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{Achevé} A la Recherche des Enfants Perdus

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Message  Zorvan Mar 2 Juil - 13:18

Peu de temps auparavant et sur  un monde appelé Terre...

Mademoiselle Detmers avait assurément une culture cinématographique assez diversifiée en matière de science fiction et de fantastique mais possédait aussi un don pour la répartie acerbe et cinglante. Il se retint de lui dire qu'elle allait vivre des aventures encore plus palpitantes que tous les héros qu'elle venait de citer si elle acceptait de le suivre. D'ailleurs, précisément, elle acceptait, sans doute plus par défi et pour ne pas se départir de son côté bravache de militaire que par conviction. Encore que le Dévoreur ne pût s'empêcher de penser qu'elle devait être sacrément désespérée peut-être pour accepter, même sur le ton de la plaisanterie acide, qu'il soit son seul et dernier recours pour retrouver son fils. Stanzas avait beau être un scientifique qui ne pouvait ignorer que les limites du possible pouvaient être repoussées  sans cesse par la science, il n'en demeurait pas moins terriblement humain au fond de lui et concevait parfaitement que le commun des mortels le prit pour un sacré dingue lorsqu'il se lançait dans ses explications sur ce qui occupait la majorité de son temps. Il fallait une très grande ouverture d'esprit pour admettre ce qu'il laissait entrevoir à ceux qui le contactaient ou qu'on lui désignait comme des voyageurs potentiels. Même si le profil du candidat était examiné à la loupe avant que la rencontre se produise, même si nombre de postulants ou de possibles partants étaient écartés pour diverses raison, le Dévoreur essuyait tout de même un certain nombre d'échecs et le pourcentage de départ vers l'Antichambre demeurait encore assez faible, sans parler de ceux qui y entraient mais n'en ressortaient pas. Les militaires étaient généralement des "sujets" compliqués. Pas qu'ils soient forcément moins ouverts d'esprit mais leur propension à obéir à un code rigide et immuable les gênait parfois pour poser un regard neuf sur les opportunités offertes.

On n'avait pas formé Anita Detmers à faire face à des ennemis ou des alliés non identifiés et de ce fait elle développait une défiance naturelle à l'égard de cet homme qui lui proposait de progresser sur un terrain sur lequel elle n'avait pas été briefée par son commandement. Il lui exposait des faits dont elle rejetait l'intérêt parce qu'elle était tellement verrouillée sur son objectif qu'elle ne voyait rien d'autre. Elle n'avait pas encore compris qu'il lui faudrait cerner les raisons de la disparition de son fils pour arriver à retrouver ses ravisseurs et le retrouver lui. Elle avait occulté les révélations du Dévoreur sur le lien que lui-même avait à ces possibles ravisseurs. Stanzas savait qu'il y avait très peu de chances que la nurse goth ait opéré tout seule et soit une délinquante de droit commun banale doublée d'une jeune femme en mal de maternité. Oui, Kirsten Willomsdatter n'était certainement pas une simple citoyenne ayant enlevé un enfant négligé par sa mère trop souvent absente à cause de sa profession. Kirsten Willomsdatter avait beaucoup caché à sa patronne et le plus étonnant était qu'elle avait menti sur son âge. Si on en croyait les archives de l'état civil de la très belle Cité de Copenhague, elle avait cinq cent ans ...

Le Dévoreur savait qu'il était prématuré de tenter encore d'expliquer tout cela à Mademoiselle Detmers et qu'une démonstration, une mise en situation, valait tous les discours. Il ne différa donc pas leur départ lorsque Anita y consentit sur un coup de tête. De toute façon discuter encore finirait par aboutir à un incident aussi regrettable que celui survenu avec le hussard. Autant anticiper le départ. Anita vit-elle le sourire en coin qui éclairait les lèvres de Vladimir Stanzas lorsqu'il la propulsa jusqu'à l'Antichambre de Zorvan à travers des couloirs hurlants d'énergie plasmique ? Aurait-elle vu le sourire, qu'elle n'aurait pu deviner la pensée qui le faisait naître. Les pensées, plutôt! Imaginer les duels verbaux entre le Gardien et la femme de tête en était une. Mais tenter de se figurer ce que pourrait être une rencontre entre les deux militaires, puis les trois, en était une encore plus forte. Zorvan était un militaire et un guerrier, ayant tenu le rang suprême au sein d'une armée qu'Anita aurait certainement du mal à s'imaginer. Ludwik Cseszneky était également un homme d'armes, mais aussi un séducteur né, habitué à charmer et dominer les jupons. Savoir que le hussard allait se colleter à la véhémence du Commandant Detmers et qu'elle même aurait maille à partir avec un ombrageux Magyar le réjouissait intérieurement comme une sorte de petite vengeance. C'était de bonne guerre ...

...Disparition du Dévoreur.....

*******************

Le silence de l’antichambre était un silence particulier, profond, minéral, celui d’un lieu fait d’absences et de vide. Les portes  ne s’y ouvraient jamais sur les bruits ordinaires de la vie, les corridors ne menaient nulle part mais  avaient une vie propre, transmettant les flux d’énergie structurant toute cette architecture improbable. De longues plages de temps s’étiraient  où la voix humaine disparaissait même du souvenir, où le bruit des pas du Gardien devenait d’imperceptibles frôlements et où ne chuchotaient que les horloges et les machines échangeant leurs secrets.
Tout silence lui-même, Zorvan en équilibrait les forces, réglait les protocoles, accordait les rythmes sur les pulsations de son esprit multiforme, selon des lois et des observations qu’il ne pouvait partager qu’avec lui-même.
Puis un voyageur arrivait. Choc, courses, cris, appels angoissés, injures ou supplications secouaient la paix glacée de l’Antichambre. Zorvan prenait alors plaisir à se voir soudain moins évanescent, moins immatériel. Ses bottes se mettaient à résonner sur le sol d’obsidienne parcouru de moirages et de reflets devenus plus intenses. Sa robe bruissait, sa chevelure se soulevait, suivant ses  mouvements soudain plus vifs, moins éthérés. Il était sensible à cette réanimation qu’il mettait sur le compte d’une sorte de mimétisme involontaire. N’étant pas humain à proprement parler, il possédait cependant bien des traits proches de la sensibilité des Terriens que lui envoyait le Dévoreur.  Une sorte de fraternité physique s’établissait entre lui et ces corps pantelants que le Vortex d’accès projetait sur sa porte. Fraternité brève et bourrue, vite écaillée par la sottise, la vulgarité, l’agressivité ou la simple maladresse de la plupart de ces candidats qui, bien que prévenus et des dangers et du caractère inouï du voyage, peinaient à retrouver l’équilibre dans ce basculement hors du rationnel et de l’admissible.
Et puis, lui-même n'était pas toujours très accueillant, son premier contentement passé. Sa colère, contenue dans la solitude, éclatait sitôt qu’il avait un être en face de lui pour la recevoir comme une gifle, regrettée aussitôt que donnée, mais enfin qui n'adoucissait pas les tensions. Interrompu dans sa veille studieuse, il manifestait plutôt son exaspération devant l’intrus que sa joie de voir rompu son enfermement, de se sentir de nouveau vivant, le temps redevenu successif, linéaire, avec un avant, un pendant, un après, au lieu d’occuper l’infini.
Il se disait que la venue de ces êtres envoyés par Stanzas était peut-être la cause du lent retour de sa mémoire et que plus il en recevrait et plus il se retrouverait lui-même. Ce n'était qu'une hypothèse mais il l'étudiait et elle colorait d'espoir ces rencontres si souvent importunes.

Cris et rugissements

Or, voilà qu’un grondement rauque emplissait  soudain le silence, s’amplifiant en résonances et en échos évocateurs de grands espaces, comme un immense paysage apparaissant par vagues successives au sortir d’un étroit ravin. Ce bruit phénoménal de création du monde lui annonçait désormais un visiteur. Zorvan diminua mentalement l’intensité de sa réception auditive.
C’était son nouveau  signal, mis au point pour remplacer le gong tibétain et le rugissement d’un avion nommé Concorde, bruit récupéré dans un tiroir à mémoire du XX° siècle et dont l'effet avait été catastrophique sur l'arrivant. Le dispositif  d'alerte étant, avec la porte-sphincter, le seul vecteur de communication physique entre lui et le vortex, il s’appliquait, en utilisant sa connaissance des ultra-sons, des franges de réfraction, des couplages vibro-acoustiques et autres données sonores, à trouver les résonances qui détruiraient un jour les murs le séparant de ce qu’il espérait être sa liberté. L’autre axe sur lequel il travaillait, était celui des candidats eux-mêmes, dont l'esprit étiré le long du vortex , convenablement rembobiné à son usage, pourrait devenir son fil d’Ariane et le guider hors de sa prison. Mais ils étaient tous différents, ces satanés poissons pris dans les filets du Dévoreur, et il lui fallait à chaque fois recommencer ses calculs et supputer les potentialités de chacun.
 En matière de signal sonore, sa dernière trouvaille, celle qui ébranlait actuellement l'antichambre, était un mixage des mugissements d’une trompe de brume et de la voix grave de cent alpenhorns couplés avec un ensemble de 77 didgeridoos, le tout avec chambre d’écho aralienne, positivement meurtrière pour des oreilles humaines. Heureusement, la plupart des débarqués étaient plus ou moins inconscients en s'échouant sur son seuil. Sans savoir si c’était utile, farfelu ou tout simplement génial, Zorvan avait même ajouté un  barrissement de mammouth en rut, capté sur le vif par l’intermédiaire des appareils dont  le Dévoreur dotait ses Voyageurs et que naturellement, Zorvan équipait de mouchards pour espionner le Professeur Stanzas. Que lui, l’altier Prêtre- Guerrier des Etoiles, en soit réduit à ces basses manœuvres d’espionnage, n’était pas la moindre des raisons qui exacerbaient sa fureur  et le poussaient à vouloir se libérer de sa geôle.
Le bruit effrayant ainsi créé  était prometteur car les didgeridoos avaient communiqué un frémissement permanent au chambranle de la porte d’Aparadoxis. Cela ne servait à rien pour l’instant mais confirmait que la musique, outre qu’elle adoucit les mœurs et console les âmes, pouvait devenir la voie de sa libération. Un jour, tel Josué, il trouverait ses trompettes de Jéricho et ferait s’écrouler les murailles.

Le bruit était proprement infernal et Zorvan, avec un mauvais sourire, souhaita que le Professeur, s’il était encore dans les parages, en prenne une bonne dose  dans ses nobles oreilles, ce qui pourrait se produire pendant le bref instant où le citoyen était avalé puis recraché par cette abominable porte suceuse, laquelle ne voulait s’ouvrir que dans le sens de l’absorption.
Il hâta donc le pas pour augmenter les chances de rendre le Dévoreur sourd avant l’âge, tout en consultant rapidement la tablette où s’affichaient les informations complémentaires sur le nouveau client. Encore une femme...elle serait peut-être plus douce et malléable que cet intraitable hussard reçu récemment.

Bon accueil garanti
La porte ondulait déjà et Zorvan attrapa machinalement la forme qui se dessinait dans l’ouverture. C’était bien une femme, encore jeune, très grande et mince, plutôt joli minois, et que Zorvan, cherchant à apercevoir la noire silhouette emportée par les tourbillons du Temps, laissa s’écrouler sur le sol sans ménagement, malgré ses intentions d’être poli et même prévenant.
La porte se reconstituait déjà avec cet écœurant chuintement de dromadaire enrhumé qui exaspérait le Gardien. Le vacarme s’éteignit, le ronflement des alpenhorns se prolongeant encore de façon agreste dans les profondeurs du corridor.
Zorvan rectifia les plis de sa robe et tendit une main longue, fine et distinguée  à l’arrivante, assez curieux de voir à quoi ressemblait à l’usage un médecin militaire décidée à devenir une voyageuse du temps.

-Bienvenue dans l’Antichambre, Docteur Detmers. Alors vous êtes à la recherche d’un enfant perdu ? Je suis Zorvan, locataire de ce lieu où je suis responsable de la bonne marche de votre formation, stage non rémunéré, mais avec possibilité de promotion et obtention d’un certificat permettant une réinsertion rapide dans l’époque de votre choix.

Il aimait assez se moquer du monde. C’était un soulagement, ayant depuis longtemps épuisé les valeurs curatives de l’auto-dérision. Et aussi, car en profondeur Zorvan était le plus sérieux des Gardiens, un excellent test pour mesurer le degré de tolérance du sujet.

-Alors, le Professeur vous a-t-il bien expliqué les choix qui s’offrent à vous ? Un peu de Blue Hospel pour développer votre charme rêveur ? Ou une petite promenade dans le champ des Oublis pour vous rafraîchir la mémoire, vous attendrir sur les jours passés en les regardant par en dessous ? Enfin... à l’envers.

Zorvan craignit que les images d’ Anita remontant l’échelle des jours, suivie par un guide aux regards possiblement indiscrets, ne choquassent sa susceptibilité, qu’il sentait vive, et il prit son sourire inspiré du célèbre Chat Botté d’un film qu’il avait visionné récemment pour parfaire sa compréhension des profondeurs de l’âme humaine.

- Demandez et vous serez servie. Mais je vous préviens, ici, pas de café. Juste la visite guidée.
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Message  Invité Sam 13 Juil - 13:24

Napoléon disait qu'un bon croquis valait mieux qu'un long discours. A défaut d'avoir des explications et des révélations, Anita allait avoir son croquis en se faisant expédiée dans ce tourbillon étrange. La rue s'était volatilisée en quelques secondes. Non. En moins d'une seconde. Un battement de paupière et elle disparaissait pour laisser place à un tourbillon étrange. C'était pire que des turbulences en avion. Elle détestait les avions, qui alimentaient sa peur du vide et qui lui avaient pris ses parents. Elle pouvait maintenant ajouter ce tourbillon à sa liste de chose qu'elle n'aimait pas. Il lui procurait la même sensation de vide. Elle se sentait comme au dernier étage d'un building New-yorkais. Comme au bord d'un quai dans un port. Comme dans un avion. Anita avait besoin d'avoir ses deux pieds sur terre. Plus que les pieds même. Puisqu'elle fut jeter à travers la paroi comme un sac de pomme de terre.

Quand enfin elle toucha quelque chose de solide, tout s'était arrêté de tourner. Mais pour toucher le sol, elle subit une nouvelle sensation tout aussi désagréable que la précédente. Passer à travers une sorte de membrane digne d'une [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]. Ou plutôt de cette créature verte que Damian aimait regarder. [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]. La bestiole gélifiée qui danse. Oui, ce semblant de porte donnait cette impression à Anita. La gelée l'avait aspirée et recrachée de l'autre côté. Là, elle vit une autre personne. Au premier coup d’œil, elle lui semblait normale. Mis à part son look un brin gothique, il ne semblait pas être une illusion. Anita se disait qu'elle avait été droguée et kidnappée. Peut-être par les mêmes personnes qui lui avaient pris Damian. Peut-être s'était-elle dangereusement approchée d'eux dans ses recherches et que, pour se débarrasser d'elle et garder son fils, ils l'avaient à son tour enlevée.

