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{Achevé} Démétrios face au Miroir

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Message  Invité Mar 20 Nov - 22:12

Quand les porte s'ouvrirent, la certitude du salut avait rempli les survivants d'une joie bruyante que partagea entièrement Démétrios. Les bons Varègues étaient venus pour les sauver, comme il l'avait espéré. Il avait eu raison de croire qu'il restait une chance. La victoire se manifestait dans cette entrée des guerriers aux boucliers d'argent. Rangé avec les hommes d'Ingmar, il demanda au géant roux :

-Qui est le chef de ces guerriers?

-Pas être Gorthün, le Roi de Drogmünd et pourtant, eux être Loups Blancs.


Ingmar fronça ses sourcils comme perplexe et demeura immobile.
La scène grandiose de l'entrée du Clan remplit alors Démétrios d'une émotion intense.Il perdit totalement de vue qu'il était en Aparadoxis, suspendu dans un temps incertain, à peine sûr de la réalité de ce qu'il vivait. Il savait que le monde qui l'entourait pouvait à chaque instant se dissoudre en ondes fantastiques, se recomposer en un autre spectacle, tels ces météores dont lui avait parlé Nestor décrivant les pays du Nord, quand le ciel, durant les nuits sans fin, se transforme en magies de lumières, de couleurs et de formes mouvantes.
Mais il oublia ce sentiment d'irréalité qui avait sous-tendu ses pensées depuis qu'il suivait Zorvan. Il eut la certitude grandissante qu'il vivait un moment fort de son existence et ce moment était beau, noble, au delà des souillures apportées par l'armée des morts, au delà des meurtres et des horreurs qui venaient de s'accomplir et auxquels il avait participé. Noble était l'ordonnancement des guerriers investissant le monastère, ourlant ses murailles de l'éclat de leurs casques et de leurs boucliers. Belle était l'entrée des chefs entourant un cavalier de légende, resplendissant de jeunesse et de fierté souveraine. Démétrios se redressa et leva la tête, pour accorder son corps à ce sentiment de grandeur qui l'envahissait et ne pas faire honte par une tenue sans dignité aux Varègues qui l'avaient laissé rejoindre leurs rangs.
Mais voilà qu'à sa surprise, il vit Ingmar, couleur de cuivre et de châtaigne, sa fourrure rouge de sang, sa large poitrine encore gonflée de l'ivresse du combat, Ingmar le rugissant, Ingmar Poigne de Fer, avancer avec déférence et abaisser sa tignasse de flammes devant le nouveau venu. L'Ours immense et velu, incarnation de la force et du courage, saluait le Loup blanc comme on salue un chef bien jeune, mais qui ajoute à sa noblesse naturelle celle des héros qui l'ont engendré. Ingmar saluait un roi, mais aussi toute la lignée de braves , de sages et de puissants qui l'avait précédé. Démétrios en fut profondément ému et il sentit les larmes lui monter aux yeux, sans qu'il en eût honte. Car petit est l'esprit qui raille la grandeur et essaie de la ramener au niveau misérable où rampent nos ambitions ordinaires.
C'est pourquoi la voix de Zorvan l'atteignit comme un outrage, une salissure, lui, Démétrios, qui ne se souciait ni de ses vêtements en lambeaux portant encore les traces immondes du combat, ni des cadavres souillés qui gisaient sur les pavés sanglants.
Que ricanait le fuligineux personnage ? Il se moquait de lui ? Son bonnet ? quoi ,son bonnet ? Etait-ce le moment de parler bonnet ? Plaisanter en ce moment solennel lui parut relever du blasphème. Ce Zorvan ne valait pas un seul cheveu d'Ingmar, un seul regard du roi blond. Il reniflait sordidement comme s'il pleurait lui aussi d'émotion et Démétrios à cet instant l'aurait bien écrasé comme on écrase une mouche sale et importune. Il se détourna du Gardien d'un air dégoûté.

L'accolade que se donnèrent les deux guerriers du Nord fut saluée par les acclamations de tous leurs frères d'armes qui agitèrent leurs boucliers puis, comme les chefs échangeaient des paroles sur un ton de plus en plus cordial, le silence se fit afin qu'on puisse saisir le sens de leurs propos. Très vite les exclamations joyeuses fusèrent. Un des guerriers d'Ingmar presque aussi grand que lui, tira joyeusement sur le fil de laine qui pendait du bonnet de Démétrios, en détricota la longueur d'une bonne main et dans un rire lui lança :

-Toi pas pouvoir boire dans casque à toi ! Mais nous vider tous les tonneaux ! Thorvald a dit faire la fête!

