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{Achevé} Démétrios face au Miroir

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Message  Zorvan Dim 11 Mar - 1:51

A la proximité du jeune grec, le Dévoreur sentit sa peau frémir sous ses vêtements trop chauds pour la plage athénienne. La réflexion du porteur de l'étrange bonnet n'avait pas été si longue finalement et sa voix portait toute la détermination qui s'opposait aux questions demeurées en suspens. Notre grand voyageur perçut cet infime déclic qui pousse l'être à franchir un seuil ouvrant sur une zone obscure malgré les incertitudes, qui oblige à abandonner la lumière et la rassurante routine d'une vie toute tracée pour aller chercher dans l'inconnu ce qui nourrit l'âme ou le désir, quels qu'ils soient. S'il ne savait quel vide le jeune hellène avait à combler, il en concevait la béance suffisante pour le pousser dans une si folle aventure. Il ressentit une bouffée de sympathie, un début d'empathie même, presque une ébauche d'affection qu'il devait tenter de s'interdire sans grande certitude de succès. L'homme était attachant dans ses hésitations et ses doutes, ses questionnements et ses élans de lyrisme, son apparente sagesse résignée qui peinait à masquer une fougue, une soif d'aventure et une curiosité sans borne qui pourrait lui coûter cher.

"Nous y voilà ! " songea-t-il.

Ils y étaient en effet. Le destin de Démétrios allait basculer de façon irrémédiable mais dans la suite de sa course, il pourrait dans une certaine mesure en choisir les voies, infléchir sa trajectoire par ses choix. Ce que pouvait finalement chaque homme mais sans en avoir forcément conscience. Le grec en aurait la sensation, bien plus que ses concitoyens parce qu'il avait choisi d'inscrire ce destin dans une dimension supplémentaire, s'ouvrant des portes avec tous les possibles qu'elles offraient, bons comme mauvais. Ses choix seraient démultipliés, à l'infini, un peu comme dans un immense kaléidoscope. C'était à la fois fascinant et grisant. Le courageux voyageur serait assiégé par une sorte d'ivresse face à tous ces possibles. Le Dévoreur espérait qu'il ne s'y noierait pas, n'y perdrait pas la raison comme certains.

Il se releva, dominant de toute sa stature le jeune bouclé qui avait emprisonné à nouveau sa chevelure dans son bonnet coloré.

- Nous allons donc y aller. Dit simplement le Dévoreur. As-tu quelques effets légers que tu souhaites emporter ? Tu peux aller les chercher avant de me suivre. Si tu les portes dans un sac, contre toi, ils te suivront. Au fait, tu peux m'appeler en cas de besoin lorsque j'aurai disparu de ton champ de vision, une fois arrivé à destination. Les voyageurs, dont tu seras bientôt, me connaissent sous le nom de Dévoreur de Temps.

Il se tourna vers la dune de sable qui longeait la plage afin de s'assurer que personne ne se promenait en ces lieux, laissant dans ce court moment le temps à l'intrépide de se préparer comme il le souhaitait. Il se concentra sur la destination élue et sentant Démétrios s'approcher enfin de lui sans plus de défiance, il posa sa main sur l'avant bras du jeune homme.

- Tu peux fermer les yeux mais je te conseille d'essayer de les garder ouverts. Autant te confronter à ce qui se trouve dans les couloirs tant que je suis à tes côtés que lorsque tu seras seul. Ne t'approche pas de ce que tu verras, ne fixe pas ton regard sur une image plus qu'une autre. Jamais ... si tu veux arriver à bon port.

Un entonnoir mouvant s'ouvrit devant eux.Translucide, il laissait apparaître la dune de sable comme à travers un vitrail qui se déformerait sous l'effet de la chaleur. En son centre, une sorte d'oeil noir et insondable se dilatait et se rétractait comme sujet à des spasmes terrifiants. Le Dévoreur avança d'un pas en entraînant Démétrios et sans savoir si le jeune homme était happé ou s'il se jetait volontairement dans le cône machiavélique, il le sentit glisser à ses côtés dans le long tunnel. Rien ne pouvait préparer à la sensation d'un premier voyage. De même qu'aucun mot ne pouvait la décrire. Les notions de bas et de haut, d'avant et d'arrière étaient abolies. On glissait juste ou peut-être était-on immobile et était-ce ce long tube aux lumières et aux sons hurlants qui glissait autour des aventuriers ? Comment savoir ? Etait ce le temps qui défilait devant eux ou les voyageurs qui poursuivaient une course effrénée qui semblait ne jamais devoir finir ? Cris, silences étaient aussi interminables et déformés que les images qui apparaissaient de manière fugace aux yeux exorbités.

Rien ne se ralentit, aucun signe n'était apparu pour signifier la fin du voyage. Ils furent juste projetés violemment contre une porte translucide comme des projectiles humains. Celle-ci se déforma et amortit leur impact mais ne céda pas.

- Ne te retourne pas ! Ordonna le Dévoreur à son compagnon de voyage. Sous aucun prétexte! Fais face à la porte, fixe ton regard sur son image mouvante.

Il savait très bien ce qui arrivait aux malheureux qui avait la fâcheuse idée de regarder ce qu'il y avait derrière leur dos lorsqu'ils se trouvaient face à la porte de l'Antichambre. L'étroit marche-pied qui se trouvait devant la porte s'étrécissait et plus l'affolement gagnait le malheureux, plus il se dérobait sous ses pieds pour finalement disparaître totalement avant que Zorvan eût daigné ouvrir la porte. La chute était alors inévitable et nul voyageur n'avait jamais pu lui dire ce qui attendait les malheureux dans ces abysses, certainement parce que personne n'en était jamais revenu.

- Quand tu seras dans l'Antichambre et que tu le verras, marche dans ses pas jusqu'à ce qu'il t'ouvre la bonne porte, celle que tu as choisie, et fixe ton regard sur lui. Ne laisse pas tes yeux s'attarder ailleurs. Il n'aime pas les fouineurs. Sois prudent Démétrios. Je dois te laisser. Ici se séparent nos chemins pour l'instant.

La porte se déchira alors et absorba le grec au bonnet multicolore.



Zorvan avait entendu le double impact sur la Grande Porte. Il abandonna son atelier et sortit en claquant la porte lourde puis longea le couloir couvert d'entrelacs de nature incertaine qui semblaient mêler humus, racines, brume, fluide ruisselant et morceau de ciel. Plusieurs portes apparemment faites dans un métal rouillé s'ouvraient dans les parois. Il les longea sans y prêter attention pour se mouvoir sans hâte vers celle, mouvante et glauque qui était tout au bout du tunnel. Lorsqu'il sortit son trousseau de clefs de sa houppelande, cette porte se matérialisa dans la même matière apparente que les autres comme si elle n'existait que pour être ouverte par lui. Il glissa une grosse clef dans la serrure. Elle s'actionna dans un lugubre chuintement peu métallique, plutôt une succion de matrice expulsant un bouchon muqueux. Il tendit le bras, agrippa un type en toge qui portait un étonnant couvre-chef au moment où le Dévoreur s'évanouissait vers une destination connue de lui seul. Comme enveloppé dans une cape de nuit, il demeurait encore une silhouette diffuse aux yeux du nouveau venu.

" Voyons voir ce qu'il nous a amené ! "

Il jeta un regard insondable sur le sujet qu'on lui avait confié comme s'il lisait au delà de son corps tangible.

- Alors, comme ça, on est las de rêver, on ne veut plus penser à ce qu'on a fait mais on voudrait un monde différent ?

Le guide sombre traîna le voyageur par le bras sans ménagement, lui laissant à peine le temps d'entrevoir quelques portes poussiéreuses. Il sembla hésiter en effleurant deux autres qui s'illuminaient sur leur passage. L'une devint transparente et laissa entrevoir le double de son client en train d'embrasser une très jeune femme aux formes arrondies qui se pendait à son cou. Elle avait un ventre épanoui qui dessinait la vie à venir. Zorvan ralentit un peu sa progression en passant devant. Il eut un rictus cruel et happa le pauvre ère.

- Ce n'est pas ce que tu as choisi mais tu peux changer d'avis. Lâcha-t-il en relevant le menton d'un air de défi.
La plume : son rôle dans vos voyages
Empreinte : Zorvan,Gardien de l'Antichambre, Prêtre Guerrier d'Aralia
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{Achevé} Démétrios face au Miroir  Empty Re: {Achevé} Démétrios face au Miroir

Message  Invité Mar 13 Mar - 23:31

Intervention de Pythagore

Debout, ayant parlé, Démétrios fixa l'homme dans les yeux comme pour affirmer sa décision. L'enfant Démétrios s'était promis de soutenir le regard du dieu qui croiserait son chemin. Non qu'il crût à la divinité de cet étrange personnage, mais c'était un Magicien à coup sûr, et d'après Théramène, son grand-père si savant, les magiciens étaient bien plus intéressants et redoutables que les dieux, car ils connaissaient les mystères de la Nature. Oui, c'était un magicien qui voyageait dans le temps, peut-être comme Pythagore, par la réincarnation, en se souvenant de toutes ses vies précédentes.
En fait, Démétrios n'avait pas vraiment compris ce qui allait se passer, sinon que le rythme clos de la destinée allait voler en éclat. Il éprouvait une impression d'instant extraordinaire et inoubliable qui lui semblait se concentrer dans ces yeux bleus parcourus d'étincelles captives. Soudain, entraînée par ce nom de Pythagore, une idée lui vint, le frappa par son caractère rationnel qui confortait sa décision. Comment n'y avait-il pas pensé plus tôt ! Mais oui, Pythagore le mathématicien était aussi thaumaturge, successeur de ces faiseurs de miracle, ces sages capables de quitter leurs corps et de voyager par l'esprit. Epiménide de Cnossos ! Celui-là connaissait tout le Passé qu'il savait visiter par l'esprit, après avoir eu le privilège de dormir sans se réveiller cinquante-sept ans dans une grotte.. Et les autres, qui pouvaient se transformer en corbeau comme Aristée de Proconnèse, ou en flèche, comme Abaris, dit le Scythe ou l'Hyperboréen. Exactement ! Tout se recoupait ! On les appelait les Apolliniens, car ils détenaient leurs pouvoirs d'Apollon Hyperborée . Comme il avait été stupide de ne pas comprendre l'expression de Lycias , un chef venu du Nord ! Pythéas le navigateur disait que des guides du Pays de l'Ambre lui avaient montré la direction du trône du Soleil ; or chacun sait que Apollon se retire en hiver vers le Nord ..Tout concordait ! Démétrios exultait, oubliant qu'il ne croyait pas à Apollon ; mais il croyait à Pythagore, le sage Pythagore, et à l'inspiration venue de l'univers. C'était peut-être Pythagore lui- même qu'il fixait en ce moment dans sa dernière réincarnation ! Ce qui expliquait qu'il ne dise pas son nom ...
La longue silhouette sombre assise sur le sable se déplia et se dressa, obligeant de nouveau Démétrios à lever les yeux pour soutenir ce regard bleu tout pythagoricien qui le subjuguait.
Dans son excitation, il percevait comme une vibration dans l'air, une tension de l'espace , la certitude physique qu'un événement inouï allait se produire.
Aussi quand il entendit la voix grave annoncer un énigmatique " nous allons y aller" puis révéler comment on devait l'appeler, l'élan de joyeuse attente qui le saisit se traduisit par un grand sourire confiant et ce sourire ne le quitta pas pendant qu'il remontait vers les buissons où il avait caché son baluchon : un vêtement de rechange et des sandales fermées, un poignard de chasseur, quelques statères d'or et décadrachmes à la Chouette, plus une poignée de pièces moins prestigieuses, le tout roulé dans son manteau, serré d'une sangle. Il jeta le ballot sur son épaule. Démétrios serait bien parti en abandonnant le tout, le Dévoreur n'avait aucun bagage et les Sages Hyperboréens étaient connus pour se désintéresser des richesses matérielles et pour vivre de l'air du temps. Mais il ne voulait laisser aucune trace derrière lui. Et puis il ignorait totalement où il allait et par quel moyen ; le réflexe de l'emporos préparant avec soin son embarquement prévalut sur son impatience d'un départ immédiat.
Depuis quand n'avait-il plus éprouvé cet enthousiame d'adolescent qui fait battre le coeur plus fort et vous emporte dans un élan de vie irrépressible ? Qu'allait-il se produire ? Le prince des Ours convoquerait-il un cheval ailé comme Pégase ? Se transformerait-il en aigle géant qui l'enlèverait dans ses serres ?Ou comme le dit Homère, allait-il, tel Hermès, nouer sous ses pieds
ses divines sandales, qui brodées de bel or, le portent sur les ondes et la terre sans borne, vite comme le vent
» ? Si on y pensait, l'Hyperboréen avait des bottes fort bizarres, bien que non brodées d'or.
En revenant le long du rivage, il se répéta le nom de Dévoreur de Temps, qui lui plaisait, bien que ce ne soit qu'un surnom. Il allait partir, il descendrait le Boristhène, il allait peindre des photographies avec la lumière du soleil, il deviendrait un Hyperboréen, comme Lycias. Lycias était cent fois plus malin que lui, mais il essaierait d'être à la hauteur. Il serait libre, il allait fuir un monde figé, une vie déjà écrite, un vide qui se creusait en lui chaque jour un peu plus.. Il se baissa soudain, ralentissant à peine son pas de gymnastique et ramassant un galet bien plat, il accéléra un peu et lança la pierre en biais devant lui. Elle ricocha au loin.dans un très long sillage scintillant . Ah ! Lycias, Lycias, qui me battait toujours aux ricochets ! le petit frère arrive ! tu avais raison, ce qui compte ce n'est pas le nombre de fois où la pierre ricoche, mais la longueur du sillage qu'elle crée, et surtout, surtout, le plaisir de se sentir vivant sans raison, juste pour la beauté du monde, l'élan du geste et le plaisir du jeu !

D'un monde à l'autre

Le Dévoreur était tourné vers le haut de la plage et Démétrios n'eut pas à rougir de son enfantillage. Il s'en moquait d'ailleurs. Heureux, plein d'impatience, il aurait bien dansé la pyrrhique le long des flots s'il avait eu un bouclier et le temps d'ôter ses vêtements. Mais le magicien se tournait vers lui et tout en formulant quelques conseils, posa la main sur son bras. Il n'eut pas le temps de chercher si Pégase descendait du ciel bleu. Dès que les longs doigts l'effleurèrent, il sentit s'accentuer la vibration de l'air autour de lui et le même souffle froid qui avait accompagné l'arrivée du Dévoreur. En même temps il vit se former un phénomène pour lequel il n'avait pas de nom et qui le remplit d'un effroi immédiat et intense. D'instinct, il attrapa la manche de son guide au moment où celui-ci avançait d'un pas . Il n'allait pas rester là tout seul. Il se sentit entraîné dans le vide et perdit tout sentiment de réalité. Plus rien n'avait de substance, les voix des Furies hurlaient au passage, des tonnerres éclataient, des ombres de Titans tournoyaient parmi des éclairs zébrant un néant de cauchemar. Oui, c'était un cauchemar, avec cette chute nauséeuse dans l'infini, le vertige de sentir son corps privé de poids et de repères, habité de sensations sur lesquelles on ne pouvait plus mettre de mots. Regarder ne servait plus à rien, et malgré le conseil de son guide, Démétrios ferma les yeux . Il était en train de partir dans l'hadès. Il n'était pas assez fort pour résister aux eaux tumultueuses du temps, il ne descendrait jamais le Boristhène.
L'arrêt brutal contre une surface élastique lui fit aussitôt ouvrir les yeux. Il était mort certes, mais il n'avait pas perdu son cher Mentor dont il aperçut l'épaule sombre juste sous son nez quand il commença à tourner un peu la tête, plaqué qu'il était par le choc contre la paroi. La voix autoritaire du Dévoreur arrêta net son mouvement. Celui-ci lui donnait des ordres simples et même prévisibles. Ainsi ne devait-il pas se retourner, selon un usage bien connu des Enfers. Pourtant nulle Eurydice ne les suivait..il ramena donc son regard sur une surface solide au toucher, liquide à la vue et agitée de moirures et de reflets qui le firent un peu loucher. Les clameurs aux ébranlements métalliques, les grondements démoniaques s'étaient tus. Finalement, il ne devait pas être mort, ou bien la vie et la mort étaient la même chose, ce qui pouvait faire l'objet d'un paradoxe auquel Zénon n'avait pas pensé. Démétrios fut surpris de penser à Zénon, mais c'était chez lui le signe du retour à la normal. Il rattrapa vite le fil du discours du Dévoreur. Il fallait suivre Zorvan. Il y aurait une porte, la bonne, à choisir, bien sûr.. Fixer son regard. Zorvan n'aime pas les fouineurs ...Un sursaut d'enfant curieux, d'élève un peu frondeur lui traversa l'esprit. On pourrait peut-être jeter un coup d'oeil en douce… Les longs cils de Démétrios pouvaient très bien masquer des regards en coin..Mais un"Sois prudent, Démétrios" le ramena à la raison. Le Dévoreur s'en allait !! Tout de suite ! Heureusement, il lui avait été dit avant le départ qu'on pourrait l'appeler en cas de besoin. Et il avait justement besoin de poser des tas de questions ! Il allait ouvrir la bouche quand il perdit l'équilibre, la paroi cédant brusquement devant lui. Une poigne solide le saisit et et le maintint debout .

Chez Zorvan

Il se retrouvait dans un autre endroit , plutôt sinistre pour un Athénien, épris de marbres polis et de lignes épurées. Les murs étaient indéfinissables, comme si tous les éléments s'y donnaient rendez-vous dans un mélange de minéral et de matière semi vivante. Cela annonçait des enchantements, des rites chtoniens, des monstres emprisonnés par des souverains terrifiés et, plutôt que Zorvan, on s'attendait à voir surgir Circé , Calypso ou Médée et autres belles et dangereuses manieuses de sortilèges.
Mais non .C'était bien un homme qui le maintenait, aussi étrange d'aspect que le Dévoreur. Ses cheveux étaient lisses et gonflés, un peu comme les perruques des dames égyptiennes, aussi noirs que ceux du Dévoreur étaient blancs et encadrant strictement un visage sévère au regard ténébreux. Une très étrange ligne de barbe charbonneuse marquait le menton. Ce n'était pas une barbe grecque, fournie et bouclée. Ce devait être une marque ésotérique. Les sourcils froncés montraient des sentiments contrariés. Rien à voir avec les yeux scintillants, et qui savaient sourire, du prince d'Hyperborée.
Quand à sa tenue, c'était un mélange de robe Mède et Perse, sombre, avec de nombreuses coutures et cachant pratiquement tout le corps à l'exception du visage et des mains. Il ne faisait pas chaud chez Zorvan et Démétrios, jambes et bras nus, se dit qu'à la première occasion, il mettrait son manteau en lainage teint au rouge de cochenille, un modèle qu'il affectionnait pour voyager. Son bonnet quasi phrygien complèterait très bien sa tenue et mettrait de la couleur dans ce monde où semblaient dominer le noir et le gris. Ces pensées fugaces donnèrent un peu d'aplomb à Démétrios qui avait totalement oublié qu"il était peut-être mort.
Zorvan n'avait pas lâché son bras et l'entraînait le long du corridor. Démétrios décida qu'il n'aimait pas ce citoyen, qu'il préférait infiniment le Dévoreur, mais, comme ce dernier lui avait dit qu'il fallait suivre Zorvan, il suivit Zorvan. Mais il ne répondit pas à la question posée sur un ton trop revêche pour plaire au sourcilleux Athénien. Il n'était pas un "on" anonyme et neutre. Il était un "Je" à part entière, et en plus ce Zorvan, aussi aimable que ses portes étaient rouillées, se trompait sur ses motivations.Ce à quoi lui, Démétrios, ne voulait plus penser, ce n'était pas à ce qu'il avait fait, mais à ce qu'il n'avait pas fait. Le Dévoreur était bien plus malin. Pour le tenter, il lui avait parlé du Boristhène et des hommes du Nord.

Premier miroir

Quand par un sortilège évident , une des portes cessa d'être opaque et devint transparente comme de l'eau, Démétrios eut la surprise choquée de voir une créature qui ressemblait absolument à sa défunte jeune épouse Chrysothémis, en train de se faire embrasser par un individu qui ..qui ..disons qui lui ressemblait beaucoup, oui, à lui, Démétrios. Il n'était pas un adepte du miroir et ne se regardait que rarement dans cet objet laissé aux femmes. Un esclave peut aussi bien s'assurer que vous n'avez pas mis votre chlamyde à l'envers. Mais enfin, c'était son image et il avait ce même manteau rouge que celui qu'il portait roulé sur l'épaule. Que signifiait ce tour de magie ?
Zorvan s'adressa sans plus de politesse et même avec une mauvaise humeur évidente à Démétrios , totalement abasourdi .. Chrysothémis gazouillait gentiment en lui tournant ses boucles blondes sur ses jolis doigts roses, et il se souvenait de la scène. Il partait pour les Cyclades, elle lui disait de ne pas couper ses cheveux trop courts pendant le voyage. Elle l'impatientait un peu avec ses gestes enfantins, mais elle l'attendrissait aussi. Soudain, il fut glacé d'effroi. Chrysothemis était morte depuis presque deux ans. Il regardait un fantôme. Il se rejeta en arrière et dit, horrifié :

-Cessez cette profanation. Qui êtes-vous pour déranger les morts et les faire remonter de l'hadès ?

Il devait finalement être mort lui aussi. Qui rencontre son double ne peut pas être dans le monde des vivants. Mais il abandonna l'idée aussitôt en sentant le battement de son coeur serré par l'émotion, le sang de la colère qui lui montait à la tête. Il tourna le dos à la porte et déclara, la voix tremblante:

-Si vous voulez m'envoyer dans mon passé, trouvez un moment où je suis seul ou en terre étrangère. Aucun des êtres qui me sont chers ou l'ont été ne doit être dérangé. C'est sacrilège et cruel.
Un peu effrayé de sa véhémence, il chercha à reprendre son sang-froid :

-A moins que ..ce ne soit pas vraiment elle ?..c'est une... euh, kinéphotographie ? comme moi au Cap Sounion, mais qui bouge et parle ? j'ai toujours eu l'idée que le petit bonhomme allait se mettre à me parler.si j'attendais assez longtemps ..

Il sortit la photo de sa ceinture et la tint devant lui, comme pour s'assurer que tout n'était qu'illusion.
Il était complètement perdu; le Dévoreur avait bien dit qu'il fallait passer par l'antichambre pour devenir un voyageur comme Lycias, mais sa tête se brouillait ; il ne comprenait pas ce que Zorvan attendait de lui. S'il entrait dans cette pièce, qu'allait-il se passer ?. Revivre sa vie depuis ce moment-là ? Il avait cru comprendre qu 'il retournerait dans un passé différent en choisissant Aparadoxis. Et c'était ce moment en apparence si insouciant qu'on lui montrait, mais il connaissait la fin de l'histoire et elle était triste et funèbre. Le Dévoreur avait dit : Tu aimes l'imprévu et l'aventure ? Alors ce domaine du maître de l'Antichambre est pour toi. Il n'y avait ici aucun imprévu à attendre et la petite Chrysothémis n'était pas une aventure.. Mais il avait été dit aussi que Zorvan était une épreuve pour aller plus loin et il voulait retrouver l'Hyperboréen et comme lui, vivre d'autres vies. Il essaya d'affermir sa voix mais il ne put que murmurer :

-Pouvez-vous m'ouvrir une autre porte si j'ai le choix? Je préfèrerais..

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{Achevé} Démétrios face au Miroir  Empty Re: {Achevé} Démétrios face au Miroir

Message  Zorvan Mer 21 Mar - 13:36

Zorvan croisa les bras sur son torse en affichant un petit sourire torve. Il prit un peu de temps pour dévisager sans retenue son "invité". Légèrement vêtu, bien proportionné, une belle figure. Le nouveau n'avait rien de commun avec certains candidats armés d'objets meurtriers et affichant des velléités guerrières qu'il devait calmer par une leçon de son cru. Non, le dénommé Démétrios de Zea, puisque c'est ainsi que s'affichait son identité dans l'esprit du gardien de l'antichambre, ne s'agitait que par le verbe et les frissons qui parcouraient son corps. Un impressionnable... Il allait donc falloir ajouter et non retrancher. Si le Dévoreur le lui avait confié, c'était bien qu'il le pensait capable de franchir le cap éprouvant des aléas du temps. Il fallait juste s'assurer qu'il n'en perturberait pas de façon exagérée ni inopportune le cours déjà bien tortueux. Que pouvait espérer l'Arpenteur des couloirs en proposant un tel protégé aux épreuves de Zorvan ?

L'homme à la longue chevelure noire savait, depuis qu'il avait trouvé le Dévoreur sur le seuil de sa porte un fameux jour -ou une nuit, comment être sûr ?- que cet homme était différent des autres parce qu'il avait lui-même créé une clef pour arriver jusqu'à lui, parce qu'il s'était donné seul les moyens d'arpenter les siècles là où les autres s'étaient accidentellement ou par le truchement d'un tiers, trouvés précipités dans le paradoxe temporel. Le Dévoreur de Temps, ainsi s'était-il présenté spontanément, bien que Zorvan sût quel était son véritable nom, avait créé ce pont improbable dans le seul but de parcourir volontairement les chemins du temps jusque dans leurs plus infimes ramifications mais à la question " dans quel but ? ", son visage s'était fermé et il s'était contenté de répondre " je dois défaire quelque chose qui a été fait mais pour cela je dois retrouver le point d'arrêt du fil". C'était la première fois qu'on opposait à Zorvan une énigme face à ses questions et il en avait été ébranlé et intrigué, chose qui ne lui était pas arrivée depuis une éternité. Lui-même ne savait plus avec exactitude comment et pourquoi il était arrivé dans l'Antichambre. Il avait bien des réminiscences parfois très précises et douloureuses d'épisodes particuliers de sa vie d'avant mais ce n'étaient que quelques fugaces éclats de diamants enchâssés dans une roche d'un noir insondable qui avait pétrifié ses souvenirs. L'Antichambre était ainsi. Si l'on s'y attardait trop, on oubliait qui on avait été. Dès lors comment aspirer à le redevenir ou même à devenir autre, puisqu'on oubliait jusqu'à ce qu'on avait voulu devenir ? Bien sûr, il arrivait furtivement à Zorvan de se souvenir d'envies passées mais elles lui échappaient sournoisement comme de jeunes anguilles d'une nasse aux mailles trop larges. Cela entretenait une humeur maussade quasi permanente chez lui, une aigreur qu'on pouvait concevoir. Un homme qui a oublié son passé, qui est figé dans un présent limité et n'arrive pas à entrevoir l'avenir souhaité est forcément de mauvaise humeur. Ses états d'âme oscillaient donc entre mélancolie et agressivité selon les moments. Le Dévoreur lui avait paru, au début de leur rencontre qui avait débouché sur une étrange association, comme une possible ouverture vers un espoir. C'était comme si cet homme à l'étrange accent était un détonateur pour dynamiter la colline de rochers qui l'écrasait. Un chien fou lâché dans le jeu de quilles temporel. Le pouce qui fait basculer le premier domino d'un assemblage savant et alambiqué. Si lui, Zorvan, était le dernier domino du parcours et pouvait se trouver expulsé de son Antichambre par l'effet dynamique créé ?

Pourtant, ce n'était pas si simple et si le Dévoreur bousculait bel et bien l'ordre établi du temps dans un but connu de lui seul, s'il expédiait, une fois estampillés de l'approbation zorvanienne, les voyageurs dans les couloirs de l'Infini, provoquant ainsi des réactions en chaîne de voyages, aucune n'avait abouti encore à expulser Zorvan hors de sa prison, qui n'était même pas une cage dorée. Au moins, les candidats qu'il lui envoyait avaient-ils le mérite de distraire son ennui et de rompre un moment sa solitude mais, oui, l'espoir était pour le moment déçu de se voir enfin remplacé dans son rôle de gardien pour pouvoir à son tour parcourir les couloirs en quête de ce qu'il avait été et voulait être. Il avait acquis la certitude que le Dévoreur le manipulait dans le seul but d'accomplir sa propre quête et que le marché " je t'envois des visiteurs régulièrement pour voir s'ils sont aptes à se promener dans le temps et si l'un d'eux s'avère trop instable, tu pourras en faire ton successeur ou bien peut-être que l'un d'eux va commettre une erreur dans son cheminement et se retrouver prisonnier de l'antichambre à ta place." s'avérait un beau marché de dupes. Tous les sujets qu'il lui envoyait étaient soit trop nerveux et chutaient dans les limbes du néant devant sa porte ou, soit quand ils la franchissaient, se révélaient être des personnes très déterminées finalement dans leurs désirs. Quant à ceux qui commettaient des erreurs de parcours une fois passé le cap de son approbation et lancés dans l'exploration des Couloirs de l'Infini, il leur arrivait des accidents qui les faisaient trépasser dans l'époque visitée ou entre deux. Mais aucun, même parmi ceux qui revenaient explorer son Antichambre, hé oui, les fous existaient, n'avait encore fait un faux pas qui le vouerait à la damnation que lui, Zorvan, endurait depuis un temps infini. Aussi le gardien des lieux devenait-il de plus en plus retord au fil des épreuves et des éprouvés.

Celui-là, donc... Démétrios de Zéa. Pas si docile que sa belle tête d'éphèbe grec pouvait le laisser supposer. Voilà qu'à peine arrivé, il récriminait sur ce qui lui était montré. Voilà qu'il lui parlait presque comme on le fait à un marchand qui ne nous montre pas la marchandise attendue. Une déformation due à ses activités passées ?

- Mon petit Emporos, tu vas te calmer ! Finit-il par proclamer en le poussant en arrière d'une simple bourrade à l'épaule.

Il n'y avait guère de différence entre les deux silhouettes sur le plan de la corpulence mais elle résidait dans la pratique et dans la vie passée, sans doute. Zorvan ne se souvenait pas ce qu'il avait été mais il savait juste que cela l'avait peut-être doté d'une musculature sèche et nerveuse qui se détendait facilement comme un ressort, d'une force assez extraordinaire, tant sur le plan physique que mental. Peut-être n'était-ce vrai que dans ce plan temporel et qu'une fois sorti de l'Antichambre, il deviendrait aussi mou et faible qu'un gastéropode sans sa coquille ? Comment savoir ce qu'il ne devait qu'à lui-même et ce qu'il devait à sa prison ? Il avait oublié ... Démétrios se retrouva donc sur son séant avant d'avoir compris. Sans se soucier d'une réaction qui pourrait être vive, Zorvan se tourna vers la porte qui laissait voir la jeune femme et l'autre Démétrios. Il passa une main devant la surface mouvante et l'image se brouilla laissant voir cette fois le grec en tenue de combat au côté d'un homme barbu qui lui ressemblait étrangement. Les deux avançaient de front, côte à côte face à un ennemi qui semblait écraser leurs semblables par le nombre et la virulence. L'homme plus âgé adressa un sourire au Démétrios armé et lui hurla dans le fracas des lames "Je suis fier de toi mon fils ! Pour Athènes ! Pour les Acamantides ..." . La voix se perdit dans le tumulte du champ de bataille mais le long regard échangé acheva les propos. Les deux hommes s'élancèrent, épaule contre épaule, et firent une percée dans les lignes de cavalerie ennemies qui se refermèrent sur eux.

- Je ne profane rien d'autre que tes rêves, Démétrios. Tu te leurres en voyant ici des spectres. Cette porte est celle de Blue Hospel, un univers dont tu as refusé l'exploration mais je me dois de t'en laisser voir les possibilités... c'est dans le contrat ... pour d'éventuelles explorations ultérieures. Ce que tu vois, ce n'est pas le passé, tu l'auras compris avec ce que je viens de te montrer mais ce que tu as rêvé.

Zorvan inclina la tête et eut un rire sec et cruel.

- Tu as beaucoup de rêves, Démétrios ... Beaucoup de rêves non réalisés... Rongé par les regrets comme ton cher cap Sounion l'est par le ressac. Tu vois je te connais comme si j'étais toi.

Il eut un long éclat de rire qui lui jeta la tête en arrière. Il riait autant de Démétrios que de lui-même. Toutes ces vies auxquelles il avait eu accès sans restriction, comme lisant dans un grand grimoire d'existence, alors que le souvenir de la sienne lui était refusé. N'était-ce pas risible ?

- Sache, si tu en as envie un jour, qu'en entrant dans la dimension de Blue Hospel, tu ne peux au sens strict modifier le passé mais en revivant tes rêves, mêmes ceux dont tu n'as plus souvenir, tu peux modifier ton avenir. Toi présent dans votre couche, qui sait si tu n'aurais pas senti les ébats douloureux de ton épouse avant ses esclaves, prévenu les naisseuses plus vite, et sauvé ton enfant et ta femme ? Tu serais père à l'heure actuelle. Que penser de ce rêve que tu fais souvent au sujet de la bataille de Chéronée ? Peut-être ton bouclier aurait-il détourné la flèche qui transperça le coeur de ton père, lui accordant un répit de courte durée. Ou peut-être aurais-tu été blessé toi, privé de ta virilité par un coup mal placé et jamais Chrysothémis n'aurait porté ton enfant. Vous seriez demeurés ensemble mais, couple voué à rester sans descendance, peut-être serait-elle morte de chagrin finalement de ne pouvoir être mère ... Saisis-tu les implications de cette dimension ? Pas de changement fondamental, pas de personne soustraite à la mort mais des variations infimes et une sensation d'avoir vécu une meilleure version de l'histoire puisque celle découlant du rêve ...

Il passa devant la porte de Blue Hospel et la griffa de ses ongles longs. Elle redevint métal gris et rouillé. Puis, s'adossant au chambranle de l'autre, il poursuivit d'une voix de plus en plus énigmatique.

- Viens voir ce qu'est mon pouvoir .

Derrière là porte qui était devenue limpide comme une source, un garçonnet sur les genoux d'une belle femme qui caresse ses boucles et le console d'un chagrin qui semble profond, se soustrait soudain à l'étreinte et sort de la pièce pour traverser une cour intérieure. Il a entre ses mains un étui contenant une dague. Le soleil plombant est à son zénith et le jeune enfant compte tristement le nombre de colonnes du promenoir. Il ouvre une lourde porte qui donne sur un couloir et croise un esclave qui sort d'une pièce, un plateau chargé des reliefs du repas sur les bras. Il entre dans la pièce et trouve Démoclès dans son bureau. Il s'avance vers ce père tant adulé et l'étreinte est triste. Le valeureux guerrier semble dévorer des yeux son cadet. Une chaise est désignée au petit pour s'asseoir. Il y prend place sagement. Battant des jambes dans le vide il écoute son père en fronçant timidement les sourcils. Les mots paternels sont durs. Il est question de parfaire une éducation d'homme, de s'éloigner de l'adoucissante influence des femmes. Le coeur du petit se soulève dans sa poitrine mais au fil de l'échange, son, visage s'illumine. Ne voilà-t-il pas que son père lui tend un étui contenant une dague " venant de Théramène lui-même ". Le garçonnet est très vite dans les bras de son père qui le serre contre lui en caressant les boucles blondes. "Sois fort de notre amour, mon fils. Athènes et sa Déesse protectrice ont les yeux fixés sur toi mais tu ne devras jamais oublier le regard plein d'amour de ta mère, de ton père et de ton grand père quand tu deviendras un homme. " L'étreinte s''interrompt et voilà Démétrios à nouveau sur sa chaise. Il est en train de mordre dans une cuisse de poulet qu'il a en main pris sur un plateau qui est apparu mystérieusement sur le bureau de son père. Le même esclave, croisé auparavant, entre chargé du même plateau couvert de victuailles et d'un pichet de vin. "Partageons ce repas, veux-tu, mon fils ? J'ai à te parler de ton avenir." Le ton est cordial, comme un pair qui parlerait à un égal. Puis l'enfant repart les mains vides, retraverse la cour intérieure que le soleil de milieu de matinée éclaire en oblique et retrouve les bras de sa maman qui lui glisse à l'oreille en le câlinant " Ton père est rentré cette nuit. Il a demandé à te voir. Sois courageux mon fils."

- Te souviens-tu de cet épisode ? Peut-être oui, peut-être non ... Mais je doute que tu aies gardé en mémoire le tout début de cette entrevue, au moment où l'émotion et l'amour de ton père étaient si palpables... N'est-ce pas incroyable, ce que les humains s'infligent à eux-même en brusquant les personnes qu'ils aiment pour s'accommoder des convenances de leur temps ? Et on me reprocherait d'être rude avec d'es étrangers ? Enfin, cette démonstration a pour but de te laisser entrevoir les apports du champ des oublis que tu as balayé avec tant de détermination de tes choix. Ce lieu permet parfois de voir ce qu'on n'a pas perçu dans la précipitation du temps qui se rue en avant. Ne voit-on pas le petit débris rejeté par les flots lorsque la vague reflue et non lorsqu'elle se précipite sur la plage ? Il en va de même des sentiments.

Zorvan agita sa main fine et acérée devant le visage de Démétrios. Dans l'Antichambre, on se souciait peu de se couper les ongles.

- C'est un petit cadeau ... poursuivit-il d'une voix étrangement troublée qui l'agaçait lui-même. Je suis presque certain que tu n'avais retenu de cette journée que la dague et l'ordre de t'éloigner du gynécée... et pas la chaude affection que l'homme t'avait prodigué ni la fierté qui perçait dans sa voix.

Il ne se gêna pas pour presser entre ses doigts l'extrémité du bonnet coloré d'un geste presque taquin et poursuivit de sa voix brisée.

- Mais tu as choisi Aparadoxis... Beau lieu en vérité. Prépare-toi à de grandes aventures. Je crois que le Dévoreur t'aime bien .

L'homme à la barbichette consulta un rouleau de papier et hocha la tête puis il poussa sans ménagement Démétrios contre une troisième porte .

- Héhéhé! Allez, moussaillon...

Derrière la troisième porte, mouvante et cristalline apparaissait le Cap Sounion, vide de son Démétrios accroupi.

- Tu voulais que ta photo s'anime mais cela n'arrivera jamais . C'est comme une peinture si tu préfères mais avec des matériaux du futur. En revanche ce qui va s'animer c'est ton escapade méditative au bord de l'eau. Es-tu prêt ?

