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{Achevé}Deux conceptions de la Foi en goguette à l'envers.

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Message  Zorvan Ven 24 Aoû - 23:29

Pont temporel
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Zorvan avait donc projeté Démétrios dans le Champ des Oublis ou il aurait bientôt la surprise de croiser quelques figures connues et une autre inconnue. Ici, le grec ne pouvait l'ignorer, le temps coulait à l'envers et il allait revivre toute sa rencontre avec le moine qui l'avait converti et en détail mais à contre courant. A cette occasion il se remémorerait sans doute des épisodes que Zorvan n'avait suivis que de loin car il était occupé ailleurs, par exemple le catéchisme lui-même, et les enseignements du bon moine Nestor.

[HRP]
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Message  Invité Mer 29 Aoû - 18:41

L'entrée d'un pont s'ouvrit soudain devant Démétrios, un pont indiscutable, bien qu'il consistât en une sorte de plateforme de graviers semblant ne reposer sur rien,entre des bords de métal laids et tordus. Une brume blanche avait absorbé le panorama, et tout lui sembla décalé, un autre monde, un autre instant. Il perdait conscience de son identité, du lieu où il se trouvait, sa mémoire se vidait, comme aspirée par le silence qui semblait monter de la brume.
Zorvan le poussa d'un coup sec dans le dos, du plat de la paume, le propulsant sur ce chemin ouvert à hauteur de ciel. Un froid humide le saisit aussitôt et la brusquerie du changement le fit réagir ; il se tourna vivement et vit Zorvan, campé sur la tour et la tête chenue de Nestor apparaissant en haut de l'escalier. Il les identifia sans peine, reconnut en contre-bas la cour du couvent. Et Ingmar, qui vérifiait ses armes. Mais aucun son ne venait à lui. Était-il devenu sourd ? Il fallait qu'il retrouve ses souvenirs... voyons,voyons.
Il était monté sur la tour pour voir où en était l'attaque du Dragon Rouge
Il se souvenait de l'immense rumeur du vent qui passait au dessus de la cour et d'un fracas sinistre qui montait de la côte, cris de terreur et ronflements d'incendies. Ingmar était sur une des tourelles de garde, et lui criait des paroles que le vent emportait. Mais le ton était celui de la rage et les mots perçus parlaient de désastre. Il s'est élancé pour le rejoindre. La mer brûle sous le noir orage. Des souvenirs venus de la lointaine Iliade ont remplacé ses pensées.
La vaste terre mugit et le grand ciel autour d'eux claironne.
Les dieux s'affrontent et ne s'unissent que pour dévorer les hommes qui ont osé les braver. Scènes d'effroi, sort atroce de ces fiers guerriers venus de si loin pour périr dans la mer qui les a apportés.. la Ville regarde, immobile et majestueuse derrière ses remparts qui crachent des flammes.... Figé en un instant qui semble s'éterniser, Démétrios n'est plus que stupeur horrifiée.
Les Rùs chantent , un sourd chant grondé de mort et de malheur, comme s'ils ne voulaient pas que les leurs disparaissent sans que rien de fraternel ne vienne saluer leur fin cruelle, si loin, si loin de la terre natale.
Mais Ingmar a déjà organisé les postes de défense et avant la scène tragique, la cour s'est remplie d'agitation pendant que lui, Démétrios discute avec le patriarche,debout sur le vaste perron entouré de ses moines. L'ahurissant dialogue reprend sa place dans sa mémoire.

-Nous venons aider à la défense, ces mercenaires, ces gardes et moi.

-Qui êtes-vous ? Etes-vous un Barbare païen ?

-Moi, un Barbare ? Je suis citoooooo.." Démétrios se rattrape à temps" je suis disciple de Nestor qui a dû vous parler de moi . Et où est-il, mon vénéré Maître ? Et où sont les gardes qui l'accompagnaient ? Il faut immédiatement les faire venir ici. L'ennemi est au pied des murs.

Le moine s'est adouci et son regard offusqué a quitté les mollets nus du Grec pour remonter à son visage:

-Ah, vous êtes le catéchumène de notre vénéré Nestor ! Démétrios, je crois. J'aurais dû vous reconnaître. Nestor a dit que vous portiez une sorte de.. mitre de laine, par voeu de pénitence et d'humilité. Il était épuisé et s'est décidé à prendre un repos bien mérité. Les gardes aussi..

