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{Achevé} Déroute au Bacchus

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{Achevé} Déroute au Bacchus Empty {Achevé} Déroute au Bacchus

Message  Invité Jeu 13 Juin - 17:46

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Huit heures plus tôt
Christiana avait quitté précipitamment l'appartement au-dessus du club, qu'elle occupait seule depuis que Jared s'était marié. Il ne passait au club que pour travailler. L'appartement au-dessus n'était plus son foyer. Il s'était fondé le sien, avec l'aide soignante qu'il avait rencontré à la fin de la guerre. Alors tout allait vite pour lui, mais tout avait ralenti pour sa petite sœur. Le ralentissement était tel qu'il fut une rupture. Celle-ci s'était manifestée soudainement, un soir.

Étonné de ne pas voir sa sœur descendre travailler et divaguer entre les clients pour montrer qu'au club tout va pour le mieux, il était monté la voir. Elle était dans son fauteuil près de la fenêtre. Il savait que ce fauteuil était de mauvaise augure. Il lui donna les clés de sa voiture pour qu'elle puisse se promener. Christiana aimait la nuit. Alors même s'il pleuvait, il la laissa sortir et conduire dans New York. S'il avait su !

Ne la voyant pas revenir au moment de fermer le club, il s'inquiéta. De la prohibition, des années mafieuses des Von Carter, il ne restait que le club, du blanchissement d'argent et de bons hommes de main, toujours utiles, toujours fidèles. Jared envoya ces hommes à la recherche de sa sœur. Il connaissait ses endroits préférés. Quelle ne fut sa surprise quand, au petit milieu de la nuit, il apprit que sa voiture avait été retrouvée durant la nuit sur le pont de l'Hudson. Portières ouvertes. Lumières allumés. La voiture fut retrouvée. Mais pas Christiana.

Jared s'en voulut aussitôt. Jamais il n'aurait imaginé que sa sœur pouvait sauter par dessus le pont. Elle, si forte. Toujours plus forte que lui, le gros bras de la famille qui avait perdu son bras lors d'une rixe pour les affaires. Il s'en voulait terriblement. Il ne pouvait pas croire que sa sœur était morte, suicidée. Il décida de ne pas rendre publique sa disparition. Il était aussi en colère. Comment ses hommes avaient-ils pu la perdre de vue ! Lui qui avait expressément demandé à ce qu'elle fut bien suivie. Quand on le questionnait sur le non retour de la patronne pour la fermeture, il répondait simplement qu'elle était en congés sur la côte ouest. Seulement, pour les employés les plus vieux du Bacchus Club, ce genre de mensonge ne prenait pas. Certains connaissaient Jared depuis sa naissance. Alors quand le filou mentait, ils le savaient. Les rumeurs coururent dans le club. Christiana, celle qui tenait la barre du club mieux que quiconque, s'était volatilisée.

Quatre heures après sa disparition, l'intégralité des employés savaient déjà. Il ne fallut que peu de temps pour que la panique s'installe. Jared faisait en sorte que les clients ne sachent rien. Avec peine. Mais il y arrivait. Des employés présents sous George Von Carter émirent l'hypothèse que sa disparition pouvait être le fruit d'une vengeance d'anciens ennemis. Après tout, la vengeance est un plat qui se mange froid. Jared accepta cette hypothèse. L'entretenu pendant la soirée auprès des employés en donnant l'ordre de ne rien dire aux clients. Mais l'un d'eux posa LA question fatidique à un serveur : où était Mademoiselle Von Carter ? Pourquoi ne s'était-elle pas vantée de ses vacances au soleil pendant que ses clients souffrent de l'automne New-yorkais ?



H+4 : la déroute est officielle
Le client venait de mettre le feu aux poudres. Chez les employés, la panique montait. Que faire ? Mentir au client ? C'était déjà le cas depuis la découverte de la voiture vide et pourtant les clients s’interrogeaient. Et ils pouvaient. La soirée était de piètre qualité, comparées à ce que Christiana faisait. Retard des artistes, un spectacle identique à celui de la veille, représentations plus courtes, annonce de la fermeture du club plus tôt pour ce soir, tension chez les serveurs, mauvaise humeur de Jared... tout montrait que quelque chose clochait.

La soirée fut un fiasco. Le bruit qui courait chez les employés circulait maintenant entre les clients. De table en table, de groupe en groupe, la rumeur évoluait. Christiana Von Carter n'était pas en vacances. Christiana Von Carter était malade. Peut-être enceinte ! Christiana Von Carter était peut-être morte... si cette dernière rumeur s'avérait vraie, cela pouvait être fatal pour le club. Jared était certes un dur à cuir au temps de la Prohibition. Mais en affaire, il n'égalait pas sa sœur.

Des clients commencèrent à protester. Ils réclamaient la qualité habituelle. Ils exigeaient de voir la patronne. Cette exigence vexa profondément Jared. Légalement, officiellement, elle n'était pas l'unique patronne. Elle cogérait avec lui. Il se sentit humilié. On pointait du doigt son incompétence et son incapacité à vivre sans sa sœur. Ce soir-là, Jared perdit les pédales, s'emporta. Sur un coup de tête, il décréta la fermeture soudaine du club, au moins deux heures avant la fin habituelle. Grossière erreur. Il aurait pu parler avec les clients. Au lieu de cela, il les rendit encore plus mécontent. La perte de quelques uns pouvait être inévitable. Chez les employés, le doute s'installa. Qu'allait-il advenir de leur emploi ?



Les femmes et les enfants d'abord ? Non ! Car elle est de retour !
La voiture était toujours là. Sur le pont. Les feux n'étaient plus allumés. Les portières étaient fermées. Christiana s'approcha du véhicule avec hâte. Elle fut ravie de revoir le Dévoreur, d'apprendre comment voyager. Mais se retrouver devant le véhicule la mit en joie. Elle pensa à sa salle de bain, des vêtements propres et dormir dans un lit douillet et chaud. Elle fut aussi rassurée de voir qu'elle était revenue la nuit de son départ. Cependant, le véhicule avait changé. Plus de lumière, portières fermées. Elle ouvrit la portière conducteur et se pencha dans l'habitacle pour essayer de la démarrer. Plus de clé.

- Il ne manquait plus que ça ! s'écria-t-elle.

Quiconque aurait trouvé la voiture avec la clé dessus aurait embarqué la voiture. Il n'y avait qu'une solution à cela : Jared avait les clés. Comment ? Simplement grâce à ses hommes. Ho ! Elle le connaissait que trop bien son frère. Il l'avait forcément fait suivre. En voyant la voiture abandonnée, ils ont du récupérer les clés. Celle-ci devait être vide d'énergie, d'où sa présence sur le pont. Cela la mit encore plus en colère. Non seulement elle allait devoir marcher pour rentrer au club parce que ses gorilles avaient récupéré les clés. Mais en plus, elle serait obligée de se montrer ainsi. Déchiquetée, déchirée, mal coiffée, fatiguée.

Puis elle remarqua Démétrios. Elle l'avait oublié. Elle était si en colère de se retrouver à pied après les aventures chez les Opolos qu'elle en avait oublié son compagnon de route. Non. Son invité ! Démétrios était son invité le temps de ce voyage. Elle lui sourit donc et présenta la voiture d'une main.

- Voici une voiture.

Tout en faisant le tour du véhicule, elle lui montra les pneus, les phares, les portières, le coffre qu'elle ne put ouvrir, l'intérieur en lui décrivant tout le tableau de bord. Démétrios reçut un cours express. Il faisait des ha et des ho, posait des questions techniques auxquelles Christiana répondait par un haussement d'épaule.

- Je vous ferais bien écouter le bruit du moteur mais ce qui me sert de frère a vraisemblablement récupéré les clés. Nous n'allons pas marcher jusqu'au club. Je ne m'en sens pas la force. Nous pourrions trouver un endroit où téléphoner à Jared. Vous découvriez aussi le télé...

Christiana cessa de parler. Démétros observait, scrutait, dévorait des yeux les lumières de New York. La nuit, la ville était lumineuse, magnifique, divine. Christiana y était habituée et n'y faisait jamais attention. Démétrios découvrir. Elle, elle redécouvrit. Quitter son temps pendant un court instant et aller durant la préhistoire lui permit de savourer une nouvelle fois sa ville. Elle était belle. Mais il n'y avait pas que cela à penser.

Christiana ouvrit la portière passager avant et plongea son nez dans le vide poche. Il était plein de papier en tout genre. Elle avait une petite idée en tête. Elle retourna vers Démétrios avec quelque chose en main. Il avait déjà vu des photographies donc ce ne fut pas une surprise. Sur la photo toute froissée et jaunie par le temps, se trouvait Christiana enfant, avec ses frères et son père. C'était avant la mort de Drew. Elle lui présenta chaque membre de sa famille et lui montra précisément le décor. C'était le salon des Von Carter, dans leur appartement privé au-dessus du club.

- Nous pouvons voyager non ? Autant en profiter. Visualisez bien le salon. Gardez la photo pour mieux le voir. Et allons-y immédiatement. Nous nous retrouverons là-bas. Même heure, même jour, mais dans le salon. Je vous y attends.

Christiana se recula, s'éloignant de Démétrios et de la voiture. Elle resta plantée au milieu de la route déserte. Ferma les yeux, se concentra et... disparut du pont. Lorsqu'elle les rouvrit, elle était dans le salon, debout sur le canapé. Petite erreur de calcul. Regarder la photo lui avait fait songer à sa manie de se mettre debout dessus pour regarder par la fenêtre. Inquiète de s'être aussi trompée de temps, elle se précipita dans sa chambre pour voir s'il y avait du changement. Rien n'avait bougé. Les vêtements de la veille de sa rencontre avec le Dévoreur trainaient toujours par terre, au pied du lit. Soulagée d'être au bon lieu et temps mais aussi d'avoir réussi le voyage, ce qui pouvait être une chance du débutant, elle retourna dans le salon pour y attendre Démétrios.
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Message  Invité Mer 19 Juin - 0:04

D'un monde à l'autre

Un mammouth chargeant, toison au vent, trompettant sa rage, ses défenses prêtes à les projeter dans les airs, c'était une vision propre à ébranler le courage des voyageurs les plus déterminés et Démétrios n'avait pas hésité à fuir, entraînant Christiana. Il avait bien cru que la chance, qui les avait accompagnés jusqu'alors, ne pourrait rien contre un tel  déchaînement de force sauvage. Ils allaient être piétinés ....et puis soudain, ce pont et le Dévoreur.
Le vacarme du monstre s'éteignit d'un coup, l'Athénien eut l'impression d'un  brusque réveil au milieu d'un cauchemar et le brouillard qui l'environna était à l'image de sa conscience remplie de confusion. Soulagement, joie et même sentiment de victoire se mêlaient aux restes de panique qui lui firent poursuivre sa course à travers le pont
Il se retrouva sur l'autre rive dans un état d'intense surexcitation. Il n'était qu'à moitié surpris de la présence du Dévoreur car le grand Voyageur  lui avait promis de revenir après l'Antichambre et il avait une confiance absolue dans les pouvoirs et la parole de cet être hors normes. S'il avait manqué cette rencontre,  cela aurait été de sa faute à lui, Démétrios, qui aurait failli à ce qu'on attendait de lui. Mais le Dévoreur était là et quand il les rejoignit, le brouillard disparut et le paysage sylvestre s'évanouit. Le contentement extrême de retrouver le magicien du temps céda devant la stupéfaction.  Le décor nocturne où il se retrouvait  défiait toute analyse, toute compréhension.
D'abord, les lumières. Partout des lumières, des tours de lumières, le ciel étoilé descendu au niveau des hommes. Des monstres passaient à toute vitesse, projetant des faisceaux éblouissants. Des ondulations multicolores chamarraient les eaux noires qu'il apercevait entre des structures dont il ne saisissait pas le sens : énormes filins aux géométries majestueuses, sol lisse et luisant d'une large voie filant vers des poternes pour géants. Et puis le bruit . Mille mammouths rugissaient, les bolides glissant sur la chaussée crissaient, sifflaient, vrombissaient, hurlaient au passage et le malheureux Grec se plaqua les mains sur les oreilles, luttant contre l'effroi devant un monde devenu fou.
Christiana lui avait bien donné quelques idées de ce qui l'attendait, de ce qu'était devenue une ville vingt deux siècles après sa belle Athènes, onze cents ans après la splendide Constantinople. Mais il avait tout interprété à son échelle. Des millions d'habitants, des voitures sans chevaux, des villes à l'assaut des nuages, l'éclair de l'orage capturé et mis au service de l'homme pour repousser les ténèbres, des boîtes parlant à travers l'espace comme les messagers des dieux... oui; il avait cru comprendre mais ce que son esprit avait saisi, ses sens refusaient maintenant de le reconnaître.
Le Dévoreur parlait à Christiana et il l'entendit à peine. Cependant cette voix grave et calme le rassura un peu et le rappela à la nécessité absolue de faire bonne figure devant ce qui était peut-être la dernière épreuve. Il laissa retomber ses mains, plissant le visage sous l'assaut du vacarme ambiant que ses compagnons ne semblaient pas remarquer. Les paroles que lui adressait maintenant leur guide passèrent également à travers son émotion sans qu'il pût vraiment les comprendre, sinon qu'elles étaient bienveillantes.
Ce fut le contact de la main du Dévoreur qui le sortit de sa stupeur, cette main même qui l'avait tiré hors de sa paisible plage de Phalère, hors de sa vie de Démétrios fils des Acamantides, hors du monde immuable qui avait été le sien. Son discours le ramena à sa situation : il était devenu un voyageur du temps ! Mais s'il n'était pas capable de s'adapter à un environnement aussi surprenant que celui-là, à quoi bon ? Autant retourner vendre de l'huile et du vin à Rome ou Massilia et rapporter du blé à Athènes en prenant soin qu'il ne soit pas charançonné. Il n'allait pas reculer maintenant.
Et puis le Dévoreur ne parlait que pour les encourager ; tout serait facile désormais pour le voyage, juste se concentrer et hop ! Plus de vortex, réservé aux seuls néophytes emportés jusqu'à la porte de l'antichambre.
Démétrios fut aussi charmé d'apprendre l'existence d'une maison d'hétaïres  tout près du Bacchus et que le Dévoreur la lui situât avec autant de précision.
La perspective de pouvoir retourner voir Zorvan lui fit également grand plaisir. Il lui apporterait un cadeau pour le remercier de lui avoir offert le mirobolant séjour en Aparadoxis et l'occasion, peut-être involontaire, de rencontrer Thorvald. Ce serait son prochain voyage, certainement , avant d'aller visiter les Vikings et les Rùs, et cette ville de Holmgard, tout juste fondée, dont le roi blond  lui avait dit qu'elle deviendrait une des merveilles de l'Europe future . Oui, oui...ce serait gigantesque, olympien !
Il suffisait de penser très fort...et il n'avait fait que cela toute sa vie, penser très fort à ce qu'il désirait, mais rien n'arrivait jamais. Il avait beau entonner les chants homériques face à l'horizon marin et se sentir transporté... jamais le navire d'Ulysse n'avait débarqué le roi d'Ithaque sur la plage où il se retrouvait, l'enthousiasme retombé, donnant des coups de pieds rageurs dans les varechs désséchés  abandonnés par les vagues.
Tiens, on pourrait peut-être aller voir qui était le vrai Ulysse ? Ou bien si l'Empereur Michel était bien venu sauver sa ville et son empire en 860. Et aussi , aller vérifier si Lycias n'avait pas inventé cette histoire de port d'Alexandrie avec un phare tout entouré de papillons venant s'y brûler les ailes..et aussi...Démétrios retint tout juste le rire de contentement qui lui venait devant cette vie extraordinaire qu'il allait vivre. Cette vie ? Ces autres vies, un bouquet, une gerbe, une forêt d'autres vies !
Son sourire béat disparut. Le Dévoreur venait de se fondre dans la nuit. Mais la joie demeura.


New-York, New-York !


Avec sa détermination habituelle, Christiana passait à l'action et comme elle était la seule à pouvoir le guider désormais, il attendit de voir comment on devait se comporter dans un lieu aussi étrange. Elle s'approcha de ce qui était finalement une voiture automobile. Celle-ci semblait dormir, au contraire de celles qui rugissaient en fonçant par intervalles sur ce qui devait être un pont colossal. Démétrios rajusta sa ceinture, brossa de la main le bas de son pantalon byzantin, quelque peu fatigué de son séjour au temps des Opolos - il faudrait aussi aller voir comme ceux-là s'en sortaient, leur révéler les bienfaits de l'exogamie et leur apporter quelques pyrites pour leur faciliter l'existence. puis Fa-Hi disparaîtrait devant leurs yeux éberlués. Voilà comment étaient peut-être nées les religions. Zeus, un Voyageur armé d'un colt un peu plus gros que celui de Christiana  ?
Ragaillardi par ce nouveau projet, le Grec fit semblant de comprendre pourquoi miss Von Carter manifestait de la mauvaise humeur en ne trouvant pas ce qu'il fallait pour réveiller la voiture. On pouvait marcher, non ? il est vrai que la ville semblait immense.
Il accueillit avec plaisir la présentation qu'elle fit du véhicule. Le traducteur avait dû recevoir de nouveaux ordres car il ajouta à l'idée exprimée :"voici une voiture", l'audition mentale d'une phrase étrangère qui se terminait par 'car' .
Car ? pensa Démétrios en imitant l'accent. "Voiture automobile "traduisit aussitôt le merveilleux appareil. Splendide ! Le traducteur était aussi professeur de langue étrangère ! Cher Zorvan ! Génial Zorvan !
"Autocinetum?"  pensa Démétrios pour le tester, mais l'objet ne lui transmit rien. Tiens, il n'aimait sans doute pas les Romains, lui non plus.  Mais non, à l'évidence, l'appareil ne traduisait logiquement que ce qui n'était pas compris de son porteur. Zorvan n'était pas favorable au gaspillage d'énergie.Et lui, Démétrios-le-Voyageur, il allait vraiment passer de bons moments avec cet instrument.
Les lettres PEPSI clignotaient sur un énorme panneau en haut d'une terrasse, loin sur la rive. Le mot à peine lu, Démétrios sut aussitôt qu'il s'agissait d'une boisson gazeuse remplie de sucre, énergisante, désaltérante, mais diététiquement déconseillée avec le hamburger-frites, mets dont le Grec ravi découvrit en même temps l'existence et la composition.
Christiana lui expliquait sommairement le fonctionnement de la voiture et il demanda ce qu'était l'essence (gas) le moteur(engine) pourquoi il fallait des clés (keys) pour la mettre en marche ( to start up) et pourquoi on n'arrêtait pas une de ces voitures qui roulaient, en demandant au conducteur de prêter ses clés pour activer le moteur. Il pourrait donner une drachme d'argent pour le service ou même son statère d'or. Non, d'après Christiana, ce n'était pas possible, mais elle avait une idée. Démétrios comprit tout de suite où elle voulait en venir quand elle lui présenta une photo ; la chambre n'était pas celle qu'il avait vue dans les souvenirs de la jeune femme mais le décor était dans le même style. Il se demanda ce qu'elle entendait par 'même heure' car à part le fait qu'il faisait nuit, il n'en avait aucune idée et les étoiles n'étaient presque pas visibles dans ce déploiement de lumières.
Il préféra ne pas plus trop poser de questions ; il savait que Christiana n'était pas pour faire traîner les choses. Et en effet, la jeune femme disparut avec à peine une vibration irisée de l'air et un whooosh discret.
Elle lui avait laissé la photo et il se concentra sur le "salon" , la pièce où la famille se réunissait, comme chez lui on le faisait ddans l'oïkos. Il hésita un peu. N'était-ce pas plutôt l'andrôn,  réservé aux réceptions des hommes, bien que Christiana enfant soit présente sur la photo ? De toutes façons, c'était au Bacchus et le Bacchus était dans une rue certainement très animée puisqu'elle comportait proche l'un de l'autre deux établissements de plaisirs, le Bacchus et cette maison de madame S..
Whoosh, fit Démétrios en disparaissant.

Erreur d'aiguillage

Il se retrouva dans ce qui était visiblement l'entrée d'un andrôn mais pas celui de la photo. Il vit deux ou trois messieurs assis à des tables et buvant en compagnie de demoiselles très ornées. Presque tous tiraient une âcre fumée de petits bâtonnets blancs Les messieurs étaient à peu près vêtus comme les hommes de la famille Von Carter mais Christiana n'avait rien des parures scintillantes et des tenues  moulantes et très courtes des dames, fardées omme des princesses égyptiennes. Et d'ailleurs pas de Christiana en ce lieu.
Personne n'avait remarqué sa présence. Il recula dans le couloir orné de draperies roses et argent, avec de jolies peintures de nymphes et de satyres qui l'éclairèrent immédiatement sur la nature de l'endroit. C'était malin ! Il s'était trompé de lieu de concentration et cette fois-ci, le Dévoreur n'était pas là pour le réorienter dans les couloirs du temps.
Il avait encore la photo du salon von Carter à la main, il fixa le centre de l'image, souhaita avec intensite être à cet endroit précis et...


s'étant pris les pieds dans le tapis à franges orné de cupidons de madame Sasha, il termina sa chute en atterrissant sur les fesses devant Christiana qui traversait la pièce.

-Me voilà. " dit piteusement le Grec. " J'ai eu un peu de mal à trouver."
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{Achevé} Déroute au Bacchus Empty Re: {Achevé} Déroute au Bacchus

Message  Invité Mer 19 Juin - 22:41

De retour dans le salon, Christiana s'installa dans son fauteuil, celui près de la fenêtre. D'habitude, ce fauteuil était le signe qu'elle n'était pas d'une très bonne humeur, qu'elle était fatiguée ou qu'elle voulait tout simplement être tranquille. Même en vivant seule au-dessus du club, elle n'était pas vraiment tranquille.
La journée, les employés montaient parfois pour s'entretenir avec elle. Jared passait aussi, toujours pour parler affaire. En soirée, lorsqu'elle s'accordait une pause, le bruit du Bacchus résonnait assez dans cet étage de l'appartement. Elle y était habituée depuis son enfance. Mais ce n'était pas pour autant agréable pour se reposer.
Heureusement, les chambres se trouvaient au dernier étage, juste sous les combles. Le bruit du club n'était qu'un murmure dans le silence de la nuit. Mais sa chambre, vide et sombre, ne lui avait jamais apporté le moindre repos. Cela s'était accentué après le départ de Jared. Son frère avait élu domicile dans une maison de banlieue, avec sa toute jeune épouse, rencontrée très peu de temps avant le mariage. Vraiment très peu.