Elle se disait prête à tout pour retrouver Damian. Elle l'était réellement. Quitte à croire à ce qui lui arrivait. En cette supercherie rocambolesque, digne d'un Spielberg. Elle si cartésienne. Elle ne croyait pas en Dieu, en l'existence des Extraterrestres, au surnaturel, au paranormal. La voilà dans une histoire de science-fiction. Sans DeLorean. Pas besoin d'aller à 88 miles à l'heure, même si le tourbillon semblait largement dépasser cette vitesse. Pas besoin de 2,21 gigawatts.

Il lui tendait une main, proposant de l'aider à se relever. Elle avait été jetée ici comme un sac de pomme de terre. Que faire ? La prendre ? L'ignorer et se relever seule ? Elle ne la prit pas mais ne repoussa pas pour autant l'aide. Elle ignora la main et s'empara de l'avant-bras de celui qui l'accueilli. En saisissant ainsi le bras, elle se hissa pour se remettre sur ses pieds. Pendant ce temps, l'homme parlait. Il se présenta. Zorvan ? Dévoreur de Temps, Zorvan... Anita se fit la réflexion suivante : ils avaient des noms de rockstars.

Elle apprit aussi qu'elle se trouvait dans l'Antichambre. Mais l'Antichambre de quoi ? Une antichambre est faite pour conduire vers quelque chose. Une antichambre est un vestibule. Vers quoi ce vestibule allait-il la conduire ? Anita espérait que la réponse fut Damian. Elle espérait que quelque part dans ces lieux, les kidnappeurs gardaient son fils. Que cette histoire d'endoctrinement d'enfants était fausse.

Puis Zorvan parla de certificat pour choisir une époque. Serait-ce une secte qui l'avait amenée ici ? Une secte à fond dans le voyage dans le temps ? Une secte ou un asile. Mais liée aux voyages dans le temps. Le Dévoreur avait dit que les kidnappeurs de Damian étaient des fanatiques. Le mot secte était peut-être le plus approprié. Le grand chevelu qui venait de l'accueillir y croyait dur comme fer à son histoire. Soit il était un excellent comédien, soit il était taré, soit... tout était réalité.

- Votre ami n'a pas été très explicite. Oubliez le café, j'ai eu ma dose aujourd'hui. Dites-moi exactement ce qui se passe. Est-ce une caméra cachée ?

À côté d'elle, traînait son sac militaire. Elle s'en empara et examina rapidement les lieux, en jetant de brefs coup d’œil, ça et là. L'atmosphère était des plus étranges. Irréelle. Chimérique. Le sol était palpable sous ses pieds. L'air respirable. Anita posa une main sur le mur à côté de la « porte ». Vrai. Matériel. Il y avait du bruit. Quatre de ses sens pouvaient attester de la matérialité des lieux. Elle réajusta son sac militaire, contenant les affaires nécessaires pour partir rapidement. Le sac qu'elle avait préparé au début de ses recherches, au cas où elle dut subitement partir pour récupérer Damian.

- J'ai besoin de plus de détail sur les lieux. Je vous prie de bien vouloir m'éclairer, quémanda Anita.
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Message  Zorvan Sam 27 Juil - 2:26

Il faut toujours se méfier de ses dons de prescience et encore plus de la lecture des émotions. Les certitudes qu’on en tire peuvent  être aussi fragiles que les suppositions et les impressions que les esprits ordinaires prennent pour une compréhension juste, sinon complète, de ceux qu’ils côtoient. Et quand en plus, comme Zorvan, on a le pouvoir de manipuler la réalité autour de celui qu’il s’agit de révéler à lui-même, les fausses interprétations peuvent entraîner des dommages irréparables dans la personnalité de celui qui les subit.
Pour ces raisons,  Zorvan refusait  le terme de psychomancien, arguant qu’il ne devinait rien mais déchiffrait des données et que la prétendue divination relevait du charlatanisme sitôt qu’on n’était pas un dieu créateur. Il n’était pas un dieu, pas même un magicien, seulement un savant, enfin ce que le langage réducteur et mesquin de l’époque appelait un scientifique. Et il ne savait que trop bien qu’en matière d’imagerie mentale, la  relation d’incertitude s’appliquait plus que jamais dans sa déconcertante ruine du déterminisme  Le sujet observé se modifiant par le fait même d’être observé et la pensée n’étant jamais immobile, consciente ou non,  on ne la captait que par nanophases toujours plus ou moins décalées..L’omniscience ne s’accommode que de l’éternité, Zorvan restait au moins partiellement tributaire du temps et donc sujet à l'erreur.
Ainsi s’était-il avancé avec beaucoup de retenue et de prudence dans la saisie des informations que lui envoyaient tous les micro-comportements d’Anita Detmers susceptibles de préciser ce qu’il savait déjà d’elle.
Les arrivées étaient toujours brutales pour les candidats et la perte de leur autonomie et la surprise devant l’environnement pour le moins insolite constituaient le premier de leurs tests. Il eut la satisfaction de voir que la réaction d’Anita était on ne peut plus révélatrice de ce qu’il avait soupçonné en prenant connaissance des notes de fiche. Un caractère autoritaire et réaliste, sans fantaisie, fait au carré comme un lit de casernement. Honnête et droite à sa manière. Un seul véritable attachement : son fils. Bien que là encore , cet amour pût passer pour une forme d’égocentrisme et de domination. Mais cet amour était sincère et la détermination de la jeune femme évidente. C’est pourquoi le Gardien avait regretté de l’avoir un peu malmenée en la lâchant brusquement et qu'il lui avait aussitôt tendu la main, comme un symbole de l’aide qu’il pourrait lui apporter pour retrouver son enfant.
Une jeune femme de son temps et de son milieu aurait dû prendre cette main tendue sans hésiter et se laisser soulever, avec l’impression bien féminine que les hommes étaient faits pour cela et elle aurait éprouvé un plaisir fugace à se sentir légère et souple, en accord avec la force mâle déployée à son intention..mais àpremière vue, ces sentiments à peine conscients, petits riens aimables qui éclairent un bref instant de la journée, ne devaient guère avoir prise sur elle.
Ce ne fut donc pas lui qui la hissa mais elle qui s’empara de son bras - oui, c’était exactement le mot qui convenait, comme on attrape une prise d’escalade pour monter un peu plus haut et dépasser l’obstacle.
Un peu vexé de se voir traiter en objet utile sur le parcours du combattant, alors qu’il se savait impressionnant dans ses robes hiératiques et sa majesté naturelle, Zorvan décida néanmoins de poursuivre ses efforts de courtoisie. Il fallait d’ailleurs admettre que ses récents contacts féminins n’avaient dans l’ensemble pas été conquis par son visage parfaitement dessiné, l’éclat sombre de son regard magnétique, qui valait bien le regard pulsant bleu du Dévoreur, ou par sa chevelure longue et lisse, qu’autrefois des mains délicates avaient si souvent  caressée  amoureusement. Son pouvoir de séduction jadis si fort n’avait plus suscité récemment que des pensées vaguement réprobatrices ou franchement hostiles. Anita, non plus que les autres, n’était sensible à son charme. D’ailleurs, à quoi était-elle sensible ?
Sa voix nette et bien placée ne traduisait aucun trouble, juste un peu d’impatience et beaucoup de suspicion. Elle trouva moyen en quatre phrases brèves de lui donner deux ordres et de lui poser une question qui le suffoqua. Une caméra cachée ?!
Par Akshar  ! On était dans un lieu extraordinaire pour le peuple de la Terre, une porte aspirante et douée de morphomémoire, des murs métaorganiques, agités de vibrations lumineuses et veinés d’énergie, une lumière iridescente qui  venait de nulle part, des portes closes de métal inconnu, un silence parcouru par les murmures lointains de rouages discrets et d'échos mystérieux... C’était un lieu à faire trembler de peur ou à ébahir et stupéfier, un lieu magique, onirique, et elle, elle se croyait dans un genre de jeu télévisé stupide qui consiste à ridiculiser de pauvres naïfs pour que le public puisse se croire malin ! Oui, serait-elle arrivée devant Belzébuth, au beau milieu du pandémonium, qu’elle lui annoncerait, pinçant les lèvres, qu’elle avait dû se tromper de spectacle et que la sortie était vraiment très mal indiquée.

Ah ! Ainsi, Stanzas n’avait  pas bien expliqué ce qu’il en était de l’Antichambre... Sans doute avait-il été pressé de se débarrasser au plus vite de la dame qui n’avait sans doute pas succombé à son  charme de beau professeur mélancolique... bien, bien. Après le Hussard, en voilà encore une qui, si elle sortait de l’Antichambre, s’empresserait de vaquer à ses petites affaires et se soucierait des intentions du Dévoreur comme de son premier pantalon kaki.
Eh bien, il allait lui faire un briefing à deux et il faudrait qu’elle l’écoute. Il la laissa ramasser son sac, jeter un coup d’oeil mental sur sa check list d’opération commando :
1-Arrivée sur les lieux. Vérifier votre équipement.
2- Observation et caractérisation des lieux.
3-Interroger la population( si non hostile).
Tiens, exact ! La population, étant non hostile, allait répondre, d’autant que la dite population s’était radoucie en entendant la requête émise par le commando, laquelle contenait une demande de supplément d’information assortie d’un" je vous prie" tout à fait acceptable. Zorvan prit un air grave :

-Vous venez de franchir l’hyperespace, c’est à dire un espace euclidien de dimension supérieure à 3. Vous êtes  dans un univers parallèle et fermé que j’avais nommé,  pour les Terriens, Everett V, mais que le Dévoreur appelle l’Antichambre pour rassurer les arrivants. Vous devrez passer par deux lieux différents contenus dans l’Antichambre dont ils sont une extension, pour parler simplement. Vous y serez testée sur vos capacités à devenir Voyageur du Temps. Ensuite, avec un compagnon, vous ferez un stage de confirmation d’aptitudes, mais vous serez hors de ma juridiction.

Il sortit une tablette d’un pli de sa manche et y pointa un index effilé de mandarin chinois :

-Vous avez choisi Aparadoxis.  Je dois vous prévenir des dangers réels de ce lieu qui pourra vous surprendre et vous faire croire à un monde illusoire. Mais vous pourrez y être malmenée pour de bon, voire blessée ou même tuée. Je vous accompagnerai pour orienter au mieux votre progression, mais, hors de l’Antichambre, je ne vous aiderai pas. Je serai là pour provoquer certains paramètres nécessaires à ce que je veux savoir de vous et à ce que vous devez apprendre de vous-même..


Il lut quelque chose sur la tablette qui lui fit lever un sourcil dubitatif :

-Grand chevelu ?.. soit. Mais, taré.....attendez de voir ce que je vous réserve pour nuancer votre jugement... certains vont jusqu’à sadique et même démoniaque.
Et maintenant, suivez-moi.


Il faillit ajouter " un-deux, un-deux ."mais trouva la plaisanterie d’un piètre goût et se dit une fois de plus qu’il se permettait ici des fantaisies indignes de sa vraie nature. Sa vraie nature.... tiens, à ce propos, il fallait prévenir sa recrue...

- Vous serez seule à me voir. Je serai ... disons, une projection holographique, physiquement du moins. Je peux disparaître, mais je reviens toujours.... je vous surveillerai de loin... Ah, laissez votre sac ici . Il est encombrant et ne vous conviendrait pas là où nous allons. Il est d’ailleurs limite, question poids, pour le voyage dans le temps. Un sac militaire... je pense que c’est à cause du petit ours en peluche que vous y avez mis que le Dévoreur n’a rien dit..

Il agita la main et la haute porte qui paraissait de métal devint transparente. On aperçut un paysage exotique, une villa coloniale dominant une mer de saphir.... Zorvan apprécia sa reconstitution, rajouta une haie de passiflores pour l’esthétique et annonça :

-Vous reconnaissez Curaçao, n’est-ce pas, et la charmante demeure où vous avez passé votre adolescence ? Tout était simple en ce temps, sauf lors de cette épidémie de choléra..... qui est d’ailleurs terminée. Allez, maintenant, je vous suis......mais si vous avez  des questions, vous pouvez me les poser avant de découvrir les petites surprises d’Aparadoxis.


Il lui désigna un point dans le jardin :

-Vous voyez votre père descendant l’allée vers la jeep qui l’attend comme chaque matin pour le conduire à son bureau....il va peut-être la renvoyer car le trajet est court et le commandant est un sportif qui aime, quand il a le temps, rejoindre la base en marchant. Vous devriez attendre qu’il ait disparu pour rentrer à la maison ... sinon il va se demander d’où vous sortez.
Ah, ne craignez pas de rencontrer votre double ; il n’y a que vous ici et personne ne vous trouvera changée, car Aparadoxis est un monde trompeur. Je vais adapter votre costume à votre âge : seize ans. Choisissez la tenue qui vous plaisait à cette époque.

Ils descendirent la colline semi-aride vers la zone plus luxuriante entourant la maison. Le commandant Detmers atteignait le portail mais la jeep n’était pas là et une mercédès noire aux vitres teintées glissa silencieusement à sa hauteur, ralentit, une portière s’ouvrit. Le commandant  monta dans la voiture, la portière se referma et aussitôt, la voiture repartit.
Ostensiblement, Zorvan  recula pour indiquer qu'il se mettait en retrait et  dit :

-Allez, c’est à vous d’agir, jeune Anita.
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Message  Invité Jeu 15 Aoû - 14:44

Apparemment, ce n'était pas une caméra cachée. Anita pensa aussi à une émission de téléréalité. Mais généralement, dans ce genre de show, les personnes impliquées étaient volontaires, passaient des castings et étaient conscient de la présence des caméras, ils savaient même où elles se trouvaient, afin de faire sa comédie bien dans leur axe. Sauf que non. Anita n'était volontaire que pour une chose : retrouver son fils. Elle n'avait pas passé de casting, juste un affreux rendez-vous autour d'un café avec une personne qui n'avait pas accepté sa courtoise invitation. Et pour ce qui était des caméras, s'il y en avait bien, elles étaient bien trop cachées pour pouvoir faire son spectacle. D'ailleurs elle n'avait pas envie de se donner en spectacle.
Demander des informations supplémentaires sur sa situation était la meilleure chose à faire, après observation avec ses propres sens, bien évidement.