Démétrios avait cru que son humble bonnet pénitentiel se dressait droit sur sa tête :

-Par Madinkina ! Vous êtes fous! Vous avez autorisé les gardes à aller dormir ? Vous avez vu ce qui se passe ?

-Certes, mon fils. Mais Constantinople est imprenable, l'empereur Michel va rentrer, le Patriarche fait processionner le Saint Voile de la Theodokos . Les Rùs n'ont aucune chance. Et nous, nous avons Frère Pyrophoros qui sait allumer les tubes à feu..Il nous suffira de prier. Vos...euh, mercenaires.. sont superflus. Renvoyez-les.

-Les renvoyer !!! Mais vous ne comprenez rien ! Ils veulent vos trésors, battre les assaillants, et repartir. Ils ne vous laisseront la vie sauve que si vous vous tenez tranquilles ou mieux, si vous les aidez à combattre l'enn...

Le mot se perd dans un bruit de robes froissées : tous les moines sont à genoux, les bras vers le ciel, entonnant Kyrie Eleison avec de belles voix de basse-contre qui poussent Démétrios à plus d'indulgence. Il change de tactique :

-Vous avez raison. Allez prier à votre autel pour ne pas gêner les mercenaires. Envoyez-nous les gardes de Nestor quand même. Je vous ferai rendre la phalange à la fin..
-Alleluia , mon fils ! Mais vous êtes blessé.. voulez-vous vous soigner ?

Démétrios décline l'offre. Ingmar ne songerait pas à se faire soigner, lui, car l'heure est au combat.Le patriarche fait un signe et les moines se relèvent er suivent le retrait de leur primat qui bénit Démétrios et lui dit avec onction:

-Je vais prier Sainte Pélagie, saint Michel et saint Démétrios de Thessalonique . Et vous faire envoyer des braies .

Le début de l'entretien avait montré moins de sollicitude. Démétrios était décidé à être conciliant, bien que ferme, pour que la présence des Rùs soit accepté par le Patriarche..
Mais celui-ci avait fixé les jambes nues du Grec avec un pincement des lèvres exprimant une réprobation choquée. Démétrios ne comprenait guère cette évolution des mentalités, du moins en ce qui concernait les hommes, devenus si soucieux de cacher tout de leurs corps, excepté le visage et les mains. On pouvait l'admettre pour les femmes - bien qu'il eût suffi de les cantonner dans le gynécée pour éviter les regards concupiscents, comme disait Nestor- mais en quoi montrer ses genoux pouvait -il offenser Dieu ?
Donc il a trouvé offensant l'air offensé du Patriarche et a commencé sans préambule, sans même se présenter.
Il faut dire que le spectacle de la cour a eu de quoi surprendre quand ils sortent des celliers. Rien ne semble indiquer qu'on se prépare à un siège. Les moines se tassent sur le perron, horrifiés et piaillant des ah et de oh à ce que raconte sommairement Théodoclès. Quelques-uns tombent en oraison, ce qu'approuve Démétrios énervé par ce caquètement de poules affolées. D'abord, la prière est la raison d'être des moines, ensuite, si tous se mettaient à prier, on pourrait rester entre hommes et passer à la défense du monastère.