L'émotion grave diminuait et la joie gagnait toutes les faces hilares des combattants tandis que les moines chantaient alleluia en relevant les rares blessés pour leur porter secours. Zorvan le taciturne était devenu intarissable et débitait des sornettes auxquelles Démétrrios ne prêta plus qu'une attention distraite. Cependant, il t se demanda pourquoi le sinistre Gardien manifestait tant d'esprit de dénigrement à son égard. Oui, Thorvald était très beau, et alors ? Zorvan éprouvait-il de l'attirance pour les beaux jeunes hommes et cherchait-il à s'en défendre avec des allusions stupides ? Il avait l'air de vouloir le rendre jaloux de Thorvald, ce qui était le comble. Ou bien Zorvan était-il furieux de se voir lui, tout noiraud et pâlichon, maigrement barbichu, au milieu de ces éclatants barbus, chevelus, poilus comme des ours ? Lui était couleur d'ombre et eux,resplendissants, tout patinés d'or rouge par le grand air des plaines neigeuses et les embruns glacés des mers du Septentrion.

Démétrios abandonna le cas Zorvan, qui le détournait des Varègues autrement plus intéressants, et eut la surprise de rencontrer le regard bleu clair de Thorvald qui le salua et dans un grec parfait le complimenta sur sa vaillance supposée. Démétrios s'inclina aussitôt et dit :

-Je suis Démétrios de Zéa, fils de Démoclès de Phalère, général d'Athènes.

Thorvald sourit mais en décochant un regard ironique vers Zorvan qui les toisait, l'air de celui à qui on ne la fait pas. Démétrios fut ravi de voir le jeune chef singer le Gardien et de l'entendre lui lancer à voix basse une phrase qui sembla l'atteindre comme une gifle. Démétrios trouva l'injure tout à fait appropriée. Zorvan traité de Scythe, bien fait pour lui ! Mais il suffoquait, le pauvre Zorvie !..La remarque n'avait quand même rien de très injurieux. C'est vrai que cette longue lévite noire était bizarre. D'ailleurs si les autres avaient pu le voir, ils l'auraient certainement pris pour un vague scribe de..de..
Démétrios ouvrit la bouche mais aucun son n'en sortit tandis que l'idée cheminant en lui, apparut soudain claire et nette .
Thorvald voyait Zorvan l'Invisible. Il était en Aparadoxis le seul, avec Démétrios, à pouvoir admirer sa robe de chambre et sa barbiche. C'était soit un autre candidat faisant ses classes dans l'Antichamre, soit un Voyageur, envoyé peut-être par le Dévoreur qui trouvait que l'épreuve traînait un peu trop en longueur en ce qui concernait le Grec.

Démétrios décida d'achever Zorvan. Ah, il travaillait du chapeau, il se prenait pour Antinoüs, Apollon et Endymion réunis et bien, il allait lui montrer que le temps d'obéissance était fini. Il hésita un peu cependant. Il ne voulait pas compromettre ses chances de retrouver le Dévoreur et les couloirs du temps. Mais Zorvan exagérait. Visiblement, le contrôle d'Aparadoxis lui échappait. Il fallait voir jusqu'où.

-Noble Thorvald, je suis fort honoré de votre attention et partage absolument votre jugement sur les Scythes et leur fâcheuse coutumes vestimentaires. Je vois que je ne suis plus seul à voir ce qu'il faut voir dans la situation présente. Vous nous avez sauvés d'un danger terrible, ma reconnaissance entière vous est acquise, je vous dois la vie, elle est donc vôtre. C'est pourquoi je vous requiers en grâce de m'autoriser à vous suivre là où vous porteront vos pas, lesquels, sur les traces éclatantes de vos ancêtres, ne suivent que les chemins de la gloire, de l'honneur et de la victoire !

Démétrios reprit son souffle et crut voir que le regard bleu se fixait avec une pointe d'amusement sur le fil détricoté brinquebalant à chaque mouvement. iI se dit qu'il faudrait envisager de changer de coiffure. Le fils du héros de Chéronée risquait fort de ne demeurer dans les souvenirs de tous qu'en tant que Grec au bonnet laineux ou même Casque Mou. Il fallait se procurer un casque varègue ! Nestor avait parlé de casques ornés de cornes mais apparemment ses renseignements étaient faux. Démétrios se contenterait du modèle courant.

Retirant son couvre-chef, libérant ainsi ses boucles couleur de blé mûr, il le montra à Thorvald :

-Vous qui parlez si admirablement ma langue, Seigneur Thorvald, ne connaitriez-vous pas mon frère Lycias, Athénien comme moi, et qui m'a offert ce bonnet ? Il voyage beaucoup lui aussi.