Maintenant qu'elle était de retour, qu'elle avait ouvert les yeux sur elle-même. Sa chambre lui faisait soudainement envie. La douceur des draps, le moelleux du matelas et des oreillers, la chaleur des couvertures... cela faisait comme un appel charmeur. Un séduisant appel au sommeil. A un sommeil parsemé de rêves qui ne lui faisait plus peur. Ou du moins, pas autant qu'avant.
Le passage chez Zorvan et Blue Hospel avaient permis un grand pas dans l'acceptation des rêves qui révèlent ce qu'on cache au plus profond de soi. Mais ce n'était pas suffisant. Il allait lui falloir encore un peu de temps pour ne plus avoir peur de ce qu'elle voyait en rêve. Christiana était confiante. Le temps, maintenant, elle en pouvait jouer avec. Le défier en allant quand bon lui semblait.

Penser aux voyages dans le temps la fit sourire. Elle avait tellement d'objectifs en tête. Retrouver Kyle était le premier sur sa liste. Mais elle songeait avant tout à se faire son propre argent. Car retrouver Kyle n'allait pas être gratuit. Les gens ne parlent pas facilement. Un petit billet et un petit avantage aident toujours à délier les langues.
Sa premier tâche était donc de gagner de l'argent sans passer par les caisses du Bacchus, sans que Jared ne remarque rien. Pour cela, elle envisageait divers petits trafics à l'ancienne, comme ceux de la Prohibition. Après tout, elle avait appris les mathématiques dans les livres de compte du Bacchus et du speakeasy. Elle avait grandit dans le trafic d'alcool et le blanchiment d'argent. Elle avait eu le nez tôt dans les affaires.
En tête de liste des trafics, il y avait l'or. De ce précieux métal, elle pouvait en trouver à toutes époques, ou presque. Ce n'étaient pas les Opolos qui allaient lui en fournir. Mais dès l'antiquité, Christiana savait qu'elle allait trouver son petit métal doré bien coûteux.

Un frisson la sortit de ses songes. Alors qu'elle se leva pour se prendre une petite laine, Démétrios apparut dans le salon et... sur les fesses.

- C'est votre lot, de tomber sur les fesses à chaque arrivée ? Railla-t-elle en s'arrêtant devant lui. Aller, venez avec moi, ajouta-t-elle en lui proposant une main pour l'aider à se relever. Allons nous rendre présentable. Du moins pour moi. Et un peu plus dans l'époque pour vous. Je pense que des habits de mon frère Drew devraient vous convenir. Vous semblez de même carrure. Enfin, pour ce que je me souviens de Drew...

Un Démétrios sur pieds fut un Démétrios vite embarqué à l'étage supérieur, vers les chambres et la salle de bain. Christiana lui proposa de se rafraîchir. Elle lui montra comment fonctionnaient les robinets et comment régler l'eau chaude et l'eau froide.

- Je vais vous chercher des habits confortables et aussi quelque chose pour la nuit. Drew portait des chemises de nuit pour homme. Je vais vous apporter diverses choses.

Christiana fit tous les placards. Ceux de Drew, restés intacts après sa mort, tels des autels comme ce fut le cas avec les affaires de leur mère dans le grenier. Elle alla aussi chercher dans les placards de Kyle. Puis elle réapparut dans la salle de bain, les bras chargés de pantalons, de chemise, de T-shirt militaires portant l'inscription « Air Corps Gunnery School » -T-shirt récupérés par Kyle elle ne savait où-, de chaussettes et de cardigan. Elle posa le tout sur le fauteuil à côté de la baignoire. Puis, ne sachant pas ce que Démétrios pouvait porter à son époque, elle préféra passer un à un les vêtements en revue. Sous le nez de Démétrios, accompagnés d'une explication sur la manière et l'avantage qu'il y avait à les porter, les vêtements défilaient. Quand ce fut le tour des slips, Christiana hésita et passa vite fait sur ce sous-vêtement.

- Je vous laisse tranquille le temps de vous rafraîchir et vous rendre... hmm... moderne. Je vais faire de même. Après, je serai dans le salon. Je ne doute pas que vous saurez retrouver votre chemin.

Christiana ferma la porte de la salle de bain derrière elle et alla dans sa chambre. Elle s'enferma et considéra les lieux plus en détail. A son retour, elle avait juste vérifié que ses vêtements étaient toujours au sol. Maintenant, elle put les ramasser. Enfin, elle aurait pu. Au lieu de cela, elle traversa sa chambre et alla dans sa salle de bain privée. Petit avantage pour une fille dans une famille d'homme ! Papa Von Carter voulait que sa fille puisse s'adonner à des coquetteries et l'avait installé dès son plus jeune âge. Même s'il avait su qu'elle deviendrait ainsi, peu enclin aux défilés devant miroir, il lui aurait laissé cette chambre aux commodités et douche privées. Après tout, elle était sa princesse.
Christiana s'accorda un bain rapide. Elle avait un invité, elle ne pouvait se permettre de rester longtemps dans l'eau. Ce n'était pas non plus dans ses habitudes. Mais ces trois jours chez les Opolos lui donnaient envie de prolonger ce moment qu'elle trouva fort plaisant. Invité d'abord ! A peine fut-elle propre, débarrassée de la terre, de la poussière et de l'odeur de crasse, elle quitta son bain, enfila des sous-vêtements propres, ce qui la ravit au plus haut point, une robe en coton épais se fermant devant avec des boutons ainsi qu'un gilet en laine. Une fois les pieds dans des pantoufles, elle quitta son antre pour retourner au salon pour voir si Démétrios y était. Il n'y était pas encore. Elle préféra le laisser tranquille. Il avait peut-être aussi besoin d'un moment à lui. Alors elle fit un saut en cuisine.

Elle ouvrit son réfrigérateur flambant neuf acheté par Jared chez Servel avant son départ, l'ancien ayant eu une panne irréparable d'après le réparateur. Comme toujours, il était remplis de plats du Bacchus. Christiana en mangeait que cela. Elle ne cuisinait pas, elle ne savait même pas faire cuire un œuf. Le service traiteur du Bacchus lui laissait toujours une petite part et venait de lui-même remplir son réfrigérateur.
Christiana sortit deux bouteilles de verre. L'une remplie de Coca-Cola et l'autre de limonade. Elle s'empara aussi d'un saladier de spaghettis bolognaise, de mini-burger parfois proposés en hors-d’œuvre au Bacchus et deux coupes de mousse au chocolat. Elle laissa tout en plan sur la table, sauf une mousse, qu'elle embarqua avec elle au salon.
Démétrios s'y trouvait. Il semblait un peu perdu. Habillé, certes de travers, mais perdu, scrutant tous les objets présents.

- Souhaitez-vous manger tout en explorant les lieux ? Lui demanda-t-elle en brandissant la coupe de mousse au chocolat. Je vous expliquerai l'utilisation de chaque objet que vous pointerez du doigt. Je vous ferai essayer ce qui pourra l'être.
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{Achevé} Déroute au Bacchus Empty Re: {Achevé} Déroute au Bacchus

Message  Invité Mer 26 Juin - 0:54

La remarque de Christiana lui avait rappelé qu’en effet c’était la deuxième fois qu’elle le voyait projeté par le souffle du temps pour une arrivée sans noblesse sur le terrain de ses futurs exploits.
Mais il s’en amusa lui-même en se souvenant que le premier geste de Zorvan à son égard avait été de le faire tomber d’une bourrade bien sentie sur le sol vitreux de l’Antichambre. Peut-être fallait-il y voir en effet un moyen symbolique de doucher son enthousiasme et de lui rappeler qu’on ne cabriole pas dans le temps sans en payer les conséquences. Ce n’est pas parce qu’il était voyageur temporel qu’il allait échapper aux lois de la gravitation universelle. Il prit donc la raillerie avec philosophie mais ignora la main tendue.  Il avait été un bon gymnaste et un lutteur estimé à la palestre et il restait souple, ne négligeant pas les exercices physiques, en citoyen d’une cité où l’histoire se datait en Olympiades.
En plus, et bien qu’il ait modifié son estimation de l’infériorité naturelle de la femme, surtout lorsqu’elle peut agiter un petit objet nommé colt, il n’en était pas arrivé jusqu’à trouver normal qu’une représentante du sexe faible l’aidât à se relever. Il risquait surtout de la déséquilibrer en prenant appui sur ce bras maigrelet. Cette pensée l’amusa mais, vertueusement, il ne céda pas à la tentation d’envoyer le petit bout de femme insolente valser à son tour sur le bois luisant des parquets du Bacchus. Chez lui les belles femmes étaient grandes, avait un port de déesse, et elles baissaient cependant les yeux devant les hommes. Les temps avaient beau changer, une femme restait une femme et un homme .. et bien .. restait un homme.
Satisfait de cette vérité éternelle, il se remit donc debout lestement et accepta par contre avec plaisir la proposition de changer de vêtements. Il avait remarqué sur les photos et dans le salon des habitués de madame Sasha que  si les dames pouvaient être vêtues de tissus colorés et chatoyants, les messieurs portaient des costumes ternes et assez stéréotypés. Des vestes ajustées, des pantalons sobres - peut-être montaient-ils beaucoup à cheval malgré leurs automobiles ? Le pantalon était à son époque caractéristique des Scythes et autres peuples cavaliers du Nord et de l’Est. Les Varègues, autres bons cavaliers, dix siècles plus tard, engainaient aussi leurs jambes de ce vêtement pratique. Démétrios se souvint d’Ingmar sur son immense cheval et de la fière allure de Thorvald paraissant en libérateur devant le monastère assiégé. Il faudrait qu’il se trouve un parchemin et calame pour noter ces souvenirs et ceux qu’il allait engranger ici, plus tard et ailleurs.
Ainsi pensait-il en suivant la jeune femme à l’étage .
L’escalier était... juste un escalier. On ne semblait pas en avoir amélioré le principe au cours des siècles bien que, comme dans tout ce qui l’entourait, tout se fût compliqué, diversifié, en utilisant une multitude de matériaux, la,plupart inconnus, tous travaillés, ajustés, à la fois très perfectionnés mais aussi, pour une maison de nobles et puissants commerçants comme les propriétaires du Bacchus, manquant de signes visibles de richesse. Pas de colonnes et de statues, de peintures racontant des histoires, d’esclaves se hâtant pour exécuter les ordres des maîtres. Il se sentit très étranger à une demeure sans cris, sans agitation domestique.
On entra dans une petite pièce qui fut présentée comme la salle de bains. Les bains dans la luxueuse demeure de l’oncle Timon étaient vastes, collectifs et s’ils n’avaient pas la sophistication romaine, ils comportaient un souci du decorum qui manquait ici. Une baignoire où il serait difficile de se faire laver même par un seul petit esclave, pas d’espace pour déambuler, se faire servir des fruits, du vin, en compagnie des commensaux. Une seule chaise, des céramiques unies..un plafond bas, aucune noble perspective sur une cour intérieure. Mais il y avait un miroir extraordinaire, brillant comme du mercure et Démétrios se regarda avec stupéfaction. De quel métal pouvait-on obtenir ce poli parfait ? Autre surprise : Christiana fit jaillir l’eau en tournant de simples boutons. Puis elle sortit, sans doute pour chercher des serviteurs qui lui procureraient de quoi se changer.
Resté seul, Démétrios n’osa rien toucher. Il craignait surtout d’enfreindre des tabous. De jolis flacons de cristal taillé retinrent son attention. L’abondance du verre dans l’architecture l’avait déjà surpris et ce n’était pas la moindre des merveilles que l’on ait réussi à en tirer ces immenses plaques si fines et transparentes alors que même à Constantinople, on ne connaissait qu’un verre épais et coloré en petites surfaces.

Christiana revint d’ailleurs, seule et portant elle-même les vêtements qu’elle était allé chercher. Mais peut-être ne voulait-elle pas qu’on le voit en cette tenue négligée ?
Démétrios fut invité à découvrir l’usage des différentes pièces d’habillement et admira le nombre de coutures, les boutons et les zips. Il y avait encore là une complication extrême et une multiplication des objets qui commençaient à lui donner une sorte de malaise. Tant de choses dans si peu d'espace. Il étouffait un peu dans la petite salle.et fut déçu que Christiana le quitte à nouveau . Elle aurait pu l’aider comme Nausicaa et ses compagnes aident  le malheureux Ulysse découvert nu et couvert d’écume et de sel. Il est dit qu’il se lave et se frotte d’huile seul ,pour ne pas effrayer les jeunes filles mais enfin elles demeurent auprès de lui et ils échangent des propos aimables et courtois.
Christiana était rentrée chez elle, dans sa famille et lui...Il se sentit brusquement perdu dans le temps . Plus rien ne serait jamais familier. S’il rentrait chez lui, il ne pourrait s’empêcher de penser que, dans l’avenir et le passé, existaient d’autres Démétrios et qu’aucun n’était plus totalement lui-même. cette multiplication lui donnait le vertige. Il pouvait à tous moments  se concentrer très fort sur le péristyle de la villa de Mégare, qui avait été la maison de son grand-père et de son père. Sa mère devait y filer la laine, entourée de ses servantes, en le croyant à Alexandrie. Il sentit un petit flou s’insinuer dans son esprit et se rattrapa à temps.
Non. Il avait dit à Christiana qu’il visiterait New-York et il le ferait. Il devait revoir Lycias son frère  qui voyageait au temps des photos. Et aussi, il fallait retrouver le Dévoreur qui  avait laissé ses nouveaux voyageurs à eux-mêmes mais qui n'avait pas tout dit. On ne se donne pas tout ce mal pour lancer des voyageurs sur les routes du temps sans avoir un projet. Démétrios  ne voulait pas partir d'ici sans avoir de quoi remplir la page marquée New-York Octobre 1945.
Mélancolique, un peu inquiet, il enleva son costume byzantin et trouva qu’il puait comme un bouc, ce qui le sortit  de son marasme. Il  retira ses quelques objets personnels, dont le traducteur. Regardant la baignoire, il l’imagina remplie d’une eau relaxante, pensa à son grand-père qui trouvait qu’on utilisait trop d’eau chaude au gymnase et qu’un vrai  homme se baigne dans l’eau froide. Les robinets tournèrent, l’eau jaillit. Puis il vit un flacon avec une inscription et hésita . " Bain moussant de Guerlain, parfumeur, Paris" lui suggéra le traducteur qui traduisait aussi quand on lisait. Moussant ? Comme le savon d’huile et de natron de chez lui ?

Cinq minutes plus tard, Démétrios dans la mousse débordant de la baignoire, car il s’en était largement frotté, se parfumait au Shalimar de Guerlain, essayait de se raser avec du dentifrice et un rasoir mécanique que la prévoyante Christiana avait apporté avec les vêtements et quelques objets de toilette dont elle avait brièvement indiqué l’usage.
Il se sentait confortable et s’étala autant qu’il le pouvait. A l’autre bout de la baignoire, ses pieds ressortaient de la mousse, orteils complaisamment écartés, signe du bien-être qui l’envahissait. Il ne se souvenait plus très bien à quoi  devait servir une petite brosse verte avec un manche. Il hésita à se la passer entre les doigts de pieds ou derrière les oreilles puis il lut "Colgate"  gravé sur  l'objet et le traducteur traduisit seulement par Colgate, ce qui déçut Démétrios qui ne savait pas que l'appareil  commençait à économiser ses piles. Mais comme il était bien dans cette eau chaude (pardon, Grand-Père...)
Le baigneur trouva cependant que le  petit globe lumineux, collé au plafond et resté allumé, lui blessait les yeux et se dit qu’il fallait certainement l’éteindre en le tournant comme les robinets. Debout dans la baignoire, il  tendit une main dégoulinante vers le spot mais au dernier moment il renonça. Vu la taille de Christiana, elle n’aurait pu atteindre l’objet et donc il fallait chercher ailleurs. Ignorant qu’il venait d’éviter un scandale "Un inconnu s’électrocute dans la salle de  bains de Christina Von Carter.  Crime ou  Accident ?" , Démétrios sentit qu’il allait s’endormir et que Christiana l’attendait. Il fallait se sortir et s’habiller.

Ses chevaux mouillés bouclaient et pour achever leur séchage, il ne remit pas son bonnet, choisit un pantalon gris foncé, un Tshirt blanc, renonça à la chemise à cause des boutons et du col étrangleur, enfila  un sweater bleu avec des manches cousues, ce qui nécessita un peu de gymnastique, oublia le slip, trouva que le pantalon grattait, l’enleva, mit le slip dont la forme anatomique et les découpes lui parurent extrêmement sophistiquées mais d'une utilité indéniable quand on renonce au pantalon byzantin en douce soie et au chiton toujours flottant.
Il découvrit les poches intérieures avec d’autant plus de joie qu’il y en avait un peu partout et il y répartit ses possessions, dont son traducteur qu’il décida d’appeler Logos. Au fond de lui, il n’était pas tout à fait sûr qu’il n’y ait pas un esprit enfermé dans la boîte, un petit démon, apprivoisé par Zorvan et dont il fallait ménager la susceptibilité. Une petite lampe s’y était allumée. Il se souvint que le Dévoreur avait parlé de précautions à prendre.
Il trouva à quelle partie de son corps devaient s’adapter les chaussettes, apprécia leur toucher agréable, bien qu'un peu difficiles à enfiler, se demanda s’il fallait assortir les couleurs, lavande et jaune pâle par exemple, et finalement se décida pour la simplicité monochrome.  En bon Grec, qui a toujours marché sans chaussures dans une maison, s'estimant convenable, il se dirigea vers l’escalier sans remettre ses sandales.

Christiana n’était pas au salon et le voyageur observa un peu les lieux. Il éliminait les objets dont la fonction était évidente même si les formes étaient insolites, s'arrêtant sur d'autres plus mystérieux, quand sur une table basse, il repéra ce qu'il ne savait pas être des journaux. Ses premières pages imprimées le stupéfièrent. Ces parchemins, si fins, si légers, et toutes ces colonnes de mots ! L'en-tête, écrit en lettres d’une extrême complication, fut traduit : Les Temps de New-York .  The New-York Times, prononça Logos gravement.
Démétrios allait tenter de lire la suite quand Christiana réapparut et annonça qu’ils allaient visiter le Bacchus. Tout en lui tendant une coupe remplie d’une substance à la couleur des plus suspectes elle lui demanda s’il voulait manger. On ne refuse pas la nourriture que propose un hôte. De la substance sortait une tige de métal et ne sachant qu’en faire, Démétrios l’ignora, il trempa donc son index dans la coupe et le lécha prudemment. C’était sucré,totalement nouveau et délicieux.
Il posa donc sa première question, replongeant le doigt pour un second service :

- C’est divin ! qu’est-ce que c’est ?
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Message  Invité Ven 28 Juin - 21:56

Explorations culinaires

Christiana fut satisfaite de voir que Démétrios goutait goulûment à la [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]. Du salon, ils pouvaient entendre le bruit de fin de soirée du Bacchus. Un bruit que Christiana aimait et détestait à la fois. Elle l'aimait car cela voulait dire qu'elle se retrouverait enfin seule. Tranquille. Mais c'était aussi cette solitude qui lui faisait détester les fins de soirées. Elle l'ignorait avant d'avoir rencontré Zorvan et d'avoir ausculté ses rêves et souvenirs. Elle n'aimait pas tant que cela la solitude imposée par le Bacchus et par Jared qui avait déménagé. Cependant, ce soir-là, elle ne serait pas seule. Le bruit cessait peu à peu et la solitude ne venait pas. Démétrios était là. Elle oubliait même Jared ! Elle avait omis de lui rendre visite pour le rassurer. Elle savait qu'il l'avait fait suivre, qu'il devait s'inquiéter. Cependant, cela lui était totalement sorti de la tête. La colère face à l'absence de clé s'était envolée avec l'idée d'aller le voir après s'être habillée de façon présentable et après avoir rendu Démétrios plus... passe-partout. Le bain et la curiosité de Démétrios lui faisaient penser à tout sauf à aller voir Jared et leurs employés. Elle songeait notamment à faire découvrir tout ce qu'elle pouvait à son invité.

Premier succès : la découverte de la salle de bain et des vêtements du XX° siècle. Elle observa Démétrios pendant qu'il dévorait sa mousse au chocolat du bout d'un doigt. Il ne s'était pas emmêlé les pinceaux. Le slip était bien sous le pantalon.

- C'est de la mousse au chocolat, répondit-elle. Vous avez une cuillère pour manger sans vous salir les mains. A mon époque, il est coutume de manger avec les couverts. C'est plus... comment dire... Cela fait bien élevé.

Christiana avait songé à « plus civilisé ». Démétrios était civilisé. Pour son époque. Elle lui montra alors comment faire en prenant sa propre cuillère et en mangeant un peu de sa mousse au chocolat. Elle lui expliqua qu'il ne prenait ainsi aucun risque avec les tâches, que ce soit sur ses vêtements ou sur le mobilier, en laissant traîner un doigt sale. Elle lui révéla aussi que la mousse au chocolat est un dessert. Qu'elle est mangée en dernier lors des repas. Cependant, elle lui dévoila qu'après les épreuves auxquelles ils avaient dû faire face, elle se moquait de l'ordre des plats et voulait se faire plaisir. La mousse au chocolat devenait donc primordiale !

Silencieusement, ils terminèrent leur mousse au chocolat. Plutôt rapidement. Démétrios prit l'initiative de saucer la coupe avec le doigt, oubliant les recommandations de bonne tenue de Christiana. Elle laissa passer cette faute. Enfant, elle faisait de même. Alors le sourire aux lèvres, elle l'imita. Quel relâchement pour la sévère Christiana !

Une fois la vaisselle manuelle terminée, Christiana récupéra les coupes et les rapporta en cuisine, invitant Démétrios à la suivre. Le voilà maintenant dans l'antre de la cuisinière, de la femme ! Sauf de Christiana. Réfrigérateur, cuisinière, hachoir à viande manuel... Un placard mal fermé dévoilait un aspirateur Hoover. Par terre, dans un coin de la pièce, se trouvait une[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]. Christiana ouvrit un grand placard. Sur l'une des étagères, [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] et elle prit une bouteille. D'un tiroir, elle sortit une boîte rectangulaire et très longue. Elle l'ouvrit et dégagea un rouleau de cellophane. Sur la table, à côté d'un stylo à bille et d'un bloc-notes sur lequel une liste de courses avait été commencée, se trouvaient les plats qu'elle avait pris dans le réfrigérateur avec les mousses au chocolat. Elle couvrit chaque plat du film transparent. Elle expliqua à Démétrios qu'il s'agissait de Cellophane et lui dévoila que cela préservait les aliments. Elle rangea les plats, préalablement présentés et détaillés à son invité, dans le réfrigérateur ainsi que la bouteille de soda, pour une consommation ultérieure.