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{Achevé} Démétrios face au Miroir  Empty Re: {Achevé} Démétrios face au Miroir

Message  Invité Dim 25 Mar - 23:18

De Mentor à Cerbère


Après sa requête, qu'il estima avoir formulée avec suffisamment de retenue malgré son désarroi , Démétrios observa l'expression de Zorvan, essayant de la décrypter selon le peu de renseignements que le Dévoreur avait donné du personnage et pour tenter de corriger ce premier contact, plutôt mal engagé.
Il devait se conduire docilement avec Zorvan et il n'aurait pas dû réagir avec autant d'émotion. Le passage par l'Antichambre était une épreuve qu'il fallait subir pour rejoindre un monde rempli de fleuves tumultueux, d'ours bienveillants et d'aventures faramineuses. Sensible à l'évocation d'un destin maudit, le Grec avait été prêt à faire bon visage à un condamné attaché à son Antichambre comme Prométhée à son rocher. Et Démétrios aimait beaucoup le récit où Héraklès délivre le Titan enchaîné. Par ailleurs, il avait retenu que Zorvan cherchait à se distraire de cette éternité morose et qu'il appréciait qu'on le fasse rire. L'Athénien savait jouer l'amuseur public, quand il sortait de sa réserve et de ses rêveries. Mais en voyant l'air narquois de Zorvan, qui le dévisageait d'un oeil sans indulgence, Démétrios se dit qu'il ne s'agissait sans doute pas de dérider le barbichu par des remarques spirituelles mais d'accepter qu'il se moquât de vous. L'expression faire rire était décidément bien ambiguë.
Et voilà maintenant que le Maître des Portes l'examinait en croisant les bras, avec un sourire sardonique, cherchant visiblement à l'irriter. Fallait-il vraiment obéir à ce gardien qui jouait les Cerbère sans en avoir les trois têtes ? La seule qu'il montrait était d'ailleurs plutôt séduisante, même si ce mince trait de barbe donnait à son visage lisse une touche un peu inquiétante. Mais son sourire en coin était à gifler.
Cependant, que penserait le Dévoreur si son disciple échouait à la première difficulté ? Le souvenir du regard bleu lui fit trouver encore plus hostile l'éclat sombre des yeux qui le narguaient.
Comment le Prince du Nord, si affable, si modéré, si rempli de la distinction que donne la maîtrise du moment, du lieu et de soi-même, comment un homme, certes étrange mais si attirant, avait-il pu s'acoquiner avec cet individu aux gestes désordonnés et au rictus offensant, juste l'opposé de lui-même ?
En s'exprimant en un langage fluide, utilisant des tournures polies, des images frappantes, montrant de la patience et du tact, le Dévoreur avait su, en quelques minutes, vaincre la méfiance et la crainte que pouvait faire naître une situation aussi déroutante que celle où s'était retrouvé Démétrios. Au contraire, Zorvan s'adressait à lui comme s'il n'était qu'un enfant gênant qu'il fallait pousser pour qu'il avance, tel un veau qu'on mène au pré. Prononcés sèchement, tous ses propos exprimaient l'exaspération, à peine contenue par la nécessité de devoir s'occuper de l'arrivant.
Inopinément, cette idée rappela à Démétrios qu'il avait affaire à un reclus, une sorte de damné solitaire, et qu'il était inévitable que la victime devienne elle-même un bourreau, pour décharger sa souffrance et sa colère. Il fallait même aller plus loin. Sans indulgence pour les autres, qui ne lui en avaient accordé aucune, il n'en avait plus aussi pour lui-même. L'ironie qui teintait ses paroles était le signe marquant le" bourreau de soi-même", l'héautontimorouménos, celui qui n'a plus que cette ultime façon de dominer son destin : la dérision et l'agressivité.
Démétrios, adouci par le triste sort de Zorvan, décida de ne pas objecter, quel que soit le spectacle qui se présenterait à la prochaine porte et quel que soit le ton que prendrait son malheureux guide.


Le Passé Modifié, conjugué (et asséné) par Zorvan
.


Sa décision fut immédiatement mise à l'épreuve. Jamais personne n'avait osé le traiter de "petit emporos" ! Mais à peine eut-il le temps de serrer les dents que le fier fils d'Athènes se retrouva sur les fesses, un réflexe de lutteur l'empêchant seul de ne pas tomber de tout son long en arrière, sous le choc d'une poussée brutale qu'il n'avait pas vu venir .
Abasourdi par la puissance et la gratuité du geste, Démétrios resta assis au sol, mais en profita pour remonter ses jambes pliées devant lui et les entoura de ses bras, en une position protectrice, au cas où d'autres coups suivraient. La rage bouillonnait en lui mais il savait que, selon Aristote, si on ne triomphe de rien sans la colère, elle doit nous servir, non comme chef, mais comme soldat. Pour une fois, Aristote lui fut donc utile en l'empêchant de bondir sur le fou. Mais si ce traître se jetait encore vers lui, une brusque détente de ses genoux pliés enverrait le Zorvan et ses robes s'étaler dans son antichambre. Les condamnés éternels n'ont quand même pas tous les droits !
Cependant, comme si ce possédé ne s'était rendu compte de rien, il s'était déjà détourné vers ses portes de malheur et une nouvelle scène se formait, clouant Démétrios au sol encore plus sûrement que la poigne de Zorvan.

C'était son père et lui, adolescent, à Chéronée ; la cavalerie macédonienne chargeait, et il y était et il allait mourir aux côtés de Démoclès et il n'aurait pas à vivre avec ce regret de n'être pas mort quand il l'aurait fallu. Les larmes emplirent ses yeux et il allait s'élancer, se fondre dans ce mirage, disparaître à jamais avec le jeune hoplite de quinze ans et le noble guerrier au fier regard.
Mais déjà Zorvan parlait, rompait le charme. Ce n'était que l'image d'un rêve.
Un rêve? il en avait tant fait, il en faisait toujours et le temps passait et aucun ne se réalisait jamais vraiment, car lorsqu'un désir semble être comblé, c'est une bulle de savon qui éclate ; la réalité est là qui prend les rênes et on est obligé de suivre, d'accepter l'acceptable et il ne reste que le souvenir d'un chatoiement mordoré , d'un infini perdu où seuls les rêves peuvent prendre leur envol.
La voix méchante de Zorvan ne l'atteignit que progressivement dans le bouleversement de tout son être. Le Dévoreur l'avait-il trahi en l'envoyant à ce tourmenteur des âmes ? Etait-il en fait dans le Tartare, comme Sisyphe ou Tantale, puni pour le crime de médiocrité, de tiédeur dans les nobles ambitions, pour avoir vécu privé de cette valeur glorieuse qui justifie qu'on ait existé ?
Zorvan énumérait des possibles avec une sorte de rage fascinée. Démétrios demeurait assis, les bras entourant ses genoux comme un enfant chagrin, oui, comme au cap Sounion, quand il regardait le soleil se lever ce matin-là ainsi qu'il se lèverait encore des millions de fois.
Démétrios ferma les yeux. Il était fatigué ; peut-être..peut-être, disait Zorvan.
Que faisait-il là ? Qu'était-il venu chercher ? Ah oui, le Dévoreur ..Lycias..le Boristhène, d'autres vies ..des rêves... et puis la torture de ce Zorvan . Torture ? L'Antichambre avait bien été présentée comme une épreuve dont il fallait triompher pour passer ensuite dans le vrai monde, où bondissait Lycias et où il pourrait retrouver le Dévoreur. Reste dans son dos, suis -le. Si Zorvan était un démiurge enfermé là par des dieux jaloux, il avait dû être outré qu'on le traite de sacrilège. Il fallait le comprendre. Et puis maintenant, il expliquait la situation au lieu de vous la jeter au nez sans crier gare. Quelqu'un qui discourt ne peut-être tout à fait dangereux. On devait pouvoir s'entendre.
Le métal de la porte grinça sous une main griffue et ce bruit désagréable tira Démétrios de sa prostration.Il se mit debout, rajusta sa ceinture, ramassa son manteau qu'il avait lâché dans sa chute. Il allait se conduire calmement, comme il l'avait décidé tout à l'heure. Et obéissant à l'ordre solennel de Zorvan,"Viens voir ce qu'est mon pouvoir", il s'approcha de la deuxième porte.

Un enfant blond, bouclé.. encore lui. Sa mère.. des images, encore des rêves ?...sans doute, car rien n'est très cohérent. Il se souvient cependant très bien de ce temps où il a dû quitter le gynécée. Son père était de retour pour quelques jours auprès des siens. A sept ans, on n'oublie pas un moment pareil, moment annoncé, redouté, dont on a essayé d'oublier justement l'inéluctable échéance. Ses frères se vantaient d'avoir anticipé cette séparation, impatients de passer du côté des hommes. Lui, il a fait semblant d'être malade pour que sa nourrice le garde au lit deux ou trois jours de plus. Et sa dague, il l'a toujours, bien sûr.
Démétrios pensait se souvenir très exactement de son père, un homme très physique, de haute stature, chaleureux, démonstratif, très présent lors de ses rares moments auprès des siens. Mais enfant, il redoutait un peu le piquant de sa barbe drue et aussi son habitude de le hisser d'un coup à hauteur de son visage, en le prenant sous les aisselles, comme on fait d'un nourrisson. Ses frères se moquaient de lui, en le traitant de gros bébé. Il préférait le moment quand son père lui faisait gravement réciter son syllabaire et l'interrogeait sur ce qu'il avait appris auprès de Théramène. Il se sentait alors valorisé devant le géant paternel admiré de tous. Maintenant, grâce à Zorvan, curieux manipulateur des mémoires, il revoyaiit ce moment d'affection rugueuse et portative, qu'il appréhendait donc un peu autrefois, d'une manière bien différente, avec tendresse et nostalgie.
Ces images découpent le souvenir en épisodes pris à rebours, comme si on regardait la frise des Panathénées en commençant par les jeunes filles de la fin et remontant par groupes successifs vers le début de la procession. Tout cela n'a guère de sens...bien que...bien que.. . Démétrios hésite soudain. Remonter le cours du temps, on ne le fait jamais quand on se souvient . On se fixe à un point du passé et on revit l'écoulement des faits en descendant vers le présent. S'il veut se remémorer ce moment précis de ses sept ans, il commencera quand sa mère lui dit que son père l'attend et tout défilera alors vers cette fin où il s'est laissé dorloter comme un bébé malheureux. Les souvenirs habituellement se suivent en s'enchaînant selon la loi des causes et des effets, prévisibles dans leur succession déjà réalisée. Certains détails disparaissent ou se modifient avec l'âge. Le courant s'appauvrit en amont, des zones asséchées interrompent le flot des événements. Peut-être est-ce un moyen de mieux se souvenir que de remonter le fleuve du temps, retourner vers les sources, enlever les rochers noirs de l'oubli qui bloquent le jaillissement des eaux.. S'interroger : Qu'est-ce que j'ai fait avant.... et non affirmer: Alors, après, j'ai fait ceci ou cela.. Démétrios se dit qu'il utilise parfois cette méthode quand il ne trouve plus un objet .
-Où étais-je avant de chercher ce papyrus que j'ai posé quelque part je ne sais plus où? -Chez Chloïs, et je ne l'avais pas. Et encore avant?- A la maison où je me suis fait raser par Eubios. Eubios m'a même raconté une histoire salace qui m'a bien fait rire.. j'avais oublié..il faudra que je la ressorte à Callisthène qui sera mort de rire... Eubios a peut-être vu ce papyrus. Et avant le rasage, j'ai ....
Oui, c'est bien ainsi qu'il remonte parfois les escaliers du temps,sans sauter de marches, allant des effets vers les causes, pour saisir l'instant fugace qui expliquera le présent..Zorvan n'est pas fou et il mérite qu'on supporte cette façon qu'il a de vous maltraiter.

Le diable se rachète


Calmé, Démétrios écoute donc Zorvan avec plus d'attention et commence à apprécier ses dires. Il aime l'image poétique de la vague abandonnant un débris sur la ligne de flot, même si logiquement le parallèle ne résiste pas à l'analyse. Mais une belle image vaut bien tous les raisonnements du monde..Zorvan est un poète, non un rhéteur et on pardonne bien des choses au poète. Même d'avoir l'accès poétique un peu brutal. Le sol de l'antichambre était dur et Démétrios se frotte pensivement le bas du dos tandis qu'il essaie de comprendre les implications, comme a dit son nouveau guide.
Car Zorvan a quand même une approche un peu tordue du temps. L'enchaînement des causes et des conséquences est univoque dans la réalité du monde matériel. Si je laisse tomber un vase, il se brise et il ne redeviendra jamais intact. La fumée qui s'élève ne retourne jamais au foyer pas plus que le fleuve à sa source. D'ailleurs le temps n'est pas vraiment rembobiné à l'envers dans la vision offerte. Les paroles défilent dans le bon sens - Démétrios n'est pas appelé" soirtéméD "et il ne marche pas en tournant le dos à l'endroit où il va, qui est en fait l'endroit d'où il vient et où le sortilège le fait revenir. Heureusement, sinon on n'y comprendrait rien et on attraperait le tournis.. Zorvan est un fameux magicien, plus dérangeant que dérangé !.
Et puis il a changé d'attitude, il ne ricane plus et semble content d'avoir rappelé un moment émouvant et tendre. Démétrios ne résiste jamais à l'émotion qui fait écho à la sienne et il se dit que la violence de tout à l'heure n'était que la libération d'une tension trop grande. Zorvan ne sait plus peut-être se comporter physiquement avec les autres, estimer les distances, la portée d'un geste. Démétrios se dit qu'il aurait dû rire de sa chute, afin de rendre la situation acceptable pour eux deux.
Et voilà que ce même malappris, ou maladroit ? de Zorvan, d'un geste familier et spontané, pince le bout arrondi de son bonnet ! Tout comme Lycias, quand Démétrios se coiffait d'un pilos de feutre pour courir derrière les chèvres et les moutons, au bord de l'Ilissos. Démétrios en est tout attendri. Voilà pourquoi Lycias lui a laissé ce bonnet comme signe de ralliement, un objet qui lui rappelait le passé, mais aussi que le Dévoreur reconnaîtrait comme venant de son temps à lui. En admettant que le Voyageur de Kronos puisse avoir encore une époque où il se dise chez lui.. Zorvan, lui, a montré qu'il sondait les mémoires et ce geste de grand frère taquin vient d'unir dans une même histoire, Lycias, le Dévoreur, Zorvan et le petit Grec qu'on a ramassé sur une plage.

*******

Continuant sur sa lancée, sans apparemment remarquer l'émotion de Démétrios, Zorvan acheva sa reconquête du 'petit emporos' en lui lançant deux phrases brèves mais qui valaient tous les encouragements du monde : " Prépare-toi à de grandes aventures "et une surprenante supposition de la bienveillance du Dévoreur à son égard. Démétrios s'en sentit ému et fier, mais comment Zorvan pouvait-il le savoir ? Le Dévoreur n'avait pas franchi la porte de l'Antichambre. Et ce n'était pas un mortel comme un autre, on ne pouvait certainement pas l'explorer comme un esprit ordinaire ... Tout un monde assez effrayant de mystères et d' impossibles prodiges s'ouvrait de nouveau devant l'Athénien. Mais il décida de dépasser ses craintes. On verrait bien et il était content. Il eut son grand sourire de confiance en s'entendant appeler moussaillon et pensant, amusé,qu'il avait décidé peu auparavant de ne plus parler à ce barbichu mal embouché, il déclara, tandis que l'autre le poussait rudement vers la dernière porte :

-Oui, je suis prêt . J'espère revenir vous voir dans votre antichambre et aussi revoir le Dévoreur. Je vous raconterai, s'il m'arrive de grandes aventures ! mais pour passer la porte d'Aparadoxis, ne me poussez pas trop fort, s'il vous plaît. Sounion est un endroit élevé et dangereux.




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{Achevé} Démétrios face au Miroir  Empty Re: {Achevé} Démétrios face au Miroir

Message  Zorvan Dim 1 Avr - 20:56

Il se dit qu'il ne fallait pas trop laisser d'aise à Démétrios tout de même. Il devait pouvoir juger de son habilité à composer avec les sursauts inattendus du temps mais pas lui laisser croire qu'il pouvait gambader sans risque sur le sable de plage en contrebas ou courir après les mouettes au bord de la falaise car en Aparadoxis rien ne se passait jamais comme on pouvait le prévoir. Il s'effaça pour le laisser passer devant mais bien évidemment le grec marqua un temps d'arrêt et chercha un loquet ou une poignée à actionner. Zorvan leva les yeux au plafond et le poussa légèrement.

- Avance ! Cette porte n'a pas de consistance physique, pas plus que ces lieux. Nous même n'avons pas de réalité autre que celle de l'esprit. Ton corps est ailleurs mais tu périras si tu te laisses piéger en Aparadoxis. Ouvre l'oeil. Dès que nous aurons franchi cette limite, ton épreuve commencera réellement et j'en suis le surveillant, l'ordonnateur, en aucun cas tu ne dois me considérer comme une aide. J'éprouve et je sanctionne. C'est ainsi depuis ... toujours ou presque. Aparadoxis va jouer avec toi, et il n'est pas commode.

Le porteur de bonnet avait à peine blêmi qu'il fut absorbé par le fluide gélatineux de l'ouverture qui se referma sur lui dans un bruit mêlant succion et bourdonnement électrique. Il lui emboîta le pas, se demandant toujours pourquoi il faisait une trouée dans le visqueux élément alors qu'il n'était qu'un pur esprit. Enfin ce n'était que supposition mais le Dévoreur était revenu une fois le voir. Complètement excité, le type. Il revenait d'un monde nommé Delicta. Zorvan lui avait demandé si ce monde était beau et il s'était enflammé.

- Il est surtout porteur d'espoirs pour vous ! Je vous y ai vu... Allongé, plongé dans le sommeil. Vous respiriez calmement.

- Peut-être est ce encore un autre Aparadoxis ? Et ce ne serait donc pas moi que vous avez vu.

Zorvan se souvint de la tension fiévreuse qui l'avait alors animé avec un pincement au coeur. Le Dévoreur était toujours parcimonieux en tout et il avait fallu lui arracher quelques pauvres détails. Il lui avait expliqué qu'il était très dangereux de s'aventurer dans ce monde qui était tout simplement une vaste zone d'archivage des copies de tous les mondes existants, que c'était tout à fait terrifiant. Il lui avait soutenu qu'il était donc entré dans le fac similé de l'Antichambre qui était vraiment, pour ce qu'il avait pu en voir, en tout point identique à celle-ci au niveau du couloir mais qu'il n'avait pas de souvenir de la porte qu'il avait ensuite franchi, ni reconnu l'endroit qui n'était pas un monde mais une pièce. Le Dévoreur l'avait fait par sympathie pour lui et parce que cela l'intriguait. Et qu'il avait vu son corps allongé dans cette pièce brumeuse, bien vivant mais en sommeil. A la sortie, un être étrange lui était apparu et lui avait demandé s'il avait déplacé quelque chose ou bien tout laissé en ordre. L'être avait paru soulagé de sa réponse et il en avait été "étonné" selon ses dires. Il semblait qu'on pouvait donc agir dans cet espèce de musée vivant. Zorvan avait été bouleversé par cette révélation d'un autre lui et avait prié avec force le grand Voyageur de retourner dans ce monde pour l'explorer. Depuis lors, il n'avait de cesse d'essayer toutes les clefs de son trousseau pour ouvrir une à une les portes du couloir mais il savait qu'il s'étirait à l'infini, les porte se multipliant et pire que cela, il supposait douloureusement le trousseau incomplet. Certaines clefs était même brisées. Peut-être ne trouverait-il jamais ce qu'il cherchait. Si seulement le Dévoreur s'était souvenu de l'emplacement de la porte par rapport à celle d'entrée mais cet homme ne faisait attention qu'à ce qui l'intéressait. Mais il avait affirmé que si c'était le reflet de l'Antichambre, cela voulait dire qu'il y avait aussi dans celle-ci un Zorvan en sommeil et que celui qui se tenait devant lui était sans doute un pur esprit, une projection. Il l'avait crucifié alors qu'il se défendait d'être cela en lui disant d'un ton sans réplique.

- Mangez-vous dans l'Antichambre ? Comment survivez-vous ?

Zorvan avait eu l'envie de pleurer. Seulement l'envie... Il n'avait aucun besoin naturel...

- Mais je vous touche ...

- Je dois être un pur esprit à cette heure, c'est pour cela. Tous vos visiteurs en deviennent en franchissant la première porte et récupèrent leur corps en la repassant. Je ne vois pas d'autre explication.

- Mais j'ai sans doute eu un corps moi aussi. Cela veut dire que si je repassais... Si j'y arrivais ...

Et l'autre avait eu un petit rire gêné.

- Allons, allons mon ami, vous savez bien que la porte ne veut pas vous laisser passer ... Peut-être est ce parce que votre corps est retenu ailleurs qu'en elle ...

Il ne le savait que trop oui. Il avait expérimenté la douleur même s'il n'était qu'un "esprit", lorsqu'il s'était jeté sur le Dévoreur pour le retenir lors de sa première visite. Un petit désaccord les avait opposé. L'autre avait traversé comme dans du beurre mais la porte était redevenue métal froid sitôt son passage. Mais ce n'était pas la première fois qu'il en avait fait l'expérience. Les visites ne se passaient pas toujours aussi aisément qu'avec le petit grec. Certains invités étaient de sales types.

Zorvan avait trouvé assez fou de penser qu'une porte pouvait retenir les corps et laisser passer les âmes, tel un tamis à thé mais cela se tenait. Comment les visiteurs pouvaient-ils vivre tant d'aventures dans l'Antichambre sans que cela n'ait de répercussion sur leur vie. Enfin, il y avait l'exception avec Blue Hospel mais cela restait limité. Il y avait eu ce type qui s'était fait dévorer le bras par un lion dans les arènes alors qu'il était en Aparadoxis . Il était reparti manchot de l'Antichambre mais lorsqu'il avait reparu, pour y vivre de nouvelles aventures, son bras avait repoussé. L'esprit s'inspirait chaque fois de l'état du corps pour se re matérialiser dans l'Antichambre mais il n'avait à l'inverse aucun impact sur l'état du corps confié à la porte.Enfin, du moins si l'esprit était en état de la franchir pour partir.

Pour l'heure, il avait un grec à éprouver et il aurait d'autres moment de solitude pour réfléchir à sa situation quand le visiteur serait reparti.

- Je ne serais visible que de toi seul mais je ne peux intervenir dans le déroulement des choses. Alors écoute bien. Il faut que tu saches que si tu te laisses tuer ici, tu ne pourras plus sortir de cette dimension et a fortiori du couloir de l'Antichambre. Tu seras mort pour de bon. Alors arrange-toi pour rester en vie, même si tu dois franchir la porte en rampant.

Ils étaient déjà sur la falaise et le vent soulevait leurs cheveux rendant improbable tout échange. Comme s'y attendait Zorvan, Démétrios se retourna pour s'assurer qu'il le voyait toujours. L'être sombre lui adressa un rictus qui pouvait passer pour un sourire. Démétrios se retourna vers le large et emplit ses poumons d'air iodé. Très vite son attention sembla attirée par un bateau qui mouillait au large mais des cris venus de la plage en bas et qui n'avaient pas échappé à Zorvan le détournèrent à nouveau. Un barque venait d'accoster en déjouant les pièges des rochers acérés et des hommes vêtus un peu différemment de Démétrios et encore plus de son compagnon se démenaient autour, parlant à d'autres qui semblaient les attendre depuis longtemps tapis dans les dunes. Il en sortait de partout, par poignées. Une sorte de négociation âpre s'engagea. Zorvan reconnut la langue de son invité même si elle était légèrement différente.

- Je veux embarquer ! Criait un homme d'âge avancé.

- Tu es trop âgé, toi ! Lui rétorqua celui qui semblait être le chef de la grande barque. On ne prend que des hommes sachant se battre, et en bonne santé. On part pas pour une promenade de santé. On va traversée l'Egée, faire voile vers Troie. Tu tiendrais pas jusqu'à Lemnos toi.

- Moi, je veux en être, je suis navigateur, je sais barrer comme personne. affirmait un gaillard aux muscles saillants sous sa tunique.

- Tu m'intéresses alors, fils ! On va se taper deux détroits pour arriver jusqu'à la Mer Noire. Tu as déjà navigué sur la mer de Marmara ?

Zorvan eut un petit sourire en voyant les yeux effarés de Démétrios. Le grec avait tourné un regard plein d'espoir vers lui.

- Mais qu'est- ce qu'on va faire là-bas ? Hasarda un gamin effronté.

Le recruteur éclata d'un rire tonitruant.

- On va botter le cul aux Rus, mon p'tit gars !

Zorvan entendit un bruit de caillasse qui dévale et suivit des yeux le jeune homme qui descendait le sentier abrupt jusqu'à la crique, tenant son bonnet à deux mains pour ne pas qu'il s'envole. Il envia les battements de joie de son coeur et l'adrénaline qui devait commencer à affluer dans son sang. Lui n'avait qu'une part infime de tout ça, lorsqu'il voyait la flamme s'allumer dans les yeux des invités.
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Message  Invité Lun 9 Avr - 23:49

Devant la porte fatidique, la remarque de Zorvan, sur le caractère illusoire de l'endroit, était démentie par toutes ses sensations. Cependant l'émotion précéda le raisonnement et Démétrios sentit un instant s'appesantir sur son cœur l'ombre froide de la déception. Ainsi tout ce qui est arrivé n'aurait été que songe?
Mais alors, le Dévoreur est aussi insubstantiel que le reste, ce qui expliquerait d'ailleurs bien des choses, pense-t-il avec amertume. La réalité, c'est un Athénien coiffé d'un bonnet ridicule, endormi sur une plage, attendant un Prince aussi hyperboréen qu'hypothétique. Il a donc rêvé qu'une grande silhouette noire était sortie de nulle part. Puis il a cru vivre un voyage dans les tourbillons du néant, jusqu'à l'improbable Antichambre et son imprévisible Gardien. Le Dévoreur n'existe pas. Le barbichu non plus. Les autres vies s'envolent en fumée. Démétrios se sent horriblement frustré, son cœur se serre et il s'énerve devant cette porte irréelle qui ne veut pas s'ouvrir…ça, c'est bien une sensation de rêve..l'angoisse qui vous étreint, l'impossibilité d'accomplir les gestes les plus simples, l'impression d'être englué dans un monde qui ne veut pas de vous.

Mais soudain, il fut propulsé à travers la substance vitreuse. La porte l'avait aspiré et recraché comme un pépin de pastèque, l'antichambre avait disparu.
Il était en plein air et le jour lui fit fermer les yeux, mais tout un flux de sensations familières l'envahissait : l'odeur des plantes de garrigue, forte, pleine de thym, d'armoise, de romarin, la brusque sècheresse de l'air où le vent marin courait sur sa peau en délicieux frissons, le chant des cigales vrillant l'atmosphère surchauffée.
Ouvrant les yeux, il vit le temple de Poseidon, tout blanc dans le soleil. La mer miroitait en bas, sous un ciel vibrant de lumière. Tout était vrai !
Pas de consistance physique, l'Antichambre ? Le sol au moins y avait eu une consistance, et très dure.. Ton corps est ailleurs, . Eh bien, c'était ici que son postérieur en gardait encore plus qu'un simple souvenir. Il n'etait pas quelqu'un à confondre rêve et réalité. Il était dans sa vraie vie, avec son vrai moi et c'est pour cette raison qu'il pourrait mourir dans l'aventure promise.
Les phrases du gardien de l'antichambre valaient les paradoxes des sophistes. Il suffisait de bouger pour affirmer la possibilité du mouvement, il lui suffisait de respirer l'air libre de l'Attique pour se sentir pleinement vivant, loin de l'existence fragmentée du rêve. Quel rêve aurait eu cette précision dans les détails, ce sentiment paisible de réalité quotidienne, cette tranquille ordonnance des choses ? Il parcourut le panorama d'un air satisfait avec le plaisir de se retrouver dans un lieu familier mais vivant néanmoins une situation extraordinaire.
Car Zorvan était toujours là. Démétrios avait cru que son guide ne l'accompagnerait pas au-delà de la porte, sinon peut-être comme une présence mentale. Son étrange silhouette se dessinait à contrejour, à peine un peu floue sur les bords mais avec cette lumière, c'était un effet très naturel. Ses cheveux, coiffés si lisses dans l'antichambre, se déployaient dans le vent, sa robe noire ondulait comme une voile qui faseille. Rien de bien difficile pour un magicien de cette force que de se rendre visible pour l'un et invisible aux autres, comme il l'annonçait; d'ailleurs Démétrios demandait à vérifier avant de croire. . A la lumière du Cap Sounion, le scepticisme revenait en force, face à toutes les fantasmagories vécues dans l'Antichambre. Mais fait indubitable, le Dévoreur avait dit qu'il l'enverrait en Aparadoxis et il y était . C'est à dire qu'il était bien au Cap Sounion, alors qu'il avait dû quitter la plage de Phalère une heure au plus auparavant, et qu'il faut au moins deux jours à cheval pour effectuer le trajet. On était peut-être après-demain.. la durée du voyage avait disparu, ce qui se produit quand on s'endort dans une charrette ou sur son cheval qui suit la troupe en marche.. Zorvan était un génial hypnotiseur, voilà tout.

Satisfait de ces possibilités à la rassurante rationalité et comme Zorvan s'avançait déjà vers le sentier de chèvres descendant au rivage, Démétrios assura son paquetage et le suivit, bien décidé à profiter de ces prodiges, tout joyeux d'avoir retrouvé le Dévoreur comme une certitude et ce farceur de Zorvan comme un guide. Tel un élève résolu à obéir à toutes les instructions, mais qui en même temps les écoute sans vraiment les entendre, il ne prêta plus attention aux implications des dernières remarques du maître, trop absorbé par l'environnement, par les perspectives d'une journée inoubliable, par le désir d'action qui le poussait déjà à accélérer le pas et à dépasser le barbichu. Le parfum balsamique exalté par le plein soleil lui donnait envie de crier, de bondir, de rire sans raison, comme un gamin. Appelé par la pente rocailleuse, il se mit à dévaler le sentier bordé de myrtes, se retournant juste une fois pour vérifier que Zorvan suivait. Oui, il était là, sévère, mais avec ce qui pouvait être un début de sourire sur ses lèvres serrées ..
Démétrios descendait en poussant les pierres exprès, du bout de sa sandale, en partie pour faire du bruit et éloigner les aspics, en partie pour s'amuser et accompagner joyeusement les visions baroques que les paroles de Zorvan lui suggéraient. Que le barbichu devienne invisible aux autres, et on pouvait imaginer des scènes dignes d'Aristophane ; que lui-même puisse mourir pour de bon avait autant d'importance que les recommandations de son esclave pédagogue, ce bête et brave Phocion, qui lui criait autrefois d'aller moins vite, de ne pas grimper sur les rochers, qu'il allait se casser le cou pour de bon. L'idée de devoir ramper pour repasser la porte l'amusait franchement et il se vit en un éclair se traînant sur le sol, poussant des gémissements atroces, comme lorsqu'il jouait avec Callisthène à la guerre de Troie. Il faisait très bien Patrocle mourant, en mimant les vers homériques

Et Patrocle s'abattit avec un grand bruit : et une grande tristesse accabla le peuple des Grecs. Tel un lion qui a vaincu en bataille un sanglier infatigable, après que tous deux ont combattu vaillamment sur la crête d'une montagne...arrgghh….rhooorgh
Il retint le cri à temps. Zorvan pourrait se vexer. Si l'aventure tournait mal, Patrocle pourrait toujours ramper, la poigne de fer du gardien ne viendrait pas pour le tirer dans l'abri de son antichambre. Le gaillard donnait l'impression de pouvoir être rancunier.
Démétrios ralentit soudain, hésitant, perturbé par une impression indéfinissable. Il se sentit de plus en plus envahi par une oppression interne; son regard se brouilla. Un vertige soudain fit basculer une seconde le paysage connu. Puis aussi soudainement, il reprit son équilibre. Zorvan, qui venait de le doubler, continuait d'avancer. Le vent avait un peu fraîchi et de petits nuages blancs étaient apparus au dessus de la plage, visible maintenant dans le V que dessinaient les escarpements de la côte. Démétrios laissa passer son guide tout en examinant la pente ; il ne se souvenait pas qu'il y ait eu autant d'éboulis à cet endroit ...et anciens, car des arbustes poussaient par dessus les blocs fracassés. Avaient-ils pris une des nombreuses bifurcations du sentier principal ? Il n'était jamais venu par là .. On ne pouvait plus voir le Temple, là-haut sur le promontoire, mais en reprenant sa descente, il aperçut une grande barque ancrée dans la crique. Elle ressemblait à une trière mais mais moins plate, pontée aux deux extrémités et l'aviron de gouvernail était d'une dimension inusitée. Sa vue effaça l'inquiétude . Zorvan descendait vers le navire ..on allait partir.
C'est alors que le vent porta des appels venant du rivage, où lui- même avait accosté lors de son retour de Tomis. Ce souvenir récent lui remit en tête la mort d'Alexandre et loin de l'abattre, cette pensée lui parut soudain à l'unisson de son présent, prometteur de grands changements. Le héros était mort en pleine gloire, son nom traverserait les siècles , mais s'il avait bien compris les paroles du Dévoreur, lui aussi allait les franchir, ces siècles, et vivant !
------------------
En voyant ce groupe d'hommes qui se rassemblaient autour d'un individu qui paraissaitt les commander, Démétrios s'arrêta prudemment et se mit dans l'ombre d'un rocher. La plupart de ces hommes étaient armés d'épées courtes et même de lances ou d'épieux, tous vêtus de tuniques plutôt longues, usées et sales, la plupart pieds nus, certains avec des vêtements à manches longues, d'autres les jambes enserrées de tissus flottants , comme les barbares de l'est. On pouvait s'étonner des riches couleurs bariolées de guenilles aussi misérables. Des étrangers certainement.
Son guide continuait à descendre le sentier sans ralentir et l'Athénien le suivit en observant une certaine distance. S'il y avait danger autant ne pas tomber en même temps dans des mains ennemies. Mais Zorvan continuait du même pas, et l'on pouvait en conclure qu'il devait connaître ces gens. Personne ne tourna cependant la tête quand, dans sa longue tenue noire, il s'arrêta sans dire mot à quelques pas du groupe central. Démétrios comprenait plutôt mal les phrases jetées dans le vent, mais il entendit des noms connus, Troie, Lemnos. Très bien, il connaissait, et le navire n'était pas un navire marchand.. Aucune amphore d'huile ou de vin en vue, juste des outres en peau pour l'eau du voyage. L'homme semblait choisir des recrues, lesquelles partaient aussitôt pour rejoindre le bateau à la nage. L'homme semblait jovial et brusque, peut-être un Scythe un peu hellénisé, vu sa taille et son teint clair, rougi plutôt que bruni par le soleil et l'air du large. Il portait lui aussi une tunique à manches. Se tournant vers la pente, il avisa aussitôt l'Athénien, passa à travers Zorvan, qui eut un de ses sourires à claque en voyant l'air suffoqué de Démétrios, tandis que, sans remarquer quoi que ce soit, le patron répondait en riant à un gamin qui courait derrière lui. Démétrios, resté bouche bée, venait d'avoir la preuve de l'immatérialité de Zorvan et eut aussitôt celle qu'il était, quant à lui, visible et tangible. Le patron lui saisit le bras avec autorité :

-En voilà un drôle d'oiseau.. et qui n'a pas peur de montrer ses belles guibolles. Photios ne m'a pas parlé de toi. Tu as l'air bien bâti, du muscle, bien nourri. Tu veux aller bouffer du Rus ?

Démétrios comprit quelques mots, regarda Zorvan qui ne bougea pas, jugea cordial le ton de l'adresse et déclara:

-Avec votre permission.

L'autre éclata de rire, ce qu'il semblait faire facilement et reprit :

- Eh, de quel coin tu nous arrives ? Nestor ! Viens voir, tu peux te faire comprendre de ce joli garçon en jupette ? Je vais en terminer avec les autres. Il faut partir le plus tôt possible et être à Kyos ce soir .

Le nom de Nestor était rassurant et Démétrios fit semblant d'avoir compris le reste.
Nestor se rapprocha. Démétrios ferma les yeux pour ne pas le voir traverser Zorvan, et les rouvrant, découvrit que Nestor était un petit homme brun, vêtu d'une tunique bleue courte par-dessus une tunique jaune longue, brodée comme les vêtements perses. Il avait une barbe bouclée, un ornement de bois doré en forme de Tau sur la poitrine et il regardait le porteur de jupette avec le plus grand étonnement, tout en disant d'un ton doux avec le même accent que le Scythe :

-Je suis Nestor, moine de Constantinople.

-Je suis Démétrios. Je suis grec .

Il préféra n'en dire pas plus . Avec des étrangers, on ne sait jamais..Et visiblement, personne n'avait reconnu en lui un noble citoyen d'Athènes.

-Tu portes le nom illustre d'un saint homme, le grand Démétrios de Thessalonique, dont le tombeau vénéré depuis des siècles est visité par de fervents pélerins. Et d'où viens-tu pour parler un grec aussi pur et te vêtir comme au temps des Anciens ?

Démétrios crut voir une petite lueur dans le regard de Zorvan mais n'en tira rien de plus et il n'allait pas se mettre à questionner un homme invisible. Cependant, reliant les paroles de Nestor aux bouleversements temporels annoncés tant par le Dévoreur que par son collègue de l'Antichambre, il se sentit rempli d'une anticipation fébrile qu'il cacha en mentant avec diplomatie:

-D'une île vers les Colonnes d'Hercule nommée... Akronostis, très petite et oubliée de tous.

-Je vois, et tu veux venir défendre la sainte religion contre les Barbares venus du Nord ?

-Sans aucun doute. Il faut ignorer ou vaincre le Barbare. Je pense qu'on peut aussi les éduquer.

Après tout, peut-être y avait-il des Barbares parmi les quelques candidats laissés pour compte, mécontents de ne pas avoir été choisis et qui s'attardaient encore autour de lui.

-C'est très bien, mon fils. Les autres mercenaires ne sont que des sauvages rêvant rapines et attirés par l'or de Satan. Tu pourras peut-être partir aider à lévangélisation des Rus car beaucoup résistent encore à la vraie foi et continuent à adorer leurs dieux païens, les arbres géants ou la lune..

-Respectable Nestor, pardonnez mon ignorance .. qui sont les Rus ?

-De cruels et barbares guerriers qui attaquent les villes chrétiennes et massacrent nos frères. Ils viennent en descendant les fleuves et longent les côtes du Pont Euxin. Constantinople est menacée. Et il nous faut aussi lutter contre les Mahometans qui attaquent en Anatolie. Les mercenaires forts et courageux sont très recherchés par notre Basileus Michel. Léon est un de ses recruteurs. Veux-tu venir gagner gloire et salut de ton âme en défendant Sainte Sophie et notre saint patriarche contre les Rus ? Es-tu bon croyant ?

-Et bien, cela dépend ..

murmura Démétrios, très perplexe, mais ne voulant pas désobliger cet homme qui parlait doucement et en grec. Ce qui le gênait aussi était que apparemment ces Rus n'étaient autres que les guerriers aux bateaux descendant le Boristhène dont avait parlé le Dévoreur, et il n'avait nulle intention de les combattre. Il voulait descendre le grand fleuve avec eux. Quant à cette ville inconnue, Constantinople..la ville de Constantin, soit ..mais où se trouvait-elle ? Tout était incertain en Aparadoxis. Et ce fantômatique Zorvan qui ...tiens, il avait disparu. Démétrios eut à peine le temps de se demander s'il fallait s'en inquiéter que Léon le recruteur le houspilla :

-Hop, tu sais nager au moins ? Je ne prends que des gars qui ne se noient pas à la première vague... Aller percer le fond des bateaux rus est mon occupation favorite. De beaux bateaux pourtant..Nestor t'a tout expliqué ? Tu es enrôlé. Alors ,tu files à bord, espèce de statue païenne? On va te civiliser vite fait ..