L'homme qui venait de l'accueillir lui répondit gravement. Il était d'un sérieux ! Mais ses révélations  étaient dans la continuité des faibles explications données par celui qui se faisait appeler le Dévoreur de Temps. Il avait fait allusion au voyage dans le temps. Il était ici aussi question de voyage dans le temps. Mais d'antichambre aussi. D'Aparadoxis, de danger. De stage. Anita pensa immédiatement aux exercices de l'école militaire. Eux au moins, ils étaient réels. Les lieux l'étaient aussi puisque ses mains et ses pieds le lui confirmaient. Mais peut-être que tout se passait dans son subconscient. Peut-être qu'une drogue agissait en elle. Elle y avait déjà pensé. Mais y croyait un peu plus difficilement. Elle ne comprenait rien à ce qu'il disait au sujet des univers parallèle, d'Everett V et de l'espace euclidien de dimension supérieure à 3. Elle n'était pas scientifique. Ce domaine n'était pas de son ressort.

Visiblement, Zorvan était multitâche : gestion de l'accueil, guide, instructeur pour son stage, évaluateur de ses compétences, doué en informatique, à en croire sa tablette dernier cri. Tablette qu'Anita n'avait encore jamais vu sur le marché. Il était tout ça. Mais aussi... télépathe ?! Il venait de répéter deux mots pensés par Anita. Voilà qu'elle se disait être un peu plus en mesure de croire en ce que Zorvan disait.

Il se mit en marche et elle le suivit machinalement, à pas cadencés. Tout en marchant, il lui parla de ses facultés d'invisibilité. L'informant qu'elle était la seule à le voir.

- Probablement parce que vous êtes peut-être une illusion de mon esprit, marmonna Anita en posant son sac militaire lorsqu'il s'arrêta devant une porte.

Sac qu'il lui demanda de laisser sur place. Mais quand il fit allusion à l'ours en peluche, Anita ne put s'empêcher de sourire, pensant à Damian. Garder l'ours de son fils, c'était comme avoir une part de lui près d'elle. Le garder à proximité. Et si elle le retrouvait, ne serait-il pas heureux de retrouver aussi une chose provenant de son chez lui, de sa chambre, de son univers d'enfant ? C'était comme si maman n'avait pas oublié son ours préféré pour fêter les retrouvailles.

La porte se dématérialisa. De l'autre côté, un cadre connu d'Anita apparut. Curaçao. La maison. Ses parents. Mais aussi la perte de son ami, la maladie et la naissance de sa vocation. La deuxième étape la plus importante de sa vie. Celle qui passait après la naissance de Damian. Elle pouvait être aussi la plus importante. Car sans cette vocation, elle ne serait jamais devenue médecin militaire, elle n'aurait pas rencontré son ex-mari et Damian n'aurait jamais été là.

Zorvan lui demanda si elle avait des questions avant d'entrer dans Aparadoxis. Tout naturellement, Anita déclara :

- Pas de question, Monsieur.

Il l’entraîna alors dans le jardin. Il lui expliqua qu'elle était devenue la Anita de 16 ans. Quand il parla d'une tenue à choisir, la première qui vint à son esprit fut son vieux jean coupé maladroitement en short, pour traîner à la maison, un T-shirt militaire de son père, trop grand pour elle, cachant toutes ses formes de jeunes filles en pleine transformation physique et les trois-quarts de son short, puis des chaussures en toile. Aussitôt, elle se retrouva vêtue ainsi, grâce à la magie de Zorvan.

Ce n'était pas la meilleure tenue qu'elle avait dans sa garde robe à cette époque. Mais à en croire Zorvan, le danger pouvait guetter. C'était donc la meilleure pour palier à toutes situation. La première situation aurait pu être de rencontrer son père. Mais ce ne fut finalement pas le cas. La voiture était partie, le commandant aussi. L'instructeur, autrement dit Zorvan, fit un pas en arrière et donna le feu vert à Anita pour agir. Ce qu'elle fit en observant les lieux tout en restant sur place. Elle regarda partout autour d'elle. A part la haie de passiflores, qui était à l'origine une broussaille d'hibiscus mal taillés, rien ne différaient de la maison de son enfance. C'était même plus précis que dans ses propres souvenirs.

La deuxième situation à palier arriva. Zorvan avait donné le feu vert, Anita s'exécuta. Elle fit furtivement le tour de la maison, tout en restant sur ses gardes. Derrière, cachée de la vue de tout par la haie de passiflore, Anita retrouva les croisillons de ses 16 ans, recouverts des habituelles plantes exotiques grimpantes. Et évidement des insectes bourdonnants. Croisillons qu'Anita avait eu l'habitude d'escalader à de maintes reprises, lorsque son père n'était pas là, quand sa mère était seule pour se battre contre la désobéissance peu à peu grandissante de leur fille en plein âge ingrat. L'âge où elle avait appris à dire « non ».

Ni une ni deux, elle s'agrippa aux croisillons et testa leur solidité. Toujours la même. Les mêmes barreaux faibles, la même odeur de fleurs et de bois. Alors Anita les escalada comme une échelle. Elle se hissa sur un balcon. Celui de sa chambre. Elle tenta de pousser la porte-fenêtre. Elle n'était pas verrouillée. Comme toujours. Anita de 16 ans ne la fermait jamais. Elle poussa la porte-fenêtre et entra dans la chambre de son adolescence. Identique. Elle se précipita vers la porte et vérifia le verrou. Fermé. Anita se mit à rire. Elle se souvint alors qu'elle s'enfermait toujours dans sa chambre, scandant que personne ne devait y entrer sans sa permission. Sauf son père puisqu'il n'était pas concevable de lui interdire d'aller et venir où bon lui semblait sur son territoire. Anita cessa soudainement de dire et se dit qu'elle n'apprécierait pas cela de la part de son fils. Elle se dit qu'elle aimerait savoir ce que son fils, une fois âgé de 16 ans, ferait. Aussitôt, elle déverrouilla la porte de sa chambre mais la laissa fermée. Elle se tourna ensuite vers le lit et souleva le tapis. Elle débloqua une latte de bois et sortit un carnet d'une cavité. Son journal intime. Toujours au même endroit. Anita regarda la dernière page. Pris connaissance de la date. dans la cavité, se trouvait des sucreries. Choses quasi interdite chez les Detmers. Anita en mangea une. Le gout était identique à celui de son enfance. Une illusion crée grâce à une drogue ne pourrait pas répondre aux exigences de ses 5 sens. Anita remit précipitamment tout en place et se tourna vers Zorvan.

- Donc tout est vrai ? Les voyages, le Dévoreur... vous ?
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Message  Zorvan Mer 4 Sep - 11:16

Enfin, une candidate vivable !

Dès qu’elle avait été introduite dans l’antichambre, Zorvan avait eu une certaine prévention contre Anita Detmers.
D’abord, il était en ce moment, encore plus fâché que d’habitude. Le Dévoreur venait de le bombarder d’un hussard dont le sens de l’honneur menaçait à chaque instant de faire explosion. Et dans ces cas-là, étant dans l’impossibilité de manifester son irritation à son geôlier, le Gardien reportait sa mauvaise humeur sur les autres candidats, sans se soucier de l’opinion que la plupart d’entre eux emporteraient de lui. La plus fréquente étant que ce type ensoutané était absolument givré. C’était en particulier l’avis des petits jeunes prétentieux, persuadés du droit absolu qu’ils avaient de marcher sur les pieds des gens, fussent-ils bottés comme ceux de ce guignol. Zorvan s’attendait à ce qu’un jour, l’un d’eux sorte sa bombe à taguer et graffe :
Zorvan ZinZin
sur la porte d’Aparadoxis. N’y avait-il pas eu ce titi parisien, apprenti parolier, pour l’honorer d’un Zorvan le NarvoZé?
D’autres  jugeaient que ce Zorvan était le simple produit virtuel d’une imagination perverse à tendance narcisssique, croisant le sadisme mental avec la brutalité physique, ce qui engendrait un personnage frustré, provocateur, insupportable, mais très intéressant pour une analyse des stimuli conditionnels et une étude sur l’éniantosémie du langage zorvanien. C’était souvent l’avis des psychologues behavioristes ( les stimuli) et des linguistes ( l’éniantosémie). Les autres se contentaient de dire que l'individu n’était pas normal.
On pouvait ignorer celui qui le prenait pour Pazuzu tentant de le posséder et qui lui lançait des Vade retro terrorisés, n’étant pas sûr du tout des formules apprises en regardant l’Exorciste.
De même, le Gardien n’était que modérément énervé par les demoiselles intéressées par sa barbichette mais exaspérées par ce qu’elles disaient constituer des ingérences machistes dans leur libre-arbitre. Certaines cherchaient à le séduire, pensant qu’elles n’avaient rien à craindre d’un corps quasiment astral et par ailleurs très beau garçon. Mais vexées d’être ignorées, elles affirmaient ensuite qu’il était chauve, portait perruque et avait des mœurs spéciales...
Bref, on le trouvait en général hautement déplaisant, sa fréquentation était en soi une épreuve et il ne devait qu’à son immatérialité de n’avoir jamais été étranglé devant ses fameuses portes. Longtemps il n’en avait eu cure. Mais  au fur et à mesure qu’il retrouvait la mémoire, s’il houspillait toujours les indécis, raillait les poltrons et bousculait les m’as-tu-vu, il était davantage prêt à se montrer aimable envers des candidats coopératifs, surtout s’ils étaient bien élevés.

Ainsi Anita Detmers lui paraissait-elle de plus en plus vivable. C’était une jeune femme qui ne faisait pas d’histoires, ne hurlait pas en le voyant rendre les portes transparentes ou traverser les murs. Elle parlait peu, observait beaucoup, obéissait aux ordres sans discuter, ne levait pas les yeux au ciel et ne se plaignait pas d’avoir gardé ses talons hauts puisqu'on ne l’avait pas prévenue qu’il faudrait marcher. D’ailleurs elle avait des talons plats, ce qui allait bien avec sa silhouette élancée. Quand elle répondit par un sobre et poli "Pas de question, Monsieur.", il eut même envie de la féliciter.
Il savait par avance ce qu’elle allait choisir comme tenue mais il préférait de temps en temps donner aux candidats l’illusion qu’ils avaient une part de décision dans la mise en scène d’Aparadoxis. Par contre, pour le rôle qu’ils tiendraient dans ce décor, ils étaient entièrement libres de le sentir et de l’interpréter dans le sens qui leur conviendrait. C'était sur ce point qu'ils seraient jugés.

Zorvan : Objectif et méthode


La tenue choisie par Anita se matérialisa donc aussitôt, accentuant sa silhouette mince, ses longues jambes et sa grâce encore proche de l’androgynie de la première  adolescence. Elle sembla se réadapter immédiatement à ce qu’elle avait été  comme si son corps retrouvait la mémoire de gestes oubliés et réorientait son approche du monde. Zorvan fut très satisfait de la voir s’agripper à la clôture de lattes entrecroisées. L'expérience était commencée et tout allait dans le sens qu'il avait prévu. En effet, il avait été frappé par une donnée essentielle de la personnalité d’Anita telle qu’il l'avait déchiffrée dans ses mémographes au fur et à mesure que le phaseur mental du Dévoreur y avait inscrit ses informations. Cette donnée particulère était qu’à son sens, Anita Detmers n’avait pas vécu son enfance, mais celle que lui avait dictée un père taillé dans du granit et qu’une mère complaisante avait laissé prendre la place de celle que la petite fille aurait pu s’inventer.
Fais ceci comme cela, pouvait résumer les principes éducatifs de son père. Certes, il aimait son unique enfant, mais enfin, la lignée mâle des Detmers s’éteindrait avec lui. Anita avait à se faire pardonner d’être une fille, tout mignonne qu’elle fût. Une  poupée rieuse et naïve en robe à volants, c’est très gentil, mais à côté de frères portant déjà l’uniforme. Heureusement,les vêtements unisexe dominaient alors la mode enfantine et permettaient de pas trop fanfrelucher les filles,  en attendant, au tournant du siècle, la revanche du rose criard, du mauve fadasse et des petits coeurs en paillettes.
Inconsciemment, Anita s’était efforcée de ne pas déplaire à son père en lui rappelant ce qu’elle était ou plutôt ce qu’elle n’était pas et elle portait volontiers des t-shirts kaki plutôt que d’emprunter les tops moulants de ses amies et le rouge à lèvres de sa mère. Son père était l’image écrasante et admirée d’une autorité qu’elle jugeait légitime et quasiment de droit divin. Tous les gestes qu’elle accomplissait pour son seul plaisir étaient presque tous faits en cachette, des actes défendus. Oui aux séances d’entraînement sur le stade, ersatz du parcours du combattant. Non à l’escalade de la barrière du jardin, inutile et inconvenante pour une fille de commandant.
On pouvait résumer ainsi l’enfance d’Anita : on avait fait disparaître la petite fille qu’elle aurait pu être et donc l’adulte qui en serait sortie. Elle ne semblait pas en avoir vraiment souffert, trouvant normal d’obéir et de ne pas décevoir, puis avec l’âge, s’assurant des parts d’indépendance. Mais elle demeurait encore prisonnière de cette image paternelle.
Or un Voyageur  doit bien se connaître lui-même, tous les masques ôtés, pour survivre à la dispersion de son être dans les labyrinthes du Temps. Anita cherchait son fils enlevé. Il fallait d’abord qu’elle  retrouve en elle-même un autre enfant perdu, celui qu’elle n’avait pas eu la liberté d’être.  Elle était devenue  une jeune femme de talent, de volonté et de devoir, mais à qui manquaient la richesse des rêves enfantins, le souvenir de la fusion indicible entre le monde et ce qu’on se sent être, l’émerveillement de se percevoir si naturellement libre, sans que cette liberté de l’enfance ait à voir avec celle que l’adolescent croit conquérir en refusant les ordres.  Oui, il fallait retrouver l’enfant Anita avant l’enfant Damian et seule Anita pourrait le faire. Aparadoxis avait cette fonction pour les candidats au Voyage et encore d'autres pour ceux qui y retournaient.
Zorvan avait choisi de la faire revenir à l’adolescence car l’enfant ne juge pas ce qu’il est et ce qu’il vit et lorsqu’il commence à le faire c’est alors qu’il quitte son enfance. Aparadoxis devait offrir  à Anita l’occasion de se libérer de l’emprise d’un modèle autoritaire trop rigide, d’une approche des rapports humains axée sur le seul accomplissement du devoir et peut-être de trouver le chemin des rêves qu’on lui avait interdit de prendre.

