Tout disparut.
Ce fût si subit qu'elle sentit son souffle s'interrompre, sans qu'elle ne le veuille,non, juste comme si son cerveaux, pas prévenu du changement, avait tenté de bloquer le temps un seconde, juste de quoi concevoir ce qui se passait. Mais il lui fallait sans doute beaucoup, beaucoup de temps pour concevoir cela, bien plus qu'une seconde, une minute, ou même une année entière. Parce que c'était tout simplement inconcevable.
Un tunnel de lumière mouvante et précipitée se jetait en avant dans une course effrénée. Il n'y avait plus de sol sous ses pieds, plus rien pour la soutenir, et pourtant elle se tenait debout. Tout autour d'elle, dans une lueur éclatante cisaillée de nervures brusques et aux chemins anarchique défilaient, enchâssées les unes aux autres, ballottées, des images, des choses mouvantes, du bruit émanant de chacune d'elle, entremêlé avec celui qui venait des autres ; mais cela n'agrippait pas son regard, parce que tout se précipitait si vite qu'elle ne parvenait pas à se concentrer. Trop de choses. Ses yeux clignotaient, abasourdis, sautant d'image en image, tentant de tout parcourir, de tout attraper. C'était impossible mais elle le
voulait. Elle voulait comprendre, elle voulait savoir. Ce qui se produisait là et qui n'était pas censé se produire, c'était inimaginable. Et pourtant, c'était là, maintenant. Ses pensées se turent, s'effacèrent, pour laisser de la place à ce qu'elle voyait, entendait, ce qu'elle sentait, qu'elle n'avait jamais sentit. C'était tout ce qui comptait. Ses yeux s'écarquillèrent, reflétant le flux tourbillonnant et précipité qui charriait avec lui des images défilantes , certaines complètement inconnues, certaines appelant vaguement sa mémoire – mais elle n'essayait pas de se souvenir.
Et ce fut finit. Le tunnel s'effaça brusquement, avalé par un paysage fixe qui s'écrasa brutalement sur sa rétine. Elle expira d'un coup, comme si elle sortait de l'eau. Se mit à trembler.
C'est alors qu'elle prit véritablement conscience de ce qu'il s'était produit. Elle avait voyagé dans le temps. Elle observa autour d'elle, et oui, oui, elle n'était plus au même endroit, ce n'était pas une blague, ce n'était pas un rêve, c'était vrai, elle avait voyagé dans le temps. Elle fouilla en vain, avec crainte, terrifiée à l'idée de découvrir que tout était faux. Mais ce n'était pas faux. Nulle trace de la forêt qu'elle connaissait bien, pas plus que du ciel nocturne marbré de nuages épais qu'elle venait de quitter. Un parc entourait ce qui ressemblait à un espèce de petit chateaux en ruines, et la nuit était claire. Elle fit un pas, presque sûre de sentir le décor trembler, s'effacer, parce que non, décidément , ce n'était pas possible. Mais ça ne bougea pas.
Merveilleux.
Un immense sourire éclaboussa son visage, incontrôlable, presque un rire. Merveilleux. Le voyage dans le temps existait, des choses incroyables existaient. On pouvait entrer dans le temps comme dans un objet tangible, on pouvait peut-être même le toucher, oh ! Qu'est ce qui était possible, encore ? Tout. Elle pouvait aller quand elle voulait. La durée de la vie n'avait plus aucune espèce d'importance, les limites avaient disparu. Qui savait jusqu'où on pouvait remonter ? Au commencement du monde ? De l'Univers ? Y'avait-il seulement un commencement ? Et une fin ? Et le lieu, oui, le lieu ? Il n'y avait jamais eu de châteaux de ce genre dans son village, et tout lui paraissait plutôt ancien, pas futur, donc...Étaient-ils ailleurs?Alors, jusqu'où pouvait-on aller ?