A ce moment, sur son pont de brume, Démétrios a repris possession de son passé et de lui-même, mais la clepsydre continue à fonctionner à l'envers et la vision des celliers qu'ils ont traversés le remplit de nouveau d'une ombre de satisfaction, avec ses alignements de tonneaux bien cintrés. Quelle remarquable invention ! Quel progrès sur les amphores ! Peut-être moins élégants de ligne, mais quelle contenance ! Et ce fond plat ! Et puis on peut les faire rouler ! Essayez donc de faire rouler droit une amphore!..Il n'y avait pas un mois qu'il avait débarqué en l'an de grâce 860 et Démétrios avait totalement cédé aux attraits du Progrès, qui n'était d'ailleurs pas le progrès moral, comme le voulaient Platon et Aristote, mais le progrès technique, ce qui était certes moins beau dans l'idéal mais très excitant tout de même.
Pour entrer dans les réserves,on arrivait à une porte que Théodoclès fait ouvrir dans un tintamarre de ferraille. Démétrios, abasourdi par les vibrations métalliques, se crut revenu à l'assemblée païenne et chevelue qu'il avait traversée en compagnie d'un Zorvan ravi de retrouver des démons de sa connaissance. Tiens, où est-il, Zorviiiie ?
Eh bien, lui aussi, il secoue la tête à cause du bruit; ce qui agite ses longs cheveux et n'est pas sans rapport avec l'usage étrange que les adorateurs de Turisas faisaient de leur tignasse.. Finalement, Zorvan était peut-être un fils des Enfers.
C'est justement un souterrain qui les a conduits là
Démétrios - qui est fier de ses quatre coudées - sent derrière lui le regard d'Ingmar, venant de très haut pour descendre se poser sur sur sa nuque. Il n'avait pas ressenti cette impression depuis son enfance, quand il marchait devant son grand-père dans les étroits sentiers entre les champs de vigne. Et il se dit que le Varègue aussi devait penser à lui comme au petit Démétrios, mais sans la chaleur qui venait autrefois de la présence de son aïeul. Cependant Ingmar lui plaît. Il semble à la fois si fort, si rapide dans ses jugements, si direct, dans ses menaces comme dans ses offres. Son rire est celui d'un dieu et sa voix de tonnerre s'allie de façon désarmante à son grec hésitant.
Madinkina ! Démétrios a buté sur une pierre et le faux mouvement lui arrache un juron étouffé. Sans s'arrêter, il porte la main à sa cuisse blessée; il sent le pansement humide et regardant sa paume voit qu'elle est rougie de sang frais, ce qui l'inquiéte un peu .
Mais soudain surgit le souvenir du Varègue se penchant sur sa selle au dessus de lui, le soulevant comme un sac de noix, sans se soucier que c'est de sa main pleine de sang qu'il saisit celle du petit Grec épuisé. Démétrios regarde sa main marquée de rouge et est d'abord impressionné par la circonstance. La fraternité du sang !...le Rite est si ancien, peut-être les hommes du Nord le pratiquaient-ils aussi ? Puis il secoue cette émotion. A vrai dire, sa blessure n'est pas située noblement ; le haut de la cuisse, c'est aussi bien le bas des fesses et ce n'est vraiment pas un endroit où sceller une alliance sacrée. Cette idée l'amuse malgré la gravité du moment, car depuis qu'il est entré dans le souterrain, Démétrios est de nouveau pénétré du sentiment particulier que crée Aparadoxis, ce lieu hors de la vraie vie bien qu'en en présentant toutes les sensations. Il en tire une assurance étonnante, il se découvre entreprenant et décidé, et éprouve, au lieu du poids de l'existence ligotée dans le temps du réel, ce qu'il pourrait décrire comme l'exquise, la voluptueuse légèreté de l'être. Il se sent comme un oiseau virevoltant dans le vent, sûr de ses ailes infaillibles, jouant à vivre comme l'hirondelle à voler. Ainsi s'est-il porté en tête du groupe, les Rùs étant gênés par leur carrure et leurs lourdes armes et les autres, trop inquiets pour prendre les devants dans ce tunel étroit qui s'ouvre devant eux.

Toutes ces scènes ont passé en éclair dans sa mémoire. Ne dit-on pas qu'on revoit toute sa vie avant de mourir ? Jamais Démétrios n'avait pensé qu'on la revoyait en remontant le fil du temps.. Est-il mort pour de bon ? Il regarde de nouveau vers les remparts . Nestor s'y dresse, sa croix brandie et il anathémise des ennemis invisibles cachés par la brume . Mais une flèche en jaillit, frappe le moine en plein front et Démétrios le voit se renverser et disparaître tandis que le monastère devient transparent et s'efface. Le monde se réduit à une entrée de pont qui semble conduire au néant..mort, il doit être mort ...sa blessure.. il a perdu beaucoup de sang...Il va bientôt entendre la barque funèbre et il n'a pas un sou sur lui..
Mais une voix exaspérée retentit, venue de nulle part.

-Bouge-toi les fesses au lieu de te les tâter ! Qu'est-ce que tu attends ? Le pont ne va pas durer l'éternité !

C'est Zorvan ! Ce ne peut-être
que lui et c'est vrai que la brume gagne sur le pont.
Démétrios, traînant la jambe, se met à courir ; la brume s'ouvre devant lui puis se referme brusquement, glaciale ; il plonge, tête baissée..il ne sent plus le sol sous ses pas ..c'est la chute finale !

