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{Achevé} Deux êtres sans illusions à la recherche de leur vérité

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Message  Zorvan Dim 9 Déc - 13:30

Pont temporel
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D'abord hésitante, Christiana, réintégrée dans son corps de femme, se détacha de l'étrange impression que lui laissait sans doute le rêve dont les images s'étaient plusieurs fois vues superposées à d'autres plutôt issues de son désir d'adulte. Mais finalement, le rêve s'était bien terminé avec, sinon une mère et une fille complètement réconciliées, du moins une confidence de chacune à l'autre au sujet de leurs aspirations et une explication de leurs choix passés. Zorvan se demanda si Ninon rêvait de sa fille et comment elle vivait la certitude d'être une mère absente à ses enfants. Elle n'avait pas la chance d'avoir croisé le Dévoreur, enfin pas encore à la connaissance du Gardien, mais le roumain réservait parfois de sacrées surprises que même lui ne voyait pas venir. Oui, Christiana avait plus de chance que sa mère car elle avait pu savoir que celle-ci n'avait jamais cessé de l'aimer, qu'elle ne voulait que le bien de sa fille et que peut-être, elle s'était enfuie non seulement pour se sauver elle, mais aussi dans l'espoir d'être une alternative pour ses enfants plus tard, un autre exemple parental que le modèle papa flingueur. Il y avait de la douceur et de la beauté dans ce monde, et s'il était trop tard pour les garçons, coulés dans le moule du père, Ninon, comme bien des mères, avait espoir que sa fille prenne un peu d'elle sans doute. Peut-être qu'un jour Christiana croiserait dans la réalité sa maman à l'occasion d'un voyage à Paris et sous le faux nom qu'elle se choisirait, car bien sûr les associés des Von Carter allaient mener une enquête sur sa disparition et elle serait traquée. Zorvan se demanda tout de même si ces derniers connaissaient le lieu de villégiature de la Française. Enfin, de tout cela, Christiana devait bien se douter, elle qui connaissait mieux que quiconque les modes opératoires de la Pègre.

Déjà parvenu à l'autre bout du pont, à demi effacé par la brume, il lui fit signe d'avancer plus vite et la poussa dans le dos lorsqu'elle le rejoint, pas très fort. C'était une curieuse impression de prendre consistance et de sentir la cambrure des reins de la jeune femme sous sa main. Il la retira prestement comme s'il avait été brûlé. De l'autre côté du pont, il y avait un autre pont. Celui où le Dévoreur était venu chercher Christiana. Non c'était trop récent. S'ils commençaient si haut, ils ne seraient pas rendu au moment intéressant avant des siècles, enfin façon de parler, et ni Zorvan ni Christiana n'étaient des modèles de patience. Il enroula donc d'un geste de la main le passé récent qui défila en plans successifs en arrière. Le départ de Christiana du Bacchus dans la voiture de Jared, "l'accident" de Jared qui lui valut son handicap, la mort de Von Carter père se succédèrent à une vitesse ahurissante. Enfin les choses se stabilisèrent au moment voulu. Christiana redevint une spectatrice qui voyait sur un écran mouvant ses souvenirs défiler à l'envers par plans successifs, pas comme si le film était passé à l'envers, non. Les personnages se mouvaient normalement et parlaient intelligiblement et non ce galimatias des disques de heavy metal passés à l'envers par des jeunes farceurs qui voulaient passer pour des adorateurs de Satan. Zorvan s'y était amusé dans ses phases turisiasques durant lesquelles il était parfois qualifié de Zorvie. Mais il ne s'en vanterait jamais. Enfermé dans l'Antichambre, depuis des lustres, il n'avait comme récréation que les souvenirs, les rêves, et les versions parallèles des potentiels voyageurs, comme distraction. Alors, il s'invitait parfois dans un bonus de tranche de vie qu'il prolongeait pour son propre plaisir. Il arrivait ainsi par ce biais à toucher presque la réalité des choses et à reconstituer par puzzle ce qu'était la vie des hommes depuis la nuit des temps jusqu'au futur le plus avancé. Il vivait par procuration. Ainsi avait-il fait tourner des galettes vinyliques à l'envers pour entendre, avec Cindy Garber, une jeune voyageuse fort à son goût, les Judas Priest chanter " do it ! do it! " à l'envers. Ce n'était pas très concluant et ça ressemblait plus à des incantations. Rien à voir donc, avec le langage clair du Champ des Oublis, où chaque mot était distinctement entendu. De même les gens marchaient bien normalement en avançant et non à reculons. C'était plus comme si un monteur facétieux avait collé les plans dans le sens contraire de l'histoire.

Ainsi Christiana vit-elle son double laisser Kyle sortir de la chambre après qu'elle lui eut exprimé toute son amertume. Pourquoi le Champ des Oublis avait-il choisi de lui montrer ce douloureux passage et de faire partir le défilé des souvenirs de ce moment ? Zorvan avait demandé qu'elle puisse comprendre le cheminement de son coeur et la lente mutation de ses sentiments pour son " frère" afin qu'elle mesure bien deux choses: leur nature exacte et leur profondeur mais aussi à quel point le choix de vie des Von Carter, qui leur avait été imposé à elle comme à Kyle, avait occulté son destin à elle. Il fallait qu'elle mesure l'horreur de l'acte de George Von Carter qui avait arraché un enfant à ses parents, lui volant par la même occasion la vie qu'il aurait pu avoir et le condamnant à n'être pendant longtemps qu'un frère aux yeux de la jeune fille. Il fallait qu'elle remonte à partir de cette douloureuse séparation encore une fois induite par la pesanteur de la vie au sein de la " famille", le fil des gestes tendres, des complicités, des regards étranges, des silences gênés, entre elle et Kyle. Il fallait qu'elle mesure à quel point c'était écrit depuis le début sans qu'ils ne le sachent. Pour tourner la page de son ancienne vie  sans l'ombre d'un regret ni dans un sens ni dans l'autre. Non elle ne devait pas regretter de ne plus être la Princesse des Von Carter et non, elle ne devait pas regretter de l'avoir été un temps non plus. Sans cela, si les Von Carter avaient été honnêtes, jamais ils n'auraient volé Kyle, et jamais elle ne l'aurait connu. La famille lui avait apporté, kidnappé, l'amour de sa vie mais la famille l'avait aussi empêché de l'aimer comme son coeur l'y incitait en secret.

Il avait donc fallu que ce coeur étouffe sous le poids des mensonges, sente inconsciemment peut-être qu'un de ces mensonges le privait de sa plus belle lumière pour que Christiana se jette en avant sur les routes, et s'arrête sur un pont. Mais maintenant, elle devait revoir  tous les moments partagés avec Kyle pour mesurer que le beau n'avait pas été absent de sa vie, que la lumière avait brillé dans l'ombre des Von Carter, qu'elle se nommait Kyle, rescapé d'une autre famille de mafieux, d'adversaires. Il aurait pu avoir la fibre, devenir le fils exemplaire qui ignore ses origines. Au lieu de cela, il s'en était toujours démarqué. Il avait toujours aspiré à autre chose, se désolant de voir sa petite " soeur" si bien se couler dans credo de la famille. Finalement, il avait fallu son départ, pour que Christiana commence à comprendre enfin à quel point sa vie était vide et l'annonce de sa disparition, de sa mort officiellement, pour qu'elle eut envie de mourir à son ancienne vie. Mais le Dévoreur était un fieffé malin et le coup du boîtier à cigarette était un coup de maître, Zorvan devait le reconnaître. Quel moyen plus radical de redonner l'espoir en une possible survie de Kyle ? Christiana n'avait même pas envisagé que le Grand Voyageur pût l'avoir reçu d'un homme mourant au beau milieu de la guerre ou l'avoir recueilli sur un cadavre. Après tout, le Dévoreur n'était pas un saint et particulièrement à cette période de l'Histoire. Cette naïveté paraissait étonnante à Zorvan chez une fille de maffieux qui devait savoir mieux que quiconque qu'un objet appartenant à une personne et en possession d'une autre ne prouve pas que la première est en bonne santé mais plutôt, généralement, le contraire.

Quoiqu'il en soit, il se tenait à présent en retrait alors qu'après le plan ou Kyle dévalait l'escalier de l'étage, laissant Christiana fulminante, poings serrés, on voyait à présent en plan ralenti l'épisode où il voulait confier son étui à cigarettes à sa "soeur" comme pour l'apaiser, comme gage de retour promis. Gage qu'elle avait refusé et qu'il avait emporté avec lui... Et qui s'était retrouvé entre les mains du Dévoreur posant ainsi une énigme non résolue. Le Champ des Oublis focalisait ainsi l'attention de Christiana sur un des éléments qui devait guider sa nouvelle vie mais Zorvan savait qu'il devait lui montrer autre chose. Il devait aussi l'aider à vivre pour elle-même et cela était moins aisé. Pourtant il ralentit volontairement le déroulement des souvenirs pour que la jeune femme eut le temps d'embrasser en détails tout ce que la scène laissait supposer. La détermination de Kyle à vivre, à la retrouver, ses encouragements à se libérer de sa famille. Tout ce qui pouvait montrer à Christiana à quel point cet homme avait semé en germes ce qui venait de la conduire à une rupture avec sa vie passée. L'amour, la libération, l'émancipation de cette vie aliénante, la quête de soi-même.

Le Gardien s'effaça presque totalement pour laisser la jeune femme s'imprégner de toutes ces images qui venaient renforcer les révélations faites par la mère. Il devait retourner en Aparadoxis où un Grec était en train de le maudire et de succomber aux charmes du Nord et risquait de s'embarquer dans une épopée prématurée avant d'avoir achevé son initiation qui passait justement par le Champ des Oublis et une rencontre avec Mademoiselle Von Carter. Le Dévoreur exagérait avec ses recrutements massifs ces derniers temps! La porte de l'Antichambre ne cessait de vibrer à l'arrivée de nouveaux voyageurs. Le couloir serait bientôt plus fréquenté qu'un hall de gare !  

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Message  Invité Jeu 13 Déc - 17:11

Retourner dans son corps la soulagea. Son corps était la seule chose d'elle qu'elle connaissait réellement. La seule chose que sa famille n'avait pu trop formater. Elle quittait le rêve avec la sensation étrange que quelque chose avait changé en elle. Au sujet de sa mère, sur le sien. Cette mère, dont Christiana pensait avoir hérité le nom, était différente de l'image qu'elle s'en faisait lorsqu'elle était éveillée. La "maman" du rêve était plutôt agréable finalement. Même si au fond, Christiana doutait être capable de la considérer réellement comme une mère. Ninon, puisque tel était son vrai nom, lui semblait plus accessible. Et c'était déjà ça. Christiana ne voulait rien de plus. En réalité, elle ne voulait pas une relation mère-fille. Ce n'était pas sa priorité. Sa priorité était sa Lumière. Kyle. Elle prenait enfin conscience qu'il lui était vital. Qu'elle ne supportait pas l'idée de le considérer comme un frère. C'était ça, le petit changement qui s'était opéré en elle.

Zorvan, par un de ses tours de passe-passe, lui offrait maintenant la traversée d'un pont. Décidément, les ponts étaient partout. Cela avait commencé sur un pont. Le reste de son voyage auprès de l'étrange bonhomme se faisait aussi à travers un pont. Et maintenant elle crapahutait sur un énième pont ! La jeune femme riait intérieurement. Quelle ironie ! Christiana se demandait si l'homme aux cheveux de femme, qui lui servait actuellement de guide, ne l'obligeait pas à traverser un pont rien que se moquer d'elle. Peut-être était-ce ainsi qu'il procédait.

Le guide se faisait pressant, au point de la pousser, juste un peu, pour la faire avancer plus vite. Ce qui ne manqua pas de faire froncer les sourcils de Christiana et lui faire lâcher un "Tsss". Elle ne prit pas garde au retrait soudain de la main de Zorvan, ne se demanda pas s'il l'avait fait suite à son sifflement de vipère ou si c'était pour une autre raison. Tout ce qu'elle retenait, c'était l'autre pont. Celui du début d'une fin. Celui du début d'un commencement. Celui où elle avait rencontré le Dévoreur. Le pont qui était tout.

- Encore un pont… vous le faites exprès ou c'est ainsi que vous procédez ? Demanda Christiana tandis que le pont disparut subitement et d'autres images, ou plutôt des souvenirs, se mirent à défiler sous les yeux curieux de Christiana.

- Dites-moi Zorvan, qu'est-ce que cela vous fait de voir ainsi la vie des personnes envoyées par le Dévoreur ? Voir leur vie. Leurs faiblesses. Leurs peurs. Leurs échecs. Cela pourrait presque faire un brin voyeur et sadique.

Christiana se tourna vers Zorvan et le fixa avec insistance.

- Éprouvez-vous un quelconque plaisir, une distraction à voir tout cela ? Si tel est le cas, avec mes souvenirs, vous allez être gâté. Ma vie n'est pas un florilège de souvenirs heureux.

En effet, ce qui passait sous les yeux de Christiana et de Zorvan n'était pas les souvenirs les plus heureux. Une question frappa soudainement la jeune femme. Avait-elle des souvenirs heureux ? Apparemment oui. Elle en avait bien quelques-uns. Un avait partiellement été dévoilé à sa mère. Celui du dîner en tête-à-tête. Cependant, ils étaient si rares.

Comme si elle était morte, elle vit sa vie défiler morceau par morceau, sous ses yeux ébahis. Elle en eut un frisson dans le dos. Spectatrice de sa vie. De sa noirceur. De ses malheurs. De la cruelle réalité. Néanmoins, tout se déroulait à l'envers sans vraiment être à l'envers. Déroulement étrange. C'était déstabilisant. Mais en même temps, assez amusant de voir les personnes agir à l'endroit alors que le cours de l'histoire était à l'envers. Un coin de lèvre se leva même sur le visage de Christiana. Un sourire retenu. Un sourire tout de même. Au moins, il y avait quelque chose de positif dans ce qu'elle voyait. Revivre ses souvenirs à l'envers était distrayant. Un court instant seulement. Le souvenir qui s'offrait maintenant à elle lui donna l'impression d'un pic à glace dans le cœur. Elle se vit cracher son venin à Kyle. Son cœur se serra. Sa gorge se pinça. Pourquoi avait-elle agit ainsi ? Pourquoi l'avoir repoussé ce jour-là ? Pourquoi tout simplement ne pas avoir clairement dit ce qu'elle pensait tout bas ? Pourquoi ne pas avoir crié : "ne me laisse pas ici, emmène-moi avec toi" ? Christiana ferma les poings. Planta ses ongles dans ses paumes. Fronça les sourcils. Elle était en colère contre elle-même. Contre son aveuglément. Si elle lui avait dit cela plus tôt. Bien plus tôt. Peut-être auraient-ils fui depuis longtemps.