Dix minutes plus tard, le navire se mit en mouvement. Assis sur le pont et se séchant au soleil, le coeur battant d'excitation, Démétrios vit la plage s'éloigner. Relevant son regard, il chercha le temple de Poseidon, là-haut, que saluaient les marins quittant l'Attique. Le souffle lui manqua. Le beau temple aux toits dorés était en ruine et on voyait le jour à travers des colonnes qui ne supportaient plus que le ciel.
Zorvan le regardait, silhouette noire appuyée contre le mât. Démétrios se sentit affreusement seul.






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Message  Zorvan Mar 17 Avr - 22:34

Zorvan observait, dans le retrait que lui conférait son immatérialité, la prise de contact entre Démétrios et l'homme qui allait l'entraîner dans les aventures attendues. Cela se passait plutôt bien en regard de la différence de mentalité induite par le glissement temporel qui s'était opéré pendant qu'ils descendaient le sentier. Le gardien de l'Antichambre était coutumier du fait mais pas son invité et il lui trouva du sang froid et de la mesure. Finalement, il commençait à lui plaire ce guerrier en vacances, ce héros frustré. Les choses étaient bien calées. Ils étaient arrivés à la bonne période et c'était bien une escouade de mercenaires venue recruter pour tenter l'aventure contre les Rus qui convoitaient la belle cité de Constantinople. Zorvan se caressa les poils du menton. Celle- là, il l'avait vue dans tous ses états durant ses multiples missions. Il l'avait vue tomber aux mains des Ottomans puis reprise par les chrétiens de l'Ordre du Dragon. Il l'avait aussi visitée alors qu'elle arborait fièrement des constructions modernes côtoyant Sainte Sophie. Elle se nommait alors Istanbul. Il avait même connu la ville alors qu'à l'emplacement du bâtiment dédié à la Sagesse Divine, se dressait encore le temple d'Apollon. Il avait vu aussi s'édifier les fondations de l'Eglise de Justinien. Là ils allaient certainement débarquer alors qu'elle montrait encore les stigmates d'un incendie survenu l'année précédente. Tous ces changements physiques des lieux n'étaient que routine pour le sombre Zorvan mais toujours déstabilisants pour les voyageurs qui revenaient plusieurs fois dans le même lieu en des temps différents. Tout comme ils étaient estomaqués de constater l'inconsistance de leur examinateur et Démétrios ne dérogea point à la règle. Il était à présent harponné par le recruteur qui semblait trouver son affaire en tâtant le bras assez musclé du grec. Tout cela prenait bonne tournure malgré la barrière de la langue que le barbu blond contourna en appelant un interprète moins rugueux.

Zorvan assista, amusé, à la confrontation entre le grec adorateur de Zeus et le moine orthodoxe. Après les approximations de l'expression orale, il était en butte aux incertitudes du culte. Mais le porteur du petit bonnet coloré s'en sortit plutôt bien et réussit à s'attirer la bienveillance de Nestor qui admirait sa mise, croyant sans doute avoir à faire à un Ermite sorti de sa retraite pour vivre une croisade. Vraiment ce Démétrios avait de la ressource et cela plaisait assez à l'intraitable Zorvan. Pourtant il sourcilla légèrement au mot éduquer. Visiblement ce mot ne faisait pas partie du registre des portes glaives qui venaient chercher des mercenaires mais peut-être que cela avait échappé à l'athénien. Nestor se méprit sans doute sur les intentions du noble grec car il répondit comme un évangélisateur. Le gardien à la barbichette ne put se retenir de glousser silencieusement. De qui Démétrios se sentirait-il le plus proche dans son antique croyance polythéiste ? Des byzantins orthodoxes et rigoureux ou des varègues libres et animistes ? Zorvan pensa à d'autres grecs qui étaient de cruels guerriers et vivaient dans la Cité de Sparte. Mais sans doute que le porteur du bonnet était athénien avant d'être grec. Tout comme lui, Zorvan était ... mais qu'était-il au juste ? Il eut le sentiment de n'avoir jamais été si proche de mettre le doigt sur une page de souvenirs. Pourquoi ? Cet embarquement lui en rappelait un autre, sur un autre genre de vaisseau. Une nef rivetée irradiant une lueur bleutée. Les armes aussi étaient différentes. Des images lui revenaient aussi brèves que des éclairs. Il se revit dans un uniforme noir, son long manteau flottant au vent, un curieux casque sur la tête et un objet noir et long en bandoulière. Il savait instinctivement que cette arme n'en était pas tout à fait une au départ, qu'elle était destinée à donner du bonheur mais qu'elle avait été pervertie par les siens... Les siens ... Le chef aux cheveux et à la barbe claire harangua Démétrios et Nestor, tirant l'intemporel de sa rêverie éveillée et il préféra disparaître que de montrer une figure trop songeuse à son invité. Il se re matérialisa sur le pont du dromon tandis que les recrues affluaient à la nage et se faisaient hisser sur le pont par les matelots. Le chef et ses hommes, quant à eux, regagnèrent le navire sur leur barque. C'était sans doute une pré sélection habile que de demander aux nouveaux de nager jusqu'au maître navire. Le petit avait bien réussi l'épreuve et pressant son bonnet trempé, se séchait au soleil.

Nestor monta à l'échelle de corde mais ne se soucia plus de Démétrios en particulier. Il sortit son chapelet et commença à prier devant l'assemblée des nouveaux, appelant sans doute la protection divine sur eux. Le recruteur mit un pied sur le pont et se jucha sur le xylokastron qui s'élevait autour du mât principal, tout près de Zorvan. Le bas du manteau de ce qui se révélait être le maître à bord traversa l'épaule du gardien qui ne broncha pas. L'homme se redressa de toute sa stature et, les mains sur les hanches, parla d'une voix caverneuse.

- Je suis Thagim, seul maître à bord de ce navire ! Jusqu'à votre arrivée dans le port de Constantinople, bande de pleutres, votre âme m'appartient et vous devez m'en référer même pour pisser par dessus bord! Oubliez qui vous êtes car à compter de ce moment, vous n'êtes plus rien que des bras pour repousser l'envahisseur rus qui va s'abattre telle une myriade de mouches à merdes sur notre belle cité. Vous êtes des recrues, et vous deviendrez nos hommes si Arès nous prête vie , enfin il faudrait aussi que Thagimasadas nous épargne mais j'en fais mon affaire. Poursuivit le géant en scrutant l'horizon.

Les hommes ne traînèrent pas à prendre leur poste et très vite l'esquif fila à la vitesse du vent. Seuls restaient sur le pont avant les nouveaux venus, regroupés et attendant les ordres. On n'entendait plus que le rythme du tambour qui s'accélérait et celui de l'effort des ératai qui se calait sur lui. Un homme au visage rond et cuit par le soleil s'avança aux côtés de Thagim et échangea quelques mots avec lui puis se tourna vers les novices.

- Que ceux qui ont des notions de navigation se dirigent vers le pont arrière de la galéia. Notre timonier, Antinéos va vous expliquer le fonctionnement du gouvernail. Les chaudronniers et autres forgerons, vous irez à l'avant vers le foyer pour aider notre chef de forge, Argis à frapper les plaques et à mouler les rivets. Les hommes qui savent bien se battre, vous descendez dans la cale avant pour compléter votre équipement auprès de Taristène notre armurier ! Les autres iront remplir les outres d'eau fraîche aux amphores de la cale arrière et iront abreuver les ératai régulièrement! On bouge ! Allez !


Un jeune garçon maigre aux cheveux noirs et crépus fit signe à ceux qui ne s'étaient pas encore mis en mouvement, à savoir ceux qui ne se sentaient ni forgerons ni guerriers, ni navigateurs de le suivre jusqu'à la cale arrière. Zorvan croisait les bras, l'épaule toujours appuyé au mât, attendant de voir vers quel groupe le porteur de bonnet se dirigerait. L'air était déjà brûlant comme chargé d'électricité. Le gardien se tourna vers Thagim qui conversait à présent à la proue avec Nestor. Les deux hommes avaient les yeux fixés vers l'est, le large ... L'horizon s'assombrissait de lourds nuages cuivrés. Cette annonce tant connue des marins. Qu'il soit Scythe ou grec le Dieu des flots n'avait pas l'air décidé à épargner le destrier des mers. Déjà les élatai réduisaient les voilures. Démétrios voulait de l'aventure, il allait être servi. Encore que Zorvan ne doutât pas qu'il avait déjà traversé des grains.
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Message  Invité Mer 25 Avr - 0:11

Le dos contre le bord du navire, l'Athénien s'était laissé aller à même le pont, ses légers vêtements séchant déjà au soleil, sauf ce satané bonnet dont le poil s'égouttait lamentablement. Il jeta un coup d'œil inquiet à Zorvan, mais celui-ci semblait perdu dans de sombres pensées. On ne pouvait pas compter sur ce simulacre de compagnon. A se demander pourquoi il était là, à moins que sa présence ne fût nécessaire pour maintenir l'existence d'Aparadoxis, Il y avait là tant d'impossibilités que tout raisonnement achoppait à peine commencé ; autant s'en tenir aux faits, sans chercher, malgré Aristote , les quatre causes qui auraient dû tout expliquer.
Le premier fait justement qui l'avait bouleversé avait été la vue du Temple en ruine en haut du promontoire. Si un tremblement de terre pouvait l'expliquer, il n'avait pas pu se produire sans qu'on l'apprenne ou le ressente . On était donc dans le futur. Les colonnes blanches étaient indubitablement celles du nouveau temple qui avait remplacé celui détruit par les Perses et qu'il connaissait reconstruit et intact.
De combien avait-on dérivé dans l'ordre immuable du Temps ? Le mot Quand avait remplacé dans l'éternelle question que se pose le voyageur perdu. Et pour être perdu, Démétrios l'était. Seuls le soleil, le ciel, la mer, paraissaient inchangés, peut-être parce qu'ils étaient d'essence divine. Mais la vieille Terre, qui participe davantage du vivant et donc du mortel, s'était transformée. Des rochers s'étaient écroulés, les arbres n'étaient plus les mêmes, la plage s'était élargie. Comment n'avait-il pas perçu immédiatement cette métamorphose du paysage ? Il était trop content de dévaler le sentier , d'entendre les cigales et de sentir l'air parfumé alors que tout aurait dû lui indiquer que des années s'étaient précipitées sur ce lieu qu'il connaissait si bien. Des années…Le temps ne détruit pas seulement les temples. Le monde entier avait changé. Qui habitait en ce moment la noble demeure de l'oncle Timon ? .. L'image de sa mère le saisit d'angoisse et il se releva brusquement, la gorge nouée. D'instinct, il se tourna vers le Gardien de l'Antichambre et l'interrogea de nouveau du regard. Il voulait rentrer chez lui. Il fallait retrouver l'ordre des jours. Mais le visage lisse et immobile de Zorvan était comme un mur aveugle et d'autres idées lui vinrent, calmant les battements désordonnés de son coeur .
A quoi s'attendait-il donc? A voyager dans le temps et trouver cependant le monde inchangé, ses petites habitudes bien rangées à leur place, le nouveau présent ronronnant au soleil comme un chat familier ? Il fallait se reprendre. Il avait choisi de suivre le Dévoreur qui ne lui avait pas caché les difficultés du voyage. Lycias avait supporté de vivre à des dizaines, des centaines d'années peut-être, de ce temps où existaient sa famille, ses amis, et alors qu'il avait vécu des mois entiers en les sachant tous morts, quand il revenait de ses fameuses absences, il embrassait tendrement leur mère, retrouvait avec joie son foyer et en riant, accompagnait son petit frère visiter les hétaïres à la mode. Combien de fois lui-même avait–il pensé que dans cent ans, tous ceux qui nous entourent auraient disparu et que, futur cadavre, il marchait au milieu de futurs fantômes ? Il n'avait qu'à réagir, comme lorsque lui venait ce dégoût de devoir vivre pour mourir. Il partait alors marcher sur le rivage et déclamer l'Iliade dans le décor même qui lui convenait, il montait les chevaux de l'oncle Timon, le long de l'Ilissos, à l'ombre douce des platanes, ou encore allait surveiller dans les cales bruyantes de Zéa les beaux navires que l'on y construisait. Il se mettait aussi bien à sculpter un petit Hermès qu'à travailler avec l'esclave comptable tenant les registres, oubliant sa révolte impuissante dans l'ennui raisonnable des chiffres. Au lieu de se morfondre, il fallait prendre possession de ce moment et s'y sentir exister.
Bien. Il faudrait d'abord qu'il cherche à savoir en quelle olympiade il se trouvait et d'où venaient ces barbares d'un autre temps. Autour de lui des hommes solides s'agitaient, criaient, étaient vivants. Il tourna son regard sur le petit monde clos, simple, que constitue un bateau . La fonctionnalité évidente des éléments principaux en était rassurante, coque, pont, mâts, voiles, rames. Certes il ne s'agissait pas d'un bateau ordinaire, en tout cas pas un de ces bateaux ronds de marchands qui lui étaient familiers, non plus que d'une trière, bien que ce soit un bateau long. Il était plus grand, avait deux mâts, dont l'un portant une vergue bizarrement penchée, et était ponté très haut, avec une plateforme surélevée autour du mât central. La proue était différente et supportait un curieux instrument en forme de tube, protégé par des panneaux de bois et de métal percés de fentes . L'équipage comportait au moins une trentaine d'hommes qui manœuvraient sur le pont et on entendait les rameurs qui s'installaient en dessous. Démétrios fut impressionné par la taille et la complexité de l'ensemble, mais enfin il s'y retrouvait pour l'essentiel.
Avant de le pousser vers l'eau, le chef lui avait pris son paquetage et l'avait jeté à un gamin qui rassemblait les possessions des enrôlés et les portait près d'une barque tirée à terre. On le lui rendrait tout à l'heure sans doute. Il pensa soudain au contenu de sa ceinture…La Photo !... Fouillant dans le repli du tissu, il en tira un rectangle tout gondolé, privé de sa belle surface lisse et brillante. Il fallait la cacher, avait dit Lycias. Il la sécha sur sa tunique, ce qui pela un peu le dessus et dilua encore plus le message obscur inscrit au dos. Résigné, il la replaça dans sa ceinture. De toute façon, l'objet avait joué son rôle, la clé avait ouvert la porte.
Car enfin, il se passait du nouveau, de l'imprévu et même de l'extraordinaire ! Pourquoi se perdre dans des réflexions morbides alors que sa vie venait de changer de façon aussi spectaculaire. Il se souvint de la réponse faite par Théramène, son sage grand-père, à une de ses questions d'adolescent : Pourquoi doit-on mourir ? - car il ne croyait plus à cette histoire de fil coupé par Atropos. Théramène lui avait répondu, cueillant une grappe de raisin à la vigne qui ornait la terrasse : Ce n'est pas qu'on doit mourir. On meurt ; c'est tout. Tout n'est pas raisonnable, petit, même si nous aimerions que tout le soit. Nous vivons, et sans savoir davantage pourquoi ; mais peu se le demandent, parce que la vie est une bonne chose et que ce qui est bon n'exige pas d'être justifié. . Mange ce raisin, sans savoir pourquoi tu le trouves bon. Pourquoi est un mot dangereux. Le plaisir n'a pas besoin d'explication.
On venait de lui mettre dans la main une fameuse grappe de raisin. Et il n'allait pas faire le dégoûté.
Il était content d'avoir rencontré le Dévoreur, content de l'avoir suivi et même content que, en ce moment même, l'incorporalité zorvanienne soit traversée par le bras d'un matelot attrapant un filin . Avait-on jamais vu une chose aussi surprenante ? Aussi excitante ? Et même aussi drôle ! Démétrios fit une grimace à l'intention du Gardien. Il lui aurait bien tiré la langue, mais les autres se seraient demandé pourquoi il narguait ainsi un mât de navire.
Oui, il allait s'installer dans le présent et en tirer le plus de plaisir possible. Il allait voir des spectacles prodigieux, découvrir des choses inouïes. Lycias avait parlé d'une future bibliothèque avec tous les livres du monde connu , il voulait voir ce prodige ! Et ces Rùs que redoutait la ville dont le nom célébrait un Constantin inconnu. Alexandre avait bien donné son nom à des dizaines de villes apparues là où avant lui croissait le chardon et rampait la vipère. Le chef avait parlé de traverser l'Egée vers Troie, et d'une mer au nom inconnu. Ce pouvait être la Propontide. On passerait par Byzance sans doute..
Le tirant de sa rêverie, un dernier arrivant étala sa tunique près de lui en grommelant, gardant ses autres vêtements trempés sur le corps. Démétrios avait remarqué que la plupart de ces gens étaient très vêtus, parfois de loques, mais presque tous couvraient jambes et bras. Autres temps, autres mœurs, n'est-ce pas ? Il décida d'entamer la conversation :

-Hem, parlez-vous grec ?

L'autre le dévisagea puis l'examina rapidement, s'arrêtant sur les genoux nus découverts largement par la position assise, eut une moue dépréciative et répondit par un simple haussement d'épaule. A ce moment retentit la voix du chef beuglant des ordres depuis la barque qui venait de se ranger le long du navire. La tête de Nestor apparut par-dessus le plat-bord. Démétrios pensait l'interroger plus précisément mais le prêtre s'éloigna vers l'avant , où il s'agenouilla et se mit compter les perles d'un long collier en murmurant des incantations, peut-être au dieu de la mer des Scythes, celui que Hérodote appelle …ce nom barbare lui échappait. Mais la voix du chef lui fit tourner la tête et ses mots confirmèrent son interprétation: Je suis Thagim, tonnait le colosse. Démétrios se sentit d'un coup en territoire moins étranger. Thagimasadas était justement ce nom qu'il cherchait, le nom scythe de Poseidon. Thagim était bien scythe avec son poil décoloré et ses longs abattis.
Thagim gronda quelques phrases en son jargon, l'air courroucé, et tout le monde fila doux, sauf Démétrios qui n'envisagea pas que la brutale harangue puisse le concerner ; on ne s'adressait pas ainsi à un citoyen, fils d'un triérarque d'Athènes. Il avait simplement accepté de venir aider à civiliser les Barbares et repousser des Rùs. Un autre quidam fit une nouvelle annonce, reçue avec la même indifférence par le Grec qui regardait le rivage s'éloigner, rempli d'une émotion grandissante. C'était vraiment un départ. Il se quittait lui-même et toutes ses déterminations. Le monde était vaste comme le temps ; les terres et les peuples inconnus se pressaient au-delà de tous les horizons de tous les siècles. Rien n'avait jamais été écrit sur cette expérience inimaginable où tout était neuf, inédit, motivant. Aucune citation de ses chers auteurs ne pouvait avoir pris en compte ce que Démétrios de Zéa allait apprendre et vivre ; il devenait sa propre référence. , Pour la première fois de sa vie, il pensa que la liberté véritable était celle de l'individu et non seulement celle de la Cité.
Il fallait parler à Nestor, mais on ne dérange pas un prêtre en oraison, surtout quand on ne connaît pas le dieu qu'il honore. Les nouveaux venus se séparaient en groupes et Démétrios attendit qu'on s'occupât de lui, en s'inquiétant de voir la teinte bronze que prenait la lumière. Mais, comme Thagim se mit à parler avec l'homme à la croix, il estima qu'il pouvait intervenir et ainsi au cours de la conversation, découvrir habilement à quelle époque on se trouvait. Il s'approcha donc avec un aimable sourire et toussota pour attirer l'attention, car les deux hommes regardaient vers le large. Entre les îlots, le ciel était devenu noir plombé et l'azur reculait devant les volutes convulsées d'un orage formidable. Démétrios sentit que la date du jour allait bientôt passer au second plan de ses préoccupations. Thagim ne se retourna pas mais Nestor regarda le Grec avec surprise d'abord puis en se ravisant, il sourit :

-Ah ! notre ami d'Achronotis n'a pas compris …[/b]

Thagim se retourna, furieux, et sur un ton qui rendait inutile une traduction :

[b] -Qui ? quoi ? que fait cet abruti ici ?


Nestor fut parfait, calma Thagim et après trois phrases échangées, il se tourna de nouveau vers l'Athénien, et dans son grec un peu étrange mais compréhensible, il lui demanda à quoi on pourrait l'employer. Thagim voulait, sur la foi de ses biceps, en faire un soldat, Nestor proposait de le prendre comme scribe. Il rapportaitd'Athènes tout un stock de manuscrits que les scriptoria se disputeraient, la copie d'œuvres païennes revenaient à la mode et on manquait de traducteurs. Démétrios parlait le grec comme Platon et ...un coup de tonnerre coupa la discussion. Thagim eut un geste de mauvaise humeur signifiant qu'il avait autre chose à faire que de discuter du sort d'un hurluberlu , criant en s'en allant :

-Qu'il se rende utile ! On va avoir besoin de tous ces traîne-savates.
et il rejoignit son maître d'équipage qui rassemblait de rares volontaires autour d'Antinéos le timonier. Ayant enfin compris qu'il n'était pas monté à bord en tant que noble Athénien et un peu honteux de son manque de perspicacité, Démétrios montra l'orage à Nestor :

-Je vais aider les porteurs d'eau. Dans un quart d'heure, l'eau, on va la recevoir sur la tête, et si le patron continue dans cette direction, il sera drossé sur Kéa.

Nestor parut très agité :

-Tu t'y connais en navigation ? Thagim est un bon capitaine mais il ne connaît pas cette côte. Il voulait voir Athènes, je ne sais pourquoi ; mais c'est un Sarmate; il invoque encore des dieux païen . Je n'ai accepté de monter à son bord que parce que ma mission à Athénes était terminée ,qu'il recrute pour le compte du Basileus Michel et rentre à la Ville, mais je pense qu'il n'est pas vraiment bon chrétien . Invoquer Arès et Thagimasadas devant la Croix que je porte, alors que l'orage monte ! Viens avec moi ; Thagim n'a ramassé que des paysans ignorants et des bandits de grand chemin.

Démétrios se dit que devant le coup de vent qui se préparait, un obscur Tau, même doré, ne serait pas de plus grande utilité que l'invocation d'Arès, et même Thagimasadas n'avait pour lui que la longueur de son nom.
Il suivit donc Nestor qui rejoignit le Scythe et lui expliqua que l'huluberlu avait quelques connaissances maritimes sur la région. Thagim fronça les sourcils mais répondit directement ;

-Eh bien, moine, dis-moi ce qu'il raconte, aucun de ces malfrats n'est en mesure de renseigner Antinéos . J'aurais dû prendre un timonier rùs . Ces gars-là sentent la route à prendre comme un chien flaire la trace du chevreuil . Voyons si ton protégé sait faire autre chose que de montrer ses mollets…

0~~~~~~~~~0

C'est ainsi que sur les conseils de Démétrios, le navire fila au devant de l'orage, remonta vers l'Eubée, fut dérouté par un second grain vers l'Est, fit escale à Andros où Démétrios s'acheta des braies moulantes vert anis et une tunique longue à manches violet foncé. Puis, libéré du pilotage car désormais le ciel était bleu, les vents aimables et la route connue d'Antinéos, l'Athénien put enfin parler histoire avec le savant Nestor. Il apprit en pleine Egée qu'Alexandre était donné pour mort depuis au moins dix siècles, voire plus selon les sources, car diverses écoles s'affrontaient sur tout ce qui précédait le début de la nouvelle ère.
A Lesbos, il sut que Byzance et Constantinople ne faisaient qu'une et qu'il était plus pratique de dire la Ville. En longeant les côtes où Troie n'était plus qu'un souvenir littéraire, on lui dit qu'Athènes était devenue une petite ville assez minable, qui avait perdu toutes ses Ecoles philosophiques, fermées par le grand Justinien depuis plus de trois siècles pour l'excellent motif qu'on n'y enseignait que des erreurs. Le Parthénon était devenu une église, consacrée à une Vierge que Nestor vénérait extrêmement mais qui n'était pas Athéna. On venait à Athènes pour y trouver de quoi orner une autre église, élevée à Constantinople et consacrée à la Sagesse, ce qui était un moindre mal. Quand on entra dans l'Hellespont, Démétrios commit l'erreur de dire que les sujets du basileus étaient des Grecs, ce qui faillit mettre en colère le bon Nestor. Les Grecs n'étaient que des païens des anciens temps. Eux étaient Romains, sujets de l'Empire Romain, le vrai, le seul, malgré les prétentions d'un certain Charlemagne à vouloir faire resurgir, au début du siècle, un autre empire romain, germanique et franc, qui n'avait eu aucun avenir , les fils le dépeçant sitôt le père mort. Et les Romains de Constantinople étaient aussi bons chrétiens que ceux de l'église d'Occident qui obéissaient au pape de Rome. Mais ces chrétiens de Rome n'étaient que des ambitieux qui voulaient mettre la main sur les Bulgares convertis et tous ces gens appelés à devenir chrétiens, que certains appelaient Slaves ou Slovènes et aussi les Sarmates, et d'ailleurs.. …
Démétrios avait du mal à suivre et pour oublier ces tristes nouvelles et fuir l'inquiétante complexité du futur, il alla se saoûler avec l'équipage dans les bouges d'Abydos, malgré la réprobation de Nestor. Il y enrichit sa connaissance du grec byzantin de plusieurs termes, également condamnés par Nestor.

Et ainsi , ils arrivèrent à la Ville.
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{Achevé} Démétrios face au Miroir  Empty Re: {Achevé} Démétrios face au Miroir

Message  Zorvan Sam 5 Mai - 2:40

Zorvan avait regardé Démétrios en s'efforçant de ne pas laisser paraître trop d'ironie face à sa désorientation et à son manque de réactions aux ordres. Nouvelle langue, nouveaux lieux , autre temps et statut nouveau. Le grec avait voulu du dépaysement et de l'insolite, mordre au fruit de l'imprévu. Il devait se penser plus servi qu'il n'avait osé l'espérer. Cela n'empêchait pas qu'il fût désarmé devant l'énorme effort d'adaptation que cela devait lui demander. Et finalement sa réserve le servit car là où une agitation désordonnée aurait pu le faire paraître comme un poids inutile aux aventuriers, et le faire passer par dessus bord, sa tempérance presque attentiste lui évita de se faire remarquer négativement. L'athénien avait bien cerné que le seul allié du moment était Nestor, un peu de bienveillance dans un monde de brutes. Et c'est encore de lui qu'il s'était approché. Thagim se révéla comme il l'avait attendu dans son inspiration, bourru et simple, bon meneur de troupe mais d'une maladresse mastodonte dans un lieu inconnu. Le fait que Constantinople ait donné permission à un tel homme de lever un équipage en son nom trahissait l'urgence de la situation. Zorvan se félicita de sa sagacité. Il avait appelé la bonne tranche d'histoire à s'épanouir dans le paradoxe. Démétrios allait se retrouver rapidement au coeur de la tourmente. N'était-ce pas un peu cela qu'il avait voulu ? De l'aventure pour se sentir vivant. Nestor en bon veilleur de la Sainte Sagesse avait distingué l'atout de l'homme au bonnet pour rester en vie à bord et pour leur sauver tous la mise. Voilà que " son visiteur" se retrouvait aide de timonerie, grand éclaireur, ouvreur de mer.

La houle avait tellement forci, le vent levé, les paquets s'écrasant sur le pont à grand fracas, que les eratai avaient depuis longtemps reçu l'ordre de cesser de ramer et de rentrer de moitié leurs rames pour éviter qu'elles ne fussent brisées mais servent juste à stabiliser le roulis du vaisseau. En core que c'était un vain espoir. La couleur cuivrée du ciel s'était muée en noir d'encre. La coque eut beau craquer, gémir, elle ne céda point et le plus gros de la tempête se déchaîna plus à l'ouest. L'équipage crut bien être abandonné des Dieux lorsqu'il vint au devant d'un second grain mais celui-ci les prit de travers et ne fit que les déporter plus tôt que prévu vers leur destination. Après plusieurs semaines de navigation, l'équipage éprouvé vit se dessiner le détroit, théâtre incessant des rapports de force humains. Peu importait le nom qu'on lui donnait, il demeurait à travers les siècles un lieu stratégique d'une intensité rare. Goulot d'étranglement propice aux embuscades, aux collisions, aux naufrages. Démétrios avait sans doute gagné un peu de reconnaissance de l'équipage même si aucun des rustres qui le composaient n'étaient capables de le verbaliser. Il quitta momentanément le grec, sans qu'il s'en aperçût, pour répondre à une nécessité de sa fonction, alors que celui-ci allait se remettre sans doute des premières aventures vécues, dans les lupanars à marins d'une cité qui marquait de fameuse manière le point le plus étroit du corridor.

Lorsque son entière conscience fut de nouveau avec le grec, ils arrivaient aux abords de la Constantinople promise érigée sur les murs de l'ancienne Byzance riche capitale des Thraces au destin malheureux. On ne pouvait qu'être saisi d'admiration devant les remparts qui la protégeaient et la beauté de la ville qui paraissait au dessus. Nombreux furent ceux parmi les bougres qui composaient l'équipage qui se regardèrent perplexes en se demandant ce qu'il y avait là à défendre. L'un d'eux, accoudé à la proue se hasarda à dire:

- On va faire notre gras ici. Qu'est ce que vous voulez qu'on leur apporte une protection ? Les Dieux eux-mêmes n'arriveraient pas à ébranler ces remparts.

Le malheur pour le pauvre gueux fut que Thagim l'entendit. Il le traîna par les cheveux sans ses soucier de ses hurlements et le fit ligoter sur le tube de lance qui surplombait la proue. L' imprudent y sécha comme une méduse au soleil.

- Espèces de sac à merde ! Vous croyez avoir tout vu ? Sachez que vous ne savez rien au sujet du danger qui menace la Ville. Si je suis allé vous chercher si loin c'est que l'empereur a engagé une grande partie de sa flotte sur un autre front ! Les diables venus du nord vous feront chier par le nez. Vous pensez avoir tout fait parce qu'on a essuyé deux tempêtes et passé un détroit large comme l'entre cuisse d'une fille de mauvaise vie ?

- Thagim, au nom de notre Seigneur ... murmura Nestor.

Zorvan ne savait s'il devait se préparer à hurler de rire pour lui même devant la tête de Démétrios écoutant ces propos si délicats ou s'il devait marquer une désapprobation même infime.

- Quoi, mon Père ? Est ce que je mens ? Est-ce que j'exagère ? Ces démons se sont arrangés du Bosphore comme s'ils y avaient baigné étant petits. Certains marchands de la Mer Noire prétendent qu'ils se sont même tapés celui de la Mer au delà qui est plus étroit qu'une chatte de grenouille. On ne sait pas s'ils viennent du nord par le nord ou en contournant par l'est et ...

- Les grenouilles n'ont pas ce que vous dites ... Elles ont un cloaque, comme les poules. Hasarda un chauve rubicond qui servait de scribe à Nestor. J'ai traduit plusieurs ouvrages de savants infidèles qui en ...

Il n'eut pas le temps de finir qu'un poing bien placé du sarmate lui brisa la mâchoire. Nestor se précipita pour porter aide au malheureux en psalmodiant quelque miséricorde tandis que le guerrier tournait les talons et regagnait ses quartiers en fulminant. Le gardien de l'antichambre, lui, observait attentivement le visage de son grec pour y lire les émotions contradictoires qui devaient lui secouer l'âme. Il était fasciné par les éclats changeants dans les yeux de l'athénien. La cruauté de la nature humaine pouvait surgir à tout moment, en tout lieu. Surtout engendrée par la peur.

- Il a raison le chef ! Moi dans une taverne, à Abydos, j'ai entendu un gars qui parlait des Rus'. Il parait qu'ils savent naviguer même dans les torrents et même quand y a pas d'eau, c'qu'yest encore plus fort vous s'rez d'accord ! Mais si y 'avait qu'ça! Pour eux , un homme qui meurt dans son lit est pas un homme. Faut mourir le glaive en main et en combattant. Donc y préfèrent crever en se battant que de se rendre et y font pas d'prisonniers.

- Corneries de bouc! Tu raisonnes comme ta braie mal lavée, jeunot. Dit un vieux tout édenté. Ils font des prisonniers pour leur malheur, mais pour les vendre comme esclaves aux infidèles ce qui parait. Et ça c'est pire. Mais t'as raison sur un point, y n'ont point de peur de l'horreur et du sang. Y veulent mourir avec la lame à la main, et même ils se font brûler sur le bûcher avec à ce qui parait et sur l'eau. Ca a pas d'âme, des animaux , moi-j'dis !

- Ca suffit! Tous à vos postes! Bande de ramasse poussière! Hurla Antinéos. Ce qui est certain, c'est qu'ils savent naviguer, ces mécréants, même dans les estuaires, même en eaux peu profonde et quand on se fera éperonner par leur flotte, il faudra plus que vos langues bien pendues pour faire face! Mais qu'est ce que je vais faire d'un équipage pareil ?

- Prions pour demander protection au Tout -Puissant ! On dit, c'est vrai, que certains seraient venus via Taurica mais qui peut savoir. Les remparts de la Ville sont tombés par la colère de la terre plusieurs fois. Espèrons qu'ils ne céderont pas sous l'assaut des barbares. Notre Foi nous donnera la force de les combattre. Dit Nestor en essayant d'apaiser l'inquiétude grandissante des hommes.

Ces Rùs avaient fait trembler la voix de leur chef, l'annonce de leur déferlement sur les côtes de la Mer Noire était parvenue jusqu'aux rives du Bosphore et Constantinople, dégarnie de la plus grosse partie de son armée, guettait dans l'angoisse, l'horizon qu'ils craignaient de voir noirci des vaisseaux aux proues monstrueuses, aux étranges voilures qu'on leur avait décrits. Debout sur le dromon, il sombra dans une contemplation soucieuse de la zone de l'avant-port qui avait été vidé de ses petits navires marchands, tous réfugiés derrière le rempart maritime de la Cité. La Ville se préparait bel et bien au siège. Une voile claqua à la manoeuvre et le fit se retourner. C'est alors que son regard croisa celui de Démétrios qui semblait fixer un point invisible près du grand mât.



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Message  Invité Mar 22 Mai - 12:38

Que d'Histoires!

En voyant approcher la côte, Démétrios se sentait fort impatient, surexcité même à l'idée de découvrir la nouvelle Byzance, qui non seulement avait changé de nom, mais de ville certes riche et prospère, était après maintes vicissitudes, devenue la métropole de l'empire le plus puissant du monde, du moins du monde où le Grec se repérait tant bien que mal. Ce monde s'était élargi tandis que les peuples naissaient et s'évanouissaient dans l'oubli.
Le Septentrion n'était plus cette région semi-mythique où vivaient des peuples à demi-monstrueux. Pythéas le navigateur n'avait pas menti. L'ambre et l'étain étaient ramassés par des hommes des plus normaux, bien que tous clairs de poil, très grands, très forts et très sales, parce que, disait Nestor, ils étaient encore en majorité des païens effrontés. Au nez du Grec, ses compagnons, pour n'être pas païens, n'en étaient pas moins mal lavés et leurs vêtements compliqués sentaient le fauve. Mais le moine distinguait la crasse païenne, qui porte l'odeur du diable, et la pieuse négligence du bon chrétien qui méprise son corps périssable et entretient la pureté de son âme immortelle. Ce raisonnement avait tout le charme plaisant du parfait sophisme et intéressa Démétrios.
Nestor lui avait aussi parlé d'un autre empire encore plus puissant que celui de Constantinople, situé à l'orient extrême, au delà des conquêtes d'Alexandre, le pays des Seres, d'où vient la soie dont les Perses tissent leur bannières étincelantes, enfin, tissaient. Cette rarissime soie était devenue bien plus abondante et même Nestor avait un signet de soie brodée pour marquer un livre qu'il appelait avec respect le Livre. Ces Sères avaient ouvert depuis des siècles une route longue et périlleuse où, d'étapes en étapes, circulaient les précieux tissus. Bien que les dernières rumeurs, annonçaient de graves troubles, le royaume des Sères avaient connu depuis des générations une prospérité considérable. La dynastie, nommée Tang ou Trang , recherchait le commerce avec les étrangers ; la capitale s'appelait Changan ou quelque chose d'approchant.. On disait que des chrétiens s'y étaient installés mais Nestor craignait que ce ne fût des hérétiques nestoriens - Non, rien à voir avec lui, ce garçon était vraiment d'une ignorance !..- .Cette Changan aurait abrité autant d'âmes que l'Ancienne Rome au temps de sa splendeur. Car Rome, que Démétrios connaissait comme une ville agitée, constamment occupée à grignoter les territoires de ses voisins, avait bel et bien fini par l'emporter puis par s'effondrer elle-même. Ô Héraclite ! Démétrios voyait deux fois le cours du fleuve Temps, le futur devenu passé sans qu'il y ait eu pour lui de présent !
Il apprit avec tristesse que les Tyrrhéniens n'étaient plus. Il avait beaucoup apprécié son séjour à Tarquinia et fulminé contre ce calomniateur de Théopompe qui se prétendait historien et racontait des horreurs sur ce peuple cultivé et amateur de plaisirs raffinés. Pour l'Athénien, c'était seulement trois années auparavant qu'il avait rencontré cette belle dame Larthia, laquelle avait fait preuve à son égard, et avec beaucoup de distinction, d'une totale et charmante hospitalité. Et voilà que Nestor lui-même ne connaissait que vaguement le nom de ce grand peuple dont Démétrios regretta l'engloutissement dans les vagues des siècles. Que Rome ne soit plus aujourd'hui, selon Nestor, qu'une petite ville de 25 000 habitants après en avoir compté un million (ce moine exagérait à coup sûr...) était un juste retour des choses.. Démétrios n'avait d'ailleurs jamais aimé les Romains. Qu'ils soient devenus des fantômes du passé ne le touchait guère. Quoique..
Il eut un petit frisson en pensant à la Question, celle que ni le Dévoreur ni Zorvan n'avaient abordée et qu'il faudrait leur demander d'éclaircir à la première occasion, même s'il en avait la gorge serrée d'avance. En attendant, il était sage de n'y pas penser. Le présent suffisait ! De temps en temps, il se pinçait fort pour se persuader que, à titre exclusivement personnel, il avait encore un présent.

Conversion de Démétrios

Tant de savoirs nouveaux se heurtaient avec tant de fracas dans son esprit que Démétrios avait décidé de ne plus interroger Nestor sur l'état du monde. Il ne pouvait plus rien absorber, tout s'entassait en désordre dans sa mémoire débordante et surtout, chaque événement révélé entraînait dix autres demandes de renseignements. Il aurait fallu des mois pour qu'il se construise une image cohérente de ces mille ans d'histoire. D'autant que Nestor proférait des énormités sur Athènes et Alexandre, il pouvait donc commettre d'autres erreurs. Mais Démétrios, voyageur du temps, avait immédiatement senti qu'il ne fallait pas se vanter de ce statut privilégié pour contester quoi que ce soit. Sans aucune preuve de ce qu'il pourrait avancer, on le prendrait pour un fou halluciné, un sorcier habité par un démon ou encore plus dangereux, pour le démon lui-même.