- Cette nuit, si vous avez faim, vous ouvrez le réfrigérateur et prenez ce qui vous fait envie. Pas besoin de me demander l'autorisation. Vous êtes comme chez vous ici. Un peu de soda ? Demanda-t-elle en décapsulant la bouteille de Coca-Cola, délaissant finalement celle de limonade, qui avait fait un retour au frais.

Observation de l'Antre d'une femme par un homme d'un autre temps

Elle en servit un verre à Démétrios et un pour elle. Puis, elle mit la bouteille vide dans la caisse, avec les autres. Comment Démétrios allait-il réagir face aux fines bulles du Coca-Cola et à son goût de noix de kola. Christiana en buvait peu. Mais Jared adorait cela, alors son réfrigérateur et son placard en regorgeait toujours. Démétrios restait dans le sucré, pour ses découvertes culinaires. Christiana ne voulait pas trop lui en montrer. Ils étaient à peine arrivés. Elle voulait plutôt le faire manger lors d'un vrai et bon repas au Bacchus. Dans l'ambiance du club. Son traiteur était excellent. Elle était piètre cuisinière. La raison était plus que valable pour faire patienter la curiosité de l'estomac de son invité. Ou son invité tout court !
Pour faire passer au mieux l'attente des découvertes culinaires, Christiana proposa à Démétrios de poser toutes les questions qui lui passaient par la tête. La cuisine allait être son premier centre d'exploration. Le réfrigérateur et la cuisinière furent les premières victimes de la curiosité de Démétrios. Christiana ne pouvait pas répondre techniquement. Mais pour ce qui était de l'usage de ces objets, elle put éclairer le Grec. Il fut stupéfait par la flamme bleue formée par le gaz  de la cuisinière et par le froid qui se dégageait du réfrigérateur. L'un cuisait sans feu et l'autre conservait sans sel.
Puis, après que Démétrios ait terminé d'écarquiller les yeux devant les deux objets, manquant de les faire sortir de leur orbite, Christiana lui montra les couverts. Fourchettes, couteaux, cuillères de toutes sortes. L'argenterie était la troisième victime de Démétrios, qui voulut à tout prix les essayer. Christiana lui demanda de se servir lui-même dans le réfrigérateur, de choisir le plat de son choix, afin de tester l'argenterie. Une épreuve ! Il allait devoir affronter le réfrigérateur. Ouvrir la porte n'avait rien de laborieux, mais Démétrios le faisait avec délicatesse, probablement de peur de casser quelque chose. Christiana se dit qu'elle n'avait jamais fait preuve de douceur avec son appareil électroménager. La porte, elle la fermait parfois avec le pied ou un coup de hanche.
Le plat choisi par Démétrios fut un steak et les spaghettis. Le couteau, il connaissait. Alors elle lui montra comment manger proprement, avec couteau et fourchette.

- En mangeant ainsi, vous passerez inaperçu demain soir, quand vous assisterez à une soirée au Bacchus avec moi. Pour cette nuit, c'est trop tard. Vous entendez ? Il n'y a plus de bruit de fond. Il n'y a plus que le silence. Le club vient de fermer. D'ailleurs...

Elle regarda l'heure affichée par le carillon, lui aussi passé sous l’œil novice de Démétrios. Il devait rester encore deux heures avant la fermeture habituelle. Pourquoi cette avance sur la fin de la soirée ? Christiana fronça les sourcils. Les affaires lui revenaient en tête. Que faisait donc Jared ? Elle songeait à descendre pour voir ce qu'il se passait mais Démétrios la sortit de ses songes en faisant tomber la fourchette par terre. Elle reporta son attention sur lui et le convia à la suivre au salon, celui-ci n'ayant plus de question dans la cuisine. Du moins pour cette heure tardive.

Tous les bruits New-yorkais ne sont pas désagréables

Au salon, Démétrios commença aussitôt avec le journal. Christiana lui expliqua qu'il s'agissait des nouvelles du jours.

- Chaque jour, il y a des publications afin de tenir les habitants au courant des nouvelles. Jamais très bonnes en général. Celui que vous tenez date d'aujourd'hui. Enfin, d'il y a trois jours pour nous. Du jour de mon départ. La Une n'est pas joyeuse, cela parle de la guerre. Encore.

Démétrios voulut en savoir plus sur cette guerre, mais le visage de Christiana se ferma aussitôt. La dureté qu'il avait vue lors de leur rencontre refaisait surface. Elle refusa catégoriquement d'en parler. D'évoquer le sujet ou simplement d'y faire allusion. La guerre... elle lui avait pris Kyle. De sombres pensées revenaient dans son esprit. Son erreur de le repousser, de le laisser partir. À penser à Kyle, elle remarqua que Démétrios portait un de ses pantalons. La froideur de son regard sur Démétrios face à l'interrogation que se dégageait du visage du Grec fit comprendre à Christiana qu'il fallait vite changer de sujet et orienter le regard interrogateur de Démétrios sur autre chose. La sensation de pincement qui se formait en elle chaque fois qu'elle pensait à Kyle éveilla la fatigue qu'elle avait accumulée pendant ces trois jours d'épreuve.

Elle s'assit donc dans son fauteuil près de la fenêtre et mit le gramophone en marche. Une [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] s'éleva dans le salon. Démétrios allait parler mais Christiana mit un index sur sa bouche et lui fit signe de tendre l'oreille pour lui faire comprendre de se taire et d'écouter. Près de trois minutes plus tard, elle releva la tête de lecture et écouta les commentaires de Démétrios. Les questions d'abord. Comment les voix pouvaient sortir du disque si plat et si noir.

- Je ne sais pas, répondit Christiana. J'ignore comment les disques sont fabriqués et les voix enregistrées. Mais avec le gramophone, il est possible de les écouter. On peut tout enregistrer sur un de ces disques noirs. Chansons, comme vous venez d'entendre, conversations, bruits en tout genre.

Christiana changea le disque et mit un nouveau. Toujours les [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]. Démétrios s'approcha pour voir l'objet fonctionner. À côté, jeté négligemment sur le guéridon, un paquet de [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] de Jared et des [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien].

Tout d'un coup, la porte de l'escalier conduisant au club s'ouvrit violemment. Christiana sursauta. Démétrios se mit sur ses gardes. Aussitôt, la jeune femme se précipita vers un petit secrétaire et en sortit un colt. Petit comme celui que Démétrios avait vu. Mais noir. Elle le pointa vers la porte du salon menant au palier de l'escalier. La porte du salon s'ouvrit tout aussi fortement que celle de l'escalier. Fusil en main, Jared apparut.

- Jared ! Ne me refais plus une frayeur pareil ! S'écria la jeune femme en jetant le colt désarmé sur le secrétaire.

- Christiana ! S'exclama Jared en baissant son fusil, qu'il releva aussitôt en le pointant sur Démétrios. Vous êtes qui vous ? Et la voiture sur le pont ? P'tain vous êtes qui vous ? Tiana, C'est qui lui ?

Christiana allait répondre Démétrios. Mais... comment présenter Démétrios à Jared sans éveiller le moindre soupçon suite à la révélation d'un nom peu commun...
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Message  Invité Mer 10 Juil - 11:21

Démétrios connaissait  la cuillère, mais en bois, et cette dernière d'usage très restreint, compte tenu des habitudes alimentaires de son temps. Il sortit la jolie cuillère métallique ouvragée de ce qui restait de la coupe crémeuse et nota qu’un souci de décorum présidait au repas même le plus simple. Ce signe de civilisation le mit à l'aise.  La frugalité, vertu attique aussi bien que spartiate, s'accommodait néanmoins de rites et règles destinés à conférer aux repas leur pleine valeur de promesse de paix entre les hommes et d'hommage aux dieux, dispensateurs de vie. L'Athénien avait voyagé en son temps et observé la variété des coutumes, certes en étant persuadé globalement de la supériorité de celles de son peuple. Mais il avait aimé la subtilité souriante des Etrusques ou la fière rudesse scythe. Son séjour dans l'Antichambre l'avait préparé à tout en matière d'usages et il en ressortait bien décidé à ne se formaliser de rien.
En effet, Zorvan, dans sa grande prévoyance, grâce à Aparadoxis l'avait transporté  en l'an 860 et ainsi lui avait procuré une halte intermédiaire dans la marche du temps. Il avait découvert le Progrès lié à l'évolution des sociétés, progrès des connaissances et des techniques sinon de la morale et de la sagesse humaine. Démétrios était sûr que Zorvan avait calculé le choix de cette période pour l'acclimater à sa rencontre avec le futur. Le Gardien s'était sans doute inspiré de l'évocation que le Dévoreur avait faite des Varègues dans leurs étonnants navires bondissant sur les rapides du Boristhène, vision qui avait été accueillie avec enthousiasme par l'imagination du Grec.
Le nouveau voyageur restait donc convaincu que de ces deux êtres d'essence supra-humaine ne pouvaient venir qu'aide, intentions bienveillantes et conseils judicieux, même si on le laissait libre de poursuivre sa quête selon son humeur et sa volonté propre. Il était ainsi bien moins désorienté, prêt à s'acclimater à tout, persuadé que les choses devaient être ainsi, aussi improbables soient-elles.
Certains aspects  de Zorvan pouvaient le dérouter et aussi parfois ses  fantasques inventions. Mais il retrouvait toujours intacte, le moment d'humeur passé, sa confiance envers le Gardien. Par exemple, la cérémonie tonitruante et déphasée, où Zorvan l'avait entraîné en Aparadoxis, lui revenait souvent en mémoire. Bien que  ce pandémonium semblât un retour à la barbarie, chevelures hérissées et peintures de guerre, hurlements et comportements de sauvages surexcités à l'approche d'une apocalypse, Démétrios avait remarqué des similitudes entre les lumières éblouissantes qui illuminaient ces lieux et les lampes du monde de Christiana, tous ces cordages reliant les appareils à il ne savait trop quoi. Dans la maison de Christiana, c'était apparemment par les murs que se créait le lien. Puisait-on l'énergie tellurique à la source même ?
La course de sa réflexion se perdit vite dans les sensations voluptueuses du chocolat, d'autant que Christiana appréciait aussi la dégustation. Devoir partager la nourriture avec une femme ne le gênait pas car la voyageuse n'entrait dans aucune des catégories définies par Démosthène :
"Nous avons les courtisanes en vue du plaisir, les concubines pour nous fournir les soins journaliers, les épouses pour qu'elles nous donnent des enfants légitimes et soient les gardiennes fidèles de notre intérieur  ". Donc, sachant désormais que les femmes pouvaient avoir d'autres rôles dans la société que ceux qui avaient cours en son temps, l'Athénien s'attendait à tout de la part de Christiana et surtout à ne rien juger par avance. Dans le Champ des Oublis, il avait commis l'erreur de prendre le Bacchus pour un navire et Christiana pour son futur capitaine. Il devait être prudent et ne rien extrapoler à la faible lueur de son expérience de citoyen athénien.
En tout cas, le chocolat était un mets délicieusement fondant, et ne soulevant pas d'interrogation philosophique, du moins pour l'instant, bien que les mets trop sucrés soient exclus du régime spécial des athlètes, car affaiblissant les muscles. Mais peut-être cette mixture relevait-elle de l’ambroisie, nourriture miraculeuse des dieux, dix fois plus sucrée que le miel. Conférait-elle l’immortalité à celui qui en serait oint, tel  Sarpédon enduit du mets divin confié par Apollon à Hypnos et Thanatos afin que le héros tué par Patrocle rejoigne les rangs des Olympiens ?  Démétrios s'imagina tout empommadé de chocolat  et oubliant ses nouvelles bonnes manières, ne laissa pas une trace du délicieux aliment sur la coupe de verre. Christiana fit de même ce qui contenta fort Démétrios fier de s'adapter si bien à l'esprit du temps.

Puis il fut présenté à une avalanche d'objets hétéroclites avec des usages aussi obscurs que variés.  Il avisa une liasse de fins parchemins avec un stylet, évoquant un peu le carnet  que Christiana conservait dans son sac . Démétrios s'en empara et demanda où se procurer un objet aussi merveilleux. En souriant, la jeune femme le lui donna immédiatement après avoir enlevé la première page couverte d'une cursive assez désordonnée.
Démétrios écrivit : σοκολατί et soupira d'aise. Finie la préhistoire ! Il redevenait un être civilisé et le stylo dressé, s'apprêta à noter la suite de ses découvertes.
"Cellophane" lui parut un joli nom. Christiana se montrait très aimable. Le réfrigérateur semblait le centre sacré de la cuisine, une sorte de petit temple du Froid, blanc et brillant, avec une lumière qui étincelait dès qu'on ouvrait la porte. On pouvait le visiter de nuit.  Le nom  fut aussitôt transcrit sur le bloc. Il venait du latin. Les Romains aimaient en effet les sorbets faits avec les neiges  hivernales du Vésuve ou de l'Etna et il demanda à Christiana comment était produit ce froid glacial. L'électricité ! êlektron !
Mais non. Ce n'était pas en frottant des morceaux d'ambre que d'invisibles esclaves alimentaient les appareils, mais en brûlant du charbon et aussi à partir de gigantesques moulins à eau. Tout arrivait par les fils et il ne fallait pas essayer de démonter les prises. Démétrios écouta les explications, nota Electricité, ajouta : Danger ! Il étudierait le phénomène plus tard et conclut que tout ce qui semblait fonctionner seul ou par magie était en fait mû par cette énergie canalisée, ce qui expliquait la disparition des esclaves. Le gaz arrivait par des tuyaux ; il y en avait  un peu partout et des câbles. Le XXe siècle était un siècle branché.
Christiana continuait de s'occuper de son estomac et Démétrios avait faim. La nourriture spirituelle et les satisfactions de l'intelligence passèrent au second plan. Il était tard et les grillades de smilodon étaient loin derrière lui...au sens propre comme au figuré

Pour boire, on lui tendit un petit vase étroit et haut et Démétrios habitué à boire dans des coupes ou des gobelets évasés à anse, sirota prudemment, d'autant que ce skyphos était en précieux cristal portant le nom coca-cola. Ici, on écrivait des noms sur les objets, sans doute pour honorer des génies tutélaires.  Les bulles le firent éternuer..; peut-être une eau minérale pour nettoyer le nez.. et encore du sucré ! Il allait se ramollir totalement. Il préférait le vin de Chypre.

Le repas principal lui parut assez bon, avec des goûts reconnaissables, sauf la sauce rouge acidulée. La forme étrange des pâtes lui parut ou bien avoir une signification ésotérique ou bien relever de ces raffinements gastronomiques décadents qu'un bon citoyen se devait de laisser aux peuples avachis dans le luxe. Tout le monde savait que les Perses avaient été vaincus par la mollesse de leurs habitudes où ils avaient perdu la force d'âme du bon guerrier.

La suite de la soirée fut placée sous le signe de l'émerveillement total. Le journal était une mine de savoirs  d'autant que Logos, son  traducteur, le lui lisait en instantané et chaque phrase aurait entraîné mille questions si Démétrios n'en était pas plus qu'éberlué. La guerre était apparemment un sujet impoli dans la conversation , ou interdit aux femmes. Il n'insista pas, recopiant directement sur son bloc le mot War,  et pensant que le monde avait bien changé, mais que se nourrir et se battre restaient des constantes de l'activité humaine. Et si la guerre était aussi électrique, avec des colts en appoint, on devait avoir aussi progressé dans l'art de décimer l'ennemi.

L'usage du gramophone valait le silence recommandé par Christiana
Médusé d'abord, Démétrios fut charmé par le rythme qui le secoua comme aucune musique ne l'avait jamais fait. Puis il nota qu'on parlait encore de Coca-Cola, ne comprit pas grand chose aux paroles traduites par un Logos un peu affolé, se demanda si ces trois voix venaient de sirènes nasillardes branchées électrique. Christiana venait de changer le disque quand un bruit de porte la fit s'élancer vers un meuble d'où elle sortit un objet noir que Démétrios n'identifia pas.
Mais quand un homme fit irruption dans la pièce portant un colt démesuré, le Grec, qui fasciné regardait tourner le disque en marquant le rythme de la tête, plongea aussitôt derrière le canapé. Il savait ce qui se passait avec ce genre d'arme.
Fausse alerte ! Christiana connaissait le tueur en puissance. Démétrios ressortit et sentit qu'il fallait détendre l'atmosphère, quand le nommé Jared, bredouillant des paroles dont on percevait immédiatement la surprise méfiante (Logos traduisit P'tain par Hoo !),  pointa l'arme dans sa direction. Le  récent Voyageur voulut faire honneur à ses maîtres et sourit d'un air heureux en déclarant :

-Bonjour Jared ; ne craignez rien. J'ai trouvé votre sœur sur le trottoir et je l'ai raccompagnée ici pour profiter de sa généreuse hospitalité.

Ces paroles provoquèrent un froncement de sourcils menaçant  et Démétrios pensa soudain que Jared pouvait reconnaître les vêtements qu'il portait. Par ailleurs il nota que, comme Christiana, le frère portait encore ses chaussures aux pieds alors que lui était en chaussettes. Il avait dû commettre une bourde et c'était peut-être très offensant, bien que Christiana ne l'ait pas remarqué, préoccupée par son rôle de guide. Comme l'imagination ne lui faisait jamais défaut et que les circonstances inhabituelles l'excitaient grandement, il expliqua aussitôt sur fond d' Andrew Sisters  que la malicieuse Christiana venait de relancer en retournant le disque:

-J'ai en effet été frappé et dépouillé de mes vêtements par des malandrins (Logos traduisit ainsi le" brigands' de l'Athénien), ce qui explique pourquoi je suis ainsi habillé. En plus, je suis encore très étourdi pour avoir été assommé et je suis comme qui dirait partiellement amnésique .. je peux m'exprimer de façon désordonnée et barbare, ce que vous voudrez bien me pardonner.  Je m'appelle Démétrios et je viens de me rendre compte que j'ai oublié de mettre mes sandales.

La musique ajoutait certainement à l'ambiance détendue et conviviale...

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Message  Invité Lun 22 Juil - 10:15

Démétrios semblait entraîné par la musique. Sa tête suivait le rythme. Comment allait-il réagir quand elle l'emmènerait au Bacchus ! La musique y était bien plus forte. Et elle ne sortait pas d'un gramophone mais d'un orchestre.
Seulement, le moment n'était pas à songer à une future soirée découverte pour son camarade voyageur. Il était plutôt à la prudence. Jared était entré en trombe, arme en main, et Démétrios lui apportait des explications pouvant lui sembler anodines mais qui étaient assez douteuses à cette époque.

« J'ai trouvé votre sœur sur le trottoir et je l'ai raccompagnée ici pour profiter de sa généreuse hospitalité ». Sur le trottoir. À ces mots, Christiana avait pu voir le pincement de joue de Jared. Il était mauvais ce pincement de joue. Jared grinçait des dents. Ses doigts se crispaient sur son arme. Démétrios continuait de justifier sa présence comme il pouvait. Dans l'esprit de Christiana, les idées  s’enchaînaient à une vitesse folle pour dépêtrer Démétrios de cette situation. Son Logos ne l'avait pas informé du double-sens possible de l'expression « sur le trottoir ». Elle regardait son frère fulminer de l'intérieur. Mâchoire crispée (petit truc de famille), mains serrées sur l'arme, sourcils froncés... il ne manquait plus qu'un geste de sympathie comme une simple main tendue de la part de Démétrios pour faire éclater Jared.

Puis quand Démétrios eut terminé sur une note qu'il espérait amusante, Christiana eut l'idée parfaite.

- Tu ne te souviens pas de Démétrios ? Demanda-t-elle à Jared en s'approchant de son frère. Il est déjà venu au club, il y a un bon mois. Je t'ai parlé d'un commerçant spécialisé en olive grecque. Je t'avais dit que ce serait un produit de luxe inestimable pour le bar. Ha ! Mais pourquoi est-ce que je te demande ça ! Évidemment que tu ne t'en souviens pas, tu ne m'écoutes pas toujours. Pour ton information, si Démétrios a perdu ses vêtements et a été frappé, c'est pour me porter secours.

Elle pointa un doigt accusateur vers son frère et fronça les sourcils.

- Tu n'as pas été fichu de me prêter une voiture en bon état de marche, lança-t-elle sur un ton sec et sévère. Je suis tombée en panne sur le pont et j'ai dû rentrer à pied. Si je n'avais pas croisé notre futur fournisseur, la personne qui se serait retrouvée sans vêtement, cela aurait dû être moi ! Maintenant laisse-nous ! Rentre chez toi.

Aussitôt, elle tourna violemment le dos à son frère et en faisant face à Démétrios, elle lui adressa un sourire malin.

- Ne vous justifiez pas, dit-elle à Démétrios. Mon frère n'a pas une mémoire plus performante que la votre. Venez, continuons de profiter de la musique et parlez-moi des produits de votre entreprise familiale.

Christiana entraîna Démétrios par le bras, loin de Jared, tout en le forçant à tourner le dos au visiteur surprise.

- Ne vous retournez pas, il va être vexé et va partir en bougonnant, dit-elle à Démétrios à voix basse. Nous aurons ensuite la paix.

Christiana invita le grec à s'asseoir dans le canapé. Elle s'assit à côté de lui et adressa enfin un regard à son frère.

- Tu viens parler affaire ? Lui demanda-t-elle sèchement. Ou tu comptes rester planté là ?

Jared grogna, lança un « bonne nuit à demain ». Il claqua la porte aussi bruyamment et descendit les escaliers en tapant des pieds. Un nouveau bruit de porte claquée raisonna dans l'appartement. Enfin, seule la musique se fit entendre. Christiana soupira et secoua la tête tout en traitant Jared de tête à claque. Elle se leva et retourna dans son fauteuil. Puis elle demanda à Démétrios si cette histoire lui convenait. Pour son séjour ici, il serait un futur fournisseur du Bacchus en produits grecs : olives, vins, huiles... et il avait secouru la patronne d'une agression. Cette version allait surtout permettre à Démétrios de ne pas faire naître une méfiance trop grande chez Jared.