Une de ses cravates qu'il rangeait soigneusement dans son bagage rappela un autre souvenir à Christiana. Un après-midi où elle l'avait accompagné à l'École de médecine et sciences de la santé, de l'Université George Washington, lorsque Kyle débutait ses études. Elle voulait voir dans quel univers il évoluait à présent. Ce jour-là, il portait cette cravate noire. Lors de la visite, qui n'en fut pas vraiment une, Christiana s'était plu à découvrir l'univers de son "frère". En la conviant, il avait ouvert la fenêtre du monde de Christiana sur un nouvel horizon et l'avait libéré, le temps d'un après-midi, de ses carcans. Bras dessus bras dessous, ils avaient sillonné les alentours de l'université sans vraiment la visiter. Tout sourire, ils étaient surtout l'un avec l'autre, à parler de tout, sauf des études de Kyle et de tout ce qui était lié aux Von Carter. En voilà un souvenir heureux. C'était lors de cette promenade, qu'ils avaient songé à leur petit plan de vie sur la côte Est. Kyle en médecin. Christiana en… tout sauf en ce qu'elle était au moment de songer au plan.

Le souvenir défilait pour arriver enfin au début, au moment où elle entrait dans la chambre pour le surprendre en train de boucler sa valise. Le souvenir dans le Champ des Oublis ralentit soudainement, tirant Christiana du souvenir qu'elle avait en tête et reposant son attention sur celui qui lui était imposé. Elle vit chaque détail. Surtout l'étui à cigarette. Elle se pinça aussitôt les lèvres. Que serait-il arrivé si elle avait accepté l'étui ? Si elle n'avait pas ensuite insulté Kyle ? En partant à la guerre, Kyle quittait surtout le Bacchus. Si elle ne s'était pas esquivée quand il s'était penché vers elle… serait-il partit, mais ailleurs et avec elle ? Pour Christiana, il n'y avait aucun doute, ils auraient très bien pu partir ensemble. Beaucoup de "si" avec lesquels elle pouvait refaire le monde. Son monde.

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Message  Zorvan Mer 9 Jan - 20:13

Zorvan avait vu juste quand il avait songé que cette femme avait un caractère bien trempé. Il aimait plutôt cela même s'il trouvait le ton à la limite de l'irrespect et les questions sournoises. Il n'avait jamais eu à prendre en charge des voyageurs novices aussi curieux et insolents et il attendit son retour de chez les Varègues pour y répondre avec une fourberie de rétorsion.

- Vous préféreriez peut-être que je vous traîne par les cheveux à travers un vortex sans consistance pour passer d'un lieu à l'autre. Si vous avez matière à vous plaindre, adressez-vous au Dévoreur de Temps. C'est lui qui a tenu à instaurer ce fichu pont pour éviter de perdre des clients en route.

Mais il éluda presque la question suivante, préférant revenir sur la façon dont la jeune femme avait vécu la vision de ce souvenir pénible.

- L'important n'est pas de savoir ce que cela me fait de vous voir vous débattre avec vos contradictions mais de comprendre ce que cela vous fait à vous. Je suis là pour vous aider à y voir plus clair avant de vous lancer dans les couloir du temps. Croyez-vous qu'un esprit confus puisse s'en sortir ? Que diriez-vous à Kyle si vous le croisiez au détour d'un voyage ? Y avez-vous pensé en revoyant ce souvenir ?

Il ne baissa pas les yeux devant le regard insistant de Christiana. Que croyait-elle ? Qu'il n'était qu'un hologramme dénué de vie et incapable d'éprouver le moindre sentiment. Elle avait eu l'amour et le bonheur à portée de main et elle l'avait laissé filer. Lui, son bonheur, on le lui avait arraché de la plus horrible façon qui soit. Il avait vu mourir celle qu'il aimait et s'en souvenait par flashs, on l'avait condamné pour avoir aimé, oublié ses devoirs. Il avait tout perdu par amour mais il avait eu le courage de vivre cet amour. Elle, non. Elle avait préféré taire ses sentiments et laisser partir l'homme qui l'aimait, vers une mort plus que probable. Il était parti sans savoir ce qu'elle éprouvait pour elle, avec peut-être le sentiment qu'elle rejetait ses tentatives maladroites pour exprimer ce qu'il ressentait pour elle. Le regard de Zorvan se posa, dur et sans concession sur la jeune femme gainée dans sa dignité et son jugement.

- Vous êtes prompte à porter un regard sévère sur les autres Christiana, mais prenez le temps de réfléchir à votre comportement vis à vis de Kyle. Vous n'avez jamais assumé ce que vous éprouviez pour lui même quand la vérité révélée vous l'autorisait. Et vous voilà à juger quelqu'un dont vous ignorez tout. Mais je ne suis pas là pour parler de moi. J'ai une tâche à accomplir.


Le gardien de l'Antichambre estima qu'il devait enfoncer le clou et de manière cruelle si nécessaire. Christiana Von Carter avait baigné dans la cruauté et elle n'était pas une fragile fleur du matin qu'on doit ménager comma la petite Aurore que Stanzas lui avait confié tantôt. Non, Christiana avait été élevée dans le monde de la nuit, dont l'ombre signifait souvent la mort pour ceux qui défiaient le clan Von Carter et ses amis. Alors puisque le Dévoreur voulait qu'elle soit éprouvée, elle le serait. Zorvan fit un geste de sa main fine et nerveuse qui avait jadis caressé le corps d'une femme, mais qui s'en souciait. Le ruban des souvenirs se cabra et apparut à son bureau Jared qui se tenait la tête entre les mains. Christiana venait de faire irruption dans la pièce et semblait interdite devant son frère secoué de sanglots. Lequel lui tendait un télégramme.

- Ca vient d'arriver ...

Le message émanait du commandement des forces armées, de la division de Kyle. On y disait qu'il avait pris son jour de permission et ne s'était pas représenté lorsque celle-ci avait pris fin. Rassurante, la missive expliquait ensuite que la désertion n'était pas retenue contre lui, des échauffourées ayant eu lieu dans ce village français entre les allemands et des français dissidents. On supposait qu'il avait pu tomber sous les tirs croisés, probablement au mauvais moment au mauvais endroit. On assurait également la famille que des recherches étaient en cours et qu'on la tiendrait au courant pour le rapatriement. L'image présentait une Christiana raide, immobile, l'oeil sec et les lèvres pincées, comme tétanisée.

- Vous étiez en état de choc, souvenez-vous... Moins bouleversée en apparence que Jared. Et pourtant, nous savons tous deux que c'est faux. Mais pourquoi ne pas être partie à sa recherche si c'était l'homme que vous aimez ?
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Message  Invité Sam 19 Jan - 10:57

Christiana n'avait même pas remarqué que Zorvan s'était éclipsé. Elle était bien trop absorbée par l'observation de ses souvenirs. Quand il réapparut, il répondit à ses questions. Perdre des clients en route ? Voilà une information qui ne manqua pas d'attirer l'attention de Christiana.

- Me traîner par les cheveux ? Ce ne serait pas la première fois, mais la deuxième.

Là, un petit souvenir apparut, à l'envers comme les autres. Mais en le remettant à l'endroit, Zorvan put voir une Christiana âgée de 9 ans, dans la cave du Bacchus. Kyle était dans un coin, les larmes aux yeux. Une joue écarlate. Dans le couloir, Jared observaient, le regard sur ses pieds. George Von Carter tenait fermement sa fille par son chignon négligé. Il la secouait et par de brefs à-coups, tout en criant sur Kyle, lui disant qu'elle devait être dans sa chambre, à pleurer la mort de Drew pour toute la famille, et non dans la cave, à espionner les petites affaires des Von Carter. Puis, il obligea sa fille à le suivre hors de la cave, toujours en la tenant fermement par les cheveux. Rares étaient les corrections faites sur sa fille. Très rares même. Ses frères prenaient toujours pour elle. Cette fois-ci, Christiana eut droit au traînage par les cheveux, de la cave à sa chambre, située quatre étages plus haut. Même un père endeuillé par la mort de son fils aîné pouvait maltraiter sa fille chérie. Ho ! George s'en était vite voulu, de cet emportement. Il allait de soi que le lendemain, sa princesse avait été couverte de belles attentions et de cadeaux. Mais sur le moment, la colère mêlée à la tristesse avait offert à Christiana une belle humiliation à travers le Bacchus et une punition à l'égal de celles reçues par ses frères.

- Vous voyez… Ainsi donc, des voyageurs se perdent vraiment ? Que deviennent-ils ?

Le souvenir imposé par Zorvan réapparut. Le bureau, Jared, l'annonce concernant la disparition de Kyle. Et avec le retour de ce souvenir, une question délicate. Que dire à Kyle si elle le revoyait ? Christiana plissa les yeux, fronça les sourcils et prit la réflexion de Zorvan comme une pique. Réfléchir à son propre comportement vis-à-vis de Kyle ? Zorvan avait raison, Christiana le savait et le reconnaissait, mais de là à le lui dire de vive voix… c'était une autre histoire. Christiana s'y refusait pour le moment. Donner raison à Zorvan signifiait reconnaître qu'elle avait eu tord.

- Si je le croise ? Je compte le retrouver. Pas le croiser. Le retrouver, insista Christiana. Pourquoi selon vous ?

Elle se tut mais poursuivit sans laisser le temps à Zorvan de réfléchir et de répondre.

- Pour dire et faire tout ce que je n'ai pas pu, même après la révélation concernant l'absence de lien de sang entre nous.

Christiana s'approcha de Zorvan et lui fit face. Elle soutint son regard. Ses paupières clignaient à peine.

- Vous n'imaginez pas combien il a été difficile pour moi de continuer à être avec lui comme je l'étais avant la révélation sur notre lien de parenté. Mon père n'aurait jamais accepté que l'on fasse fi du passé et de notre lien fraternel. Jared non plus, encore moins lui et son image de la famille. Kyle avait toujours été présenté comme un fils Von Carter aux yeux du monde et du milieu. Si lui et moi avions changé nos relations, cela aurait été vu comme un inceste, surtout par les branches italiennes… bien trop pieux pour ne pas laisser passer cela. A moins de révéler à tous que Kyle n'avait aucun lien de sang avec les Von Carter. Là, d'autres problèmes se seraient présentés. Une question aurait brûlé les lèvres de tout le monde : avec qui Kyle avait un lien de sang ? Avec une grande famille ? Des problèmes seraient forcément survenus. Si nous avions changé nos relations, comment aurions-nous terminé Kyle et moi ? Forcement mal, et au pire, au fond de l'Hudson, pas par Jared ou papa, mais par des ennemis désireux de venger la mort de leurs fils et voyant notre histoire comme une opportunité. Kyle s'en moquait des conséquences. Pas moi. Je sais comment cela commence et comment cela se termine. Dans la ruelle, j'ai vu suffisamment de chose pour connaître les raisons qui poussent les hommes comme mon père à cimenter des pieds et à faire boire la tasse à des individus. Que cela arrive aux autres, cela m'importe peu. Mais pas à Kyle.

Elle avait parlé vite, avec force et détermination. Christiana soupira. Au lieu de disparaître au fond de fleuve, Kyle s'était volatilisé en France, durant la guerre, alors qu'il y était envoyé comme médecin militaire. Zorvan fit apparaître le souvenir le plus douloureux. Plus meurtrier encore que celui où elle refusait l'étui à cigarettes et refusait un de leur signe d'affection. L'annonce de la disparition de Kyle.

Christiana se détourna de Zorvan, lui tourna le dos pour mieux voir le souvenir apparaître. Pour la deuxième fois, elle sentit son cœur faire un bond, se retourner, se contracter et se déchirer. Comme dans le souvenir, elle sentit tout son intérieur se crisper. Comme si ses tripes étaient aspirées par un trou noir. Le bureau de Jared, qui avait été le sien chaque fois que celui-ci n'était pas en état, avait toujours été un lieu de calme, contrairement au Bacchus, bruyant et toujours bondé. Mais à ce moment-là, le bureau avait tout d'un étouffoir.

Christiana revit Jared en larme. En revoyant le souvenir, elle remarqua qu'elle n'avait jamais vu Jared pleurer ainsi, pas depuis la mort de Drew. Même à l'enterrement de leur père, Jared était resté stoïque. Le télégramme. Un simple bout de papier que Jared lui avait tendu et qui avait pourtant suffit pour la tuer de l'intérieur. L'annonce de sa disparition. Dans le souvenir, Christiana vit clairement sa froideur et l'intériorisation de ses sentiments. Pas une larme. Pas une parole pour Jared, qui pleurait pour deux tout en tenant fermement le collier avec la croix que Christiana portait maintenant.

Pour la deuxième fois, elle resta raide et immobile. Mais cette fois-ci, les yeux ne restèrent pas secs. Une larme coula. Christiana serra les mâchoires, comme si cela pouvait retenir la larme, l'empêcher de couler davantage, voire de remonter jusqu'à l'œil. Mais non. Au lieu de cela, une deuxième fit son apparition.

Toujours en tournant le dos à Zorvan, pour ne pas montrer le moindre signe de faiblesse et de sentiment, Christiana répondit à sa dernière question. Pourquoi ne pas l'avoir chercher ?

- J'avais… peur de ce que je pouvais trouver, avoua-t-elle à voix basse. Et si en France, je trouvais réellement un cadavre ?

Elle se tourna vers Zorvan, affrontant sa question de face, quitte à montrer les deux uniques larmes.

- En restant au Bacchus, en refusant de le chercher, je pouvais le garder vivant. Je pouvais me dire qu'il vit encore. Mais aller là-bas et peut-être voir mes espérances tomber en miettes… non… c'était trop dur.

Christiana leva le menton, essuya ses deux larmes et dit fièrement :

- Mais maintenant, je compte bien le chercher. Je voyagerai à travers tout ce qui me sera permis de traverser et je le trouverai. Vous avec votre rite de passage et le Dévoreur avec ses idées folles de voyage allez m'y permettre.
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Message  Zorvan Lun 21 Jan - 19:39

Les humains pouvaient faire preuve d'une extrême cruauté, même à l'égard de leurs semblables. Zorvan n'avait pas besoin de voir ce souvenir de Christiana pour s'en convaincre. Il le savait déjà. Tous les voyageurs qui avaient défilé dans son antichambre en portaient les stigmates à divers degrés. Le Dévoreur lui-même en était la parfaite illustration. Cependant le Gardien fut touché par la vision de cette famille au sein de laquelle l'amour n'était pas absent, loin de là, mais qui était prise au piège de sa propre fatalité. Les règles du Milieu transcendaient celle de l'amour paternel et filial. Dans le coeur de Geaorge Von Carter, se débattaient les sentiments d'un père pour ses enfants et la dure loi de la pègre. Plus sa fille en savait plus elle était exposée. Ainsi devait-il se montrer cruel pour lui faire passer l'envie d'espionner les règlements de comptes dans la ruelle à un âge où elle n'était pas encore apte à se défendre. Pire, en faisant cela, elle affaiblissait le clan car si elle tombait aux mains de l'ennemi, elle ne saurait résister à la question et trahirait les siens. Une fillette de neuf ans ne peut endurer les tortures sadiques des maffieux sans livrer tout ce qu'elle peut savoir de compromettant. Zorvan le lut dans l'esprit du patriarche.