Nestor voyait partout le Prince du Mal, le Diabolos en chef et l'appelait l'Ennemi. Démétrios savait par ses voyages qu'il est utile de respecter les dieux de chaque cité, surtout quand on fait du commerce, mais il n'avait jamais rencontré une divinité aussi compliquée que celle adorée par Nestor. Le moine s'était rendu compte que le Grec n'avait pas la Vraie Foi quand, après la première tempête, celui-ci lui avait demandé pourquoi il avait levé le Tau, qu'il portait sur la poitrine, alors que les premières grosses vagues déferlaient sur le dromon, tout en psalmodiant un poème dont les paroles s'étaient dispersées dans les rugissements du vent. Nestor avait alors compris que son protégé était une âme à sauver, selon ses termes, et Démétrios avait accepté de bon cœur d'être catéchisé, espérant entendre de belles histoires comme dans la Théogonie et aussi apprendre plus vite le nouveau grec que parlaient les Nouveaux Romains. Démétrios n'avait que peu de latin à perdre, mais on peut admettre qu'il y avait de quoi..
Comme le temps défavorable avait doublé puis triplé la durée du voyage, augmenté d'une escale plus longue que prévue à Abydos, en arrivant en vue de Constantinople, le double programma avait été rempli : il avait fait de notables progrès en nouveau grec et était considéré comme converti par Nestor qui en était très fier.
En effet, le catéchumène avait écouté en silence, fait une ou deux remarques pertinentes sur la duplicité et la méchanceté foncière des Romains (les Vieux), illustrées par Ponce Pilate et ces empereurs qui donnaient des lions à manger aux chrétiens. Il avait développé immédiatement un goût des images pieuses, en particulier celle de la Theodokos que lui avait montrée le moine, qui avait craint au début de rencontrer un Iconoclaste déguisé. Mais non, ce n'était qu'un païen, et qui avait accepté de recevoir le baptême quand on arriverait à la Ville. Il apprenait les prières avec facilité, mais Nestor avait dû lui intimer plus de retenue dans la diction. Ce garçon , quand même un peu bizarre, avait une manière de déclamer le credo, en prenant le grand mât à témoin, qui faisait rire l'équipage.
Quant à Démétrios, il était très content de découvrir une religion nouvelle aussi élaborée et tournée vers la métaphysique. Autrefois, la promesse d'une vie après la mort lui avait fait envisager de s'initier aux mystères d'Eleusis, censés conduire au même résultat que le baptême selon Nestor. Ce rite d'immersion et d'onction paraissait plus simple que l'initiation des Mystes, et aussi plus rapide, sans processions fastidieuses ni consommation de plantes dangereuses .
Il aurait bien aimé pouvoir demander à Zorvan ce qu'il en pensait. Mais Zorvan, qui flottait de ci de là entre les marins ou devant le grand mât, sa place favorite, demeurait toujours aussi impassible et muet. Parfois il disparaissait ou bien devenait à peine visible. On finissait presque par l'oublier. Puis il réapparaissait, assis en tailleur au bout de la natte où dormait Démétrios et celui-ci l'apercevant à son réveil, lui faisait un petit signe de connivence, content de retrouver l'immatériel personnage qui curieusement, l'ancrait dans sa propre réalité. Il se disait que cette présence devait être nécessaire pour qu'il ne soit pas inclus définitivement dans l'époque visitée. Dans son Antichambre, le Zorvan solide devait tenir, de ses longs doigts maigres, le fil invisible qu'il tirerait un jour pour le hisser hors d'Aparadoxis. Mais Zorvan pouvait tout aussi bien lâcher ce fil s'il lui en prenait fantaisie. Hé bien, tant pis, Démétrios se promettait de partir sur la route de l'Est, deviendrait marchand de soie et peut-être que le Dévoreur viendrait le rechercher.

Des injures et du sang !

Mais pour l'instant Zorvan regardait par dessus son épaule la ligne impressionnante des murailles de Constantinople, tandis que selon sa coutume, Thagim menaçait et jurait sans retenue. Cela n'impressionnait pas Démétrios. Les marins hurlent, quelle que soit l'époque, pour se faire entendre dans les tempêtes et ils ont un vocabulaire percutant et grossier, afin de décharger leur exaspération de vivre confinés, loin de la terre sur laquelle l'homme est fait pour marcher. Lui-même aurait pu sortir les expressions pittoresques qui font partie au moins du savoir de tout homme cultivé, sinon de son langage usuel. Il aurait pu, par exemple, formuler une plaisanterie sur la remarque de Thagim outrageant l'Hellespont. Le barbare ignorait-il ce qu'il en avait coûté aux Perses de se fâcher avec Poseidon juste à cet endroit ? Une plaisanterie érudite aurait risqué de... tomber à l'eau. Pour faire un écho plaisant à l'image de Thagim qualifiant anatomiquement les Détroits, il serait plus convivial de rester dans le ton et d'appliquer à la Mer de Marmara, l'injure un peu usée mais si bien adaptée à la géographie des lieux : ευρύπρωκτος
Mais il s'arrêta devant la réaction de Nestor qui semblait toujours fort effarouché sitôt qu'on évoquait d'autres réalités que celles des vertus de l'âme ou du sexe des anges. Puis, la brutalité du géant écrasant le nez du malheureux scribe de Nestor lui déplut. Ce n'était pas justifié - ce qu'avait dit ce pauvre garçon était connu de n'importe quel gamin qui a vu copuler des grenouilles au printemps. Il ne remettait pas en cause l'autorité du chef, laquelle n'est en aucun cas liée aux vérités scientifiques. La niaiserie de son intervention méritait tout au plus un vaste rire comme Thagim en libérait parfois entre deux injures.
Démétrios fronça le sourcil. Il aida Nestor à secourir le scribe tout ensanglanté en lui apportant de l'eau, puis il revint pour suivre la conversation qui s'orientait sur ces Rùs fascinants.

Avant la bataille

Les marins semblaient les redouter sans les avoir jamais affrontés. Mais le Dévoreur avait semblé les estimer et Démétrios était impatient de se faire une opinion.
Le navire doubla un port du nom d'Eleutherion. Démétrios ne reconnaissait rien. L'ancienne Byzance semblait totalement effacée.
L'absence de bateaux à quai, plusieurs dromons sur le départ, tous équipés du tube à feu dont Démétrios s'était fait expliquer les effets terrifiants, des soldats en armes et des archers sur les ponts, tout montrait que l'arrivée de la flotte ennemie était imminente.Thagim jurait et tempêtait. S'il n'avait pas été retardé, il aurait pu livrer ses recrues à temps. Mais en voyant les dromons appareiller, il prit une décision soudaine. Tandis qu'il intimait à chacun de s'armer, il discuta un instant avec Nestor qui manifesta beaucoup d'émotion puis de dirigea vers sa cabine en appelant Démétrius :

-Thagim veut que je descende à terre et entre dans la cité avec mes livres précieux . Lui va partir contourner la ville car les Rùs arrivent par le nord. Il a décidé de rejoindre les ports de la Corne d'Or où sont certainement le gros des défenseurs. Il vous donne à moi comme garde et pour aider mon scribe à porter mes coffres, le malheureux est affaibli par la perte de sang.. On va nous débarquer à la porte la plus proche du Palais. Dépêchons-nous,mon fils !
Démétrios regarda une fois de plus vers Zorvan. Ce qu'il était exaspérant à vous regarder sans ciller et sans faire mine d'avoir une opinion sur la marche à suivre. Démétrios haussa les épaules et, se retournant vers Nestor, protesta:

-Hé, mais je veux voir les Rùs !

-Vous n'êtes pas encore baptisé, mon cher enfant ! S'il vous arrivait malheur, que deviendrait votre âme ? Vous rejoindrez vos compagnons plus tard après la cérémonie.

Démétrios hésita . Mais il avait envie de voir de près cette ville immense dont les masses palatiales et les innombrables tours dépassant des murailles lui paraissaient relever du prodige. Un dôme énorme entouré d'échafaudages devaient être cette Hagia Sophia dont Nestor avait dit qu'elle avait été endommagée par un incendie, l'an passé. C'était trop tentant. Démétrios suivit Nestor .
On longea encore la côte fortifiée un certain temps ; des ports échancraient la muraille. Quand on parvint à l'entrée de la Corne d'Or, avec la colline qui dominait la rive nord, on aperçut une vingtaine de bateaux longs pontés, avec une proue recourbée d'une grâce que Démétrios admira aussitôt. Les bateaux avaient débarqué des dizaines d'hommes qui grimpaient la pente conduisant à une agglomération partiellement fortifiée, montrant l'avancée de la ville hors de ses murailles. Un bâtiment tout blanc dominait le tout.

-Ce sont des langskips, des navires de guerre! Ils vont attaquer Pera ! hurla Thagim. Moines, descendez dans la barque et filez ! Et toi, le Grec, assure-toi qu'ils arrivent sains et saufs dans les murs. Nous, on va se battre contre ces diables du Nord !

Nestor leva les bras au ciel et s'écria dans des tons suraigüs inhabituels:

-Ils vont attaquer le monastère ! Saint Benoît de Nursie, sauvez vos moines !

Puis il se signa plusieurs fois, totalement affolé. Le canot était descendu à flot. Démétrios poussa Nestor vers l'échelle :

-Allez-y . Je vais chercher les livres.

-N'oubliez pas mon étole !

Démétrios descendit les trois coffrets et l'étole brodée d'or dans le canot où le moine et son scribe s'étaient mis à prier, chapelets sortis, la voix précipitée, le regard tourné vers le ciel. Le Grec les bouscula sans ménagement et, après avoir enfoncé son bonnet jusqu'aux yeux, prit les rames, s'abstenant à temps de jurer par Zeus.
Se tenant le nez dans un morceau d'étoupe, le scribe geignait de temps à autre entre des prières ponctuées de reniflements. Tout ça pour une histoire de grenouille !
Le Grec souquait vigoureusement. Il était pris dans l'excitation du moment et tout à fait décidé à mener son sauvetage à bien. Il aperçut les dromons d'Eleutherion qui se dirigeaient vers Pera. Eux aussi avaient vu les bateaux rùs. A ce moment, Démétrios changeant son cap sur les indications de Nestor, découvrit que d'autres embarcations se tenaient rangées derrière les langskips. Plus larges, non pontés, elles semblaient destinés à porter du fret. Le canot filait bon train et le rameur se demanda s'il n'allait pas lâcher ses moines sur le quai où, en virant de bord, il aperçut un groupe hétéroclite d'hommes armés, chargés visiblement de défendre la porte. Nestor qui avait interrompu ses prières pour diriger l'accostage,expliqua:

-Ce sont des civils mobilisés par la Ville. Pourvu qu'ils nous reconnaissent !

La flèche qui passa à un pouce du bonnet démétrien fut l'immédiate réponse. Nestor prit sa croix d'une main, son étole chamarrée de l'autre et les brandissant, bras étendus, se mit à chanter le credo à tue-tête, tout debout, courageusement, tandis que le spécialiste des batraciens se pelotonnait sur son banc. Démétrios fut content que son moine ne soit pas un lâche et pour l'aider, se mit aussi à chanter le credo de toute sa voix. C'était un bon entraînement pour son futur baptême.
Mais où était donc Zorvan ?



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{Achevé} Démétrios face au Miroir  Empty Re: {Achevé} Démétrios face au Miroir

Message  Zorvan Ven 25 Mai - 2:02

Ahhh !! voilà que tout s'emballait comme il l'avait voulu. Qu'il était plaisant de jouer avec les fils de l'écheveau du temps et de les emmêler encore davantage. Zorvan, dressé sur pont supérieur, contre son mât favori ruminait dans sa tête la suite qu'il voulait donner au cours des choses et ne daigna pas accorder l'once d'un indice à Démétrios quant au choix qui s'ouvrait à lui et à son bonnet. Il voulait être un homme libre de ses choix, à lui de choisir de quelle façon il l'était le plus. Le gardien de l'Antichambre savait depuis qu'il avait pris en charge l'athénien ce à quoi il aspirait le plus secrètement mais il savait également que parfois les hommes ne choisissent pas le chemin le plus direct pour accomplir leurs rêves mais empruntent bien souvent des chemins de traverses comme s'ils craignaient d'être déçus. Le fils des héros antiques avait donc choisi d'en passer par le baptême pour complaire à sa nouvelle sympathie envers Nestor qui avait su le prendre en protection. Cela n'avait finalement rien de surprenant. En terra incognita, les hommes, même d'esprit aventureux, avaient besoin de se créer des liens et des repères. Devenir chrétien en était peut-être un nécessaire au païen athénien pour faire face à d'autres païens. Les splendeurs architecturales brillaient et attirait l'oeil du grec comme pour lui rappeler qu'il était du peuple des citadelles et des Parthénon. Sa soif du beau fut plus forte que son attrait pour l'insolite barbare, ce qui ne surprit pas Zorvan. Il avait raison de s'accorder une découverte avant de risquer de mourir, ce petit au bonnet. Il était devenu le garde du corps des religieux sur ordre de Thagim et semblait très bien s'en accommoder et même y mettre un certain zèle.

Plus loin sur la côte, ils assistèrent au débarquement des premières troupes rùs. Bien qu'ils en fussent hors de portée, la tension avait monté d'un cran chez tous les hommes, y compris le Moine qui prophétisait une mise à sac du Monastère de Saint Benoît sans beaucoup s'avancer. Le pillage était l'apanage des Varègues à travers les temps. Comme la face d'une pièce indissociable du revers. Qu'ils fussent marchands ou guerriers les Rùs pillaient d'abord, ensuite ils tuaient et massacraient ou consentaient à discuter et à marchander. Cela variait selon leurs humeurs et leur tribu, certains étant plus belliqueux que les autres. Ils pouvaient aussi bien ruiner une région que la rendre plus prospère que jamais. Un rien pouvait faire basculer le destin dans un sens ou dans l'autre et Zorvan songea, un sourire dans sa barbichette que ces hordes n'étaient pas pour lui déplaire. Enfin, les Rùs et leurs tignasses rousses, ce serait pour plus tard. Pour le moment, il allait faire du tourisme culturel et spirituel sur les talons du grec. Mais le gardien de l'intangible n'allait pas se taper un abordage chaleureux devant les citoyens de la ville en pleine crise de méfiance. Il était déjà transporté sur le quai quand le couvre chef de Démétrios eut chaud pour ses mailles. Le spectre aux longs cheveux corbeau vit un homme vêtu d'une armure un peu désassortie lever la main en visière et plisser les yeux.

- Cessez de tirer ! Ne dirait-on pas des prières pieuses. Il ne s'agit pas là des diables du Nord. Ils seraient incapables de réciter si fort et clair notre credo. Sainte Sophie nous pardonne! Nous allons déjà perdre notre bon père Théocolès qui est parti en consultation chez les Bénédictins. N'allongeons pas la liste des âmes pieuses qui vont mourir.

"Foutu crétin!" Songea Zorvan "Tu nous rejouais Mac Donald à la bataille de Wagram! " C'est qu'il n'avait pas déjà envie qu'on lui tue son grec. Pas sans avoir vu ce qu'il avait dans le ventre. Il se prit d'un grand éclat de rire en songeant à son parallèle anachronique. Ahaha! Démétrios en jupette au milieu des hussards italiens qui prenaient les saxons pour des autrichiens et tiraient sur leurs alliés. Il chassa cette image incongrue de ses pensées. C'était pour un autre client, ça. L'habile Czeneski ? Comment s'appelait-il déjà, cet espion multicarte qui avait joué tantôt pour Napoléon, tantôt pour Joseph et finalement simplement pour son peuple, ou ses peuples. Une énigme ce garçon... Qu'était-il devenu ? Bon! Il fallait laisser là le couvre chef du hussard pour suivre un bonnet qui aidait un moine rebondi et un autre au nez en patate à descendre d'une barque.

- Je suis Nestor, enfin, voyons! Moine attaché aux archives de notre cathédrale. Je reviens avec tout un lot de manuscrits pour remplacer ceux que nous avons perdus dans l'incendie et voilà comment je suis accueilli.

Le citoyen, confus, ôta son heaume qui n'avait rien d'assorti avec sa cuirasse et s'inclina penaud.

- Dévot Nestor! Notre Père me pardonne cet égarement mais c'est telle panique depuis l'aube! Si vous saviez. Nous nous sommes employés à renforcer les portes et à armer jusqu'aux pucelles afin de résister à ces chiens de fornicateurs. Au moins ils n'auront pas nos femmes vivantes.

- Que tu crois pauvre naïf, elles vont même en redemander. Laissa fuser Zorvan dans sa barbe. Evidemment, seul Démétrios pouvait l'entendre et il ne se priva pas de lui faire des yeux ronds. C'était la première fois depuis le départ que le Guide daignait ouvrir la bouche pour faire profiter le grec de ses réflexions.

- N'en parlons plus, c'était une épreuve envoyée par notre Seigneur pour tester notre détermination. Nous devons mettre ces coffres en lieu sûr au coeur même de notre chère basilique. Mais que disiez-vous de notre chère Père Théocolès, quand nous abordions ? Répondit Nestor en éludant les pucelles.

Alors que plusieurs hommes déchargeaient le moine scribe et Démétrios de leurs bagages et que la petite troupe s'ébranlait vers la Coupole blanche, le citoyens myope qui se présenta sous le nom de Zénios, entreprit d'expliquer que le bon Père jardinier avait décidé de joindre les Bénédictins hier pour sans nul doute aller y quérir avec une charrette quelques trésors à mettre en lieux sûrs derrière les remparts et qu'il n'était pas reparu depuis. La nuit avait étendu sa chape de silence soucieux et l'astre du jour s'était levé sans apporter de nouvelle de lui.

- Nous craignons qu'il ne soit tombé aux mains de quelque avant garde de ces sauvages qui lui auront certainement fait renoncer à certains péchés par des moyens radicaux.

- Ahahaha! Ce serait plaisant... Un moine eunuque. Je suis certain qu'ils tremblent plus pour la bourse du Père que pour ses bourses.

Nestor, en pleine effervescence, se tourna vers son acolyte qui ne valait pas tripette depuis que sa figure avait enduré les violences de Thagim, puis vers Démétrios qui semblait grandement perturbé par quelque chose captivant son attention au bord du chemin. Mais à part des oliviers fort torves et anciens, le bon moine ne vit rien qui put fasciner un homme de cet âge. Ce garçon était vraiment bizarre. Pourquoi regardait-il un arbre comme s'il avait porté la pomme d'or ? Peut-être la nostalgie de son Athènes natale dans laquelle abondaient ces arbres.

- M'entendez-vous, Démétrios, quand je dis qu'il nous faut partir à la recherche de notre bon Père jardinier ? Il n'est plus très jeune. Il se sera égaré dans les collines et laissé surprendre par la nuit.

Le bonnet s'agita en montrant les coffres mais Nestor objecta que le Frère scribe veillerait à ce que Zénios les mette bien en sûreté et ne les quitterait pas des yeux. Cela sembla convenir parfaitement au défenseur des grenouilles. Le grec obtempéra donc, sans doute à contre coeur bien que l'idée de sauver un vieillard en détresse ne put le laisser insensible. Ils laissèrent le frère et le chef de l'escouade civile devant les portes majestueuses de la Basilique et progressèrent ainsi dans les rues magnifiques de la Cité jusqu'à arriver à l'entrée d'un immense amphithéâtre où s'amassait une foule impressionnante. Une musique des plus étranges en sortait, faisant vibrer les murs, alors que les gens rassemblés en ce lieu étaient bizarrement attifés pour la saison. Zorvan dissimula son sourire derrière sa main et pouffa alors qu'un groupe d'homme vêtus de peaux de bêtes faisait irruption sur la scène en hurlant " Constantinopolis, Suii Generiis", et en délivrant un spectacle pour le moins stupéfiant au grec. Les uns arrachaient des cris stridents à des instruments à cordes reliés par des fils à de grosses boites, lesquelles crachaient un son à arracher les oreilles des éléphants, un autre se démenait sur plusieurs tambours de taille différentes derrière lesquels il était assis tandis qu'un autre pliait et dépliait un instrument au son chuintant-à la réflexion c'était une fille-et un dernier, couvert de sang et de suie, hurlait dans une sorte de piquet en métal. La foule, dont la tenue vestimentaire n'était parfois pas si éloignée de celle de Zorvan, scandait les choeurs en brandissant le poing. Nestor et le reste de l'escorte ne semblaient rien remarquer et le brave moine proposa simplement.

- Nous couperons par l'amphithéâtre. Il est désert, ce sera plus discret et nous gagnerions du temps pour accéder à la colline.

Et il coupa effectivement ... à travers la foule en délire, à travers les corps. Il fit ce que tous faisaient depuis le début avec Zorvan... Celui-ci haussa les épaules encore une fois devant la mine ahurie de Démétrios.

- J'y peux rien moi, si en Aparadoxis, il y a des paradoxes temporels.

Personne ne semblait les voir d'ailleurs dans cette foule déchaînée et l'athénien qui n'était pas sot finirait bien par comprendre qu'il s'agissait d'une brèche temporelle comme il en existait partout. Sauf que, sauf que ...

- Zorviiiiie! Ca fait un bail ! T'es venu finalement ? Cria une jolie blonde en se ruant sur le gardien.

Hé merde! Zorvan lui fit un sourire caustique et pointa son doigt vers la scène sans mot dire . La fille regarda dans la direction et "Zorvi" se dématérialisa aussitôt aux yeux de l'hystérique comme à ceux de Démétrios. Seul demeurait Nestor, qu'il fallait suivre. Ce que fit le grec en s'éloignant de la foule qui scandait " Turisas! Turisas! Turisas!" et en sortant de l'enceinte du théâtre par un tunnel dans les gradins. Aussitôt le calme revint et Zorvan réapparut. Il avait eu chaud et son sujet aussi, sans le savoir. Une brèche temporelle c'était toujours drôle à provoquer, sauf quand elle devenait active et qu'on était visible alors qu'on ne devait pas l'être. Il aurait dû se méfier... Il était déjà allé à ce concert dans l'Istanbul du futur. Voilà pourquoi la brèche s'était complètement activée. Il s'était bien amusé à voir l'air paniqué de Démétrios et d'ailleurs en d'autres circonstances, il l'aurait projeté dans le paradoxe du temps aspiré pour voir sa réaction face à un concert du XXIième siècle parlant des Rùs qu'ils s'apprêtaient à rencontrer. Mais ce genre de choc était à éviter pour un apprenti voyageur et il ne croyait pas les oreilles d'un antique athénien prêtes à résister à l'assaut des décibels furieux d'un Warlord Nygard. Le Dévoreur lui aurait fait payer chèrement cette entorse au code des Voyages. Démétrios aurait risqué de perdre son bonnet dans la foule enragée soulevée par les bardes et chantres modernes. Il regarda avec circonspection l'athénien qui se grattait la laine du couvre chef. Quelles questions et sentiments pouvaient bien se presser sous le tricot?

Pour l'heure, il n'en saurait rien et n'y répondrait de toute façon pas dans l'immédiat. Ils avaient des merveilles à explorer et un vieux moine à sauver.

La plume : son rôle dans vos voyages
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{Achevé} Démétrios face au Miroir  Empty Re: {Achevé} Démétrios face au Miroir

Message  Invité Sam 2 Juin - 13:43

Zorvan était déjà sur le quai, très visible, en pleine forme si on peut dire, semblant d'excellente humeur, à savoir qu'il avait un sourire sarcastique sur les lèvres et une lueur narquoise dans les yeux. Le bonnet de travers, couvert de sueur et reprenant péniblement son souffle, Démétrios regretta de n'avoir aucun moyen de faire disparaître cette outrageante expression du visage acéré d'un Zorvan toujours lisse, frais, sec, et sans un pli à sa robe noire. Le gardien de l'antichambre était en phase d'apparition particulièrement réaliste, en trois dimensions, alors que parfois la densité apparente de son immatériel compagnon se réduisait à une trame colorée. C'était peut-être quand il ne trouvait plus assez d'attraits aux déboires de son compagnon qu'il s'effaçait ainsi du paysage ? Et là, le gardien s'était bien amusé ! Le Grec eut très envie de lui laisser tomber un coffre de manuscrits sur les pieds. Mais sachant que seul le coffre en serait abîmé et les livres froissés, il tourna le dos pour échapper à ce sourire irritant
Le capitaine improvisé expliquait que la ville se préparait à résister aux démons venus du froid, et manifestait un louable désir de veiller à l'intégrité de ses femmes
.A sa totale surprise, Démétrios entendit derrière lui une voix métallique qu'il reconnut immédiatement : Zorvan ! Lequel Zorvan venait de lâcher une remarque désobligeante pour la vertu des dites dames , face à la mâle efficacité de l'assaillant rùs. Démétrios en resta la bouche ouverte d'indignation. Ainsi le muet pouvait parler ! Et pour débiter des gaudrioles. Tout au long du voyage, ce démon aurait pu le conseiller, l'éclairer de son savoir, et il ne rompait son silence que pour jouer l'humoriste de corps de garde! L'individu se moquait de lui, de tout, des dangers courus et à venir. Il n'avait donc aucun sentiment de ...de ...; Démétrios chercha le mot convenable et n'en trouva pas. Les propos du Dévoreur avaient éveillé en lui de la sympathie pour un Zorvan condamné à l'éternelle solitude. Mais Zorvan n'avait aucune humanité. C'était un être fantasmagorique, une sorte de faune ricanant et insensible, placé là par un Destin aussi inhumain que lui. Il fallait ne plus prêter attention à cet olibrius fuligineux et vivre pleinement le présent que lui offrait Aparadoxis, avec ou sans Zorvan.

Ce présent comprenait pour l'instant la visite à l'immense temple de la Sagesse et le Grec était très curieux de voir les merveilles qui s'y amoncelaient malgré les destructions subies. Il aurait aussi le plaisir de s'y faire baptiser. Les rites étrangers étaient plus excitants que les cérémonies officielles d'offrandes et de processions auxquelles on ne participait plus que par devoir civique. Les Mystères ouvraient l'âme vers des horizons plus motivants que ces éternelles disputes et coucheries de l'Olympe, et même les solennités trop courues d'Eleusis ou les excès dionysiaques manquaient d'élan métaphysique. Il connaissait ce besoin de croire qui demeurait quand on ne croyait plus, toutes ces quêtes qui agitaient de plus en plus les esprits, surtout depuis que les conquêtes d'Alexandre avaient véhiculé d'étranges récits sur d'étranges croyances. Démétrios avait entendu un mercenaire parthe racontant que le culte de Mithra se développait vers les régions pontiques, un dieu sauveur né dans une grotte, venu du levant et très ancien, associé à la lumière et au sacrifice rédempteur. L'Athénien, depuis depuis son saut dans le temps, avait remarqué d'intéressantes coïncidences avec la religion professée par Nestor. Celui-ci, consulté sur ce qu'était devenu Mithra, avait dit que ce n'était que d'affreuses erreurs du passé qui avaient toutes disparu grâce au grand Constantin, le premier empereur converti. Dommage pour Mithra. Mais durant ces dernières semaines, Démétrios avait compris que les dieux comme les hommes sont engloutis dans l'oubli immense des siècles. Restaient de belles histoires et de jolies images.. Ces Romains d'Orient peignaient des portraits fascinants et s'il devait rester longtemps en Aparadoxis, le Grec espérait bien pouvoir être initié à cet art ; cela le changerait de ses peintures de guirlandes de fleurs et de jeunes Saphistes farandolant en tuniques plissées. Nestor avait été ravi de ce projet et promis de veiller à ce que son néophyte entre dans un monastère particulièrement dédié à cet art, où il pourrait aussi prononcer ses voeux, perspectives aussitôt acceptées avec plaisir. Zorvan lui laisserait bien deux ou trois semaines au monastère pour étudier les bases de la peinture à l'oeuf.
Pour l'instant, Démétrios reprenait son souffle et ses forces, laissant le monde s'agiter autour de lui, l'esprit flottant au gré de ses idées, suivant distraitement la conversation de ses compagnons sous l'oeil critique de Zorvan. Ce fut la voix de ce dernier qui le fit de nouveau sursauter. Ahahaha! ...un moine eunuque.... sarcasme suivi d' un calembour qui aurait fait rire le Grec s'il n'avait été si fâché contre le plaisantin. Décidément, l'humour de Zorvan se maintenait à hauteur de...enfin, assez haut, vu la taille du personnage.

Mais Nestor le rappelait à d'autres réalités. Démétrios cessa de regarder dans le vide, essaya de remettre en ordre les bribes de la conversation qu'il n'avait suivie que fort distraitement et comprit en gros qu'on avait perdu un moine durant la nuit et qu'on devait aller le chercher, ce qui signifiait que l'excursion pieuse à Sainte Sophie était remise à plus tard. Il en fut irrité et bien qu'apparemment Zorvan n'eût pris aucune part visible au changement de programme, Démétrios lui lança un coup d'oeil au vitriol.Tout ce qui arrivait en Aparadoxis devait bien d'une manière ou d'une autre dépendre de sa volonté et l'homme sombre se plaisait visiblement à le contrarier. Ce mauvais plaisant pouvait toujours ensuite ricaner, le voyant patauger au milieu du Bosphore, recevoir des flèches dans son bonnet ou devoir rechercher un vieux moine égaré. Sa rancune monta à l'égard de ce ... comment Nestor qualifiait-il ceux qu'il n'aimait pas ? Mécréant, voilà, Zorvan était un mécréant. Mais si Agea Sophia s'éloignait, les Rùs se rapprochaient dans la mesure où on sortirait de la ville. Il suivit donc la troupe sans objecter.
Nestor marmonnait des prières sitôt qu'on passait devant une église et il y en avait des dizaines. Cette débauche de coupoles et de clochetons, ajoutée à la grandeur et à la somptuosité colorée de toute la ville, impressionnait l'Athénien, mais la présence de Zorvan, marchant à grands pas devant lui, l'empêchait de se livrer aux sentiment si plaisants de la découverte et de l'admiration. Ruminant encore sa rancune, Démétrios,se dit que lui aussi savait être sardonique et parler comme un troupier ou un éphèbe émancipé. Par une association fortuite, lui vint en tête une chanson guerrière, apprise du fils de l'accueillante dame étrusque, chère à sa mémoire. Démétrios aimait étudier les idiomes étrangers, ce qui, à Athènes, contribuait à sa réputation de bizarrerie intellectuelle.. Il possédait donc des rudiments d'étrusque et il était certain que Nestor ne comprendrait pas cette langue oubliée. Avant de se mettre à chanter, il se remit les paroles en mémoire en les adaptant à la situation, remplaçant le nom d'un consul romain par un diminutif qu'il estima injurieux :

On va jeter Zozor dans le lac Trasimène !
Ce sera difficile mais en vaudra la peine !
Decoupons-le en ronds ,comme on fait des andouilles

(il n'était pas totalement sûr du sens de ce mot, peut-être emprunté au latin ?)
Pour voir si sous sa robe, il a encore d...

Un énorme fracas lui emplit les oreilles et lui coupa la rime.
Un gigantesque amphithéâtre était brusquement apparu et désorienta sa vision. Démétrios pris de vertige, ferma les yeux, accablé de sensations jamais encore éprouvées. Il pensa un instant qu'il repartait dans le tube tourbillonnant qui l'avait conduit à l'Antichambre et il ouvrit de nouveau les paupières pour ne pas perdre de vue Zorvan et au besoin s'accrocher à lui comme il l'avait fait avec le Dévoreur. Il l'aperçut à ses côtés et oubliant sa fronde précédente, en fut très soulagé. Nestor continuait son chemin, comme si de rien n'était, ce qui éclaira le Grec quand il vit le moine traverser sans émoi une douzaine de chevelus hystériques qui gesticulaient devant lui..

Ils doivent tous venir de l'Antichambre et n'ont pas de substance, juste une forme .. mais comme ils semblent hors d'eux-mêmes ! Et ce bruit épouvantable ! Est -ce une bataille ? Un tremblement de terre ? La colère de Zeus ? La fin du monde ?

Démétrios sentait des vagues sonores le traverser, des crépitements étranges lui couraient sur la peau. Autour de lui une foule en transe s'agitait, et quelques individus, peints de sang et de bitume, semblaient mener la danse, en proie à une fureur certainement divine. Des voix prodigieuses de Titans remplissaient l'espace en le faisant vibrer. Etait-ce là une cérémonie chrétienne ? Non, Nestor décrivait des harmonies célestes, des encensoirs doucement balancés et de foule recueillie. Mais alors ? Horreur ! On était chez le grand Diable ! C'était une fête de ce fameux Prince des ténèbres, tous ces frénétiques étaient des possédés ! Et Nestor qui ne voyait rien ! Il aurait pu les asperger d'eau bénite, chanter des hymnes d'apaisement et de protection. Et Voilà que Zorvan, comme malgré lui, commençait à secouer nerveusement la tête , ses longs cheveux agités se balançaient comme les serpents sur la tête de Méduse. Et tous ces objets inconnus ! Certains devaient être des instruments de torture ou des armes infernales. Les diables qui menaient la danse se faisaient menaçants, hurlant, en une langue inconnue, des mots d'ordre repris par la foule trépidante. il y avait du sacrifice dans l'air. Qui serait la victime ? Les mystes réagissaient en choeur à chaque vocifération d'un officiant particulièrement agité. Il hurlait et, avec force grimaces, s'apprêtait à engloutir une tige renflée qu'il tenait en main et dont le symbolisme paraissait évident. On pouvait penser que les thiases dionisyaques étaient de la partie, cortèges orgiaques de satyres et de ménades vêtus de la nébride, cette peau de bête chargée de véhiculer la force brute de la nature sauvage. D'ailleurs on en voyait ici et là sur les participants.
Le bruit était terrifiant, mais un rythme s'en dégageait, et même une ligne mélodique, avec un effet d'entraînement certain, et Démétrios, parcouru de vibrations qui le suffoquaient, sentit soudain que le seul moyen de se libérer serait de hurler de concert, tout en levant le poing en cadence et en se démanchant le cou. Son regard affolé croisa celui de Zorvan qui bougonna une remarque,aussitôt couverte par une explosion de sonorités métalliques.
A ce moment, une créature se jeta devant eux, échevelée, hilare, criant un Zorviiiii strident, ce qui provoqua presque instantanément la disparition du Gardien. Tandis que la Ménade, écarquillait les yeux de surprise, elle fut traversée par le Grec qui n'avait pu s'arrêter à temps. Il s'excusa aussitôt mais elle ne le regarda même pas. Cela lui rappela qu'il était invisible et intangible, et il le vérifia en traversant de part en part un très grand Barbare particulièrement excité et qui grognait, tel un ours des cavernes, quand il ne croassait pas comme un corbeau. Démétrios retint qu'on pouvait appeler Zorvan Zorviiie et qu'il n'avait pas toujours été aussi solitaire que le prétendait le Dévoreur.
Maintenant, la foule martelait trois syllabes incantatoires.C'était sûr, ils réclamaient Satan lui-même, Satan Belzébul, Satan Bélial, Satan Turisas !
Un instant, Démétrios fut tenté.de rester, puisqu'il ne risquait rien. Malgré les mises en garde de Nestor, le Malin était un personnage diablement intéressant, et qui manquait à l'Olympe. Et puis, il commençait à s'habituer un peu au bruit, à peine plus fort que celui de la tempête au Cap Sounion. Cependant, il fallait mieux ne pas jouer avec le feu, surtout d'enfer, et la crainte d'être coincé dans l'intemporel lui fit rejoindre Nestor.
On passa par un tunnel, et Démétrios reçut le brusque silence avec presque autant de surprise que le vacarme de tout à l'heure. Zorvan réapparut à cet instant et fixa son regard inquisiteur sur le Grec. Eh bien, si le Gardien espérait des questions et des réactions, il n'en aurait pas ! Il devrait ravaler son sourire moqueur et ses remarques acides. Démétrios ajusta son bonnet, défroissa ses braies - par Héraklès, ce que ces vêtements près du corps étaient gênants ! et prenant ostensiblement un ton dégagé, il s'adressa à Nestor :

-Ce moine Théocolès, c'est au monastère sur la colline de Péra qu'il est parti ?

-Oui et comme les Rùs débarquent à l'entrée de la Corne, nous allons sortir par la porte Sainte Théodosia. Il y reste des barques pour traverser. Notre ami Thagim doit être devant Pera en train d' empêcher les Rùs de monter la colline. Il existe sur la rive nord un ancien souterrain qui raccourcit le trajet et conduit droit sous le monastère ; il est d'accès difficile et c'est pourquoi il faut que je vous accompagne. Le père Théocolès a pu manquer l'entrée, parvenir tard au couvent et y passer la nuit ; ce matin, l'arrivée des Rùs l'aura empêché de repartir. Ou bien, il se cache avec sa précieuse charrette, sur le chemin du retour. Il est parti sans escorte pour ne pas attirer l'attention. Que Dieu veille sur lui ! Le monastère garde une inestimable relique, une phalange de Sainte Pélagie. Qu'elle ne tombe pas en des mains impies ! Dieu veuille que nous arrivions à temps ! Sainte Pélagie, protégez votre phalange ! b]

-Mais pourquoi les Rùs s'intéresseraient-ils à une phalange ? Ils ne sont pas chrétiens !

-Le reliquaire, mon fils ! Le reliquaire ! De l'or, des gemmes,des perles.. les Rùs sont des pillards fascinés par les richesses de ce monde. Il faut récupérer la châsse de Sainte Pélagie ! Il faut arriver à Pera avant les Rùs.

Démétrios se renseigna sur la distance ; pas moins de deux lieues. Sans compter la traversée en barque. Il lui sembla que tout le monde regardait ses biceps.

-Mais cela va prendre des heures ! Vous n'avez pas de chevaux ? Thagim disait que vous aviez une cavalerie très importante de lanciers ! Les Rùs sont à pied. Avec une lance, un seul cavalier peut renverser trois ou quatre fantassins .

-Mais vous envisagez de vous battre, mon fils ! dit Nestor avec effroi . Il n'en est pas question. Je suis un homme de paix ! Je ne saurais que prier pour nous si les Rùs nous surprennent, ce qui sera inévitable si nous sommes à cheval et en plus, avec des lances ! et puis le souterrain, un ancien aqueduc, ne permet pas le passage des chevaux. Et d'ailleurs, nous n'en avons plus.

