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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]Démétrios aimait les mots, les phrases, le balancement des vers et il était capable de jouer avec eux pendant des heures. Mais il savait aussi que beaucoup préféraient une utilisation plus mesurée du don de la parole, en particulier lorsque celle-ci se trouve amplifiée par cette invention qui vaut celle du feu : l'écriture.
A l'oral, pas de problème : il était assez réservé de nature et aimant la solitude. Ses discours demeuraient dans le domaine très privé de son esprit. Mais un calame entre les mains, il fallait qu'il étoffe, développe, illustre, analyse, compare, précise, insère, rajoute, souligne, commente et d'un mot : tartine.
Il savait cependant aussi résumer, abréger, supprimer ( par exemple, il écourte cette liste de tout ce qu'il devrait faire plus souvent).
Ce jour-là il allait lancer son pavé habituel dans le fleuve d' Autres vies quand il décida de le ramener à des proportions plus acceptables et après avoir taillé ici et élagué ailleurs, il trouva un morceau assez long qui, bien qu'inutile à l'avancée des événements décrits, lui parut cependant utile à la compréhension de son personnage en montrant qu'il était bien destiné à devenir un Explorateur.
Il vit aussi que dans sa grande sagesse, le Dévorateur avait prévu un coin où mettre ce qui ne convient pas ailleurs et il y rangea ce qui suit :
""...........Le langage des Opolos était d’une très grande simplicité, pour ne pas dire pauvreté et leur raisonnement, manquant de termes abstraits, se trouvait réduit à des évidences ou à des choix simplistes. Il avait demandé au chef ce que signifiait tel signe souvent répété et l’autre répondit après un silence étonné: "
faut faire" et content de la formule, il la répéta plusieurs fois. Tous les assistants répétèrent en choeur et en voix alternées "
faut faire !" On avait l’impression que cela leur plaisait énormément de parler et même les enfants piaillèrent :
Faut faire ! en se tordant de rire.
Comme il espérait que la tribu devait avoir quand même une notion du temps, Démétrios demanda aussi si les Opolos et les Pilouas étaient depuis longtemps amis. "Depuis avant ce soleil""fut la réponse obtenue après une longue réflexion. L’Athénien, qui avait toujours trouvé fascinantes les différences entre les groupes humains, insista :" Combien de soleils ? Combien d’hivers ?" L’Opolos leva un bras vers le soleil, se gratta la tête puis répéta :
"Combien ? Combien ?" Après quelques questions du même genre, il devint évident que ces gens ne savaient pas compter, n’ayant pas de mot au delà de l’unité. Zorvan avait dû envoyer ses deux élèves au tout début de l’Histoire humaine. Evidemment la Théogonie d’Hésiode ne se vérifiait pas ici, ni Age d’or ni d’Argent. En fait, Démétrios avait déjà en Aparadoxis découvert que les Hommes, avançant dans les siècles, progressaient aussi en savoir, alors que ,dans sa vision antique, il y avait une déchéance progressive et inévitable amenant à la destruction de l’espèce et à un nouveau départ.
Tout cela était fascinant et il se sentait une impatience grandissante d’aller voir plus loin, que ce soit dans l’espace ou dans le temps, ce qui était à découvrir. Il comprenait l’alacrité de Lycias, son frère voyageur quand il rentrait au logis, embrassait sa famille, réglait quelques affaires comme si tout était facile, jonglait avec un argent sorti de mystérieuses transactions et puis soudain, semblait impatient de repartir et disparaissait pour des mois.
C’était très intéressant d’avoir vu d’où partait l’humanité. Que serait-ce de découvrir jusqu’où elle irait ! Les machines de Zorvan - ce traducteur par exemple- pouvaient même ne pas représenter l’étape ultime de ces progrès inouïs. Les Opolos admiraient sa pyrite, lui admirait le colt de Christiana qui avait admiré le traducteur. Zorvan pouvait aussi s’étonner. Démétrios s’imagina voyageant en .. tiens, disons, en 6666, parce que la date sonnait bien, et ramenant un cadeau extraordinaire pour Zorvan, qui ferait
tiens tiens ! en se lissant la barbichette et passerait ensuite des heures à étudier l'objet.
Le Grec s’imprégnait de cette vision de l’infini du temps et finissait par en éprouver une sorte de vertige. Lui, Démétrios, point central entre l’avant et l’après, suspendu entre deux directions sans fin ni commencement. Car le temps où il se trouvait n’était finalement pas le début du monde. Les Opolos avaient des ancêtres qui eux-mêmes...
Oui, il irait un jour voir les Dinosaures dont lui avait parlé Christiana et ce New-York où il verrait des Bus et des Taxis et des Bars et des Escalators... Les Opolos, c’était très intéressant. Les Byzantins et les Varègues passionnants ; quel adjectif conviendrait aux contemporains de Miss Von Carter ?