- Sotte petite grue ! Vous pensez m'attendrir en me montrant votre père vous giflant et vous traînant par les cheveux ? Il ne faisait que vous protéger à sa façon.

L'Aralien plissa les yeux et se souvint des propres cruautés de son peuple, de ses tentatives pour protéger celle qu'il aimait des décisions offensives de ses dirigeants. Il avait du se montrer froid et distant, insensible plus d'une fois pour ne pas l'exposer à ce qu'elle devait ignorer. Il l'enjoignait au secret, à ne pas montrer pour lui de penchant trop évident en public. Mais elle n'avait pas écouté. Evina qui accourait au devant de l'homme qu'elle aimait à chacun des retours de mission de celui-ci. A ses protestations sur le fait qu'elle s'exposait et risquait de causer leur fin, elle opposait cette même conviction invariablement. "Qu'est-ce qu'une vie si on assume pas ses désirs les plus purs ? Plutôt vivre un jour en les exprimant qu'une vie entière en les taisant." Zorvan réfléchit et, pour la première fois, se trouva ébranlé dans ses certitudes. Qui avait raison ? Christiana qui avait préféré taire son amour dans un contexte défavorable ou Evina qui l'avait affiché avec ferveur, défiant les règles de leur monde ? Il avait toujours admiré le courage de celle qu'il aimait et l'avait même fait sien, mais à présent qu'elle lui avait été arrachée, et en prenant conscience que pour Christiana et Kyle rien n'était encore perdu pour peu qu'il eût survécu, il doutait. Et si cette jeune femme drapée dans sa dureté avait finalement raison. " Pour vivre heureux, vivons cachés". Les humains avaient de ces maximes ... Mais certaines pouvaient s'avérer pétries de sagesse. Il écouta Christiana lui expliquer les raisons de son silence alors qu'elle aurait pu crier son amour à Kyle.

Il sourit en l'entendant exposer ses projets, sa volonté de retrouver celui qu'elle aimait pour lui avouer enfin ce qu'elle ressentait et pour la première fois, le Gardien se prit à espérer pour un Voyageur qu'il ne fût pas trop tard. Il souhaita sincèrement que cet homme soit encore vivant quelque part pour vivre enfin le bonheur que lui, Zorvan, n'avait pu connaître pleinement. Il hocha la tête et consentit:

- Vous avez raison et vous avez compris. Je crois que si le Dévoreur est venu vous trouver c'est parce que quelqu'un le lui avait demandé. Ne croyez pas, pourtant, que le chemin jusqu'à Kyle sera aisé. Il faut vous préparer à retrouver un homme différent, marqué par les épreuves et qui sait ... à la recherche de lui-même. Votre famille l'a privé de ses racines... Vous auriez au moins pu lui révéler vos sentiments en lui faisant jurer de n'en rien dévoiler à la face du monde. Il serait parti vers la mort, fort de votre amour au lieu de cette incertitude et de cette dureté que vous lui avez exposé. Mais ce qui est fait est fait et même si vous pouvez le corriger grâce au don que veut vous faire le Dévoreur, il vous faudra affronter le péril des voyages pour cela. Oui des Voyageurs se perdent. Que deviennent-ils ? Dans le meilleur des cas, ils meurent, dans le pire, ils errent, prisonniers entre deux paradoxes. Un peu comme moi qui suis mon propre geôlier.

A ce moment l'image des derniers souvenirs exposés se volatilisa et l'air sembla se distordre alors que Zorvan affichait un sourire mystérieux.

- Mais avant de pouvoir partir à la recherche de celui que vous aimez, il vous faudra apprendre à penser à autre que vous même. C'est ce que Kyle n'a cessé de faire lorsqu'il était médecin militaire. Un dévouement, une abnégation dont vous devrez vous montrer digne, vous qui êtes issue d'une famille où on donne la mort mais ne sauve aucune vie. Il vous faudra apprendre que certains hommes se battent pour une cause qui les dépasse et mettent l'honneur au dessus de tout. C'est pourquoi votre ultime épreuve avant de pouvoir voyager seule au service de votre quête, seule maîtresse de vos choix, vous devrez accomplir un périple avec un autre voyageur, en quête de lui-même et de son frère. Voilà pourquoi je dois vous présenter Démétrios de Zéa, fils d'un général célèbre et vaillant qui donna sa vie pour une idée et une patrie.

Alors qu'il achevait sa phrase, un homme coiffé d'un bonnet apparut dans la pièce, l'air étonné. Zorvan le salua d'un grincement de dents.

- N'en déplaise à votre Démocratie paritaire, Démétrios, mais si vous avez jusque là côtoyé des guerriers et des hommes propres à enflammer votre soif d'émotions épiques, vous allez désormais voyager de concert avec cette jeune femme qui va assister au déroulement de vos souvenirs les plus marquants.

Puis, se tournant vers Christiana, Zorvan ajouta:

- Vous allez rapidement comprendre que les hommes, malgré leur pouvoir et leur bravoure, vivent eux aussi des désillusions, des peines et des pertes. Voici votre compagnon... Vous ferez ensuite votre premier voyage en sa compagnie, dans les couloirs du temps. Vous avez chacun à apprendre l'un de l'autre. Sachez mettre à profit ce premier périple pour vous soutenir et tisser des liens, car il n'est plus seul que le Voyageur qui explore le temps et bientôt viendra le moment, où, seuls, vous regretterez les partages avec votre complice imposé.


[HRP]
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La plume : son rôle dans vos voyages
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Message  Invité Ven 25 Jan - 0:43

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Zorvan avait tenu parole et laissé l'Athénien partager le banquet de la victoire avec ses amis varègues. Ah, ce Casque Mou ! Il en avait posé des questions sur les dieux et les hommes du Nord ! Il écoutait, tout excité, les récits épiques où s'agitaient des héros aux noms étranges, aux destins singuliers - Hròlfr Kraki ou Kettil  le saumon. Les guerriers hilares  s'étonnaient de sa curiosité insatiable pour ce qui ne le regardait pas. Car enfin, pourquoi  s'intéresser à Odin, puisqu'à Constantinople, personne ne voulait acheter ses statuettes votives, sinon au poids de l'argent, ce qui était donc à perte. Il y avait longtemps qu'on ne cherchait plus à troquer des Odin contre du vin de Chypre. L'ambre et les fourrures des Sames rapportaient bien plus sûrement et le trafic d'esclaves.
De son côté, Démétrios était aussi surpris de voir rassembler dans les mêmes individus ce qui avait été si soigneusement séparé dans son époque : la vocation des armes er celle du commerce. Les Rùs mélangeaient allègrement le tout , tout autant intéressés par un  bon pillage assorti de quelques massacres que par un marchandage bien conduit et fructueux. Tout  se terminait  invariablement de la même façon, comme ce soir, par un banquet, où l'on buvait sec et parlait fort en se vantant autant de sa bravoure que de ses astuces de commerçant avisé.  Ce qui était l'occasion de porter des doubles toasts,  tout en comptant ses deniers honnêtement gagnés et le nombre d'ennemis à qui on avait fait définitivement passer le goût de l'hydromel.
Mais la nuit faite, Zorvan apparut et avant même qu'il ait eu le temps de dire un mot d'adieu, Démétrios vit s'effacer tout le paysage si réel du monastère de Péra, les remparts et leurs tourelles à feu grégeois, la chapelle d'où venait le mumure des chants de vigiles et au delà, le grand ciel nocturne éclairé d'une lune indifférente, reflétant sa pâle lumière sur le Bosphore d'où montaient encore d'âcres fumées. Tout s'évanouit comme si ce lieu, où l'apprenti voyageur avait vécu les heures les plus extraordinaires de sa vie, n'avait été qu'une illusion de quelques secondes. Un brouillard  blanc et froid  remplaça les lueurs des torches, le silence absolu éteignit les bruits joyeux du festin. Démétrios se retrouva seul, face à un pont qu'il connaissait bien. On était en Aparadoxis et ce n'était pas le premier changement à vue que la science de Zorvan  lui imposait . Il s'y engagea en espérant que cette fois-ci, le voyage le conduirait hors de l'Antichambre .

Passage du pont

De l'autre côté du pont –*d'ailleurs, pensa-t-il, Zorvan pourrait peut-être le rendre moins lugubre et déglingué,  sans aller jusqu'à le border d'arcades fleuries avec des nymphes venant vous chercher par la main *–  le brouillard devint opaque, mais Démétrios s'y engagea sans hésiter. Il se sentait en forme et même la légère ivresse du banquet s'était dissipée. Il ne savait plus depuis quand il n'avait pas dormi, le temps semblait s'être mis à  ne plus tenir compte de l'horloge cosmique.
Il se retrouvait dans un endroit vide, une sorte de pièce aux limites floues et il aperçut avec surprise que Zorvan n'y était pas seul. Une jeune femme s'y tenait, petite, brune, vêtue d'un étrange costume noir étriqué qui montrait ses mollets et accentuait sa poitrine, plutôt forte pour une silhouette menue. A part ce détail, elle n'avait rien pour lui plaire , trop bizarre, trop loin des silhouettes souples et élancées des canons de la beauté athénienne, des drapés gracieux mettant en valeur la fluidité d'un beau corps épanoui. Mais elle avait un regard hardi et vif qui retint son attention. Il appréciait les femmes indépendantes d'esprit, même si celles qu'il avait rencontrées appartenaient toutes à la classe des courtisanes de luxe, sauf Larthia, la dame étrusque, qui représentait encore pour lui le modèle de la femme idéale.

Zorvan le tira de son examen comparatif par une remarque acerbe, totalement injustifiée, qui le déconcerta puis l'irrita fortement. Démocratie paritaire ?  D'abord, il était un noble athénien et la démocratie athénienne était fondée sur l'égalité des seuls citoyens, lesquels étaient plus égaux que les autres, qui ne l'étaient pas du tout. Ensuite, s'il avait tellement apprécié les Varègues, c'est bien parce que ce faux-jeton de Zorvan les lui avait fourrés dans les pattes. Ils étaient totalement exotiques, venaient du pays des ours, et étaient beaucoup plus excitants que ces chrétiens byzantins qui  discutaient trop de métaphysique. Et puis, si le ton de son épreuve avait été décidément épique, c'était Zorvan qui en avait décidé ainsi. Lui se serait contenté d'une visite guidée de Sainte Sophie suivie d'une excursion en langskip sur le Boristhène.
Enfin, il s'était toujours montré docile, patient, avait suivi le Gardien comme le chien Argos suivait Ulysse et avait espéré un mot d'encouragement plutôt que ce rictus déplaisant. Il faudrait qu'il en parle avec le Dévoreur, s'il le revoyait un jour. Car ce lugubre individu était encore capable de le recaler et de le renvoyer sur sa plage en lui confisquant son bonnet.
Il écouta, très mécontent, le discours tenu à la jeune femme par un Zorvan qui se prenait maintenant pour un moraliste désabusé, puis pour une sorte de maître d'école grincheux distribuant des consignes à ses élèves :
-Untel et Une telle ! Vous faites équipe. Ne vous disputez pas, tenez-vous bien, ce sont vos derniers bons moments avant les ennuis qui vous attendent et que vous avez bien cherchés.


Souvenirs impromptus
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Ce discours lui rappela l'allocution de son capitaine lors de son arrivée au camp des éphèbes de seconde année. Il l'entendait encore :
-Jeunes gens, vous voilà en service actif ! Fini de se la couler douce à Athènes. On ne vous a pas donné un bouclier pour pouvoir jouer aux dés dessus et une lance pour vous gratter mutuellement le cul.
Dans un coin de la pièce, venait de se matérialiser, encore un peu flou, le capitaine Ariston, haranguant ses recrues, tout fiers de leur bel équipement neuf, encore vibrants de la flamme héroïque allumée en leur cœur par les applaudissements du peuple. venu assister au départ de sa belle jeunesse. Ne les envoyait-on pas vers des endroits où ils pourraient gagner la gloire et accessoirement la mort et ainsi rembourser le pain et les oignons qu'ils coûtaient à la cité depuis un an ?
Et ce dadais bouclé blond ! mais c'était lui !
Démétrios en resta bouche bée. Ce qu'il avait l'air idiot en éphèbe, tout faraud, tout astiqué, si jeune, si bêta. Ah non, on n'allait pas l'obliger à refréquenter le capitaine Ariston. En plus, la compagnie de militaires grossiers de langage et de tenue ne pouvait convenir à la dame ici présente. Son costume ne supposait pas une société particulièrement pudibonde, mais il avait un côté strict et net qui n'avait rien à voir avec le style des plaisanteries et du débraillé militaire  Il chercha hâtivement à effacer l'image qui se précisait avant que l'officier ne prononce des termes irréparables car il se souvenait de ce qui avait suivi et avait fait rire toute la phalange.
Rire... c'est vrai qu'il aimait bien rire à cet âge si on l'y entraînait. Il se souvint de la nuit où, avec une bande de jeunes étourdis, il avait  mis des cornes de cerf au grand Lion solennel qui ornait le port du Pirée. Et le lion cornu (leur maître d'études s'appelait Léonide) commençait déjà à sortir de la brume cernant la pièce. Un Démétrios déchaîné lui peignait les moustaches en rouge tandis qu'au milieu des rires étouffés, on accrochait une pancarte au libellé ambigu : Léo, le Roi des Animaux. Mais Léonide était un affreux et il l'avait bien cherché.
C'était comme la fois où ils avaient payé une hétaïre pour faire croire qu'Aphrodite apparaissait certaines nuits dans les jardins du stratège Libanios, qui se voulait de moeurs sévères et cloîtrait ses femmes. La rumeur lancée, pendant plusieurs nuits des ombres grimpèrent sur le mur pour observer, et un soir, on la vit, silhouette dévoilée prenant des poses suggestives devant la fontaine avant de disparaître dans l'ombre.
Démétrios s'arrêta à temps et tourna le dos au mur de brume où se formaient les scènes, car le Champ des Oublis était prompt à matérialiser les souvenirs qui le traversaient. Et le Grec n'aurait pas trop aimé remonter celui-là devant l'inconnue qui l'observait et avec qui il allait devoir terminer l'épreuve. C'était  lui, Démétrios, qui avait été sélectionner et payer la figurante avec l'aplomb de ses seize ans et l'argent emprunté au grand frère. La farce était du plus mauvais goût mais on avait bien ri  et Aphrodite était un très joli souvenir.
Zorvan n'avait parlé que d'échecs et de souvenirs amers. Mais il est des jours heureux, pourquoi ne pas les rappeler eux aussi et y retrouver des saveurs oubliées, des prises de conscience de ce qu'on a été capable d'inventer quand on était jeune, rempli d'impatience et de projets ? Démétrios n'avait pas connu que "peines et pertes" et il pensa très fort au jour où son grand-père l'avait emmené sur sa trirème toute armée jusqu'à Nauplia, dans le cadre des manoeuvres ordonnées pour affermir la Ligue de Corinthe. Il s'était senti très important avec le casque et la cuirasse de parade que son frère aîné lui avait offerts. Le digne fils du héros ! s'était écrié le capitaine, et les rameurs avaient levé leurs rames en souvenir de Démoclès.
Toute sa gloire guerrière n'avait tenu que dans ce jour de parade. La réalité, c'était plutôt quand il avait attrapé les fièvres en Epire, à patauger dans les marais infestés de moustiques. Démétrios se revit grelottant, roulé dans son manteau, et il se douta que  derrière lui la scène apparaissait pour la jeune femme. Il fallait mieux laisser Zorvan régler le choix des réminiscences  et se présenter correctement puisque maintenant le Gardien se taisait.