L'idée n'enthousiasmait pas non plus les gardes, sauf deux très jeunes bravaches qui voulaient sans doute tailler du Rùs pour pouvoir ensuite raconter leurs exploits. Ils affirmaient qu'on pouvait encore trouver des montures un peu plus loin, vers les grands réservoirs, bien que les meilleures bêtes soient parties avec l'empereur Michel. Et il y avait des lances à disposition à chaque porte de la ville, même si, à part les vétérans, personne ne savait très bien les manier.. eux avaient suivi un court entraînement, mais on ne les avait pas pris dans l'armée en raison de leur âge.
Démétrios proposa de scinder le groupe en deux. Nestor et deux ou trois gardes passeraient par le souterrain à pied et lui, avec les jeunes et peut-être un ou deux autres gardes n'ayant pas peur des Rùs, iraient à découvert, au cas où Théocolès serait caché dans la campagne. Et surtout ils détourneraient l'attention des Rùs si ceux-ci les apercevaient. Démétrios ne se sentait pas l'âme d'un héros en proposant ce plan. Son sentiment de la réalité était un peu émoussé, surtout après l'intermède musical qu'il venait de vivre ; on était en Aparadoxis et puis la réputation du coup de lance hoplite n'était plus à faire- du moins de son temps. Et il y avait des semaines qu'il n'était pas monté à cheval. Il regarda Zorvan et fut tenté de lui dire:

-Alors, Zorviiie ! Qu'en pensez-vous ?
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Message  Zorvan Mer 20 Juin - 19:56

Le moment crucial approchait et comme l'avait voulu Zorvan, Démétrios se trouvait face à un choix. Croire que Théocolès était encore à l'abri et emprunter le souterrain qui les mènerait au monastère pour s'en assurer ou préférer l'hypothèse que le père jardinier avait quitté les lieux avec célérité mais que devant le fourmillement de l'ennemi sur le rivage, il avançait peu dans la campagne, se terrant dans quelque bosquet ou dans une grotte en attendant que la tempête venue du nord se retire après avoir balayé la terre bénie de la ville. Le grec fut assez habile pour ne négliger aucun des scénarii ce qui augurait bien de sa capacité à être un bon voyageur. Pour survivre dans les couloirs de l'Infini et dans les paradoxes temporels, il fallait anticiper tous les possibles, enfin, essayer d'en envisager le plus possible, car le nombre des possibles était non quantifiable et lui comme le Dévoreur en avaient fait les frais chacun en leur temps. Démétrios proposa donc de scinder en deux, le groupe de recherche, démontrant qu'il était devenu ainsi le stratège du petit groupe. Personne ne chercha d'ailleurs à mettre en doute son raisonnement. Sa proposition mettait habilement à l'abri le bon Nestor et permettait sans doute à l'athénien de se défaire de son regard moralisateur. Le moine n'avait sans doute que partiellement senti l'esprit d'aventure et de combat qui animait son protégé. Diable, un homme, même un citoyen athénien penseur et raisonné, reste un homme régi par ses poussées de testostérone. Pour preuve, ce chant des plus paillards dont il avait gratifié le gardien. Zorvan en avait souri. Il avait le loisir de connaître l'original à force de pérégrinations au côté des voyageurs. L'adaptation en était habile et il avait bien eu envie de montrer au petit bonnet qu'il avait conservé tous les attributs d'un homme en soulevant sa longue robe noire. Le geste aurait d'ailleurs bien convenu en pleine messe metallique et guerrière. Certaines femmes montraient bien leur gorge à leurs idoles. Zorvan s'était ravisé, se souvenant vaguement que dans sa lointaine vie, avoir montré et usé de ses attributs auprès d'une femme lui avait valu la plus cruelle sentence que les siens pouvaient prononcer et l'avait conduit, par un enchaînement de circonstances, à ce couloir où il était enfermé. Il avait donc été sage devant le grec et chassé de son esprit les souvenirs de vaisseaux traversant les espaces intersidéraux pour abandonner sa capsule devant un terrible trou de vers. Chaque fois que des souvenirs se manifestaient de ce qu'il avait été, il avait envie de se prendre la tête entre les mains et de hurler de rage en prenant conscience de la déchéance à laquelle la rupture de ses voeux l'avait condamné. Et aujourd'hui, si bataille il y avait, il ne pourrait qu'y assister en témoin inerte. Il n'avait même pas le droit d'aider le grec par des conseils, lui qui avait été un guerrier mystique. "Tu n'es qu'un esclave du temps, désormais!" tels avaient étés les mots prononcés par ses semblables. Suprême déchéance aux yeux de son peuple.

- Ce que j'en pense ? Que tu paieras et assumera tes choix toi seul, quels qu'ils soient.

Il ne pouvait s'empêcher de rire, un peu ironique, aux explications de Nestor. Si les religieux tenaient si fort à leurs reliques, pourquoi s'obstinaient-ils à les enchâsser dans des reliquaires en métaux précieux rehaussés de pierres mirifiques ? S'ils voulaient tant les protéger des convoitises des païens, n'eût-il pas été plus sage de les conserver dans des matières humbles et sans attrait pour ces "mécréants" ? L'hypocrisie des hommes de foi ne l'étonnait plus guère tant il en avait croisés dans le dédale du temps. Peu importait la Foi ou l'époque vécue, la même incohérence entre leurs conceptions de préciosité spirituelle et matérielle se retrouvait toujours. Et la simplicité dans tout cela ? La foi que les hommes pouvaient avoir dans les Dieux n'était-elle pas le plus pur et simple hommage à leur divine essence ? Pourquoi toujours s'encombrer d'ostentation matérielle ? Bien des hommes avaient péri pour défendre non les souvenirs précieux des prophètes qui les avaient éclairés mais les réceptacles de ces restes. Une Foi qui avait besoin d'apparat pour s'imposer en faisant rêver ses disciples par son opulence plutôt que par la bonté de son rayonnement spirituel, en quoi cela élevait-il l'homme ? Nestor n'était sans doute pas un mauvais bougre, pas le pire, dans ce domaine, mais il était coincé par son éducation religieuse qui lui servait de référence à tout bout de champ. Il voulait qu'on défende le petit doigt de sa Sainte mais sans couper les jarrets ou autre chose au Rùs. Sans doute pensait--il naïvement qu'il suffirait de réciter des credo pour les repousser, les faire tomber en pâmoison ou mieux les convertir. Démétrios était moins crédule que Nestor tout en étant plus facile à attendrir qu'un varègue. Il suffisait de voir comme il s'était laissé séduire par la Foi que lui présentait le moine.

- Ce que j'en dis juste c'est qu'il faut être naïf pour croire que les varègues se déplacent uniquement à pied. Leurs esneques sont dotés de fond adaptés pour le transport des chevaux. Ils ont oublié d'être bêtes et sont paresseux quand ils en ont les moyens.

Pour une fois, les jeunes avaient raison en voulant se doter de coursiers et en cherchant à s'armer. A pieds, et face à des rùs abreuvés d'orge fermentée, la petite troupe se ferait tailler en pièce à la moindre rencontre. Un varègue avançait d'abord et regardait ensuite sur quoi il avait marché... Alors à cheval ... Zorvan n'était pas mécontent que les choses s'accélèrent par le choix du grec et pour une fois, il décida de ne pas contrarier sa volonté. Au détour du chemin caillouteux, ils trouvèrent un chariot lourd qui avait versé et brisé son essieu. Deux forts chevaux y étaient encore attelés, risquant à tout instant d'être entraînés dans le précipice par le poids du chargement. C'était honteux de laisser ainsi ces bêtes à leur triste sort mais le gardien aperçut en contrebas et avant tout le monde, le corps du malheureux conducteur qui avait du être éjecté dans l'accident. Aucune trace de lutte, ni de sabots autour du chariot. Le pauvre homme s'était tué tout seul, affolé sans doute par l'annonce du fléau nordique et il avait négocié le virage un peu sec et engagé sa roue droite dans l'ornière. Fatal empressement de l'homme qui, à vouloir sauver sa peau, la perd tout seul. Toujours était-il qu'il laissait là deux chevaux de bonne constitution, trapus mais robustes. Il faudrait bien cela pour faire face aux chevaux du froid. La troupe se sépara encore plus vite, du coup. Les deux jeunes montèrent sur un des chevaux, laissant naturellement l'autre à Démétrios. Monter à cru n'était sans doute pas une sinécure pour les cuisses méditeranéennes, surtout sur des chevaux ayant la forme de barriques mais ils firent plutôt bonne figure et s'élancèrent dans un nuage de poussière sur le sentier inondé de lumière.

- C'est cela, galopez comme des donzelles effarouchées, vous allez voir ce qui va se passer ! Marmonna-t-il entre ses dents.

Il jeta un dernier regard à Nestor qui s'enfonçait avec les gardes les moins téméraires dans le boyau dont ils avaient écarté les ronces qui cachaient l'ouverture. Quelques soldats à pied s'appliquèrent à masquer à nouveau l'ouverture avant de prendre le même chemin que Démétrios, au pas cadencé. Quant à lui, il se volatilisa pour réapparaître un peu plus loin. Le hasard faisait bien les choses. Les deux cavaliers étaient arrivés au croisement du sentier avec un chemin plus grand qui s'élançait vers la colline. Ils étaient en arrêt devant une petite casemate en pierre qui ressemblait fort à un poste de garde avancée, contrôlant les voyageurs en provenance de l'est. Si la guérite était vide, le pré situé derrière elle, servait de pâture à cinq chevaux un peu plus élancés que les deux autres. En contournant la maisonnette à pied, les deux jeunots qui s'avéraient être des jumeaux, Flavius et Solus, avaient repéré un râtelier à lances et Démétrios semblait déjà s'affairer à forcer la porte de la cabane pour y trouver sans doute d'autres armes. Zorvan pensa pour lui-même qu'il aurait été plus simple de partir du vaisseau déjà armé mais le grec avait du avoir des pudeurs chrétiennes à aller au devant de son baptême armé jusqu'aux dents et sous le regard réprobateur de Nestor. Le souci c'était que là, il allait avoir droit, avec ses compagnons, à un baptême nordique sans préparation. Alors que les gardes à pied débouchaient juste du chemin, rouges et essoufflés, que les deux frères ramenaient quatre chevaux pas une bride sommaire de ficelle, que Démétrios sortait de la cabane presque ébouriffé avec des arcs et carquois, des éclats de voix et des hennissements parvinrent aux oreilles de la petite troupe. Il y eut un silence et un monumental brai d'âne retentit dans l'air brûlant. De gros éclats de rire, des voix graves y répondirent tandis qu'une voix sans âge implorait la " pitié pour mon âne, une si bonne bête qui n'a jamais failli".

Zorvan se pencha au bord de la falaise et vit tout en bas du grand chemin qui montait, un moine perché sur un petit chariot auquel était attelé un âne sans doute du même âge que le brave homme, enfin, dans son âge d'âne. Autour de lui, une troupe de cavaliers dont on devinait sans peine la nature par leur idiome encerclait l'attelage en faisant piaffer leur monture. Ils n'avaient même pas dégainé la lame, trop conscients du peu de danger que représentait le vieillard.

- Din åsna? Vi gör korv. Du har också en väldigt full, verkar det som. Vet du sjunger den gamla? Eftersom du har hittat en anledning att hålla dig vid liv. Répondit un des plus gaillards en fronçant les sourcils alors que le père Théocolès enlaçait l'encolure de son âne en toussant dans la poussière.
Spoiler:

Un autre répondit, secoué de rire.

-Krigare den stora havet, gamla rädslor för hennes röv. Han tror att vi saknar tjejerna!
Spoiler:

Soudain, un autre cavalier, d'une prestance différente des autres déboucha derrière le chariot et leur vociféra dessus.
- Det är du som är tjejer! Du har inget bättre att göra än ta itu med en gammal man? Du ser inte i fällan?

Spoiler:

Le gaillard leva les yeux vers la falaise et pointa du doigt en direction de Zorvan. C'était diablement troublant mais le gardien de l'Antichambre ne tarda pas à comprendre que c'était le nuage de poussière produit par les chevaux qui avait été repéré et non sa haute stature. Le regard bleu de glace de l'homme était magnifique. Il éperonna sa monture en dégainant une épée aux proportions proprement ahurissantes et se lança sur la pente du chemin bientôt suivi de ses acolytes. Zorvan se tourna vers la petite troupe du grec qui peinait à se mettre en selle et à ajuster ses armes. Démétrios allait en avoir de l'aventure. Le gardien ne savait s'il devait rire du lapsus linguistique de Théocolès qui ignorait qu'âne et cul étaient très proches phonétiquement en norrois, bien qu'il fut déjà louable que le bon père en connut quelques rudiments, ou rager de ne pouvoir prendre part à la bataille qui s'annonçait. Bientôt, les rùs allaient déboucher sur le plateau et Zorvan ne savait pas ce que le grec avait saisi de la situation.
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Message  Invité Mar 3 Juil - 22:41


--Franchissement de la Corne d'Or--
--Réflexion démétrienne sur la Foi de Nestor et la Réalité en Aparadoxis--
Toute la troupe ayant approuvé la proposition du Grec, on se prépara à franchir l'estuaire bien que la porte de Sainte Thédosia n'ait été entr'ouverte que de très mauvaise grâce par des miliciens multipliant les mises en garde.
Les nouvelles étaient inquiétantes. Des dizaines de navires rùs arrivaient du nord, on avait signalé des fumées vers la côte nord-est. Les maigres garnisons maintenues dans les postes disséminés autour de la ville avaient été rappelées dans l'enceinte urbaine. Certaines n'avaient pas répondu. On se battait devant Pera. Photios le patriarche demandait qu'on se rempare dans la ville en attendant le retour de l'Empereur Michel et qu'on prie la Vierge Marie. La ville pouvait soutenir un siège durant des mois en attendant que revienne l'armée partie combattre les Infidèles.
Tous avaient une telle confiance dans leurs célèbres murs qu'ils n'envisageaient même pas de tenter d'empêcher les Rùs de débarquer. Quelques réfugiés de Diplokionon racontaient que des navires effrayants, bariolés, débarquaient de grands diables ricanants, dépoitraillés sous le soleil. Ils vidaient les tonneaux, violaient les filles et découpaient les grands-mères. Il fallait rester à l'abri des murailles si on ne voulait pas être massacré inutilement.
Mais Nestor s'était mis en tête de sauver Sainte Pélagie, du moins sa phalange, et tout en multipliant les signes de croix, il enjoignit aux soldats de mettre deux barges à l'eau et de souquer ferme. Démétrios s'étonna de la ferveur du moine, qui n'avait vraiment rien d'un va-t-en-guerre et s'apprêtait cependant à risquer sa vie pour un petit bout d'os ou plutôt, ce qu'il représentait. Car cet homme craintif n'aurait jamais songé à mettre sa vie en danger pour récupérer seulement un bien matériel, aussi précieux soit-il, et même s'il lui avait appartenu. Démétrios supposait que le prêtre timoré oubliait sa peur, poussé par la Foi, notion dont Nestor lui rebattait les oreilles et dont le sens demeurait obscur à l'Athénien. La foi soulève les montagnes, disait le moine. Les Géants avaient fait de même et ils avaient été expédiés sous le Tartare. La Démesure, l'hubris, est la faute majeure qui appelle la punition. L'héroïsme n'est pas démesure, un dépassement de soi, mais se révèle naturel dans la compétition avec les autres et seuls les forts, les bien-nés, peuvent y prétendre. Pour le commun, s'améliorer signifie seulement connaître ses limites et s'y contenir. Certes, Démétrios s'était souvent senti coincé dans cette façon de voir. Homme médiocre, qu'avait-il à se laisser emporter par des élans, des aspirations s'il n'avait pas les moyens de les accomplir ? Le bien était la mesure, l'équilibre.. Nestor n'équilibrait rien du tout, son dieu vomissait les tièdes et il fallait toujours tendre à à un mieux qui n'était plus l'ennemi du bien mais son prolongement exigé. Ce bon vieux Nestor, homme de paix et d'humilité, armé de sa croix, voulait jouer les héros sauveurs de phalange, comme Achille partant reprendre Hélène ou Thésée délivrant Ariane ! Les monothéistes étaient des gens qui se compliquaient l'existence.
Brandissant son crucifix, Nestor avait donc intimé l'ordre aux soldats de ramer . Démétrios en profita pour rassembler ses esprits. Il était devenu le stratège de la petite troupe et scruta la rive gauche qui se rapprochait pour estimer le terrain. La ville y avait envoyé des antennes de son activité selon les fluctuation de sa prospérité : des appontages, des entrepôts de transition, des fermes mêlées à des maisons disparates, quelques belles demeures entre des arbres et évidemment des clochers et des coupoles marquant ermitages et petits couvents. Le tout, disséminé sur des collines encore champêtres, composait les faubourgs d'une cité redevenue prospère et qui débordait de ses murs. Mais tout semblait déserté en ce jour. Les pilleurs pourraient s'y répandre sans opposition. Il fallait faire vite.. L'excitation gagnait Démétrios. Son caractère volontiers méditatif, voire songe-creux, connaissait aussi de brusques élans vers l'action, la prise en main d'évènements qu'il décidait soudain d'infléchir selon sa seule volonté.
Si Zorvan avait voulu jouer le rôle de chef, le Grec n'aurait cependant pas objecté. Derrière le Gardien, il voyait toujours l'ombre du Dévoreur et il conservait intacte sa confiance dans le mystérieux voyageur au long manteau ...Cette présence de Zorvan avait aussi son côté rassurant, mais elle colorait le présent d'Aparadoxis d'une teinte de surnaturel ou de rêve éveillé qui demeurait toujours à l'arrière-plan de sa conscience. Au contraire, le souvenir du Dévoreur était fixé dans un paysage attique dont la permanence dans sa mémoire n'était jamais remise en doute. Démétrios se disait que s'il retrouvait un jour l'ex-prince des Ours, quel que soit le lieu ou le moment, il retrouverait en même temps le sentiment de sa propre réalité.
Mais le moment présent n'était pas à la méditation sur l'être ou le néant. La phrase brutale du Gardien le renvoyant à ses choix poussa le rêveur à se recentrer sur le présent. D'autant qu'un moustique venait de le piquer dans le cou. Il l'écrasa d'une claque bien placée, sans s'interroger davantage sur le degré de réalité que présentait la bestiole.

-- A travers faubourgs et collines --
-- Adieu, Nestor --
Le débarquement se fit au départ d'un chemin qui montait dans les collines. Tout semblait abandonné.. la porte d'une étable, restée ouverte, montrait qu'on avait emmené les animaux en se repliant sur la ville. Seules, quelques poules picoraient les talus. Mais deux ou trois maisons de maître étaient fortement barricadées , avec des charrettes bloquant les entrées, des bruits de voix derrière les murs, et on sonnait la cloche d'alarme quelque part, dans un couvent sans doute. Tous n'avaient pas voulu abandonner leurs biens.
Les soldats prirent un chemin conduisant à un pré où selon eux, on gardait des chevaux pour la remonte. Avec un peu de chance on pourrait y trouver des montures passables et peut-être, dans un petit fortin voisin, des armes pour Démétrios. Les jeunes.étaient de plus en plus de plus en plus agités à l'idée de devenir de vrais guerriers. Ils voulaient des lances, en plus de la courte épée remise aux civils enrôlés dans la défense urbaine, et pourquoi pas une broigne et un casque ?.et bien sûr, des arcs. Frères jumeaux, bien que se distinguant sans peine l'un de l'autre, ils avaient décidé de se mettre au service de Démétrios : Il était grand, bizarre, exotique, il parlait avec un accent terrible, il avait sauvé Nestor, et c'était un païen avec un bonnet magique qui repoussait les flèches. Et surtout, il n'avait pas haussé les épaules quand ils s'étaient portés volontaires, il n'avait pas grogné des remarques désobligeantes sur les blancs-becs qui feraient mieux d'attendre que la barbe leur pousse pour se croire des hommes. Ils ignoraient que les frères de Démétrios avaient tous à quinze ans suivi leur père en campagne et qu'il pensait encore à sa rage d'avoir dû obéir à sa famille et de ne pas avoir suivi Démoclès à Chéronée, quitte à y mourir à ses côtés. Il avait donc pris les garçons très au sérieux et ceux-ci ne le quittaient pas des yeux, négligeant ostensiblement le sergent d'armes contempteur de la jeunesse.
Avant même d'arriver au pré, on trouva deux montures, en conséquence d'un accident où le conducteur s'était tué, précipité en contre-bas par le versement de son chariot qui avait épargné les chevaux. Les gardes y virent crûment un signe de chance pour l'expédition, avec un manque de charité que Nestor réprouva aussitôt. Il dit une courte prière pour l'âme du malheureux tandis que Démétrios et les garçons dételaient les animaux, de grosses et grandes bêtes fort bonasses. Démétrios avait déjà noté que les chevaux étaient, en ce temps, devenus bien plus grands que ceux de son époque et qu'ils ne servaient plus seulement à la guerre ou aux jeux. Ceux-là traînaient une vulgaire charrette et il admira leur corpulence. Ce ne devait pas être facile de monter là-haut ; la selle et les étriers étaient vraiment un des apports utiles du millénaire écoulé . Il se promit d'essayer en un moment moins grave.

On était à hauteur du souterrain conduisant au monastère et le moine, sitôt l'ouverture dégagée, bénit tout le monde et très ému, regarda son catéchumène :

-Ah ! Démétrios, le coeur me fend de vous voir partir sans vous avoir baptisé, alors que le danger guette et que les démons nous entourent.

-Ce n'est pas grave ! Si je suis tué, j'expliquerai à votre Dieu que je voulais être baptisé, dit Démétrios en souriant gentiment afin de ragaillardir le bon père, et il ajouta pour montrer qu'il avait été bon élève et connaissait les usages: Il me fera miséricorde et me baptisera lui-même. Alleluia !

]Nestor sembla interloqué, puis attendri, et ajouta seulement une bénédiction supplémentaire avant de disparaître avec cinq des gardes, les cinq autres, dont le sergent Nicanor, restant avec Démétrios.

--Sous le signe du cheval--
--Voilà les Rùs ! --

Deux chevaux pour huit hommes . Démétrios ne pouvait connaître la légende des Quatre Fils Aymon qui, sur leur unique cheval Bayard, cheval magique et extensible, franchissaient d'un bond monts et vaux des forêts d'Ardenne. Mais Nicanor lui-même lui tendit les brides du cheval de flèche et ce fut donc en chef qu'il les prit et qu'il indiqua aux jumeaux d'avoir à l'imiter avec le second animal. Les autres gardes ne semblèrent pas désireux de leur contester ce privilège.
Démétrios n'était pas un cavalier entraîné militairement, mais sa famille possédait des chevaux et tout enfant, il avait suivi ses frères au petit galop sur les pentes caillouteuses de l'Hymette ou le long de l'Ilyssos. Théramène les surveillait au départ et ne jurait que par le traité d'équitation de Xénophon qu'il citait à tout propos :

color=orange]- Vous êtes encore assis ! Un cheval n'est pas une chaise ! Jambes écartées, par Zeus ! Restez debout ! Descendez la jambe ! [/color]
Démétrios était habitué à monter à cru ou sur une peau fourrée. Bien qu'il ne soit jamais monté sur un si grand cheval, il n'hésita pas, prit son élan, en se tenant fermement à une touffe de crins, sans tirer sur la bouche, comme le demande Xénophon, - et se retrouva les jambes écartées en demi-cercle autour des flancs rebondis. Xénophon n'en demandait pas tant. Mais l'exemple plut aux jumeaux qui tentèrent de l'imiter en s'aidant mutuellement tout en riant de l'aventure. Ils avaient le charme des Dioscures, figures traditionnellement associées aux jeunes cavaliers. Démétrios se sentit fraternellement ému. Pour une fois où il était le grand frère ! Depuis qu'il était en Aparadoxis, il n'avait rencontré que des brutes, sauf Nestor qui n'avait guère de charme. Et aussi les demoiselles d'Abydos qui monnayaient les leurs.
On rejoignit ainsi le pré du poste de garde. Zorvan, que Démétrios avait perdu de vue depuis un moment, semblait les y attendre. Où allait-il dans ces intervalles ? Dans son Antichambre, accueillir quelque nouvel arrivant ou bien dans un des autres mondes que Démétrios avait refusés ?
Ce fut une bonne surprise de trouver cinq chevaux en liberté ; on leur avait ouvert les portes pour qu'ils s'enfuient avant l'arrivée des Rùs, mais ils se trouvaient bien là, au frais et au vert, et n'avaient donc pas quitté leur pâtis. Ce n'était certainement pas les meilleurs qu'on avait abandonnés, mais ceux-là n'étaient pas des barriques à pattes. Tandis que Démétrios descendait de son tonneau, Castor et Pollux partirent chercher les autres chevaux. Les gardes avisèrent des lances abandonnées contre un mur et non loin, un appentis avec quelques selles poussiéreuses. Deux hommes refusèrent de quitter leur rang de piétaille, par manque de pratique à cheval. Démétrios aperçut un glaive à peine plus long que l'épée courte grecque qu'il savait assez bien manier, grâce à Lysias qui le poussait à s'entraîner, même après l'éphébie. Il prit l'arme au passage et passa la courroie à l'épaule.

Son grand-père, appuyé par Xénophon, lui ayant toujours recommandé la douceur envers un cheval, Démétrios enleva le harnachement de sa monture– mors et rênes ayant changé eux aussi en douze siècles – lui donna une tape amicale sur le col et le laissa aller vers le pré. Puis il se dirigea vers la porte fermée de la construction et la fit sauter de trois coups de pied dans la serrure. Il ressortait, avec des arcs et flèches et un casque d'écailles qu'il jeta à Flavius quand, en bas de la pente, on entendit un âne, protestant de ce ton indigné qu'ont tous les ânes, quel que soit le siècle, quand on dérange leurs projets.. Puis des voix indistinctes. Zorvan alla se pencher sur le bord du chemin. Les gardes sellaient déjà leurs chevaux. Démétrios fonça à hauteur du Gardien, qui aurait pu lui dire ce qu'il voyait et comprenait, et en contre-bas, aperçut un vieux moine sur une charrette. Il tenait tête du moins verbalement à une demi-douzaine de cavaliers, grands et forts comme des ours, avec de longs cheveux plus ou moins tressés ou pendants, couleur de rouille ou de sable, sous un casque oblong. Ils étaient bruyants, assez hirsutes et torse nu, la poitrine noircie par la sueur et la poussière ; mais de belles armes et fière allure. Moitié déçu - ces bonshommes hilares et mal soignés, des Rùs ? et moitié impressionné - de solides gaillards, ces bateliers du Boristhène ! - Démétrios décida de ne pas chercher à savoir ce qui se passait. Les bribes de phrases qui montaient jusqu'à lui étaient en une langue inconnue, que Zorvan semblait comprendre car il eut un petit sourire comme à une plaisanterie.. Mais il garda son savoir pour lui.
Il fallait s'équiper au plus vite pour délivrer ce moine qui ressemblait fort à Théocolès, vieux, moine, avec petite charrette.

--Avant la bataille--
Trois minutes plus tard, le Grec passait ses troupes en revue. Démétrios avait pour lui-même sagement remis à plus tard la pratique de la selle, dont Xénophon n'avait rien dit. Il était monté sur un cheval noir peut-être un peu borgne, et qui avait résolument refusé de piaffer. Démétrios n'insista pas, bien qu'un cheval piaffant sous un général donne du coeur aux hommes....
Mais un coup d'oeil aux hommes suffisait à justifier le refus du cheval .
Plus Dioscures que jamais, les jumeaux avaient gardé leur large monture et caracolaient joyeusement. Flavius, en croupe, était,selon son frère, un archer remarquable, et il se proposait de tirer de côté tandis que Solus, casqué, envisageait de pousser le cheval pour culbuter l'ennemi terrorisé. Deux des trois cavaliers se tenaient à leur lance plus qu'ils ne la tenaient et rien que l'idée de les voir dévaler la pente donnait le vertige à leur capitaine improvisé. Mais son regard se posa sur Zorvan, lequel visiblement s'apprêtait tranquillement à assister au spectacle, et il se sentit soudain plus irrité qu'abattu. Zozor aurait bien encore mérité qu'on le menace du lac Trasimène, mais le moment n'était pas aux chansons et puis le Gardien avait bien prévenu qu'il n'interviendrait pas. Démétrios entendit monter une voix plus forte, devenue menaçante, et dit hâtivement au sergent Nicanor, celui qui savait tenir une lance :

- Nous deux, on attend juste après la sortie du chemin. Les autres se cachent le plus longtemps possible sur le côté qui forme entonnoir. A mon signal, Nicanor, tu fonces sur le Rùs de droite. Au galop, dans ce chemin, ils ne seront pas plus de deux de front... Et on est au dessus d'eux. Ne l'oublie pas. Moi, je saute à terre et je prends l'autre Rùs aux jambes. Ils devraient quand même être ralentis et gêner les autres.

Le Grec espérait plus qu'un simple ralentissement, mais il faut mieux être heureusement surpris que déçu au début d'un combat. A la fin, la déception, se muant en désespoir, redonne parfois une sorte de rage capable de miracles. Au commencement, elle ébranle la confiance en soi, surtout chez les amateurs, et Démétrios se sentait horriblement amateur. Il poursuivit cependant en affermissant encore sa voix :

-Vous deux, Damon et Cosmas, vous partez derrière nous pour arriver exactement quand nous en serons à découdre avec les premiers, vous faites ce que vous pouvez pour mettre au moins vos lances dans les jambes de leurs chevaux. Faites alors comme moi : tous à terre, les chevaux devant nous et l'épée sortie. On sera quatre de front. Au plus près du corps, car ils ont de grandes armes. Vous, les hommes à pied, vous arrivez aussitôt par le talus et frappez d'en haut. Il faut les emmêler avant la sortie. S'ils gagnent le pré, on est fichu. Calculez bien le moment où vous intervenez. Il ne faut pas leur laisser le temps de réagir

On entendit se préciser la ruée de chevaux qui montaient la pente. Les Byzantins prenaient déjà position. Démétrios regarda vers les jumeaux. Ils semblaient avoir communiqué leur entrain à leur gros cheval qui secouait sa crinière et s'agitait, maintenu bien en main par Solus, fier cavalier sous son casque d'écailles :

-Castor, tire en visant le buste et Po .. Solus, ne reste pas immobile. Ne mettez pas pied à terre. Si ça tourne mal pour nous, retournez à la ville pour ..pour.. demander du secours. Ils sont six, on est huit. On a nos chances.

--Mêlée--


Huit soldats d'occasion, dont deux gamins, contre sept guerriers aguerris..Les chances étaient minces mais le rusé Ulysse avait vaincu le monstrueux cyclope et Démétrios était grec.

Il poussa vigoureusement son cheval, mais il n'avait pas l'intention de charger à la lance. Avec un javelot, passe encore, mais allez donc charger sans étriers ni selle et en portant une lance de dix pieds. Et les lances byzantines étaient encore plus longues que les grecques. Le glaive servirait, mais après la lance, ainsi que procédaient les hoplites. La lance était l'arme noble. Comme exercice recommandé par Xénophon, les cavaliers athéniens s'entrainaient cependant à monter à cheval rapidement en s'aidant d'une lance. Etriers et selle devait vraiment faciliter la mise à cheval, surtout quand on prenait de l'âge et du poids...Xénophon disait ...Des souvenirs traversaient en éclair l'esprit enfiévré de l'Athénien et leurs images familières le calmèrent un peu. Le bruit de la calvacade s'amplifiait. Heureusement, le chemin montait en lacets et leur donnait le temps de prendre position. Dans la dernière boucle, Démétrios vit avec conternation que les Rùs étaient sept, le septième étant le chef qui les conduisait, brandissant une épée digne d'un Titan.
Mais on n'y pouvait plus rien et Démétrios et Nicanor à ses côtés, du haut de leurs chevaux, virent monter vers eux un groupe de centaures vociférants. Le Grec pensa un instant à ces diables déchaînés qui lui étaient apparus dans Constantinople, avec leur musique de tonnerre et leurs rugissements.

C'était le moment. En criant : On y va ! il poussa férocement son cheval vers la pente, vit du coin de l'oeil passer Nicanor bien appuyé sur ses étriers, tenant la lance allongée à deux mains, comme le voulait le geste du lancier byzantin, et le Grec sauta immédiatement du cheval au galop, après avoir jeté sa lance devant lui. Le cheval libéré suivit celui de Nicanor. Héhé, il avait été bon au gymnase et avait gardé sa souplesse et aussi son coup d'oeil. Il toucha terre, ramassa sa lance et était en position quand les Rùs, qui n'avaient pas ralenti, furent sur eux. . l'arme prit le cheval du chef en plein poitrail. Elle se rompit sous le choc, le cheval s'effondra en tumulte de membres convulsifs et de hennissements, tandis que son cavalier cherchait à se dégager, gêné cependant, et par le désordre total que le plan de l'Athénien avait suscité et par sa grande épée qu'il n'avait pas lâchée .
Démétrios eut le temps de saisir la sienne et de la main gauche prit un tronçon de lance - car les hoplites jouent autant du bouclier que de la lame – avant de se jeter vers le chef. Les lances de Damon et de Cosmas arrivaient alors sur le deuxième rang ennemi, mais avec moins de succès, le choc les précipitant tous deux à terre près de leurs montures déséquilibrées.
Démétrios fut sauvé provisoirement par l'enchevêtrement de quatre chevaux affolés, dont un à terre, blessé et se débattant dans son sang, deux tentant de se relever, des lances enchevêtrées dans les rênes. Celui du Rùs libéré de son cavalier par Nicanor dès le premier heurt, voulait absolument redescendre la pente et mettait à lui seul plus de pagaille que tous les autres. Le cheval noir voulait se coller contre celui du sergent, lequel cherchait à faire volte face pour rentrer au pré. Le guerrier rùs de Nicanor en tombant avait dû s'assommer, mais il commençait à reprendre conscience. Nicanor aussi était à terre, couché sur le nez, et complètement inerte.
Les deux gardes à pied dévalaient à leur tour du talus, lances pointées bas. L'un, assez adroitement, arriva entre le Chef Rùs, qui venait enfin de se remettre debout, et le cavalier suivant, désormais bloqué, et il glissa sa lance sous le ventre du cheval qui se cabra en bousculant ceux de l'arrière, obligeant le chef à se retourner pour éviter les sabots battant l'air. Démétrios, prêt à parer avec son bois de lance, épée bien en main, s'apprêtait à la pousser sous les côtes du géant, dont les yeux bleus de glace lui firent froid dans le dos. Il avait fallu à peine trois minutes pour que le plan prévu se réalise. Après ce serait à chacun d'improviser selon les circonstances.

Juste à ce moment, Zorvan , qui se déplaçait en haut du talus, sans doute pour mieux voir la suite des évènements, fut rattrapé par les jumeaux qui le traversèrent au galop et arrivèrent devant l'entrée du chemin où Solus fit tourner le cheval. La flèche de Flavius siffla.
















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Message  Zorvan Mer 11 Juil - 0:32

Zorvan se posta sur un talus qui faisait face au débouché du chemin pour ne rien perdre de la bataille. Il avait prêté une oreille intéressée aux ordres de Démétrios à ses troupes néophytes. La tactique du grec ne manquait pas de piquant et si le gardien n'avait jamais combattu contre des Rùs à cheval, il songea qu'il n'aurait pas imaginé mieux que l'athénien étant donné le peu de temps qu'il avait pour improviser une embuscade. Là d'où venait le régent de l'Antichambre, les combats à terre se déroulaient non sur des chevaux mais sur des lythans, quadrupèdes souples et fins mais carnivores qu'on ne nourrissait qu'après le combat. Il fallait aussi être excellent cavalier et avoir l'esprit déterminé pour dominer sa monture par la simple transmission de pensée. Il eut quelques images résurgentes d'un combat mené au sommet d'une montagne contre des ennemis enragés qui voulaient les précipiter dans leur élan au fond d'un cratère en fusion. Il avait ordonné à son escadron de se dérober et ce furent les gotwars eux-mêmes qui se trouvèrent précipités dans la fournaise avec leurs destriers mécaniques. Le tout avait fondu dans un inextricable mélange de metal en fusion et de chairs brûlées. Atroce ... Pour le coup, la configuration du terrain était un peu différente. Point de précipice au sommet de cette colline abrupte. Le seul ravin était celui d'où montaient les Rùs enragés. Le choc promettait d'être rude et il le fut. Démétrios, en bon chef de guerre s'était engagé résolument contre le meneur dont il abattit presque aussitôt la monture. Les armes des humains n'étaient pas très solides parce que faites de matière tangible et donc propices à être brisées. Ces guerriers byzantins n'étaient pas formés à se servir de leur esprit ou de leur Foi pour bouter l'ennemi. Point de trait plasmatique fait du mens du combattant et jaillissant de sa paume ou de cri sacré venu de l'anima et propre à figer l'ennemi dans une gangue de glace. Les cavaliers sous les ordres du grec criaient bien mais seulement pour se donner du courage. Celui qui se nommait Nicanor ne manquait pas de courage et avait précipité son adversaire dans une chute qui les avait tous deux sonnés. Les jumeaux, avec la fougue de la jeunesse s'étaient jetés dans la mêlée et si l'intention première n'était pas atteinte, ils achevèrent de mettre la pagaille dans les rangs varègues avec la complicité des fantassins.

Le spectacle était fort divertissant jusqu'au moment où les frères remis en selle s'étaient à nouveau lancés sur l'adversaire, ayant fait volter leur lourde monture, et étaient passés à travers le gardien. Voir un équidé de quatorze quintaux se ruer sur lui et le franchir ne fut pas des plus agréables même si ce n'était pas douloureux. Se voir ensuite traversé d'une flèche décochée par Flavius fut même assez agaçant et frustrant. Zorvan bouillonnait à présent de rage de ne pouvoir prendre part à la curée. En contrebas, les derniers cavaliers rùs commençaient à s'organiser et déviaient leur trajectoire pour contourner l'enchevêtrement de chevaux agonisants et de cavaliers empêtrés. Le chef et un de ses acolytes qui avait été désarçonné par Nicanor étaient à nouveau sur pied. Mais ce dernier prit dans l'épaule le trait du jumeau et poussa un rugissement digne d'un lion. Il se rua sans crainte aucune au devant du cheval lourd des jouvenceaux et l'agrippa à l'encolure alors que Solus surpris n'avait pas eu le temps de dégainer son glaive. Le nordique lui planta les dents dans la cuisse et provoqua le hurlement du jeune homme. Pendant ce temps, un des cavaliers rùs de l'arrière garde avait gravi la pente en faisant sauter son cheval par dessus des bosquets épineux pour parvenir à hauteur de l'homme aux yeux de glace. La pauvre bête en avait le dessous du ventre et les flancs déchirés. Les arbustes de la corne d'or avaient leurs propres armes. Pourtant le barbare sauta à bas de sa monture pour la céder à celui qui devait être son chef. Celui-ci sauta en selle avec une habileté étonnante pour sa corpulence et brandit sa terrifiante épée en hurlant à faire tomber les feuilles des arbres.

L'homme ne se trompa pas de cible en fonçant sur Démétrios, faisant des moulinets avec sa lame comme s'il avait manié un stylet. Pendant ce temps, le rùs démis par Nicanor, ayant lâché la cuisse ensanglantée du jeune Solus, s'avançait vers le corps immobile de son ennemi, dans une volonté évidente de laver l'offense et les quatre autres cavaliers coincés dans la pente, ne tardèrent pas à suivre l'exemple de leur frère d'armes et à grimper la colline à travers les cactées et arbustes aux branches acérées. Ils se ruèrent, le sang ruisselant des côtés de leur montures, sur les fantassins qui se replièrent derrière le cheval des jumeaux en jetant des cris d'effroi. Les cavaliers de l'apocalypse se détournèrent pourtant d'une proie si facile et désemparée pour chercher le contact avec les autres cavaliers de Démétrios... Lequel avait fort à faire pour éviter le tranchant qui tournoyait autour de sa tête dans un sifflement lugubre. Le bel effort de cette troupe improvisée avait porté ses fruits un temps. Des chevaux étaient morts, des rùs décontenancés, couverts encore plus de poussière qu'ils ne l'étaient , contusionnés, griffés. Du côté des hommes de la sainte ville, l'un était assommé, l'autre mordu au sang, un morceau de cuisse arrachée. Si peu ... Quelque chose n'allait pas. Zorvan fronçait les sourcils. Pourquoi les varègues n'étaient -ils pas plus féroces ? Le chef lui-même semblait se battre contre Démétrios comme pour se distraire. Car le grec se défendait avec courage, et plutôt bien, courbant le dos, faisant tourner sa monture pour éviter le couperet horrifique de la grande épée qui donnerait plus tard la claymore des écossais, piquant ça et là d'estoc le dos et les bras de l'adversaire qui mettait du temps à se mouvoir. On aurait dit un ours se débattant contre des abeilles. Le colosse avait quand même entaillé le flanc de l'athénien qui semblait si élégant dans sa façon de combattre par rapport à la lourdeur du chevelu, lequel aurait pu le défaire simplement en chargeant même s'il risquait d'être blessé. La longueur des lames n'avantageait pas le grec. Les jumeaux étaient aussi en détresse maintenant que les cavaliers avaient réussi à contourner le premier carnage. Solus, la cuisse pendante de sa première atteinte, avait du mal à mener son cheval alors que Flavius avait renoncé à user de son arc avec lequel il faisait pourtant merveille mais qui était inefficace dans un combat rapproché. Quant aux autres cavaliers, leurs chevaux légers se faisaient pousser par les montures râblées et compactes, rustiques, carapaçonnées comme des tortues. Les fantassins s'étaient depuis longtemps réfugiés derrière la cabane pour tenter de tenir une position concrète. Ils auraient du tous être massacrés depuis longtemps après l'heure de gloire première. On aurait pu penser , en voyant les varègues se battre ainsi à l'économie, qu'ils s'amusaient tel un chat ayant trouvé une souris ou qu'ils attendaient un signal pour donner l'hallali. Alors ? Que se passait-il dans la caboche de ces païens du nord ? Un cri retentit plus bas, plein de détresse et d'effroi.