Eh non . Sa dernière enjambée lui fait sentir un sol ferme et couvert d'une herbe rase. La brume disparaît comme aspirée par un soleil radieux . D'ailleurs le soleil est radieux . Il est sur une colline dominant la mer, parsemée d'arbustes et de quelques oliviers. Un peu plus loin, une de ces chapelles avec un petit clocheton bulbeux comme les Chrétiens aiment à en parsemer la campagne. Il connaît cet endroit dans les environs d'Abydos. Le dromon de Thagim y a débarqué la veille et on va y rester plusieurs jours, suite à des avaries mal réparées. Thagim grondant comme un ours en colère' a donné congé aux recrues pour que, selon ses aimables propos, ils ne viennent pas ennuyer ceux qui travaillent et lui salir sur les bottes. Il a employé d'autres mots, scythes certainement, ou thraces. En tout cas Démétrios croit en avoir saisi le sens général.
Il est très heureux de se trouver en plein air mais il a une bizarre impression. Il vient de faire un rêve incroyable. Il était à Constantinople, il avait du mal à marcher, il... Attends un peu. A Abydos, il n'avait rien à la jambe et il suit Nestor en portant un panier devenu léger après le bon repas qu'ils viennent de faire..Il a dû trop boire de ce délicieux vin de Chios et s'endormir à moitié en marchant..Nestor connaît les bons fournisseurs. Le goût ne ressemble pas du tout à celui dont il se souvient. Mais il est dans le Champ des Oublis ....Nestor est encore vivant...Pauvre Nestor ! Celui-ci se retourne :

-Alors, mon fils, as- tu réfléchi ? Veux-tu recevoir le baptême et sauver ton âme ?

Démétrios aimerait bien retarder sa réponse mais il vient de discuter longuement du Péché Originel et de la confession et il n'a pas les idées claires ; le vin de Chios, sans doute..il se sent bizarrement dédoublé. Et puis ce sentiment d'avoir déjà vécu tout cela...il s'entend répondre, mais sa voix vient étrangement de derrière lui:

-Certainement , mon père. Quand vous voudrez.

Nestor a l'air un peu froissé par son ton aimablement distrait. La même voix, sa voix, répond et cette fois-ci, il est sûr de ne pas avoir ouvert la bouche, bien qu'il sache pourquoi il répond sur ce ton volontairement convaincu.

-J'ai le plus vif désir de sauver mon âme en devenant le fils de Dieu le Père.
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Message  Zorvan Sam 15 Sep - 23:00

Voici que notre Grec se retrouvait précisément au moment où il faisait voeu de conversion pour des raisons qui, si on les explore en profondeur, ne sont pas très orthodoxes mais tout de même digne de bonne foi à défaut de Foi. Et Nestor voulait bien évidemment savoir plus sur l'âme qui allait rejoindre les Fils de Dieu. Les portes du Ciel et le troupeau du Père étaient ouverts à toute âme sans distinction, disaient les textes. Mais tout de même, les serviteurs de Dieu aimaient à savoir qui gagnerait leur côté dans le service du Très Haut et c'était plus l'homme de prière curieux qui questionnait le jeune éphèbe athénien qui alternait les mollets à l'air ou les pantes fantaisistes trouvées sur les marchés de la côte. Ainsi le débat s'approfondissait mais à reculons. Le temps semblait toutefois se ralentir et se cantonner à ces prémices d'engagement, répugnant à remonter plus avant dans le cheminement de Démétrios en Aparadoxis. Ainsi, alors qu'il conversait avec Nestor, des souvenirs absorbaient l'esprit du citoyen athénien et il se voyait en famille lors de cérémonies sacrées honorant les Dieux de sa Cité, il se revoyait honorant la mémoire de son père, guerrier valeureux mort au champ de bataille dans les honneurs que , lui, Démétrios, n'avait pas pu connaître. Il revoyait sa mère, digne veuve qui retenait ses larmes alors qu'elle les avaient laissées, sans doute couler, dans le secret du gynécée. Et la voix de Nestor lui parvenait comme assourdie mais familière dans les mots qu'il avait déjà entendus.

- Quelle est la pensée la plus forte en votre coeur qui vous porte vers notre Seigneur, mon fils ?

Suivaient quelques séances avec le bon Nestor, durant lesquelles le Grec au bonnet laineux penchait la tête sur des écrits enluminés de fort belle manière, écoutant les commentaires et explications du bon moine. Il lui exposait l'amour et la fraternité de l'ordre auquel il appartenait et les oeuvres pleine de bonté que les frères dispensaient au bon peuple. Mais alors qu'il remontait le fil de sa conversion jusque à ses prémices, Démétrios finit par remarquer qu'une figure inconnue s'était invitée aux côtés de Nestor.