Un bruit la fit sursauter. Elle se tourna, étonnée, vers son origine – en réalité, le Dévoreur, qui lui parlait. Elle avait complètement oublié son existence. Son visage glissa vers une expression étonnée, tant il lui paraissait étrange que quelque chose d'aussi absurde que des paroles puissent s'échanger après un tel événement. En vérité, elle pouvait à peine se concentrer tant il lui paraissait qu'il y avait des milliards, non bien plus, de choses à penser. Elle n'avait qu'une envie, voyager. Mais elle ne savait même pas par où commencer. Et elle savait aussi que dans un tel excitation, elle ne serait pas capable de grand chose. Mais c'était plus fort qu'elle : elle le désirait.
Elle nota à peine l'arrivée d'une vieille femme, et ne constata que vaguement, perdue dans ses propres dilemmes, qu' une discussion s'engagea entre les deux personnages. Subitement, la femme s'adressa à elle, la contemplant avec un sourire dont elle ne voyait pas la raison. Puis, elle s'empressa de comparer Ludmilla à « de la jeunesse et une femme », assurément dans un sens très restrictif. La jeune fille sentit la violence de cette petite phrase assassine la percuter instantanément. Peut-être parce qu'elle était dans une bulle d'exaltation rêveuse, elle sentit le choc d'autant plus puissamment comme celle-ci explosa. Pendant quelques minutes, elle avait oublié combien son genre était perçu comme un défaut, combien son âge était motif à rire de son sérieux. Pendant quelques minutes, elle avait pu être une personne. Mais c'était finit. A nouveaux, elle était l'éternel sujet de discriminations inévitables, à nouveaux elle devrait essuyer les remarques, les regards, et toutes les violences qui lui étaient réservées, à nouveaux elle devrait vivre l'impossible malédiction d'être une femme. C'était tout ce qu'elle était. De la jeunesse, et une femme.
De la viande fraîche, quoi.Elle en voulut à la vieille dame, mais elle en voulait surtout au monde entier, et c'est pourquoi elle baissa ses yeux assombris vers le sol. Sa joie s'était effacée, dominé par le profond sentiment d'indignation qui l'habitait chaque fois que ça arrivait, et qui brûlait d'autant plus qu'elle sentait qu'elle venait de perdre quelque chose d'incroyable à cause de cette saleté d'injustice. Et ces idées aliénantes, si absurdes, si destructrices, étaient admises par tous et se relayaient dans les voix depuis des siècles. Dans beaucoup trop de cervelles, être une femme ne permettait pas l'entente avec le genre masculin. Ils pouvaient partager le même language, et donner le même sens aux même mots, mais non, non, la communication était quand même impossible. Pourquoi ? Mystère. Probablement à cause d'ondes magiques qui se repoussaient mutuellement ?
Non, mais vraiment. Ok, le voyage dans le temps existe, mais quand même. C'est niveaux Père-Noël, là. Et encore. C'était si vide de sens qu'elle ne comprenait pas que ça ait pu même se concevoir, et pourtant, cela courait sur ces lèvres souriantes. Elle avait envie, terriblement envie, de démontrer l'idiotie de cette idée...La présence du Dévoreur lui rappelait néanmoins son erreur. Non, ça ne servait à rien.. Pas question de reproduire sa bêtise une seconde fois. Il fallait. Elle releva la tête, esquissa un semblant de sourire qui lui faisait mal au cœur. Elle espéra que c'était crédible. Après tout, elle venait de voyager dans le temps pour la première fois de son existence...Elle ouvrit la bouche pour répondre, d'une voix à peine vibrante :
– Istvan ? Oh, je le connais. Bien, faites comme vous le voulez, vous êtes chez vous. Non, ça n'allait pas. Elle avait beau se concentrer de toutes ses forces, elle le sentait, il y avait quelque chose de faux dans son attitude. Là, ça pourrait passer pour le choc du voyage dans le temps -le
voyage dans le temps ! - qui d'ailleurs la sonnait toujours un peu. Plus tard, ce serait inexcusable. Mais c'était une chose que, contrairement à Julie, elle n'était jamais parvenue à dissimuler. Sa colère.