- Par notre Sainte Marie et par notre bonne patronne Sainte Sophie! Pas le reliquaire! Dieu, notre Père tout puissant! Ne permettez pas que l'âme de votre bonne servante, Sainte Pélagie soit souillée par ces mécréants !

Presque aussitôt, une voix forte et gutturale couvrit les protestations du moine.

- Vår stora krigare Ingvar! Krigarkonung! De har guld! Vi fann sin skatt!

Spoiler:
A ces mots, le grand colosse fit volter son cheval et piqua des deux en dévalant la pente comme s'il avait eu les trente démons à ses trousses. Il planta là Démétrios qui, dans la confusion avait trouvé le moyen de lui entailler le bras de belle manière avec son épée courte, ce qui ne semblait pas affecter le barbu plus qu'une piqûre de moustique. Zorvan s'était recomposé après avoir été transpercé à maintes reprises et s'était rapproché du bord du précipice. Le géant roux s'était précipité vers le charriot du bon père qui se trouvait encerclé par de nouveaux cavaliers- cette fois l'affaire semblait diablement mal engagée pour le grec et ses lieutenants- et il exhibait à bout de bras un coffret qui semblait chatoyer aux rayons du soleil. Consternation dans les rangs de Démétrios qui continuaient à lutter pour leur vie, les cavaliers rùs faisant reculer les montures légèrement équipées de leurs destriers lourds et harnachés, alors que Flavius et Solus essayaient de se porter au secours du malheureux Nicanor qui revenait à lui, le cou sous la lame de son ennemi. Pourtant les guerriers rùs comme les byzantins arrêtèrent de ferrailler lorsque le ton monta autour de la charrette.
- Vår är med Ingmar, vår krigare ledare! Vår klan är stor och han är rik! Döda dem alla! Hurla un des guerriers à côté du charriot.
Spoiler:
Celui qui semblait les mener et se dénommer Ingmar, le colosse aux yeux de banquise, s'approcha de cet homme qui gueulait et lui flanqua, un magistral coup de poing au visage qui le fit taire net et basculer de sa monture, tout en marmonnant entre ses dents.
- Girig skvätten född av en åsna! Det är bara smulor av sin förmögenhet.
Spoiler:
Puis il s'empressa de hurler vers le sommet de la colline:
- Vänta! Döda inte dem för snabbt! De har saker att säga!
Spoiler:

Mettant dans sa besace de selle la Sainte Relique sous le regard mortifié et malgré les hoquets du bon père Téocolès, le rùs piqua les flancs du cheval qu'il montait et gravit la pente en direction de Démétrios. Il s'arrêta net à sa hauteur, faisant cabrer son cheval, puis se dressant sur ses étriers qu'il avait fort larges, il harangua ses compagnons en riant.

- Prick sina sidor av din bladet. Men dödar inte bara ännu!
Spoiler:

Puis se tournant vers Démétrios, il lui adressa un sourire cruel en pointant sa lame lourde et affutée vers le torse du grec.

- Toi pouvoir vivre pauvre ou mourir pauvre ! Que choisir ? Dis-moi le passage rapide pour la grosse part du trésor de votre Dieu. Ingmar laisse partir tes hommes. Toi dire vite, mes hommes aiment le sang. Si ta langue fait trop attendre Ingmar, lui plus retenir la force de l'esprit de l'Ours et vous, ventre ouvert et tête coupée avant Árvak et Alsvid fini leur course dans le ciel.

Zorvan, les bras croisés, un petit sourire aux lèvres, hocha la tête en murmurant.

- Soit il a oublié d'être bête, ce barbare, soit il est très bien renseigné. Je ne sais pas comment il peut supposer que vous savez comment aller au monastère ou s'il parle de Sainte Sophie elle-même, ce qui serait encore plus audacieux, mais il sait très bien que le doigt de la sainte, c'est du pipi de chat à côté de ce que les moines cachent derrière les murs.


Comme Démétrios ne répondait rien, sans doute cherchant à gagner du temps pour réfléchir à une échappatoire, Ingmar fit un signe au guerrier qui tenait Nicanor sous sa lame et celui-ci sentit le fil presser la peau fine de son cou, y traçant un sillon sanguinolent. Le pauvre suait à grosses gouttes et lançait des regards éperdus à Démétrios, des regards de bovin sous le couteau du boucher.

- Ingmar trouver passage en lisant les traces des chevaux et de l'asna mais piste durer longtemps et Igmar pas bonne humeur alors. Quand je suis mauvais, je tue. Toi dire passage rapide et ouvrir porte dans les murs pour petite armée Ingmar. Bon troc pour vous. Vies des hommes pas habitués pour se battre, eux mourir vite, contre trésor. Autres guerriers venir derrière moi, autre clan, eux pas de troc, vous tous morts.

Le gardien de l'Antichambre se grattait la barbichette en riant de plus belle. Il trouvait déjà miraculeux que personne ne fut mort. Aparadoxis lui faisait du western en carton pâte à la sauce peplum nordique mais il savait que ce n'était qu'une mise en bouche, une alternative intéressante, à saisir, car bien sûr, il faudrait se battre vraiment à un moment et il y aurait des morts. Que ce soit contre la bande d'Ingmar qui finissait d'escalader la colline, à présent une bonne trentaine de guerriers à vue de nez ou contre les clans qui vociféraient encore dans leurs langships le long de la côte. C'était impressionnant et cela faisait froid dans le dos. Les quelques embarcations du début de journée s'étaient vues rejointes par une nuée de voiles bariolées et rayées qui poussaient sous le vent de longues coques plates et recourbées de poupe comme de proue, cette dernière étant rehaussée de gueules béantes et hideuses à faire peur. Et cela fonctionnait, tout le littoral tremblait de peur, sauf les varègues qui ne se craignaient pas entre eux mais guettaient au contraire l'occasion d'en découdre entre tribus, et sauf, peut-être ce fichu grec de Démétrios qui semblait butté, retranché sous son bonnet.






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{Achevé} Démétrios face au Miroir  Empty Re: {Achevé} Démétrios face au Miroir

Message  Invité Jeu 26 Juil - 14:27

Goliath varègue contre David hellène.

Démétrios vit avec plus d'irritation que de surprise le mouvement tournant que les derniers Rùs effectuaient pour venir au secours de leur chef. Il l'avait plus ou moins pressenti quand il avait signifié à ses hommes que s'ils ne parvenaient pas à bloquer le passage aux assaillants, ils perdraient leurs modestes chances de les vaincre.
Le meneur, qui dépassait Démétrios de toute la tête, sauta immédiatement en selle et se tourna sur le Grec en hurlant. Celui-ci fut fort désappointé de voir son ennemi si vite remonté, ce qui accentuait de nouveau le désavantage de son épée courte. A terre et sans lance, il n'avait aucune chance. Pour atténuer sa déception, il classa immédiatement le géant dans la méprisable catégorie du Barbare Braillard. Mais dans un recoin de son esprit, il ne pouvait s'empêcher de trouver très excitante cette éructation de bête fauve. Il aurait bien aimé savoir beugler ainsi. Tout ce qui lui venait à l'esprit était le début de l'Iliade :
Chante, Déesse, la colère du Péléide....

C'était beau, mais il n'avait vraiment rien d'Achille et ne bouillait jamais qu'à très petit feu.
Cependant il eut l'étrange sensation que la puissance sauvage de ce cri l'avait lui-même libéré de toute contrainte et s'il ne se mit pas à rugir lui aussi, c'est qu'il sentit que sa voix ne serait pas à la hauteur du grondement rauque qui avait secoué les échos de la pente. Il se contenta de dénuder ses dents en un rictus qui se voulait menaçant et para le premier coup d'épée qui lui fonçait dessus. L'arme glissa sur le tronçon de lance aussitôt brandi de biais. Mais la force du coup lui arracha ce bouclier improvisé et sentant qu'il n'avait plus que la rage comme ressource, il fonça vers le cheval de son adversaire, espérant renouveler à l'épée ce qu'il avait réussi à la lance lors du premier engagement. Le Rùs n'eut aucun mal à détourner le coup destiné au cheval, mais sa propre lame aussitôt relevée ne fit que tournoyer au dessus de la tête du Grec qui avait plié les jambes sitôt qu'il avait perçu son échec. Il n'avait plus que l'infime supériorité de tenir moins de place que son adversaire, qui devait manoeuvrer pour se remettre en position et tenter de le cueillir d'un revers . Mais le chemin demeurait encombré et l'énorme centaure avait du mal à déplacer rapidement sa masse pour atteindre ce bizarre Byzantin dont les blonds cheveux sortaient d'une coiffure certes dépenaillée mais suffisamment étrange pour qu'elle n'ait pas une utilité cachée.
Démétrios esquiva encore un moulinet mais son coeur bondit quand il vit son cheval noir qui revenait vers lui, cherchant une issue dans la mêlée. Attrapant au vol une poignée de crinière, il s'élança sur le dos de l'animal avec tant de rapidité qu'il se retrouva derrière le Rùs, ce qui lui permit un court instant de reprendre l'avantage. Il aurait eu une arme plus longue, il aurait pu, en remontant sur le flanc de l'ennemi, lui infliger un coup sévère, sans parade possible. Mais l'épée ne fit que taillader le cuir de la selle, manquant la main que le Rùs ramenait pour faire valser son cheval.
On entendit la jeune voix d'un des jumeaux pousser des cris de douleur mais Démétrios ne quittait pas des yeux cette gigantesque lame qui ne le manquait à chaque fois que d'un pouce, mais le manquait quand même, grâce à l'agilité du cheval noir, aux conseils de Xénophon et aux leçons du grand -père – Démétrios ! Par Hercule ! Tu n'es pas assis sur une chaise !
En ces instants, peut-être ses derniers, l'Athénien éprouvait une étrange satisfaction à mener si bien son cheval, à le sentir répondre à la moindre indication venant de l'assiette, du regard, pourquoi pas du mental même. C'était un cheval idéal malgré son mauvais oeil et il méritait de s'en sortir. Se mordant les lèvres pour mieux se concentrer, Démétrios se mit à compter les coups esquivés avec un sorte de jubilation, comme si le dernier, qui ne manquerait pas de venir et qui serait fatal, n'était finalement pas si important, puisque, jusqu'au bout, il se serait défendu, bien défendu, sans désespoir et comme en s'amusant. Cheval, cheval, n'est-ce pas que nous l'aurons bien fait tourner en chèvre, ce gros braillard ?...
...Et pour ce bref instant présent, c'étaient eux, le petit Grec et sa monture, qui menaient la danse.

Le premier coup qui l'atteignit prit Démétrios de côté, au défaut de la hanche, et seul le mouvement de son cheval empêcha l'épée de pénétrer profondément. Il sentit le choc, ne perçut pas immédiatement la douleur mais le sang qui coulait sous sa belle tunique byzantine. Il poussa son cheval dans un passage qui s'ouvrait et, sans y prêter grande attention, entendit se lamenter Théodoclès plus bas sur le chemin. Il se sentait étourdi, accablé soudain d'une fatigue extrême comme si ses forces s'écoulaient avec ce sang qui poissait toute sa jambe gauche. Les fatigues de la journée semblaient avoir été libérées par ce coup qui engourdissait sa cuisse d'un sourd élancement. Le Rùs allait venir vers lui pour l'achever. Il réagit en conséquence, sentant que ce serait le dernier geste violent qu'il serait capable de faire. Se retournant brusquement, entraînant son cheval dans une volte insensée, il lâcha les rênes et plongea ,l'épée levée à deux mains, pour l'abattre sur le géant. Au moins, l'autre verrait que les Athéniens savaient se battre jusqu'au bout. Mais au moment où en effet, il allait fendre le visage du grand roux, s'éleva un appel dans cette langue rugueuse des Varègues. A sa stupeur, le colosse venait de faire volte-face et l'épée de Démétrios ne lui entailla au passage que l'avant-bras. Le sang se mit aussitôt à couler mais le blessé continua son chemin sans broncher, son cheval dévalant le sentier en soulevant un nuage de poussière et faisant gicler les cailloux. Démétrios se sentit devenir inexistant et pris d'un léger vertige, se cramponna un instant à la crinière de son cheval en fermant les yeux.

Démétrios se risque dans l'anthropologie physique des peuples nordiques
Il entendit alors un de ses hommes s'exclamer près de lui :

- Ils ont le reliquaire !

La nouvelle ne l'affecta guère mais le ramena à la réalité. Ouvrant les yeux, il se rendit compte que lui et ses compagnons étaient à la fois vaincus, prisonniers et vivants.
C'était fort étonnant, car Nestor avait souligné l'extraordinaire férocité des Rùs. Ils buvaient le sang de leurs ennemis dans des crânes et on les soupçonnait d'anthropophagie. Démétrios l'avait cru sans peine car sa vision des peuples du Nord avait été celle de son temps. Les Keltoi étaient connus pour être des guerriers effrayants, dévalant par bandes immenses d'au delà des monts enneigés, ornant l'encolure de leurs chevaux de guirlande de crânes humains, massacrant des milliers de prisonniers qu'ils laissaient pourrir dans des fosses à l'entrée de leurs villages. Chez les Etrusques, il avait même pu voir des mercenaires, roux de pelage et blancs de peau, montagnes de muscles que les Romains appelaient Galli et dont ils célébraient, tout en la redoutant, la force inhumaine. Ils racontaient des horreurs sur le sac de Rome, survenu une trentaine d'années avant la naissance de Démétrios. Finalement, n'ayant eu pour se renseigner que Nestor, source historique des plus incertaines - ne croyait-il pas qu'Alcibiade était une femme de mauvaise vie ?- l'Athénien transporté au IX° siècle s'était forgé une théorie qui lui perrmettait également de résoudre un problème récurrent depuis qu'il avait mis le pied sur le dromon byzantin et qui pouvait se résumer ainsi : Qui étaient ces Varègues dont personne, pas même Hérodote, ne parlait en son temps ?
Le Dévoreur les lui avait présentés comme des héros de légende, industrieux comme Ulysse, forts comme Hercule, de nouveaux Jasons, découvreurs de mondes et dompteurs de fleuves. A peine se disait-il parfois qu'il brodait un peu sur ce qu'avait réellement dit le Voyageur du Temps et que son imagination exagérait sans doute la séduction du héros varègue. Mais le Dévoreur avait eu un tel éclat dans le regard en les évoquant...
Au contraire, Nestor, soutenu par Thargim et l'opinion des matelots, les présentait comme aussi cruels et pillards que les anciens Nordiques connus de Démétrios. Le Dévoreur étant insoupçonnable et Nestor soutenu par l'opinion publique, il s'avérait qu'il devait y avoir de bons et de mauvais Varègues. Les mauvais devaient descendre des anciens Keltoi ou des Galli d'autrefois. Les bons étaient ceux qu'admirait le Dévoreur, les nautonniers intrépides, les aventuriers du Boristhène. Ou,pourquoi pas, les descendants des Hyperboréens d'Aristée, gens charmants que semblait bien avoir rencontrés récemment Pytheas de Massalia. Enfin.. récemment,..voilà un millénaire. Et comme les Varègues, ici présents et vainqueurs, n'avaient pas coupé la tête du vieux moine , se contentaient de leur avoir juste entamé le cuir et de menacer le pauvre Nicanor, lequel d'ailleurs, finalement n'était même pas mort, Démétrios en conclut brillamment qu'il devait avoir rencontré les Bons Varègues.

Le point sur la situation
IL chercha des yeux Zorvan, non qu'il en espérât un secours, mais il pourrait peut-être voir à son expression de quoi il retournait , car il y avait de vifs échanges de phrases incompréhensibles entre les Rùs du haut et ceux du bas. Le visage du gardien montrait de l'attention sans plus. Le Grec sentit monter en lui la phase zorvanophobe de ses sentiments contrastés pour le Gardien de l'Antichambre.
Descendant de cheval il faillit crier quand la douleur s'éveilla au frottement de sa hanche contre le flanc du cheval. Ses braies étaient déchirées et il tira sur le tissu jusqu'à se dépouiller complètement du vêtement. Tant pis pour la pudeur chrétienne. D'ailleurs, la tunique tombait suffisamment bas pour que Théocolès ne soit pas offusqué par quelques indiscrétions sur l'anatomie du catéchumène de son collègue. En tout cas, il avait une belle estafilade, bien nette, sur le haut de la fesse et qui maintenant, le lançait à chaque pas. Il prit la jambe droite de ses braies et s'en fit une sorte de pansement sommaire car le sang coulait encore. Il aperçut Flavius s'apprêtant aussi à panser d'une écharpe la cuisse de son frère. Solus avait une bizarre blessure circulaire et , sous son casque d'écaille, le pauvre ex-Dioscure était pâle comme un mort. Il prononça en essayant un sourire :

-Vous avez vu ? Il... il m'a mordu .. comme un chien enragé..Est-ce une manière noble de se battre ? On aurait dit qu'il voulait me dévorer !

L'image déplut à Démétrios qui ne voulait pas que ses Bons Varègues aient des instincts cannibales.
Il fit un geste d'apaisement vers l'apprenti guerrier qui croyait encore à la noblesse de la guerre.
Le chef varègue revenait vers eux et s'arrêta brusquement en cabrant son grand cheval d'une façon plutôt ostentatoire. Il était difficile de voir dans son expression une quelconque aménité mais ce n'était pas ce que cherchait Démétrios. Un bon Varègue n'était pas un être d'onction mais un homme valeureux, rude et énergique, capable de faire rouler son bateau sur les rochers quand l'eau ne voulait plus le porter, un coureur d'espace, certainement pas un faiseur de sourires et de phrases. Celui-là se mit néanmoins en mesure d'en prononcer quelques unes et dans la langue locale, un grec certes quelque peu écorné par dix siècles d'usage, mais enfin du grec, ce qui plut à Démétrios. Un homme qui essaie de parler grec ne peut être totalement barbare. Certes la grande épée était pointée sur sa poitrine mais tout à l'heure, le guerrier aurait pu proprement lui faire sauter la tête si l'appel du butin ne lui avait fait préférer aussi rapidement le doigt de Sainte Pélagie à un crâne d'Athénien.

Toujours l'Anthropologie, avec débordement ontologique.
Démétrios avait remarqué que la blessure qu'il avait faite au bras musculeux du Rùs valait pour le moins son entaille reçue au défaut de la hanche. Mais l'autre laissait le sang goutter encore le long de sa main sans plus s'en soucier. Nestor avait raconté des légendes sur des guerriers nordiques spéciaux, avec un nom spécial rempli de consonnes, des êtres invincibles, qui ne sentaient pas la douleur durant la bataille, qui se laissaient habiter par l'esprit d'un loup ou d'un ours et qui mordaient leurs boucliers en écumant quand ils marchaient au combat . Démétrios avait frémi en tant qu'homme civilisé, mais s'était senti quand même impressionné, surtout par les essais de crocs sur les boucliers. Et ne voilà-t-il pas cet autre, qui avait mordu le pauvre Solus ! Et cet Ingmar qui parlait de libérer l'esprit de l'ours...Démétrios s'étonna une seconde de ne pas être plus inquiet et même d'être davantage excité qu'inquiet. Déjà tout à l'heure, quand l'épée tournoyait au dessus de son bonnet, il n'avait pas vraiment pris sa mort prochaine au sérieux et il savait pourquoi.
En fait il était déjà mort, voici plus de mille ans. Quand dans sa vie d'avant le Dévoreur, il avait frôlé le trépas, éphèbe à son premier combat, emporos cramponné à un banc de nage au coeur d'une tempête ou grelottant de fièvre dans une masure scythe sur le bord du Pont Euxin, il pensait alors au chagrin des siens, à la douleur de sa mère. Il éprouvait cette angoisse naturelle qui saisit l'homme devant l'inconnu et ainsi redoutait-il de perdre une vie que pourtant il n'aimait guère. Mais s'il pensait à sa mère aujourd'hui et à son petit Démétrios, comme elle l'appelait encore, il pensait à des êtres disparus et depuis longtemps oubliés, dissous dans le grand Tout.. N'ayant plus été depuis si longtemps, il ne pouvait pas raisonnablement s'inquiéter aujourd'hui d'être ou ne pas être. Même si la question demeurait intéressante. Il s'était d'ailleurs promis de la poser au Dévoreur dès qu'il en aurait l'occasion. Et c'était sa première expérience de voyage temporel. Comment, à la longue, se débrouillait-on dans l'existence, avec cette idée que quelque part dans le passé, il y avait, ou il y avait eu, une tombe marquée Démétrios où était gravée l'année de sa mort ?
Pour l'instant, il se sentait très léger, sans attaches, comme dans un rêve. Il était lui sans l'être vraiment. C'était presque tout avantage.

Retour à la réalité ( si vous y croyez encore après ce qui précède).et montée sensible d'un anti zorvanisme primaire.
Le marché proposé par le Rùs était net si sa grammaire ne l'était pas. Il fallait trahir les moines et indiquer l'entrée du souterrain ou bien ils seraient tous massacrés. Que les richesses de cette année 860 après le Christ aillent dans les langskips venus du septentrion ou restent derrière les murailles d'un monastère à Constantinople était royalement indifférent à Démétrios. Par contre, il ne voulait pas qu'il arrive du mal à Nestor ni aux jumeaux.. Nestor était un peu fou, mais il avait tant d'histoires étonnantes à raconter et puis il avait une sorte de naïveté crédule qui donnait envie de le défendre. Démétrios ne réfléchit pas longtemps et allait ouvrir la bouche quand Zorvan se rapprocha, regarda le grand Rùs sous le nez et prit sa position favorite, bras croisés pour bien montrer qu'il ne lèverait pas une de ses phalanges sans doute aussi sacrées que celle de Sainte Pélagie, tout en arborant ce petit sourire satisfait et moqueur qui faisait fumer Démétrios sous son bonnet.
Quand Démétrios entendit la voix spectrale, il eut un bref espoir, mais, non, Zorvan ne se préoccupait que d'évaluer les compétences varègues en matière de repérage des richesses locales. Furieux, le Grec lui aurait bien crié :

-Espèce de grand manche à balai ! Si tu ne t'arranges pas pour faire partir sains et saufs au moins le vieux moine, son âne et les jumeaux, je te promets qu'un jour je te fais avaler ta barbiche et ton satané sourire avec !

Il finissait par comprendre qu'on ait pu cloîtrer le gardien dans son couloir, et on aurait dû mieux veiller à ce qu'il n'en sorte pas ; même en transparence. Surtout en transparence.
A ce moment, il se rendit compte qu'il regardait Ingmar comme s'il était aussi transparent que Zorvan et sursauta quand le Varègue se mit en position d'égorger le pauvre Nicanor. Il leva aussitôt la main pour montrer qu'il allait parler, tout en essayant de juger ce que les paroles rocailleuses recelaient de menaces mais aussi de possibilités d'entente .
Et bien finalement, il avait raison,c'étaient de Bons Varègues. Ils ne tuaient leurs ennemis que si ces derniers les mettaient de mauvaise humeur, ce qui est on ne peut plus légitime. Nestor lui avait bien parlé du pardon des injures, de l'oubli des offenses, qu'il fallait tendre la joue droite, ou la gauche, enfin là où on n'avait pas été frappé. Attitude d'esclave idiot et de maître sadique. C'était une idée qui valait bien les paradoxes les plus tordus de Zénon et des autres sophistes. Avec Ingmar, il s'agissait tout bonnement de commerce, donnant donnant, et pour une fois, de troc intéressant, et non de blé pas trop gâté contre de l'huile pas trop rance. Ingmar voulait des trésors et paierait avec les vies qu'il venait de gagner. Equitable , à condition que la balance ne soit pas truquée . L'oncle Timon disait toujours : Des garanties ! N'oublie pas les garanties !
Et aussi, il existait bien de mauvais Varègues qui tuaient sottement. Un homme mort ne vaut plus rien, sinon pour les vautours. On allait pouvoir s'entendre.

Discours

Démétrios fronça un peu le sourcil pour ne pas trop démériter dans le genre "Grand chef au regard clair" et malgré sa hanche qui le torturait, il se redressa, s'adressant avec force à ce guerrier brusquement transformé en marchand à qui on ne la fait pas. Mais il apercevait aussi au loin l'estuaire où des dizaines de barques multicolores manoeuvraient pour débarquer. Et l'épée appuyée sur sa poitrine n'était pas vraiment un argument commercial.

-Je vous conduis à l'entrée secrète sitôt que mes hommes et le moine ont rejoint l'autre rive, un peu plus au nord, où vous n'êtes pas encore débarqués. On peut les voir de la côte et en attendant , on pourra aller vérifier si ces entrepôts en bas n'ont pas gardé quelques tonneaux bienn remplis. Je reste avec vous en garantie. Vous pourrez de toutes façons me prendre comme esclave ou essayer d'aller réclamer ma rançon . Je suis un homme rare et précieux.

Il désigna du doigt son bonnet effiloché d'un air entendu.

-Une fois dans le monastère, vous mettrez tout le monde dehors, sauf un moine que je vous désignerai. Il m'indiquera les cachettes des objets précieux. Or, argent, pierres rares, perles, ivoire et puis aussi des réserves . Vous arrivez juste après les récoltes, un peu tôt pour les vignes, mais le vin de l'année dernière est toujours le meilleur. Et puis les prêtres d'ici ont toujours de très beaux vêtements de cérémonie. Et de très très jolies peintures. Vous pourrez les vendre aux autres Chrétiens. Il y en a partout à cette époque, je veux dire, des chrétiens... . On m'a dit que même les Bulgares allaient se convertir. Ils vont vouloir des icônes, c'est sûr .

Démétrios était en plein discours , les idées lui venaient, s'enfilaient comme des perles sur un collier et à peine l'une était-elle en place qu'il en venait une autre. Il n'était pas fait pour vendre l'huile de l'oncle Timon mais pour trafiquer avec des bandes de pillards, qui d'ailleurs ne pillaient que s'il n'y avait pas moyen de faire autrement, parce que finalement, les massacres, ça finit par coûter cher.

-Un détail, il faudra me donner le morceau d'os qui est dans la boîte précieuse que vous avez prise à ce vieux. Sinon le moine ne dira rien. Je sais comment utiliser cet os. Après, vous pourrez m'emmener avec vous. Je peux faire l'interprète et vous apprendre à choisir les bons vins et aussi les huiles de bonne garde. Et je peux faire votre portrait pour envoyer à vos femmes. Et sculpter la pierre. J'ai entendu dire que vous aimiez les pierres gravées. Alors, qu'en dites-vous ?






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Message  Zorvan Ven 10 Aoû - 17:09

Ingmar écoutait le discours de négoce du grec avec attention, sourcils roux en bataille et froncés, mordant nerveusement la barbe sous sa lèvre inférieure, signe d'intense réflexion et de préoccupation évidents pour qui le connaissait. Malgré son air préoccupé, il redoubla d'attention à l'évocation de riches tissus, d'or et de bon vin. Zorvan crut même deviner l'ébauche d'un sourire songeur à l'allusion d'un portrait que pourrait faire Démétrios pour leurs femmes, mais qui pouvait savoir avec cette barbe en broussaille. Cependant le trouble fut bref et à peine perceptible. Bien moins que ce regard soudainement devenu perçant qui scrutait l'horizon. Ses hommes le connaissaient ... et l'un d'eux jetait à présent des coups d'oeil inquiets vers la mer dont la surface se noircissait de voiles aussi loin que le regard pouvait porter. Ce blond aux cheveux filasse sous son casque à queue de cheval s'approcha pour murmurer à l'oreille de son chef, comme si Démétrios pouvait comprendre.

- Sögvarr anländ ... Det kommer att ta kampen för att döda dig. Titta på den svarta flygeln och Dragon blod.
Ärendet kommer snart att slutas med dessa hundar Konstantinopel..


Spoiler:

Ingmar eut un mouvement d'impatience et fit tourner son cheval face à la mer. Puis sans regarder Démétrios, il prit lentement la parole.

- Nous, venus pour amener or et richesses à Kiev. Après, rentrer dans nos villages chargés honneur et belles choses pour nos maisons. Trop longtemps partis loin femmes et petit Ingmarson. Tu vois cette voile noire et derrière cinq langship appartenir à Sögvarr le Rouge. Lui tuer tout et brûler forêt. Heures noires pour votre ville, heures noires pour Ingmar et les siens.

Les barbares s'étaient alignés le long du ravin, sombres et silencieux, leurs chevaux soufflant après le tumulte de la bataille. Ils contemplaient avec gravité les voilures noires des cinq navires. Ingmar, plus hiératique que jamais, le regard étincelant de rage, éructa. Et sa voix alors roulait et grondait comme un orage, aussi rocailleuse que la pente qu'il venait de gravir à l'assaut des grecs.

- Jag skulle döda den här hunden! Genom att Thor och det heliga trädet! Jag kallar till vittne mina förfäder! Han dör före utgången av dagen!

Spoiler:

Il se tourna enfin vers le grec et les byzantins et planta ses yeux de glace dans ceux de leur chef improvisé. Puis s'approchant très près, il les plissa comme pour jauger son interlocuteur, avant de prendre la parole d'une voix qu'il peinait à contenir, tant la fureur bouillonnait en lui.

- Toi guerrier au casque mou, courageux pour un mangeur d'olives. Toi pas peur Ingvar, toi un peu fou. Et il ponctua ses derniers mots d'un hochement de tête significatif tandis que ses hommes éclataient d'un rire fort.
Contre toute attente, il s'approcha de Démétrios et lui donna un coup d'épaule étrange sans se soucier que le grec put souffrir le martyre de sa blessure ou de son propre bras sur lequel s'était coagulé un gros caillot de sang.

- Toi très exigeant dans troc. Ingmar pouvoir dire oui pour tes amis. Mais eux vont se faire tuer. Derrière la pointe , là-bas. Sögvarr a caché quatre langskips encore. Regarde, on compte autant voiles noires que doigts sur la main et lui avoir neuf. Ingmar connait, lui. Le dragon rouge sort cinq griffes dans le début de bataille et garde son autre main pour la suite. Ce bâtard avoir plus que quatre griffes autre main. Ingmar a fait coulé dixième bateau à lui sur grande mer. Nous très amis. Et il ponctua la fin de sa phrase en crachant avant de partir d'un éclat de rire tonitruant.

- Comment ton père appeler toi quand sorti du ventre de ta mère ? Toi, vite montrer entrée sinon tous morts, byzantins idiots et clan d'Ingmar. Toi pas penser, moi lâche. Moi Ingmar Olefson, aussi malin que renard blanc et fort comme l'ours. Sögvarr , lui honorer Dieux des souterrains et maudit de l'ombre. Pas humain. Lui, vivre pour tuer, rien que pour tuer. Ingmar et fier clan de l'ours peut protéger votre temple si retranché dans les murs. Pas laisser le Dragon rouge entrer. Vous, juste donner votre or pour troc, quelques femmes et bon vin. Affaire conclue ou nous mourrons ensemble ici ?

La gravité du moment et des propos était retombée sur l'assemblée, éteignant les rires des grands guerriers tandis que les soldats de Démétrios s'efforçaient de mesurer toutes les nouvelles implications que recelaient les propositions du rùs.

- C'est un piège! Cria Nicanor. Ils vont ouvrir à leurs comparses grand les portes du monastère et de là ils investiront aussi la Ville.

Zorvan s'avança alors, dévalant son talus, un rictus étrange aux lèvres. Il savait alors que le noeud de l'épreuve allait se dénouer ici pour Démétrios. Il regarda le grec dans les yeux, sans hostilité ni moquerie.

- Qu'est-ce qui effraie le gros poisson qui veut manger le petit ? Un plus gros poisson encore. A moins qu'Ingmar ne soit que l'avant garde ou le cheval de Troie comme le pense Nicanor. Il va falloir te décider, Démétrios et vite. Moins à cause des voiles noires qui vont débarquer leur dragon rouge que parce que je vais bientôt te ramener dans les couloirs de l'Antichambre.

Pendant que Démétrios écoutait le gardien de l'Antichambre, les sourcils froncés sous son bonnet, Ingmar s'activait et criait des ordres aux cavaliers restés près du chariot. Le moine fut hissé sur son âne qui avait été dételé et les rùs l'escortèrent à cheval jusqu'au sommet de la colline.

- Tu dois donner réponse à Ingmar . Nous devons organiser siège. Pas perdre de temps. Mène nous vers l'entrée.

Le vent s'était levé, faisant voler les cheveux de flammes parsemés de grosses nattes et portant les clameurs du bord de mer, déjà terrifiantes. Le ciel s'était plombé comme annonçant l'aube de la bataille. Le tonnerre gronda dans les nuages de mercure. Les chevaux inquiets se mirent à hennir. En bas la mer se creusait de vagues qui faisaient rouler les fonds plats des langskips. Des ordres raisonnaient déjà, tandis que les marins du septentrion réduisaient leur voilure. Zorvan souriait, d'un sourire indéchiffrable, de ceux qui appartiennent aux Parques qui savent le destin des hommes et assurément le destin de ces varègues était écrit en ce mois d'été de l'an 860. Il savait ce qui attendait les esquifs rùs et qui serait commémoré plus tard sous le nom fête du Pokrov, fête des voiles, pour remercier Sainte Marie d'avoir éloigné de son souffle divin la nuée barbare dispersée par la tempête.


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Message  Invité Mer 15 Aoû - 11:35

Il n'y avait pas de doute ! Démétrios avait bien visé..Il sentit le géant couleur de cuivre et de bronze tenté par l'éclat de l'or et des joyaux. Il se doutait bien que, plus que le sens esthétique, la cupidité animait le Varègue . Mais à chacun ses idoles. Quant à lui, il s'agissait de sauver des vies et d'obtenir en plus le droit de suivre ses rêves. Le fait que ce qu'il avait à troquer n'était pas à lui ne le préoccupait aucunement. Ses compagnons n'avaient d'ailleurs pas bronché en l'entendant promettre de livrer le trésor des moines, jugeant fort raisonnablement que leur vie valait bien ce prix. Et puis Nestor ne vantait-il pas le détachement des biens de ce monde ? D'une certaine façon, le Grec aidait charitablement moines et Varègues, les uns à faire leur salut, les autres à rentrer chez eux avec un butin suffisant. Tout le monde y trouvait son compte. Et tout cela était donc fort chrétien.
Mais la satisfaction d'avoir su allumer cet éclair de convoitise dans le dur regard bleu fut de courte durée. Ingmar, toujours à cheval, avait tourné la tête et fixait l'horizon marin par dessus le bonnet du Grec. Celui-ci regarda aussi vers le détroit. Il vit que des navires continuaient d'apparaître au détour du promontoire de Pera mais il ne comprit pas l'agitation des Rùs qui semblaient soudain fort soucieux. Avec son habituelle versatilité d'humeur, Démétrios perdit d'un coup son assurance, se sentit oublié, absorbé dans le vaste paysage, devenu quantité négligeable. Qu'allait-il pouvoir inventer pour reprendre la négociation sur d'autres bases ? Les Rùs les massacreraient tous sans hésitation s'il cessait de leur paraître utile. Il chercha à comprendre ce qui les inquiétait dans ce brusque afflux de navires où on ne voyait aucun dromon byzantin, seulement des voiles aux bandes verticales de couleurs différentes. Il remarqua qu'un groupe se distinguant par des voiles noires semblait être le sujet de l'attention des guerriers et aussi qu'un orage se formait sur la côte, de l'autre côté du détroit. Le ciel assombri s'accordait avec la menace que portaient ces vaisseaux .
On ne lui laissa pas le temps de s'interroger plus longuement et du haut de sa monture, le regard toujours fixé sur les longs bateaux à proue menaçante, Ingmar précisa la situation. Si le motif de leur venue était bien le pillage, ce n'était pas par désir de détruire mais pour se procurer des biens enviables qui leur assureraient honneur et confort parmi les leurs. Avec ce qu'il avait appris des hommes du Nord, Démétrios imagina aussitôt le grand guerrier assis dans sa demeure, sur un de ces jolis tabourets en bois noir venu de Lybie, devant un grand feu flambant gaiement. Au dehors, les tourmentes de givre, les hurlements des loups, les ours griffant la solide porte de chêne, les trolls - ces sortes de petits aegipans neigeux- glapissant et dansant sur les toits pentus. La femme d'Ingmar, grande, blonde et mamelue -Thargim avait insisté sur le goût des Rùs pour les matrones charpentées à leur gabarit – parée de bijoux byzantins, riait de se voir si belle en se contemplant dans un miroir de verre. Et le grand Ingmar, tout en buvant du vin de Chios, faisait sauter sur ses genoux un petit Ingmar qui s'amusaitt avec le reliquaire de sainte Pélagie.
Les paroles du guerrier balayèrent vite ces visions idylliques. Les Mauvais Varègues attaquaient ! Démétrios vit aussitôt se dessiner le triangle fatidique des alliances militaires telles que les cités grecques les avaient toujours pratiquées.. Ingmar n'aime pas Sögvar qui déteste Ingmar et Démétrios ; Ingmar et Démétrios sont donc des alliés évidents ; du moins pour le moment. Mais le moment où l'on risque sa peau est le seul à prendre en compte.
Le chef se pencha vers lui et l'apostropha ; le ton était rude, mais les propos ne déplurent pas au mangeur d'olives. Non, il n'avait pas peur d'Ingvar, enfin pas trop. Oui, il devait être un peu fou pour avoir répondu à l'appel du Dévoreur et se retrouver dans une situation pareille.
La bourrade imprévue que le colosse lui asséna le fit chanceler et il pâlit quand, pour rester debout, il dut s'appuyer brusquement sur sa jambe blessée. Sa vue se brouilla et il se força à écouter la voix grondante qui parlait de dragon et de Sögvarr, de griffes, de mains et de bateau coulé. Mais le géant avait retrouvé sa bonne humeur et son rire sonna comme celui qui, selon Homère, retentit aux banquets des dieux.
Et voilà qu'il lui demandait son nom ; c'était comme signer un traité ! D'accord ! Il était d'accord ! Avec l'ours et le renard blanc contre le dragon rouge !
Il n'écouta pas Nicanor, mal remis de sa peur, et il allait répondre quand Zorvan, qu'il avait oublié, parut devant lui en lui parlant en termes dont il ne vit pas immédiatement la portée. Il fallait se décider ? Mais il était décidé ! Un plan prenait déjà forme … le gardien parla de le ramener dans l'Antichambre. Cela n'avait pas grand sens dans la réalité de l'instant, ce panorama formidable où les mers se rejoignent devant la plus grande ville du monde, entre les côtes millénaires où Xerxès avait fait fouetter les flots qui l'avaient vaincu.. L'orage montait, noircissant le détroit. Démétrios se sentit pleinement là et maintenant. D'ailleurs sa jambe lui faisait un mal de chien.