A cet instant, les jumeaux sortirent du monastère et se précipitèrent vers Démétrios :

-Hélas, notre vénéré père, le pieux Nestor, est mort ! mais il nous a tous bénis, avant de mourir, et promis que nous serions sauvés !

Sur ce, Castor et Pollux, ébranlés par tant d'émotions, tombèrent dans les bras l'un de l'autre en sanglotant.

Démétrios fut attristé ; il avait bien aimé le vieux Nestor qui savait tant de choses dont la moitié au moins étaient fausses mais bien intéressantes quand même. il fallait espérer que le Paradis qui devait accueillir le saint homme faisait partie des choses vraies. L'Athénien se tourna vers Thorvald, attendant sa réponse et guettant Zorvan du coin de l'oeil.





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Message  Zorvan Mer 12 Déc - 20:40

Les Loups Blancs avait tôt fait de descendre dans les sous sols du monastère et d'y trouver la réserve d'hydromel que les moines fabriquaient pour le vendre au marché de la Cité. Ils garèrent pour plus tard l'attaque des énormes fûts de garde pour se ruer sur les plus petits qui pesaient tout de même leur poids. Les chargeant sur leurs épaules comme s'ils ne pesaient pas plus lourd qu'une jouvencelle, ils les remontèrent sur le parvis que d'autres membres de la suite royale, aidés par les compagnons de Démétrios encore valides, avaient commencé à déblayer des cadavres ennemis qui le jonchait, entremêlés dans la mort avec d'anciens compagnons d'Ingmar et Démétrios qui avaient succombé à l'ignominie et commencé à se transformer. Pouvait-on parler de guerriers auxquels on donne les honneurs fussent-ils amis ? Le premier réflexe des soldats avait été de les jeter par dessus les créneaux mais une voix puissante, celle de Thorvald, les avait retenu dans leur élan.

- Ils sont devenus abomination mais notre coeur ne doit pas oublier qu'ils étaient des guerriers comme nous avant cela. Alignez-les dans une écurie et demain nous les porterons à l'extérieur pour leur donner les honneurs du grand voyage. Pour les Sivètes, jetez-les par dessus remparts et tirez des flèches incendiaires. Il faut crémer ces chiens venus des Enfers avant que leur pestilence nous contamine tous ! Chaque terre porte ses hontes, les Sivètes sont la honte des Fils de l'Hiver et plutôt m'allier aux Francs qu'à ces chiens ! Dès que je les ai reconnus, j'ai su que ce combat serait indigne mais j'aurai du les charger plus tôt. C'est un regret que je porterai. La vie de nombreux braves aurait été épargnée.

Un voile sombre passa devant les yeux du Roi de Drogmünd et il se tourna vers Démétrios à nouveau, posa une main sur son épaule et l'autre sur celle d'Ingmar qui opinait du chef pour approuver tout en modérant la dureté du souverain envers lui-même.

- Toi pas savoir qui être derrière muraille et penser que Dragons rouges s'allier avec la pestilence. S'essaya le chef des Ours dans un grec approximatif.

- Les Dragons Rouges ne sont plus. C'est tristesse pour les fils, les mères et les femmes laissés au village. Les Loups irons porter du grain et les boucliers de leurs braves aux familles cet hiver. Même ennemi, la fin d'un clan est toujours une perte pour notre grande Terre du Nord.

Imgmar scruta le visage de son nouvel allié d'un air pensif. L'Ours réfléchissait intensément.

- Les Dragons rouges ennemis des Ours depuis toujours mais Thorvald parle juste. Eux pas mérité cette fin mais leur chef trop peu avisé.

Thorvald eut un sourire las et murmura comme pour lui même.

- Il est parfois épuisant d'être un chef avisé et toute cette puissance, cette ivresse des batailles fait facilement perdre le sens de la mesure. Démétrios, poursuivit-il enfin, ton père était un grand général et j'ai croisé plus d'un guerrier vantant ses mérites. J'avais entendu parler de son fils aîné par la bouche d'un négociant en vin de Carthage. On m'a dit qu'il voyageait beaucoup et était habile homme dans bien des domaines, mais je n'ai jamais eu la chance de le croiser. Tu es issu d'une fière lignée et vous êtes deux pour l'honorer. Moi je suis le dernier...

Il leva les yeux vers le ciel dont la couleur orangé semblait contenir des promesses de tourments.