-Je suis Démétrios, citoyen de l'Athènes du temps d'Alexandre et  je remercie les dieux  de cette rencontre. Enfin, si les dieux de mon temps ont encore cours en ces lieux étranges. Zorvan veut que nous échangions quelques souvenirs et je crains  de n'avoir déjà donné une piètre opinion de moi-même avec les premiers qui m'ont échappé. Comment dois-je vous appeler ?
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Message  Invité Lun 28 Jan - 17:52

Christiana crut voir un sourire se dessiner sur les lèvres de Zorvan, quand elle lui fit part de sa volonté de retrouver Kyle, de chercher partout où il lui serait donné de voyager. Sans s'en rendre compte, elle lui sourit à son tour. Ce n'était pas un sourire crispé comme elle pouvait en faire parfois, pour faire bonne figure. C'était un vrai sourire. Peut-être était-ce un signe de reconnaissance et de remerciement. Peut-être était-ce parce qu'elle se sentait plus légère de parler ouvertement de ses sentiments pour Kyle et de sa nouvelle ambition. Ou peut-être que ce sourire était juste spontané, en réponse à un sourire qui semblait l'être aussi.

Cependant, s'il fut vrai, ce sourire n'en resta que bref. Il disparut rapidement quand celui de Zorvan changea et devint inexplicable, obscur, voire malicieux. Christiana regarda ses souvenirs s'évaporer de l'écran invisible qui lui faisait face depuis son arrivée dans Le champ des Oublis. Elle se dit alors que le moment était peut-être venu de partir à l'aventure pour réaliser son dessein amoureux. Elle se demanda même si la voir partir et commencer un voyage, qui pouvait tout aussi bien lui coûter la vie comme la faire prisonnière entre deux paradoxes, n'était pas la raison du changement d'expression du sourire de Zorvan. Ce n'était malheureusement pas le cas. Son guide lui avait réservé une dernière épreuve.
Visiblement, c'était une épreuve en équipe. Une sorte de troisième round pour Christiana. Après son passage dans un rêve, puis l'affrontement de ses souvenirs, voilà qu'il lui donnait pour défi d'apprendre de ce fameux compagnon de route, se nommant Démétrios, en assistant à ses souvenirs. Sur le moment, Christiana fut un peu frustrée de voir le début de son voyage repoussé pour quelques instants encore. Mais voilà qu'elle allait être spectatrice des souvenirs d'un inconnu, tout comme Zorvan l'avait été pour les siens, ceux d'autres voyageurs avant, et pour ceux de voyageurs à venir. Sa curiosité s'éveilla. Elle ne l'avait jamais titillé ainsi depuis longtemps. Depuis qu'elle avait cessé d'espionner la ruelle et qu'elle était passée de la curieuse cachée dans la cave à la jeune fille qui écoutait dans un coin sombre du bureau paternel.
Enfin, avant de laisser les souvenirs de son compagnon de route apparaître, Zorvan la prévint au sujet de la solitude du voyageur. Christiana ne répondit rien. Ce n'était pas les répliques qui lui manquait pour lui faire comprendre qu'elle connaissait le poids que pouvait avoir la solitude et que cela ne l'effrayait pas. Mais les mots ne sortaient pas, ils n'avaient pas à sortir, elle ne voulait pas les faire sortir. Elle se contenta d'un hochement de tête pour faire comprendre qu'elle avait entendu ses dernières paroles. D'ordinaire, elle aurait répliqué impétueusement. Pourtant, elle s'en garda, se tourna vers Démétrios et le salua d'un signe de tête.

Le premier souvenir de son compagnon de route apparut. Son acolyte imposé venait donc d'un passé lointain et il était un soldat de son temps. La première chose que Christiana releva fut le langage plutôt fourni en grossièreté de l'homme qui parlait. Non pas qu'elle n'en avait jamais entendu, après tout, ce n'était pas les mots crus et salaces qui manquaient de la bouche des hommes de son père. Mais entendre cela pour premier mot d'un souvenir appartenant à un inconnu lui fit lever les sourcils et écarquiller les yeux. Pour une entrée en matière, c'était fracassant ! Le mot "cul" fusa et puis plus rien. Le souvenir s'était arrêté là pour laisser place à un lion cornu et moustachu grâce aux talents de maquilleur de Démétrios. Le lion customisé disparut à son tour.

Son compagnon de route lui faisait maintenant face pour se présenter, tandis que dans son dos, un nouveau souvenir apparaissait, dévoilant un Démétrios fiévreux, tremblotant, malade. Christiana le dévisagea, le regarda de haut en bas. Il venait de l'Antiquité ? Mais d'où sortait-il ce bonnet ?! Ce fut la première remarque qui vint à l'esprit de Christiana.

- Je suis Christiana Von Carter, je viens du XXème siècle et il faut plutôt le remercier lui, dit-elle en montrant Zorvan d'un coup de pouce par-dessus son épaule. Ho ne jugez pas vos souvenirs comme étant piètres. L'avant-dernier était plutôt amusant. Il me rappelle…

Christiana se tut. Pourquoi en parler alors que, sous leurs yeux, apparut un de ses souvenirs, bien évidement, montré à l'envers. En remettant le souvenir à l'endroit, cela donnait ceci : Christiana avait 9 ans et entrait sournoisement dans la chambre de Jared. Il dormait à poings fermés, sous les effets de ses médicaments contre la douleur. Elle avait en main les vieux crayons cosmétiques de sa mère. Là, elle entreprit un ravalement de façade. En quelques minutes, des petits dessins enfantins jaillirent sur le visage de Jared. Puis la petite friponne ressortit comme si de rien n'était. Le souvenir s'arrêta là.

- Ainsi donc, vous êtes de l'antiquité. D'Athènes…

Christiana chercha dans sa mémoire quelques informations sur cette époque. Des informations acquises à l'école. Peu de choses lui revinrent. Voire rien. Alors il était préférable de poser des questions.

- A en croire votre premier souvenir, vous étiez un soldat ?

Comme Kyle… une question lui brûla les lèvres. Elle n'avait pas osé la poser à Kyle. Après tout, son annonce concernant son engagement de médecin militaire les avait conduit à une dispute et une séparation houleuse. Qu'avait-il ressenti en partant en guerre ? À cette question, Christiana aurait aimé avoir la réponse de Kyle. Ignorant ou plutôt n'ayant pas vraiment saisi la raison de ce voyage en duo, ne sachant trop quoi dire, elle décida de poser cette question à Démétrios. Après tout, plutôt que de rester sans réponse, autant avoir celle d'un autre soldat.

- Que ressentez-vous en partant combattre ?
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Message  Invité Lun 4 Fév - 1:16

Rencontre
Démétrios subit sans gêne le regard scrutateur de la jeune femme. Un homme pouvait faire rougir une femme mais non le contraire, du moins dans des circonstances où l'ordre naturel des choses était respecté. Il n'avait rougi devant une femme que trois fois, du moins dans son souvenir : la première fois... justement, c'était la première fois. La seconde, devant sa petite épousée tout neuve, quand il s'était rendu compte combien elle était jeune et comme elle le trouvait effrayant. La troisième fois, c'était quand Larthia, sa dame étrusque, l'avait regardé avec un petit sourire amusé, comme s'il était un écolier maladroit qui avait encore besoin d'apprendre beaucoup de choses.
Il prit un air aimable pour montrer qu'il ne jugeait pas mal cette façon de le détailler ouvertement, avec un intérêt sans effronterie. La jeune femme ne devait voir qu'un grand homme assez bien bâti, les joues encore un peu creusées par les restes de sa fièvre de 323 avant JC, dont il se remettait à peine quand le Dévoreur l'avait emporté. Son costume byzantin était fort couvrant. Aurait-elle été choquée de le voir dans sa chlamyde courte, laissant jambes et bras à nu, ce qui avait perturbé considérablement les moines byzantins. Il avait déjà appris cela du voyage dans le temps : Ne jamais s'étonner des usages qui, soumis au vent des siècles, avaient aussi peu de constance que les nuages dans le ciel.
Heureusement, ici, le problème de la langue ne se posait pas, certainement grâce aux pouvoirs du Gardien et au fait qu'ils assistaient à des projectione sans substance de rêves ou de souvenirs. Par contre, en Aparadoxis, le grec de Constantinople s'était bien éloigné du sien et il n'avait compris que les Varègues parlant plus ou moins bien la langue byzantine.
Il écouta avec intérêt la voyageuse se présenter. Le XX° siècle ! deux millénaires après le sien, car ce prénom, Christiana, révélait qu'elle devait appartenir à cette ère chrétienne qui avait remplacé celle des Olympiades. Au moins là, il y avait une continuité.
L'épisode du Lion du Pirée l'avait divertie et elle suscita aussitôt le souvenir d'une séance de barbouillage enfantin qui mit Démétrios tout à fait à l'aise.

Echanges de souvenirs :Christiana, peintre sur frère.
La fillette était Christiana, avec son joli nez légèrement retroussé. Le garçon était peut-être un frère, bien plus âgé, ce qui supposait qu'en son temps, les garçons et les filles n'étaient pas élevés séparément passé la première enfance. Ce qui expliquait leur aplomb devant les hommes, à moins qu'elle ne fût une fille de paysan ou d'une famille pauvre vivant dans la promiscuité. Mais la chambre où dormait le jeune homme n'avait rien de misérable, remplie d'objets la plupart inconnus et très élaborés. Des photographies ornaient les murs et Démétrios y vit un indice que la photo que lui avait remise son frère pouvait venir de cette époque. Lycias devait savoir à quoi servait cet appareil étrange en bois verni avec une sorte de fenêtre tendue d'un tissu granité orné d'un dessin mystérieux, au dessus d'un long cartouche transparant protégeant des graduations et entouré de gros boutons cylindriques.

Spoiler:
L'éclairage venait d'une lampe posée près du lit, à la lumière douce et étonnamment immobile, un peu comme le luminescence des lucioles ou de certaines méduses. La flamme, seule source de lumière utilisable connue de l'Athénien, était toujours agitée de souffles qu'amplifiait le jeu mouvant des ombres. Ici tout baignait dans une clarté opalescente et calme comme un liquide au repos. Démétrios fut fasciné par cette merveille. Le désir l'étreignit de visiter ces mondes fabuleux, inouïs, remplis de prodiges incroyables.

Démétrios se sent antique...
La vision disparut et avant qu'il ait pu demander quelle était cette magie lumineuse, Christiana poursuivait, ne semblant pas autrement perplexe devant l'étrangeté du lieu qui les réunissait. Peut-être était-elle éduquée à ne pas montrer ses sentiments, comme les Lacédémoniens, demeurant au dessus des émotions vulgaires de la surprise et de la crainte. Elle prononça le mot Antiquité... comme cela sonnait vieux, usé, dérisoire. Toute la hautaine fierté de la grande Athènes, depuis Homère jusqu'à Alexandre, disparaissait dans ce seul mot qui disait la mort et l'oubli. Christiana parlait sans étonnement à un homme qui d'un certain point de vue était mort pour elle depuis plus de deux mille ans. Cette pensée lui revenait souvent et, secoué par les tumultes qu'il avait traversés, il n'arrivait jamais à trouver une solution satisfaisante à ce paradoxe. C'était comme s'il transportait son être dans une bulle, sorte de présent perpétuel échappé à la fuite incessante des jours. elle lui posa une question.
Soldat ? Un soldat, lui ? Il secoua la tête :

-Non. C'est juste pendant l'éphébie. Chez moi, les jeunes citoyens sont envoyés deux ans apprendre le maniement des armes et servir la cité. Quant à savoir ce que j'ai ressenti en partant au combat...

Il évita de penser à l'officier Ariston et chercha à faire apparaître le grand défilé initial des conscrits allant de temple en temple demander la protection des dieux tutélaires. Il reverrait en image sa chère cité et la splendeur passée des monuments aujourd'hui ruinés. Mais où se situait le présent de l'Antichambre ?

Souvenirs de Démétrios : L'héroïsme n'est plus ce qu'il était
Il n'obtint qu'une vue centrée sur lui-même, assis devant le feu de camp, entouré de ses camarades. D'une tente s'élevaient des gémissements et plusieurs éphèbes portaient un bandage ou exhibaien estafilades et ecchymoses. Lui n'avait que des égratignures et un genou éraflé quand, entraîné par sa lance, il s'était affalé sur le corps de celui qu'il venait de tuer.
On se félicitait mutuellement et chacun racontait ses exploits, la voix pressée par l'excitation de la victoire. Démétrios avait lui aussi expliqué comment il avait conduit son combat et porté un coup que tous jugeaient particulièrement réussi. Mais Démétrios devenait de plus en plus silencieux. Il était si fier tout à l'heure. Maintenant il voulait juste oublier. Ce n'était pas le remords d'un homicide. Ces esclaves tournés brigands n'étaient que de la racaille de la pire espèce et la phalange venue à la rescousse n'avait même pas fait de prisonniers.
Il voulait ne plus penser à ce combat. C'était tout.