Démétrios rejoignit Ingmar qui organisait sa troupe et qui le pressa de répondre. Ce qu'il dirait serait autant pour Zorvan que pour le Rùs mais peu importait. Même s'il devait rester à jamais dans ce temps du futur, il ne changerait pas sa décision. Il songea un instant à ce que ce mot, futur, pouvait avoir d'incertain. Futur pour lui, Démétrios de Zéa, mais passé pour les voyageurs que Zorvan tirerait un jour de l'avenir pour les planter là. Seul ce présent paraissait sûr et évident, parce qu'il pouvait y vivre et y mourir. Ce n'était pas en ombre insubstantielle qu'il allait répondre. Il regretta que sa voix n'eût pas les inflexions grondantes et les aspérités viriles d'Ingmar. Mais il était fatigué et sa gorge était sèche :

-Entendu .Nous partons au Monastère. Suivez-moi. Je vais vous expliquer en route.

Il se tourna vers ses compagnons :

-Si vous voulez rentrer dans la ville, tentez votre chance mais elle est mince. Vous pouvez aller vous cacher dans la campagne. Les Rùs ne fouilleront que les endroits intéressants. Ou mieux, suivez-nous.Le chef Ingmar et moi allons défendre le monastère contre le Dragon Rouge. La vie des moines est plus précieuse pour le service de votre Seigneur que les trésors accumulés en son nom. La prière et la bonté sont les vraies richesses. Ou alors, je n'ai rien compris au catéchisme de Nestor.

Il s'approcha de son cheval, craignant de ne pas parvenir à y monter, sans étriers ni selle, incapable de prendre de l'élan. Il saisit la crinière, pensant très fort à Xénophon, mais la force lui manqua. Alors une grande main pleine de sang séché saisit la sienne et il se sentit tiré et hissé. Sous le coup de la douleur, ses yeux se remplirent de larmes mais il grimaça un sourire au géant  et articula d'une voix blanche : Allons-y .
Le brave cheval noir se mit en marche de lui -même et Démétrios vit avec satisfaction que les jumeaux étaient déjà à ses côtés. Les autres jetèrent un dernier regard vers les remparts formidables de la ville mais on ne leur ouvrirait plus. Des Varègues débarquaient sur la côte, se protègeant des flèches tirées du haut des murailles sous leurs boucliers ronds ornés de dessins barbares. Nicanor hocha la tête et vint se ranger près du Grec, immédiatement suivi des autres.Les hommes à pied montèrent en croupe sur les chevaux restants et on dégagea du chemin . Démétrios, criant un peu dans le fracas des sabots sur les pierres, tout près d'Ingmar, lui lança :

-Il faudra laisser les chevaux à l'entrée du souterrain. Trop étroit. Ensuite, je dois aller prévenir les moines de ce qui se passe et pourquoi vous venez les défendre et qu'ils doivent nous laisser entrer sans résister. Ils ont sans doute des gardes venus pour les protéger; je les convaincrais de la nécessité d'une alliance .

Il vit le sourcil d'Ingmar se lever, interrogateur :

-Une alliance, c'est quand on se bat du même côté . Je sais que les Rùs ont déjà envoyés des mercenaires à Constantinople, du temps de l'empereur, Théophilos, je crois. Vous savez, ce serait très bien pour vous de devenir la garde d'élite de l'empereur. Vous êtes de puissants guerriers. Vous seriez payés en or. Vous pourriez faire venir des marchandises par vos frères restés dans le Nord. On vous donnerait des armes splendides, des armures complètes. Vous iriez combattre et gagner l'honneur d'être les plus redoutés des défenseurs de l'Empire ..

Ce n'était pas facile de discourir au trot, mais Démétrios s'échauffait, pris au jeu des images qui lui venaient avec les mots.

-Il y a peut-être le fait que vous n'êtes pas chrétiens, mais ce n'est pas très difficile de le devenir et c'est un titre qui offre bien des avantages en ce monde. Oui, je vais vous présenter comme de vaillants mercenaires . Simplement, il faudra vous payer très richement, vous laisser prendre ce que vous voulez.. sinon vous vous servirez vous-même .. Et vous, avec ce Sövgarr qui va rameuter tous ceux qui voudront bien le suivre pour essayer d'avoir la peau de l'ours, vous serez très contents d'avoir des archers byzantins et des balistes à feu grégeois pour vous aider à rôtir le Dragon rouge ..

L'idée plut à Ingmar et à ses amis qui se mirent à rugir de rire en échangeant dans leur langue ce qui devait être des plaisanteries sur le rôtissage de Sövgarr.Démétrios s'avançait peut-être un peu en parlant du feu grégeois mais c'était probable que ce monastère fortifié et dominant le détroit avait un matériel de défense adequat et Nicanor approuva.
On s'approchait du souterrain ; Démétrios descendit de cheval :

-Il faut mieux lâcher les chevaux avant d'arriver ; ils s'égaieront dans les pâtures et ne risqueront pas de rester devant l'entrée secrète.


Il flatta l'encolure de sa monture :

-Adieu, Cheval. Je regrette de te quitter. On s'entendait bien tous les deux .

Puis il se tourna vers Ingmar :

-Au fait, mon nom, c'est Démétrios . Démétrios de Zéa et mon père fut le général Démoclès, mort au combat contre le Roi Philippe, il y a...déjà longtemps.


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{Achevé} Démétrios face au Miroir  Empty Re: {Achevé} Démétrios face au Miroir

Message  Zorvan Ven 24 Aoû - 22:59

Le filet du temps sembla soudain se resserrer autour du groupe d'hommes assemblés en haut de cette colline. Démétrios semblait avoir pris la situation complètement en main et fit mine d'ignorer la mise en garde de Zorvan au sujet des aléas temporels et du fait qu'il n'était que de passage en ce lieu. Pris au jeu de l'aventure, le grec n'en faisait qu'à son bonnet et organisait déjà avec Ingmar les conditions de leur alliance. Lorsque la troupe se mit en route au trot des chevaux, le gardien de l'Antichambre les suivit de bonds en bonds sur le côté du sentier. Il ne perdait pas une miette de l'échange entre le varègue et l'athénien. Ce dernier faisait déjà office d'orientateur "pôle emploi" pour le rùs, lui faisant miroiter tous les avantages salariaux et sociaux d'un poste de mercenaire au service de l'Empereur. Cet étalage n'était pas sans frapper l'esprit du barbare qui ne semblait en rien écarter cette perspective malgré ses velléités précédemment affirmées de rentrer au pays pour voir son fils grandir! Ahh les hommes de ce monde étaient bien sensibles aux sirènes de la gloire et aux trompes de la renommée ! Zorvan devait reconnaître cela au grec : il était bon démarcheur de commerce. Il aurait bien vendu de l'eau à Poséidon en personne. Le boniment bien troussé de Démétrios les mena non loin de l'entrée secrète et, tandis que les cohortes rùs commençaient à débarquer, et plus précisément les troupes du Dragon rouge, les cavaliers hétéroclites abandonnèrent leur monture par nécessité bien qu'avec regret.

Le grand barbu à la tignasse flamboyante et le petit couvre-chef laineux semblaient à présent les meilleurs amis du monde - Ingmar ne s'était-il pas porté même au secours du grec que sa blessure gênait pour se hisser sur son cheval ? - et la nouvelle coalition armée de Constantinople s'engagea dans l'étroit tunnel qui menait au monastère. Le gardien, avant de les suivre, se retourna pour évaluer la situation. Plusieurs chevelus à casques commençaient à gravir les pentes des collines qui surplombaient le rivage. On voyait leurs silhouettes massives et colorées progresser à travers les buissons épineux . Le vent avait forci tandis qu'un grain venu du fond du détroit paraissait s'abattre sur les esquifs encore loin du rivage. Ce n'était pas un simple orage. Les intempéries allaient entrer en lice , force supplémentaire en jeu et non négligeable, qui allaient changer le cours de l'Histoire. Car il en allait parfois ainsi, au gré du caprice des Dieux, les hommes n'étaient plus les seuls à écrire leur destinée. Les éléments allaient en faveur des forces à terre, en l'occurrence, car pour affronter une tempête de cette envergure, il valait mieux être sur le sol que dans les flots. Mais le boyau étroit et sinueux se referma sur eux après que quelques derniers soldats eurent tiré branchages et blocs de pierre sur leur passage. Cela ne tromperait l'ennemi qu'un temps, sans doute, mais suffisamment pour espérer gagner l'abri du lieu saint des moines.

Petit à petit le couloir creusé à même la roche s'élargit et leur permit de se tenir mieux debout, ce qui convint surtout mieux aux hommes du septentrion qui dépassaient d'une bonne coudée les plus grands des byzantins et même Démétrios. La troupe arriva devant une lourde porte en fer rehaussée de bronze et parsemée de piques peu engageantes.

- On dirait que la Foi a ses piquants offensifs! Nargua Zorvan entre ses dents. Mais Démétrios savait s'accommoder mieux que quiconque des paradoxes de la bonté divine. A ses côtés, se tenait le moine Théocolès encore tout remué mais priant pour enfin récupérer le petit doigt sacré. Alors que les hommes commençaient à tambouriner de leurs poings sur les massifs ventaux, le vieux tonsuré marcha de son pas de souris vers le côté droit du portail et glissa la main dans une niche. Un son de cloche assourdissant retentit le long des parois du couloir et Zorvan, trouvant le dispositif très peu discret, se demanda si ce n'était pas une blague d'Aparadoxis. Sögvar allait les entendre de loin, enfin c'était la crainte la plus évidente qu'un homme put avoir, celle de devenir sourd n'étant pas à négliger non plus. Même le grec se plaquait le bonnet sur les oreilles, seul Théocolès ne semblant pas indisposé. Le tintamarre cessa enfin et l'on put percevoir du mouvement derrière la porte. Le battant s'ouvrit lentement sur une cave où étaient alignés de grandes amphores de vin. Théocolès s'avança pour dire

- Me revoici déjà mes frères, pardonnez-moi ... Je n'ai pas réussi à passer et ils ... Ils ont le reliquaire de notre chère Sainte Pélagie. Acheva-t-il dans un souffle en désignant d'un pauvre signe de tête les guerriers hirsutes.

Déjà Zorvan était monté dans un clocheton tandis que Démétrios s'avançait parmi le demi-cercle de moines réunis autour du vieillard. Tandis qu'il entendait fort bien les échanges inquiets et offusqués des religieux, le gardien scrutait l'horizon. Comment Théocolès avait-il pu faire pénétrer le serpent impie dans le nid de la sainte Foi ? Qui était ce jeune homme au verbe vif qui semblait mener les citoyens byzantins ? Démétrios se démenait à faire entendre l'urgence de la situation, les nuées rùs dans leurs esquifs de cauchemar, certains déjà dans la campagne environnante, preuve en était leurs compagnons d'aventure. Pendant qu'il expliquait à celui qui semblait être le patriarche, la nouvelle alliance en oeuvre, Ingmar avait déjà investi la place et éparpillé ses hommes aux endroits stratégiques. On reconnaissait bien là l'efficacité du guerrier habitué à lutter pour sa vie chaque jour et sachant remettre les négociations à plus tard pour défendre ce qui était essentiel pour en mener: la vie des deux parties. Il investit la tour qui faisait angle connexe au perchoir de Zorvan et poussa un juron en sa langue qui catastropha tous ses hommes.

- Gud Blixtnedslag slår oss och vindarna stör våra fartyg !

Spoiler:
Zorvan opina du chef. Il voyait la même chose et savait que cela arriverait depuis le début. Le spectacle était funèbre et impressionnant. Les vents furieux avaient levé des creux de vagues qui brisaient les langskips ou les drossaient sur les rochers quand ce n'était pas les uns contre les autres. Constantinopolis avait bien compris que l'occasion était trop belle pour la manquer et le feu grégeois venu des remparts fortifiés crachaient ses langues brûlantes dans la baie, inondant les ponts des navires les plus proches qui, tels de grands corps rompus, ne pouvaient manoeuvrer pour l'éviter. Et le feu se propageait d'une coque à l'autre comme une infâme pestilence, brûlant les morts empalés sur les éclats de ponts fracassés, ou les rescapés qui n'avaient d'autre choix que de se jeter dans les flots déchaînés qui les engloutissaient presque aussitôt, pour échapper aux flammes.

Ingmar se retourna pour hurler du haut de son observatoire en direction de Démétrios resté dans la cour pavée.

- Les Dieux punissent l'homme qui veut avaler la terre! Nous, trop gourmands et les Dieux offensés! Beaucoup fiers guerriers noyés, amis Ingmar dans leurs rangs ! Mais pas ce chien de Sögvar! Lui a son Dieu noir qui veille pour lui et il est vivant sur votre sol! Mais maintenant lui plus retraite possible et nous non plus ! Langskips broyés par les flots comme une petite branche de bouleau. Eructa Ingmar le poing si serré de colère que ses jointures en étaient blanches comme l'os sous le sang séché et mimant le calvaire de ses bateaux et équipages.

Un silence pesant s'abattit sur les guerriers du nord qui, tête baissée, écoutaient les cris horrifiés et les craquements sinistres qui s'élevaient du large, à peine couverts par le vent rugissant. Alors ils mirent tous genou à terre et commencèrent à entonner dans leur barbe un chant rauque et plein de tristesse et de rage contenue, se frappant le torse de leur main gauche. Démétrios hébété autant que les moines jetait un regard éperdu à Zorvan. Le grec venait sans doute de découvrir que le plus barbare des hommes peut hurler de terreur devant sa dernière heure , qu'il peut aussi pleurer en sachant un ami perdre la vie, là-bas dans les flots meurtriers. Lorsque le chant se tût enfin, les lames impressionnantes se levèrent vers les cieux et Ingmar hurla à s'en faire péter les cordes vocales.

- Le fils de l'ours et du renard vaincra et couvrira de gloire les côtes et les terres de ses frères morts ! Sögvar! Viens ! Je vais offrir tes tripes pour appeler Týr l'ancien à apaiser ses fils en colère. Puis se tournant vers le bonnet : Ingmar défendre petits hommes qui portent des robes bizarres et toi aussi casque mou ! Vous aider ensuite pour reconstruire neuf navires et rentrer avec la fierté au front dans notre Midgard!

La tension et l'émotion étaient à leur paroxysme et Zorvan regretta presque de n'être plus capable des affres émotionnels qui avaient été siens ... il y avait longtemps. Il pouvait imaginer les sentiments contradictoires qui animaient l'esprit de l'athénien face au désastre qui avait anéanti presque toute la flotte rùs. Certes le danger majeur était écarté et il eût été normal de s'en réjouir en secret pour ne pas trop "désobliger" ses nouveaux alliés. Mais les moines et Démétrios en avaient-ils seulement envie en voyant les yeux trop brillants de leurs récents défenseurs ? Pouvait-on se réjouir si vite du malheur qui frappe ceux au côté desquels on s'était préparé à combattre et même à mourir ? Aucun des soldats de la Cité n'eut un réflexe de joie même ténu même si la situation s'éclaircissait pour le joyau de l'Empire d'Orient. Les moines quant à eux, eussent sans doute préféré voir les voiles rebrousser chemin sans créer de dommages que de voir cet abominable charnier s'amonceler au fond de leur cher Bosphore. Probablement même que les défenseurs de la Cité n'avaient pas envisagé un tel carnage , voulant juste repousser les envahisseurs au delà du détroit mais la tempête avait forci encore après l'offensive du feu, ne laissant que peu de chances aux navires les moins endommagés par les flammes. Les tirs de feu avaient d'ailleurs assez rapidement cessé, laissant place à un silence mortel et figé troublé par les seuls cris des agonisants et des naufragés. Quelques navires épargnés s'attardaient dans les flots houleux, essayant de se frayer un chemin bien ardu vers la pointe , s'efforçant parfois de récupérer quelques hommes tombés à l'eau. L'eau qui elle-même semblait bouillir par endroits, faisant fendre les coques et cuire les chaires. La mer fumait ici et là des colonnes noires qui s'élevaient des carcasses des navires. C'était... l'enfer sur les flots et la consternation sur les visages autour de Zorvan.

Il s'approcha de Démétrios et lui souffla:

- Il est temps ... Tu les retrouveras au même lieu, au même moment, plus tard, quand tu auras achevé ton épreuve . Ils ne sauront rien de ta disparition car la magie des lieux va les figer jusqu'à ton retour. Ainsi est le pouvoir d'Aparadoxis...


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Message  Invité Lun 15 Oct - 1:12

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Démétrios avançait sur le pont en se demandant s'il rêvait. Il s'y était engagé dans un état de trouble et un sentiment d'irréalité brumeuse. Le Champ des Oublis était rempli de ces ombres et de ce brouillard qui de nouveau le cernait. Il repassa dans sa mémoire ce qui s'était passé avant que le pont n'apparaisse.

S'étant exprimé avec toute la précision et la détermination que suscitait en lui une interrogation sur sa personne, Démétrios avait attendu le commentaire du Maître, enfin du Moine. Connais-toi toi-même avait dit Socrate et l'Athénien s'était souvent appliqué à savoir de quelles fibres était constitué le fil de son existence. Il en avait seulement retiré le sentiment que plus on s'analyse et plus la profondeur se creuse et plus la clarté de l'évidence s'amenuise. Chercher à se connaître , c'était se rendre compte que la connaissance de soi est impossible ou inutile ou invérifiable. Il y a toujours plusieurs hommes en l'homme et ils se haïssent ou se plaisent, se heurtent ou font alliance, sans qu'on puisse savoir où est le vrai Moi, celui qui doit commander tous les autres. Il lui semblait qu'avec une âme chrétienne, on devait se sentir intérieurement mieux organisé. La foi était peut-être ce Mentor définitif qui mettait tout en ordre.
Nestor ne lui avait pas répondu immédiatement. Il avait fixé son regard bienveillant sur lui comme s'il regrettait que ce grand corps ne fût pas habité d'une âme plus paisible et que le chemin de la foi dût chez lui passer par les écueils de la raison. Lui, il avait pensé que Nestor était âgé et peut-être n'avait-il plus que peu de temps à attendre pour savoir enfin si son âme était immortelle et si Dieu et tous les Saints l'attendaient vraiment de l'autre côté du voile. Il en avait été tout attendri et l'image de Nestor, une flèche en plein front, vint le surprendre sans qu'il sût ce qui la lui avait inspirée. Nestor avait enfin parlé :

.-L'apôtre Paul a dit :"Ce que vous cherchez sans le connaître, la religion vous l'annonce". Sur le chemin de Damas, Paul reçut la foi comme un éclair enflamme un chêne. Mais peu sont choisis pour vivre cette révélation foudroyante qui fait d'un coup devenir un autre homme. Je suis du peuple heureux de ceux qui sont nés de parents pieux et fidèles et la foi m'a été donnée avec la vie. Ne désespérez pas si vous êtes de ceux qui cherchent dans la nuit. Le désir de la foi est le premier pas sur le chemin qui conduit à la certitude, comme le désir d'aimer fait découvrir l'objet de l'amour.

Dans sa robe aux sages plis, le visage paisible dans sa barbe grise, levant un index qui semblait en appeler au ciel, le moine ressemblait à une de ces icônes qui plaisaient tant à Démétrios et celui-ci n'aurait pas été étonné outre mesure de voir une auréole nimbant la tête chenue.

-Le baptème, en vous admettant aux mystères de la religion, sera pour vous d'un grand secours et vous poursuivrez votre étude de nos livres saints, guidés par mes frères dans la paix d'un asile consacré à Dieu. Ensuite, vous pourrez choisir la vie vous convenant dans cette sainte et magnifique ville qui porte témoignage de la splendeur de Dieu et aussi de la force de ceux qui se rassemblent sous l'étendard de la vraie foi.
Et vous, mon fils ?


Il s'était tourné vers le pâle inconnu dont Démétrios avait alors remarqué qu'il semblait comme absent, replié sur un autre monde de pensées que celui qui rassemblait pour l'heure le moine byzantin et le Grec venu de si loin sur les étranges chemins du temps. Zorvan était passé soudain devant lui et avait effleuré la silhouette qui devint aussitôt translucide et s'était évanouie. Nestor avait eu un petit sursaut, cligné des yeux et dit simplement :

-Marchons un peu, mon enfant. Nous continuerons notre discussion en descendant la colline.

Démétrios se souvenait de l'étonnante vision de lui-même se détachant de son corps, puis qui se mettait en chemin près de Nestor et s'éloignait vers le fond de la vallée. Il savait déjà que le retour serait paisible et qu' on parlerait de la douceur du soir et du nom des étoiles s'allumant dans le ciel de Troade.
L'apparition soudaine de ce pont, qu'il avait déjà traversé, avait brouillé la perspective mais Démétrios était au delà de la surprise et il n'eut pas besoin que Zorvan le houspille pour qu'il s'engage entre les barres métalliques tordues et rouillés qui se perdaient dans le brouillard glacé. Où allait-il déboucher cette fois ?

La brume s'allégeait. Il entendit des cris rudes venant de directions multiples, le bruit de cloches sonnant à la volée, des voix graves psalmodiant un chant solennel, et comme il avançait, il se rendit compte que si sa tunique byzantine était de nouveau salie de sang et de poussière, des braies neuves vert foncé remplaçaient les anciennes. Son pansement informe avait disparu et il sentit sur sa cuisse, à travers l'étoffe, un bourrelet de chair, comme une cicatrice récente. Son passage dans le Champ des Oublis avait fermé sa blessure. Il semblait que le retour ne faisait pas perdre les bénéfices de l'aller. Le temps tordu dans lequel Zorvan le promenait avait de bonnes surprises.
Il ne boitait plus et se mit à courir jusqu'à ce qu'il arrive exactement à l'endroit d'où il était parti et au même moment, car Nestor terminait de s'effondrer. Le rugissement d'Ingmar dominait le tumulte tandis que les gardes se précipitaient sur Nestor pour le soutenir. Démétrios se rua lui aussi vers le corps inerte et posa son oreille sur la poitrine, repoussant sans ménagement ce Tau de bois auquel tenait si fort son vieux moine. Il crut sentir un faible souffle. Un peu de sang coulait de la plaie d'où la flèche venait d'être retirée. Il osa espérer que ce n'était peut-être qu'une commotion et laissa les moines, montés en hâte sur la tourelle, emporter le malheureux en se lamentant et en récitant des Kyrie pathétiques. Il les suivit dans la cour où les hommes en poste distribuaient quelques armes à des moines volontaires et complétaient les équipements par des casques et des broignes.
Personne ne semblait étonné de le voir réapparu, ce qui ne s'expliquait que si le temps d'Aparadoxis et celui du Champ des Oublis se poursuivaient en parallèle. Et pour lui, le temps vécu dans le Champ des Oublis ne pouvait que s'annihiler puis qu'il se situait apparemment dans le monde du souvenir, c'est à dire en lui-même. Le Grec décida de ne pas se poser davantage de questions.
L'air était rempli de cris, de hennissements, de bruits métalliques qui montaient de la colline vers les murs du monastère. Des flèches, encore rares et semblant tirées au jugé, sifflaient parfois et frappaient un mur, retombaient sur les toits. Nestor était jusqu'à présent la seule victime. Mais cette idée du prieur de faire sonner les cloches ajoutait à la tension générale.
Le même prieur avait entrepris d'asperger d'eau les tubes à feu grégeois et quelques moines l'accompagnaient en récitant des prières. Démétrios trouva le rite plutôt étrange mais il se souvint de cette eau bénite dont Nestor gratifiait ses ouailles lors de leurs cérémonies sacrées.Il fallait espérer que le prieur n'abuserait pas du liquide sanctifié quand il en arriverait aux réserves de bitume et de salpêtre.
Voyant passer l'Athénien, il secoua son goupillon dans sa direction et lui dit :
- Que la grâce divine vous protège. Priez pour notre cher Nestor. Il est aux portes de la mort et toujours inconscient. Je vois qu'on vous a porté un vêtement décent . Comment va votre jambe ? Vous ne boitez plus ?

-Non. L'entaille était moins profonde qu'il n'y paraissait. Finalement, une simple estafilade.

Sainte Pélagie en soit louée. Elle protège tous ceux qui pénètrent en son monastère.

Démétrios ne souleva pas la question de savoir pourquoi Nestor n'avait pas bénéficié de cette protection et n'insista pas plus au sujet de sa jambe. On ne manquerait pas de crier au miracle et il ne pouvait expliquer que c'était grâce à Zorvan et non à sainte Pélagie qu'il était guéri.
Démétrios rassembla ses hommes et leur rappela que s'ils défendaient leur foi et leur nation, le chef ici serait quand même Ingmar, et qu'il faudrait suivre ses ordres. Puis il prit un bouclier que lui proposa Nicanor. Celui ci, remis de sa chute était aussi un bon archer et il était très satisfait qu'on lui ait donné un splendide arc arabe à double courbure, une prise de guerre offerte au couvent par un pieux guerrier.

Alors, assurant son épée et le bouclier fixé au bras, Démétrios se dirigea vers les Varègues que dominait Ingmar.

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Message  Zorvan Mer 17 Oct - 14:16

Retour en arrière dans les replis tortueux d'Aparadoxis! Zorvan en était coutumier. Nombreux avaient été les postulants qui avaient du faire un rétropédalage temporel afin de suppléer à une défaillance d'un autre voyageur. Ainsi étaient les aléas de l'aventure dans les méandres des mondes spatio temporels et parallèles. Mais le Grec, lui, ne devait même pas savoir ce qu'était pédaler, le vélocipède n'ayant été inventé que bien après son époque d'origine. Le pauvre aurait du se sentir tout chose sous son bonnet. Hé bien, même pas! Il était encore plus fringuant et, exonéré de sa blessure passée, galopait comme un beau diable vers Ingmar et ses Varègues qui organisaient la défense du monastère. Les hommes de Démétrios n'étaient pas en reste, assez fiers et pressés de pouvoir en découdre avec de mauvais barbares et cette fois dans un affrontement plus équilibré. Les jumeaux prenaient des postures imitant les hommes du Septentrion et gonflaient le torse avant de s'embusquer derrière le crénelage de la promenade de garde. Ils se faisaient des signes comme des combattants aguerris en usent pour communiquer dans le fracas des batailles. Nicanor contemplait son arc comme s'il eut été la harpe divine et Démétrios se tenait campé devant le chef des Ours et des castors, ahh non, des renards. Zorvan quant à lui, monta dans la tour de guet opposée à celle abritant les cloches. Se faire fracasser les oreilles n'était pas dans ses projets. Il regrettait de ne pouvoir les figer sans atteindre tous les acteurs de cette fameuse pièce qui allait enfin se jouer. Finalement lui-même n'était pas mécontent de ce rebondissement qui lui offrait la suite d'un feuilleton palpitant. "J'ai pris du rab, Dévoreur! " nargua-t-il son complice en pensée. " Je te le bichonne, ton Grec, je te le prépare aux petits oignons. Il sera un voyageur complet au sortir de l'Antichambre". Le barbichu avait l'humeur rigolarde, même si se faire prendre pour Pélagie qui devait se trouver éparpillée aux quatre coins du globe et tout du moins avec une phalange en moins, ne le séduisait guère. "Pélagie ? Pélagie ? Est-ce que j'ai une gueule de Pélagie moi ? " Il lui sembla qu'il se trompait légèrement dans la citation mais l'atmosphère ici, lui plaisait infiniment plus que dans le Champ des Oublis, résolument tordu et irritant pour lui. Il avait essayé une fois de s'appliquer les règles du lieu et de remonter le fil de ses souvenirs. Il était ressorti de l'expérience avec un mal de crâne épouvantable. Sa trajectoire en elle-même n'avait déjà pas été une sinécure, alors à l'envers et avec l'amnésie imposée par le lavage de cerveau de la capsule, c'était digne d'un roman de Kafka.

- Ils arrivent ! Hurla Nicanor.

- On les voit ! Renchérirent les jumeaux à l'attention de Démétrios, oubliant déjà leurs codes sous l'effet de l'enthousiasme.

En effet une horde vociférante était en train de gravir la colline en cordons multiples et bardés de haches, masses, glaives et autres doux instruments. Leurs boucliers étaient teintés rouge vif et leurs visages à l'avenant. Zorvan jeta un regard vers Démétrios, comme pour attester qu'Ingmar les avait bien dépeint. Bientôt un bruit assourdissant se fit entendre qui ajouta à celui des clameurs des assaillants. Leur arrière garde s'était immobilisée à mi hauteur et répartie en fer à cheval. Chaque homme qui la composait frappait à présent son arme contre les parures métalliques de son bouclier, produisant un bruit effrayant et assourdissant. Alors que l'avant garde continuait à gravir la pente, les coups cessèrent bientôt repris par un écho. Les collines alentour renvoyaient le vacarme produit quelques instants auparavant. Zorvan fronça les sourcils... Démétrios pâlit. Ingmar le va les bras dans un geste rageur, exhibant son bouclier et son impressionnante épée et poussa un cri qui avait tout de celui d'un ours. Ce n'était pas l'écho qui renvoyait ce martèlement terrifiant mais un nombre impressionnant de guerriers massés sur les crêtes des collines tout autour du monastère. Leurs silhouettes se découpaient sur le ciel rendu orangé par les flammes qui dévoraient encore les langskips.

Le silence des hommes d'Ingmar qui scrutaient les sommets, derrière leurs remparts, tranchait de manière impressionnante avec les percussions semblaient à présent se répondre d'une colline à l'autre. Les deux frères se jetaient des regards fiévreux trahissant leur envie de se précipiter dans les bras l'un de l'autre alors que Nicanor murmurait:

- Nous ne tiendrons jamais ... Nous allons tous périr ici!

Les hommes du clan des ours semblaient à présent curieusement recueillis, comme retranchés en eux-même, les uns un genou au sol, le front baissé et marmonnant des paroles incompréhensibles en baisant des pendentifs accrochés à leur cou, d'autres, le visage tourné vers les cieux et scrutant le vol tourmenté des oiseaux en psalmodiant et d'autres encore, penchés en avant et contemplant les écumes sanglantes de la baie. Tous étaient en train de prier chacun leur Dieu protecteur et leur familier. Démétrios lança un regard interrogateur vers le gardien de l'Antichambre. Zorvan était préoccupé car il ne voyait pas comment son Grec allait se tirer de ce mauvais pas, et cela, il ne l'avait pas prévu. Il le gratifia de quelques paroles qu'il voulait réconfortantes.

- Ils invoquent leurs Divinités et leur animal lige, prient aussi pour la protection de leurs familles restées au pays qu'ils ne reverront peut-être jamais. Ces hommes ont des préoccupations qui ne diffèrent pas de celles des autres hommes.

Comme pour attester ses dires, les hommes du Grec étaient tombés en litanie alors que le Prieur les bénissait à tour de bras. C'est alors qu'Ingmar eut un regard circulaire pour tous les guerriers, jeta son bouclier sur le sol et dressa le poing exhibant son poignet. D'un geste ferme il s'infligea une coupure et le sang coula alors qu'il s'adressait à ses hommes, le visage illuminé d'un regard étincelant où se reflétaient les flammes de la mer. Et ce n'était plus un homme qui parlait. Il était comme possédé.

- Av blod av mina förfäder! Gudarna är mina vittnen! Jag slåss som en rabiat björn för livet och heder! Mina bröder! Bakom mig och Valhalla!

Spoiler:

- Att den anda av våra avlidna förfäder stiger! Gudarna skicka oss andedräkt sin ilska för att vägleda våra armar ! Vi kommer att vinna eftersom vi är söner Midgård! Reprirent les guerriers avec la ferveur d'une seule voix.

Spoiler:

Ingmar adressa un salut de la tête à Démétrios et brandit son épée avant d'en baiser le plat de la lame, rougie par son propre sang.

- Essayer mourir ou continuer à vivre en hommes ! Tous ensemble, petit casque mou ! Lui cria-t-il alors que les archers, dont Nicanor, décochaient les première flèches sur les assaillants dont les visages patibulaires se dessinaient à présent précisément à la lumière des torches. Les premières échelles furent bientôt jetées contre les murs et les casques pointus surmontés d'un plumet écarlate firent leur apparition à la crénelure. Déjà les têtes de quelques adversaires étaient tranchées et leurs corps retombaient sans vie au pied de la muraille tandis que d'autres prenaient leur place, toujours plus nombreux, toujours plus vociférants, déferlant par vagues, comme portés par le bruit infernal des boucliers sur les collines.

- Ce chien de Sögvarr le Rouge rallier à lui cinq autres tribus. Très bons guerriers, les loups de Drogmünd ! Moi pas comprendre pourquoi eux rallier ce nain pustuleux de dragon rouge! Les Sivètes de Khäl sont chiens sorciers! Leur âme noire comme le cadavre pourri d'un rat! Ca pas étonnant, eux alliés avec lui. Ingmar pas connaître bien les trois autres clans.

Zorvan se gratta la barbe. Cinq tribus ralliées au Dragon rouge ? Ce n'était pas du tout prévu, ça ! Que se passait-il ? Il avait prévu les Sivètes pour mettre un peu de piquant à l'histoire. On les disait anthropophages et très tendres avec les prêtres de tous les cultes sans distinction. Il avait envie de voir un peu ça. Il avait aussi ajouté une petite tribu insignifiante qu'Ingmar n'avait pas identifiée, afin que son Grec sue un peu au combat sous son bonnet mais d'où sortaient les trois autres et surtout, les Loups de Drogmünd, le fer de lance des Rùs du grand Nord. Ils étaient vraiment trop au sud ceux-là! Il disparut un instant pour aller consulter son registre des chaos impondérables et parcourut de son long doigt la liste qui s'allongeait au fur et à mesure qu'il la lisait. D'étranges signes s'inscrivaient en lettres de glace sur les pages noires. Il s'arrêta sur une ligne.

Ahh voilà! Tout s'explique! Gorthün est mort et son fils Thorvald mène sa conquête pour valider son accession au trône ! Il n'aurait pas pu choisir une autre conquête, lui! Il nous enquiquine! Thorvald de Drogmünd! Avec un nom pareil, il va nous faire des ennuis lui !

Il s'empressa de réapparaître auprès de Démétrios.

- Ca va chauffer! Ingmar se bat contre un ennemi qui n'est pas de sa taille. Tu vois les types avec des boucliers ornés de loups blancs sur la colline à gauche ? Eh bien ce sont les loups de Drogmünd et leur chef est en train de valider son accession au trône. Leur roi est mort et le fils veut terminer son initiation de guerrier! C'est un jeune loup aux dents longues et il est entouré de valeureux et loyaux guerriers. Tu veux toujours continuer ? Ou tu renonces ? Tu en as le droit !

Il croisa les bras et regarda Démétrios en pleine action qui était en train de couper le poignet à un rouquin agrippé à son échelle tout en évitant les moulinets de l'autre poignet du type.

- Honnêtement, je n'avais pas prévu cette option pour toi et là, tes amis Varègues vont à une mort certaine. Je ne sais pas ce que me fait Aparadoxis. Mentit-il.

Bien sûr que si, il savait ! C'était l'impondérable qui avait cours en tous lieux, le non prévisible, l'irréductible théorie du chaos qui faisait entrer en collision des événements indépendants et modifiait le cours de l'Histoire, le paramètre que même les maîtres du Temps ne tenaient pas sous leur coupe, ce que les humains appelaient les Desseins Divins.

- Tu as du contrarier tous les Dieux avec ton baptême impromptu! Ajouta-t-il avec un large geste du bras qui lui fit passer à travers le glaive de Démétrios. Ils n'aiment pas trop les croyants qui mangent à tous les râteliers. Continua-t-il à mentir. Ils peuvent décider de vous aider ou pas, mais je ne les sens pas très favorables à votre camp pour le moment. Alors que choisis-tu ? On reste ou on s'en va ? Demanda-t-il en espérant que le Grec essaie de lui envoyer une patate dans le nez pour une fois. Cela voudrait dire qu'il voulait rester et Zorvan avait envie de voir la suite. Même s'il ne pouvait se battre et choisir un camp, c'était si exaltant de voir ces magnifiques guerriers se combattre. Mais bon, c'était inscrit dans la charte temporelle que le Dévoreur lui avait fait signer. Il le fournissait en divertissement, à la condition que les candidats aient le choix de se retirer lorsque l'action n'était pas encore trop engagée. Zorvan était donc obligé de demander à Démétrios s'il voulait partir et il trouvait cette obligation très frustrante. Après tout, c'était lui le Gardien de l'Antichambre! Pas Le Dévoreur !

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{Achevé} Démétrios face au Miroir  Empty Re: {Achevé} Démétrios face au Miroir

Message  Invité Sam 20 Oct - 15:04

Vents, feu, terre et eau, l'univers tout entier semblait se soulever d' un seul élan pour écraser le dernier bastion qui résistait encore.
De l'autre côté de l'estuaire, la Ville semblait s'être murée dans une autre dimension, attendant derrière ses remparts que le tumulte qui rageait autour d'elle s'éteigne avec la furie venue de la mer. Mais le monastère faisait corps avec les collines qui avaient vu passer Europe et Zeus, Jason, Darius, Xénophon et Philippe. De tout le paysage s'élevait le murmure ancien des rocs et des rivages où l'histoire s'est écrite dans l'aube des grands départs et les soirs sanglants où disparaissent les peuples.
Et comme toujours, aux quatre éléments primordiaux, s'en ajoutait un autre, et ce cinquième élément, c'était la fureur des hommes, rythmée par les clameurs et le fracas du métal heurtant le métal.
Démétrios, subjugué par la violence de l'assaut, regardait les barbares couleur de sang et d'or rouge qui montaient vers lui et il oubliait qui il était, qui il avait été, pour se sentir ramené à une certitude unique : il était vivant et il allait mourir.
Le rugissement animal d'Ingmar le pétrifia. D'où venait cette puissance élémentaire qui n'était pas celle de la peur ni du désespoir mais celle de la volonté du guerrier de montrer qu'il était là, qu'il était lui, et que comme l'orage et les dieux, il pouvait remplir le monde de sa rage et de sa fierté. Les guerriers priaient leurs dieux inconnus et Démétrios se sentit abandonné. Ni Arès ni Athéna ne lui parlaient au fond de sa conscience. Les Dioscures, protecteurs des éphèbes marchant au combat, n'étaient que de gracieuses silhouettes qui se brisaient avec l'arrondi du vase où elles avaient semblé prendre vie. Il était abandonné dans un monde de fantômes et d'illusions où la mort seule serait bien réelle. Tous les matins du monde s'illumineraient sans lui, et quand l'aube briserait l'obscurité, ce serait comme si Démétrios de Zéa n'avait jamais existé.
Le prieur avait fait sortir la bannière où était brodée l'effigie de Sainte Pélagie et il aspergeait les gardes, agenouillés comme les Varègues devant la volonté divine. Le Grec regarda le visage étroit de l'icône, son long nez droit, son regard profond, son air énigmatique qui lui rappelait peut-être vaguement quelqu'un mais certes pas une présence divine. Non, il n'avait rien devant quoi ployer le genou. On ne se prosterne pas devant le destin, qui est un monstre aveugle et sourd, et aucune prière ne peut changer l'ordre des choses.
Le seul avec lui qui ne priait pas était Zorvan et sa voix vint juste à ce moment rompre le profond sentiment d'isolement étreignant le Grec. Il fut heureux de l'intervention du Gardien, que celui-ci ait éprouvé le besoin de lui parler, de lui rendre le monde moins hostile, moins étranger.
Zorvan semblait cependant regarder ces hommes, qui allaient tuer et être tués, en tant qu'êtres d'une espèce différente, tel un entomologiste observant des insectes. Tous s'activaient obstinément à vivre leur existence éphémère comme si elle devait durer toujours, petits êtres d'autant plus absurdes qu'ils refusaient leur absurdité. Démétrios avait toujours perçu que ce n'était pas seulement en raison de son invisibilité sélective que Zorvan était différent du Dévoreur, resté lui profondément humain malgré ses étonnants pouvoirs. Le Gardien sembla cependant partager un instant la détresse des exilés qui meurent loin de leur pays natal. Ce lien de sympathie fut comme un baume sur le coeur meurtri de Démétrios qui se sentait si seul, loin d'Athènes la lumineuse, loin des siens aimés, loin de celui qu'il n'était plus, mais qu'il savait exister encore dans un temps d'éternel présent.