Tout est vrai

La satisfaction de Zorvan fut de courte durée. Anita ne sembla pas remarquer la conduite insolite de son père. Pourtant, le Gardien avait prévu que cette scène de l’arrivée de la limousine emportant le commandant- scène qui ne s’était pas produite dans la vie antérieure d’Anita- coïncide exactement avec le moment où ils pourraient l’apercevoir en arrivant près du jardin. Il fallait croire qu’Anita n’était pas encore très persuadée de la réalité aparadoxienne. Car tout cela était parfaitement réel, avait lieu en ce moment même et elle aurait dû s’étonner. Si la jeep n’était pas venue, c’était que son père avait téléphoné qu’il rejoindrait la base à pied. Et donc d’où sortait cette limousine ? Son père était un homme d’habitudes.
Il fallait donc mettre davantage Anita en confiance et qu’elle se laisse emporter dans ce temps présent. Le phénomène d’immersion se produisait parfois dès la sortie de l’antichambre mais il sentait bien que l’esprit rationnel du médecin ne pouvait aussi facilement abandonner un monde pour un autre. Ici on n’était ni dans le rêve ni dans le souvenir. C’était  une autre vie et elle allait vivre des évènements réels pouvant la marquer de façon irrémédiable dans sa chair comme dans son esprit.
Il la regarda escalader le balcon, se dématérialisa et reparut dans la chambre où Anita très méthodiquement vérifiait l’authenticité du lieu. Il fit une petite percée dans son esprit quand elle déverrouilla la porte et ce qu’il vit l’étonna... Anita, obligée de cacher son journal et même d’innocentes sucreries, envisageait tout bonnement de ne pas laisser plus de répit à son fils que le commandant en avait accordé à sa fille. Elle voulait savoir ce qu’il ferait à seize ans, seul dans sa chambre ! Elle pourrait avoir des surprises ; ou plutôt non, car se sachant observable, Damian ne ferait que ce qu’il était convenable de faire devant sa mère. Mais il aurait aussi sa cachette, même si ce n’était pas sous une lame de parquet...Eh bien, Anita avait du chemin à faire pour retrouver son fils ; l’avait-elle seulement déjà trouvé, en tant qu’être indépendant et non seulement comme sa propriété personnelle ?
Quand elle lui demanda si "tout était vrai", il hocha la tête:

-Oui. tout est vrai.

Anita n’était pas femme à ouvrir facilement les portes du temps. Les choses devaient être à leur place et les situations sans faux plis. Elle restait entre les deux réalités, sur le qui-vive. Il fallait l'aider à passer pour de bon en Aparadoxis.  Zorvan pointa ses deux index en flèche vers elle et utilisa les ondes veganes de persuasion. C'était une technique où il était passé maître sur Aralia mais qui avait parfois bien du mal à se frayer un chemin dans le cortex grossier des humains  et parfois non sans causer certains dommages...le geste ne dura qu’une fraction de seconde et il reprit aussitôt ;

-Je vais vous laisser vivre votre vie. Vous avez remarqué tout à l’heure que votre père n’est pas parti rejoindre son poste par les moyens habituels, n’est-ce pas ?  Déjà hier, un incident vous a surprise.  Sans qu’il vous voie, vous l’avez aperçu sur le point de partir à son bureau, jetant sa veste sur une chaise avant de quitter la pièce, l’air mécontent. Or une feuille pliée a glissé d’une poche. Vous avez lu ce papier écrit à la main :
 Il va faire chaud.Demain à 10h, chez R. Mercédès passera.
Vite, vous l’avez remis à sa place en vous demandant qui est R et cette Mercédès. Vous êtes sortie et  entendant votre père dans l’escalier, avez rebroussé chemin comme si vous veniez  d’arriver. De nouveau en uniforme, le commandant  vous a dit qu’il allait être en retard et qu’on ne pouvait pas compter sur les domestiques dans le civil. Il est retourné vers la veste, en a tiré quelques items qu’il a soigneusement répartis dans la nouvelle veste. Vous connaissez sa maxime... chaque chose à sa place. Le désordre, c’est l’impuissance.
Or aujourdui, vous avez vu la limousine. Le commandant mentirait-il ? Et si vous alliez voir un peu où il va ? N'avez-vous pas envie de prendre votre bicyclette et de passer par le raccourci entre les parcs des villas et les plantations ? La route est en lacets serrés qui triplent le trajet et les voitures y roulent rarement à plus de 30 à l’heure..Vous pourrez rattraper la voiture avant l’arrivée à la base militaire. Vous adorez dévaler ce entier à toute vitesse, malgré les objurgations de votre mère. Le commandant mentirait-il, lui qui répète : Le mensonge, c'est l’arme des faibles ?

Un bref instant, Zorvan observa avec acuité la jeune fille puis d'un coup disparut.

Désormais il fallait qu'Anita ne soit plus que cette gamine, prête à se lancer dans une aventure  susceptible de lui faire prendre l’Autorité en faute et de découvrir si son père avait, lui aussi,  ses petites cachettes sous le plancher.
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Message  Invité Mar 17 Sep - 17:40

Tout était bien vrai. Les odeurs, les images, les sensations sous ses doigts, le sol sous ses pieds, le bruit de la nature et de la maison... tout semblait réel, tout l'était. Anita fixait Zorvan en silence. Son regard aurait pu le transpercer. Elle cherchait sur lui la moindre trace de mensonge. Mais il paraissait tellement sincère en affirmant que tout était vrai. Combien de fois avait-elle regardé ces téléfilms dans lequel une personne fait un bon dans son passé afin de changer son présent ? Maintenant, c'était son tour. La fiction devenait réalité. Sa réalité. Tout ce qu'elle croyait vrai venait d'en prendre un coup. Balayé suite à une étrange rencontre dans un café, balayé d'un coup de tourbillon menant à cette antichambre et à Zorvan. Quelle science pouvait prouver la véracité de ce qui lui arrivait ? Anita refusa d'imaginer un seul instant que la magie et la sorcellerie pouvaient en être la cause. Elle préférait se dire que la technologie et la science avait permis ce changement de réalité.

Avant qu'elle n'ait le temps de réagir, d'ouvrir la bouche pour en savoir plus sur la création de cet événement, Zorvan reprit. Il parla longuement. Il la laissait vivre sa vie. Donc elle n'était pas loin de ces films. Elle revivait sa vie. Il exposa les faits, tel un ordre de mission. Il raconta des faits étonnants. Son père serait un cachottier et elle l'aurait appris en lisant un étrange petit papier maladroitement tombé de la veste. Son père dérangerait les habitudes, quitte à aller à l'encontre de ses propres maximes. Il entraînerait le désordre par le mensonge et les cachotteries.

Anita ne se souvenait pas de ce passage de sa vie, celui où elle découvrit le papier chiffonné. Sinon, elle s'en serait souvenue. Cependant, elle s'y intéressa tout de même.
« Il va faire chaud. Demain à 10h, chez R. Mercédès passera ». Quelque chose surpris Anita. « Il va faire chaud ». Ici, à Curaçao, il faisait toujours chaud. Du moins pour les Detmers. Les locaux n'étaient pas du genre à dire « attention il va faire chaud ». Ensuite, qui était R. Qui était Mercédès. Pourquoi une limousine et pas la Jeep ou ses simples pieds ? Est-ce que le demain du papier ne serait pas le aujourd'hui du retour d'Anita dans son passé ?

Anita se sentit comme envoûtée par les paroles de Zorvan. Elle l'écoutait sans vraiment le vouloir. Absorbait tout ce qu'il disait, pompant chaque information comme une éponge avalait et retenait l'eau. « N'avez-vous pas envie de prendre votre bicyclette et de passer par le raccourci entre les parcs des villas et les plantations ? » disait Zorvan. Anita ne savait pas si elle avait envie ou non.

Elle s'avança tout près de Zorvan. Son visage tout près du sien, les yeux dans les siens avec la même pénétration que lui, elle ajouta avec détermination :

- Cette réalité reste étrange à mes yeux. Mais je suppose que la bicyclette est actuellement couchée sur le gazon devant l'entrée de la maison ? Demanda Anita. Là où je la laissais tomber après chaque sortie.

Zorvan disparut sans un mot. Anita afficha un sourire en coin de lèvre. Évidemment que la bicyclette était sur le gazon. Que faire ? Quitter la chambre par le balcon ou par les escaliers et l'intérieur de la maison, prenant ainsi le risque de croiser quelqu'un. Sa mère par exemple. Ses parents étaient morts et là, ils ne l'étaient plus. Avant de songer à des retrouvailles brèves, Anita devait tirer au clair cette histoire de papier, de « faire chaud », de R et de Mercédès. Alors elle décida de faire le chemin en sens inverse. Elle sortit par où elle était entrée. Elle se dirigea ensuite vers le devant de la maison, où la bicyclette l'y attendait, négligemment laissée sur le gazon. Anita prit soin d'évoluer jusqu'à son véhicule d'ado sans se faire remarquer et sans croiser qui que ce soit. Elle se sentait comme dans un jeu vidéo d'espionnage. Une voix off lui énonçait les faits et l'objet de sa mission et elle doit l'exécuter. Oui... Zorvan avait tout de la voix off. Présent sans l'être.

Une fois arrivée à la bicyclette, Anita l'enfourcha et pédala dans la direction indiquée par sa voix off. Elle prit la direction des parcs et des plantations. Le trajet ne fut pas aussi aisé qu'elle ne l'imaginait. Son corps était plus jeune mais pas aussi habitué aux efforts physiques que son corps d'adulte médecin militaire. Elle ne peinait pas à pédaler dans cette campagne exotique mais il y avait fort à parier que le lendemain, des crampes viendraient la taquiner. Arrivée en hauteur, Anita put apercevoir la limousine. Zorvan avait vu juste, elle avait pu rattraper le véhicule et donc son père. Il ne lui restait maintenant qu'une chose à faire. Suivre discrètement. Elle dévala donc la pente à une vitesse folle. Anita ne pensait pas pouvoir le faire de nouveau. Son corps savait ce qu'il faisait et maniait la bicyclette avec brio, évitant les creux et les bosses comme s'il savait où ils étaient. La limousine ne partait pas vers la ville, vers la civilisation. Non. Elle prenait la direction d'un petit coin perdu dans la verdure exotique et sauvage de l'île. Un petit coin qu'Anita connaissait bien pour avoir eu des consignes strictes de la part de son père. Ce coin était tout proche d'une hacienda qui suscitait bien des rumeurs. Elle appartenait à un Vénézuélien, propriétaire de quelques bateaux de pêche. D'après les rumeurs, il ne serait pas dans le poisson...

Qu'est-ce que son père pouvait-il faire dans une limousine le conduisant chez Señor Felipe Vázquez ?
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Message  Zorvan Lun 7 Oct - 16:50

Zorvan devait procéder à des ajustements en ce qui concernait les différentes possibilités d'Aparadoxis et les paramétrer selon ses projets, tous soigneusement adaptés à la personnalité d'Anita. Le plus difficile à régler des trois  univers parallèles que régentait l'Antichambre était bien le turbulent Aparadoxis. Infiniment remodelable, réutilisant absolument tous les éléments constitutifs des mondes d'où étaient issus les apprentis voyageurs, Aparadoxis était en autocréation constante, multipliant les possibles sur lesquels se greffaient les manipulations des Gardiens. Si celles-là étaient dans l'ensemble parfaitement rationalisées, il n'en était pas de même des interférences nées des esprits voyageurs qui s'y croisaient.
Ainsi ce dérapage à l'arrivée en Aparadoxis du Comte Cseszneky continuait d'irriter le Gardien qui avait vu ses calculs déréglés par un esprit rêvant trop d'indépendance.
Cela ne s'était jamais produit auparavant, même si  en cours de séjour, les glissement et les chevauchements spatio-temporels n'étaient pas rares. Ces incidents étaient très ponctuels, passant le plus souvent inaperçus. Cependant les conséquences pouvaient en être  tragiques comme lorsqu'un malheureux candidat du XXe siècle,  envoyé  sans encombre en 1856  à Tsarytsine en tant que paisible pêcheur d'esturgeon de la Volga , s'était retrouvé pour une seconde en septembre 1942 en pleine bataille de Stalingrad, et juste sur la trajectoire d'une balle qui avait clos l'épreuve d'une façon instantanée et définitive.
D'autres fois, ces déviations imprévisibles jetaient le trouble dans les plans zorvaniens, désorientaient le cobaye qui ne savait plus comment réagir et s'engageait dans des actions sans intérêt pour son évaluation. D'autres variations, appréciées le plus souvent par la causticité narquoise du Gardien, introduisaient un absurde loufoque, comme la brusque inclusion d'un concert de Viking métal dans la Constantinople assiégée du IXe siècle. Le candidat, qui ignorait tout de l'usage des projecteurs et de la sono, s'en était tiré en se bouchant les oreilles pour ne pas entendre la voix de tonnerre de ces démons  dans un déluge d'éclairs, de fumées et de vibrations infernales. Il avait cependant continué à suivre le Gardien avec une détermination qui lui avait valu un bon point sur son carnet de route.

Rentré dans la grande salle où Zorvan réglait les tables d'orientation de ses trois domaines, car sa tablette n'était fiable que pour des modifications partielles, il constata avec plaisir que tous les programmes concernant Anita Detmers fonctionnaient parfaitement et il la vit enfourcher sa bicyclette et foncer vers le sentier qui dévalait la pente avec la satisfaction du professeur qui constate que ses indications ont bien mis l'élève hésitant sur le bon chemin. Il récapitula la situation prévue pour l'épreuve.
Le commandant Lars Detmers devant pouvoir tomber de son cadre rigide de défenseur de la vertu militaire,du moins aux yeux de sa fille, le Gardien avait jugé bon de le transformer en un agent secret, travaillant pour l'ONU au sein de l'armée hollandaise, et il lui avait concocté des états de service adequats.
En tant que pilote, Detmers avait donc commencé par photographier des bases secrètes dans les points chauds du globe. Puis les satellites ayant pris pris le relais, il avait été chargé de repérer des comportements suspects dans certaines des ONG avec lesquelles il était en contact et de là, s'était vu confier l'enquête sur une agence criminelle dont les services internationaux commençaient à s'inquiéter. Sous le couvert de prêts financiers semblaient se cacher des  contrats de services très particuliers : enlèvements, assassinats, nettoyage de situations compromettantes et facilités d'acheminements pour des produits illégaux. Le BAf ( Bureau d'Assistance Financière) était la surface visible de l'iceberg que constituait l'association de malfaisance. Un discret siège central aux Iles Caïmans  dirigeait des antennes plus ou moins identifiées  à travers le monde.
Officiellement dans le cadre de ses obligations de service, Lars Detmers avait été envoyé à Curaçao. Mais le choix de cette affectation avait été déterminé par un besoin d'enquête récent. Deux disparitions inexpliquées avaient eu lieu au sein même du contingent onusien de l'ancienne colonie batave et on soupçonnait un certain Felipe Vásquez de diriger une antenne du BAF sous le couvert de sa société d'exportation d'alcool local.
Zorvan avait d'abord prévu de faire du commandant un  traître pur et simple, se vendant à ceux qu'il devait  démasquer. Mais la réalité première a son noyau dur et ne se plie pas à toutes les fantaisies d'un manieur de fictions, fussent-elles aussi abouties que celles de Zorvan. Lars Detmers n'était certes pas un soldat droit comme un i et soucieux seulement de voir les ordres obéis comme l'imaginait la jeune Anita. Cependant, toutes les mesures pour le rendre crédible en traître à son devoir avaient débouché sur des séries d'incohérences qui n'échappaient pas à l'oeil critique de Zorvan. Il n'arrivait à y insérer Anita qu'au prix de changements et de paradoxes qui rendraient l'expérience peu concluante.
Finalement, le commandement se retrouvait être un agent double, resté fidèle à son pays, mais infiltré dans la bande de Felipe Vásquez. Il y était connu comme un officier confronté à des dettes importantes dues à la pratique de jeux clandestins et forcé de les éponger grâce à la remise périodique de renseignements liés à des trafics d'armes et de matériel aéronautique. Le commandant était surveillé de très près et Felipe se méfiait beaucoup de cette coopération.