La scène s'évanouit au soulagement du Grec ,mais presque aussitôt, une autre apparut qui lui fit retenir sa respiration. Il se voyait de dos, lance tenue à deux mains tandis que s'élevaient les bruit sauvages et discordants d'une escarmouche : armes se choquant, cris de rage, de douleur, injures, beuglements des chefs hurlant des ordres. Il reconnut le lieu de son premier combat, et la première fois où il avait tué un ennemi. Il avait poussé un cri rauque en chargeant et voilà qu'il l'entendit de nouveau. Puis le craquement de la poitrine enfoncée, bruit horrible auquel dans l'ardeur du moment, il n'avait pas prêté attention. Il vit comment il avait appuyé de tout son poids sur sa lance pour qu'elle entre plus profond, et comment il avait senti en lui monter le désir de tuer, d'écraser cette bête puante. Le brigand avait voulu lui fendre la tête pendant qu'il écartait, du bouclier attaché à son bras, l'attaque latérale d'un autre ennemi.
C'était lui, ce fauve déchaîné ? Il n'éprouvait que rage et colère. Elles étaient loin, les belles paroles du serment des Ephèbes. Ce n'était pas la cité qu'il défendait mais sa peau, sa vie, ce moi médiocre qu'il pensait ne pas aimer.

Le temps remontait de nouveau et c'était le début du combat. Derrière des rochers, ils attendaient le passage des brigands, une vingtaine d'hommes signalés par leur espion. Ils n'étaient que quinze éphèbes plus trois cavaliers aguerris. Le seul sentiment qui l'habitait, c'était l'excitation de l'attente, partagé entre le désir d'entendre le bruit des pas sur le chemin et l'espoir que rien ne viendrait troubler ce beau soir d'été et qu'ils rentreraient au camp à la nuit, pestant à voix fanfaronne contre la malchance qui les avait empêchés d'en découdre avec ces fumiers.
Voulait-il à cet instant se battre ou voulait-il rester bien tranquille et boire ce soir sa coupe de mauvaise bière en rôtissant les garennes qu'ils piégeaient dans la lande autour du camp ? Il n'aurait pu le dire. On peut vouloir une chose et son contraire. Il faut toujours choisir mais on perd toujours une part de soi-même à chaque choix et là, le choix n'était même pas le sien. Des bruits de pas montèrent du chemin. Un frémissement lui parcourut le corps. Il ne démériterait pas. Il allait se battre et préférer, comme l'enseignaient les poètes anciens, la mort héroïque à la vie terne et facile.

Près de Christiana, Démétrios était un peu pâle sous son bonnet tandis que la vision s'effaçait brusquement. Il s'éclaircit la gorge et dit, la voix contrainte, répondant à la question posée :

-Vous avez vu ? Et bien en partant du camp, avant ce combat,finalement, j'avais surtout peur. Sans doute d'avoir une vilaine blessure et de mourir. Peur aussi de ne pas savoir me battre, de me conduire comme un mauvais citoyen. Peur de mourir pour rien d'honorable, simplement par incompétence. Et aussi peur de ne pas voir le moment où on peut devenir un héros. Passer à côté, vous voyez ? J'ai souvent cette impression. Rien d'extraordinaire ne m'arrive parce que je passe à côté..
Et puis, je voulais aussi remplir mon devoir, honorer ma famille. Oui, je voulais bien me tenir et être un bon soldat se battant pour les siens. Calme, déterminé, net, comme mon père l'était quand .. enfin quand il mourut à Chéronée. Mais je ne suis pas un vrai soldat. Un vrai soldat aime se battre et en fait, moi, j'ai détesté.










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Message  Invité Mer 6 Fév - 22:31

Curieuse un jour, curieuse toujours !

Christiana avait en face d'elle un véritable interlocuteur. Elle avait posé une question, fait preuve de curiosité, et elle avait eu une réponse. La curiosité comme un vrai interlocuteur, cela ne lui était pas arrivée depuis si longtemps. Quoi qu'avait-elle déjà eu un véritable interlocuteur par le passé ? Oui, peut-être, ses caprices de fillette étaient quasiment assouvis par les cadeaux et attention du papa adoré aux petits soins de sa Honey. Ou pas car après tout, elle ne serait pas là, après avoir rencontré le Dévoreur, à passer sous le microscope de Zorvan. Christiana vit davantage le fait que ses hommes Von Carter, qu'elle avait tant chéri et servi, n'avaient jamais vraiment pris la peine de l'écouter. Sinon elle n'aurait pas sombré, accumulé 25 ans de larme et de noirceur mélancolique, arrêté la voiture sur le pont, suivit le Dévoreur et elle ne serait pas chez Zorvan, à passer l'épreuve qui marquerait la fin d'une vie et le début d'une autre. Ou la fin d'une errance et le début d'une vie.

En tout cas, sa curiosité bien dissimulée derrière sa froideur et son visage si souvent dénué d'expression aurait pu s'affaiblir, disparaître. Et pourtant... elle était toujours là. Sa curiosité avait dû sacrément bien se cacher derrière la noirceur qui habitait son intérieur car elle ne s'était pas manifestée depuis bien longtemps. Pas depuis la disparition de Kyle en tout cas. Pas longtemps avant même. Mais elle refaisait surface. Soudainement. Et ce fut sans crier gare qu'elle poussa Christiana à plus de question.

- Deux ans à apprendre ? C'est une sorte de service militaire alors ? Demanda-t-elle en s'approchant un peu de Démétrios, en plissant les yeux et en le scrutant encore plus profondément son regard.

Elle s'essayait de nouveau à la curiosité, comme si elle n'en avait jamais fait preuve. Pourtant il fallait avouer qu'elle était une sacrée curieuse lorsqu'elle était enfant. La cave et la ruelle étaient ses terrains de prédilection.

La ruelle... ha ! Cette bonne vieille ruelle ! Christiana y avait appris la méchanceté, la cruauté, le mal qui constituait une part de la nature humaine. Elle lui avait laissé bien des souvenirs. Pas toujours, voire jamais sain pour l’équilibre d'un enfant.

Tout en écoutant les paroles de Démétrios, Christiana se dit brièvement qu'elle était bien curieuse de poser une telle question à une personne qu'elle ne connaissait pas, qu'elle venait tout juste de rencontrer. À une personne qui se livra tout de même à elle. Elle se jugea bien curieuse, elle repensa à Alice au pays des merveilles, que Jared lui lisait quand elle était enfant, avant que Drew ne perdit la vie. Curieuse... elle l'avait été et pouvait le redevenir. Redevenir trop curieuse ? Elle s'en moquait ! Redevenir ? En réalité, elle avait-elle cessé de l'être ? Sa curiosité n'avait-elle pas été un plus pour se décider à suivre le Dévoreur ? Curieuse de savoir ce qu'il avait pour elle, de savoir qui l'avait envoyé. Voilà une question qui méritait réponse. Qui avait envoyé le Dévoreur pour la sauver ? Encore une question qui traversa l'esprit de Christiana, alors qu'au même moment, un souvenir de Démétrios faisait son apparition.


Curieuse comme une « Alice » !

Elle regarda la scène avec un regard avide de tout voir, de tout capter. Ses yeux se virent offrir un souvenir sombre. Des images de blessés, de morts, de guerre défilaient à l'envers sous ses yeux. Démétrios avait déjà tué. Elle vit la fureur, la facilité pour tuer et ainsi sauver sa vie, qui habitaient les hommes au combat. Mais surtout, elle vit l’excitation d'avant combat. Les trépignements des soldats prêts à en découdre. Prêts dans leur guet-apens contre les brigands. Malgré son milieu, Christiana n'avait jamais vu cela. Elle avait bien cerné la joie de Jared en allant voir le clan afro-américain pour récupérer leur argent. Action qui lui avait coûté un bras. Mais jamais elle n'avait vu un combat en lui-même, entendre les derniers souffles, les gémissements et les plaintes. Elle avait toujours été protégée de tout cela par les Von Carter. On l'autorisait à écouter dans le bureau, regarder dans la ruelle, mais rien de plus. Sa place n'était pas dans sur leur territoire. Grâce aux images du souvenir et aux explications de Démétrios, elle comprit que derrière l'excitation, se cachait la peur. Peur de ne pas être à la hauteur, peur de mourir, peur de tuer car il fallait agir pour l'honneur au détriment de soi.

Christiana détacha son regard des images et le porta sur Démétrios. Il avait eu peur et l'assumait. Il avouait même avoir détesté sa condition de soldat. Il n'aimait pas ce qu'il avait été forcé d'être, comme son père l'était. Christiana eut le sentiment de comprendre Démétrios. Elle non plus, n'aimait pas sa condition avant de suivre le Dévoreur, condition forgée par les Von Carter, un peu par elle-même aussi, indirectement.

- C'est fou ce que l'on est capable de faire, ou ne pas faire, pour un père ou plus largement pour les siens. Mettre son soi de côté et suivre l'exemple, au détriment de nos souhaits, de nos peurs, de ce qu'on aime ou déteste, dit-elle à demi-mot. Comment vous êtes-vous sortit de votre condition ?

Encore une question ! Décidément, elle les enchaînait !

Alice la curieuse, n'était-elle pas tombée dans le terrier du lapin blanc à cause de ce petit défaut ? Sa curiosité ne l'avait-elle pas pousser à manger le gâteau rétrécissant pour passer la petite porte, après avoir jeté un coup d’œil à travers la serrure de celle-ci ? La cave et sa lucarnes étaient pour Christiana ce que le terrier du lapin blanc et la serrure de la minuscule porte étaient pour Alice.
La cave et sa lucarnes avaient fait tomber Christiana plus en profondeur, de part sa curiosité – et sa maladresse qui faillit incendier tout le Bacchus – dans le monde malsain de papa Von Carter. Comme Alice qui mangeait le gâteau pour passer la porte et entrer dans le monde des Merveilles, Christiana avait monté les escaliers et poussé la petite porte donnant sur la ruelle pour entrer dans le monde de papa.


Souvenir d'une « Alice » : élever son enfant pour la famille

Le monde de papa Von Carter s'afficha derrière Christiana, sous les yeux de Démétrios. Celle-ci ne s'en rendit pas immédiatement compte.

Christiana avait 16 ans. Elle se trouvait debout, face à son père, dans son bureau. Jared n'était pas là. Kyle non plus. L'aîné était au lit, en pleine crise dépressive. Le cadet était sûrement dans une de ses activités studieuses de futur médecin.
Elle était seule face au patriarche. Il lui faisait un de ses fameux discours. Christiana ne disait rien. Elle se contentait d'hocher la tête à chaque « tu as compris ? » lâchés par son père. Il avait cette fureur de l'homme d'affaire dans le regard. Christiana avait le visage de l'enfant qui fait tout pour retenir la leçon et éviter les erreurs.

- Jared est plus faible Honey ! Regarde-le, encore au lit à pleurnicher. Je ne serai pas toujours là pour le Bacchus et tu es la seule qui arrive à secouer Jared. Je dois pouvoir compter sur toi. Nous avons besoin de toi Honey. Tu comprends ? Demanda-t-il en tapotant son bureau avec un index autoritaire. On ne peut pas compter sur Kyle et sa lubie de médecin, il n'est pas vraiment un Von Carter après tout...

Christiana afficha un léger sourire, presque indétectable quand le père lui rappela qu'ils n'avaient, lui et elle, aucun lien de sang avec Kyle.

- Kyle se moque du Bacchus. Je ne peux compter que sur toi et Jared pour tenir la barque flot. Nous avons traversé la crise, nous avons survécu face aux autres clans. La prohibition ne nous a pas empêcher de grandir, de nous renforcer et d'évoluer. Il faut que cela continue tu entends ? Si vous n'êtes pas à la hauteur, Jared et toi, le Bacchus coule, le nom de la famille avec ! Imagine le déshonneur si tout venez à s'écrouler, tout ce que j'ai construit avec mon père, avec ton grand-père !

Il se leva, fit le tour de son bureau, attrapa sa fille par les épaules et déposa un baiser sur son front.

- Mais tu es ma douce, brave et courageuse Honey, je sais que tu y arriveras. Je sais que je peux compter sur toi. Tu me rends si heureux quand tu réussis tout ce que je demande. Papa est fière de sa princesse ! Une vraie Von Carter !

L'image s'estompa et Christiana se tourna, faisant face au moment précédent le monologue paternel. Quand elle entendit son père parler et scander sa volonté paternel, elle avait volontairement gardé le dos tourné au souvenir. Ce qu'elle regrettait, maintenant, d'avoir aveuglément obéit, au détriment de son bonheur. La Christiana de 16 ans entrait dans le bureau, le pas léger. Elle refermait la porte à la demande de son père.

- Je paries que tu t'es enfin décidé à acheter une voiture pour Jared. Mon idée de chauffeur t'a plu ? Demanda-t-elle en s'avançant vers le bureau, les bras ballants et le regard se portant instinctivement sur les documents financiers qui traînaient sur le bureau. !

Elle avait quelques facilités pour lire à l'envers. Sa curiosité l'avait poussé à maintes reprises, à jeter un coup d’œil discrets à ce genre de document à porté de regard, sans y être invitée et sans se faire prendre.

- Non Honey, on doit parler affaire, toi et moi. Alors écoutes moi bien.

Le visage enjoué de Christiana, qui se voyait déjà prendre la voiture de Jared pour se promener avec Kyle, disparut et laissa place à une expression attentive et obéissante.

- Ho... oui papa.

Et elle se tut. Le souvenir s'envola et une dernière image s'afficha. Christiana était dans la chambre de Jared, en train de lui humidifier son front fiévreux. Kyle passa la tête dans l’entrebâillement de la porte et dit :

- Je vais au parc avec des camarades de classe, tu veux venir princesse ?

Christiana secoua négativement la tête, sans dire un mot et sans adresser un regard à Kyle. Elle était trop occupée à soigner son frère.

- Je vais t'aider comme ça tu auras plus vite terminé et on pourra sortir toi et moi, proposa Kyle.

Christiana se tourna, un sourire aux lèvres, vers Kyle. Mais à ce moment, Jared leva une main, s'empara du visage de sa sœur et le tourna vers lui, la regardant avec supplication et douleur. Conscient que cette tentative de la sortir était un échec, Kyle s'éclipsa. Jared caressa le visage de sa petite sœur en lui disant qu'il appréciait de la savoir en train de veiller sur lui, qu'elle lui faisait du bien et lui apportait beaucoup. Et Jared l'incita à continuer de lui rafraîchir le visage, se plaignant d'avoir mal partout. Mais ils furent dérangé par un homme en complet, qui frappa à la porte et informa Christiana que son père la réclamait immédiatement dans son bureau.

La vraie Christiana secoua la tête avec dépit. Le souvenir disparut aussitôt. Elle avait fait tout cela pour eux. Elle vit enfin qu'ils en avaient aussi abusé. Après tout, elle ne refusait jamais. Elle obéissait. Pourtant, ce jour-là, elle aurait aimé sortir et promener au parc. Laisser Jared se ressaisir seul, pour une fois. Sortir et se faire plaisir, plutôt que de rester, soigner son frère et écouter les serments de son père, et être une « vraie Von Carter », bien formatée, bien encaquée dans son rôle étouffant et emprisonnant. Ce même rôle qui l'avait fait se sentir hors de tout monde, vide, seule. Ce rôle qui l'avait conduite à prendre la voiture, rouler vite et loin, pour finalement se perdre sur un pont qui lui permet de rencontrer le Dévoreur et de mettre fin à tout cela, qui lui permettrait de construire elle-même le rôle de son choix.