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Un grand moine à l'aura inquiétante et pâle comme la lune et qui gardait pour l'instant le silence. Dans tous les tableaux qu'il revivait en compagnie du moine de Constantinople alors encore en vie, se tenait la silhouette d'un homme étrange au regard de glace et qui arborait un visage énigmatique.

Zorvan, assistait à tout cela d'un air satisfait. La jonction était faite et la suite des destinées s'écrirait désormais sans son guide ou alors de loin en loin. Il allait pouvoir regagner son Antichambre jusqu'à ce que ces deux voyageurs aient accompli leur boucle spirituelle côte à côte et gagné le droit de s'aventurer dans les couloirs de l'Infini. Il savait que le Dévoreur ne manquerait pas de venir lui demander rapport sur l'avancée de ces deux- là dans le champ des Oublis, car le Grand Voyageur n'oubliait jamais ses disciples ... Disciples, comme ce terme pouvait aller diablement bien à cette entreprise de Radu Stanzas, bien qu'il s'en défendit toujours. Que pouvait-il vouloir éprouver en mettant en présence un Grec à moitié converti au christianisme et un moine déclassé par les instances papales ? Un humaniste au sens premier du terme, un aventurier explorateur, avec un mystique mettant au dessus de tout la Pureté des âmes ? Seul le savait le Dévoreur, sans doute, seuls les sursauts du temps et de l'espace . Pour l'heure, et étrangement, le bon moine Nestor se tournait indifféremment vers Démétrios et le religieux à la bure sombre et aux cheveux de neige pour leur poser à tous deux la même question.

- Mes enfants, qu'est-ce que la Foi selon vous et comment votre coeur l'expérimenta pour la première fois ?

Ainsi était apparu Ötis Albamanus, moine franciscain, dans le champ des Oublis et ainsi se tenait-il aux côtés de Nestor, moine de Constantinople la Blanche et de Démétrios de Zéa, citoyen de la Grande Athènes. Ainsi avaient-ils déjà deux questions auxquelles répondre.

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Message  Invité Mar 18 Sep - 12:20

Cherchant à comprendre comment son étrange sentiment d'ubiquité s'accordait avec le Champ des Oublis tel que l'avait défini Zorvan, Démétrios poursuivait une marche commencée de l'autre côté d'un pont devenu inexistant. Nestor, se retournant vers lui, s'arrêta comme pour donner davantage de poids à la conversation engagée ; son élève l'imita aussitôt. Sa confusion augmentait, il savait ce qu'allait demander Nestor et il s'apprêtait à lui répondre en conséquence mais avec l'impression de l'avoir déjà fait. Soudain il entendit des pas derrière lui qui se rapprochaient et, pris d'une angoisse soudaine au pressentiment de Qui arrivait, il retint le mouvement naturel qui le portait à regarder derrière lui. Au même moment, il perçut une présence toute proche, un souffle sur sa nuque ..il pensa en éclair "Mais il ne me voit pas!". Il s'attendait à un heurt, ne sentit rien physiquement mais éprouva le sentiment immédiat de la normalité du monde et de l'unité de sa personne, comme lorsqu'on se réveille en sachant tout de suite qui on est . A l'arrière-plan de sa conscience, une pensée obscure cherchait cependant le chemin de son esprit. Nestor lui demanda:

-Quelle est votre pensée la plus forte en votre cœur qui vous porte vers notre Seigneur, mon fils ?

Le moine l'avait souvent entrepris pour lui expliquer les mystères de sa religion mais rarement pour lui poser une question sur ce qu'il en pensait. Habitué aux principes socratiques du maître qui questionne, Démétrios en avait d'abord conclu que Nestor était moins un professeur de christianisme qu'une sorte d'aède lui racontant avec exaltation les beautés de la mythologie chrétienne. Toutes ces histoires merveilleuses étaient d'ailleurs fort intéressantes, et la Création du monde en sept jours l'avait fort impressionné. Il se récitait parfois ces paroles grandioses:
Au commencement, Dieu créa le Ciel et la Terre....les ténèbres couvraient l'abîme et l'esprit de Dieu planait sur les eaux.. On avait envie de prendre une lyre pour commenter la dernière formule.
La Bible de Nestor était bien plus inspirée que le vieil Hésiode, avec ses galipettes d'éléments humanisés soudainement en rut. Les deux ouvrages étaient certes d'accord sur le Chaos, mais le style biblique était autrement plus impressionnant , plus cosmogonique, plus sidéral, plus Chaotique ! Démétrios revint à la question posée. Il apprécia que Nestor ait ainsi mêlé la pensée et le cœur car s'il s'était seulement placé sur le plan de l'esprit, il aurait fallu répondre de façon dialectique. Et justement, ce n'était pas sa raison qui était touchée par la religion de Nestor.