Et pourtant, elle allait devoir y arriver. Sauf que c'était impossible ! Oh, pourquoi, pourquoi donc ne pouvait-ils pas simplement la traiter comme une personne, pourquoi c'était si dur pour eux tous de la respecter ? Qu'est ce que ça pouvait bien leur apporter de lui faire ça ? N'étaient ils pas humains, eux aussi ? Qu'est-ce qui était si inconcevable dans leur esprit pour qu'ils croient qu'il faille forcément qu'ils écrasent les autres avec leur faux savoir pourri jusqu'à la moelle au lieu de simplement reconnaître qu'ils se trompaient ? Cela faisait longtemps qu'elle avait cessé de se poser ces questions. La réponse était en effet très évidente : la haine. Et cette haine était si confortablement installée dans les cervelles racornies, si doucement vivante dans les cœurs battants, si terriblement parfois dirigée vers leur porteuse elle-même, qu'elle ne parviendrait pas à l'enlever, quoiqu'elle fasse, quoiqu'elle dise. Et pourtant, parce qu'elle le voyait, qu'elle n'arrivait pas à l'oublier, et que c'était dirigé contre elle, elle ne pouvait pas. Elle ne pouvait pas laisser cette haine s'étaler tranquillement. Elle ne pouvait pas laisser ce crime contre l'humanité s'exercer, pourvu des soutiens complaisants des discriminations toutes morales et démocratiques qui s'écoutaient parler, repoussant tout le reste dans leur parures de cynisme.
Inconscient de ces débats intérieurs, le Dévoreur donna quelques explications supplémentaires. Elle tressaillit au nom de Lucas. Cette fois, l'espoir de le retrouver fit renaître le sentiment chaleureux qui réchauffait sa poitrine, qui se diffusa jusqu'à son cerveaux en pétillant. Elle sourit de nouveaux, un vrai sourire.
Oui ! Elle allait pouvoir le retrouver. Et son ami irait bien, parce que, quoi qu'il se passe, elle l'aiderait avant qu'il n'ait besoin d'aide.
Lucas. J'arrive. Cette fois le son qui jaillit hors de ses lèvres fût véritablement léger.
– Merci . C'était un remerciement sincère, pour la vérité, pour Lucas, et pour tout le reste. Et sa petite taille l'était tout autant. Elle en avait vraiment assez de ce bonhomme qui s'empressa d'ailleurs d'afficher tranquillement son bon vieux sale petit paternalisme, après avoir poussé des cris d’orfraies sur le fait qu'il était si gentil et si respectueux et tu parles Charles. Chaque seconde en sa compagnie était une vraie torture, et elle devait se retenir pour ne pas exploser. Elle ne voulait même plus lui poser des questions. En fait, elle avait la désagréable impression qu'il ne lui aurait pas répondu plus que pour lui dire une gentillesse du style « mais vous êtes une simple femme très faible sur tous les plans car les femmes ne sont rien. Je le sais par ma science qui est infuse car je suis très intelligent. La preuve, je suis un homme. Vous voyez ! Si c'est pas de la preuve que je suis supérieur à tout le monde, ça ! Alors plutôt que de vous répondre je vais vous répétez dix mille fois que vous êtes faible parce qu'on ne sait jamais, si je ne vous le disais pas, vous agiriez peut-être ! Et là le monde entier verrait qu'une femme peut faire autant voire mieux que moi ! Alors que c'est une simple femme, ces créatures diaboliques et manipulatrices ! Ouh ! Ah ! Euh ! Non, non, au cas où, je vais détruire votre confiance en vous. Je vous ai déjà dit que vous étiez nulle en maths ? »
Inutile. Son regard se porta sur l'escalier que la femme l'entraînnait à présent à monter, tandis que le Dévoreur disparaissait – enfin – pour quelque affaire mystérieuse qu'elle remerciait intérieurement. Mais déjà, elle avait oublié qu'il existait. Elle monta les marches avec précaution. Il lui semblait presque qu'elle ne touchait pas terre, qu'elle rêvait, qu'elle allait se réveiller – un pas après l'autre, et non, tout était toujours là. Elle avait une conscience terrible du simple fait de respirer, parce que c'était tellement vivant, tellement banal, et pourtant ça n'aurait pas du être possible, pas là, pas maintenant...