- Remplir son devoir pour l'honneur d'un pays, d'un père, ou pour ma part, simplement d'un nom de famille et de la réputation qui y est accolée. Le remplir au détriment de nos sentiments et nos désirs. Maintenant, je regrette de ne pas avoir su réagir plus tôt, ne pas avoir su en faire moins pour eux et plus pour moi. Avez-vous des regrets ?
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Message  Invité Mar 12 Fév - 22:28

Où Démétrios admire le progrès des civilisations
et réfléchit aux leçons de l'Antichambre concernant la nature humaine en général
et la sienne en particulier.

Démétrios restait fort surpris du comportement assuré de Christiana, très à l’aise, le traitant comme un égal, et peut-être même avec la supériorité de qui connaît un peu de votre passé. Pour lui, entre la Byzance de l’an 860, révélée par Aparadoxis, et le XX° siècle d’où arrivait cette androgyne, c’était le trou noir. Il ignorait tout de son quotidien et les questions qui lui venaient étaient celles des petits enfants : pourquoi ceci et à quoi ça sert ? et comment ça marche?
D’une certaine manière, il appréciait cette absence de références, cette mise à nu de ce qui était resté en lui d’étonnement naïf. Il était agréable qu’ils puissent échanger des idées, que le temps n’ait pas englouti tous les ponts qui pouvaient encore les aider à franchir l’abîme des siècles les séparant. L'un des grands intérêts du voyage dans le temps était bien cette possibilité de découvrir comment, en d'autres époques, étaient abordées les situations qui constituaient le fond commun de l'histoire des hommes. Christiana avait immédiatement saisi le sens de ses souvenirs de guerrier, comme lui avait reconnu dans l'espièglerie de la petite fille, le retour en écho de ses farces d'écolier.. Mais en parallèle à ces constantes de l’âme humaine, que de changements !
Il avait pris conscience de la modernité en constatant le progrès des connaissances et des techniques. N'avait-il pas déjà noté comme les Byzantins avaient amélioré les navires, fabriqué le feu grégeois, forgé des épées d'une trempe bien supérieure ? L'Athènes antique disparue, le monde n'était pas retourné à la barbarie mais avait continué à découvrir, à inventer, à connaître un peu plus la vérité des choses.
Le monde antique semblait immuable. Quelques esprits curieux cherchaient seuls à mesurer le temps, le reste des hommes se contentant de regarder la hauteur du soleil. Ils reprenaient chaque jour les outils hérités de leurs pères pour accomplir les mêmes gestes immémoriaux que leurs enfants referaient après eux. Mais les hommes du futur avaient peuplé leur environnement d’objets fascinants, les Hyperboréens visitaient le Bosphore et, de l’orient lointain, une longue route apportait les trésors et les échos d’empires fabuleux qui maintenant avaient un nom. Le monde était changement, nouveauté, découverte, élargissement.

Et ce n’était pas tout. Le Champ des Oublis l’éclairait sur lui-même. Il n'était pas seulement un marchand d'huile d'olive moyennement efficace, un peintre amateur dilettante, un réciteur d’épopées qui ne dialoguait qu’avec le ciel et les vagues. Dans un monde parallèle où la réalité était moins rigide, moins déterminée par l'axe étroit de la raison, il se découvrait entreprenant, décidé, avide d'action.
Démétrios, si souvent méditant, immobile, en regardant la vie passer autour de lui, était devenu un voyageur en marche. Il ne voulait plus retourner dans ce destin figé d'avant la rencontre avec le Dévoreur. Il aimait trop ce sentiment d'être réveillé sans avoir à quitter ses rêves, hors de la prison d’une seule vie.
En songeant aux aventures guerrières qu'il avait vécues en Aparadoxis, il pouvait maintenant se dire que son entraînement d'éphèbe n'avait pas été vain, ne servant qu’à lui révéler ses manques et ses faiblesses à travers de dérisoires exploits.
Il ne fallait pas aimer tuer pour se battre. Il fallait avoir une raison suffisante de le faire. Et sauver sa vie en était une, surtout quand on aidait ainsi ses frères d'armes à survivre en même temps. Il n'avait certes pas l'étoffe d'un héros mais il n’était ni lâche ni incapable. De l’autre rive de l’Achéron, son père devait le regarder sans mépris.
Ce qui comptait, c’était de s’efforcer de bien faire ce qui devait être fait, même si ce n’était que vendre des amphores de vin de Chypre. Il était resté trop longtemps bloqué par ce sentiment d’avoir failli à la seule occasion de laisser de lui une image héroïque : Démétrios de Zéa, mort à quinze ans en combattant aux côtés de son glorieux père.
Mais qu’importait finalement cette gloire pour les autres? Pour un Achille, combien de morts obscures, d’exploits inconnus, de vies oubliées ? Ce qui comptait, c’était de vivre le présent avec exaltation, oui, même s’il semblait terne et absurde et sans valeur, perdu dans l’infini du temps.
Et le Voyage allait lui offrir un présent démultiplié. Il ne se désolerait plus de ne pas donner aux autres une plus haute image de lui-même. Il descendrait les rapides du Boristhène et il irait contempler la lumière du Phare d’Alexandrie et il verrait la mer qui se change en glace là où est le trône du Soleil, et tout serait prodige et émerveillement. Il ne chercherait pas ce qu’il aurait dû être. Il serait ce qu’il faudrait être au moment voulu, ou du moins, il essaierait. En sortant de l’Antichambre, il laisserait sa mauvaise conscience à Zorvan, lequel devait déjà en avoir une belle collection. A moins que le Gardien n’en fasse de l’enduit à tartiner les murs de son antre, ce qui expliquait leur aspect sinistre et vaguement nauséeux. D’ailleurs, où était-il, Zorvan ? Encore disparu ? c’était peut-être bon signe, comme le maître qui s’absente quand la classe est sage et occupée. Il fallait peut-être mieux revenir au sujet et répondre à Christiana.

Des difficultés de la conversation quand vingt siècles vous séparent.

La jeune femme avait bien saisi que le souvenir de Démétrios était lié à l’image paternelle, mais il fallait éviter cependant qu’elle ne le voit comme un esprit rebelle au respect dû à la famille. Personne ne l’avait contraint ; c’était la Loi de la cité et il l’approuvait.

-En fait, je n'ai passé qu'un an en service actif. Et très vite j'ai attrapé les fièvres et je sais bien que le capitaine avait des ordres pour me ménager . Ma famille est influente à Athènes. Mon oncle Timon et mon grand-père préféraient que je serve les intérêts de la famille de façon plus pacifique et m’ont laissé le choix de ma carrière. En fait, c'est moi qui estimais que je devais être un vaillant guerrier pour honorer la mémoire de mon père.
On peut être pour soi-même un tyran encore plus sévère que la famille la plus exigeante. La mienne m’a laissé choisir ma voie et je n’ai fait que ce que j’étais capable de faire.

Il s'interrompit en voyant se former un décor très étrange mais ayant des points communs avec celui aperçu précédemment, en particulier la variété et la complexité des objets disposés ça et là. Des baies, fermées d‘immenses verres transparents qu’il n’aurait même pas imaginé possibles, donnaient sur une ville aux tours gigantesques. Il crut voir passer dans le ciel une sorte d’énorme insecte dont les ailes tournaient au dessus du corps oblong. La lumière du jour , la couleur du ciel et les nuages poussés par le vent étaient les seuls éléments familiers du panorama. Le bruit des voix le ramena vers les acteurs de la scène.
Il comprit assez vite que l'homme qui s'adressait à Christiana était son père et qu'il exigeait d'elle qu'elle prenne la direction du Bacchus, apparemment un navire puisqu'il voulait qu'elle maintienne "la barque à flot", volonté qui le surprit encore plus que l’extraordinaire du décor .
Ce devait être un bateau de guerre, car il était question de lutte des clans, du risque que le Bacchus coule. Le nom de Bacchus ne lui était pas étranger. Les Romains, dont les dieux n’avaient pas d’histoires intéressantes, leur attribuaient celles des dieux grecs ; Bacchus était Dionysos. Au moins on se souvenait encore de lui.
Pour le reste, il ne comprenait pas grand chose au discours du père ni aux rapports de Christiana avec ces jeunes gens, ses frères. Elle soignait celui qui était malade et Démétrios la jugea une soeur dévouée et une fille obéissante. Il semblait donc que malgré tout, les femmes demeuraient encore attachées à certains de leurs rôles traditionnels. Mais que Christiana devienne le capitaine du Bacchus, cela dépassait l’entendement. Une femme commandant la manoeuvre à des dizaines de rameurs, dirigeant l’éperonnage ou le débarquement des hoplites !!... et en plus cette petite maigrichonne...jolie finalement, mais sans rien d’une Athéna casquée, armée de la lance et de l’égide.
La conclusion qu’elle tira de la scène lui parut incompréhensible. Elle regrettait d’avoir trop fait pour sa famille. Fait-on jamais assez pour sa famille ? Elle semblait trouver qu’elle aurait dû suivre l’un des frères pour aller s’amuser alors que l’autre, malade, réclamait ses soins. C’était tout à fait insensé. Cependant Démétrios s’abstint de juger plus loin. Dans un monde où les filles commandaient les trirèmes, on pouvait s’attendre aux comportements les plus stupéfiants.

Souvenir de Chrysothémis

Il se souvint alors brusquement de la fois où Chrysothémis l’avait soigné d’une attaque de fièvre. Ils étaient mariées depuis quelques semaines et il était très heureux d’avoir une épouse aussi jolie et douce. Il en était fort amoureux et à force de prévenance, il avait déjà réussi à la mettre un peu à l’aise en sa présence car elle avait reçu une éducation très sévère et osait à peine lever les yeux sur son mari.
La crise finalement s'était calmée et se sentant mieux, il s’aperçut que Chrysothémis avait l’air bien fatigué. Il lui avait demandé de lui jouer un peu de cithare ce qu’elle savait faire avec goût et il l’invita à aller se reposer en la remerciant de ses attentions. A sa grande surprise, il vit des larmes remplir ses grands yeux au regard encore candide. Elle avait juste quinze ans et sa famille se vantait qu’elle ne soit jamais sortie du gynécée, sinon pour suivre la procession des Panathénées et encore, strictement entourée par les femmes de la maison. Il pensa qu’elle était épuisée et la laissa aller, lui-même un peu intimidé devant les mystères de l’âme féminine.
Mais aujourd’hui, il regrettait de ne pas avoir montré plus de sympathie et il chercha à se remémorer ce qui alors qu'elle le veillait, avait pu l’attrister. S’était-il montré brutal de ton ? Trop exigeant ? Non, les images revécues la montrait soumise et docile, prévenant ses demandes, empressée auprès de sa belle-mère, la noble Althéa, quand celle-ci s’asseyait au chevet de son fils.
Un vague malaise monta à cette évocation . Sa mère....
Quand la crise avait commencé, Chrysothémis n’était pas auprès de lui. C’était sa propre mère qui l’avait fait se coucher, lui avait massé les tempes avec un onguent calmant et envoyé les esclaves préparer tisanes et lotions rafraîchissantes. Mais il avait voulu Chrysothémis. la scène se précisa :
Althéa semble hésiter, penchée sur son fils grelottant et couvert de sueurs froides et elle a enfin cette phrase à laquelle il n’avait pas prêté attention mais qu’il entend maintenant clairement: -Je vais dire qu’on la fasse revenir.
Et alors il revoit, juste la veille, avant que la fièvre ne le prenne, un moment d’intimité dans l’appartement de sa mère où il est venu la saluer comme il le fait chaque soir. Althéa lui rappelle que demain matin, Chrysothemis partira visiter sa famille. C’est la première fois depuis son mariage et c’est exceptionnel, car une épouse bien née se consacre à sa nouvelle maison. Ainsi donc, Althéa a fait rappeler la litière emportant la jeune femme. Chrysothémis qui s’apprêtait à revoir ses parents est revenue pour s’occuper d’un homme qu’elle n’avait jamais vu deux mois auparavant et qui la réclame par un caprice de malade .
Pauvre Chrysothémis. Bien sûr, elle les as vus plus tard, ses chers parents, mais quelle déception, quand on l’a rappelée .. Comme Christiana, elle a dû s’effacer, obéir, renoncer à son désir d’enfant aimante pour son devoir d’épouse. Démétrios fronce le sourcil. Des regrets ? A-t-il des regrets ? Que veut dire Christiana ? Des regrets pour lui ?

-Je ne pense pas avoir mérité une autre vie que celle que j’ai vécue. Comme je vous l’ai dit, j’aurais pu décider de mon sort, l’infléchir autrement. Je l’ai d’ailleurs fait sitôt que s'est présentée une opportunité attirante qui m’a conduit au Dévoreur.
Mais ce que j’ai vu de votre souvenir et du mien me montre que l’on peut trop souvent ne pas penser que les autres existent. Je n’ai volé qu’un peu de joie à Chrysothémis, elle qui a vécu si peu pour en éprouver beaucoup. Mais je comprends mieux votre sentiment et je suis triste en me disant qu’il doit être bien rare l’amour qui donne tout sans jamais trouver qu’il a trop donné .










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Message  Invité Ven 15 Fév - 19:08

Tout était question de domination

En revoyant son propre souvenir, Christiana ne put s'empêcher de soupirer. Que de contradiction dans son esprit. Si elle aimait sa famille et qu'elle s'était pliée pour eux, sans protester et si cela lui avait donné plus de valeur à leur yeux, elle ne pouvait pas s'empêcher de regretter davantage son aveugle dévotion envers sa famille. Elle s'était mise à l'écart tout en étant au centre des attentions de ses frères et de son père. Elle était leur petite princesse choyée et obéissante, qui malgré son caractère bien trempé, se pliait aux quatre volontés des Von Carter. Cela avait été ainsi. Elle avait été dominée, surtout par Jared et son père, et s'effaçait pour eux, mettait de côté sa volonté pour eux. Pourtant, au Bacchus, le dominant, c'était elle. Elle avait dirigé les employés, et toutes personnes se soumettant à sa volonté, avec une main de fer chaque fois qu'elle en avait les rênes. Elle avait été aussi tyrannique que son père.