- Vous savez, dire que vous m'avez trouvé « sur le trottoir », cela peut prêter à confusion à mon époque. Pour Jared, c'est comme si vous disiez que je faisais le trottoir. Ce qui signifie faire du racolage, me prostituer. Vous avez de la chance. Jared devait être très fatigué pour ne pas vous avez frappé. Donc cette version des faits sera mieux pour vous. Jared sera moins sur votre dos. Lui ou un de ses hommes de main. Je suis étonnée que votre traducteur ne vous ait pas informé du double-sens probable que l'on peut donner à ce genre d'expression. Pensez-vous qu'il soit possible d'y enregistrer des informations culturelles et linguistiques ? Comme des dictons. Je vais chercher le mien. Faites comme chez vous. Continuez de regarder les lieux. Je répondrai à vos autres questions.

Christiana se leva et monta dans sa chambre pour récupérer son traducteur. Elle s'attarda quelques minutes et se regarda dans le miroir. Elle avait les traits tirés. Jared ne l'avait pas remarqué. Le remarquait-il avant ? Non. À côté de son reflet, s'affichait un cadre. Elle se retourna vers ce cadre, posé sur la table de chevet. Elle le prit et observa la photo de famille. Ils étaient tous là. Son père, Drew, Jared, elle... et Kyle. Christiana sourit, prit le cadre et retourna vers le miroir. Cette nouvelle vie valait la peine d'avoir les traits tirés comme les femmes de ménage du Bacchus. C'était pour Kyle.

Christiana jeta le cadre sur son lit et redescendit auprès de Démétrios, qui n'avait pas bougé d'un pouce. Elle lui montra son propre traducteur et se réinstalla dans son fauteuil. Elle tourna son traducteur dans tous les sens. Pas de notice inscrite derrière. Elle était peut-être dedans.

- Il vient du Dévoreur. Je doute que sa seule option soit la traduction. Je suis certaine qu'il y a bien des choses à faire avec ce gadget, dit-elle secouant son traducteur à côté de son oreille.

Résolue à en savoir plus, mais plus tard, elle le posa à côté du gramophone et fixa Démétrios.

- Il y a quelque chose qui m'intrigue. Pourquoi le Dévoreur partage-t-il sa connaissance sur le voyage dans le temps avec des inconnus comme vous et moi ?

Une chose lui vint alors en tête. Une question qu'elle ne s'était jamais posée. Pourquoi elle ? Qui l'avait envoyé et lui avait donné l'étui à cigarette. Cela ne pouvait être que Kyle puisqu'il avait quitté New York avec. A moins qu'il ne l'ait donné à un de ses camarades du front en France, que ce camarade l'ait donné au Dévoreur et... Non. Cette histoire était tirée par les cheveux. Kyle avait été porté disparu en France. Lors d'une permission. Pas de corps à enterrer. Plus Christiana y songeait et plus elle se disait que Kyle était devenu un voyageur. Si tel était le cas, qu'est-ce qui avait bien pu le pousser à « convoquer » le Dévoreur ? Voulait-il la retrouver autant qu'elle le désirait ? Elle était pressée de voyager, de lancer ses projets, de mettre son plan à exécution. Cependant, plus les questions venaient, plus l'ordre de ses priorités se retrouvait bouleversé.

Au début, elle avait l'idée de foncer tête baissée en France, au moment de la disparition de Kyle. Puis, elle s'était dit qu'un petit trafic à travers le temps ne serait pas un mal. Cela lui permettrait de financer ses recherches de sa lumière perdue sans piocher dans les comptes du club et éveiller les soupçons de Jared. Maintenant, elle voulait surtout des réponses. Pourquoi elle ? Qui a envoyé le Dévoreur ?
Christiana savait qu'elle pouvait tout à fait chercher ses réponses tout en renflouant ses poches et en préparant des expéditions dignes d'un film que son époque ne lui permettait pas encore de connaître. Une expédition pouvant parfaitement porter le nom de « A la recherche du Kyle perdu ». Mais cette théorie folle, selon laquelle le Dévoreur était venu à elle à la demande de Kyle ce qui signifiait qu'il était vivant, cela l'intriguait. Et l'inquiétait. Si Kyle était un voyageur. Pourquoi avoir envoyé le Dévoreur plutôt que venir lui-même la retrouver ? Kyle était-il en danger ? Peut-être que le Dévoreur avait accompli la dernière volonté de Kyle, à savoir la sauver du Bacchus, d'elle-même. Ce qui signifierait que Kyle était bel et bien...

Christiana fronça les sourcils et se leva brusquement, sous les yeux ébahis de Démétrios.

- Je me sens soudainement très fatiguée. Je vais vous montrer où vous pourrez dormir et comment fonctionnent les choses que l'on trouve dans une chambre. Les chambres de mes frères et de mon père sont toujours entretenues et prêtes à recevoir quiconque en aurait besoin. Si vous voulez bien me suivre, je vais vous montrer la vôtre. Ensuite j'irai me coucher. Je vous laisserai découvrir les lieux plus personnellement. Faire vos découvertes, dit-elle en invitant Démétrios à la suivre vers le couloir au bout duquel se trouvait l'escalier menant à l'étage.
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Message  Invité Dim 11 Aoû - 21:36

Devant l'air courroucé de Jared, Démétrios se sentit déçu et même vexé. Avec son histoire de brigands et sa prétendue amnésie, il avait cru  justifier habilement et sa présence dans la demeure de Christiana , et ses vêtements empruntés, ses incongruités de conduite, ses ignorances  absurdes. Oui, et cependant, le frère ne décolérait pas.
Démétrios perçut bien que chacune de ses paroles pouvaient déchaîner des catastrophes. Il ne situait pas du tout Jared sur l'échelle fraternelle - Qui commandait ici ? - mais  visiblement les explications  fournies ne l'avaient pas calmé  Démétrios s'en voulut un peu d'avoir suivi Christiana dans sa précipitation à rentrer chez elle. Il aurait dû se prévoir une plage de tranquillité, une studieuse retraite où il aurait pu étudier ce qui s'était passé dans le monde, entre l'empire Romain de Byzance et les Etats-Unis d'Amérique, puisque tel était le nom de la patrie de Christiana.
Heureusement, l'Athénien, qui pouvait discourir sans se lasser si l'occasion lui plaisait, savait aussi se taire et, arborant un vague sourire inexpressif, il laissa Christiana passer à l'attaque, ce qu'elle fit avec sa fougue ordinaire et selon le procédé féminin typique qui consiste à changer en trois phrases son statut d'accusée en celui d'accusatrice. Et elle était douée à ce jeu !
Il faillit se mettre à rire en se voyant rattraper par son statut de marchand d'olives. Mais comme on le présentait comme un vaillant défenseur de la pudeur outragée, il prit un air sévère, fronçant le sourcil  pour insister sur le fait que nul ne pouvait abuser de la  faiblesse d'une femme et attaquer l'honneur d'une famille sans rencontrer le poing valeureux de Démétrios de Zéa.

Il se laissa donc entraîner  vers le canapé, assez content d'ailleurs d'être conseillé sur la conduite à tenir et heureusement surpris de voir le frère lâcher prise aussi facilement. Les femmes autoritaires, les mégères acariâtres et maltraitant leurs hommes, c'était sans doute  une constante des sociétés humaines. Christiana n'irait sans doute pas  jusqu'à imiter Xanthippe, la jeune femme du grand Socrate, laquelle disait-on, lui jetait à la tête des pots de chambre pour le ramener à la réalité de la vie conjugale. Mais il était indubitable que Jared avait cédé, tant sur le plan des volontés de sa soeur, laissée libre de terminer la soirée avec un inconnu un peu fêlé, que sur celui de l'organisation domestique. Christiana voulait acheter des olives grecques, elle achèterait des olives grecques !

Pour l'instant, elle expliqua ce qui avait provoqué la méfiance de Jared et s'interrogea sur les limites du traducteur. Quand la jeune femme se demanda si le traducteur pouvait enregistrer, Logos fit une traduction explicative du mot : fixer sur un support matériel des informations comme des sons , des images, susceptibles d'être restituées. Démétrios leva les sourcils sans réaliser , puis soudain, il pensa au disque noir tournant et distillant le chant du Coca Cola et il répondit :

Je ne sais pas s'il peut jouer de la musique, mais il peut restituer en moi les mots comme vous les prononcez .C'est très étrange comme impression.  Je peux apprendre assez vite l'américain et vous le grec athénien antique. Mais plus personne ne doit aujourd'hui parler le grec antique . Déjà au IXe siècle, je comprenais très difficilement ce que disaient les gens de Byzance. Zorvan n'a pas jugé utile de me donner un traducteur pour le varègue. Ce devait faire partie de l'épreuve.


Un soupir accompagna les souvenirs qui affluaient. Il reprit, un peu hésitant:

- A vrai dire, je ne l'ai pas trop examiné ...c'est peut-être un peu magique. Par exemple, il ne faut pas toucher le Dévoreur, sinon, il se produit des effets incroyables. Je ne sais pas ce qui peut se passer si je manipule cet objet sans savoir..

 Christiana décida alors d'aller chercher son traducteur pour le vérifier. Démétrios se sentait un peu honteux de redouter un si petit objet, mais enfin,son temps était encore celui où la voix des dieux tonnaient dans les orages et où les voyageurs rapportaient des terres lointaines maints récits effrayants de prodiges inexpliqués. Certes, il était prêt à tout accepter des merveilles que le progrès avait fait éclore à travers les siècles. Mais il craignait aussi les monstres qui, peut-être, surgiraient un jour des mêmes machines qu'aujourd'hui il contemplait avec admiration.
Il se décida cependant à sortir le petit sac de cuir noir, en forme de  figue, qu'il avait à peine osé toucher. Il avait déjà remarqué une ligne le long de la partie renflée, une sorte de crantage serré, comme une cicatrice, une étrange couture métallique, et il n'y avait pas de bouton, comme sur celui de Christiana. Il aurait été rassuré s'il y avait eu un bouton. Au moins on savait qu'il fallait appuyer dessus.
Elle revenait déjà et et il allait lui demander de l'aide mais elle semblait si sûre d'elle-même, parlant de chercher d'autres "options" à l'appareil, qu'il n'insista pas et elle termina sur un mot que le traducteur réutilisa tel quel : " gadget".
Le Grec, toujours inquiet et comme écrasé par la somme d'imprévus qui s'abattait sur lui, répéta en écho :"gadget ?" Logos tiqueta un peu avant de lui communiquer cette définition : "Petit objet plus ou moins utile, amusant par son caractère de nouveauté" décidémént. Logos ? plus ou moins utile ? Logos amusant !! Logos, un gadget !! Le XXe siècle était un siècle irrévérencieux.
Mais Christiana changea d'idée, abordant le sujet de la motivation du Dévoreur et il avait sa réponse, au moins partielle.

-Nous n'étions pas des inconnus pour lui. On lui a parlé de nous. Pour moi, c'est mon frère, qui le sert depuis longtemps . Nous aussi nous le servirons. Je ne sais pas encore de quelle manière. Il nous laisse libres de nous acclimater au Voyage , mais je suis sûr qu'un jour, il nous appellera. Et  en échange de ce don merveilleux, qui va nous faire connaître des myriades de choses nouvelles et plus que la plus longue des vies ne m'aurait permis de découvrir, en échange, je devrai l'aider. Je ne sais à quoi.. peut-être à voyager là où il n'a pas le temps d'aller ? ou bien il a un projet, _un grand projet. Et comme c'est un homme bon et civilisé, je suis sûr que ce sera un honneur de l'aider.


Démétrios n'était pas sûr que Christiana l'ait bien écouté . Elle paraissait fatiguée et distraite et elle l'invita à le suivre vers les chambres. Lui-même se sentait tomber de sommeil, toute son excitation disparue dans le calme soudain de la nuit avancée et la tranquillité des pièces inhabitées.
Mais sitôt qu'elle l'eut laissé seul devant sa chambre, la curiosité face à la ville l'emporta. Une baie au bout du corridor clignotait de lettres géantes envoyant leurs messages vers  des étoiles devenues invisibles, la paix du ciel nocturne effacée par des  fantasmagories de lumières reflétées sur les immenses parois de verre et de métal. Il s'approcha et aperçut dans l'angle un petit escalier de fer comme il n'en avait jamais vu, enroulé surun axe. Malgré sa fatigue, il n'hésita pas.. Christiana lui avait dit de découvrir les lieux.... il allait le faire.

La porte métallique tout en haut surprit le Grec par son épaisseur et différents systèmes qui devaient être des serrures. Un bouton vert lumineux sur un boitier attirait l'attention. Les boutons étaient vraiment un élément important du futur et Démétrios avait compris qu'il fallait les presser pour bénéficier des merveilles de la technologie. Il pressa, ce qui fit un croc ! feutré suivi d'agréables cliquetis dans la porte même. Il n'eut qu'à pousser et à sa surprise, se retrouva à l'air libre, sur une grande terrasse parsemée de blocs, d'antennes et tout autour, d'immeubles crantant le ciel de leur masses inégales. On entendait des bruits réguliers, comme des ronflements, sortant d'orifices grillagés, halètements mécaniques ou non qui l'inquiétèrent un peu.
Soufflé par un vent vif, il fit quelques pas hésitants, s'habituant vite  à l'obscurité, d'ailleurs toute relative au milieu de l'aura montant de la ville et des cercles jaunâtres que des globes lumineux dessinaient ici et là sur le sol. Cependant, il ne vit pas devant lui un amas sombre sur lequel il buta et que ses pieds, toujours en chaussettes, reconnurent immédiatement à sa flaccidité : un corps humain s'étalait face contre terre, masse noire dans l'éclairage diffus qui laissait de grandes ombres au sol.
S'étant baissé, il  était sur le point de lui parler quand il entendit une voix étouffée venant de derrière un cube de maçonnerie juste sur sa gauche :

-Tu es sûr qu'il n'y en avait que deux ?


-Joe l'a dit, mais je vais vérifier. Avec la soeur envolée, Van Carter a pu doubler la surveillance. Tu cherches la colonne 2a pendant que je vais voir. Bon sang, tout ça pour de fichus papelards.


Démétrios resta instinctivement accroupi . Des voleurs ! le Bacchus était attaqué ! L'homme inerte se passerait de ses soins... il glissa sans bruit sur ses chaussettes et repassa la porte blindée quu'il referma . Le voyant redevint vert. Il fallait prévenir Christiana.
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Message  Invité Dim 25 Aoû - 18:14

Jared avait vite lâché prise. Du moins en apparence, car au rez-de-chaussée, dans le club, des hommes avaient été postés là. Le dernier grand frère était plus difficile à manipuler et il ne lâchait pas facilement. Il s'était certes replié, il ne cessait pas pour autant de faire surveiller Christiana. Deux hommes étaient dans le petit salon du coin privé, non loin de l'escalier qui séparait les appartements du club. Aux aguets, prêts à bondir sur le marchand d'olive s'il le fallait. Jared rentrait chez lui l'esprit plus tranquille. Soulagé de se dire que sa sœur n'avait eu qu'une demi-victoire, même s'il savait qu'elle pouvait se douter de la présence de ses hommes en bas, hommes qui veillaient pour lui.

Dans l'appartement, Christiana et Démétrios parlaient voyages dans le temps, Dévoreur, Zorvan et gadget peut-être magique servant de traducteur polyglotte.

- C'est une étrange impression oui, répondit Christiana à la remarque de Démétrios. C'est comme si les langues étrangères et d'un autre temps devenaient nôtre. Chez les Opulos, j'avais la sensation de connaître leur langage depuis toujours. Pour ce qui est de toucher le Dévoreur, je peux vous dire ce qui se produit si on le fait !

Christiana raconta alors sa mésaventure après s'être jetée désespérément sur le Dévoreur. Mésaventure qui l'avait envoyée dans une usine automobile, suite à une réaction face à l'étui à cigarettes.

- Il m'a dit que si on le touchait, on pouvait se retrouver ailleurs. Et c'est ce qui s'est passé ! Je l'ai attrapé par le col de son manteau, dit-elle alors qu'elle s'y était plutôt suspendue, le regard suppliant. Et pof ! Dans la seconde nous avions quitté la voiture que vous avez vu sur le pont pour arriver dans une autre, toute neuve et fraîchement sortie d'usine, mais dans le passé. Nous avions changé de lieu et de temps. Simplement parce que je m'étais agrippée à lui. Hmm... pour en revenir au traducteur, il faut essayer pour savoir ce dont il est capable.

Christiana examinait son traducteur et tout en l'observant, elle réagit aux autres propos de Démétrios, qui expliquait que son frère était l'instigateur de sa rencontre avec le Dévoreur.

- Je vous envie. J'ignore qui me l'a envoyé. Je sais qu'il est venu me chercher à la demande de quelqu'un. Mais je ne sais pas de qui. Je lui ai demandé. Tout ce que je sais, c'est qu'une personne veillant sur moi m'a envoyé le Dévoreur, lui disant que je pouvais être intéressée par sa proposition. Pourquoi a-t-il accepté ? Pourquoi moi ? Je l'ignore aussi. J'ai pensé que la personne veillant sur moi était l'homme que j'aime, Kyle, mon faux frère, car le Dévoreur avait en sa possession son étui à cigarette. J'aimerai récupérer cet étui. Je me demande si le Dévoreur me le laisserait. Vous et moi avons été propulsé dans le voyage dans le temps parce qu'une tierce personne nous a envoyé le Dévoreur, continua-t-elle d'un air grave. Nous allons pouvoir assouvir nos envies et accomplir nos objectifs. Mais en contre-partie de quoi ? Je me le demande. J'ai accepté le deal sans savoir ce qui m'attendait, juste parce que j'ai quelque chose à faire et que les voyages dans le temps ne peut que m'y aider. J'ai accepté le marché sans connaître la contrepartie. Je peux très bien y perdre au change. Là, j'entends déjà mon père dire : « t'as été dupée pauvre gourde. Dupée par un gredin au marché douteux. » dit-elle en imitant la voix grave et rocailleuse de son père. D'ailleurs, s'il a bien un grand projet, qu'est-ce que je pourrais bien lui apporter ? À part des facilités dans les combines louches et un club de la Prohibition, je n'ai rien.

Christiana soupira et bailla.

- Bref ! Que de questions ! Qu'importe tant que je gagne ce qui m'a conduit à faire ce marché. Tant que je récupère Kyle. Mes projets sont mes priorités, autant laisser les questions de côté. Quand il aura besoin de nous, je suis certaine qu'il saura nous rappeler son existence en apparaissant subitement devant nous.

Puis Christiana se leva et fut suivie par Démétrios, qui acceptait de visiter les chambres, prendre possession de l'une d'elle et bénéficier d'une bonne nuit de repos... ou d'exploration.

Christiana commença par sa chambre, qu'elle ne fit pas visiter. Elle se contenta d'ouvrir la porte, de la montrer de l'extérieur. Puis, elle termina par celle de Démétrios. Elle ouvrit la porte, lui expliqua tout ce qu'il devait savoir sur le mobilier et les appareils électriques.

- Voilà ! Je pense que c'est tout pour ce soir. Je vais me coucher. Je vous laisse faire ce que vous voulez. N'oubliez pas que si la faim vous tiraille, ma cuisine est votre. Bonne nuit Démétrios. Si vous avez un souci, venez frapper à ma porte.

Christiana entra dans sa chambre et referma la porte derrière elle. Elle revêtit un déshabillé en satin et un peignoir en soie. Assise devant la coiffeuse, sur laquelle trônaient les produits de beauté de sa mère et quelques uns à elle, Christiana se dévisageait dans le miroir. Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pas pris la peine de se regarder. Elle était trop effrayée pour voir la vérité en face. La vérité reflétée. Heureusement que Zorvan et son antichambre étaient là. Sans l'avouer, elle l'en remerciait.
Puis elle brossa ses cheveux, se leva, laissa tomber le peignoir et se glissa dans son lit. Le visage détendu, un sourire de contentement sur les lèvres, elle ferma les yeux. La respiration lente, régulière, brisant le silence de la chambre, Christiana laissait aller son esprit aux rêves sans les craindre. Encore un effet de la magie de Zorvan. Elle se demandait même si elle allait rêver.

Alors qu'elle pensait s'assoupir, un léger bruit retentit contre sa porte. Cela la fit sursauter. Elle crut rêver. Elle tendit l'oreille mais non. Elle n'avait pas halluciné. On frappait bien à sa porte. Elle se leva, remis son peignoir et entrouvrit la porte. Démétrios se trouvait de l'autre côté.

- Le bruit du frigo vous a fait peur ? Un souci avec quelque chose ?

Démétrios parla soudainement très vite. Porte au bouton magique, bruit des gros tubes sur le toit, homme au sol, voleur qui fouillaient...

- Oui Jared a fait installer une porte bien lourde à pousser. Le bruit que vous entendez est celui de la ventilation, expliquait Christiana aussi vite qu'elle put, chaque fois que Démétrios annonçait un nouvel élément. Comment ça homme sur le sol ?! S'exclama-t-elle quand son compagnon de voyage arriva à ce détail.

Détail pas si insignifiant mais qui fut vite oublié par Christiana quand Démétrios parla de voleur. Ni une ni deux, elle poussa rapidement Démétrios d'une main et sortit en trombe de sa chambre, sans se soucier de son apparence. Chevelure négligée mais en déshabillé au peignoir mal fermé, s'il vous plaît !
Elle descendit rapidement les escaliers en criant à Démétrios de la suivre. Elle se précipita dans la cuisine. Elle ouvrit un placard et en sortit deux carabines chargées. Elle en tendit un fusil à Démétrios et lui dit :

- Aujourd’hui, vous allez oublier le javelot et les torches de feu. Il est temps de passer à la vitesse supérieur dans l'usage des armes. Faites comme moi, dit-elle en positionnant la cross de la carabine en haut de son épaule. Ne vous crispez pas. Si vous tirez, vous sentirez un mouvement de recul. Je préfère vous prévenir, sinon vous allez être surpris.

Dans le placard, une corde pendait au plafond. Christiana tira fortement dessus à plusieurs reprises.

- Si mon frère a fait sa tête de mule, il a sûrement demandé à des hommes de rester au club ce soir. Il se vexe facilement le pauvre et pour se venger, comme il sait que je n'aime pas ça, il demande à ses chiens de passer la nuit ici. Généralement, le lendemain matin, je les retrouve dans ma cuisine à boire du café. Cela a du bon, d'avoir encore des hommes fidèles du bon vieux temps de la prohibition.