Tout cela tournait dans son esprit en ébullition, et elle se sentait incapable de parler. Elle devait, à chaque seconde, maintenir dans sa tête l'idée de ce qu'il lui arrivait. Chaque mouvement lui rapellait cela, chaque pierre du mur qu'elle voyait, chaque son qu'elle percevait. Le monde extérieur était si présent qu'elle était incapable de lui retourner la pareille. Elle s'effaçait, parce qu'elle devait d'abord comprendre. Et alors, seulement, quand la vérité ne serait plus une notion aussi absurde, elle pourrait à nouveaux avancer avec ce semblant de certitude qui permettait aux stoïciens de marcher sans craindre que le sol ne disparaisse sous leurs pieds.
Elle avançait sans vraiment faire attention, et failli oublier de s'arrêter quand l'autre femme le fit. Elle pila juste à temps, et lui jeta un regard égaré. C'est seulement à ce moment-là qu'elle se rendit compte qu'elle lui avait parlé – oui, si elle se creusait la cervelle, elle pouvait presque se souvenir de sa voix . Mais elle n'avait littéralement rien entendu. Heureusement, la femme ne sembla pas lui en tenir rigueur. Tout au plus lui jeta-t-elle un regard un peu hésitant. Elle devait penser qu'elle était bizarre. Comme à peu près tout le monde, songea Ludmilla, en habituée, avec amusement.
Histoire de ne pas trop augmenter sa confusion, elle tâcha de se concentrer un peu sur ce qu'il se passait. Elles étaient arrivé devant une porte qui se découpait dans le mur de pierre, et aurait tout aussi bien pu servir de décor pour un film d'horreur façon château hanté.
- Allez y, entrez, dit la vielle femme en s'effaçant pour la laisser passer, souriante.
- Euh...merci...Répondit Ludmilla, hésitante. Parler ne faisait pas diparaître l'impression d'étrangeté qui l'habitait. En fait, elle avait le sentiment, au fur et à mesure qu'elle réalisait qu'elle pouvait voyager dans le temps, que tout devenait considérablement étrange. Elle entra avec lenteur dans la pièce, et considéra vaguement l'endroit. Elle remarqua à peine le bureau, les étagères bardées de tiroirs fermés qui couvraient les murs, ou la cheminée – éteinte . Au contraire du lit, qui lui rappela soudain qu'elle n'avait pas dormi plus d'une heure la veille. Comme elle réalisait cela, tout le poids de sa fatigue lui tomba soudainement dessus, et elle se demanda si la sensation de flou qu'elle éprouvait n'y était tout simplement pas liée.
- Donc, voici votre chambre. Et voici la porte de la salle de bain...Ah, oui...Vous avez faim ?- Non, non, fit Ludmilla.
Et, ne faites rien, je m'en charge. Vous n'avez pas besoin de faire ça, enfin...Je crois que l'autre imb...Je veux dire...Le Dévoreur de Temps...Il vous avait demandé quelque chose, non ? Je vous en prie, allez y, je ne voudrais pas vous retarder. Elle avait soudainement envie d'être seule. Parce qu'être seule voulait dire pouvoir se laisser tomber sur la couverture de ce merveilleux lit, qui lui apparut soudain vraiment très attirant. Et, accessoirement, essayer de réaliser un peu ce qu'il se passait. La compagnie d'une autre personne l'empêchait plus qu'autre chose de se laisser aller à ces deux tentations.
- Très bien , répondit la femme, réalisant probablement l'état de fatigue de la jeune fille.
Je vais vous laisser vous reposer alors. Ah, oui, et...Vous voyez, cette porte ? (elle en indiqua une autre, qui se trouvait sur le mur à gauche de l'entrée ).
Elle donne sur la pièce d'à côté. C'est là que dors ce cher Istvan ! - Ah bon , répondit Ludmilla, avec la pensée fugitive qu'il fallait qu'elle soit bien fermée, histoire de ne pas risquer qu'un guerrier somnambule ne débarque pas dans sa chambre au milieux de la nuit, armé, et pas très-très content.