Le dispositif prévu était de faire surprendre le père par la fille persuadée que ce père avait tous les droits que confère une conscience irréprochable.
A partir de là, Zorvan n'interviendrait plus sauf pour rectifier d'éventuels risques de débordements pouvant ralentir la progression d'Anita. Pas question de renouveler les exploits du candidat Démétrios qui, se plaisant sans doute bien en Aparadoxis, y avait flâné pendant des mois avant d'arriver à en sortir. Flâner était peut-être un euphémisme car l'aventure avait été guerrière tout autant que spirituelle. Dire que l'Athénien avait failli se faire baptiser.... Anita, elle, même très jeune, semblait avoir la tête près du bonnet et Zorvan était sûr que l'apprentissage allait être mené rondement. Il ne préjugeait pas du résultat; mais il sentait des qualités de femme d'action et une indépendance d'esprit que l'autoritarisme paternel n'avait pas étouffées. Anita, enfant obéissante et adolescente sage, allait devoir se confronter avec un papa espion et se décider en conséquence.
Il arrangea encore quelques connexions temporelles. Il fallait
1- qu'Anita arrive à l'hacienda juste au moment où aurait lieu la discussion entre Felipe et le commandant au sujet de la dernière livraison de documents, qui n'étaient pas tout à fait aussi satisfaisants qu'ils auraient dû.
2- qu'elle trouve le moyen d'écouter sans être vue .

Zorvan avait en prévision joué les accessoiristes.  Sans aucune pitié, il avait infiltré un vibrion pathogène dans l'intestin du garde placé sous les fenêtres et qui, à l'heure H, allait devoir très vite s'éloigner dans les buissons  pour satisfaire à une urgence nauséabonde, incontrôlable et prolongée.
 De plus, malgré son habituel souci d'écologie et son culte des Arbres Sacrés d'Aralia, le Gardien avait provoqué, par un coup de vent nocturne, la  demi-chute d'une branche d'un mahogany planté à l'extérieur du mur d'enceinte, laquelle branche, non encore repérée par le jardinier, surplombait maintenant un splendide arbre divi-divi, orgueil du señor Felipe, placé de façon à ce qu'il s'allonge vers la loggia sur laquelle donnait son bureau. Zorvan aimait beaucoup préparer le terrain, en prenant parfois l'expression au pied de la lettre, tout en veillant à laisser le plus d'espace pour l'imprévu et de liberté d'action au futur voyageur afin que l'épreuve fût concluante.

Maintenant, c'était à Anita d'agir et réagir. Lui, se contenterait d'assister au spectacle en prenant des notes, mentales évidemment, car sa mémoire valait, pour parler poétiquement, celle des dix mille éléphants du Kérala.

Spoiler:
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{Achevé} A la Recherche des Enfants Perdus Empty Re: {Achevé} A la Recherche des Enfants Perdus

Message  Invité Jeu 31 Oct - 11:32

Anita pédalait tant qu'elle pouvait afin de suivre, tout en essayant de ne pas se faire voir, la voiture qui transportait son père. Elle essayait de rester dans les hauteurs, afin d'avoir la meilleure vue possible sur le véhicule, lui permettant de bien observer sans être vue. La limousine sillonnait la petite route qui traversait la zone interdite par son père, zone entourant la propriété de Felipe Vázquez.
La route praticable conduisait à l'entrée principale de l'hacienda. Mais comme elle s'en doutait, la limousine bifurqua vers la gauche, prenant un petit sentier peu agréable à prendre lorsque l'on se trouve en limousine. Apparemment, la limousine se dirigeait vers une autre entrée. Anita ne connaissait pas du tout le domaine des Vázquez. Elle ignorait donc qu'une entrée secondaire existait. En enfant obéissante, elle n'avait jamais, dans la réalité, traîné dans ce coin de Curaçao. Tout ce qu'elle savait de la propriété découlait de rumeurs. L'une d'elle disait que l'hacienda et les terres de Felipe Vázquez étaient aussi bien gardées qu'une prison de haute sécurité. On n'entrait ni ne sortait sans avoir été vu par au moins une personne, que ce soit directement ou depuis la salle des caméras de vidéosurveillance installées partout autour de la propriété ainsi qu'à l'intérieur. Des hommes patrouillaient autour de la propriété, le long du mur d'enceinte.  

Pour suivre son père, Anita n'avait d'autre choix que d'abandonner son vélo. La nature bordait la petite route sinueuse était si abondante que le vélo ne pouvait que la ralentir. Elle continua donc à pied, tout en restant dans les hauteurs, les yeux rivés sur la limousine. Prudemment, Anita avançait aussi. Les yeux sur le véhicule, les oreilles aux aguets, captant le moindre bruit derrière elle, guettant le moindre danger, tant humain que animal. De temps en temps, elle se figeait, regardait autour d'elle avant de reprendre son observation et sa lente avancée dans la broussaille.

La voiture arrivait maintenant près de l'hacienda. Le chemin lui faisait longer le mur d'enceinte. Anita vit l'imposante porte qu'allait franchir la limousine. Elle put voir une tête dépasser du haut du mur, recouvert de barbelés. Oui, les rumeurs étaient exactes. L'hacienda avait tout d'une prison. Et comme dans une prison, il était probablement plus facile d'y entrer que d'en sortir. La tête disparut et la porte s'ouvrit. Anita aperçut de nouveau l'homme qui avait regardé par-dessus le mur. Celui-ci, escorté par un autre homme, sortit de l'hacienda pendant que la limousine y entrait. Les deux gardes scrutèrent les alentours et refermèrent la grande porte. Anita ne perdait pas une miette de la scène. Elle n'avait pas quitté les deux hommes des yeux. D'où elle était, elle ne pouvait pas voir en détail se qu'ils portaient. Mais suffisamment pour voir leur arme. Tout deux étaient équipé d'un fusil d'assaut M4A1. À cet instant, Anita douta. Devait-elle y aller ? Elle, dans son corps d'adolescente et sans arme. Il allait lui falloir être prudente. Il ne lui était pas possible d'escalader le mur d'enceinte sans se faire voir et sans tomber sur un garde une fois passée de l'autre côté. Franchir le mur par la porte n'était pas non plus la solution. Pourquoi une ado, seule, irait sonner à la porte d'une hacienda perdue au milieu de la végétation ? Pour demander de l'aide parce qu'elle s'était perdue ? Non. Ce n'était pas crédible. Surtout que Felipe Vásquez devait s'être renseigné sur son invité, le commandant Detmers. Il devait donc savoir qu'il avait une fille et probablement avoir vu son visage.

Anita se crut dans une impasse.Elle devait savoir pourquoi son père était monté dans une limousine appartenant à Vásquez et pourquoi il se trouvait maintenant chez lui. Elle devait savoir ce que signifiait le petit mot qui était tombé de la poche de son père. Elle s'était donnée pour mission de connaître le fin mot de l'histoire. Comme elle se mit à agir en militaire. À agir comme elle l'avait toujours fait. Observation, réflexion et action.  Elle prit donc la décision d'inspecter, de loin, du haut de sa cachette, le mur d’enceinte de l'hacienda. Elle commença à faire le tour de la propriété en restant aussi loin qu'elle put. L'hacienda était silencieuse. Anita n'avait pu entendre que la grande porte se refermer et des portières claquer.
Sur le mur où se trouvait la grande porte, il n'y avait rien pour lui permettre de passer. Et elle ne préférait pas passer par un mur disposant d'une entrée puisque celui-ci était forcément sujet à meilleure surveillance. Elle contourna l'enceinte, se rapprochant un peu plus du mur sans pour autant quitter les buissons. À pas de loup, elle avançait doucement sur le mur de derrière, celui qui était le plus difficilement accessible de part la végétation. Là, elle vit ce dont elle avait besoin : un moyen d'accéder à l'autre côté du mur. Un mahogany se trouvait à proximité du mur. Pas trop près pour empêcher les intrusions grâce à une escalade de l'arbre. Cependant, l'arbre était sérieusement endommagé. Une énorme branche, pouvant être aussi grosse et solide que le tronc d'un jeune arbre, s'était à moitié brisée, formant un pont suspendu au dessus des barbelés du mur, et lui permettait d'entrer dans l'hacienda.
Doucement, en essayant de faire le moins de bruit possible, Anita quitta sa cachette et se dirigea vers le mahogany. Elle l'escalada le tronc et s'arrêta en haut du mur d'enceinte. Du tronc, elle put voir l'intérieur du mur d'enceinte. Elle s'aperçut ainsi qu'un garde se trouvait au pied d'un immense divi-divi, qui se trouvait juste en-dessous de la branche tombée du mahogany. Non seulement la branche formait un pont, mais elle rejoignait le divi-divi, à l'immense feuillage bien touffu, qui pouvait être une cachette intéressante, pour patienter le temps de trouver le bon moment pour réellement sauter au cœur de l'hacienda et courir pour aller se cacher ailleurs.
La présence du garde n'arrangeait pas ses affaires. Que faire ? Attendre qu'il tourne le dos pour foncer sur la branche cassée, la traverser et se cacher dans le divi-divi ? Cela voulait dire attendre sur le tronc en prenant le risque d'être découverte. Toutefois, par un heureux hasard, le garde s'arrêta subitement dans sa ronde au pied de l'arbre, se crispa, grimaça, posa ses mains sur son ventre et lâcha un pet bruyant. Anita grimaça de dégoût et le garde devint blanc comme un linge.

- Coño ! S'exclama le garde en se tordant de douleur et se précipitant derrière un gros buisson, coincé dans un angle du mur d'enceinte.

Voilà une ouverture étrange mais qui tombait à pic. Le divi-divi et le mur d'enceinte étaient sans surveillance. Anita devait agir vite. Elle continua son escalade, franchit le passage au-dessus du mur et s'installa dans le divi-divi afin de patienter. Cachée par le feuillage dense de l'arbre, elle pouvait entendre les environs sans être vue. Elle put ainsi constater que la diarrhée subite du garde lui faisait lâcher de nouveaux jurons. Pas de pitié pour le garde. Anita n'avait pas le temps pour ça. Toute son attention sur portait sur les autres bruits. Des bruits d'assiettes qui se cognent, des bruits de talons aiguilles sur du carrelage et deux voix d'homme, dont l'une lui était plus que familière. C'était telle de son père. Intriguée, Anita se mouva dans l'arbre pour se rapprocher du bâtiment. Le divi-divi penchait tout droit vers le mur de l'hacienda. Tout en essayant de rester sur les branches les plus solides, Anita se rapprochait d'une loggia ouverte dont émanait la voix de son père et celle d'un autre homme qui ne semblait pas des plus ravis. Sous cette loggia, devait se trouvait une cuisine. L'odeur d'un repas en préparation s’échappait d'une baie avec le bruit de la vaisselle. Mais de la hauteur où elle se trouvait, Anita pouvait se concentrer sur la conversation entre son père et l'homme au fort accent espagnol.

-  … ils ont du retard, je n'aime pas le retard, dit la voix à l'accent espagnol.

- Presque tous les documents vous ont été remis, Monsieur Vásquez. Ce soir, je passerai ici en sortant de la caserne pour vous porter la copie du dernier dossier.

Anita n'en croyait pas ses oreilles. Son père et Felipe Vásquez, parlant documents. Documents que son père copiait pour lui. Dans quoi son père trempait-il ?
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Message  Zorvan Jeu 21 Nov - 16:58

Chez Zorvan, entre ici et plus tôt.

Dans le  laboratoire central de l'Antichambre, Zorvan sentait le drainage insidieux de son énergie. Son esprit s'orientait dans trop de directions, suivait trop de trajectoires dans une nuit mentale sillonnée de trop de lumières. Certes il avait été entraîné à ces techniques par les années passées au service des maîtres de l'Antichambre que le Dévoreur de Temps avait remplacés et il n'était pas moins exigeant, sous son abord poli de bienfaiteur humanitaire. Zorvan était multifonctionnel à bien des égards. Mais la sagesse est mesure et le Gardien décida donc de réduire le champ de son activité.
Il commença par laisser s'éteindre en lui la nappe d'ondes centrée autour d'une demoiselle à bicyclette, descendant un raidillon à vive allure, dans l'excitation d'une désobéissance assumée.
Puis quelques points furent fixés concernant la situation explosive en Sierra Leone où venait de débarquer un de ses cobayes. Ensuite, fort méchamment, il accentua la force du courant dans le Danube où se débattait ce satané Ludwik Csesneky. Le hussard apprendrait peut-être à ne pas désobéir à Zorvan et à ne pas plonger la tête la première dans les difficultés. Il songea même un instant à faire encore baisser la température de l'eau mais jugea qu'une pneumonie serait une vengeance mesquine et anonyme. Il ne se prenait pas pour Zorro mais il aimait aussi signer ses œuvres et il abandonna donc l'idée.
Puis le Gardien pensa à se consacrer à ses recherches sur les moyens de s'évader de sa prison. Mais il fallait d'abord se ressourcer.
Avec lenteur, le regard perdu dans un paysage bleu qu'il portait en lui-même, forêts lointaines, prairies de brume, le Gardien joignit ses longues mains de musicien, paume contre paume, pour retrouver sa sérénité dans la plénitude de son être rassemblé. Les lumières devinrent une, les vagues d'émotions cessèrent de se croiser en désordre et tout se fondit en une immense houle qui le portait sans effort vers un rivage apaisé.