Christiana quitta la cuisine. Démétrios le suivait. Dans les escaliers, les deux hommes montèrent rapidement. Lorsqu'ils arrivèrent dans le salon, Christiana et Démétrios se trouvaient en bas du prochain escalier. L'un d'eux appela leur patronne. Stoppés dans leur course vers le toit, les deux voyageurs se retournèrent et virent deux armoires à glace, arme en main. D'abord, ils furent surpris de voir Démétrios vivant à côté d'une Christiana armée. Ils en conclurent que le marchand grec n'était pas la raison de l'appel de la jeune femme.

- Voleur sur le toit, dit Christiana.

C'était clair et concis. Les deux gorilles passèrent devant.

- Vous êtes prêt ? Demanda Christiana à Démétrios. Parce que moi... bon allons-y...

Elle se mordilla les lèvres et suivit tout de même les hommes de son frère. Elle était prête à bien des choses. Mais pas tuer un homme une deuxième fois. du moins pas si rapidement après la première.
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Message  Invité Jeu 19 Sep - 18:17

Avertie par un Démétrios tout agité, Christiana avait immédiatement réagi et prit la direction des opérations. Le Grec ne se posait plus la question de savoir s'il était indigne d'un noble Athénien de s'en remettre à une femme à l'heure du danger. Il n'en finissait pas de se heurter au mur de ses ignorances qui s'interposait entre lui et le monde insensé où il se déplaçait depuis qu'il était arrivé au XXe siècle. Rien à voir avec le passage dans la préhistoire. Il avait toujours cru possible l'existence d'animaux inconnus et même fantastiques, vivant dans ces contrées lointaines dont de rares voyageurs rapportaient des récits fabuleux. Souvent sujets à caution, certains de ces récits se trouvaient vérifiés par la suite et ils habituaient l'esprit à ne pas préjuger de ce qui peut être et ce qui n'est pas. La préhistoire, les tribus primitives et même les  mammouths et les smilodons étaient bien moins étranges que ces griffons ou  phénix décrits par le grand Hérodote qui affirmait qu'on peut rencontrer des peuples entièrs de borgnes en allant vers le nord et de gens à tête de chien en allant vers le sud. Pour ses débuts, le voyageur Démétrios avait davantage eu l'impression de se déplacer dans l'espace que dans le temps.
 Mais ici, trop d'objets ne se rattachaient à rien de connu, rien d'imaginable, et cependant, ils étaient là, tangibles et solidement installés dans une réalité où c'était lui, Démétrios de Zéa, qui devenait incroyable et fantasmagorique. Il sentait bien que, s'il se conduisait normalement, on le prendrait pour un fou ou un comique. Alors autant s'en remettre à Christiana , le seul être à connaître ici ce qu'il était vraiment, un Grec du temps d'Alexandre. Il y avait bien aussi Lycias, son frère, mais il pouvait être n'importe où et n'importe quand, comme le Dévoreur qui s'était volatilisé sur ce pont de...de.. Brooklyn, souffla Logos qui repérait instantanément toute hésitation sur un mot étranger. Brave Logos,songea Démétrios, il fallait absolument penser à le réanimer demain en le présentant au soleil. "recharger", corrigea aussitôt Logos.

Quand Christiana lui tendit un long tube emmanché d'une sorte de  renflement de bois, il prit l'objet pour une massue, mais en voyant la jeune femme viser le mur comme elle avait visé la souche chez les Opolos, il comprit que c'était une arme à feu et s'essaya gauchement à mettre en joue droit devant lui. Il aurait bien appuyé sur le levier, - gâchette, corrigea mentalement Logos – mais il se souvint du garçon blessé  par le pistolet de Christiana. Il se contenta donc d'imiter sa façon de porter l'arme et quitta la cuisine sur ses talons, plus excité par l'aventure que véritablement inquiet. Il se trouvait dans l'état d'esprit de l'enfant qui fait entièrement confiance à l'adulte, persuadé que son guide détient toutes les clés des mystères environnants.

Dans le salon, ils trouvèrent les deux gardes dont avait parlé Christiana, de grands gaillards larges d'épaules, qui levèrent vers lui le museau noir de leur arme puis le détournèrent comme à regret, l'air surpris et vaguement réprobateur. Démétrios, décidé à se faire bien voir de tout New-York, leur fit un large sourire en annonçant qu'il était Démétrios de Zéa, négociant grec, présentation accueillie d'un regard méfiant. Le plus âgé bougonna qu'il était Bobby. L'autre se tut. Christiana, concentrée sur l'action, ne parlait plus que par phrases écourtées, mais leur abandonna la tête du cortège et le quatuor prit la direction de l'escalier tournant, le Grec fermant la marche. Il trouva nécessaire de donner quelques précisions que la réaction immédiate de Christiana lui avait fait passer sous silence :

-Ils ne sont que deux .Ils cherchent des papiers, ce qui est bizarre, vu que ce matériau semble très commun à votre ép..."Il se rattrapa à temps : "....enfin, on en voit partout ...sur les trottoirs, sur  les murs,  même dans la cuisine et la salle de bains, sans compter les journaux qui...

Il abandonna le sujet qui risquait de l'emmener trop loin. Et puis en y réfléchissant, ces gens du futur semblaient adeptes de l'écriture, ils en mettaient partout, même sur les vêtements, et l'important c'était sans doute ce qui était écrit  sur le papier et non le papier lui-même...Il avait rencontré non des voleurs, venus chaparder des objets précieux, mais des espions, à la recherche de secrets..
Il ajouta, cherchant dans sa mémoire les détails utiles : :

-L'un cherche la colonne 2a et l'autre est parti vérifier s'il y a un autre garde.

Aussitôt Bobby rétorqua :

-Il y en a un. Gianni et  Karl sont montés  ce soir pour la ronde. C'est Gianni qui a dû se faire surprendre ; c'est un gosse, pas très futé. Mais il est vrai qu'il n'y a aucun danger habituellement. On vérifie plutôt les terrasses aux alentours. D'ailleurs, je me demande comment ces types ont fait pour arriver sur le toit?

.Démétrios ne s'était pas posé la question. Vivant dans l'extraordinaire, il finissait par ne plus s'interroger : tout pouvait arriver dans ce monde d'objets prodigieux. Christiana lui avait parlé de machines volantes et il en avait même aperçu une quand il partageait leurs souvenirs dans l'Antichambre. Pour montrer qu'il n'était pas dépassé, il lança d'un ton averti:

-Un zavion a dû les déposer !

Logos  corrigea : un avion, des avions. Démétrios faillit lui dire merci et se reprit hâtivement devant le sourcil fâché de Bobby :

-Un avion... enfin, peut-être. Ces hommes suivent les indications de quelqu'un qui a fait repérer les lieux. Un certain Joe.

Il fut surpris de l'immédiate réaction. Les deux hommes, qui montaient l'escalier  l'un derrière l'autre, s'arrêtèrent chacun sur sa marche, se tournèrent vers Christiana qui les suivait et s'exclamèrent en même temps:

- Joe Stromboli !

- Joe Carnera !

Bobby ajouta , l'air soucieux :

-Ou Joe Drucker. Il a été libéré avant-hier.

Les Von Carter ne manquaient pas d'ennemis. Joe était peut-être un nom générique des adversaires de la famille, la lignée maudite des Joéides, les Atrides de New-York.
La porte fut ouverte avec douceur par Bobby qui malgré sa corpulence se déplaçait très silencieusement. Démétrios regarda Christiana en léger vêtement d'intérieur. Il pensa au corps effondré à quelques pas et jugea que ce n'était quand même pas la place d'une femme. Comme il sortait à son tour, il lui suggéra de rester à l'intérieur, qu'il y avait du vent. Il la regardait dans la lueur nocturne, si mince et fragile à ses yeux d'homme. Bobby, sorti en premier, s'était glissé là où gisait l'individu abattu et on l'entendit jurer d'une voix étouffée avant de se retourner vers eux sans quitter sa position accroupie :

-C'est Karl qu'ils ont eu, les salauds ! Patronne, je vais chercher Gianni. Le type ne l'a pas encore trouvé. On n'entend rien et il n'est pas revenu aider son copain à scier la grille du A2. Vous entendez ?

Démétrios n'entendit rien sinon la rumeur montant de la ville, ponctuée de bruits soudains de voitures, crissements métalliques ou brusques rugissements et puis ce bourdonnement de l'aération, normal selon Christiane, bien qu'il n'ait pas saisi pourquoi il fallait aérer par des colonnes un immeuble rempli de fenêtres. Bobby ajouta à l'adresse de Christiana:

-Vous devriez rester ici avec Monsieur Démétrios et Berty peut aller surprendre le gars à la scie.

Le ton était déférent, demandant l'autorisation et Bobby ajouta, comme pour s'excuser:

-Votre frère a dit qu'il fallait vous protéger .

Démétrios approuva et releva un peu son fusil ; en même temps, il apprécia le Mister qui sonnait bien et que Logos traduisit par Hegemon, le chef, ce qui était juste si on considérait le sens premier du mot, mais dans le New- York des années trente, c'était quand même très exagéré pour un marchand d'olives.
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Message  Invité Mar 1 Oct - 16:41

Christiana réfléchissait le plus rapidement possible. Chercher des papiers sur le toit ? Quelle idée ! Les papiers des Von Carter étaient en lieu sûr. Et ce lieu n'était pas le toit. Il y en avait dans un coffre en banque, d'autres au Bacchus même, dans la vieille réserve d'arme et de produits de contrebande. Mais en y réfléchissant davantage, elle ne s'étonna finalement pas. Après tout, avec son grand-père et son père, il fallait s'attendre à tout. Elle avait connaissance de toutes les affaires de la famille. Du moins toutes celles révélées par son père. Rien n'empêchait que d'autres affaires existent. Il suffisait de ne rien dire aux héritiers Von Carter. Alors oui. Possible que des papiers se trouvent sur le toit.

La colonne a2 était de l'autre côté du toit. Bien à l'opposé de l'escalier. C'était une bouche d'aération. Christiana le savait bien. Elle se souvenait de cette bouche car un homme avait été glissé dedans par George Von Carter, ou plutôt par un de ses hommes. La colonne a2 était dans un coin sombre, peu éclairé même par les lumières de la ville. Le bâtiment voisin, plus haut d'un étage, faisait de l'ombre à cet endroit du toit. Autant dire qu'il s'agissait de lu coin idéal pour ne pas être vu et donc cacher quelque chose.

Bobby dévoila qu'il y avait deux hommes supplémentaires sur le toit. Christiana ne fut pas étonnée. Il allait être difficile d'établir son indépendance si Jared persistait à l'entourer d'hommes de main. Vu la situation, cette surprotection était louable. Cependant, pour Christiana et son désir nouveau d'émancipation, de voyage et de recherche de l'amour perdu, cela la contrariait. Cette surprotection signifiait avoir davantage d'yeux sur elle et donc moins de facilité pour mettre en œuvre ses projets à travers les couloirs de l'infini.

- Probablement l'appartement de la vieille MacDuff, suggéra Christiana. C'est l'unique fenêtre du seul bâtiment mitoyen au Bacchus qui donne sur notre toit. Possible qu'ils soient passés par chez elle. Après avoir arrêté ces deux enfoirés, il faudra faire un saut chez la mamie. Si elle n'a rien, c'est qu'elle les a laissés passer par cette fenêtre. Elle est plutôt petite cette fenêtre. Ils ne doivent pas être très gros, ces voleurs. Quant au potentiel Joe, oubliez Joseph Carnera. Il a autre chose à penser en ce moment que mettre en place ce vol. Il a perdu ses deux fils durant la guerre. Le corps de l'aîné n'a même pas été retrouvé. Il paraît que Carnera ne s'en remet pas. Et dire qu'il se moquait de papa quand Drew est mort...

Bobby et son comparse restèrent planté sur leur marche d'escalier.

- Comment vous savez ça Patronne ?

- Je le sais. Pour ce qui est de Stromboli et de Drucker, je n'ai rien en mémoire qui puisse suggérer qu'ils sont occupés par autre chose. Drucker peut très bien avoir imaginé ce vol durant son séjour en prison mais le père Stromboli avait des vues sur le Bacchus depuis longtemps. Peut-être que le fils s'y met aussi. Enfin tout dépend des papiers qu'ils cherchent.

La petite troupe reprit son ascension de l'escalier et Bobby ouvrit la porte avec délicatesse. Tel un chat, il glissa dehors avec légèreté. Berty l'imita avec la même prudence et discrétion. Le vent soufflait et faisait virevolter la tenue légère de Christiana. La jeune femme frissonna. Mais frissonnait-elle par le froid ou par la situation ? Malgré sa réticence à tuer si rapidement après sa première fois, un petit sourire étirait ses lèvres. Elle s'était trouvée une nouvelle voie à suivre mais l'ancienne, celle qu'elle avait longuement observé de loin dans la cave, celle qu'elle avait hérité de son père... cette voie continuait de la faire sourire. On ne change pas facilement de nature. Le passage dans l'antichambre lui avait fait se découvrir elle-même et mettre le doigt sur ce qui faisait battre son cœur. Mais cela ne lui avait pas fait perdre l'excitation que suscitent les mauvais coups. Avec sa soif de vie indépendante, son ambition de construire de retrouver Kyle, ses idées pour se faire de l'argent facile grâce aux voyages dans le temps et son plaisir intact des activités à la Von Carter, il y avait fort à parier que Christiana allait sûrement faire perdurer l'héritage familial. À sa manière. Dans différentes époques. Mais avec les techniques de George. La loyauté des hommes de son père et des fils de ces hommes allait lui être utile. Sans forcément leur parler des voyages dans le temps, Christiana pouvait très bien leur donner du travail digne de leurs compétences. Des activités qui s'éloigneraient du baby-sitting auquel ils étaient affectés.

Bobby et Berty souriaient aussi. La situation était tendue. Mais ils affichaient le même plaisir que leur patronne. Ce qu'ils vivaient tous les trois, c'était comme au bon vieux temps. Celui de toutes les folies. Celui qui ne sentait pas la guerre. Ou du moins pas le même genre de guerre.

Bobby s'était trompé. Le « pas futé » ne s'était pas fait prendre. Au sol, c'était Karl. La suggestion de Bobby fut rejetée par Christiana avec virulence. Pour elle, hors de question de rester en retrait. Elle avait toujours été en retrait, afin de mieux être utile aux hommes Von Carter et aux affaires. Elle n'était pas dans l'ombre pour tirer les ficelles. Là, c'était des balles, qu'elle pouvait tirer. Christiana avait oublié sa réticence à tuer de nouveau si vite.

- Je me moque de ce qu'à dit mon frère, lança-t-elle.

Mais au moment de faire un pas de plus dehors, le froid la fit trembler. Elle avait les mains crispées et les bras secoués. Comment tirer et se défendre si elle était incapable de tenir convenablement son arme. Alors résignée, elle recula vers l'escalier.

- C'est bon, allez-y tous les deux. Je reste avec Monsieur de Zéa. Trouvez-moi ces deux voleurs et ramenez en au moins un vivant, ordonna Christiana.

À l'abri du vent mais les yeux toujours rivés sur le toit, Christiana tenait fermement son arme, prête à faire feu si l'un des voleurs passait devant elle. Silencieuse, elle respirait lentement mais son cœur battait vite. Très vite. Si vite qu'elle sentait le sang affluer dans son cerveau. Démétrios était à côté d'elle. Brisant le silence, elle lui dit :

- Et dire que j'espérais profiter d'une vraie et bonne nuit de sommeil pour récupérer de notre escapade chez les Opulos. Nous nous rattraperons demain matin.

Sur le toit, Bobby et Berty avançaient prudemment, chacun de leur côté mais tout en restant proche l'un de l'autre pour se couvrir mutuellement en cas d'attaque d'un des voleurs. Ils avaient eu Karl. Ils devaient donc être bien préparés. Bien informés. Les informations apportées par Démétrios permirent de connaître le prénom ou le pseudonyme de l'informateur des deux voleurs. Comment avait-il su pour les deux hommes sur le toit ? Christiana se posait la question. Il fallait savoir que Jared mettrait deux hommes plutôt qu'un ou trois. Jamais deux soirs identiques. C'était la règle pour le divertissement du Bacchus mais aussi pour les autres affaires des Von Carter. « Ne pas instaurer de routine », disait George, « sinon l'adversaire saura prévoir nos coups. » La source devait être proche d'un homme de Jared, voire des Von Carter.
Bobby et Berty continuaient leur avancée, se rapprochant de la colonne a2 et de l'espace sombre du toit quand soudain, Berty se cogna les pieds dans quelque chose. Il trébucha et un coup de feu retentit. Quelqu'un avait tenté de lui tirer dessus. Une vaine d'être tombé ! Aussitôt, Berty rampa dans un coin sombre et Bobby fit de même en plongeant derrière la colonne a1. Un des deux voleurs devait se trouver à proximité. Bobby fut la cible d'un coup de feu. La balle se logea dans la colonne, la faisant vibrer dans son dos. Le tireur devait donc être devant lui, cachée derrière la colonne a2, qui lui faisait face. Sauf que caché par l'ombre de l'immeuble mitoyen, Berty vit le tireur. Le chasseur devint la proie. Berty lui tira dessus, le manqua et sa cible s'écarta. Les lumières de la ville permirent à Bobby de le localiser et de tirer à son tour. Loupé. Le voleur s'éloigna.

De leur cachette à l'entrée de l'obscure cage d'escalier, Démétrios et Christiana entendirent les échanges. Ils saisirent donc plus fermement leur arme et sans s'y attendre, Christiana vit Démétrios tirer. Elle fut stupéfaite et le fixait avec des yeux rond. Il venait de signaler leur emplacement ! Elle détourna le regard vers le toit et constata un homme à terre, juste à côté de Karl. Non. Démétrios n'avait pas tiré par mégarde. Il avait vu venir le voleur. Leur position restait cependant signalée. Le voleur restant savait qu'il y avait au moins un individu armé dans la cage d'escalier. Christiana prit tout de même le risque d'avancer d'un pas afin de voir si l'homme était mort ou juste blessé. Chance du débutant, Démétrios l'avait eu dans le ventre. Le voleur gisait au sol, sur le dos, les yeux grands ouverts et le regard vide. Un nouveau coup de feu retentit. Celui-ci était pour Christiana et la manqua. Instinctivement, Démétrios l'attrapa et la fit revenir en arrière. Il la jeta presque derrière lui, afin de servir de bouclier humain et éviter qu'une balle ne la touche.
Il y eut encore un tir. Il provenait de Berty et avait blessé l'agresseur de Christiana. Ce voleur avait sur lui la scie pour détruire la grille et atteindre la paperasse recherchée. Derrière Berty, Bobby courait derrière un troisième homme qui s'enfuit grâce à une échelle de fortune pendue contre le mur et donnant sur la petite ruelle. Une voiture démarra, des pneus crissèrent. Puis plus rien.
Bobby n'avait pas eu le temps de rattraper l'homme et ses coups de feu ne l'avait pas arrêté. Cependant, il était blessé à l'épaule. Les deux hommes de Jared s'assurèrent que le toit était sécurisé. Puis, avec une lampe torche, ils éclairèrent les corps. A côté du corps sans vie de Karl, se trouvait le voleur tué par Démétrios. Près de la colonne a2, il n'y avait plus personne. L'homme sur qui Bobby avait tiré avait donc pris la fuite. Qui était donc l'agresseur de Christiana, l'homme touché par Berty ?
Il ne s'agissait pas d'un voleur. C'était Gianni. Le jeune « pas futé », selon Bobby, avait tenté de tuer sa patronne. Pas futé, certes. Mais traître. Gianni avait été blessé au cou. La jugulaire libérait un flot incroyable de sang. Gianni avait tenté de tuer Christiana et pour punition, il mourrait à petit feu. Voilà pourquoi Joe savait qu'il n'y aurait que deux hommes sur le toit. L'un de ces deux hommes étaient un traître.  
Bobby saisit Gianni par le col sans se soucier d’aggraver son état. Il le secoua tout en le sommant de s'expliquer. Christiana s'approcha. De toute sa hauteur, elle offrit un regard méprisant à Gianni. Le traître cracha aux pieds de Christiana, ricana et se laissa violenter sans dire un mot.

- N'abrégez pas ses souffrances, ordonna Christiana. Laissez-le se vider de son sang. Colin passera nettoyer demain avec son équipe. Il sera content, cela fait si longtemps que nous ne les avons pas fait nettoyer du sang. Cela le changera des cuisines et des toilettes du Bacchus.

Elle se pencha au-dessus de Gianni et lui dit :

- Tu as de la chance, car mon père serait encore là, ta famille y passerait et n'aurait même pas le temps de voir le soleil se lever demain matin.

Elle abandonna Gianni et s'approcha du voleur à la scie. Christiana la prit et se tourna vers Démétrios.

- Nos lits vont devoir attendre encore un peu, lui dit-elle. J'ai besoin de savoir.

Elle jeta la scie à Berty, qui l'attrapa comme il put. Sans dire un mot, elle pointa la colonne a2 du menton. Pas besoin d'en dire plus. Berty avait compris. La grille devait être sciée. Gianni avait été abandonné à son sort. Il avait perdu connaissance et mourait doucement. Bobby éclaira la grille pendant que Berty la sciait. Quand se fut fait, les deux hommes s'écartèrent pour laisser Christiana fouiller. La colonne s'enfonçait dans le toit et formait un coude. La conduite menait à la salle de bain de l'ancienne chambre de George Von Carter. Et dans ce coude, suffisamment poussée pour ne pas être visible du haut de la colonne, se trouvait une boite métallique. Elle fut attrapée par Berty qui, fermement tenu aux pieds par Démétrios et Bobby, avait été glissé dans le conduit.
Les grilles avaient été installées dans les colonnes peu de temps après « l'incident » de l'homme dans le conduit. Alors soit la boite avait été déposée avant la pose de la grille, soit la grille avait été retirée puis ressoudée.
La boite n'avait pas de cadenas, ni de serrure. C'était une boite toute simple. Elle n'avait rien d'un petit coffre fort mais elle résistait aux assauts du temps. Elle était très peu rouillée, juste un peu cabossée. La personne qui a mis cette boite ici devait être persuadée que personne ne connaîtrait son emplacement et embarquerait son contenu. Sinon elle aurait été mieux cadenassée et cachée.
Christiana donna l'ordre de rentrer. La grille fut laissée en plan. Christiana et Démétrios retournèrent dans le salon. Berty resta sur le toit et Bobby retourna au rez-de-chaussée, où il comptait appeler des renforts pour le reste de la nuit.