-Evidemment ! Pensa la voix obscure au fond de son esprit, tu n'as jamais rencontré un seul homme réfléchi et éduqué qui ait cru que les dieux festoyaient réellement sur l'Olympe et que le soleil était traîné par le quadrige d'Apollon. Pas plus que tu ne peux croire à ces transubstanciations et autre Trinité. La raison veut savoir et non croire. Les chrétiens ont au moins la franchise de dire que ce sont des Mystères qu'il faut croire sans comprendre!

Démétrios trouva qu'il était dans le vrai et poursuivit sa réflexion dans le sens indiqué par ce courant souterrain qui lui semblait chuchoter en contre-point. Il ne croyait que ce qui se montrait ou se démontrait .
Quand il était enfant, il avait peur des dieux, grands comme des maisons. Leurs têtes touchaient les solives des palais quand ils se manifestaient et ils étaient tous capables de vengeances atroces, se plaisant à transformer d'innocentes filles en araignée ou en rocher, à faire dévorer de beaux jeunes gens par des chiens, à foudroyer les plus grands oliviers du domaine et à engloutir les navires, ce qui faisait s'arracher les cheveux à l'oncle Timon. Cette crainte lui tenait lieu de certitude.
Puis il y avait ces innombrables céremonies où la noble famille se devait d'assister . Dès sept ans, Démétrios dut paraître là où les petits mâles étaient admis. Il détestait les longues processions des Panathénées où les femmes et les enfants étaient placés à la fin du cortège et où il s'ennuyait, la main dans celle de sa mère pour ne pas se perdre, derrière ses soeurs qui s'amusaient à repérer les jolis garçons en pouffant derrière le pan de leur manteau. Et la fête en l'honneur des Acamantides ! Mortel !...Ce bonhomme de bronze censé représenter l'ancêtre divinisé de la tribu avec les autres statues des héros éponymes...on en avait vite fait le tour. Son père tenait à ce que tous les rites soient strictement respectés et y participait sans faillir quand il n'était pas en campagne. Il revêtait sa tenue de général et luisait comme un soleil ! Même Théramène, son cher grand-père, quand il dirigeait une des liturgies imposées par sa fortune et son sens civique, devenait alors tout raide et ennuyeux. En fait tout ce qu'il savait d'intéressant sur les dieux c'était ce qu'en racontaient les poètes et c'était plutôt amusant ou terrifiant mais en fait, on n'en voyait jamais. Tout ce qu'on lui demandait de faire pour honorer les dieux , c'était de se tenir tranquille et ne pas faire de remarques sur ce qui lui paraissait bizarre.
Plus tard, il avait compris que c'était moins les dieux que le glorieux passé et les personnages illustres de la Cité qui constituaient le fond de la croyance et sa nécessité. Pour le reste, qui ,avec un grain de bon sens, pouvait croire à ces fables ?
Mais il y avait les poètes et le théâtre des Dionysies dont il raffolait. La religion, c'était donc du civisme et de la littérature. Il était légitime de la respecter mais non d'y croire. Une fois compris cela, le fils de Démoclès et le disciple des rhéteurs, unis en sa personne d'adolescent bien élevé, avaient donc respectueusement joué le jeu. Aussi raide et solennel que Théramène, mais moins étincelant que Démoclès, l'Acamantide tint sa part dans les liturgies. Parallèlement, il s'enflammait aux épopées où l'on voyait combattre et mourir des hommes sous le regard cruel des dieux qui, mesquins,vindicatifs,soumis à leurs passions, n'avaient pour eux que de ne pas exister. Théramène avait eu une influence déterminante. En dehors des impeccables liturgies, lorsque Démétrios passa du côté des hommes, il se mit à lui raconter les amours des Olympiens avec des détails qui faisaient se plier de rire tous les garçons de la demeure familiale admis à l'écouter. N'était épargnée que l'image d'Athéna, incarnant l'esprit même de la Cité.