Un frémissement agita le groupe des Rùs qui entouraient leur chef et Démétrios médusé vit Ingmar s'entailler le poignet, le bras levé vers le ciel en un geste d'invocation à une force inconnue qui sembla le pénétrer aussitôt.
Avant d'entrer dans le souterrain et de libérer les chevaux, le guerrier du Nord avait revêtu une sorte de veste en fourrure roulée jusqu'alors derrière la selle. Quatre de ses hommes l'avaient imité. La fourrure avait repris son volume initial et paraissait soudain s'imposer au regard comme le trait le plus distinctif du géant roux. Ingmar haranguait ses compagnons et bien que le sens des mots lui échappât, Démétrios sut que c'était de ces mots où les dieux semblent descendre de l'empyrée pour marcher à côté des hommes. Les autres peaux d'ours se rassemblèrent à l'écart et Démétrios crut voir passer une corne qu'ils portèrent à leur bouche, successivement.
Puis le chef varègue se tourna vers lui et, dans son langage disloqué, lui cria ce qui était plus un appel qu'un ordre et c'est le "tous ensemble" que le Grec entendit le mieux. Il avait l'épée en main et le bouclier en place, le coeur calme et son esprit distant semblait revenir vers lui comme une vague grondante qui allait le submerger. Il n'avait pas de haine contre les assaillants, mais il comprenait que l'heure était à la colère et à la rage. Il existerait le plus longtemps possible. Il se battrait même si c'était inutile, même si tout était perdu d'avance. Chaque seconde qui retarderait sa mort serait une victoire, non sur ces tueurs qui montaient vers lui, mais sur la mort même.Il dirait non, jusqu'au delà de son dernier souffle. Jamais il ne céderait, jamais il ne poserait ses armes, jamais il ne se sentirait vaincu.

Repousser les premiers assaillants fut relativement facile. Sans même se concerter, les jumeaux avaient mis au point une technique efficace. Sur le chemin de ronde, à l'endroit qui correspondait en bas à un aplat du sol apparemment propice à la pose des échelles, ils empoignèrent les montants de la première échelle qui se posa. Prévue pour de vraies fortifications, elle était plus haute que les murs du monastère, et les crocs d'abordage dépassèrent le sommet des crénelages, offrant ainsi une excellente prise aux deux garçons disposés de part et d'autre. Ils firent pivoter l'engin en s'y accrochant avant même que les Rùs aient mis le pied dessus. Plusieurs moines qui secouaient des encensoirs sous le nez de Sainte Pélagie, aperçurent la manoeuvre, lâchèrent leurs instruments et troussant leurs robes, montèrent de la cour pour se joindre aux jumeaux en entonnant un psaume d''une voix surexcitée,
Éternel, défends-moi contre mes adversaires;
Combats ceux qui me combattent!
Prends l'écu et le bouclier,
Et lève-toi pour me secourir!

Ils entrecoupaient sans hésitation le chant sacré de Han et de Ho et de Rhâa, poussés à pleine voix pour rythmer leurs efforts. La harpe du Roi David avait cédé devant les braillements barbares et le chœur des Anges se muait en choeur de révoltés.
Démétrios et ses Byzantins bondirent vers les braves Castor et Pollux et de l'épée, repoussèrent les rares guerriers qui réussirent à approcher du sommet. Finalement, après un dernier tangage, l'échelle dérapa vers l'arrière et s'abattit au milieu des alleluias et des cris de joie.
Mais ailleurs d'autres échelles avaient été placées et le sang coulait à chaque point d'attaque.
Le vacarme des hurlements se joignit au martèlement des boucliers que les assiégeants ne cessaient de frapper tant qu'ils n'étaient pas au pied des échelles. Ingmar rugissait plus fort que tous en faisant tournoyer sa grande épée à hauteur de tête et il décapitait aussitôt les premiers arrivants, comme une formidable machine à tuer. Démétrios d'abord fasciné,finit par l'oublier et se mit à frapper au hasard dans les poitrines qui apparaissaient entre les créneaux. Les guerriers-ours, armés de marteaux de guerre, poussaient des cris inhumains et écumaient, la bave aux lèvres, en se penchant sur le vide pour fracasser le crâne de ceux qui montaient. Des éclaboussements de sang et de cervelle rejaillissaient sur eux, les transformant en créatures de cauchemars, terrorisant même ceux qu'ils se chargeaient de défendre.

-Berserkir! le démon est réveillé ! Protège- nous, Seigneur, de la Bête !

cria Nicanor tout en décochant ses flèches, grimpé courageusement sur le rebord du clocheton.

Il y eut un moment de recul des casques rouges. Ingmar abaissa son arme et soufflant, ronflant, grognant, il secoua sa fourrure, grinça des dents et s'adressa à Démétrios. Ce qu'il dit ne signifiait rien de très clair pour le Grec, sinon que l'ennemi était plus fort et plus nombreux que prévu. Les pertes de leur côté étaient limitées mais ce n'était que le début de l'assaut et les jumeaux s'étaient assis, le dos au rempart, l'air épuisé. Un moine avait été transpercé d'une flèche et emporté à l'abri. Un autre avait eu l'oreille tranchée et voulait absolument la retrouver alors qu'on voulait l'emmener tout couvert de sang. Démétrios se demanda s'il pensait l'offrir à Sainte Pélagie, à moins qu'il n'espérât devenir lui-même un saint avec reliques. Plus loin, un guerrer-fauve secouait sa crinière, une flèche fichée à la naissance du cou, sans paraître la voir ni la sentir. Le vent agitait les chevelures varègues, les robes des moines et la bannière où Sainte Pélagie conservait seule cet air immuable que Démétrios trouvait de plus en plus exaspérant. Et puis pourquoi n'avait-on pas utilisé les tubes à feu. Dans leurs clochetons respectifs, des moines s'agitaient autour des engins. Leur position était excellente ; le Prieur avait-il trop abusé de l'eau bénite sur les matières inflammables comme il l'avait craint ? Il avisa un moinillon qui portait de l'étoupe aux siphonarios et lui demanda si tout allait bien.

-Oui, mais les socles sont coincés. On risque de balayer vers l'arrière. C'est gênant." conclut le petit d'un air grave.

Et voilà que des hurlements retentirent, scandés des bruits entrechoqués de métal et de bois. Dix échelles s'accrochèrent en un ensemble parfait. On se jeta vers la ligne crénelée, anticipant l'apparition des premières armes brandies au bout de bras qu'il faudrait trancher avant que les guerriers ne puissent prendre appui et sauter sur le chemin de ronde. Un incendie ronfla non loin des murailles, allumé dans les appentis où les moines stockaient des charrues et des réserves pour les animaux. Tout le monde comprit que la première flèche enflammée n'allait pas tarder à dessiner son arc de feu au dessus du monastère. La clameur enfla brusquement, chacun hurlant pour ne plus entendre que le son de sa propre voix, pour s'enfermer dans la certitude qu'il était encore en vie et poussé conjointement par un élan collectif le portant au delà de lui-même. Le soir qui s'avançait n'était plus que l'annonce des ténèbres qui emporteraient les âmes. Il serait temps de mourir alors, quand la nuit ferait du ciel un manteau royal pour les héros morts au combat. Oui, on était prêt, prêt à mourir entre les étoiles.
Démétrios, hurlant avec les autres, plongea en avant vers un faciès qu'il ouvrit d'un violent coup de taille ; il eut le temps de voir le regard paniqué, le sang qui descendit en rideau dans la bouche ouverte sur un infâme gargouillis. Une joie féroce l'anima. Un de moins !
Zorvan se dressa soudain à ses côtés et lui montra sur une colline des guerriers qui se regroupaient. Voir des loups blancs sur des boucliers..à cette distance ? Le Gardien oubliait que lui, Démétrios, n'avait que ses yeux d'homme. Seul le Gardien pouvait lire au delà de l'espace, au delà du temps,
Zorvan fixa son noir regard sur lui et lui lança le choix à faire. Mais le Grec fonçait déjà sur une main agrippée au haut d'un montant, la frappant comme s'il se fût agi d'un serpent. Le sang gicla, l'homme ne sembla pas en avoir cure et dressa l'autre bras, balançant déjà avec force sa grande épée varègue. Démétrios avait juste eu le temps de brandir son bouclier, sans y croire vraiment, qu'une énorme botte levée apparut soudain sur le côté, s'écrasa en plein sur une face peinte de rouge, repoussant en arrière épée, visage et poignet sanglant, lesquels entraînèrent aussitôt dans le vide tout un corps gesticulant. Démétrios, éberlué, remonta de la botte à la jambe et arriva à une peau d'ours. Ingmar se mit à rire en entendant la dégringolade de corps qui suivit la première chute, puis repoussa d'un seul coup l'échelle vidée de ses occupants et se retournant, reprit son nettoyage de l'échelle voisine.
Le répit serait court mais Démétrios le mit à profit pout enfin répondre à Zorvan qui répétait sa question. Il l'énervait, celui-là, à lui parler, alors qu'il tranchait du Rùs et que sans Ingmar, il aurait certainement été mis dans l'impossibilité définitive de répondre.

-D'abord, je ne suis pas baptisé ! et si Nestor est mort, je ne le serai jamais. Ensuite, m'en aller, moi ? Alors qu' Ingmar est devenu un Ours et qu'il m'a sauvé la vie ? Et il y a peut-être encore une petite chance. Il y a toujours une petite chance. Après tout, les Loups blancs viennent peut-être à notre secours ? Ingmar dit que ce sont de nobles guerriers et si ce Drogmünd, le seigneur des Loups, veut de la gloire, il y en aura plus à nous sauver qu'à se joindre à ces diables rouges qui se mettent à cinq contre un. On pourra ensuite s'entendre et Ingmar partagera le trésor. Et il y a certainement un autre souterrain qui s'en va du monastère.
Il faut sauver Castor et Pollux. Emmenez-les, eux, si vous le pouvez.. ils raconteront la fin de l'histoire. Ad futuram rei memoriam, comme disent ces fichus Romains. Ha, revoilà les autres...

Démétrios sauta, épée brandie vers un créneau où réapparaissait un plumeau rouge et cria vers Zorvan:

- Et puis, tiens, rrrah !... je ne pars que si on gagne . Grraou ! ! gnnnnah !... Laissez-moi tranquille ou faites un miracle ; c'est vous le dieu ici, non ? Ouch ! va pas me baver dessus, celui-là ? Ce qu'il pue..

Un coup violent le fit reculer et il aperçut en bas dans la cour Sainte Pélagie qui ondulait sur sa bannière ; la suie venant de l'incendie avait noirci les couleurs délicates et mis une barbichette au lisse menton de la dame.
Démétrios ricana . Il savait à qui Pélagie ressemblait.
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Message  Zorvan Ven 26 Oct - 0:49

La réponse était faite. Démétrios se battait comme un beau diable, faisant front face à l'adversaire terrifiant, presque à l'aise dans la mouvance des Rùs déchaînés. Zorvan eut envie de battre des mains mais il trouva que cet accès, venant de lui, était stupide. Il devait conserver une réserve même si la bataille prenait un tour plus dramatique avec les flèches enflammées des dragons rouges. Les canons du monastère, gueules de feu étaient à présent opérationnels, prêts à cracher leur venin mortifère. Ingmar était venu au secours du bonnet, ce que le gardien de l'Antichambre n'avait aucun droit de faire et le barbichu sentit que le lien continuait à se tisser entre l'Athénien et le Varègue. Il en sourit presque alors que les diables rouges harassés par de vains assauts commençaient à se faire moins nombreux. Hors de question d'emmener qui que ce soit à l'abri. Zorvan ne voulait pas en perdre une miette et il ignora superbement les protestations de son Athénien. Et puis, d'ailleurs, il y avait du nouveau juste en bas.

Une vague déguenillée et masquée par des faces osseuses prélevées sur des cadavres prit place dans les rangs des assaillants, avançant en marmonnant des paroles incompréhensibles.

- Sivetes av Khal ! Den stora ögon i världen skydda oss! Dörrar öppnas och outsäglig sina sinnen vandra bland oss​​! Eructa le chef des Ours.
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Le Clan des Ours fut parcouru par un murmure et se figea dans une expression terrifiée. Les hommes du Septentrion échangèrent des regards méprisants puis crachèrent par dessus les créneaux sur les rangs des nouveaux belligérants qui ricanaient de leur dentition défaillante. Un rire à glacer le sang, qui pouvait évoquer aux âmes de Constantinople ayant visité les déserts du grand continent asséché, le ricanement des chiens à crêtes avant la curée. Puis les dentelures des fortifications monastiques se mirent à onduler, telle l'épine dorsale d'un Behemoth enfiévré. Le clocheton qui sonnait les messes se déforma lui-même et son toit de pierres plates sembla se couvrir d'écailles alors que le bâti qu'il protégeait se transformait en une gueule béante et serpentine dont le cou qui la portait se penchait dangereusement vers la cour où hurlaient les moines atterrés, comme pour happer les pauvres humains qui s'y trouvaient. Les arbres rares et les végétations qui entouraient les abords du monastère prenaient vie et griffaient les flancs du bâtiment qui semblait convulser sous les zébrures. Les façades lézardées suintaient d'un liquide purulent et rougeâtre tandis que le sol même de la cour s'ouvrait en de béantes plaies d'où s'exhumaient des formes monstrueuses de difformité. Zorvan pouvait voir, il voyait ce que les hommes, Rùs, Varègues et Grecs voyaient. Mais lui, savait. Il savait que ce n'était que pratiques occultes animant ce que l'homme, le vivant n'est pas appelé à voir. Ce qui avait cours dans les mondes parallèles obscurs, ceux qu'on promettait aux plus ignominieux. Ces visions ne pouvaient le faire céder à la folie. Mais pour les vivants ? Qu'en était-il ?

A l'intérieur, alors que les moines se lamentaient s'arrachant les cheveux, que les citoyens de la Ville, les hommes de Démétrios étaient pétrifiés de peur, que les Varègues roulaient des yeux effarés, moulinant dans le vide contre les spectres qui les assaillaient de toute part, leur volant leur humanité, Zorvan jeta un oeil par dessus les remparts, imité par le Grec au bonnet. Ils purent voir presque la même chose, même s'ils le percevaient différemment. A travers les rangs des dragons rouges, la Géhenne se répandait aussi et sur les collines, les loups blancs, attroupés, avaient cessé de battre leur bouclier. Un silence de mort se fit, qui accentua encore les hurlements inhumains et les chuintements des esprits libérés. Partout, les hommes de la tribu abjecte des Sivètes se tordaient en d'infamantes oraisons qui exacerbaient les cohortes des limbes libérées des entrailles de la terre. Les flammes des torches, elle-mêmes, semblaient brûler différemment et le vent était chargé de pestilence encore bien différente de celle des odeurs de chairs brûlées provenant des esquifs échouées dans la baie. Certains spectres s'enroulaient autour des hommes de l'arrière garde rùs, leurs propres alliés de naguère et semblaient en étouffer quelques uns. Mais il apparut bientôt que ceux-ci n'étaient pas simplement suffoqués de terreur mais s'effondraient réduits à l'état de poussière pour renaître de même nature que leurs bourreaux qui se virent ainsi rapidement multipliés. Les silhouettes désincarnées se mirent bientôt à ramper le long des murs de l'enceinte puis à les escalader de leurs griffes acérées.

- Titta inte på deras ögon! De är döda!
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Sur les remparts et dans le monastère, les guerriers qui n'avaient pas succombé se voilaient le regard d'une main et taillaient à l'aveugle de l'autre, tranchant des corps dressés dans leur putréfaction, coupant des têtes osseuses couvertes d'une peau verdâtre et pustuleuse. Les morts mourraient à nouveau, vomissant leurs entrailles pleines de vermine et de fétides humeurs, râlant dans d'indescriptibles convulsions dont les explosions éclaboussaient les armures, les marquant à jamais de leur morsure acide, brûlant les chairs et fondant les os des braves .

Au dehors, sur les flancs du monastère, les tribus se disloquaient, refluant vers l'arrière, vers la mer et ceux qui s'étaient réunis sous la noire bannière des Sivètes se retrouvèrent bientôt seuls sur le champ de bataille, refluant lâchement vers les collines, vers les loups, vers leur nouvelle pitance qui se préparait à un assaut imprévu ... Les spectres n'ayant pour se repaître que ceux qui les avaient fait renaître en firent bientôt bombance sous l'oeil médusé de leurs alliés et ennemis. Les prêtres sorciers de la tribu maudite furent dévorés, transformés par leurs créatures et bientôt elle furent seules à dominer le champ de bataille devant le monastère.

- Ces chiens de Khäl pas maîtriser leur propre magie. Portes du Helheim ouvertes, ils ne savent plus retenir les morts.

Zorvan assistait à tout cela d'un air pensif et sourcilla un peu en regardant, dans la cour, un moine se faire phagocyter par un varègue décharné. Ceux qui cédaient à la panique et s'enfuyaient les yeux exorbités étaient voués à une mort certaine. Ingmar et ses plus avisés guerriers s'étaient regroupés en cercle, dos à dos et faisaient front en balayant l'espace de leurs grandes et lourdes armes. Les yeux fermés, leurs coups portaient moins et ils recevaient de multiples blessures auxquels certains succombaient, mais ils évitaient ainsi d'être changés en morts sur pattes.

- Petits casques mous ! Faire comme nous! Mourir en guerriers ! Vous avez aussi votre Valhalla !

Au loin, un son de corne se fit entendre, suivi d'un rugissement monumental. Zorvan, perplexe, essayait de comprendre ce qu'Aparadoxis avait encore inventé pour éprouver, à sa demande, le Grec au bonnet. Le spectacle auquel il assistait à présent était pour le moins étonnant. Les hordes de guerriers menaçants, qui s'étaient massées sur les collines et se contentaient au début de repousser les miasmes et vermines des cadavres combattants, déferlaient à présent, heaume baissé, vociférant, déboulant probablement à l'aveugle dans l'enchevêtrement de cadavres combattant debout et taillaient dans la masse purulente une saignée jusqu'à la porte du monastère. Plusieurs tombèrent sous les coups de la multitude des spectres qui se renforçaient de leurs victimes. Beaucoup furent blessés très gravement mais pourtant la colonne progressait à travers l'infamie. [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] A sa tête, un homme de grande taille arborant un bouclier orné d'un loup blanc, juché sur son cheval, la cuirasse couverte de sang, le visage masqué par un casque dont s'échappait une crinière blonde coulant sur ses épaules se présenta bientôt sous la tour qui veillait la porte du monastère et demanda en hurlant par dessus les cris indescriptibles des agonies.

- Vem är kungen av det här stället?

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Message  Invité Mar 6 Nov - 23:03

Les guerriers morts, rappelés au combat par la noire magie des Sivètes, furent d'abord ignorés par Démétrios. Bouclier au bras, surexcité par la violence du moment, il taillait à l'épée tout ce qui apparaissait à sa portée. Le danger qu'il affrontait ne lui laissait que l'attaque comme moyen de défense et il se donnait à plein, le manque de pratique compensé par la fougue de son élan.
Quand l'horreur se mit en marche au milieu de la horde ennemie, il n'en comprit donc pas immédiatement la portée. Grimaçant d'un immonde ricanement, les faciès de damnés levés vers lui ne faisaient que s'inscrire dans le chaos de la bataille, participaient du tohu-bohu général. Quel que fût son visage, c'était la mort qui tentait d'atteindre ceux avec qui il combattait et qu'il devait défendre. Moines, gardes byzantins ou clan de l'Ours, tous lui étaient devenus précieux. Il était prêt à mourir pour chacun d'entre eux, même pour l'insipide prieur, même pour le plus puant et le plus brutal des guerriers d'Ingmar. En lui s'exaltaient de nobles sentiments, la solidarité des frères d'armes unis dans la même lutte, la volonté de se montrer à la hauteur du courage de certains et de donner l'exemple aux autres. Dans la défaite même, qui semblait probable, il devait ne pas déchoir aux yeux de l'adversaire.
Par dessus tout, il désirait se sentir digne de lutter auprès d'Ingmar dont la vaillance et la générosité sans emphase le remplissaient autant de gratitude que d'admiration. Au temps de son éphébie, le Grec avait combattu les brigands d'Epire. Il n'était qu'un soldat novice et maladroit, mais soulevé par la fierté d'être un Athénien au service de sa patrie. Cependant il n'avait pas alors eu l'occasion d'éprouver ce dévouement absolu envers un chef incarnant toutes les vertus auxquelles son jeune idéalisme aspirait. Il n'admirait vraiment que les héros antiques, modèles inaccessibles, perdus dans les brumes dorées des épopées. Le regret constant de ne pas avoir combattu aux côtés de son père donnait d'avance un goût amer aux occasions de montrer sa valeur. Il resterait un faible, un indécis, et personne n'était là pour le tirer vers le haut de lui-même. Aujourd'hui, sans qu'il se le formulât clairement, Ingmar était comme un Démoclès revenu des Enfers, lui insufflant par sa seule présence le désir de se conduire en brave. Comme le jeune garçon d'autrefois, impressionné par l' étincelante armure de son père, sensible intensément au nimbe de gloire et de respect qui l'entourait, Démétrios éprouvait une fascination quasi physique devant la haute stature du chef barbare, son aspect insolite et terrible, sa fierté sourcilleuse et cette facilité à passer de la gravité la plus noble à un rire tonitruant, signe de son assurance d'être le maître incontesté de la situation. Ingmar dominait les êtres et les évènements, irradiant cette certitude qui transforme un homme en héros.
Et alors que sous l'éclat du bleu regard varègue, l'inquiet et rêveur Démétrios se sentait transporté par la rageuse ivresse du combat, voilà que l'armée répugnante venue des abîmes se répandait comme une marée d'épouvante indicible. L'exaltation de la bataille, la lumière purificatrice de la prouesse qui rend la mort glorieuse, tout se trouvait englouti par les ténèbres, se dégradait dans la pourriture et la déchéance hideuse des corps. Le sordide et l'innommable envahissaient le monde, glaçant l'enthousiasme de combattre pour se dépasser soi-même, pour se sentir plus valeureux, plus digne d'exister, fut-ce au prix de sa vie. L'affreuse folie de la magie guerrière semblait tout recouvrir d'ignominies rampantes et ne pouvait plus conduire qu'à une fin vile et inhumaine.

Tous les combattants sur les remparts restèrent un long instant pétrifiés par les prodiges qui secouaient le monde autour d'eux. Le comble fut atteint quand Démétrios ne voyant plus d'assaillants apparaître aux créneaux, se pencha pour voir ce qui se passait, imitant Zorvan qui suivait les évènements, visage impassible mais le feu de l'intérêt allumé dans son sombre regard. La horde maléfique transformait les dragons rouges en des créatures de cauchemar et toute cette armée macabre montait à l'assaut des murailles. Ingmar beugla un ordre à ses hommes. Les rugueuses paroles n'avaient pas besoin d'être traduites aux Byzantins car aussitôt les guerriers varègues se cachèrent les yeux de la main et commencèrent un combat à l'aveugle. Tandis que les servants des tubes à feu désertaient leur poste pour se jeter vers l'abri de la cour, Démétrios cria aux jumeaux qui s'étreignaient, muets d'épouvante :

-Rentrez vite protéger Nestor, même s'il est mort ! Surtout s'il est mort ! Que rien ne puisse s'approcher de lui ! Rien !

L'ordre les tira de leur panique et fut immédiatement saisi et exécuté. Les garçons dévalèrent l'escalier en criant, la voix encore étranglée de terreur :

-On y va, chef ! On y va !

Démétrios les suivit des yeux un court instant, angoissé soudain par ce qu'il vit en bas. La cour même avait cessé d'être un refuge. Des choses informes sortaient des crevasses du sol, devenu comme un marais mouvant où les vivants et les morts, le minéral et l'organique se mêlaient en un chaos de fin du monde.
Se retournant, Démétrios aperçut, juste posées entre les créneaux derrière lui, des griffe noires sortant d'une main squelettique où tremblaient des lambeaux de chair. Fermant les yeux, il trancha l'immonde débris mais d'autres suivaient, grondant, gloussant, dans un bruit de succions, de clapements et rampements visqueux, de crissements d'os râpant la pierre, concert infâme qui annonçait la venue de l'horreur. Démétrios vit Ingmar qui rassemblait ses guerriers dans la cour. Les moines se cramponnaient les uns aux autres en cherchant à saisir les pans de la bannière de sainte Pélagie, tandis que les guerriers zombies commençaient à agripper les plus proches, les écrasant dans d'infectes étreintes.
Inutile de mourir seul sur le rempart. Le Grec sautant les marches quatre à quatre, le bouclier devant les yeux, rejoignit le cercle des Varègues et les imita, sabrant au jugé, juste pour repousser le plus possible la terrible échéance. Il ne restait que quatre gardes pour répondre à l'appel d'Ingmar qui exhorta les survivants byzantins à ranimer leur fierté, à mourir pour une mort digne et non dans l'abjecte soumission à la peur. Démétrios ne vit pas Nicanor et sa gorge se noua. Les moines dispersés, pris de démence ou prostrés à terre, disparaissaient les uns après les autres. Le groupe compact autour de Sainte Pélagie diminuait mais semblait offrir une certaine résistance car tous avaient les yeux levés vers l'effigie dressée au dessus d'eux, toute souillée de fumées et de giclements poisseux mais gardant dans ce déferlement démoniaque son regard tourné vers le mystère d'un ailleurs de paix et de pureté.

Au dehors le vacarme s'amplifia. Un moine hirsute, hurlant apparut soudain dans le clocheton déserté ; il était armé d'un grand crucifix de cuivre et s'en servait pour abattre les quelques spectres qui tentaient de pénétrer dans son refuge en remontant de la cour. Il proférait des injures, des blasphèmes aussi bien que des invocations sacrées, et la folie décuplait sa force. Resté seul, il se tourna vers l'extérieur, s'mmobilisa soudain, poussa un cri et se retournant, agitant son crucifix, lança au sommet de sa voix :

-Alleluia ! Hosannah ! Voici venir le Grand Saint Michel ! Il est au milieu des cohortes célestes. Satan est vaincu ! mes frères, ouvrons les portes à l'archange de lumière ! Il écrase les infâmes ! Ouvrons les portes ! Ils arrivent ! Louons l'Eternel ! Saint-Michel, terreur des démons, priez pour nous!

Là-dessus il entonna aussitôt les litanies de Saint-Michel:
Saint-Michel, très puissant prince des armées célestes,
Saint-Michel, rempart des orthodoxes,
Saint-Michel, secours très assuré,
Saint-Michel, notre prince, priez pour nous

Le pauvre homme délirait visiblement ; cependant, aucune sinistre figure ne montait plus de l'extérieur où l'on entendait comme un changement dans les cris et le fracas des armes. Ce n'était plus seulement des voix démentes et des bruits d'agonie, mais les clameurs d'un assaut vigoureux, où des voix mâles et décidées grondaient leur détermination.
Dans la cour, le combat sembla soudain moins inégal, les morts revenaient à la vie en bien moins grand nombre et les effets magiques sur l'environnement avaient disparu. Le monde reprenait sa stabilité, souillé, couvert de débris sanglants, de lambeaux indéfinissables mais rentrant dans la normalité d'une enceinte assiégée. Le cercle des guerriers d'Ingmar dut s'élargir pour atteindre les horreurs qui se formaient encore ici et là.
Le son majestueux d'une corne de guerre surprit tout le monde. Le fou au crucifix se déchaînait sur sa tourelle et poussait des cris inarticulés à l'intention d'on ne savait quels arrivants. Démétrios se décida à aller voir ce qui se passait et enjambant des restes de cadavres deux fois déchiquetés, tailladant au passage quand cela remuait encore, rejoignit l'échauguette au dessus du portail. Quand ses yeux rencontrèrent l'espace ouvert de la meurtrière, il eut un choc. Toute une troupe varègue sous le signe du Loup Blanc montait vers le monastère, combattant avec vigueur, renvoyant l'armée des morts dans le néant d'où elle était sortie. Un splendide guerrier conduisait la percée, dressé sur un grand cheval frémissant du désir de s'élancer en avant, libre, sans la contrainte de la main nerveuse qui lui imposait la retenue. Ses longs cheveux d'un blond lumineux prolongeaient l'éclat de son heaume comme une chape dorée et Démétrios, s'il ne crut pas voir Saint Michel, comprit immédiatement la joie du moine illuminé devant la glorieuse vision.
Il se tourna vers les Varègues de la cour pour les prévenir mais la voix puissante du Loup blanc lui épargna cette peine et Démétrios vit un éclair illuminer le rude visage d'Ingmar en entendant la phrase prononcée dans la langue natale.
Démétrios, impatient, trépignant littéralement, sortit de l'échauguette en criant vers Ingmar :

-Qu'est-ce qu'il dit ? Mais qu'est-ce qu'il dit?

Tout en ouvrant d'un coup d'épée un dernier ressuscité qui se répandit en flots de sang noir et d'immondices, Ingmar éclata de son grand rire comme si la plaisanterie était excellente et traduisit la phrase à Démétrios. Le Grec exultant,riant lui aussi, rejoignit le chemin de ronde, et se pencha vers le chef des Loups blancs :

-C'est Ingmar, le roi de ce lieu ! Ingmar du clan des Ours ! Ingmar Tête de feu ! Ingmar Poigne de fer !

Déjà les Varègues levaient l'énorme madrier qui barrait le portail et dans le fracas des chaînes libérées, ouvraient la porte au Loup blanc.
Démétrios descendit en hâte vers la cour. Les derniers religieux reprenaient en bégayant les litanies du moine au crucifix qui dansait littéralement sur sa tourelle.Tout couvert de sueur, de sang et de sanie, l'Athénien se plaça fièrement dans le rang des Ours survivants.



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{Achevé} Démétrios face au Miroir  Empty Re: {Achevé} Démétrios face au Miroir

Message  Zorvan Ven 9 Nov - 2:06

Les lourdes portes s'ouvrirent lentement sur la cohorte des Loups Blancs. Leurs chevaux piétinaient sur place devant les remparts et les cavaliers ne s'engagèrent pas tout de suite dans l'avant cour. Le guerrier blond souleva son heaume et scruta le tumulte qui se modérait sur le parvis du monastère. Un coup d'oeil lui suffit pour évaluer la situation. La magie sombre des Sivètes refluait une fois le pacte de sang rompu par les Loups et les sorciers de la noire tribu disparus sous l'étreinte des créatures qu'ils avaient invoquées. Le regard d'azur d'une nuance encore bien plus claire que celle d'Ingmar balaya les combattants rassemblés, l'arme au poing et qui les dévisageaient, lui et ses braves, comme s'ils étaient Thor et sa suite. Le jeune homme, qui avait été nommé comme l'un de ses représentants par son patronyme même, avança enfin sous l'arche du portail, son épée étrange, plus courte et plus fine que celles des Ours, encore à la main. Bientôt la cour fut remplie à tel point que les loups à pieds investirent les chemins de ronde, les tourelles et les escaliers pour s'y masser comme ils pouvaient. Lorsque le dernier eut franchi les portes, elles furent refermées dans la hâte de la terreur encore présente. Les boucliers argent ornés d'un loup blanc se détachaient en nombre dans la foule, comme englobant les derniers guerriers du monastère encore vivants. Celui que le moine avait appelé Saint Michel se dressa sur ses étriers, parcourut la multitude assemblée du regard et rugit de sa jeune voix de Roi.

- Var gömmer du Ingmar ? Son bär! Thor ger dig rätt att vara i bergen i åska, en stor krigare! Din är hyllad av Asarna!

Spoiler:

Le roux, Ingmar sortit alors du rang où il était inclus et s'avança visiblement ému, oscillant entre une fierté assez contenue pour le Rùs qu'il était et une humilité nouvelle. Il plaça la main sur son bouclier à l'effigie du plantigrade auquel il s'affiliait et inclina la tête dans un salut plein de modestie.

- Här är björnar och vargar möttes! Dina framgångar resonans i hela Midgård! Var är Gorthün som lärde mig att vara en man kämpar mot min far?

Spoiler:

Le guerrier garda le silence et descendit de sa monture pour venir se placer devant Ingmar. Zorvan n'en perdait pas une miette, adossé à une colonne qui soutenait le chemin de ronde et ne manquait pas d'observer son Grec qui tendait le cou pour voir les deux hommes se faisant face. Ils incarnaient toute la véracité de leurs clans respectifs, l'ours au pelage mi roux mi fauve campé sur ses jambes, solide, fort et fier face au loup qui le dévisageait d'un regard acéré naturellement droit et combatif, légitimé par sa seule façon d'être: meneur de horde. L'un massif et large de stature, les muscles proéminents, l'autre élancé et sculpté dans le roc, altier et sans concession. Les deux regards se jaugèrent dans le silence de l'après combat. Le vent tiède, seul semblait animer la scène en faisant voleter leurs cheveux et les brins de laine du bonnet de l'Athénien qui commençait à se détricoter sur le bord. Le Gardien de l'Antichambre se permit de renifler et de glousser légèrement pour la peine et souffla à son protégé qu'il travaillait du chapeau, ce qui lui valut un regard noir d'Hellène. Après quelques secondes qui parurent infiniment longues, Thorvald ouvrit les bras et donna une franche accolade à Ingmar en prononçant d'une voix à la fois fière et posée.

- Min far tittar på Valhalla! Kungen av Drogmünd hälsar dig, Ingmar tappert!

Spoiler:

Ingmar rendit l'accolade avec ses paluches d'ours, tenant toujours son incroyable épée d'une main. Les deux hommes se séparèrent enfin. "Que c'est touchant! On en verserait presque une larmichette! " mima Zorvan en esquissant un rictus de rongeur qui fronce le nez. Ils se firent à nouveau face puis rengainèrent dans un bel ensemble leur lame respective. Tandis que le jeune Roi considérait le roux avec un étrange sourire, il lui demanda de lui faire visiter " sa place forte et déclara que le sang avait assez coulé pour ce soir et que c'était au tour des hydromels et vins doux dont ces "gens du cru" avaient le secret, le tout dans une langue qui restait somme toute hermétique aux hommes du Grec. S'avançant devant les combattants qui s'étaient sommairement alignés, les deux hommes passèrent devant Démétrios tandis que Thorvald ôtait son heaume, dévoilant une figure à faire rosir Sainte Pélagie elle-même. Zorvan eut un petit rire et donna un coup de coude à son sujet qu'il avait rejoint.

- Mon petit Grec d'éphèbe, ta belle petite gueule va avoir de la concurrence avec ces dames dans les bordels de Constantinople, on dirait ! On peut dire qu'il a été gâté par la nature, non ? La tête de l'emploi comme on dit en d'autres temps. Effectivement le moine avait vu juste: Saint Michel terrassant le dragon, archange ou démon ? Il ne faut pas s'y fier. Cela reste un barbare et il demandera son du.

Mais Démétrios ne l'avait probablement pas entendu ou faisait comme si de rien, tout absorbé à regarder les deux barbus lui passer sous le nez. Il semblait fasciné par l'armure de plaques, les pectoraux argentés de l'éphèbe du nord et tendit dans le sillage de cheveux d'ors qui filaient au vent un cou démesurément étiré.

- Ne t'emballe pas Démétrios ! Igmar a retrouvé un pote, il t'a oublié ! Enonca Zorvan d'un air sentencieux. Puis se ravisant, il rectifia. Une fois entre eux, ces sauvages en oublient les bonnes manières, pas vrai ?

Presqu'au même moment et comme si Aparadoxis voulait lui faire un pied de nez, Ingmar posa sa main couverte de sang sur l'avant bras musclé et carapaçonné du loup et l'arrêta en marmonnant à son oreille quelques mots ponctués par des haussements de sourcils désordonnés. L'ange se tourna vers le bonnet avec le même regard scrutateur dont il avait gratifié son compatriote et le considéra avec gravité. Il se toucha le front et s'inclina légèrement.

- On me dit que tu es le plus vaillant parmi ceux de cette terre ? Tu es Démétrios de Zea ?

Les paroles étaient tombées nettes et claires, concises et pleines de déférence. Zorvan faillit en avaler sa barbichette et se retrancha dans un coin tranquille pour compulser une tablette holographique qu'il avait toujours dans une ample poche de son manteau. D'où ce varègue hollywoodien sortait-il une élocution si impeccable, une telle maîtrise du grec ? Aparadoxis déconnait à bloc aujourd'hui. Aucune réponse satisfaisante ne vint combler son questionnement. Il revint prestement vers Démétrios et son regard alla du barbare au Grec puis du Grec au barbare. Ce dernier croisa les bras sur son torse imitant par ce geste le gardien de l'Antichambre puis éclata d'un rire d'homme qui vient de faire une bonne blague. C'est alors que Zorvan hoqueta en reculant.

- Je te vois, espèce de scythe en robe de chambre ! Je te vois ! Siffla Thorvald entre ses dents.

Zorvan roulait des yeux exorbités ! Un voyageur ! Aparadoxis lui avait flanqué, dans les pattes de la validation de son Grec à lui, un Voyageur patenté ! Il rageait, exultait de colère, fumait des narines. Ca, c'était sans nul doute possible la conséquence de leur rétro pédalage. Aparadoxis n'aimait pas trop qu'on change d'avis sans prévenir et il se vengeait en changeant tout ! Absolument tout le scénario ! Cependant, on était Zorvan ou on ne l'était pas ! Il n'en laissa rien paraître à Démétrios. Avec un peu de chance, l'Athénien serait trop sonné par les événements pour comprendre, pour déduire, pour extrapoler... enfin il en doutait un peu ... Il commençait à connaître son Grec !
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