Christiana prit conscience de la domination qui l'avait écrasé et qu'elle avait utilisé à son tour pour piétiner là où elle était la plus forte. Elle regrettait de ne pas avoir été plus forte au sein du cercle familial. Mais elle n'en fut pas pour autant étonnée. Elle le savait, surtout grâce au milieu dans lequel évoluait les Von Carter, que le monde était fait ainsi.
Il y avait des dominants qui dominaient ceux qui étaient moins forts, physiquement, psychologiquement, intellectuellement, économiquement... de quelque manière que ce fut. Ces même dominants pouvaient finir, un jour, par être dominés par plus forts qu'eux. Les faibles qui trouvaient plus faibles qu'eux laissaient aller la frustration causée par la domination qu'ils subissaient en dominant à leur tour. Le monde n'était qu'un rapport de force perpétuel entre différent niveau de puissance. Un rapport de force digne d'un cercle vicieux, d'une chaîne alimentaire animale. Une loi de la jungle. C'était un rapport dans lequel les Von Carter usait du pouvoir, de la rivalité et de cupidité. Dominer pour mieux régner et mieux utiliser toutes personnes faibles pouvant servir de pions.

Christiana se dit alors que chaque personne était le pion d'une autre plus forte au bénéfice de celle-ci, et au détriment du pauvre pion, dont le sort importait peu, voire pas du tout. Elle se dit que malgré sa personnalité cassante, elle n'y avait pas échappé. Qui le pouvait de toute façon. On trouve toujours quelqu'un de plus fort ou qui ne l'est pas forcement, mais qui savait exploiter une faiblesse permettant ainsi de dominer.
Les larmes emmagasinées et libérées sur le pont étaient le signe, la conséquence de cette domination qui l'avait obligée à mettre ses intérêts de côté en faveur de ceux de son dominant, en faveur de ceux des Von Carter. Une question la tarauda. Qui avait pu dominer les Von Carter ? Le clan avait-il connu un dominant ? L'argent peut-être. Évident même. Étrangement, Christiana oublia rapidement ces nouvelles interrogations. Elle se moquait finalement de ce qui avait pu contraindre, si contrainte il y avait, les Von Carter à agir ainsi. Elle ne voyait plus que ce qu'elle allait faire et obtenir en sortant de l'antichambre de Zorvan. Trouver Kyle et agir pour elle.


Un égoïsme ambitieux et pourtant dominé

Dorénavant, Christiana ne pensait plus qu'à elle. Pour une fois, elle faisait preuve d'égoïsme. Elle pensait à ses intérêts. Elle pensait à Kyle aussi, bien entendu. Mais après tout, le retrouver c'était aussi et avant tout son principal intérêt. Alors même si Kyle occupait ses pensées, elle se disait agir surtout à elle, à la libération qui l'attendait, aux expériences qu'elle allait pouvoir faire. Plus besoin des yeux de Kyle pour avoir une fenêtre sur le monde. Elle avait ses propres yeux maintenant. Les souvenirs de Démétrios furent les premières images vues à travers sa nouvelle fenêtre oculaire. En voyageant, elle pouvait devenir la fenêtre de Kyle. Avant il fallait le retrouver et ensuite, si la guerre il a bien fait, lui faire oublier les horreurs qu'il a pu voir. Et si l'oubli était impossible, si comme Démétrios il n'avait pas aimé tuer, alors elle pouvait toujours essayer de lui faire penser à autre chose. Elle allait agir pour son intérêt.
Du moins c'était ce qu'elle pensait. Ce que Christiana ne vit pas, c'était que son intérêt personnel était dominé par l'amour qu'elle avait pour Kyle. Elle était toujours dominée. Comme chaque être humain, elle n'allait jamais se libérer de la domination d'une personne ou d'une chose.


Toujours question de soumission

Retour à la réalité Zorvannienne. Christiana laissa de côté ses petites réflexions sur la domination et écouta Démétrios parler. Apparemment, lui aussi avait une famille influente. Une famille dominante, dont les volontés étaient respectées puisqu'il fut ménagé par son supérieur. Mais contrairement à elle, qui avait subi l'influence des hommes de son entourage, il avait choisi sa propre voie et avait pris les armes de sa propre volonté.

Puis un nouveau souvenir se forma. Ce n'était pas un des siens cette fois-ci. Il provenait de la mémoire de Démétrios. Le souvenir d'une femme. Alors comme ça, une femme était liée à lui ? Christiana fut curieuse de voir les rapports qu'il entretenait avec elle. Elle put voir une Chrysothémis soignant son époux sans oser croiser son regard. Christiana y vit là une forme de soumission. Chrysothémis n'avait rien d'une Colette, d'une Coco Chanel, d'une George Sand qui n'avaient pas peur de choquer par leur attitude garçonne, ou plus généralement d'une jeune américaine ayant fraîchement le droit de voter. Puis l'épouse de Démétrios pleura. Christiana se demanda si les pleurs de la jeune athénienne n'étaient pas la preuve qu'elle avait pris conscience de l'abnégation dont elle avait fait preuve. Se soumettre à la volonté de son époux plutôt que d'aller voir ses parents. Elle comprit Chrysothémis. Mais sous cette compréhension, elle omettait le fait que son époque et celle de l'athénienne étaient bien trop différentes, que leur éducation l'était tout autant. Chrysothémis était-elle apte à regrettait d'avoir délaissé son plaisir pour les soins ? Probablement pas. Christiana n'y songea pas.


Oublier l'existence des autres, tout comme on peut oublier sa propre existence.

Démétrios prit ensuite la parole, ne laissant pas le temps à Christiana de prendre plus de temps pour comprendre les pleurs de Chrysothémis. Le Dévoreur arrivait dans la conversation. « Sacré personnage. Le Dévoreur, une opportunité attirante ? Oui, il l'est ». Ce fut aussitôt ce que songea Christiana en entendant le mot Dévoreur.

- Si au début, j'ai douté du Dévoreur, je pense maintenant que je le remercierai pour l'opportunité qu'il m'a offert. Oui, je pense que je serai capable de l'en remercier. Du moins à condition que l'opportunité ait porté ses fruits.

Les derniers mots de Démétrios sur l'amour firent froncer les sourcils de Christiana. Elle réfléchissait.

- En aimant aveuglément les miens, en me soumettant à leur volonté, je me suis oubliée. J'ai oublié que je donnais aux autres mais que je ne me donnais rien. Résultat, je me suis négligée, je me suis perdue. Si souvent on peut ne pas penser aux autres, on peut aussi ne pas penser à soi-même, simplement en se laissant de côté pour porter toute notre attention sur les autres. Je crois qu'il ne faut pas être triste de l'amour qui donne sans jamais trouver qu'il a trop donné. Après tout, pour penser en avoir trop donné, il faut le voir de ses propres yeux. Si je n'avais pas vu mes souvenirs, jamais je n'aurais dis que je regrette de ne pas avoir su réagir plus tôt, ne pas avoir su en faire moins pour eux et plus pour moi. Jamais je n'aurai songé avoir trop donné. Quoi que, je ne pense pas vraiment avoir trop donné, c'est juste que je ne me suis rien donné. C'est peut-être pire. Si trop donner n'est pas la raison de mon choix de suivre le Dévoreur, je me dis que maintenant, cela pourrait y contribuer. Car après tout, trop donner a été une cause de la raison qui m'a poussé à le suivre et à venir dans passer les épreuves de Zorvan. Et vous ? Pourquoi avoir saisi cette opportunité attirante ?
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Message  Invité Mar 19 Fév - 19:50

Christiana semblait toujours très attentive aux visions évoquées par la magie de Zorvan. Cependant sa physionomie n’exprimait pas de sentiments lisibles pour Démétrios. Il venait d’un monde où les héros comme Achille pleuraient et rageaient sans mesure tandis que les rires des dieux tonnaient dans l’Olympe. Les émotions, non encore disséquées par l’analyse psychologique, s’exprimaient corporellemnt dans leur simplicité brute, avec d’autant plus de force qu’elles étaient publiques et codifiées : cris d’exultation aussi bien que d’horreur, bras levés au ciel, pleurs et sanglots, mains tordues et cheveux arrachés, paroles excessives. Les sentiments s’extériorisaient en rituels purificateurs. Démétrios n’était donc guère prêt à cette conception des rapports sociaux, héritée en partie du stoïcisme romain et repris par le modèle anglo-saxon où la politesse se confond avec la retenue et où on apprend très jeune à ne pas se donner en spectacle. En plus, les scènes revécues par Christiana restaient très obscures pour l’Athénien et il n’avait que les conclusions que la jeune femme en tirait pour tenter d’y voir plus clair.
Il comprit seulement que la jeune femme désirait rompre avec son abnégation passée et qu’elle voulait agir pour elle. Ignorant qu’elle aimait Kyle et que ce sentiment ne pouvait s’exprimer qu’en dehors du contexte familial, il ne voyait pas très bien ce que signifiait l’expression. Voulait-elle se retirer dans la solitude comme les ermites chrétiens que son séjour en 860 lui avait révélés ? Ou bien ne plus respecter les conventions sociales afin d’affirmer son indépendance, jouant les Diogènes insolents et rebelles ? Il s’amusa un instant à l’idée de Christiana rétorquant à son père lui demandant ce qu’elle voulait de lui : "Ote-toi de mon soleil . "
Pour lui, il aimait les moments de solitude mais il n’avait rien d’un misanthrope et s’il n’appréciait guère son rôle de commerçant, c’était de sa faute, non celle de sa famille. Vivre en accomplissant ce que l’on pense être juste, n’est-ce pas agir pour soi ?
Il crut qu’il avait trouvé une explication en remarquant que bien qu’encore jeune, Christiana avait nettement dépassé l’âge du mariage et semblait encore vivre dans sa famille ; peut-être voulait-elle exiger que son père lui concède une dot et lui trouve un mari ?
Il se rendait bien compte qu’il jugeait par rapport aux usages de son époque. Au IXe siècle chrétien, il avait appris que le concubinage était officiellement condamné pour les hommes mariés, même avec des esclaves, alors qu’il était tout à fait dans les mœurs de son temps. Il hésitait à poser des questions qui auraient pu offenser Christiana.
Heureusement elle lui demanda pourquoi il avait suivi le Dévoreur et sur ce point, aucune hésitation. Il s’empressa de répondre :

–Je ne trouvais guère de sens à la vie que je menais, bien que je la juge encore tout à fait inévitable. On se doit à sa cité et à sa famille, qui nous ont fait ce que nous sommes et nous devons à nos descendants de leur laisser l’héritage que nous-mêmes avons reçu. Cependant je savais que je ne pouvais être que médiocre dans le rôle médiocre que le sort m’a dévolu et que je dois jouer malgré tout de mon mieux. Nul moyen d’en sortir sans faillir à moi-même. Se connaître et se contenter de soi est la sagesse, mais je ne suis pas assez sage pour que cette sagesse ne me pèse pas.

La formule lui plut mais il n’avait pas envie de jouer au philosophe désabusé et il passa au sujet bien plus excitant du Voyage. Rien que l’idée alluma son regard et affermit sa voix:

–C’est pourquoi, quand j’ai compris la possibilité, grâce au pouvoir du Dévoreur, de mener en parallèle une autre vie, j’ai été enthousiasmé. Oui, vraiment et je le suis toujours. Je continuerai à vendre de l’huile et du vin pour le compte de ma famille tant que je le pourrai. Mon frère Lycias est souvent absent mais à peine moins que moi quand je reste bloqué dans un port pour avoir manqué les vents favorables. J’ai vu comment la connaissance de l’avenir, même très ponctuelle, permet de mieux gérer son présent. Mon frère est un Voyageur qui jongle entre ici et ailleurs et c’est grâce à lui que le Dévoreur est venu me chercher.

Démétrios eut un large sourire pour encourager Christiana à se réjouir de la chance merveilleuse qui leur était échue:

–On peut toujours justifier sa disparition quand on exerce une profession itinérante. Un voyage peut en cacher d’autres ! Tant de gens ne donnent plus de leurs nouvelles durant des mois et puis, un jour, ils débarquent et tout s’explique. Je n’ai découvert la double existence de Lycias que parce qu’il s’est arrangé pour que je m’en aperçoive. J’étais très perplexe à l’époque...La nouvelle de la mort d’Alexandre de Macédoine me semblait le signe que ma vie était sur son déclin et alors..

Il se sentit tout attendri en se remémorant ces moments et toutes les émotions ressenties. Il se revit sur la plage près de Zéa, attendant le Prince hyperboréen annoncé par la lettre de son frère. Il était dans sa chlamyde courte, coiffé du bonnet laissé par Lycias comme signe de reconnaissance et qu’il croyait encore plus ou moins magique. Et voilà que la scène se matérialisa devant ses yeux tandis que Zorvan sortait du brouillard et s’immobilisait à côté d’eux, bras croisés, le regard concentré, indéchiffrable.
Mais un effet surprenant se produisait, la machine à remonter le temps s’emballait, enchaînant les visions comme dans un rêve où le dormeur vit en accéléré de quoi remplir dix existences.

Démétrios cligne des yeux dans le soleil éblouissant. La plage s’efface dès l’apparition d’un homme sombre aux cheveux couleur de neige, haute silhouette noire qui se découpe soudain sur le ciel intense de l’Attique.

Voilà Démétrios, agité d’idées lugubres, dévalant la pente du Cap Sounion. Il est persuadé d’avoir manqué le Prince arctique promis par Lycias lors de leur dernière rencontre, voici des mois. Plus rien ne changera jamais.

Le frère "disparu" ne l’est plus. Démétrios lui montre deux objets impossibles découverts chez lui et veut des explications. Lycias promet seulement de s’arranger pour que le petit frère rencontre le Maître des prodiges.

Des porteurs d’offrandes sont arrêtés devant un tombeau tout récent. L’inscription appelle la pitié du passant pour Chrysothemis et son enfant, victimes d’une Parque insensible. Le ciel est bleu, un oiseau chante.

Des villes se succèdent, ombrées de palmiers, de platanes, de ces hauts peupliers d’Etrurie bruissant dans l’air du soir. Il est peintre à Mytilène, heureux amant à Tarquinia, s’intéresse aux Parthes barbares.

Le voici plus jeune, écoutant les maîtres disciples d’Aristote et il s’entend prononcer gravement : "la totalité est plus que la somme des parties", ce qui le rend toujours aussi perplexe. En quoi consiste ce plus ajouté ?

Perplexe aussi, l’éphèbe, discutant avec ses camarades des prouesses sanglantes du jeune roi de Macédoine. Il se débat entre fascination pour le héros conquérant et haine du tyran qui rase les villes contestataires.

Hoho! Que va penser Christiana ? La belle Thaïs dispense ses leçons très particulières à un Démétrios attentif tandis que Lycias, de son côté, teste les hétaïres aptes à compléter agréablement l’éducation du petit frère.

Il n’a plus de poil au menton et, à la palestre, il s'exerce à la lutte avec son ami Callisthène. Tous deux ont décidé d’assassiner Philippe de Macédoine et de mourir en héros. Ils ont déjà choisi leurs dernières paroles.