Quelle différence avec la religion professée par Nestor ! Il y retrouvait toute l'émotion des textes épiques, avec un sens plus poussé de la grandeur morale et du tragique de l'existence. Il n'avait jamais été conduit à réfléchir sur lui-même à partir du récit de Zeus transformé en taureau et enlevant la nymphe Europe sur son dos. Si le mythe de Léda et le cygne lui avait toujours plu, ce n'était pas pour le sens caché à y découvrir. C'était, sur des chemins qui n'avaient guère à voir avec la religion, pour ce que cette histoire suscitait de rêveries adolescentes, remplies de courbes voluptueuses et de caresses aux douceurs de plumages.
Les prières que lui avaient apprises Nestor parlaient de toute autre chose.Tout y était plus intériorisé, moins encombré de matière et de lourde humanité. Dieu ne riait pas en levant sa coupe à la réussite de ses plans. L'âme, Démétrios y avait cru tout de suite. A vrai dire, ce n'était même pas y croire. C'était le nom à donner à cette pesanteur en lui, quand il jugeait vaine la vie et plus heureuses les pierres insensibles, plus désirable le sort de l'ignorant que celui du lettré qui ne trouve pas le sens de la vie au fond de son savoir. L'âme, c'était aussi cet élan extraordinaire qui le soulevait devant le monde, et un bref instant, il était la mer et les montagnes, les plages blondes et les paisibles vallons, les vols d'hirondelles qui tournent le soir dans la lumière apaisée, les oliviers bleus et gris ployés sous le vent du large, et le ciel surtout, le ciel, si vaste, si clair, si vide.
Un soir de tristesse sans cause, il avait appris de Nestor qu'il avait raison, sitôt qu'il s'observait, d'éprouver une perpétuelle et vague insatisfaction, et, sous la certitude apprise d'être un fier Athénien, bien né, intelligent, plus doué que la plupart des autres, qu'il avait raison de se juger sans mérite, coupable d'être là et d'être lui. Et il était normal de sentir au fond de lui une marque sombre, comme on en met au front des condamnés.
Nestor avait un nom pour cette marque. Il l'appelait le péché originel et, bien que Démétrios n'ait pas saisi le rapport de sa culpabilité avec la faute du premier couple, il avait donc su qu'il était naturel de souffrir d'exister, car toute existence est incomplète et toute conscience douloureuse. L'âme venait d'ailleurs, comme le disait Platon, et pleurait d'une éternelle nostalgie. Nestor pensait connaître le moyen d' apaiser cette souffrance. Il parlait d'espérance.
Derrière son émotion à se souvenir de s'être senti enfin compris et consolable , Démétrios bougonna:

-Bof ! On te console avec de l'eau bénite et des promesses de rédemption et de vie éternelle. Moi j'ai vu des Barbares heureux de vivre et de mourir sans tant de complication. La vraie vie, c'est de descendre le Boristhène et de sentir le fleuve vous secouer comme on secoue des noix .

Mais la pensée contradictoire s'arrêta là car il se souvenait d'un mot qui revenait sans cesse dans les hymnes et les prières du bon Nestor. Amour. Et ce mot semblait avoir un sens autre que ceux qu'il connaissait et ce sens semblait conduire l'homme à se réconcilier avec lui-même.
Il répondit donc, après ce long retour sur ses premières ou récentes approches du divin et de la nature humaine :

-Mon père, je répondrai que c'est la découverte que je ne suis pas seulement un corps et une raison. Mes maîtres ont éduqué ces deux constituants de mon être, mais non une autre partie en moi, étrange et mystérieuse, que je ne sais ni comprendre ni guider. Ce doit être mon âme et je pense que je pourrai mieux m'en accommoder avec le secours de Dieu.


-Dis donc, tu ne vois pas ce type plutôt bizarre qui nous écoute depuis un moment ? Je suis très étonné ! Je ne le connais pas. D'où sort-il ? Il n' a rien à faire ici !


Démétrios se dit qu'il n'aurait pas dû boire autant de vin. Il avait de fumeuses impressions et des idées incohérentes se croisaient dans sa tête mais c'était vrai . Un homme, tout blanc, comme une statue de marbre avant d'être peinte, se tenait là, et ses yeux pâles étaient graves, calmes et attentifs. Nestor semblait ne pas trouver étrange son apparition.

-Forcément, s'il est mort. Il n'a plus de souvenirs. Plus de passé. Pauvre Nestor ! après tout, il a pu n'être que blessé, perdre connaissance. Zorvan est dans le coin. Il peut traficoter des choses...