Puis, elle se demanda pourquoi la vieille dame lui disait cela. Oui, ils se connaissaient, mais bon. Ils s'étaient vu quoi, quelques heures ? Et surtout, tout cela avait finit par elle lui donnant un coup dans la figure. Après cela, elle doutait fort que l'homme souhaite devenir ami avec elle. Peut être plutôt la transformer en hachis avec son épée, histoire de venger son honneur ou un truc comme ça. D'ailleurs, elle même ne souhaitait pas vraiment faire plus ample connaissance avec ce qui restait après tout pour elle un inconnu. Elle ne savait pas du tout quel genre de personne il pouvait être. Qui sait ? Et si c'était un Dévoreur numéro 2 ? Mieux valait être prudente.
Mais apparemment, la vieille femme - dont elle n'avait pas retenu le nom – avait l'air d'avoir conclut tout autre chose de leur brève entrevue, puisqu'elle ajouta avec un étrange sourire :
- Vous voulez aller le voir ? Ludmilla la regarda un instant, interdite. Pourquoi donc? Est ce qu'elle voulait
vraiment qu'ils deviennent amis ? Mais pour quelle obscure raison ? Peut-être cet Istvan n'avait il pas beaucoup d'amis. Enfin, elle non plus, et elle n'obligeait pas pour autant les gens à venir la voir – c'était plutôt le contraire. Ou alors, c'était juste le fait de cette femme ? Mais qu'est-ce qu'elle pouvait bien y gagner ? Ca n'avait aucun espèce de sens.
- Euh...Il dort, non ? Répondit-elle.
Ici aussi, il faisait nuit. Il devait être tard.
- Oui, oui. Il n'est pas très bien, il dort beaucoup. Mais vous voulez peut-être le voir ? Insista la femme, les yeux brillants, et toujours ce grand sourire étrange aux lèvres.
Ludmilla l'observa, étonnée.
- Je ne comprends pas, lâcha-t-elle finalement, lassée d'essayer de se sortir d'un jeu dont elle ignorait pas les règles.
S'il dort, quel intérêt de le voir ? Ce qui était, du reste, parfaitement logique. Autant parler avec quelqu'un d'un autre temps pouvait être une idée intéressante, autant regarder un presque inconnu dormir, ben, non . Surtout quand on avait simplement envie de se retrouver à sa place.
Pourtant, l'autre lui lança un regard surpris, comme si elle venait de dire une chosede proprement incroyable. Puis, finalement, un éclair de compréhension traversa son regard.
- Ahhh, je vois. Vous savez, vous n'avez pas besoin d'être aussi timide , fit elle en posant sa main sur le bras de Ludmilla, le tout assortit d'un hochement de tête complice.
- Euh...Je ne le suis pas , répondit la brune, qui comprenait de moins en moins ce qu'il se produisait, et avait la désagréable impression qu'on se moquait d'elle.
- Oh, la, la ! La jeunesse ! Conclut la dame avec un grand sourire toujours aussi étrange, avant de sortir de la pièce.
Bon, je vous laisse, bonne nuit ! Après avoir marmonné un vague salut et refermé la porte , Ludmilla resta debout cinq minutes à essayer de comprendre avant de décider que de toute façon, elle s'en fichait et de se laisser tomber sur son lit. Et là, enfin, elle se souvint. Ce sourire lui était familier. Elle l'avait déjà vu quelque part.
En fait, c'était plutôt
quelques parts. Ce type de sourires la poursuivait depuis un certain temps, décliné sur différents visages et il la mettait extrêmement mal à l'aise, parce qu'elle savait qu'ils se trompaient tous. Ce n'était en effet pas de simples expressions, c'était des signes de reconnaissance. Elle avait appris à les percevoir, parce que c'était le genre de regard qu'elle ne s'attirait que dans certaines cironstance, et il n'était pas bien difficile d'en deviner le sens. Par exemple, Julie le lui avait adressé après qu'elle lui ait présenté Lucas, la première fois. Cependant, ces messages silencieux qu'ils lançaient avaient torts. C'était faux. Mais elle n'avait jamais eu de mot pour expliquer
pourquoi tous ces gens n'avaient pas compris. Elle ne pouvait pas vraiment se l'expliquer à elle-même, non plus. La réalité qu'elle éprouvait ne l'était pas par assez de personnes pour qu'on ait inventé quoi que ce soit pour la décrire. Pour ce qu'elle en savait, elle pouvait tout aussi bien être la seule à ressentir de telles choses. Et c'était peut-être pour ça qu'elle avait hésité avant d'inventer ce mensonge particulier pour ses parents, parce qu'elle savait qu'il lui faudrait affronter ces sourires-là par la suite, et c'était quelque chose qu'elle trouvait vraiment désagréable. Il lui semblait que c'était comme autant de mensonges qu'on l'aurait forcée à dire, et comme autant de coups que l'on portait à son identitée déjà bien blessée.
