Apollonia. Comment avait-il pu prendre cette femme pour une courtisane. Elle était habillée en homme et parlait sur un ton plus d'assurance, un allemand un peu formel mais correct. Tout n'allait pas pour le mieux, et loin de là. Depuis que Zorvan l'avait propulsé sans demander son avis, loin du Roi Matthias, depuis qu'il avait débarqué dans cette contrée humide et exotique, tout allait de mal en pis. Qu'était-il encore censé endurer ? Qui était cette femme ? La théorie de l'espionne s'imposa à nouveau à l'esprit du Hussard. On l'avait drogué, il le sentait à ce que lui coûtait chaque geste, chaque regard qu'il tentait de fixer sur la jeune femme.

Et voici que la seconde revenait aussi à la charge. Cette fois-ci, après l'avoir certainement raillé avec sa complice, étant donné les sourires torves qu'elles échangeaient, cette dernière s'adressa à lu en hongrois. Plus aucun doute n'était permis désormais. Il se trouvait prisonnier de l'ennemi, dans un campement. Peut-être que Vienne avait été envahi durant leur ébats de noceurs, Ferdinand capturé et emmené loin derrière les lignes dans la perspective de l'utiliser comme otage ou moyen de pression pour une éventuelle reddition. Cette félonne lui disait qu'il devait rester tranquille car ses blessures étaient sérieuses. Comme s'il ne s'en doutait pas alors que chaque mouvement faisait irradier la douleur dans sa cuisse. Il se redressa et refusa le verre qu'elle lui proposait en désignant la carafe d'eau. Malgré sa fièvre et sa gorge en feu, il ne voulait rien devoir à l'ennemi avant d'être traité honorablement avec les égards dus à son grade. Il tendit le bras et attrapa le tissu de ce vêtement indécent que portait cette femme et l'attira jusqu'à lui pour lui éructer au visage

Tudom, hogy fáj, képzeld! Ha én vagyok ebben az állapotban, a csatlósai bűnös!
Ezek közül három férfi nem emelkedik.

Spoiler:
Le regard noir, il serra les mâchoires, lâcha la jeune femme pour tendre le bras vers Zorvan qui flottait à côté du lit, se triturant la barbe en lisant une sorte de memento.

-Az Ön császár egy hentes!  Harcolni fogunk az utolsó emberig vezetni a kutya a határainkon kívül !

Spoiler:

Puis se tournant à nouveau vers les deux femmes médusées, il prononça d'une voix sombre en tendant un doigt accusateur vers Zorvan

- A pokol az úton, és hogy az ember a házmester ! avant de retomber haletant sur l'oreiller.
Spoiler:
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Message  Invité Ven 5 Juin - 2:25