Dans le salon, Christiana et Démétrios faisaient face à la mystérieuse boite. Ils pouvaient très bien attendre le lendemain pour l'ouvrir. Mais Christiana voulait immédiatement savoir ce qu'elle contenait. Alors elle souleva le couvercle et le dos d'une photo apparut, posée sur une pile de papier froissés et usés.
Sur le dos de la photographie, il y avait une inscription : « 29 novembre 1922, Égypte, Vallée des Rois ». Christiana retourna la photo pour voir ce qu'il y avait dessus. Quelle ne fut pas sa surprise quand elle se vit, elle, en compagnie d'un homme qu'elle ne connaissait pas. Démétrios ne put s'empêcher de faire le rapprochement et de lui dire que c'était elle.

- En 1922, j'avais 2 ans. Maintenant que je suis voyageuse... c'est peut-être moi, dans mon futur, mais dans une année antérieure à celle-ci. Mais je ne sais pas... j'ai la sensation que quelque chose cloche.

Non. Ce n'était pas elle. Cette femme lui ressemblait mais l'essence qui se dégageait de son regard, de sa posture était bien différente de la sienne. Cette femme avait les cheveux plus longs et bouclés. Elle était radieuse, souriante, lumineuse et dévorée des yeux par l'homme sur la photo. Elle était grande, haut perchée sur de longues jambes, plus grandes que celles de Christiana. D'une main tremblante, la jeune femme s'empara du papier suivant. Elle le déplia et se retrouva face à une lettre datée de 1920, signée Christine et adressée à un certain Howard Carter.

Pendant que Christiana observait la photo et la lettre, Démétrios avait plongé son nez dans la boite et en avait sorti un carnet avec une couverture en cuir bien abîmé, sur lequel était écrit en lettre doré : J. Hohenheim. A l'intérieur, une liste de noms, accompagnés d'un chiffre plus ou moins long. Certains étaient rayés, d'autres entourés ou soulignés. À la suite de la liste, des mémos rédigés par la même main que la lettre adressée à Howard Carter, que Christiana lisait.

Pour Christiana, l'écriture du courrier lui était familière. Cette écriture était incrustée dans sa mémoire. Elle l'avait vu un nombre incalculable de fois, quand elle parcourait le journal de sa mère, lorsqu'elle était petite. Ressemblance physique avec la femme de la photo et similitude avec l'écriture de sa mère... Il n'y avait pas de doute. La femme de la photo ne ressemblait pas à Christiana. C'était Christiana qui lui ressemblait. Christiana avait devant elle une photographie de sa mère. Une mère qu'elle croyait morte en 1920.

- C'est ma mère, déclara péniblement Christiana, contrariée par sa découverte. Mon père m'a dit qu'elle nous a quitté en 1920. Elle nous a quitté dans un sens différent de celui que j'imaginais.

Pourquoi cette boite et ces papiers étaient-ils recherchés ? Et par qui ?
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Message  Invité Sam 19 Oct - 0:47

Démétrios n'avait pas remarqué de fenêtre donnant sur la terrasse mais il ne s'y était guère avancé, tout de suite arrêté par la découverte du corps. De toutes façons, il avait eu du mal à se repérer dans cette topographie urbaine totalement nouvelle et que la nuit rendait encore plus indéchiffrable. Il avait surtout été impressionné par l'altitude où il se trouvait, la sensation  d'être comme sur un promontoire  entouré de falaises. Le vent soufflait, chargé des bruits venus de l'ombre et agitant sur le sol et les murs des reflets mystérieux .
Christiana avait passé en revue les éléments d'information que lui apportaient ses hommes et qui n'éclairaient pas beaucoup la compréhension que pouvait en avoir le citoyen athénien malgré les efforts du Traducteur pour rendre correctement les expressions imagées  et les sous-entendus. 
Christiana parla encore de la guerre, de fils morts, de père désespéré. "Rien de nouveau sous le soleil.", pensa le Grec qui, grâce au moine Nestor, pouvait citer l'Ecclésiaste contre Héraclite et son fleuve qui n'est jamais le même.

Cependant, il s'inquiétait assez peu de ne pas saisir tous les tenants et aboutissants de la situation. L'Antichambre avait éveillé en lui une âme d'aventurier, or il n'y a d'aventure que dans l'inconnu. L'explorateur se détermine par les questions qu'il se pose et pour le Grec, le monde entier était devenu objet d'interrogations, vastes comme la nature de cette guerre dont il ignorait tout, ou anodines comme la raison de cette incisive en or que Démétrios ne pouvait s'empêcher de fixer à chaque fois que Bobby ouvrait la bouche.

Quand on se retrouva sur le toit, l'atmosphère se resserra sur le danger, la chasse à l'homme, et Christiana distribua les rôles sur un ton sans réplique. Démétrios fut tenté de répondre : Oui, Patronne ! comme les autres bien qu'elle l'ait désigné par un cérémonieux  Monsieur de Zéa, qui n'impressionna pas Bobby, lequel ,passant devant le marchand d'olive, souffla à son collègue:

-Dezéa ? Mon oeil.. combien tu paries qu'il s'appelle Zéapoulos ?

Ce fut le traducteur qui transmit le sens du murmure indistinct et Démétrios se dit que la transmission se faisant par la pensée, Logos, ce brave vieux Logos, pouvait traduire même ce qui n'était pas clairement articulé. Evidemment, il fallait quand même l'émission d'un langage. Il y avait là des possibilités à exploiter mais dont il fallait aussi se méfier et Démétrios s'arrêta juste au moment où il allait rétorquer:
- Zéapoulos ? Non ! En fait, je suis né à Phalère, mais je ne veux pas être confondu avec Démétrios de Phalère, mon contemporain déjà illustre..
Mais le moment présent se déclina brusquement sur le mode hyper actif, avec Bertie trébuchant, le claquement d'un coup de feu, puis la double riposte des gardes. Démétrios n'en fut pas surpris. Le bruit des détonations semblait devoir accompagner la mauvaise humeur de Christiana Von Carter quand des intrus, smilodons ou cambrioleurs, l'empêchaient d'aller se coucher.
La rapidité de l'enchaînement, le vacarme répercuté par les colonnes métalliques et les superstructures de la terrasse, les bruits de pas rapides, tout poussa Démétrios hors de son habituel esprit d'analyse. Une ombre se découpa une seconde sur un bout de ciel nocturne, puis disparut. Il avait une arme entre les mains et quand la silhouette réapparut, montant sur un muret, juste dans le prolongement du canon qu'il avait relevé, instinctivement son doigt appuya sur la gâchette.
Le bruit qu'il déclencha lui fit presque plaisir comme s'il avait bien placé sa mesure dans un chœur où il avait une entrée à ne pas manquer. Il se sentait un peu hors de lui-même. Il reconnut l'impression de puissance et de légèreté que donne le tir à distance et qu'il avait ressentie en s'entraînant avec l'arc de chasse hellène. C'était comme si le regard lui-même pénétrait la cible, sans le poids de la lance ou de l'épée qui se heurte à la solidité du corps rencontré.
Il réagit encore par instinct en poussant Christiana à l'abri quand il entendit un bruit sur la droite, suivi de  nouveaux coups de feu. Mais il avait perdu le fil de ce qui se passait. Ses bras s'abaissèrent, le fusil cessa d'être une arme pour ne plus être qu'un objet insolite et encombrant.
Les autres s'agitaient. Il fit quelques pas vers l'endroit où il avait tiré. Derrière le petit mur, allongé sur le dos, l'homme ne bougeait pas. Du sang avait coulé de sa bouche et on pouvait deviner que la balle, tirée de bas en haut et entrée en biais au dessus du foie, avait dû  poursuivre vers la région du coeur. Ce qui était une chance pour l'homme, tué sur le coup au lieu d'agoniser dans d'horribles douleurs, comme la plupart des blessés  à l'abdomen. Démétrios en fut satisfait. Ces fusils étaient efficaces et propres. Un coup d'épée sous cet angle aurait provoqué une véritable boucherie et l'homme aurait eu le temps d'avoir ce réflexe absurde de saisir la lame de ses deux mains pour tenter d'empêcher l'affreuse pénétration. Démétrios ne regrettait pas son geste. Le meurtre est chose grave mais il est légitime de se défendre et encore plus de défendre ses amis. Il savait aussi qu'il entrait beaucoup de hasard dans le fait qu'il ait abattu le bandit du premier coup de fusil et s'il ne se sentait pas coupable, il n'en était pas fier pour autant.
Il revint vers Christiana et ses alliés qui entouraient  l'homme abattu par Bertie. Là, il y avait beaucoup de sang. La balle avait traversé la gorge et l'homme s'étouffait dans une respiration noyée par le flot rouge qui emportait sa vie.
La voix nette de Christiana donna des ordres et Démétrios, qui ne s'attendait pas à de telles injonctions, mit un moment à intégrer la haine et le froid plaisir de la vengeance distillés par ces paroles.
Il avait cru comprendre que le monde était devenu chrétien. Nestor avait parlé du pardon et de la charité et que tous les hommes étaient frères sous le regard de Dieu. Mais la jeune femme s'exprimait comme si la cruauté devait assurer la victoire alors que Démétrios croyait depuis l'enfance que la générosité du vainqueur ne peut que couronner sa gloire. Certes, peu d'hommes savent dominer leur haine mais ceux qui en sont capables demeurent les figures les plus admirées, les exemples les plus beaux d'humanité. Que cet homme mourût était dans l'ordre des choses et parfaitement justifié, mais pourquoi ajouter au mépris naturel envers les traîtres, des sentiments barbares abaissant celle qui les proférait au rang même de celui qu'elle avait vaincu ?
Il se sentait devenu étranger à ce qui se passait. Il n'y avait plus de danger. Satisfait d'avoir contribué à l'écarter, il était déçu par l'attitude de férocité sans noblesse du clan qu'il avait spontanément servi. ll ne connaissait en ce monde du futur que Christiana, et ils avaient déjà lutté côte à côte pour leur vie.
Il assista à l'extraction de la boîte sans mot dire et même eut une réaction qui l'étonna un peu. Il sortit le boitier qui contenait le traducteur et appuya sur le bouton qui l'endormait. Il se sentait si étranger dans un monde incompréhensible et trop compliqué qu'il ne voulait plus entendre ce que ce monde avait à lui dire. Si c'était pour lui apprendre que la mesquinerie et la cruauté  régnaient toujours, et avec des moyens accrus par un savoir de vingt siècles, autant rester seul avec lui-même et sa croyance en une dignité spécifiquement humaine.  Autour de lui, trois individus parlaient en une langue à l'accent nasillard, si loin de la fluidité douce de son grec natal et il n'avait aucune envie de comprendre ce qu'ils disaient. Son mutisme n'étonna personne. Très naturellement, Christiana était fort intriguée par ce qu'elle avait dénichée dans le conduit et pressée d'en découvrir l'exacte nature..

Cependant, rentrés dans l'appartement, Démétrios se calma un peu et la curiosité finit par l'emporter. Il ranima Logos quand, le coffret ouvert, il aperçut une photo et que, derrière un couple, il distingua un monument égyptien qu'il pouvait identifier. Il avait visité la Vallée des Rois en remontant le Nil jusqu'à Thèbes. L'ancienne métropole, détruite par Assurbanipal trois siècles auparavant, n'en finissait pas de se relever de ses ruines. Trois siècles ? du moins au temps où il cherchait à y vendre du vin grec contre des dattes... Et voilà qu'en 1922, après plus de deux millénaires, le temple d'Hatchepsout paraissait moins abandonné que lorsqu'il y avait médité sur la ruine des empires et la fragilité de la gloire. Il avait même, selon l'usage, payé un artisan local  pour graver son nom dans un tombeau saccagé, avec une citation de Sophocle : "Tel va le temps qui tout efface.",  pensant qu'un jour viendrait où son inscription serait effacée par le sable, le vent du désert et la poussière des âges.
Démétrios sentit le frisson d'angoisse et d'excitation que lui donnait son statut récent de Voyageur du Temps. Les époques se mêlaient,  non plus soigneusement ordonnées, passé et futur inaccessibles encadrant un présent fugitif, mais devenues comme des milliers de portes ouvertes qu'il lui suffisait de pousser sur un présent éternellement recommencé.

Il crut reconnaître la jeune femme sur la photo avant de regarder plus attentivement. Christiana lisait une lettre en silence puis elle lui apprit que  ces souvenirs venaient de sa mère. Il lui tendit le carnet qu'il avait tiré du coffret. C'était le troisième carnet qu'il voyait et Démétrios était en passe de devenir un carnetomane  convaincu. Sitôt qu'ils seraient sortis de cette histoire, il lui faudrait s'en procurer, de tout petits et de plus grands, avec ces stylets qui semblaient courir tout seuls sur la surface lisse et fine du papier.
Revenant aux objets découverts, il se demanda en quoi leur trouvaille pouvait avoir un intérêt suffisant pour entraîner la mort de trois hommes. Il savait assez peu de choses finalement sur le Bacchus, sur les activités des Von Carter. Toutes les grandes familles riches avaient des ennemis, des concurrents, des jaloux ; et aussi des mystères , des secrets parfois honteux ou dangereux, qui devaient demeurer dans l'ombre, des noms qu'il ne fallait pas prononcer devant les esclaves, les enfants ou les femmes, quand cela était possible.
Que savait Christiana, qui pour l'instant n'avait plus rien du chef de clan impavide de tout à l'heure ? Elle semblait très touchée par la photo. L'homme qui accompagnait sa mère n'était pas le père que le Grec avait aperçu dans Blue Hospel. Il regarda encore le carnet sans avoir la moindre idée de son utilité. D'un côté, une  banale histoire  de femme qui s'enfuit avec un amant. Sans doute, un épisode douloureux, et pour l'honneur de l'époux bafoué et pour les sentiments familiaux, mais une histoire déjà ancienne. Et de l'autre, des hommes prêts à tuer et à mourir pour récupérer ces débris du passé. y avait-il un lien avec ce frère qui n'en était pas un et que Christiana voulait retrouver ?
Il tenta de faire le point mais il lui manquait trop d'éléments et il se contenta de demander :

-Connaissez-vous ce nom : J. Hohenheim ? Et tous ces noms dans le carnet ? En quoi cela devait-il être caché et pourquoi d'autres que  votre famille s'y sont intéressés ? Qui a pu entrer en possession de ces objets ? Si vous voulez éclaircir tout cela, il y a bien une solution...Nous avons une date..et un lieu... Vous voyez à quoi je pense ?
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Message  Invité Jeu 24 Oct - 19:01

Christiana avait trouvé Démétrios bien silencieux mais elle n'avait pas jugé bon de le lui faire remarquer. Parfois, le silence valait mieux que des paroles. De toute façon, avait-il seulement le temps de dire quoi que ce soit ? Christiana agissait comme une flèche, faisant fuser les ordres. Elle en avait presque oublié la présence de Démétrios. Tout ce qu'elle avait en tête, c'était une vague de question. Qui avait ordonné ce vol ? A qui appartenait le coffret ? Pourquoi Gianni a-t-il retourné sa veste ? L'avait-il au moins retourné ou bossait-il depuis toujours pour celui qui avait commandité le vol ?

À l'ouverture du coffret, Démétrios ne disait toujours rien. Elle en fit de même jusqu'à arriver à la conclusion selon laquelle sa mère était sur la photographie. Quand la révélation fut faite, il parla enfin pour lui poser une question. Christiana leva les yeux vers lui et secoua négativement de la tête. Puis elle reposa ses yeux sur la photographie.

- Je ne sais pas ce que c'est. Des carnets de ce genre, j'en ai déjà vu, quand les Von Carter était encore dans le grand banditisme. Vous savez, ma famille, le Bacchus... on a plus d'ennemis que d'amis. En fait, il n'y a que des ennemis. Les amis n'en sont jamais. Les vestes se retournent. Les gens vont dans le sens du vent. La preuve avec Gianni, soupira-t-elle. Nous ne faisons plus de trafic, à peine un peu de blanchiment d'argent avec quelques prêteurs sur gage. Mais nous ne trempons plus dans les meurtres, tortures, commerce d'alcool ou de prostituées, pots-de-vin. Depuis que mon père est mort, Jared et moi avions conclu un deal. On garde le club parce que, mine de rien, c'est une activité plutôt plaisante. Mais on ferme le reste. Seulement... le passé aurait fini par nous rattraper apparemment, dit Christiana en tapotant le carnet du bout du doigt. Ou peut-être que non. Enfin si. Le passé revient puisque ma mère fait partie du passé.

Elle se leva, alla vers le mini bar et se servit deux doigts de scotch. Elle fit de même pour Démétrios et lui proposa le verre d'alcool.

- Mon père m'a dit, quand j'étais petite, que ma mère avait disparu. Dire qu'une personne a disparu était une façon pour mon père de dire qu'elle était morte. Il faisait ainsi avec les personnes dont il ordonnait la mort. J'ai donc pensé qu'elle était morte et j'ai grandi avec cette conviction. Mais maintenant...

Elle retourna vers la photo et la prit. Christiana la secoua et la jeta dans le coffret.

- Maintenant il semblerait que ce soit faux. Le Dévoreur est venu me voir avec l'étui à cigarette de Kyle. C'est l'étui qui m'a motivé à le suivre. Il avait une chose appartenant à Kyle et m'avait dit être envoyé par quelqu'un qui voulait me protéger. J'ai immédiatement cru que ce quelqu'un était mon Kyle. Et si c'était elle ?

Christiana se laissa choir sur le fauteuil qu'elle avait quitté pour se prendre un verre. Elle se tut soudainement et réfléchit à l'idée de Démétrios. L'idée de voyager pour aller à la date et lieu de la photographie. L'idée était plaisante, bonne mais peut-être un peu trop précipitée à son goût. Elle ressemblait comme deux gouttes d'eau à sa mère. Quelles seraient les réactions si elle surgissait à cette date et lieu afin de la rencontrer ? De plus, cela sous-entendait y aller sans avoir plus d'information que la seule dont ils bénéficiaient. À savoir que sa mère était finalement vivante et propriétaire d'un carnet bien caché. Un carnet à la signification inconnue.  

- L'idée d'aller la voir en Egypte, à la date de la photo me plaît bien. Cependant, si nous y allons, si vous souhaitez m'accompagner, il va nous falloir plus d'informations que nous en avons déjà. Que savons-nous actuellement ? Premièrement, que ma mère était vivante en 1922 alors qu'un cercueil vide a été enterré deux ans plus tôt. Deuxièmement, elle est en compagnie d'un homme, un archéologue, appelé Howard Carter. Troisièmement, ma mère a rédigé ces courrier mais apparemment, pas le contenu de ce carnet, dit-elle en examinant une nouvelle fois les pages du carnet. Sur la première page, rien ne ressemble à son écriture. Peut-être est-ce que cela change sur les pages suivantes. Quoi qu'il en soit, comment est-il arrivé dans ce coffret ? Quatrièmement, ce coffret est activement recherché par des hommes qui n'ont pas hésité à infiltrer un de leurs hommes parmi les miens ou de corrompre un des miens pour faire le vol. L'infiltration demande du temps car cela signifie avoir la confiance de Jared pour être engagé. La corruption demande moins de temps mais elle en demande quand même. Cela signifie donc que la personne derrière ce vol a préparé ça depuis un moment. Probablement un long moment. Cinquièmement, si nous nous rendons en Egypte en 1922, que vais-je dire à ma mère ? Que va-t-elle penser quand une femme lui ressemblait trait pour trait va venir lui poser des questions sur un coffret dont elle pense peut-être la seule à connaître l'existence ?

Christiana termina son verre et continua :

- Votre idée est intéressante mais nécessite une préparation. Je ne pense pas connaître les noms de ce carnet, il faudrait même que je le relise plus attentivement. Cependant, si vous acceptez de m'aider, cela ira bien plus vite car il serait judicieux de comparer ces noms avec ceux inscrits dans les carnets et archives de mon père et de mon grand-père. Les Von Carter ont beaucoup, beaucoup de documents intéressants et bien caché ça et là dans la ville. Et même ici, au Bacchus. De plus, après nos recherches, nous pourrions commencer par retrouver ce J. Honenheim.

Christiana afficha un large sourire malicieux.

- Qu'en dites-vous ? Que direz-vous d'explorer le monde de la maffia du vingtième siècle ? Après une bonne nuit de sommeil, bien évidemment !
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Message  Invité Sam 9 Nov - 2:37

Le grand banditisme...Dès que le Traducteur avait permis le dialogue avec Christiana, Démétrios avait compris que la famille de sa coéquipière vivait en marge de la loi. Mais il n'y avait pas songé sérieusement, pris dans une aventure préhistorique qui ne laissait guère de temps pour d'éventuelles discussions sur des problèmes d'éthique. Christiana lui avait surtout présenté les images d'un avenir fabuleux et rempli de merveilles grâce à l'avancée des sciences. Mais l'humanité devenue pléthorique ne lui semblait pas avoir beaucoup gagné dans le domaine moral. L'égalité entre les hommes et les femmes ne lui paraissait pas un progrès évident, la guerre ravageait toujours les terres et décimait les peuples. Les nouveaux dieux  qui avaient détrôné les anciens étaient peut-être plus élaborés sur le plan métaphysique mais tout aussi déraisonnables et incapables que leurs prédécesseurs.
Il avait imaginé les Von Carter comme des  seigneurs de guerre et de même, après une confusion sur le nom du Bacchus, il avait pensé à des armateurs pirates. Mais voilà qu'il s'agissait en fait de bandits, de brigands ! Ces mots évoquaient pour l'Athénien des bandes de soudards déserteurs, des ramassis d'esclaves en fuite, des misérables à demi sauvages, cruels dans leur désir de s'enrichir par le meurtre et la terreur, le danger redouté des paisibles campagnes et des routes isolées. Il en avait combattu durant son éphébie et n'avait éprouvé aucune pitié pour ces êtres frustes, grossiers et intraitables, violeurs de filles, égorgeurs de caravanes, des monstres qui enlevaient les enfants pour les vendre aux bordels de Phénicie ou de Cyrénaïque, des esprits incultes qui pillaient les tombes, attaquaient les temples isolés, mutilaient les statues sacrées pour en arracher les métaux précieux, utilisaient les parchemins dérobés pour allumer un feu de camp, un vrai fléau qu'il fallait éradiquer pour le bien de l'humanité.
Ce qu'il ne comprenait pas dans la situation présente, c'était que ces bandits fussent tolérés en pleine ville, au milieu même des citoyens qu'ils dépouillaient et des autorités qu'ils bafouaient. La ville, la Cité, n'était-elle plus le siège de la loi, de l'ordre, de la sécurité, rejetant les fauteurs de trouble hors de ses murs, assurant le triomphe de la civilisation sur la barbarie ?
Il se força à ne pas juger ces moeurs nouvelles tant qu'il n'aurait pas reçu de plus amples informations. Il était un Voyageur. Rien de ce qui existait ne devait lui être totalement étranger. Tout était le produit de causes qu'il s'agissait de connaître pour agir en conséquence. Sur ce point il était d'accord avec ses maîtres aristotéliciens.
Mais il ne serait pas seulement spectateur dans le grand théâtre du temps. Il savait qu'à certains moments il lui faudrait choisir son rôle à jouer. Tout comprendre n'est pas tout accepter et il sentait qu'il n'accepterait pas plus le banditisme du vingtième siècle que celui du quatrième avant Jésus-Christ. Cependant pour l'instant, il était le camarade de voyage de Christiana von Carter et il devait l'aider à se défendre.