Théramène, son cher grand-père ! Qu’il est bon de le revoir....mais le cœur bondissant de Démétrios se glace. Le vieil homme vient de lui annoncer la mort glorieuse de son père et la défaite des phalanges athéniennes.

Démétrios ferme ses yeux où les larmes brouillent le moment inoubliable.Il ne voit pas les instants charmants de l’enfance qui se succèdent en miniatures de grandes joies et de chagrins vite oubliés.
Quand il se décide à regarder, un très petit garçon, tout bouclé blond, dort, blotti dans les bras d’une belle femme qui le regarde avec un sourire léger, heureux, paisible.
Ce n’est pas un souvenir. On ne ne se souvient pas de ce qu’on fut à un âge si tendre.
Démétrios regarde Zorvan sans rien dire car il sait que le gardien peut parfois lire les âmes. Alors il le remercie du fond du cœur pour avoir fait resurgir de l’oubli cette image de bonheur tranquille, quand l’univers se limitait au cercle tendre des bras maternels et qu’un baiser suffisait pour sécher les larmes.
Il a été cet enfant apaisé et il l’est donc encore un peu au fond de sa mémoire réveillée. Il s’accepte en entier, il est lui-même, prêt à dérouler le futur devant lui, prêt à une autre vie.












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Message  Invité Lun 25 Fév - 15:11

Christiana en conclut que Démétrios allait voyager pour donner un sens à sa vie, pour essayer de la rendre plus agréable et qu'il ne manquait pas d'ambition. Il ne voulait pas se contenter de ce qu'il avait. Elle l'écouta s'enthousiasmer sur le fait de pouvoir mener une double vie. Son but à elle, c'était déjà d'avoir une première véritable vie qu'elle allait construire de A à Z selon ses désirs. Une vraie vie avec Kyle. Mais avant il fallait le retrouver, tout lui avouer pour l'emporter avec elle

Quand Démétrios expliqua son plan, sa volonté de continuer sa vie de commerçant tout en voyageant, Christiana se demanda s'il était préférable de faire de même. De retourner au Bacchus, auprès de Jared et de voyager en douce. Il lui était difficilement concevable de remettre les pieds au Bacchus. Pas après une telle fuite et son absence. Une question lui vint subitement. Elle avait passé un certain temps dans l'antichambre de Zorvan. Mais dans la réalité, le temps s'écoulait-il de la même manière ? Était-elle absente dans la réalité pour une durée équivalente à celle passée chez Zorvan ? Le temps s'écoulait-il plus rapidement ou plus lentement ? Elle devait savoir car cela allait déterminer sa première action en sortant de l'antichambre. Si Démétrios pouvait cacher un voyage par un autre, elle ne pouvait le faire.

- Je crois qu'il sera difficile pour moi de justifier mes disparitions et mes voyages. Rien ne me permet de cacher tout cela.

Plusieurs possibilités s'offraient à Christiana. Soit elle rentrait au Bacchus et trouvait un subterfuge pour justifier une absence indéterminée, un long voyage. Soit elle gardait le club comme d'un pied à terre et ne faisait rien d'autre que voyager, laissant la gestion à Jared. Soit elle n'y retournait pas et partait tout simplement, se faisant passer pour morte. La dernière possibilité était tentante, même si elle ne répugnait pas l'idée de faire ses adieux à Jared. Après tout, c'était son frère. Mais il y avait une dernière possibilité. Rentrer au Bacchus, annoncer à Jared sa volonté de déménager, comme lui l'avait fait. Ainsi, elle aurait un nouveau pied à terre, loin du Bacchus et de son ancienne vie. Un pied à terre où elle pourrait ramener Kyle. Un pied à terre sur la côte ouest, pouvant devenir un bon cabinet médical. Il serait la première pierre de leur projet d'évasion, projet mis à mal par la guerre et son incapacité à lui avoir révélé ses sentiments. Cette dernière possibilité était parfaite à ses yeux.

Lorsqu'elle sortit de ses songes, Démétrios laissait échapper quelques derniers souvenirs. Sa vie semblait défiler à vitesse grand V sous leurs yeux. Christiana n'eut le temps de tout voir correctement, avec la même attention que lors des souvenirs précédents. Ceux-ci défilaient bien trop rapidement. Elle retint tout de même quelques détails, comme sa rencontre avec le Dévoreur, sa découverte de l'existence du voyageur en trouvant deux objets qui n'étaient pas de son temps, le tombeau de sa femme et son enfant et une conversation entre hommes, sur les actes sanglants d'un conquérant. Les souvenirs se terminèrent avec un Démétrios ému aux larmes.

Des larmes... Christiana ne put s'empêcher de songer à celles qui avait annoncé la venue du Dévoreur. Le souvenir apparut et défila à l'envers, comme tous les souvenirs du Champ des Oublis, tandis qu'elle aperçut de nouveau Zorvan, dans son coin d'observateur.
Elle était sur le parking aux voitures neuves. Là où par mégarde, elle avait été transportée par le dévoreur. Elle faisait le tour de la voiture et se vit accepter l'offre du Dévoreur. Mais plutôt que se voir entraîner vers l'antichambre, elle retrouva le pont, la nuit, la pluie et la douleur au plus profond de son âme. Elle était en voiture, avec le Dévoreur qui lui disait être là à la demande de quelqu'un. De qui ? Elle n'avait pas eu de réponse. C'était probablement la première chose qu'elle allait chercher à obtenir. Car connaître la personne qui avait envoyé le Dévoreur et qui lui avait donné l'étui à cigarette allait être un premier pas pour retrouver Kyle. L'étui à cigarette apparut dans le souvenir, entre les mains du Dévoreur. Tandis que Christiana se jetait sur le Dévoreur, le souvenir eut un sursaut. Le Dévoreur et elle étaient maintenant hors de la voiture. Il la serrait dans ses bras. Elle se libéra et finit par sortir son arme. A une vitesse incroyable, le souvenir continua pour finalement, arriver au point de départ de l'aventure. Une Christiana, seule ou pensant être seule sur le pont, en pleur, les yeux rivés vers le fleuve, la voix implorant un signe pour ne pas sauter.

Christiana ressentit de nouveau cette douleur dans son cœur. Se revoir si faible la fit sourire. Non par plaisir de se voir ainsi, mais parce qu'elle se sentit confortée dans son choix de changer de vie, voyager, retrouver Kyle.

Le souvenir se volatilisa. Elle se tourna vers Démétrios et lui offrit un premier sourire, bref et sincère.

- Je partage votre enthousiasme de voyager comme votre frère le fait déjà. Pour moi, ce ne sera pas pour mener une double vie. Mais pour me créer une vie avec ma raison de vivre. Me créer une existence en retrouvant Kyle.

Démétrios se tourna vers Zorvan alors elle fit de même. Était-ce le signe qu'ils approchaient l'un et l'autre de la fin de leurs épreuves ? Christiana débordait d'ambition. Son regard posé sur le gardien de l'antichambre était empli d'une détermination sans faille. Rien n'allait la retenir et l'empêcher d'avancer pour atteindre son but. Tout allait être bon pour y parvenir. Tout. Christiana ne comptait reculer devant rien, et ce pour son propre intérêt.

- Vous ne vous êtes pas trop ennuyé ? Demanda Christiana à Zorvan, avec... une tentative d'humour et beaucoup de désinvolte.
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Message  Zorvan Jeu 28 Fév - 23:21

Zorvan était réapparu aussi discrètement qu'il s'était volatilisé et souriait les bras croisés sur le torse en se triturant la barbe, son éternel sourire énigmatique aux lèvres. Il souriait oui, de voir ces deux futurs voyageurs à la fois si curieux et si déstabilisés devant la culture de l'autre et les différences profondes qui séparaient leurs époques respectives. L'être humain avait assez peu la faculté d'imaginer ce qui était trop éloigné de son concept raisonnable de l'existence et se choquait vite des divergences de moeurs et de coutumes entre les ethnies et a fortiori à travers les âges. Que ce fût Démétrios, Grec de la noble et fière Athènes ou Christiana, fille d'un baron de la pègre durant la prohibition, les limites du concevable restaient assez restreintes, non parce qu'ils étaient particulièrement intolérants mais plutôt parce qu'ils n'étaient pas capable de suffisamment d'abstraction pour envisager un mode de vie trop éloigné du leur. Ce constat s'était imposé à lui bien des fois en lisant simplement leurs pensées et ces deux oiseaux n'étaient pas les seuls ni les pires des voyageurs. Démétrios avait déjà voyagé et puis son séjour à Constantinople, la société des Varègues, lui avaient aussi fait mesurer, même si c'était en Aparadoxis, les écarts de valeurs d'une époque à l'autre et les variations que le temps passant imposait à la grande symphonie de la vie. Il avait aussi appréhendé la vanité de l'existence humaine au regard de l'étendue temporelle et spatiale: hier splendide et vivant, demain ruine et mort, jupes courtes, jupes longues, homme influent, puis tas d'os blanchissant au soleil d'un cimetière au bord de l'Egée. Christiana, elle, avait aussi noté la fugacité des états et les effets du temps, mais dans un microcosme : le clan Von Carter et le Bacchus. Tu es vivant et la minute d'après tu gis dans ton sang en travers de la ruelle qui longue le tripot paternel. Elle savait l'éphémère mais pas la diversité. A part Kyle, tous les hommes et femmes qu'elle avait côtoyés étaient sensiblement bâtis sur le même modèle. Et il était d'ailleurs troublant qu'elle se fût amouraché de lui précisément plutôt que d'un associé paternel imposant une image de la virilité dans l'air du temps, bien mieux que Kyle et sa médecine.

Oui, tous deux avaient tout de même cette faculté de dépasser le modèle proposé pour en "essayer" un autre, ce qui, quand on aspire à voyager à travers les époques et le temps, est un préalable pouvant se résumer en un mot: adaptation. Mais s'adapter sans renoncer à ce qu'ils étaient vraiment au fond d'eux-même ? En seraient-ils capables ? Certains voyageurs trouvaient ailleurs un mode de vie tellement plus séduisant qu'ils oubliaient d'où ils venaient et n'y revenaient jamais. D'autres, au contraire, frappés par trop d'expériences inconcevables, perdaient tout simplement la raison et se perdaient tout court. D'autres, plus rares ceux-là, jonglaient admirablement avec plusieurs vies et non pas deux comme l'envisageait humblement l'athénien. Le Dévoreur en était l'exemple le plus frappant, même si Zorvan pestait de devoir le reconnaître. Multiples identités, métiers parfois différents, statuts sociaux variés, il savait embrasser la multitude excepté en matières de femmes. Alors qu'il aurait pu en avoir pléthore, il n'en avait jamais eu qu'une seule. Choix qui n'était pas partagé, loin s'en faut, par beaucoup de voyageurs. Cela donnait parfois lieu à des poursuites et vaudevilles cocasses dans les couloirs du temps. On lui avait rapporté plusieurs guerres des cocus inter temporelles et inter spatiales. Cela avait l'avantage d'être aussi divertissant que les guerres interstellaires et tout de même moins meurtrier. Encore que ?

Que se passerait-il si Kyle, retrouvé, se montrait infidèle ? Christiana poursuivrait-elle le coeur volage à travers les couloirs de l'intemporalité? Si Démétrios, avec sa belle gueule d'ange au profil aquilin, séduisait par son exotisme moult jeunes femmes aux moeurs enflammées mais aux maris, pères et frères ombrageux ? Le gardien bascula la tête en arrière et partit d'un grand éclat de rire. Oui, vraiment qu'il s'agisse de s'adapter au mode de vie d'une époque, d'un lieu ou de faire face aux variables des caprices du temps, les deux néophytes auraient beaucoup à apprendre encore.

Ils pensaient faire des efforts louables pour comprendre la vision de l'autre sans pour autant l'embrasser. Mais finalement, très peu de temps séparait leurs deux civilisations et chacun pouvait trouver un semblant de repères dans les souvenirs de l'autre. Christiana pouvait reconnaître la mère aimante de Démétrios comme étant proche de la sienne. Démétrios pouvait voir dans les règlements de compte du Bacchus un mode de fonctionnement similaire aux trafics d'influence mise en place par les cités grecques, notamment les ports. Chacun se trouvait un peu en terrain familier chez l'autre et nul doute qu'ils puissent devenir d'agréables hôtes l'un pour l'autre mais aussi de bons compagnons de voyage. Mais qu'en serait-il de leur capacité d'adaptation, de leur instinct de survie, de leur humilité si l'écart était plus grand ?

Il s'avança et sortit de l'ombre où il était demeuré et leur parla.

- Jeunes gens... Oui mon âge canonique m'autorise largement à vous nommer ainsi... Il est temps pour vous de sortir de la matrice de l'Antichambre et de vous affranchir de ma présence. Je dois vous informer à présent que vous allez prendre une nouvelle destination, qui sera la dernière non choisie par vous. En effet, ayant analysé votre façon de passer les épreuves, j'ai choisi un lieu et une époque qui seront à même d'éprouver ce par quoi vous avez failli. Vous avez connu le luxe et le confort d'un foyer, chacun pour votre époque, le luxe et l'abondance, une relative sécurité, un raffinement, certes rustique à mes yeux, mais bien supérieur à l'endroit où je vous envoie. C'est là bas que s'achèvera votre aventure commune, et que vous choisirez de continuer votre route ensemble ou de vous séparer. Vous ne dépendrez plus de mon bon vouloir mais de celui du Dévoreur qui vous y attend, embusqué. Des épreuves, des aventures toutes plus surprenantes que les autres, des événements, des personnes, des situations déstabilisantes vous attendent là- bas. Ne dédaignez pas ce qu'elles peuvent vous apprendre pour vos voyages futurs.

Le Gardien se plaça alors entre les deux apprentis voyageurs et passa ses bras sur leurs épaules.

- Rappelez-vous: là-bas tout est inscrit en actes réels sur votre livre de vie. Vous retournez à la vie, la vraie mais rien ne sera plus comme avant et à chaque instant vos existences seront remise en jeu. C'est, lui, le Dévoreur qui décidera du moment ou le voyage se poursuivra librement pour vous. C'est lui qui vous ouvrira les portes sur la liberté de déplacement. Luttez pour vos vies, soyez combatifs, ingénieux, réfléchissez avant d'agir.

Alors, il tendit le bras et sa main aux longs doigts griffus et, tournant le poignet, il fit apparaître un vortex rouge. Il y poussa ses deux protégés sans ménagement et leur cria dans le sifflement du couloir.

- Bon voyage et n'abusez pas de la viande de mammouth, c'est assez lourd! Et sachez, mademoiselle Von Carter, que je ne m'ennuie jamais... jamais ... MOUHAHAHAHAHAHA

Les deux aventuriers se retrouvèrent alors dans le couloir froid et glacé des méandres du temps et atterrirent ...



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La plume : son rôle dans vos voyages
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