Démétrios, impatienté par les continuelles déviations de sa pensée - il se savait facilement distrait mais à ce point ! - tenta de se concentrer sur son dialogue avec le moine. Celui-ci venait de poser une nouvelle question et très professoralement, leur demandait de définir la foi avec exemple personnel à l'appui. Démétrios se sentit en terrain de connaissance et répondit aussitôt :

-La Foi, c'est de trouver avant de chercher, c'est ne pas demander de preuves, c'est ne pas se dire Peut-être ou Je voudrais tant. C'est mettre l'objet de sa foi plus haut que tout autre certitude. Je ne l'ai ressentie que sous sa forme humaine, ce sentiment qu'on appelle la confiance. Et je n'ai jamais été absolument sûr que de deux êtres avec qui je me sentais totalement en paix.
Mais, mon père, je ne l'ai jamais expérimenté en ce qui concerne Dieu. Et pourtant je désire trouver Dieu et croire l'impossible. Mais le désir n'est pas la foi. Je n'ai que le désir de la foi. Je ne veux pas vous tromper.
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Message  Zorvan Sam 13 Oct - 13:53

Alors que Démétrios détricotait sa catéchèse peu orthodoxe Zorvan n'était pas très loin et observait le front soucieux la jonction qui allait se faire entre le moine franciscain et l'Athénien. Quelque chose n'allait pas et il le sentit immédiatement. Démétrios venait de percevoir le Français et se questionnait sur le fait qu'il n'en avait pas souvenir dans ses ... souvenirs mais Ötis, lui, semblait sans réaction aucune, comme flottant dans l'espace animé par le bon Nestor et sa cohorte, il ne paraissait pas parvenir à remonter le fil de ses souvenirs quant à sa première initiation théologique et restait coincé dans le temps recrée par Zorvan pour ses deux protégés, comme bloqué à la porte de son propre passé. Peut-être des choses trop douloureuses encore à évoquer pour l'homme de Foi. Il était trop tôt et Zorvan le comprit. Non que l'homme ne fût pas un potentiel bon candidat au voyage mais il avait encore un travail à accomplir sur lui pour accéder à ce pouvoir. Le Dévoreur serait déçu, à n'en pas douter , de devoir différer l'amorce de ce candidat prometteur mais vouloir forcer les choses pouvait avoir un effet des plus regrettable. Le Grand Voyageur avait bien stipulé qu'il fallait éviter les drames quand un citoyen se révélait défaillant et essayer autant que possible de le mettre à l'abri des aléas du temps dans un repli confortable en attendant qu'il se montre plus apte au voyage. Démétrios paraissait quant à lui, à l'aise comme un poisson dans l'eau, bien que remontant à contre courant le flot de ses "vies", celle bien vécue par le passé, et celle qu'il avait expérimentée en Aparadoxis. Un sur deux! Cinquante pour cent de réussite pour cette jonction-ci. Ce n'était pas si mal. Zorvan pensa à certains voyages dramatiques où il avait perdu le couple d'initiés en son entier et dans des conditions particulièrement horribles. Happés par le néant, il les avait vus se désagréger sous ses yeux dans d'atroces souffrances. Là Ötis allait juste dormir paisiblement et faire son cheminement intérieur pendant son sommeil.

Ce qui était fâcheux c'est qu'il devait les sortir d'ici tous les deux mais ce n'était qu'une petite manoeuvre sans complexité pour le manutentionnaire du Temps qu'il était. Il figea la scène alors que Démétrios, la bouche en coeur, expliquait à Nestor ce qu'était la Foi pour lui. Puis il ouvrit la porte pour ramener le Grec méritant là où il était avant.

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Que c'était pratique ces passerelles temporelles. Une grande invention du Dévoreur. Le peuple de Zorvan maîtrisait partiellement les voyages temporels par le biais de la spiritualité couplée à la physique moléculaire mais pas les voyages entre deux plans parallèles qui étaient infiniment plus périlleux. Le Dévoreur avait élevé l'art de s'envoyer ailleurs au rang de science et il la dominait presque parfaitement lorsque les sujets étaient réceptifs. Concernant Ötis, il décida donc de le renvoyer en Blue Hospel où il prit soin de l'endormir dans le chariot des proxénètes et figea le temps selon son bon vouloir. Il en libèrerait le flot au moment opportun. Ötis se reposait du sommeil du juste en assimilant ce qu'il venait d'expérimenter.

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