Heureusement, Christiana souligna que sa famille rentrait peu à peu dans la légalité et ne se livrait plus qu'à quelques manœuvres douteuses mais ne relevant apparemment que de fraudes commerciales, ce qui était plus facile à intégrer dans l'ordre social, s'il s'en rapportait à l'expérience du marchand Démétrios. Et loin des entreprises sanglantes, c'était dans le blanchiment de l'argent que la famille réalisait des bénéfices, sans que Démétrios comprenne très bien de quoi il s'agissait. Il répéta doucement "blanchiment d'argent... lavage d'argent ? " sur un ton hésitant et Logos aussitôt se lança dans une traduction explicative très détaillée dont Démétrios se lassa vite. Lui qui, de son temps, avait déjà du mal  à tenir à jour le modeste rouleau où il notait ses comptes ! Il comprit en tout cas que la finance s'était infiniment développée et compliquée en ce 20e siècle et ne jugea pas que ce fût un progrès en soi. Cependant, fils de famille riche, il savait que son mépris de l'argent n'avait rien de vertueux.
Au moins le Bacchus était un commerce parfaitement utile et  Démétrios se promettait bien de visiter ce lupanar de luxe. La teinture d'abstinence dont le moine Nestor le Byzantin avait tenté de le badigeonner pour le préparer au baptème n'avait vraiment pas tenu.
Christina servit une boisson ambrée qu'elle présenta sous le nom de scotch et Démétrios vida le verre d'un trait, croyant à une variété de coca-cola. La force de l'alcool le saisit ; il ne connaissait que le vin, la bière et l'hydromel et il aurait cru à un poison si la jeune femme n'avait bu la même liqueur que lui. Il décida que le scotch ne valait pas le coca-cola pour le goût mais il apprécia  l'agréable chaleur au creux de l'estomac et l'éclaircissement presque immédiat de son humeur chagrine. Son esprit se réveilla et oubliant ses réticences, il entra dans le jeu des possibilités que la situation présentait et commença par demander quelques précisions sur les dates des évènements concernés et enchaîna  après une brève réflexion:

-Votre mère n'a pu donner l'étui de Kyle au Dévoreur que si elle a rencontré son prétendu fils à l'âge adulte où il  lui aura  remis l'objet.  Ce qui paraît étrange, c'est qu'elle se soit manifestée à Kyle seul, qui n'est pas son fils,  et non à vous ou à Jared. Kyle a disparu en permission, il a donc été porté déserteur comme dans toutes les armées du monde. Avez-vous eu le rapport d'enquête ?  Il se peut que  Kyle aussi bien que votre mère soient des Voyageurs du Temps, comme nous, ce qui expliquerait leurs disparitions prétendues. Et dans ce cas, ils connaissent le Dévoreur et l'un ou l'autre lui aura demandé de vous porter secours.
Je penche pour que ce soit votre mère, ce qui justifierait qu'elle n'ait pris contact avec Kyle que lorsqu'elle a vu que vous étiez malheureuse et que, pour vous faire sortir de cet état, il n'y avait que l'appel au Dévoreur de possible.
Pour le carnet, vous n'avez qu'à feuilleter l'intérieur pour voir si l'écriture change. Ce qui est important est de savoir qui  a écrit la première page, puisque ce n'est pas votre mère.


Il reprit le carnet, passa son pouce sur la tranche, puis sur le cuir de la reliure. Quel objet agréable à manier....

-En fait, je ne vois pas bien pourquoi vous vous intéressez à ce carnet  et à ces noms  et au mystère du coffret. Ce qui compte pour vous, c'est bien de retrouver Kyle ? Votre mère  est la clé de tous ces mystères. Le seul problème c'est de la rencontrer plutôt en 1944 qu'en 1922. Mais en 22, elle ne peut encore savoir ce qui s'est passé avec Kyle. Donc nous devons supputer où la trouver sur le fil du temps et reconstituer son itinéraire jusqu'en 44 mais il faut commencer par 1922. Nous aurons à déduire des ses activités et propos quelle étape sera la suivante. Sauf si  elle est déjà Voyageur.
A propos, pourquoi s'inquiéter de votre ressemblance ? Si votre mère est Voyageur, elle comprendra tout de suite qui vous êtes et sinon, quel bon prétexte pour l'aborder en jouant au sosie surpris de la coïncidence!


Il commençait à avoir une sérieuse envie de dormir et conclut :

-Cependant si vous pensez d'abord  élucider  le mystère du carnet, je vous suivrai sans discuter. Tous ces noms ont-il à voir avec l'argent à rendre plus blanc?
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Message  Invité Dim 24 Nov - 14:45

Christiana lâcha un bâillement qu'elle tenta de cacher en tournant la tête et en mettant une main devant sa bouche. Mais le bruit qu'elle fit trahit sa discrétion et dévoila la fatigue qui s'emparait véritablement d'elle. Réfléchir devenait difficile. Réfléchir sur l'origine de la tentative de vol, sur le retournement de veste d'un de ses hommes, ou sur ses réelles intentions en rejoignant le cercle très fermé des acolytes des Von Carter. Car même si leurs activités mafieuses étaient moindre, même s'il ne restait que de l'argent à blanchir, même s'il ne restait officiellement plus que deux Von Carter, être à leurs côtés étaient toujours un avantage. Les relations de la famille dans la police, parmi les magistrats et les hommes d'affaires apportaient toujours autant.
Christiana n'était plus non plus en mesure de réfléchir au sujet du contenu du coffret découvert sur le toit et de ce qui était advenu de sa mère. Tout était flou et mélangé. Elle ne savait plus sur quoi se concentrer. Elle n'espérait plus qu'une chose : rejoindre son lit, dormir et cogiter à tête reposée.

Elle se contenta donc de répondre aux questions et réflexions de Démétrios. La première concernait la potentielle rencontre entre sa mère et son faux-frère.

- C'est étrange oui. Quand on a appris que Kyle n'avait aucun lien de sans avec nous, tout le monde a assuré que maman l'avait tout de même aimé. Kyle n'a jamais dit avoir manqué de l'amour de maman et il n'a pas été malheureux lorsqu'il était enfant. Ou alors il ne l'a jamais dit...

Ce qui était fort possible. Après tout, elle aussi, était malheureuse avant cette nuit pluvieuse sur le pont, où le Dévoreur vint à sa rencontre. Elle aussi avait caché ses souffrances, sa tristesse et ses larmes. Kyle pouvait très bien en avoir fait de même. Il pouvait avoir fait comme elle : faire bonne figure devant le monde et garder en lui sa mélancolie.

- J'ai aussi songé au fait que Kyle pouvait être un Voyageur du temps, après ma rencontre avec le Dévoreur, avoua Christiana. Mais je n'ai jamais imaginé ma mère en Voyageuse. Et pour tout vous dire, qu'elle en soit une ou non m'importe peu. Seul Kyle compte. Il est celui pour lequel je suis ce que je suis devenue aujourd'hui.

Démétrios évoqua le carnet, suggérant de le feuilleter pour en savoir plus.

- Oui, il faut l'examiner en son entier. Mais demain, quémanda-t-elle. Après une bonne nuit de sommeil, même si la nuit est maintenant bien avancée. Nos aventures avec les Opulos suivies par ce début de nuit m'ont achevé. Concernant la première page, pourquoi ne serait-ce pas ce Monsieur J. Honenheim ? Ce serait logique car après tout, le carnet porte son nom. Cependant, il faudrait trouver cet individu pour en avoir le cœur net. Le carnet peut porter le nom homme et être rédigé par un autre. Par un secrétaire par exemple.

Christiana laissa Démétrios examiner la couverture du carnet et l'écouta poursuivre sa réflexion. Il s'étonnait de la voir fixer son attention sur le carnet plutôt que sur la photographie de sa mère.

- C'est tout simple. Je souhaite garder mon logement au-dessus du Bacchus comme endroit fixe où me réfugier en cas de besoin. Pour ce qui est de l'activité commerciale, Jared peut se débrouiller sans moi. Même si garder une main dans la comptabilité me sera utile. Si l'endroit qui doit me servir de refuge n'est pas sûr, comment ma qualité de voyageuse restera-t-elle secrète ? demanda Christiana.

Elle se redressa dans son fauteuil et afficha un regard déterminé.

- Si je veux que le Bacchus reste un endroit sûr pour moi, si je veux voyager en toute quiétude pour trouver Kyle, il faut impérativement que je sache pourquoi un vol a été organisé, pourquoi un homme de mon frère s'est avéré être un traître. Pour cela, je dois savoir pourquoi il voulait à tout prix ce coffret contenant le carnet et la photo de ma mère, expliqua-t-elle. Il ne faut pas que je me disperse et que je procède par étape. Alors avant de voyager en 1922, je dois chercher ici, sur place. Savoir s'il y a des choses dans le coffret trouvé sur le toit qui soient liées à New York. Le carnet peut-être ? S'il n'y a rien ici, j'irai en 1922 pour explorer la piste de ma mère. J'ai dans l'idée de chercher sur New York tous les noms présent dans le carnet. Le mystère du carnet est peut-être ce qui me conduira à ce Joe, l'instigateur du vol. Si je le découvre, si je sais ce qu'il veut, je mettrai les ennuis loin de mon pied à terre. Comme vous le faites remarquer, il est possible que ce soit lié à du blanchiment d'argent. Notre dernier activité.
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Message  Le Dévoreur de temps Ven 6 Déc - 22:36




Le petit matin frileux se levait sur New York, éclairant d'un rose irisé les surfaces vitrées de ses gratte-ciels, découpant en une fresque à la géométrie ordonnée la silhouette aux contours tranchants de cette cité affairée à des occupations pas toujours vertueuses. L'homme, sans son chapeau légendaire, campé devant la baie vitrée de la vaste pièce, perdu dans la contemplation de cette ville qu'il aimait plus que tout et à laquelle il avait consacré sa carrière, tira une bouffée sur sa cigarette et se retourna vers son interlocuteur.

- Et vous pensez qu'elle doit savoir ?

L'homme qui lui rendait visite et s'était installé, en habitué, sur le grand fauteuil cuir rétro hocha silencieusement la tête.

- Je sais ce que je vous dois Vladimir, mais tout de même, est-elle prête à cela ?

Des volutes de fumée s'élevaient aussi du fauteuil et elles furent quelque peu secouées par le mouvement d'air provoqué par le geste impatient du visiteur.

- Le mensonge n'a que trop duré. Elle me servira mieux si elle sait. De toute façon, il en va de la vie de vos agents encore en activité. Vous savez bien ce que contient le carnet d'Hohenheim. Combien de temps faudra-t-il à la Cosa Nostra nouvelle génération pour percer le codage et débusquer un à un tous vos agents ? Il en va également de la vie NOTRE agent  

Le maître des lieux, dont le visage aux traits réguliers d'une beauté singulière quoique atypique, bien que vieillissant, dégageait toujours un charisme et ses yeux clairs qui rayonnaient d'une intelligence marquante n'avaient rien perdu de leur détermination. Il s'approcha de son bureau et s'installa à son tour dans un fauteuil similaire à celui de son invité et, lui faisant face, poursuivit:

- Le mensonge évite parfois des bains de sang mais vous avez raison, je n'ai pas mis en place ce réseau de vigilance après avoir éradiqué la racine du mal pour le voir mis à mal par une simple histoire de famille. De plus, je ne souhaite pas plus que vous qu'il arrive malheur à NOTRE agent, avoua l'ancien policier en prenant une bouteille de forme cubique aux parois diamantées.

Il se servit dans un verre assorti un généreux whisky pure malt et en proposa une à l'homme aux cheveux de neige qui déclina l'offre.

- Hmmm, pardonnez moi, j'oubliais que votre préférence va à la vodka... Vous voulez donc que je rende visite à Mademoiselle Von Carter et que je lui révèle tout... Vous n'êtes pas sans savoir que j'ai raccroché et que je ne peux plus me faire valoir du F.B.I. Je ne suis même pas certain que les hommes de main de son frère me laissent la rencontrer. Mes "observateurs " me disent qu'il est paranoïaque et que le Bacchus est mieux gardé que le couvent des Carmélites lui-même !

Le visiteur répondit sans se départir de son accent roumain et de son sourire énigmatique ni de l'humour qu'il ne manquait pas de manifester en présence de son vieil ami.

- Qu'en savez-vous, Eliott ? Dois-je en conclure que vous avez utilisé mon sauf conduit pour vous introduire dans de tels lieux et pour visiter de jeunes novices ?

Le maître de maison, encore en robe de chambre, haussa un sourcil et son oeil s'éclaira d'une lueur malicieuse lorsqu'il répondit.

- Voyons, Stanzas, vous avez toujours été plus homme à femmes que moi. Ma carrière ne m'a guère laissé le temps de batifoler. J'étais marié avec la Loi, dois-je vous le rappeler ? Mais, plus sérieusement, ce que vous me demandez n'est pas simple...

Stanzas décroisa ses longues jambes et lissa un pli imaginaire de son cache poussière.

- Je puis vous fournir des hommes équipés qui feront impression. Vos hôtes se croiront revenus au temps de la Prohibition.

Le regard d'Eliott se voila légèrement et un sourire nostalgique étira ses lèvres tandis que le visiteur matinal poursuivait ...

- Vous aussi... Cela vous manque n'est-ce pas ?

L'hôte se leva avec une énergie encore fraiche pour un homme mûr et se dirigea vers une vitrine dans laquelle étaient accrochées des armes de calibres divers.

- Autant que votre laboratoire peut vous manquer, Stanzas... Bon, c'est dit, j'accepte cette mission. J'ai carte blanche, m'avez-vous dit ?

- Absolument , du moment que vous empêchez les "héritiers" de mettre la main sur le carnet. Je dis cela pour vous, au passage. Et pourvu que Christiana Von Carter coopère et n'oublie pas grâce à qui elle peut voyager ... Elle s'est mis en tête de retrouver Kyle Von Carter, enfin c'est ainsi qu'il se nomme pour elle. Je ne peux pas permettre qu'elle débarque sans être avertie et flanque par terre tous mes plans, pas après toute cette longue et complexe mise en scène. Kyle doit rester porté disparu pour sa famille. Si elle doit un jour le rejoindre, nous devons nous assurer d'abord de son entière collaboration. Un seul soupçon de ses nouveaux patrons sur sa nouvelle identité et Kyle serait condamné .

L'ancien agent fédéral se passa une main sur le menton.

- J'avoue que si je n'étais pas un de vos anciens agent moi-même, j'aurai du mal à croire à ce que vous projetez de lui faire accomplir. C'est du suicide. Vous êtes un foutu manipulateur Stanzas, et si je ne savais ce qui vous anime, je dirais que vous nous utilisez ce pauvre homme comme moi-même. Nos combats se rejoignent encore parce que les intérêts de nos ennemis sont identiques, donc, oui, je vous aiderais, maintenant, hier et demain. Acheva-t-il en tendant la main à celui qui lui faisait face.

- Maintenant, hier et demain, Eliott. Répondit Stanzas en se levant pour accepter la poignée de main. Puis il se dirigea vers la porte du living et se ne se retourna même pas pour ajouter:

- Ne vous dérangez pas, je connais le chemin. Dans une heure, une Ford avec six hommes armés jusqu'aux dents se garera en bas de votre immeuble pour vous accompagner au Bacchus. Soyez prêt.

Un étrange sourire illuminait ses traits lorsqu'il pénétra dans l'ascenseur. Des pensées se bousculaient dans son esprit. L'image de Démétrios hésitant encore à suivre le fil nouveau des aventures tandis que Christiana, elle, sautait à pieds joints dans le vortex dans l'unique espoir de rejoindre Kyle. Oui, la réaction était toute différente lorsqu'on avait l'espoir de retrouver l'être aimé. On pouvait bien affronter l'inconnu et même le connu qui pouvait être tout aussi terrifiant.

***********

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]
*cliquez-moi!*


Une heure et demi plus tard, sept hommes, vêtus d'imperméables gris et de chapeaux, armés de mitraillettes débarquaient dans le hall d'entrée du Bacchus en bousculant quelque peu le portier. Deux malabars en armes firent immédiatement irruption, attirés par les cris mais devant les six canons braqués sur eux, ils se ravisèrent. Ce qui acheva de les calmer fut la carte que l'homme le plus âgé leur mit sous le nez. Une carte qu'ils ne connaissaient que trop bien, estampillé Federal Bureau of Investigations. Mais ce qui les avait fait blêmir, en même temps qu'ils ressentaient cette excitation caractéristique d'un retour à une activité qui manque, ce petit fourmillement au creux de l'estomac - bon sang ! Y allait avoir du grabuge ! - c'était l'homme qui tendait la carte... Malgré les années écoulées, ils l'avaient immédiatement reconnu...

- Veuillez informer Mademoiselle Von Carter que le F.B.I. souhaiterait l'entendre dans le cadre d'une affaire de multiples meurtres perpétrés sur le toit du Bacchus cette nuit.

- Elle dort, la Patronne !

- Hé bien, réveillez-là, sinon c'est moi qui m'en chargerait ! Répliqua sèchement l'ancien agent fédéral.


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Message  Invité Ven 13 Déc - 16:29

New-York City- USA Amérique-1945 AD

D'habitude, Démétrios écoutait toujours avec beaucoup d'attention ce que disait Christiana car malgré le rôle assez actif qu'il avait joué depuis son arrivée à New-York City- USA Amérique-1945 AD , il se sentait le plus souvent terriblement exclu d'une réalité incompréhensible dont seule la jeune femme possédait les codes et les clés.
S'il s'arrêtait d'agir selon l'instant, il se voyait pris au centre de bâtiments titanesques, de rues vertigineuses traversées de lumières et de vacarme, tout l'univers devenu ville, enserrant le Bacchus dans un tourbillon de fin du monde. Les dimensions  redevenaient plus humaines s'il ne pensait qu'à l'appartement, mais il y était encerclé par une masse d'objets inconnus dont il devait apprendre le nom, l'usage, la manipulation et le rapport avec cette électricité qui semblait être devenue l'âme des choses, éclairant, bourdonnant dans les appareils à chauffer, à glacer, à faire sortir des voix et des musiques de cubes et de boîtes.
D'une certaine manière, les individus paraissaient peut-être les moins illisibles dans cet environnement de machines, parce que les émotions n'avaient pas changé sur les visages. Démétrios y déchiffrait, sans besoin d'interprète, l'intérêt, la peur, la surprise, la colère et la méfiance, l'amusement ou la haine, la sympathie ou la douleur. Pour l'instant il voyait parfaitement  le besoin de sommeil sur les traits fatigués de Christiana.
Mais les comportements n'étaient pas aussi clairs que les sentiments. Si on allait plus profond que l'immédiat des gestes et des expressions, à nouveau, c'était le mur noir de l'ignorance.Tout était allusions, non-dits, références, sous-entendus.
Il comprenait de plus en plus pourquoi le Dévoreur soumettait ses voyageurs aux épreuves de l'Antichambre. Il y avait tant vécu d'aventures étonnantes et vu tant d'étrangetés qu'il s'étonnait moins mais s'interrogeait tout autant et même plus. Il  existait une marge d'irréel dans les univers de Zorvan qui semblait éloigner la nécessité de les comprendre. Là, il était dans sa réalité et responsable de lui, sans Gardien. "New-York City- USA Amérique-1945 AD "était inscrit dans la logique temporelle et spatiale du monde où il avait vécu et il fallait s'y adapter pour y vivre autrement tout en demeurant lui-même.
Il se répétait la date pour se confirmer qu'il avait bien abordé dans une autre vie et il se promit de tenir un carnet de voyages sitôt qu'il pourrait en obtenir un. Ce serait très utile et quel plaisir de faire courir le stylo sur ces feuilles si blanches, si lisses.


Du temps, des siècles et un carnet !

Il s'aperçut q'il pensait davantage à ce futur carnet qu'à celui qu'il tenait entre les mains et revint à la conversation, mais il commençait à avoir du mal à fixer son attention. Christiana parlait de Kyle mais pour lui ce n'était qu'un nom. Pourquoi sa mère adoptive ne l'aurait-elle pas aimé autant que ses enfants ?
En fait, il ne s'intéressait que peu à la famille de sa camarade voyageuse. Il trouvait leurs rapports bizarres, leurs activités louches, se sentait toujours peu réceptif à l'autorité d'une jeune fille sur son frère. Si encore elle avait été mariée !
Il  l'avait suivie à New York  pour plusieurs raisons : d'abord, parce qu'elle le lui avait demandé et qu'il voulait aider en cas de besoin celle dont il avait partagé le sort dans des circonstances exceptionnelles. Ensuite parce que le mammouth les avait poussés vers la passerelle où se tenait le Dévoreur, et à cet instant il n'avait guère réfléchi à l'endroit où il débarquerait. Démétrios était presque sûr que s'il avait changé sa volonté de suivre Christiana, il serait arrivé ailleurs que sur le pont newyorkais. Mais il  n'avait pas pensé à autre chose qu'à prendre ce pont et rejoindre le Dévoreur. Donc, il pouvait interpréter cette poursuite de leur compagnonnage soit comme un signe du destin, peut-être confondu avec la volonté du Dévoreur, soit comme une décision spontanée de la sienne propre. Il n'avait pas à y revenir. Ils avaient combattu ensemble pour leur vie et le bouclier du Grec protège le compagnon dans la phalange et non celui qui le porte.
Sa curiosité de voyageur était aussi de la partie. 1945, c'était inimaginablement loin dans le futur, même après son séjour au IXe siècle. Il y avait d'ailleurs moins de différences entre le temps des mammouths, la  Grèce du IIIe siècle et la Constantinople de l'an 860, qu'entre cette dernière  et le monde de Christiana. On pouvait penser que l'humanité avait brusquement fait un bond prodigieux dans le savoir. C'était une idée passionnante.  Quel Prométhée était apparu pour révéler de nouvelles connaissances ? En quel siècle cette seconde flamme s'était-elle allumée dans l'esprit humain ? Rien que cette idée de siècle était magnifique. Comme mesure, les Olympiades paraissaient soudain étriquées, à la mesure de l'incertaine mémoire des hommes d'autrefois. Le temps découpé à l'aune des institutions locales n'avait rien de sûr, mais calculé par la mathématique, il prenait une allure carrée, nette, indépendante des circonstances,  infiniment renouvelable.
Démétrios rêvait debout, la bouche entr'ouverte, les yeux dans le vague. Oui, il irait voyager dans chaque siècle entre son temps et le XXe, en choisissant à chaque fois l'année 45 comme temps d'arrivée. Cela ne ferait que 23 voyages après tout ! Il  noterait ses impressions dans un carnet spécial ; il voyait déjà les en-têtes composés juste de la date. -245, -145, - 45,  + 45, +145  etc... Il faudrait passer aussi en l'an 1, rien que pour voir si était vraie cette belle histoire racontée par Nestor ,d'une étoile guidant les Rois venus d'Orient. Choisirait-il pour marquer les étapes de son exploration les chiffres grecs ou bien ceux de Christiana qui les lui avait indiqués sur une machine à montrer le temps où des aiguilles tictaquaient de signes en signes ?