En tout cas, tout s'éclairait. Cette femme la croyait amoureuse d'Istvan. Rien qu'à y penser, elle ne se sentait pas bien. Elle soupira. Quand est ce que les gens allaient arrêter de la croire amoureuse de quelqu'un ? C'était passablement énervant. Et passablement faux. Et passablement bizarre, de toute façon. Qu'est ce qu'ils croyaient, qu'on tombait amoureux de quelqu'un juste parce qu'il était du genre opposé ?
Ben voyons. C'est pas comme ça que ça marche. Et les gens qui aiment tous les genres, ils n'ont jamais d'amis, c'est ça ? Enfin...Ce n'était peut-être pas à elle de dire comment ça marchait. Après tout, elle ne le savait pas, ne l'ayant jamais expérimenté par elle-même. Et c'était tant mieux. Quand elle voyait l'état dans lequel cela pouvait mettre les gens autour d'elle, elle se sentait extrêmement chanceuse. C'était comme si un espèce de sort maléfique les avait rendu complètement fous. Il suffisait de voir Julie pleurer pour des inconnus, et Lucas faire exactement pareil .
Là, on pourrait croire à la magie. Le problème, c'était qu'elle savait qu'elle n'allait rien pouvoir faire pour enlever cette idée de la tête de qui que ce soit. Il suffisait de voir l'expression de ses parents, quand elle parlait de Lucas, exactement comme s'il était impossible qu'elle soit juste en train de parler de Lucas, mais qu'elle était forcément en train de secrètement rêver d'une relation romantique avec le même Lucas. Ce qui n'arrivait pas quand elle parlait de Julie, tiens donc.
Elle se redressa soudain. Julie. Ils ne l'embêtaient pas avec Julie, parce qu'ils pensaient qu'elle ne pouvait pas en tomber amoureuse. Enfin,c'était vrai, aussi, mais pas pour les raisons qu'ils pensaient. Mais ce n'était pas ça qui l'avait réveillée. En fait, l'idée qui venait de lui traverser l'esprit lui paraissait soudain brillante.
Si j'étais un garçon, ils ne penseraient pas ça. Ce n'était qu'une pensée anodine, et assez véridique. Sauf que c'était aussi une clé. Ludmilla sentit son esprit se réveiller peu à peu comme l'excitation qu'elle connaissait bien courait dans ses veines. Ce n'était pas celle d'avoir découvert quelque chose de nouveaux. C'était celle qu'elle rencontrait chaque fois qu'elle sentait les rouages du mécanisme s'emboîter parfaitement. Chaque fois qu'elle trouvait la solution.
- Mais oui... Elle se leva. L'idée n'était pas vraie que pour ses parents. Elle était vraie pour beaucoup, beaucoup d'autres gens. Elle eût presque envie d'éclater de rire, tant cette simple pensée était presque universellement réelle. C'était véritablement cela, qu'il fallait savoir sur le monde, quand on était elle.
Dans un coin de la pièce, il y avait une armoire, qui ressemblait bizarrement à celle de sa chambre. Elle s'en approcha, hésitante. Elle sentait presque un vœux se formuler dans son esprit. Il fallait qu'il y ait ce qu'elle cherchait. Il le fallait. Elle tira la poignée de la porte, qui trembla sur ses gonds. Des dizaines de vêtements se trouvaient là, bien rangés sur des cintres, comme si la chambre était déjà habitée. Ca avait sûrement été le cas, car elle ne s'expliquait pas autrement leur présence. Elle farfouilla un instant. Ces habits étaient ceux que l'on aurait pu décrire comme étant « de garçon », quoique ça n'ait pas vraiment de sens de dire cela. Mais le plus étrange était qu'ils paraissaient à sa taille. Elle saisi un pull, ota son tee-shirt l'enfila. Non...Elle l'enleva, ôta son soutien-gorge, et l'enfila de nouveaux. Le résultat n'était pas trop mal, mais elle sentait qu'il manquait quelque chose. Elle enfila un jean bien large. Ses hanches disparurent. Elle sourit, satisfaite.