Mais une vibration d'alerte retentit soudain  dans son cortex et il ouvrit aussitôt les yeux. Cela venait du scriptotrope d'Anita vers lequel il se dirigea, soudain inquiet..
Ce qu'il vit sur l'écran provoqua un 'Tssittsitt"réprobateur. Ces jeunes Terriens étaient  d'une inconséquence ! La demoiselle avait bien saisi la perche, en l'occurence une branche de mahogany, mais, dissimulée dans le feuillage du divi-divi, elle s'avançait dangereusement sans se rendre compte, étant donné sa légèreté, qu'elle arrivait  à l'extrémité des branches. Cet arbre oriente en effet tout son feuillage dans la direction du vent dominant au lieu de l'épanouir autour du tronc. En fait, Anita était dans les branches de ce qui aurait été le faîte d'un arbre normal et la masse serrée des feuilles autour d'elle devait lui faire illusion. Elle risquait de tomber à tout instant.
Il se décida à intervenir in situ dans l'Aparadoxis de Miss Detmers et disparut aussitôt du vaste laboratoire.
Les écrans continuèrent à clignoter en ronronnant de mystérieux chuchotements, les arcs d'énergie poursuivirent leurs vibrations sans fin tandis que sur des rythmes étranges, la grande Horloge égrenait les variations du Temps sidéral.

Chez   Vasquez, ailleurs et en même temps.

Zorvan se manifesta directement sur le toit en terrasse où, en débouchant de l'interspace, il traversa à demi un garde en poste, lequel se la coulait douce en finissant de griller une sèche.
En même temps, Zorvan modifia légèrement le champ de pesanteur dans un périmètre restreint afin que Miss Anita pèse moins sur sa branche. Le garde, jetant son mégot à ses pieds, le vit avec surprise s'envoler à plusieurs mètres par dessus la balustrade, ce qui le fit jurer car on n'avait pas le droit de fumer en service. Si le mégot tombait aux pieds du collègue d'en bas, ce fumier serait bien capable de le dénoncer .
Anita s'immobilisa, peut-être surprise de la facilité soudaine de ses mouvements, ce qui l'incita à se méfier d'un  élan imprudent. Zorvan apprécia les réflexes pertinents de la jeune fille et rassuré, rétablit l'ordre gravitationnel du lieu, ce qui provoqua aussitôt un vacarme métallique montant du rez de chaussée. Belles vibrations sur un carrelage sonore comme de la phonolite ! c'est un pays de volcans ici...  jugea  le Gardien. Sans doute une casserole de cuivre, soulevée d'une seule main, redevenue brusquement plus lourde et qui oscille en perdant son couvercle,. Il s'amusait un peu de ses pouvoirs en Aparadoxis, mais il n'en abusait pas, à la fois pour des raisons d'éthique et de pratique, afin de ne pas déboussoler ses invités qui l'étaient déjà assez comme cela.

Dans son arbre, Anita écoutait une conversation qui révélait que son sévère papa fricotait avec du bien vilain monde. Qu'allait-elle faire ? Rentrer en pleurant à la maison et tout raconter à sa mère ? Ne rien dire, filer à son lycée, inventer une chute de bicyclette pour expliquer sa demi-fugue, étouffer dans le silence ce soupçon indigne du respect dû à son géniteur ? Ou bien, dans un élan de discipline civique, foncer à la base, pour tout raconter au colonel Watson ?
Zorvan ne pariait sur rien. Anita était à l'âge où on ne prend que fort rarement des décisions mûrement réfléchies et où on suit plus son instinct et ses pulsions que la raisonnable prudence.
Un brusque silence avait suivi la déclaration de Lars Detmers promettant d'un ton humble d'apporter la copie du dernier dossier.

Zorvan décida de voir où en était les choses du côté du papa .
Il se retrouva donc dans la pièce où le commandant Detmers, assis sur une chaise, ne semblait pas très à l'aise. Devant lui, le regardait de haut un genre de gaucho élégant, fine moustache et cheveux noirs gominés, cigarillo entre deux doigts, un bellâtre, mais avec un regard dur qui démentait son parti pris d'élégance mondaine.
Un autre homme, aussi sombre de poil mais dans le genre ébouriffé, avec des poings de boxeur, se tenait silencieux derrière l'officier. Il ne cachait pas le revolver glissé dans sa ceinture. Vasquez dit sèchement, sur un ton où se mêlaient colère et satisfaction d'avoir coincé un adversaire :

-Ah ! Une copie ! Vous copiez ce que vous voulez, Detmers...mais je ne vous ai pas demandé des copies. Les copies, c'est moi qui les fais. Le marché était pour des originaux, rendus le jour même pour que vous les remettiez en place, ni vu ni connu. Or  votre dernier envoi est constitué de bien piètres copies, inutilisables. Il manque un chiffre ici, une cote là, des dessins comportent des détails mal ficelés. Mes clients, qui sont très au courant de ces choses, se sont plaints. Je n'aime pas qu'on me trompe. Vous pensiez nous avoir convaincus de votre honnête collaboration avec nous en nous remettant des premiers documents, authentiques mais sans rien de très intéressant. Cela nous a alertés. Et voilà que pour cette dernière demande importante, réellement utile, vous nous remettez des dossiers truffés d'erreurs ! Vous n'êtes pas un bon espion, Detmers ! Vous ne faites pas attention à ce que vous dites et vous nous prenez pour des imbéciles. Cela est punissable, très punissable.

La voix de Lars Detmers protesta avec véhémence :

-Vous vous trompez. Je vous ai remis des documents d'origine. Pour le dernier, aussi, je l'ai pris dans le coffre à la base, comme les autres. J'ai dit "copie" parce que à Curaçao, nous n'avons pas vraiment les originaux.  Ils sont à New-York, au Siège. Mais ce sont des doubles certifiés conformes !.. Et si le dernier remis comportait des erreurs, je ne pouvais pas le savoir, je ne suis pas ingénieur !

-Allons donc ! La seule option qui vous serait favorable, ce serait que vos chefs aient soupçonné votre petit trafic et  vous ont laissé voler un document inexploitable afin de se donner le temps de vous coincer. De toutes façons, que vous soyez un traître dans un sens ou dans l'autre, vous êtes devenu un danger pour nous. Pablo !

L'homme placé derrière le commandant, pointa brusquement son arme sur la tempe de l'officier et  deux hommes postés derrière une tenture s'avancèrent, chacun tenant une cordelette roulée en lasso.
Vasquez eut un petit rire méprisant tandis que le commandant était prestement ligoté sur la chaise et baîllonné. Il essaya quelques gestes de défense mais en vain. Ses tempes  commencèrent à se couvrir de sueur.
Zorvan pensa, quelque peu ennuyé, qu'il était partiellement responsable de ce qui se passait. S'il avait pu réussir à faire de ce Detmers d'Aparadoxis un vrai traître, la scène d'épreuve aurait tourné autrement. Anita n'aurait eu qu' à régler un conflit intérieur et choisir entre l'image souveraine d'un père au dessus de tout jugement et la réalité sordide d'un espion au travail. Or voici qu'on était dans une situation où les choses ne se passaient pas seulement dans les consciences mais contraignaient à passer à l'action, et quelle action ! Ce n'était pas la première fois que la violence extrême s'introduisait dans les épreuves imposées aux candidats du Dévoreur. Non seulement il envoyait parfois de peu recommandables paroissiens mais le cobaye, fût-il le plus timoré ou le plus doux des êtres, à certaines époques, en certains lieux, ne pouvait que rencontrer meurtres, cruautés et horreurs indicibles.
Vasquez poursuivit :

-Ce n'est pas vous qui découvrirez quoi que ce soit de compromettant sur le BAF.  Vous n'êtes qu'un petit scorpion et les scorpions, je les écrase ou je les étouffe. Nous allons vous laisser quelques minutes à méditer sur le sort que mérite un traître...seulement quelques minutes. Car  le monoxyde de carbone très concentré est très efficace. Ce soir, on retrouvera le commandant Detmers dans une voiture de louage bien fermée où il se sera asphyxié volontairement. Ses dettes de jeu l'auront poussé à ce geste désespéré. Ce qui me plaît particulièrement, c'est que vraisemblablement ces fameuses dettes ont été montées de toutes pièces par vos chefs pour vous infiltrer parmi nous. Mais ils n'oseront pas démentir et reconnaître qu'ils utilisent des espions. Dans le cas où vous n'étiez pas de mèche avec eux, vous vous êtes fait avoir et je ne veux plus entendre parler de vous. Sauf demain matin, dans mon journal, sous le titre :Accident ou suicide ? Je ne vous dis pas au revoir..

Vasquez se dirigea vers la porte, Pablo verrouilla les fenêtres et les quatre hommes sortirent sans un mot.

Zorvan  ne put s'empêcher de trouver qu' Aparadoxis venait encore une fois de dépasser tout ce qu'il avait envisagé. Avait-il besoin inconsciemment de créer des drames, de vivre par procuration des instants intenses, de retrouver des émotions fortes à travers des réalités incertaines, lui devenu une ombre, un fantôme, même pas un souvenir valable de lui-même ?  
Sa création lui échappait constamment. Thorvald, cet autre énergumène, allait-il brusquement apparaître dans cet Aparadoxis comme il avait osé le faire en d'autres temps ? Ou bien encore, n'importe lequel de ces voyageurs qui en connaissaient l'accès et sur lesquels il n'avait pas de prise ? pourquoi se fatiguer à ourdir des plans savants !
Partagé entre l'rritation et l'excitation devant l'inconnu, le Gardien entendit un petit bruit de clapet qui s'ouvrait et un léger sifflement. Detmers était livide. Il sembla tenter de faire tomber sa chaise mais ses ligoteurs connaissaient leur métier. Zorvan alla vers la fenêtre mais la suite ne dépendait pas de lui. Il n'était pas l'acteur chargé d'improviser, juste un metteur en scène aux pouvoirs mal précisés, devenu spectateur du rôle qu'Anita Detmers allait décider d'interpréter.
La plume : son rôle dans vos voyages
Empreinte : Zorvan,Gardien de l'Antichambre, Prêtre Guerrier d'Aralia
Messages : 97
Date d'inscription : 01/03/2012
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Message  Invité Sam 30 Nov - 22:13

Le bruit de la casserole s'échappant des mains d'un commis et rencontrant le sol ne détourna pas l'attention d'Anita. En tant que médecin militaire, elle savait ignorer certains bruits pour se concentrer sur d'autres. Ainsi, le juron de l'homme sur le toit en terrasse, qui regardait son mégot s'échapper et atterrir sur la terrasse du bureau du patron, lui effleura à peine les oreilles. Les lamentations du garde derrière son buisson n'étaient qu'un lointain murmure. Les cris du chef cuisinier sur son commis maladroit n'étaient pas plus gênant que le sifflement du vent. Anita se concentrait sur la conversation, ou plutôt le monologue, du Señor Vásquez.

Dans l'arbre, Anita était comme en lévitation au-dessus de la terrasse, à mi-chemin entre le toit en terrasse et le sol de la terrasse du bureau de Vásquez. Sur son toit, le garde se penchait au-dessus de la balustrade pour mieux regarder la terrasse de son patron. Il pouvait voir son mégot, tombé presque au pied de la porte fenêtre. Il ne remarqua pas Anita, pourtant cachée presque sous son nez. Miracle du feuillage !

Tout en écoutant la conversation, Anita fixait le garde des yeux pour être prête à tout si le garde devait finalement l'apercevoir. Il était tellement obnubilé par son mégot qu'il y avait très peu de chance qu'il ne la remarque, car si le Señor Vásquez découvrait le mégot, une tempête de colère était à prévoir. Et peut-être pire.
Quant à Anita, c'était la conversation qui avait la quasi totalité de son attention. Une conversation qui ne manquait pas de lui déplaire, ternissant l'image qu'elle avait de son irréprochable père. Un père qui tentait de convaincre son geôlier de son honnêteté. Tentative vaine puisque Vásquez l'abandonna ligoté sur son siège et l'enferma dans le bureau, condamnant ainsi la fenêtre, l'unique possibilité pour Anita d'entrer pour approcher son père.  L'Anida adulte dans son corps d'ado réfléchissait, hésitant entre quitter le domaine de Vásquez pour en rameutant l'armée ou attendre de voir si Vásquez mettrait ses menaces à exécution. Mais une autre idée lui vint : sortir son père d'ici et connaître le fin mot de toute cette histoire. Jamais elle n'aurait pu imaginer voir son père agir ainsi. Son père, le vrai, celui qui était mort dans l'accident d'avion... aurait-il été capable de faire un tel marchandage avec Vásquez ? Peut-être. Après tout, que savait-elle de son père à part ce qu'il voulait bien montrer de lui, à savoir le détenteur de l'autorité qui ne pouvait que suivi et écouté, et non remis en question.

Anita songea à Damian. Lui avait-elle déjà caché des choses qui pouvait ternir l'image qu'il se faisait de sa maman ? Qu'est-ce que son fils pouvait lui reprocher à part ses absences régulières et son travail trop prenant ? Damian n'avait jamais manqué de rien. Il avait tout : des anniversaires et des Noëls à le pourrir et le gâter, des pâques à lui carrier les dents, un nombre incalculable de sorties dans des parcs d'attractions, zoos, musées, cinémas, centres de loisirs. Il avait tout cela. Maman payait tout, maman le pouvait. Mais tout se faisait trop rarement en compagnie de sa maman. Anita se pensait être une maman irréprochable comme l'était, selon elle, son père. Mais elle se rendit compte qu'il était possible de lui incomber un reproche : sa présence en pointillée. Alors à son père, que pouvait-elle lui reprocher ? Les premières fautes lui venaient soudainement à l'esprit avec une incroyable facilité : un manque cruel de démonstration d'affection, d'écoute, d'attention et de compréhension. Une présence tout aussi moindre et un autoritarisme qui l'aveuglait et ne lui montrait pas la dureté de la vie qu'il imposait à sa famille. Voilà tout ce qu'Anita aurait aimé reprocher à son père avant de le perdre, avec sa mère.
Cependant, il n'était plus de son monde et Anita éprouvait quelques difficultés à faire perdurer ces griefs dans son esprit. Les garder ne le ferait pas revenir. Cependant, elle avait sous ses yeux un père. Pas réel. Mais le sien tout de même. Il lui était donc donné de lui exposer tout cela, comme si elle s'adressait au vrai Commandant. Pour cela, il fallait le sortir de là. Et comment y parvenir ?


Vásquez avait fermé la porte fenêtre de l'intérieur. Pour entrer, il faudrait soit passer parla porte et donc entrer dans le bâtiment, soit casser un des carreaux et entrer par effraction. Anita n'avait rien pour casser la vitre. Un coup de poing pourrait le faire, mais elle se blesserait et rien ne l'assurait que son petit corps d'ado en aurait la force. Une branche de l'arbre ne serait pas suffisamment résistante.