- Le grand vent se lève et la lignée des Loups Blancs s'éteindra peut-être ici, bien loin de nos côtes. Démétrios, d'autres invasions que celles de nos Langskips menacent cette terre. Certains des miens qui sont venus en contournant par l'est, en venant par les Steppes, ont vu de grands rassemblements de cavaliers venus du berceau du Soleil. Ils sont en marche et l'automne leur suffira pour être aux portes de la Cité. L'Armée levée par son Empereur ne suffira pas. Ces tribus sont habituées aux hivers rigoureux. Ils vous assiègeront au coeur de la saison froide sans aucun mal.

Ingmar posa la main sur le bras de Thorvald.

- Ca vouloir dire nous pas renter encore au pays ? Que disent les autres, les Rùs assemblés plus au nord ?

Le loup eut un sourire étrange et répondit:

- Fêtons notre victoire, remercions les Dieux de nous l'avoir accordée et d'être encore en vie. Nous discuterons mieux autour d'un bon banquet bien arrosé de la route que doivent suivre nos coeurs. Et, ajouta-t-il en jetant un regard en coin au Grec, je dois trouver un casque pour notre nouveau compagnon !

Des tréteaux avaient été dressés à la hâte, une fois les pavés lessivés rapidement par les moines habitués à ces tâches ingrates. Certains des trois camps réunis qui savaient jouer d'un instrument s'étaient regroupés sur une charrette à foin et s'accordaient pour jouer tour à tour leur musique, donnant un air de fête improvisée à l'assemblée. Vexé, Zorvan s'était retiré totalement de l'affaire pour aller se consacrer à un autre " sujet" qui avait heurté la porte de l'Antichambre. Les frou- frous parisiens des femmes Von Carter lui furent un heureux divertissement pour calmer son humeur de dogue contre le Grec et l'autre voyageur, ce Thorvald. Quelle arrogance, rien que le nom ! Le Gardien en avait profité pour compulser ses archives et il avait enfin trouvé. Il ne pouvait pas se souvenir de ce voyageur, forcément puisque ce n'était pas lui qui l'avait éprouvé. Il lui avait fallu remonter très loin dans le registre pour en retrouver la trace. Ce qu'il avait découvert avait achevé de l'énerver mais s'était révélé très intéressant sur un autre plan. Les registres étaient si épais et nombreux qu'il n'avait pas eu le temps de les lire entièrement bien qu'il sut qu'il n'avait pas été le premier à se retrouver coincé dans l'Antichambre. Au début il avait pensé que les Gardiens finissaient, non pas par mourir mais par s'étioler d'ennui et s'éteindre et que la force qui présidait à tout cela se chargeait de les remplacer ou encore, vision plus angélique à laquelle il ne croyait pas du tout, qu'ils étaient un jour conviés à prendre une retraite méritée. Or en lisant les rapports sur le passage de Thorvald dans l'Antichambre, il avait lu des choses très édifiantes sur les mystères de cet endroit. Cette validation laborieuse du voyageur Démétrios aurait finalement du bon. Il savait maintenant qu'un Gardien pouvait s'échapper. Réussir et survivre une fois hors des lieux, parvenir à récupérer son enveloppe charnelle était autre chose mais sortir était possible. Il fallait absolument qu'il prenne le temps de lire tous les registres et de compulser tous les renseignements qu'il y trouverait au sujet des Gardiens qui l'avaient précédé.

C'est donc presque de bonne humeur qu'il revint au tableau du monastère mais pressé de conclure l'affaire pour avoir un peu de temps libre, lui qui pestait d'habitude d'en avoir trop. Se promenant entre les tables dressées, écoutant ça et là les conversations, il soupira néanmoins de la futilité des hommes et de leur versatilité. Prompts à faire la fête après avoir étripé et vu leurs compagnons tomber à leur côté. Ainsi était l'homme, si faible de nature qu'il lui fallait s'enivrer de ses victoires pour oublier ce qu'elles lui avaient coûté. Il se glissa néanmoins vers le Grec pour l'avertir, profitant que Thorvald s'était éloigné pour donner des ordres à son écuyer au sujet du repos de sa monture.

- Ne crois pas que tu vas pouvoir fonder une famille avec Thorvald et assurer sa descendance ou alors il te faudrait aller dans un futur très lointain pour ... enfin bref. D'une part tu n'as pas les attributs requis, d'autre part, le Champ des Oublis t'appelle et un autre voyageur va t'y rejoindre sous peu. Tout ce que je peux t'accorder c'est un banquet d'adieux avec tes barbus. Mais ne bois pas trop, je n'ai pas envie que tu souilles ma robe de chambre en traversant le pont. Je ne vais pas te répéter ce que je t'ai déjà dis mais tu pourras retrouver tes "amis" au fil de tes voyages lorsque tu seras un voyageur patenté


Mais le barbichu se retrancha bien vite sous une arcade lorsque le Loup revint avec un casque rutilant qu'il jeta à Démétrios sous l'oeil hilard d'Ingmar.