Alors, elle se dirigea avec hésitation vers la pièce que la femme avait désigné comme étant la salle de bain – enfin, elle
supposait que c'était cette pièce-là qu'elle avait désignée, et elle l'espérait très fort. Par chance, c'était bien le cas. L'endroit était petit, fonctionnel, et contenait exactement ce dont elle avait besoin : un grand miroir en pied. Elle s'y regarda. Avec surprise, parce qu'elle n'avait pas cru qu'elle pourrait réellement réaliser son idée, elle constata que ça marchait.
Oui. Ca peut le faire. Mais...Son visage. Non, ça n'allait pas. Il ne serait pas perçu comme elle le souhaitait. Mais que faire ? Elle ne mit pas à longtemps à trouver.
Vite, elle alla récupérer sa sacoche qu'elle avait oublié sur le sol. Elle en enleva sa trousse à outil, puis farfouilla jusqu'à ce qu'elle trouve dans un « Aïe » énervé sa paire de ciseaux. Contre un mur, entre deux étagères de livres, se trouvait un bureau, surmonté d'un miroir. Elle se laissa tomber sur la chaise qui lui faisait face et contempla son reflet. Sa main hésita un instant, laissant les ciseaux se balancer au bout de ses doigts. Il fallait bien réfléchir. Ce n'était pas que quelques vêtements. Ce serait irréversible.
Et si c'était inutile ? Elle fût prise d'un doute. Au moins deux personnes savaient ce qu'elle était. Elle avait clairement laissé passé le « femme » de tout à l'heure. Mais...Non, c'était bon. Elle pouvait facilement inventer une histoire pour la vieille dame. Après tout, cette dernière en avait déjà une en tête. Quand au Dévoreur...Bon...Il était très occupé. Il avait mieux à faire. Et puis qu'allait il faire d'autre, d'abord ? S'écrier quand il la verrait : « Mais oh what c'est pas des vêtements de fille han ! Regardez tout le monde c'est une femme qui met pas des vêtements de femme omg j'ai peur aaahhh ! »
Non, il n'est quand même pas débile à ce point. Enfin, j'espère. Bon, elle allait compter sur le fait qu'après tout, il avait une guerre à gérer. Et il y avait d'autre personnes ici. Peut-être un grand nombre. Il avait dit qu'il était un espèce de sauveur de gens. A moins qu'il ne se vante, c'était très possible qu'il ne la repère pas dans cette foule. Et même si tous ces gens n'étaient pas vraiment présents,il pouvait l'oublier quand même, parce qu'elle ne devenait alors qu'un visage parmis les milliers à qui il avait offert le voyage dans le temps. Oui, elle pouvait compter là-dessus. Un regard à gauche lui rappela cependant qu'il n'était pas le dernier à savoir. Il y avait aussi la personne qui dormait de l'autre côté. Elle hésita. Alors là...Pas de doutes, si son voisin pouvait lui nuire, il le ferait. Elle lui avait fait sacrément mal, quand même. Mais...La vieille dame avait dit qu'il dormait beaucoup. Il devait être malade. Donc, il n'allait pas sortir énormément. Elle pouvait toujours l'éviter. Et sinon...