Contre toute attente, le garde qu'elle observait bougea. Il enjamba la balustrade du toit terrasse et s'y suspendit afin de poser ses pieds sur la balustrade en pierre de la terrasse du bureau de Vásquez. Voilà exactement ce dont Anita avait besoin. L'homme était encore à moitié accroché à la balustrade du toit et en appui sur celle de la terrasse, tout en prenant soin de ne pas tomber plus bas. Anita s'accrocha comme un singe à une branche, se retrouvant suspendue à la branche juste au niveau de l'homme, qui ne s'attendait pas à voir surgir une jeune fille de l'arbre. Les jambes jointes, Anita lui asséna un coup dans le ventre, le coupant le souffle et le faisant tomber à la renverse  sur la terrasse de Vásquez. Un brin sonné, le garde était maintenant allongé sur le dos, au sol. Grâce à un léger balancement, Anita se donna suffisamment d'élan pour arriver assez violemment sur l'homme, dont le ventre souffrit de nouveau d'un choc, lui faisant libérer un gémissement sourd. Affalée sur le garde, Anita n'eut qu'à lui serrer fortement la gorge. Déjà bien assommé par sa chute sur le dos, l'homme ne se débattit pas longtemps.
Le bruit des cuisines étaient un parfait cache son action. Le chef continuait de rouspéter après sa brigade et surtout le maladroit qui avait ruiné le mijoté de poisson curry et lait de coco qui se trouvait dans la grosse et lourde casserole. Il était donc difficile pour quiconque d'entendre clairement ce qui se passait sur la terrasse.
Anita fouilla l'homme inconscient. Elle trouva une arme, ce qui n'était pas une découverte négligeable, un paquet de cigarette, un briquet et un vieux Motorola B300. Anita n'en avait pas vu des comme ça depuis son adolescence et fut étonnée du poids de la bête. Elle se souvint de son premier téléphone, qui lui servait surtout à jouer au snake tard le soir sous la couette, après le couvre-feu imposé par Papa Commandant.
Le téléphone portable fut calé dans son soutien-gorge, entre ses deux seins. Il pourrait glisser hors de la petite poche de son short à tout moment, ruinant ainsi ses chances de communication en cas de problème. Là où il était, il était bien coincé ! Et bien mieux dissimulé que dans une poche en cas de fouille corporelle. Quoi que si elle se faisait prendre, qu'est-ce qui l'assurait que les hommes de Vásquez n'irait pas mettre les mains là...

Anita ne s'en soucia pas. Sa préoccupation était d'ouvrir la porte. Pour cela, elle retira le T-shirt du garde toujours dans les vapes et l'enroula autour de sa main droite. Puis, elle s'empara de l'arme et avec la crosse, donna un violent coup dans le carreau se trouvant juste à côté du verrou de la porte fenêtre. Quitte à se protéger la main, autant le faire avec un autre vêtement que le sien. Se retrouver en soutien-gorge serait inconfortable pour retraverser l'arbre puis n'aiderait pas à cacher et maintenir le téléphone là où il se trouvait.
Une fois le carreau cassé, Anita passa sa main protégée par le trou et ouvrit le verrou. Elle poussa la porte et se planta devant un commandant aux yeux écarquillés. Sans dire un mot, sans donner la moindre explication, elle fit le tour du bureau et chercha rapidement de quoi sectionner les liens. Dans un tiroir, se trouvait un couteau à cran, ainsi qu'une autre arme. Ces trafiquants... toujours dans l'excès quand il s'agissait d'arme. Pour le coup, cela arrangeait bien Anita. Le couteau en main, elle fit le tour de son père et commença à le libérer tout en jetant un œil de temps en temps au garde pour s'assurer qu'il était toujours inconscient. Quand les liens furent plus facile à retirer, le Commandant aida sa fille en gesticulant pour se dégager un peu plus lui-même, pendant qu'elle continuait à couper les liens, sans pour autant toucher au bâillon. Elle ne voulait pas qu'il parle rapidement. Elle voulait d'abord lui parler sans risquer d'être interrompue.

- As-tu conscience que c'est grâce à ton ado de fille que tu vas peut-être t'en tirer ? As-tu conscience que malgré le manque d'affection de ta part, malgré l'absence d'écoute, d'attention et de compréhension, malgré le fait que tu te comportes à la maison avec nous comme si tu étais au travail... que malgré tout cela, je viens t'aider ? Te rends-tu compte que tu n'es pas le parfait commandant et père de famille que tu penses être ? Tu n'es pas parfait papa. Avec ce que je constate aujourd'hui, tu es même loin de la perfection. Je te détache mais après tu devras te débrouiller seul. Je ne ferai rien de plus pour toi. Et tu devras parler à maman de tout ça, tes manigances avec cette crapule de Vásquez, les dettes de jeu. À la maison, il va falloir que tu descendes de ton piédestal. Et au travail, cela ne me concerne pas. Mais il te faudra régler seul tes problèmes avec Vásquez. Et si besoin, tu espères que je témoigne en ta faveur, tu attendras longtemps après moi.

Lars Detmers avait maintenant une main libérée et il put retirer son bâillon. Les liens étaient tombés. Anita lui laissa le couteau et garda l'arme à feu. Elle savait s'en servir. La Anita ado non, mais la médecin militaire oui. Elle alla voir le garde inconscient avec le bâillon et les liens. Elle le saucissonna et remonta dans l'arbre afin de faire le chemin en sens inverse. Elle ne se retourna même pas pour voir si son père l'imiter. Elle en avait fini avec lui. Elle l'avait aidé, elle n'en ferait pas davantage. Anita se faufila dans l'arbre Divi Divi et arrivait maintenant à la branche qui permettait de repasser de l'autre côté du mur. Elle regarda au sol mais ne voyait pas le garde. Elle hésita entre attendre par précaution et foncer tête baisser au risque de perdre du temps à trop attendre et ainsi voir le garde revenir.
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Message  Zorvan Dim 29 Déc - 12:20

Zorvan observait Anita  qui sembla fort déçue en voyant le garde fermer la fenêtre tandis que Vasquez sortait, suivi de ses hommes, laissant le commandant Detmers ligoté et suant sur sa chaise.

Le Gardien regrettait de soumettre une adolescente à cette situation de cauchemar car elle avait entendu les paroles venimeuses de Vasquez et avait dû comprendre ce qui allait se passer. Ce qui se passait déjà d'ailleurs : Zorvan percevait en continu le petit sifflement d'un conduit dans la pièce devenue sinistrement silencieuse. Zorvan pensa  qu'il aurait été simple de supprimer cette défectuosité du dispositif, sans doute branché sur la cheminée de la cuisine ou celle d'un garage bien clos dans lequel un moteur de voiture avait été mis en marche. Ce ne devait pas être la première fois que le système était utilisé. Mais le gaz étant inodore et incolore, cet effet pouvait avoir été calculé par simple perversité afin de rendre immédiate l'angoisse de la victime, avant même que les premiers symptômes de l'empoisonnement n'apparaissent. L'organisation secrète de Vasquez devait avoir une série de moyens bien rodés afin de ne jamais laisser de cadavres trop évidemment assassinés exigeant une enquête approfondie et mobilisant durablement l'opinion publique. Les faits-divers  s'oublient vite, le récit en épuise l'intérêt. Les dettes de jeu étaient un mobile  parfaitement classique pour le suicide du vertueux commandant Detmers et Vasquez devait se sentir particulièrement satisfait à l'idée que la cause, réelle ou falsifiée, qui avait servi à l'infiltration de Detmers  dans le BAF allait aussi  dissimuler la façon dont il en sortirait. Zorvan avait vite jugé Vasquez, sans scrupules certes, mais aussi prenant un plaisir manifeste à combiner l'efficacité de ses crimes avec si possible un peu de torture mentale et de sadisme bien calculé. La mort par inhalation de monoxyde de carbone est loin d'être immédiate; ni même rapide. Detmers allait suivre la progression de ses troubles physiques mais dès maintenant, ce petit sifflement lui retirait tout espoir : la mort chuchotait déjà à ses oreilles.
Même si elle avait perdu ses illusions sur son père, Anita pouvait être bouleversée par l'horreur de ce qui se préparait. Bien qu'elle soit demeurée, au début du moins, consciente d'être encore l'adulte qu'elle deviendrait plus tard, la force de la réalité présente, celle d'Aparadoxis, devait désormais dominer sa perception des événements et ses sentiments spontanés, un peu comme au théâtre où nous finissons par pleurer ou frémir de peur pour un personnage dont la réalité est empruntée à celle d'un acteur que nous savons vivre sa vie en dehors de ce rôle.
 Elle n'était maintenant qu'une lycéenne, elle risquait de paniquer, de se mettre à appeler au secours et Zorvan ne se faisait pas d'illusions sur ce qui se passerait alors. Il était évident que dans la belle demeure du señor Vasquez, tout le personnel était au courant  de ce qui s'y déroulait et on retrouverait Anita auprès de son papa, pour la plus grande joie de la presse à sensation : Drame mystérieux à Curaçao :Un père entraîne sa fille dans la mort.
Zorvan savait bien qu'il faudrait qu'Anita retourne dans son temps car on ne pouvait ainsi effacer la vie adulte qu'elle avait déjà vécue et l'existence de Damian par la même occasion. Les paradoxes temporels n'avaient pas de tolérance illimitée envers leur utilisation abusive et il faudrait, sous peine de catastrophes imprévisibles, que Zorvan s'arrange pour rapatrier in extremis l'actuelle Anita dans l'Anita de son propre futur. Si elle mourait ici, il y avait de grands risques qu'elle mourût aussi dans l'avenir, brusquement, comme ça, une de ces morts brutales à peine expliquées par le rituel "arrêt cardiaque". Les rares fois où Zorvan n'avait pu éviter l'accident, le Dévoreur avait eu le bon goût de ne pas le lui reprocher. Après tout, ce n'était pas lui le recruteur et Stanzas connaissait les dommages possibles qu'Aparadoxis pouvait infliger à ses candidats.

Zorvan ne voyait rien d'Anita, immobile maintenant dans l'épaisseur du feuillage, et il tenta une petite approche télépathique mais il ne rencontra aucun violent mouvement de sensibilité. Ses cobayes lui reprochaient parfois de lire dans leurs pensées, ce qui était assez faux. Il lisait plutôt dans le miroir changeant et trouble de leur coeur. A quoi bon les épreuves de l'Antichambre s'il avait été possible de déchiffrer ainsi la complexité du fonctionnement d'un esprit ? Mais repérer les réactions spontanées et imprévisibles de l'émotivité, tout prêtre-guerrier était capable de le faire, ainsi que  déchiffrer certaines des images nées de souvenirs marquants. Anita ne semblait pas affolée par le risque couru par son père mais cependant elle voulait le rejoindre. N'avait-elle pas compris la menace de Vasquez ?  Zorvan devait attendre de voir ce qu'elle allait faire. Il aurait bien voulu que le commandant cesse de s'agiter derrière lui. On sentait sa peur et ce n'était pas un sentiment agréable ou anodin.
Mais voilà que deux jambes vêtues de la toile brunâtre des gardes de Vasquez apparurent brusquement dans son champ de vision, cherchant du bout des pieds un appui sur la balustrade de la loggia. Presque en même temps l'arbre s'agita, et le mince corps d'Anita  balancé avec force, apparut, frappant en plein l'homme suspendu au balcon. Il lâcha prise et chuta violemment sur la terrasse. Trois secondes plus tard, sans une hésitation, Anita était en train de l'étrangler. Zorvan ne put s'empêcher d'être surpris. D'abord de la rapidité et de la précision de l'enchaînement. Un : je me balance et je frappe. Deux : je recommence et je saute. Trois : je mets mes mains délicates d'adolescente autour du cou de ce sale bonhomme et je serre jusqu'à ce qu'il ne bouge plus. Ensuite elle se mit à fouiller le corps avec la prestesse d'une habituée, prit le motorola, le coinça dans un soutien -gorge qui, vu la silhouette filiforme de la porteuse, devait ne pas soutenir grand-chose mais offrir suffisamment d'espace pour loger l'appareil sans avoir à forcer.
De plus en plus médusé, Zorvan vit Anita empoigner l'individu (il refusa l'idée que ce pouvait être un cadavre) lui enlever son T-shirt sans frémir à la vue et au toucher de la poitrine velue ainsi dévoilée. Zorvan se demanda si elle envisageait de continuer et de se costumer en garde de Vasquez, comme on le fait fréquemment dans les films d'action. Mais non, il n'était pas question de tomber dans un scenario de série B. De la sobriété, de l'efficacité, et pas d'états d'âme. Miss Detmers ne jouait pas à faire semblant d'être Arsène Lupin. Le Gardien se sentait vraiment dépassé. Anita n'aurait pas dû devenir médecin dans l'armée et s'y engager plutôt dans les commandos. Mais il n'était pas au bout de sa surprise.
Le carreau cassé, la porte ouverte, la jeune fille  chercha aussitôt dans le bureau, peut-être un coupe-papier ou des ciseaux. Elle y trouva un couteau effilé. Au lieu de se jeter au cou de son papa sauvé ou de lui demander la voix tremblante, s'il était un vrai agent secret travaillant pour l'humanité  ou bien un affreux joueur perdu de dettes et traître à son uniforme- Vasquez hésitant lui-même entre les deux versions- elle fit un discours entre sermon et réquisitoire,tout en lui laissant son bâillon. Oubli ou décision calculée ? Ce bâillonnage du paternel aurait de toutes façons ravi un psychanaliste lacanien.
Puis elle quitta le commandant délvré et armé, repartant par l'arbre sans même vérifier que son père la suivait.

Zorvan se dématérialisa totalement et réapparut, si on peut employer ce verbe pour un être invisible, là où la porte d'Aparadoxis, toute aussi invisible que lui, se tenait en haut de la colline, .
La chaleur tropicale s'appesantissait sous un ciel vibrant encore de la lumière du matin. Le Gardien, la barbiche légèrement hérissée par  un index machinal et perplexe, fit le point sur le comportement d'Anita Detmers. Il avait voulu que se révèle la véritable nature de cette jeune femme qui, adulte et libre de guider sa vie, lui était apparue dominée par l'image écrasante d'un père pourtant disparu. L'autorité du commandant perdurait au delà de sa mort. Il restait détenteur des règles de conduite permettant de ne pas se dévaloriser, d'être en droit de diriger les autres et de s'assumer comme un chef naturel et reconnu. Zorvan avait pensé qu'une autre Anita pourrait se révéler, revenue à l'âge où l'on est encore malléable et où tant de chemins s'ouvrent vers l'avenir. Mais finalement, cette nouvelle Anita ressemblait encore plus à son père que l'autre, prenant la situation en main, sûre d'elle-même, pragmatique, efficace, imprimant sa volonté sur tout son entourage, rejetant faiblesse et  indulgence. Oui, elle s'était libérée de son père, mais pour s'affirmer en s'appropriant et en remettant à neuf un modèle désormais périmé.