- Essaie-le, il devrait aller pour contenir ta toison d'or, petit Jason ! Ajouta Thorvald avec un clin d'oeil complice.

Bien évidemment, le Grec ne devait y comprendre goutte à moins que Lycias eut raconté les légendes de ses voyages. Zorvan les suivit discrètement alors que les trois compères allaient prendre place autour d'une table et se laissaient servir une bonne corne d'hydromel et force salaisons et grappes de raisins. Ce Thorvald avait l'air d'avoir roulé sa bosse et en savait des choses. Il pourrait peut-être lâcher quelque information utile quant à la disparition du Gardien qui l'avait éprouvé. Finalement ce petit banquet de victoire lui plaisait bien. Dommage qu'il ne put en goûter les mets et les boissons, il se serait bien payé une cuite pour se remettre de ses émotions. Une fois assis et quelques cornes descendues, le Roi de Drogmünd prit la parole:

- Démétrios ! Nous avons à parler de choses sérieuses et ta proposition n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd. Un bras valeureux est toujours le bienvenu dans la garde des Loups. Si tu es prêt à laisser derrière toi femmes et enfants, confort de ton toit, alors tu trouveras ta place parmi nous. La route est encore longue pour arriver au "bord du monde" et si je suis jeune encore, les soleils défilent vite dans la vie d'un homme. Nous allons où nous guident les pas de nos chevaux et les vents dans nos voiles. Vers les terres inconnues et nous rentrerons chez nous une fois arrivés là où on ne peut plus avancer sans tomber dans le vide. J'ai beaucoup voyagé seul, ajouta-t-il en coulant un regard vers Zorvan, mais je suis revenu parmi les miens pour les guider puisque mon père s'en est allé rejoindre nos ancêtres. C'était mon devoir !

Et gnagnagna " soupira Zorvan " parce que tu crois que ta proposition est plus alléchante que celle du Dévoreur ?" pensa-t-il enfin. Mais l'étincelle qu'il vit briller dans les yeux du Grec le mit en alerte.

- Tout doux mon mignon ! Démétrios n'a pas encore fini son apprentissage ! Tu sais ce que c'est, ce n'est pas à toi que je vais expliquer ...

Thorvald ne se retourna pas en entendant la voix du Gardien qui sifflait telle un serpent mais poursuivit en passant un jambonneau entier au Grec:

- Bien sûr je conçois que tu as quelques affaires à mettre en ordre avant de nous suivre mais tu sauras toujours où nous rejoindre et je suis certain qu'Ingmar se réjouirai de cela, n'est ce pas vieil ours ?

- Ingmar pas si vieux ! Très content avoir casque mou toujours chevauchant avec lui et lui montrer comment être marin dans langskip ! Approuva le barbu roux en mordant dans un cuisseau.

Thorvald renversa la tête en arrière et partit d'un grand éclat de rire .

- Aahahhhaahaha! Par les Dieux ! Mes amis ! Vous savez ce qui manque à cette fête ? Les femmes ! Par Odin ! Les Femmes! Je vous promets qu'à notre prochaine victoire, nous n'en manquerons pas !


[HRP]
Spoiler:
La plume : son rôle dans vos voyages
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Message  Invité Jeu 20 Déc - 13:58

C'était un spectacle étrange que celui de ces guerriers encore tous marqués par le combat, hirsutes, souillés de sang, les vêtements tailladés, mais toujours dynamiques. Ils s'étaient séparés spontanément en deux groupes d'activités totalement différentes. Les uns se livraient joyeusement aux préparatifs d'un banquet, portant des tonneaux, dévalisant les réserves avec tant de joviale assurance que les moines rescapés participaient eux-mêmes au pillage, pris d'une sorte de frénésie de transgression, libérés de l'horreur, rendus à la vie, débordants du plaisir de courir, de rire et de fraterniser avec ces grands sauvages hilares et sans entraves. D'autres cependant s'occupaient des morts sur l'ordre de Thorvald, dont Démétrios admira une fois de plus la dignité et la noblesse de pensée. Quelques religieux suivirent ses ordres et tout en transportant les restes macabres, se mirent en devoir d'absoudre tous ceux qui pouvaient encore passer pour des êtres humains et même, de baptiser par aspersion ceux identifiables comme païens. Zorvan, qui aimait s'occuper de théologie quand le calme de son antichambre lui en donnait le temps, eut un petit haussement d'épaules : les Synodes n'avaient pas fini de discuter sur la validité d'un baptême sans les trois immersions et de sacrements administrés post mortem.
Mais pour l'instant les innovations n'effrayaient personne et le Prieur indiqua une crypte pour y déposer les funèbres fardeaux sans se soucier de leur origine. La victoire porte parfois à l'indulgence. Démétrios pensa au Dieu miséricordieux dont parlait Nestor et se dit que cet Etre de bonté ne pouvait que reconnaître toutes les créatures comme siennes.