Et sinon, elle n'avait pas le choix. Etre une femme n'était pas bon dans le passé, autant que dans son présent, et, elle le craignait, jusque loin après elle, jusqu'à ce qu'il ne reste plus aucun être humain sur terre. Elle ne savait pas ce qu'elle aurait pu faire si elle était née quelques années en arrière – elle se serait tuée, probablement. Elle ne pouvait pas concevoir ce que serait une vie faite entièrement d'interdits, de corvées répétitives et épuisantes, de dégoût de son propre corps, de violences, de viols, de meurtres, de haine. Rien que cela, toujours cela. Elle ne pouvait déjà pas accepter d'en vivre la version d'aujourd'hui. Peut-être que si elle n'avait connu que ce passé atrpce, alors elle l'aurait accepté. Les femmes avaient, incroyablement , réussi à survivre à tout cela, après tout. Et elles y parvenaient toujours, car ce n'était pas finit. Aujourd'hui, cela semblait pourtant normal, mais c'était quelque chose de commun : la haine s'était offert les apparâts de l'habitude, comme elle le faisait tout le temps.
Autrefois, elle aurait pu survivre à autrefois. Mais si elle retournait dans le passé en étant elle, alors...Non. Elle ne voulait même pas y penser. Elle ne devait jamais apparaître comme elle. Elle devait devenir un
il .
Sa main saisit résolument la paire de ciseaux. Elle coupa lentement, précautionneusement, la première des mèches sombre. Puis, de plus en plus vite, et finalement un tac-tac régulier emplit la pièce silencieuse pendant un moment. Finalement, elle eût terminé. Elle posa l'objet sur le bois du bureau, et balaya vaguement les cheveux qui étaient tombés sur lui. Face à elle, son reflet la regarda, calme. Son visage n'avait pas beaucoup changé depuis tout à l'heure. Sa raie était presque la même. Mais, maintenant, elle n'avait plus cette longue traîne noire qu'elle s'était habituée à voir derrière elle. C'était un peu étrange, parce qu'elle en avait toujours eu l'habitude. Mais, en même temps, elle se sentait presque soulagée d'avoir fait ça. Pourquoi avait elle gardé ses cheveux longs aussi longtemps ? Ils la gênaient souvent, en plus. C'était juste une vieille habitude. Et elle s'en était débarassée.
Son image continuait de la fixer, aussi calme qu'elle. Il n'y avait plus de quoi s'inquiéter, en effet. Cette image était débarassée de toutes les malédictions. Elle respirait la chance d'être née comme il le fallait en ce monde. C'était l'image où beaucoup verraient un homme, blanc, qui plus est,valide, que l'on supposerait à première vue hétérosexuel parce que l'on supposait toujours tout le monde hétérosexuel à première vue, et de même, cisgenre. Et qu'importait si, en son for intérieur, Ludmilla savait pertinemment que c'était l'image d'une femme pas vraiment douée pour être hétérosexuelle. Ca n'avait aucune espèce d'incidence. Ce qui comptait, c'était ce que le beaucoup percevrait. Et maintenant, elle pourrait avoir le beaucoup dans sa poche. Ce beaucoup qui refusait de voir son existence, elle la lui imposerait. Il ne pouvait supporter sa vérité ? Eh bien, elle l'amadouerait. Elle serait vraie en par le mensonge qu'il réclamait à corps et à cris pour pouvoir soutenir sa vie. Et elle espérait, tout au fond d'elle même, qu'elle pourrait un jour ne plus mentir. Mais, et c'était peut-être cela qui faisait frémir le visage dans la glace – ce jour n'arriverait peut-être jamais. Et, éternellement, les femmes seraient punies parce qu'elles étaient des femmes. Le seul moyen d'y échapper, c'était disparaître. Alors elle allait disparaître.
Elle se releva. La fatigue la rattrapa comme elle se retrouva debout. Elle chancela, tâtonna dans l'entrée pour trouver l'interrupteur, éteignit la lumière, et alla se laisser tomber sur le lit qu'elle devinait dans la pénombre. Ce ne fût que lorsqu'elle ferma enfin les yeux que les larmes cessèrent de rouler sur ses joues.
- HRP:
Il paraît que je dois inviter des gens par mp pour ne pas raconter la vie de cette pauvre Lu' toute seule mais voilà je suis beaucoup trop timide pour mp des personnes inconnues en mode jouez avec moi svp donc je préfère vous inviter, qui que vous soyez, à venir ici. Et ne vous inquiétez pas pour les pavés. Plus de pavés. Plus jamais. (Je (ne) le jure (absolument pas, mais on peut rêver) ) .