Décidément, si le Dévoreur cherchait une femme d'action, il avait trouvé une recrue de choix. Pas une once de crainte, pas un soupçon d'hésitation sur la marche à suivre, pas une ombre de retenue virginale devant les aspérités de la vie, les bruits dégoûtants de trachée compressée, les poitrines de gorille, pas une larme sur un dieu perdu, seulement une glaciale constatation que son père avait cessé de compter pour elle. Stanzas pourrait certainement l'utiliser quel que soit le projet ténébreux qu'il mettait au point depuis tant d'années.
Zorvan attendit de voir ce qu'allait décider Anita. Ou bien elle voudrait poursuivre sa mise au point personnelle de la situation en Aparadoxis- sa mère, Vasquez, elle-même- ou bien elle se remémorerait en revoyant sa bicyclette que le Gardien l'attendait peut-être à la jonction des deux mondes où elle pouvait exercer sa volonté, imposer ses choix et précipiter ainsi le cours des choses.
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Message  Invité Dim 26 Jan - 17:52

De son arbre, juste au-dessus du mur qui la séparait de la liberté, Anita cherchait des yeux le garde qui s'était auparavant caché dans le buisson pour faire face à une diarrhée soudaine. Il ne semblait pas être revenu sous la branche d'arbre. Il n'y avait pas non plus les bruits dévoilant l'indisposition du garde près du buisson. Où était donc passé ce garde ? Anita ne pouvait pas prendre le risque de se faire remarquer en allant de l'arbre à l'intérieur de la propriété à celui à l'extérieur, passant ainsi d'un côté à l'autre du mur. Anita observait les alentours quand la branche sur laquelle elle s'agrippait se mit à bouger. L'idée d'être trouvée transperça son esprit. Mais en réalité, les mouvements provenaient de son père, qui la suivait de près. De trop près. Si près qu'Anita avait peur pour la branche qui les soutenait. Allait-elle être suffisamment solide ? Ne pouvant attendre plus longtemps pour s'assurer qu'aucun garde ne passerait, au risque que la branche ne cède sous leur poids, Anita prit la décision de passer immédiatement dans l'autre arbre. Aussi rapidement que possible, Anita passa de l'autre côté, sans vérifier que son père faisait de même. Il devait se débrouiller. Elle ne comptait pas faire quoi que ce soit de plus pour lui. Pas après ce qu'elle avait vu et appris. Elle ne l'aiderait pas davantage. Ni ce jour, ni les suivants.

Une fois de l'autre côté du mur, Anita se hâta de descendre de l'arbre et de courir dans les fourrés afin de se mettre à l'abri des yeux de l'enceinte de Vásquez. Lorsqu'elle fut bien cachée, elle fit le chemin inverse pour récupérer sa bicyclette et partir. Elle ne comptait pas retourner dans la maison de son enfance, recréée par Aparadoxis. Anita avait la ferme intention de retrouver Instructeur Zorvan, de retrouver son corps de femme (qui, après un retour à l'adolescence, lui manquait plus qu'elle ne l'aurait imaginé), de récupérer son paquetage et de poursuivre la recherche de son enfant.

La militaire dans son ancien corps d'ado poussait maintenant son vélo à travers la densité de la verdure de la colline. Le téléphone portable d'un autre temps toujours dans son soutien-gorge, l'arme à feu coincée dans la ceinture de son short et le regard décidé, Anita s'enfonçait dans la forêt tropicale. Derrière elle, des bruits similaires au sien s'élevaient, la suivaient. S'était ceux de son père. Il continuait de la suivre. En silence. Mais dès qu'ils furent suffisamment loin de l'enceinte de  Vásquez, le commandant força le pas et rattrapa sa fille, qu'il arrêta en l'agrippant par le bras. Anita dégagea son bras d'un coup sec.

- Que faisais-tu chez Vásquez ? Lui demanda le commandant. Que fais-tu encore avec cette arme ? Donne-moi ça, ordonna-t-il.

- Non, dit sèchement Anita.

- Obéis ou je la prends moi-même.

- Tu n'es pas en position pour me donner des ordres. Plus en position pour m'en donner tout court, répondit Anita. C'est toi qui va m'écouter maintenant. Sans moi, tu serais encore dans le bureau de Vásquez, ligoté comme une saucisse et sûrement en attente d'un sort plus funeste. Vois où tes actes t'ont mené. Alors je ne veux plus que tu m'imposes tes choix. Je ne veux pas que ce que tu décides pour moi me conduise dans des situations que je ne veux pas. Je ne veux pas assumer les conséquences de tes choix mais des miens. Inutile de jouer au commandant à la maison car cela n'a vraiment plus d'effet sur moi. Fais-le avec maman si tu veux, mais moi je ne te vois plus comme elle, elle te voit. Je vais rentrer dans ma direction. Avec l'arme à feu. Tu serais surpris de savoir ce que je sais faire avec. Tu ne me connais pas, tout comme moi j'ignorais qui tu es réellement. Je n'ai pas besoin de ça...

Anita lui jeta le téléphone portable tout en fusillant son père du regard.

Elle posait sur lui un regard aussi dur que le sien. Sauf qu'en plus de cette dureté, il y avait des reproches ainsi qu'un peu de dégoût face à ce qui se trouvait derrière le voile du père parfait.

Anita se demanda alors comment son fils la regarderait lorsqu'elle le retrouverait. Si elle le retrouvait. Lui reprochera-t-elle de l'avoir laissé se faire emmener ? Ou sera-t-il heureux de la voir ? Comment serait son regard ?

Anita tourna le dos à son père et poussa de nouveau sa bicyclette vers le haut de la colline. Son père la suivait de nouveau, la sommant de s'arrêter, d'obéir, de l'écouter. De temps en temps, il essayait de lui attraper le bras mais Anita esquivait et s'écartait encore plus. Il finit même par user de fausse politesse, le lui demander avec un « s'il te plaît », et de gentillesse qui sonnait faux à l'oreille de la jeune femme. Inutile de tenter de l’amadouer, de la prendre par les sentiments. Ses sentiments et son esprit étaient tournés sur Damian. Dorénavant, Anita se promettait de n'exister que pour lui. Oublier son travail choisit plus par compromis que par envie. Elle s'imaginait médecin, son père la voulait militaire. Elle avait été les deux et cela l'avait conduite à la perte de ce qui était le plus précieux pour elle. Maintenant, elle ne voulait être plus qu'une chose : une maman. Quitte à laisser tomber son envie initiale d'être médecin. Anita ne s'était pas rendue compte que son compromis de carrière l'avait amenée à devenir distante avec son fils comme son père l'avait été avec elle. Maintenant elle serait une maman avec n'importe quel travail, mais une maman présente.

Anita ne fut plus ralentie par son père qui la retenait. Mais elle l'entendait toujours derrière elle. Anita l'ignorait totalement. Il était maintenant le cadet de ses soucis. Elle pressait même le pas pour arriver plus vite. La présence de son père derrière elle la gênait car ses bruits l'empêchait de se concentrer sur les alentours et l'éventualité d'être découverte et rattrapée par Vásquez et ses hommes. Après tout, son père avait disparu et elle en avait laissé un inconscient sur la terrasse. Nul ne pouvait s'imaginer que c'était l’œuvre d'une ado. Sauf s'il y avait des caméras de surveillance. D'ailleurs, cela percuta l'esprit d'Anita si violemment, comme si elle venait de percuter un mur.  Vásquez avait forcément des caméras dans son bureau, braquées sur son père. Il n'y avait pas de doute qu'il savait ou allait vite savoir qu'elle était impliquée. L'urgence de quitter les lieux se faisait encore plus importante. Le pas fut donc encore plus soutenu.

- Où est Zorvan... murmura Anita entre deux essoufflements dus à son pas pressé.
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Message  Zorvan Lun 24 Fév - 19:28

Zorvan avait donc conclu à la fin de l'épreuve mais surveillait quand même Anita suant sur la pente. Elle revenait visiblement vers l'endroit d'où elle était arrivée en Aparadoxis, mais il se méfiait de ces candidats qui refusaient de se laisser impressionner et pouvaient d'un coup décider qu'il restait quelque chose à régler ailleurs, parfois même simplement pour s'imaginer qu'ils faisaient preuve d'indépendance d'esprit.  Sans aucune once de respect pour celui qu'ils considéraient comme un fantoche créé pour leur faire peur, ils pensaient que le bonhomme à barbiche pourrait bien attendre derrière sa  porte, comme un concierge prêt à répondre au coup de sonnette. Il en avait entendu des injures, des remarques acerbes, des comparaisons désobligeantes. Au moins Anita l'avait-elle traité avec une froideur polie et elle n'était pas fille à perdre son temps.
En l'attendant, le Gardien sortit sa tablette pour ajuster quelques paramètres  concernant les épreuves en cours. Il s'envoya en hologramme dans trois ou quatre endroits pour rappeler à des candidats un peu perdus que Zorvan ne les abandonnait pas. La plupart de ces projections de lui-même  demeureraient muettes car il ne fallait pas exagérer la tension imposée à son esprit ainsi démultiplié.
Pour Anita, il jugeait préférable d'être plus réellement présent, comme pour le savant anglais qui passait un mauvais moment dans un coin d'Afrique particulièrement agité. Mais étant donné le caractère décidé de Miss Detmers,elle pouvait prendre des décisions réellement dangereuses et ce serait encore à lui qu'on reprocherait une disparition fâcheuse. Et puis il était plus intéressant de suivre de près les aventures de ce genre de candidat, tourné vers l'action  que celles, gentillettes et manquant de souffle, de certains autres dont on se demandait pourquoi le Dévoreur les avait remarqués.  
Tout allait dans le bon sens et Zorvan repéra vite la montée d'Anita vers la porte de l'antichambre. Il apprécia la résistance physique de la demoiselle, poussant sa bicyclette sur un sentier montant en plein soleil. Il commença à mettre en place les nouvelles données de la seconde épreuve car il n'était pas utile de prolonger celle-ci. Aparadoxis et ses réalités mouvantes  entraînait parfois les esprits aventureux à vouloir y demeurer plus longtemps que nécessaire mais l'Anita adulte et l'adolescente d'Aparadoxis avaient en commun une résistance évidente  aux attendrissements sur le  passé ou  à l'attrait de la fantaisie . En plus, Anita l'adulte n'avait jamais cessé d'exister en tant que tel, sachant être incarnée dans la jeune Anita, et ne perdant pas de vue qui elle était et pourquoi elle avait accepté  ce marché incroyable. Zorvan connaissait ce genre d'esprit  pragmatique, gardant toujours  un contact avec la réalité ordinire et refusant de se laisser prendre à des fantasmagories. D'autres se laissaient  envahir par les émotions du moment au point d'oublier totalement qui ils étaient, comme charmés par cette autre vie qui s'offrait à eux.. Anita Detmers avait la tête sur les épaules et les deux pieds sur terre,  même quand elle montait à bicyclette, et Zorvan  n'avait pas eu avec elle à se confronter à des scènes délirantes et surréalistes comme parfois Aparadoxis en suscitait au contact d'esprits un peu déjantés.
Très bien, il faut de tout pour faire un monde et Zorvan appréciait la variété des êtres qui lui étaient envoyés. Ces derniers temps  le Dévoreur semblait rechercher des personnalités décidées à ne pas se laisser  manipuler l'esprit. Et bien, il allait être servi avec son bouillant Hussard, toujours à s'agiter dans le Danube sans en être pour autant refroidi, et cette fille pleine d'autorité qui venait de remettre son divin papa à sa place de potentiel faux-jeton et entendait bien poursuivre son seul objectif : retrouver l'enfant qu'on lui avait volé..
Rougi par l'effort et la chaleur, le visage d'Anita apparut en haut du dénivelé.  La pente était raide, la jeune fille y poussait sa bicyclette, toute concentrée sur l'effort. Mais elle s'arrêta, cherchant un repère et l'Aralien sentit son trouble et son questionnement. Oui, elle revenait vers lui, estimant sans doute avoir rempli son contrat. Et c'était vrai , elle ignorait royalement son père qui tentait de la rattraper .
Zorvan eut un sourire de satisfaction narquoise. Quel ensemble de situations !  
Ainsi, Anita : pressée de retrouver la porte de ce fichu gardien et trop fine mouche pour ne pas prévoir que les sbires du sieur Vasquez allaient la prendre en chasse. Elle devait se souvenir de l'avertissement qui lui avait été donné, à savoir qu'elle pouvait fort bien disparaître à seize ans dans Aparadoxis et à trente-deux dans sa vie ordinaire, la mort égalisant tous les âges que nous portons en nous.
Et puis le commandant, courant derrière sa fille entre fureur et admiration pour cette gamine insolente et débrouillarde qui venait de lui sauver la vie . Pas pour longtemps, si ces fumiers le rattrapaient. Il avait le choix  : se sacrifier en jouant Camerone à lui tout seul, pour permettre à Anita de s'échapper pendant qu'il viderait son chargeur sur  les gardes – ou  se cacher dans les fourrés, en laissant cette fille dégénérée se faire cueillir par la clique Vasquez.
Et les vilains de l'histoire, les poursuivants : certains suivant la donzelle, goguenards, se disant qu'elle était finalement idiote de monter vers ce sommet désert au lieu de filer vers le port, et les autres, qui avaient pris la jeep pour contourner la colline par la route qui menait au sommet par l'arrière et jouissant à l'avance de la terreur de la fille quand elle verrait devant elle apparaître trois gorilles lorgnant son petit short sexy et son décolleté virginal.
Zorvan  se dit qu'Aparadoxis valait au moins un bon  polar de série B quant au scenario. La scène pouvait tourner au Massacre Sur la Colline. Et même pis encore, l'imaginaire ignorant la censure.
Mais le Gardien aimait aussi  les émotions touchantes et l'héroïsme, bien qu'il les jugeât étriqués chez les humains, et vit en une seconde le commandant Detmers tombant criblé de balles, Anita se précipitant vers son père en criant : Papa ! Pardon ! et s'effondrant à son tour. Ou mieux,  l'officier parvenant à murmurer dans un dernier souffle : Fuis, mon enfant ! Obéis-moi ! Je t'aime !

Le Gardien  se reprit et eut un petit haussement d'épaules. A quelles puérilités son ennui d'être réduit à ce rôle de metteur en scène fuligineux ne le conduisait-il pas ! Parfois, Aparadoxis se mettait à réaliser ses fantasmes alors même qu'il les jugeait inappropriés et en fait  il n'avait pour seul objectif que de récupèrer Anita afin de la propulser dans la seconde épreuve. Les poursuivants arrivaient au bas du sentier. La jeep en était au dernier tournant . il fallait intervenir.
 Il se hâta de faire apparaître le pont.



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