Cependant Thorvald semblait affecté par cette fin de bataille et ses jeunes traits étaient empreints d'une gravité inquiète qui toucha profondément le Grec, surtout lorsqu'il sentit la main du roi se poser sur son épaule et former ainsi avec Ingmar une sorte de chaîne de fraternité guerrière. Qu'il y fût inclus parut à Démétrios le plus grand honneur qu'il eût jamais reçu. Lui, d'habitude si déçu de lui-même, sentit la fierté l'envahir en entendant les paroles louangeuses qui le reliaient à sa famille dont il n'était plus seulement l'inutile rejet. Aussitôt un élan le gagna, un désir d'action. Il lui faudrait mériter cette bienveillance qu'on lui manifestait. Il fixa le roi droit dans l'éclat bleu de son regard tout en l'écoutant évoquer avec tristesse les menaces de l'avenir, ses craintes de voir les clans s'éteindre un à un sous la poussée de l'Histoire. Le déplacement dans le temps avait démontré à l'Athénien la fragilité du destin des peuples, la cruauté froide du temps destructeur. Démétrios avait cherché en vain les traces des entreprises humaines que les siècles avaient englouties comme les sables du désert recouvrent les pistes où les caravanes ne passent plus. Le temple de Poseidon était en ruine au Cap Sounion et plus personne ne lisait l'étrusque ou l'égyptien. Nestor avait entendu rapporter que le dernier prêtre du Nil qui disait savoir encore déchiffrer les hiéroglyphes était mort dans son temple d'Isis voilà plus d'un demi-siècle. Il sentit son cœur se serrer en songeant que, si Zorvan l'expédiait de nouveau dans l'avenir, il y chercherait peut-être en vain ses Varègues. Même le Borystène pourrait avoir changé son cours et aplani le tumulte de ses eaux.
Et cependant, tous ceux qui l'entouraient avaient un lien avec ces peuples disparus et ces mondes engloutis. La chaîne de la vie se poursuivait dans l'ignorance des origines, l'obscurité de l'oubli ou l'incertitude du lendemain. Cependant tout n'était pas irrémédiablement perdu. On lisait encore Platon et Homère et la dernière Merveille du monde se dressait toujours sur l'île de Pharos, même si sa flamme n'éclairait plus la nuit alexandrine. Il réfléchit que si Thorvald était un Voyageur, il devait savoir ce qui arriverait à ses Loups Blancs et qu'il devait être difficile de vivre en roi sans avoir l'illusion que l'avenir vous appartient.
Il n'osa rien répondre aux remarques soucieuses des deux guerriers, espérant seulement que Thorvald devinerait ses pensées et lirait dans son regard la certitude que le sort adverse, aussi cruel fût-il, ne parviendrait jamais à détruire la beauté des liens fondés sur la loyauté et le respect mutuel. Oui, il en était sûr, le souvenir s'en transmettrait dans le cœur des hommes dignes et fiers qui viendraient après eux.


Le banquet s'organisait et Démétrios, appelant les jumeaux, leur demanda de le conduire auprès de Nestor.
Le vieillard était étendu paisiblement sur le lit étroit d'une simple cellule. On avait allumé quatre hauts cierges à son chevet et trois moines agenouillés psalmodiaient les prières du repos auprès du corps lavé et revêtu d'une chasuble brodée. La croix de bois que le moine avait tant vénérée était posée sur sa poitrine et ses doigts étaient croisés sur le symbole de sa foi, comme s'il avait jusqu'au bout trouvé en lui l'apaisement.
Démétrios ne cacha pas son émotion et baisa respectueusement la main ridée, presque transparente, du saint homme. Comme il avait l'air tranquille, et si loin, si loin de tout ce fracas qui agitait les hommes, les yeux fermés sur ce monde incertain, à jamais séparé de ceux qui y restaient piégés dans les soucis et les vanités de l'existence.
Démétrios souhaita de tout son cœur que l'âme de Nestor fût en train de contempler ailleurs les vérités pour lesquelles il avait donné sa vie. Puis il prit maladroitement l'aspersoir et imita le geste des jumeaux qui s'étaient remis à pleurer avec de gros sanglots d'enfant. La veillée funèbre durerait trois jours et un office solennel serait célébré avant l'enterrement. Le prieur ignorait si l'on pourrait ramener le corps à la Ville afin de donner plus d'éclat à la cérémonie. Démétrios savait lui, que de toutes façons, l'hommage serait pour réconforter les vivants et que Nestor, où qu'il fût, ne s'en soucierait guère.