En attendant Anita

Maya  aurait bien injecté une nouvelle dose de calmant à l'agité  mais le commandant Detmers l'avait pris en main dès son arrivée au dispensaire et, sauf urgence absolue, on n'interfère pas dans le traitement entrepris par un confrère sans lui demander d'abord son avis.
Ce n'était certes pas la première fois qu'elle avait affaire à des excités qui, par exemple, la soupçonnaient d'être un agent de l'étranger au service de l'adversaire. Certains l'accusaient d'être prête à les mutiler sous prétexte de les soigner. D'autres ne voulaient pas qu'une femme les touche ou au contraire exigeaient des suppléments  de soins que Maya n'était certes pas disposée à leur octroyer.  
Après l'envoi du garde pour avertir Anita, tout le dispensaire devait être au courant qu'elle risquait d'avoir besoin d'aide. Certes le blessé s'agitait beaucoup mais il était trop affaibli pour être dangereux bien que sa résistance aux sédatifs fût tout à fait inexplicable. Elle se sentait intriguée, vaguement inquiète. Depuis quelques heures, exactement depuis l'arrivée de l'Anglais, c'était comme une intuition flottant à l'arrière de sa pensée : quelque chose de bizarre  et de dérangeant s'était produit.   
Ce n'était pas lié à l'enchaînement habituel de mauvaises surprises, de manque-de-pot à répétition. La pluie diluvienne, la boue, les sangsues, les serpents, les virus, tout était normal ; les conséquences d'une guerre civile "moderne" faisaient l'objet de doctes analyses politiques concluant qu'il était affreux certes ,mais inévitable, que des corps explosés, découpés, brûlés et parfois encore vivants, se trouvent au détour des routes ou gisent sur les plages. Non, ce qui clochait,  c'était autre chose que le désordre habituel du monde.
Depuis l'arrivée du Prince de Galles, comme Maya  appelait in petto l'Anglais comateux, cette impression fugitive d'insolite s'était précisée avec le débarquement du second blessé.
Pourtant, des inconnus mal en point, Maya en avait soigné des dizaines, fuyant les combats ou, bien que le dispensaire ne soit pas un hôpital de guerre, apportés par des camarades qui repartaient plus loin pour poursuivre le carnage. Sitôt un peu retapés, les survivants repartaient sans qu'on sache qui ils étaient, on pouvait parfois deviner une ethnie,  on notait un nom  que personne ne vérifiait. Leurs objets personnels pouvaient venir de pillages, de troc, de rencontres.
Mais ces deux-là  étaient en décalage total, comme sortis d'une autre réalité. Ces costumes étranges et en trop bon état sous les déchirures et les saletés récentes ... Des acteurs ? Ici, en ce moment ?  Les flahs d'images qui dans l'esprit de Maya avaient accompagné la découverte du sabreur d'opérette, c'était bien des images de films. Fabrice del Dongo suivant les hussards à Waterloo ... le prince Andrei de Guerre et Paix. Même si ce n'était pas les bonnes couleurs d'uniforme...Mel Ferrer tout en blanc et or.. dansant avec Natacha...
Etait-elle fatiguée nerveusement – plus déstabilisée par cette mission qu'elle l'imaginait ?
Ici tout le monde  était à cran ou bien affalé dans l'après-moi-le-déluge...d'ailleurs, le déluge, il était là et le tambourinement sur les toits de tôles, c'était la musique horripilante qui rythmait ce train-train infernal. Dire qu' elle s'était adolescente, attendrie, sur Verlaine..
Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits ! 
Pour un coeur qui s'ennuie,
Ô le chant de la pluie !
Et bien personne ne s'ennuyait en Sierra-Leone et le bruit de la pluie africaine lui portait sur les nerfs tout autant que l'incurie généralisée et les atrocités coutumières.
Vu du théâtre de la guerre, le monde était bien "une histoire remplie de bruit et de fureur et racontée par un idiot", mais il fallait passer outre et faire son travail, puisque chacun devait pouvoir ne pas se sentir abandonné des hommes quand Dieu se tait.
C'est pourquoi elle était là au lieu de travailler dans un labo pourvu de tous les  moyens techniques  les plus élaborés.
Une fois, Patrick lui avait dit qu'en fait, elle avait besoin de cette atmosphère de monde en perdition parce qu'elle  pouvait ainsi se conforter dans sa révolte métaphysique contre l'inexistence de Dieu. Elle était de ceux nés sous une trop bonne étoile pour avoir le droit, devant son assiette remplie et  sa cargaison de diplômes, de pester et de jurer contre l'ineptie foncière du monde. A New-York, Ebola ou la fièvre de Lassa étaient l'objet de recherches passionnantes, l'occasion pour elle de rencontrer des génies de la virologie qui la félicitaient de son dernier article paru dans "Cell". Au Congo, au Nigéria,ces noms renvoyaient à des catastrophes, elle pouvait y être furieuse et jurer librement contre le méga ratage de la Création.
C'était le genre d'idée que son poète-boulanger de mari énonçait soudain  quand, le voyant rêveur, elle lui demandait à quoi il pensait. Jamais il ne répondait :" A rien."  Il était adorable et elle l'adorait. Cette brève pensée heureuse fut vite effacée par la reprise de son sentiment d'interrogation. Qu'est-ce qu'elle avait à trouver bizarre un blessé grave  parce qu'il portait un uniforme de carnaval ?
Vivement que son amie arrive, au moins, elle ne semblait pas trouver la situation plus étrange qu'une autre. Il ne lui faudrait que quelques minutes pour se lever et arriver, alors on s'occuperait ensemble du blessé. Anita n'était pas femme à lambiner en cherchant ses pataugas.

 Un peu de hongrois et beaucoup d'agitation

 Son amie arrivait en effet tandis que Maya répétait son appel au calme voyant que le  blessé regardait de côté, l'air hostile, l'oeil guettant on ne savait quoi.
Anita trouva aussi très étonnante la résistance du blessé aux sédatifs mais sans en faire plus de cas que d'une observation clinique. Maya cherchait une explication qui fasse sens, par exemple s'il n'y avait pas eu incompatibilité entre les injections et un traitement que le blessé avait pu recevoir avant de venir s'échouer dans le fossé. Elle allait en parler quand Anita révéla qu'elle pratiquait quelque peu le hongrois que parlait l'étranger. Maya en fut très contente. Au moins on pourrait apprendre d'où il venait, c'était mieux que la catalepsie de l'Anglais.
Finalement, ce qui la gênait était cette impossibilité d'expliquer comment ils étaient arrivés là. Totalement absurde et en même temps, indéniable, comme le déroulement d'un rêve.
Mais elle ne dormait pas, sa somnolence de tout à l'heure était passée et elle voulait savoir de quoi il retournait. Elle allait regarder ce qu'il y avait dans les habits du Magyar.
Mais comme le dialogue était entamé, Maya s'arrêta à côté de la traductrice improvisée. Sans ménagement, l'inconnu avait happé le débardeur de la jeune femme à qui il parlait avec une rudesse ne présageant rien de bon. Puis il eut un geste brusque et en vociférant pointa une main vengeresse, montrant le vide à côté d'Anita. Hoho..  problème de vue ? hallucination ?

-Merde ! Il n'a pourtant pas de signe de traumatisme crânien. Réflexes impec et même plutôt vifs pour un état de choc.Alors, effet secondaire de calmants contenant de la benzodiazépine ?  

Anita semblait interloquée par les paroles entendues tandis que l'autre pointait l'index vers une cible invisible en lançant une dernière phrase sur un ton solennel, comme pour annoncer un malheur en marche. Il se tut, visiblement épuisé. Maya passa derrière Anita et dit

- Tu as vu ? Il a l'air plutôt délirant. Qu'esr-ce qu'il t'a raconté ?  ..  Il faudrait savoir s'il n'a pas un traitement en cours.

Elle s'éloigna pour chercher la veste et y prendre les papiers signalés par l'infirmier.

-Tu vas pouvoir nous les traduire, s'il y consent évidemment. On ne peut pas risquer de l'exciter encore. C'est vraiment une chance que tu sois juste là quand il me tombe un Magyar sur les bras...Dis-moi,  tu ne trouves pas que tout cela est vraiment bizarre ?
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