***

Revenu dans la cour, Démétrios chercha encore en vain Nicanor parmi les gardes survivants. Mais il était recru d'émotions et il secoua sa tristesse. Il tombait de fatigue et la soif le dévorait. Et à y bien penser, la faim aussi..
Quelle journée ! Tout ce qui lui était arrivé aujourd'hui lui fit reprendre conscience soudain qu'il était en Aparadoxis et que le temps y était élastique. Car enfin, c'était ce matin que le dromon l'avait débarqué avec Nestor en pleine invasion des langships rùs. Il avait traversé le Bosphore en ramant comme un fou, essuyé les flèches des gardes byzantins, traversé la moitié de Constantinople assiégée, avec un détour par une cérémonie barbare en l'honneur du démon Turisas, pris la tête d'une troupe de volontaires, retraversé la Corne d'Or vers les hauteurs de Pera à la recherche du moine Théoclès et de son précieux reliquaire, puis combattu à cheval les guerriers d'Ingmar et Ingmar lui-même. Il avait été blessé avant de se joindre à eux pour tenter de sauver sa vie, celle de ses hommes et des moines du Monastère de sainte Pélagiesur le point de subir l'assaut des Varègues. Le souterrain, l'accueil dans la cour, la douleur de sa blessure, le début de l'assaut, il ne savait plus trop dans quel ordre s'enchainaient les évènements. D'autant que s'était alors produit un curieux épisode, devenu très flou dans sa mémoire. Surnageait l'image d'un pont rempli de brume, la disparition inexpliquée de sa blessure, le vague souvenir d'une silhouette toute blanche qui s'effaçait aussitôt, comme absorbée par la grisaille dans laquelle elle semblait attirée. Et puis Zorvan, qui le ramenait par le pont et le réintroduisait dans la défense du monastère, au moment même où il l'avait quitté, Nestor frappé en plein front. Et alors, l'arrivée de l'horrible magie sivète et la triomphale apparition des Loups Blancs conduits par Thorvald. Si l'on devait un jour raconter cette aventure en Aparadoxis, cela pourrait paraître long, mais pour Démétrios, il avait vécu plus intensément dans cet univers fictif qu'il ne l'avait jamais fait dans la réalité ordinaire.
On peut dire que Zorvan ne l'avait pas ménagé ; et peut-être que le Gardien lui-même avait participé à cette étrange distorsion du temps et qu'il était aussi épuisé que son cobaye, malgré son apparence de brume. Tout cela n'était-il pas né de sa volonté et les fatigues de l'âme dépassent souvent celles du corps .
Démétrios sentit revenir le potentiel de sympathie que le Gardien avait éveillé en lui dès que le Dévoreur avait décrit le sort du prisonnier de l'Antichambre. Il eut un peu honte de ses mouvements de mauvaise humeur à l'égard de Zorvan, aussi désagréable qu'il ait pu parfois se montrer, et il chercha la longue silhouette parmi les convives ; mais elle avait disparu, comme il lui arrivait de le faire, réapparaissant soudain et toujours sans explications.

D'ailleurs à peine était-il à chercher Ingmar et Thorvald, que Zorvan était déjà à côté de lui, proférant quelques allusions scabreuses que le Grec décida de prendre à la légère, se contentant de lui tirer un peu la langue pour lui montrer le peu de cas qu'il faisait de ses suppositions malséantes. Mais il retint l'envie de lui chanter la version démétrienne du chant étrusque sur le Lac Théramène, mettant en cause les mystères de l'anatomie zorvanienne. Le Gardien lui annonçait du changement, on allait repasser le pont et réitérer l'épreuve du Champ des Oublis. décidément, Zorvan était infatigable.
L'apparition de Thorval brandissant un superbe casque varègue détourna son attention et il se demanda seulement pourquoi on le comparait à Jason. Promesse d'aventures ? Après tout, Thorvald était Voyageur et Démétrios commençait à avoir un carnet de commandes bien rempli. Le Champ des Oublis n'était que le premier itinéraire prévu . Il y avait aussi le Borystène, et puis l'époque où on pouvait capturer l'instantané du monde sous forme de petits rectangles lisses appelés photos, et aussi la grande bibliothèque d'Alexandrie décrite par Lycias et que Nestor avait dit être détruite. Il voulait voir les 50 000 volumes témoins du génie de quelques hommes avant qu'ils ne soient brûlés par la stupidité des autres. Pour le Borystène, il ne lâcherait pas le Dévoreur tant qu'il n'aurait pas vu les langskips caracolant sur l'écume de ses rapides. Et il entendait aussi savoir quel était le sens de la formule magique inscrite dans son bonnet : MADE IN CHINA. La Toison d'or n'était pas pour l'effrayer bien qu'il ait toujours mis en doute la réalité des prodiges rencontrés par les Argonautes. Il irait vérifier avec plaisir ce qui se passait réellement en Colchide...enfin, réellement... Aparadoxis démolissait pas mal de certitudes concernant le sens de ce mot!
Mais son estomac se tortillait de façon très réelle, son gosier réclamait d'être humecté par n'importe quelle réalité liquide buvable et s'il pouvait poser ses fesses sur un de ces bancs, il ne s'interrogerait pas plus avant sur la nature ,objective ou subjective, de sa réalité.
Démétrios prit place à la table où Thorvald l'invita à s'asseoir. Il posa son casque à côté de lui et se sentit au moins l'égal de Patrocle recevant les armes d'Achille. Ingmar lui tendit aussitôt une corne remplie et il fut convié à se réjouir de la victoire et à honorer la mémoire des braves qui festoieraient maintenant dans le séjour des dieux. Il ne se le fit pas dire deux fois et saisit un poulet grillé qu'on lui tendit sur sa broche, car les moines avaient cuisiné leur basse-cour dans un bel élan de sacrifice.

Entre deux gorgées de vin grec et deux bouchées de poulet byzantin, les propos de Thorvald lui plurent infiniment. Il entendait des mots chargés de promesse- le bord du monde, les pas des chevaux et le vent dans les voiles... apparemment les Rùs ignoraient que la terre était ronde. Pythéas de Marseille avait pourtant fait des mesures, lesquelles.. Bah ! tant pis pour Pythéas ! le monde comme un disque lui plaisait tout autant et se pencher sur le bord du vide valait bien l'idée de partir versle soleil couchant et de revenir avec l'aube !
Démétrios commençait à voir la vie du bon côté, d'autant que ce côté se dédoublait devant son regard excité par l'alcool. Un double Zorvan protesta à la proposition des deux Thorvald qui le regardaient avec deux paires d'yeux vraiment très beaux. Bien que Zorvie ait aussi un regard attendrissant, enfin plusieurs regards...veloutés, quadruplement sombres, avec des cils étonnamment recourbés. Mais qui ne valaient quand même pas la courbure de ce double jambonneau que lui tendait le prévenant roi de Drô, Dre, Drag.. enfin le roi Thorvald .
Démétrios secoua un instant l'ivresse qui le gagnait. Il était bon buveur, bien que ne dépassant les bornes que rarement et il savait bien récupérer ses esprits si le moment l'exigeait. Zorvan lui avait dit de faire attention. Bien que le pont du Champ des Oublis eût des vertus curatives qu'il avait déjà éprouvées, il désirait faire plaisir à tout le monde et se comporter dignement au moment de son départ. Il répondit donc d'une voix quasiment normale :

-Je crois que partir avec vous sera un grand moment de ma vie . Mais il faut bien que je suive euh .. mon destin, et je crois que celui-ci s'apprête à me faire passer un pont.

Ingmar eut un air amusé. Démétrios se dit que le géant roux devait le croire complètement ivre et décida de jouer sur les circonstances pour faciliter sa disparition :

-Je crois que je vais aller prendre l'air sur le rempart .. ou faire un petit tour dans la campagne...Je reviendrai plus tard, c'est sûr.

Il aurait aimé prononcer de belles paroles, remplies de l'émotion qu'il ressentait en ce moment, mais Zorvan était déjà sur le chemin de ronde. Il ne se fit pas d'inquiétudes pour ses compagnons byzantins. Sa disparition passerait inaperçue. Par un tour de passe-passe, Zorvan allait réajuster la réalité de façon plausible pour tous. Peut-être même personne, sauf Thorvald et Ingmar, ne se souviendrait du Grec au casque mou. Il tendit le casque varègue à Thorvald :

-Merci ; mais là où je vais, je n'en aurai pas besoin . Je le reprendrai le jour où je rejoindrai le Clan des Loups Blancs et où je suivrai leur route. A d'autres temps !

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