-Il me faut absolument un carnet.

Une femme de tête
Il ne savait pas s'il avait parlé à voix haute et sa gêne le ramena à la réalité. Il vit que Christiana, toujours assise, parlait de sa sécurité et il se secoua. Elle avait raison. Il était temps d'aller dormir.
Mais elle ne voulut pas sonner la retraite sans avoir établi son plan de bataille. Elle avait un but : "trouver" Kyle-  trouver et non "retrouver"....Démétrios sentit très bien la nuance dans la traduction qu'en fit Logos, mais elle pouvait être fortuite. En tout cas, elle confortait l'idée d'une Christiana  tendue toute entière vers son objectif, le monde autour d'elle devant s'ouvrir pour laisser le passage à sa détermination ; comme il se sentait incertain et flottant auprès d'une telle volonté.
Il remarqua aussi qu'elle envisageait tout son programme, très logiquement calculé, sans l'associer, lui, Démétrios, une seule fois à ses projets. "Je" revenait de façon exclusive, avec des "je veux" et "je dois". Et puis, pas une fois, elle ne manifesta d'émotion à l'idée de découvrir sa mère. Comme les filles étaient devenues différentes.
L'idéal féminin pour Démétrios était le reflet de sa  propre mère si tendre et, bien que fière d'âme et souveraine dans son maintien de fille d' Acamantides, toujours si bienveillante, attachée à ce que même un esclave se sentît compris dans la famille. Il était aussi un peu froissé en tant que mâle d'être réduit à une présence aussi peu substantielle, mais il fallait admettre qu'il n'avait rien à faire dans cette époque et que ses priorités auraient dû normalement le reconduire chez lui pour rassurer sa mère et commencer ensuite sa libre vie de Voyageur. Il aurait pu rendre visite à Zorvan et lui demander comment retrouver Thorvald, ses guerriers et ses navires, et aussi apprendre si le Dévoreur avait une tâche à lui confier, car Démétrios pensait avoir une dette envers celui qu'il considérait encore comme un Prince, sinon des Ours, du moins des Voyageurs. mais l'aventure partagée crée des liens et il avait été utile à Christiana, là-haut sur le toit. Quant à elle, femme avisée du XXe siècle, quel meilleur professeur pour l'ignorant qu'il était ?

Démétrios répondit seulement :

-Entendu. Si vous le voulez toujours, je peux vous accompagner dans New-York. Tout cela est dangereux si on pense à ce qui s'est passé sur la terrasse .
Mais maintenent, il faut aller vous reposer ; nous étions partis pour dormir quand ma curiosité m'a poussé vers cet escalier tournant. Moi aussi, je suis un peu assommé et avec votre permission, je vais rejoindre ma chambre.


Il se leva, et ajouta:

-Nous pourrions croire, en nous remémorant tout ce que nous venons de vivre, que nous sommes, tel le géant Argos, capables de rester toujours éveillés. Mais j'ai remarqué qu'entre deux transferts, il y a comme une rupture de la suite des heures ; les temps différents doivent se réajuster en nous et un jour n'a pas la même durée ici et là. J'ai vécu  une journée incroyablement longue et fournie en événements quand j'étais en Aparadoxis. Je crois que le passage des ponts temporels modifie notre dépendance interne au rythme du Temps où nous vivons. Mais il ne nous remet vraiment à neuf que dans Aparadoxis et je crois, d'après mon expérience, seulement si Zorvan a besoin que nous soyons en forme pour l'épreuve suivante. Il faudra que je lui en parle pour savoir si j'ai raison.

Il s'imagina un instant, notant d'un stylo alerte les leçons du Gardien qui lui répondrait peut-être sans se moquer de lui et sans l'envoyer valser sur le derrière pour lui apprendre à rester à sa place.
Décidément, il lui fallait un carnet ! Mais quitte à rêver autant le faire sur un lit et Morphée se faisait de plus en plus pressant.

-Bonsoir Christiana. Que vos dieux vous protègent  des mauvais songes.


Pyjama et Alpaga

Entré dans sa chambre, Démétrios hésita un peu. Et s'il se mettait à souhaiter très fort de se retrouver dans la maison familiale à Phalère, si loin dans le passé mais si proche dans son coeur ? Il pourrait dormir sur son lit de bois et de sangles monté sur pattes de lion en argent et qui avait été celui de son grand-père. Et au matin, il irait surprendre sa mère. Mais il était trop fatigué et s'il ne parvenait pas à revenir, il aurait l'air d'avoir déserté 1945 où le Dévoreur l'avait envoyé.
Il vit des habits pliés sur le lit. Christiana lui avait parlé de vêtements pour la nuit. Curieux, Démétrios qui s'apprêtait à dormir nu ,car il faisait une bonne chaleur estivale dans la pièce alors qu'au dehors le climat lui avait paru frisquet, se retrouva dans un ensemble rayé verticalement vert et blanc avec une étiquette intérieure dont l'Athénien ne put déchiffrer que quelques lettres. L'écriture n'avait plus rien de la simplicité antique. Ces gens du futur ne devaient pas graver souvent leur texte dans la pierre ou sur l'argile collante des tablettes. Mais il eut l'idée de suivre du regard le contour des lettres puisque Logos était un traducteur mental :
Spoiler:
Logos crachota une traduction explicative car, en bon traducteur, il savait adapter sa traduction à la compréhension du destinataire. Démétrios découvrit en même temps l'existence des Grands Magasins et celle de la Cinquième Avenue. Que le monde était devenu complexe, pensa le Grec empyjamaté, en se demandant dans quelle tranche du feuilleté de literie il devait s'introduire. Il choisit entre la courtepointe soyeuse et la couverture veloutée qui portait une autre étiquette, montrant  l'image de l'animal qui avait offert son poil et un nom Alpaga que Logos traduisit sans hésiter par grande chèvre exotique. Démétrios pensa une seconde à demander où se situait cet exotisme-là mais il venait de s'allonger sur Alpaga et dormait déjà.
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Message  Invité Lun 16 Déc - 17:49

Après avoir parlé si longuement, si rapidement, Christiana se tut soudainement. Le regard vague, elle ne savait plus où elle en était dans ses propos. Sa bouche et ses pensées n'étaient plus coordonnées. Elle avait l'impression que ses paroles ne suivaient pas le rythme de sa réflexion. Ou peut-être était-ce l'inverse. Quoi qu'il en fut, elle resta bouchée bée un instant, ne sachant plus sur quoi continuer son monologue. L'intervention de Démétrios lui redonna matière à parler.

- Oui, ce qui s'est passé sur le toit est dangereux. Lorsque j'étais enfant, ce genre de choses était courant. Trop souvent même, reconnut-elle. Votre curiosité a été de bon augure. Que savons-nous des projets des cambrioleurs de cette nuit ? Qui nous dit qu'ils n'avaient pas aussi l'intention de venir à l'intérieur. Qu'est-ce qui nous assure que nous aurions été en sécurité dans nos lits s'ils avaient été plus loin que le toit...

La demande de permission pour aller se coucher fut accueillie avec joie par Christiana. Démétrios se leva et elle fit de même non sans difficulté. Elle s'appuya sur les accoudoirs de son fauteuil et se hissa tant bien que mal de l'assise. La tête lui tournait un peu. Elle resta quelques secondes appuyée sur le guéridon le plus proche, posant sa main à moitié sur le carnet recouvert par la photo de sa mère.

- Votre sens de l'observation est plus aiguisé que le mien, dit-elle en se passant sa main libre sur le front. Je n'ai pas remarqué de rupture dans les heures. Je ne ressens qu'une intense fatigue que je ne saurais dire si elle résulte de cette rupture ou de l'ensemble des événements, ceux de l'antichambre, des épreuves, de la préhistoire et de cette nuit, qui je dis l'avouer, font beaucoup pour un début. La volonté est là, mais ma constitution physique va avoir grandement besoin d'être améliorée si je ne veux pas finir si faible après chaque voyage.

Christiana s'éloigna du guéridon quand le tournis cessa. Elle s'approcha de Démétrios et montra la porte de l'escalier qui menait à l'étage des chambres. D'un signe de main, elle l'invita à monter pour se coucher. Tout en allant vers les chambres, elle ajouta :

- Vous étiez à votre aise auprès des Mammouths, tandis que je traînais loin derrière. Un bon entraînement me ferait du bien. Peut-être accepteriez-vous de m'aider à me fortifier physiquement ? Demanda-t-elle en montant la première les marches de l'escalier à pas lents, tout en se tenant fermement à la rambarde. Après que nous ayons résolu mes soucis de vol et de carnet mystère, un petit saut dans votre temps ne me déplairait pas, pour que vous m'appreniez à vivre plus durement et tenir plus longtemps que le temps qui s'est écoulé entre mon entrée dans l'antichambre et cette nuit. Il va de soi que je profiterais d'un tel voyage pour assouvir ma curiosité, tout comme vous ici, dit-elle en souriant et en se retournant vers Démétrios, qui la suivait dans les escaliers.

En haut des escaliers, leur chemin se séparait. Elle répondit au bonsoir de Démétrios d'un signe respectueux de la tête et se dirigea avec hâte vers sa chambre. Elle s'y enferma et resta le dos contre la porte fermée. Elle baissa ses yeux sur ce qu'elle tenait toujours entre ses mains : le carnet et la photo. Christiana ne s'était pas rendu compte qu'en s'éloignant du guéridon, elle avait pris le carnet et la photo avec elle. Christiana ferma les yeux, bascula la tête en arrière et expira longuement. Dans quoi s'embarquait-elle ? Elle rouvrit les yeux et fixa la photo de sa mère.

- Von Carter... Carter... tu rôdes autour des hommes au nom similaire ? Demanda-t-elle à la photographie. Tu as eu papa, tu as apparemment eu Howard Carter. Ne me détourne pas de mon objectif, laisse-moi avoir Kyle, marmonna-t-elle en mettant la photo dans le carnet, cachant ainsi le visage de sa mère et l'air amoureux d'Howard Carter.

Christiana jeta le carnet sur sa coiffeuse, défit son peignoir en satin et se laissa tomber sur le lit déjà défait. Elle se glissa sous les draps et ferma les yeux, se laissant rejoindre Morphée. Elle s'enfonça véritablement dans le monde des rêves, sous le regard protecteur de la photographie de son père, de ses frères et de Kyle.

Christiana s'était recouchée en espérant qu'aucun toc à la porte ne viendrait de nouveau perturber sa nuit. Ou du moins ce qui restait de nuit. Il lui importait peu de dormir jusque tard dans la matinée. Elle se disait que si Démétrios se levait avant elle, il pouvait très bien réussir à survivre dans la maison pendant qu'elle dormait. Tout ce qui l'importait, c'était le droit à un repos complet et qu'il n'y ait pas de toc à sa porte pour la réveiller.

Malheureusement, elle pouvait toujours rêver ! Au matin, on frappa à sa porte. Le premier toc ne la réveilla pas. Et l'homme qui frappait préféra réitérer le toc en douceur plutôt que prendre le risque d'ouvrir la porte et entrer sans y être invité, même si c'était pour réveiller la patronne. Après cinq tentative, le toc devint plus violent. Christiana avait été réveillée au troisième. Feindre le sommeil ne marcha pas et au sixième toc, lui aussi plus fort, elle s'assit au bord de son lit, enfila le peignoir qui traînait par terre. Elle passa une main sous l'oreiller, où son petit colt banker special dormait bien au chaud. Elle se tourna vers la porte, gardant une main sous l'oreiller et s'exclama :

- Qui est-ce ?

- C'est Bobby, Patronne. Le FBI est en bas. Ils savent pour cette nuit. Ils vous réclament. Ils insistent et sont bien armés.

Christiana lâcha un faible juron.

- Je ne suis pas présentable. Dis-leur que j'arrive dans quelques minutes.

- Bien, M'dame, dit Bobby en tournant les talons pour regagner le rez-de-chaussée.

Christiana se leva précipitamment et ouvrir la porte de sa chambre. Bobby était quasiment rendu aux escaliers.

- Bobby ! L'interpella-t-elle en serrant les pans de son peignoir d'une main et en repoussant ses cheveux de l'autre.

Le gaillard se tourna vers sa patronne et en voyant qu'elle n'était véritablement pas présentable, il détourna les yeux.

- Ne t'avise pas à prévenir Jared, dit-elle d'un ton sec, avant de retourner dans sa chambre et de claquer violemment la porte.

Bobby se retrouvait dans une situation délicate. Soit il prévenait Jared et se faisait sévèrement punir par la patronne, soit il ne le prévenait pas et c'était Jared qui lui faisait sa fête. Les événements de la nuit et la présence du FBI lui fit prendre la décision d'obéir à la princesse du Bacchus. Il préférait attendre de voir ce que donnait l'entrevue avec les agents du gouvernement.
De retour dans le hall du Bacchus, il informa les sept hommes du FBI que sa patronne s'habillait et arrivait sous peu.

Au dernier étage de l'immeuble, Christiana faisait les cent-pas dans sa chambre. Que faire ? Fuir en se transportant à une autre époque au risque de compromettre ses nouveaux projets pour le Bacchus ? Fuir pouvait être une option mais avant, elle devait savoir ce que ces hommes voulaient véritablement. Savoir comment ils avaient su si vite pour la fusillade nocturne.

Christiana fit un brin de toilette dans sa salle de bain et enfila des sous-vêtements et des bas propres. Elle alla ensuite fouiller dans ses vêtements pour trouver la tenue la plus confortable pour affronter cette nouvelle situation délicate. Elle chercha une tenue susceptible de l'aider dans une potentielle fuite. Elle monta sur une chaise pour chercher sur les étagères les plus hautes et tira sur un vêtement coincé au fond, ce qui entraîna une chute de magazines oubliés. Christiana pesta et repoussa un magazine coincé entre elle et les étagères du grand placard. Le magazine tomba et s'ouvrit à une page qui attira son attention. Sur cette page, se trouvait une photographie de Rita Hayworth... en pantalon !
Spoiler:
Christiana descendit de son perchoir et prit le magazine. Ses mains se crispèrent sur les pages chiffonnées après avoir été sauvagement entassées sur l'étagère, afin de faire oublier le magazine. Elle se souvint de ce magazine. Il avait entraîné un des derniers cadeaux de Kyle. Un des derniers avant qu'il ne parte en guerre de l'autre côté de l'océan. Il lui avait offert un pantalon !

Christiana se souvenait parfaitement de ce qu'il lui avait dit en le lui offrant. « Tu seras comme Rita Hayworth en voiture, lorsque nous partirons. Tu seras encore plus libre de vagabonder où ta voiture te portera sur la côte ouest ». Ses mains se relâchèrent doucement et un sourire apparut sur son visage.

- Oh Kyle... que me fais-tu faire ! Bon. Pourquoi pas ! S'étonna-t-elle en remontant sur la chaise.

Si le magazine était là, le pantalon ne devait pas être loin. Lorsque Christiana enfouissait sa douleur, elle veillait à faire les choses correctement. Le magazine lui rappelant Kyle, le pantalon aussi, celui-ci devait aussi être sur l'étagère. Et il l'était. Bien au fond, caché derrière de vieilles jupes, il y avait le pantalon. Il sentait un peu le renfermé. Mais Christiana se dit que si elle devait fuir, son pantalon prendrait l'air et l'odeur avec !
Christiana redescendit de la chaise et mit le pantalon, qu'elle accompagna de l'habituel duo chemisier et veste de tailleur. Elle laissa cependant de côté le chapeau à voilette. Elle chaussa des chaussures suffisamment plates pour être confortables et s'observa dans un miroir. Ce qu'elle vit l'étonna. Elle vit une Christiana bien différente de la routinière qu'elle était. Cela ne lui déplut pas. Au contraire. Elle se peigna, se fit une coque à l'instar de la célébrité du magazine, laissant pour une fois ses cheveux relâchés.
Elle inspira un bon coup et quitta sa chambre pour se diriger vers celle de Démétrios. Elle frappa à la porte plusieurs fois et s'écria suffisamment fort pour être entendue à travers la porte :

- Navrée si je vous réveille, Démétrios. Mais les ennuis sont là. La police, pour être plus précise. Elle semble être au courant pour nos péripéties de cette nuit. Si vous souhaitez me rejoindre pour en savoir plus, je serai tout au rez-de-chaussée. Au club. Si vous descendez tout en bas, quelqu'un vous conduira à moi.

Christiana quitta ensuite l'étage des chambres et descendit les trois escaliers qui menaient au rez-de-chaussée. Elle hésitait entre aller voir directement les hommes du FBI dans le hall ou les recevoir de façon plus formelle, dans l'ancien bureau de son père. Christiana jugea finalement qu'il était plus judicieux de les recevoir dans le petit salon privé. Cela rendait l'accueil hostile que si elle devait se trouver derrière le grand bureau d'ébène et cela les laissait tout de même loin des yeux curieux du personnel et des bouches susceptibles de rapporter à Jared les propres qui allaient être échangés.

Arrivée au rez-de-chaussée, dans le hall privé, elle se rendit compte qu'elle avait laissé son colt à l'étage. Même si le bureau avait sa propre arme, que pouvait-elle faire, seule contre eux ? Rien. Alors elle ne fit pas demi-tour. Une femme de ménage du Bacchus se trouvait dans le hall privé. Surprise de voir sa patronne descendre si tôt, elle la salua timidement.

- Sarah, prévenez Bobby que je suis dans le petit salon et dites-lui de faire venir nos visiteurs. Demandez aussi à Carlson de nous apporter du café et un thé pour moi. Un certain Monsieur de Zéa, qui séjourne actuellement au Bacchus, risque de nous rejoindre. Veillez à ce qu'il soit conduit au petit salon privé.

Aussitôt, la femme de ménage s'éclipsa. Christiana entra dans le petit salon privé et s'installa dans un des confortables fauteuils de club, faisant face à la porte du hall privé. Bobby fut prévenu en premier. Puis se fut le tour de Carlson, le barman.

- La patronne est prête. Suivez-moi, dit Bobby sur un ton monocorde qui cachait mal son envie de  faire des trous dans ces hommes.

Bobby les entraîna dans le couloir, puis dans un premier hall qui desservait sur deux portes. Ils franchir celle de gauche et arrivèrent dans le hall privé où Christiana avait donné ses ordres à Sarah. Bobby montra la porte du petit salon privé aux hommes du FBI et dit :

- Elle vous attend.

Il frappa à la porte du petit salon et Christiana l'autorisa à entrer. Bobby ouvrit la porte du petit salon et il s'éclipsa aussitôt, en montant les escaliers qui menaient au premier étage, afin de conduire Démétrios au petit salon privé s'il souhaitait prendre part à l'entrevue. Dans le petit salon privé, Christiana attendait tranquillement son thé et les agents du FBI.

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Message  Invité Lun 6 Jan - 1:28

Démétrios rêvait de la villa de Mégare, celle de son grand-père, qui n'était plus occupée qu'occasionnellement au moment des grandes fêtes quand la famille ne savait plus où loger les invités. Il se promenait dans des chambres vides, des feuilles sèches couraient sur les dalles, tout était silencieux. C'était un rêve paisible et nostalgique, de ceux où se mêlent des sentiments si vrais qu'ils demeurent en nous, affaiblis et sans objet, alors même que le songe s'est depuis longtemps effacé.
Démétrios se déplaçait comme s'il ne touchait pas terre, flottant dans une brume dorée dont il sentait la douce tiédeur sur sa peau.
Puis, soudain une chèvre apparut entre deux colonnes, très grande, avec de longs poils fauves et Démétrios reconnut l'alpaga sur lequel il dormait. C'était un animal envoyé par les dieux et qui, tout en tapant de ses sabots vernis sur le marbre sonore, révélait d'une voix haut perchée des prophéties dans le langage des Immortels. Malheureusement, Démétrios ne comprenait pas les ordres sacrés et les annonces du Destin. Il sentit qu'il devait faire un effort, qu'il pouvait comprendre en s'en donnant la peine, qu'il suffisait.. de se réveiller.
Il ouvrit les yeux. Il n'avait pas éteint la lumière avant de s'endormir et il reprit immédiatement contact avec la réalité. Certain qu'on venait de frapper à la porte et de lui parler, il sortit vivement du lit et courut ouvrir. Le couloir était vide  mais il était sûr de son impression ; il entendait encore l'écho des derniers mots incompréhensibles et les coups frappés. Par Jupiter ! La chèvre ! Il avait rêvé ! la chèvre divine,  sa voix de prophétesse, ses sabots frappant le sol....tout cela n'était que des fantaisies sorties du sommeil.
Cependant, il restait hésitant et demeurait là dans son pyjama rayé, pieds nus, ses boucles blondes emmêlés lui tombant sur les yeux.
C'est alors que Bobby apparut au bout du couloir et lui adressa la parole. Mais le Grec ne comprenait pas plus le garde qu'il n'avait compris la chèvre et Bobby ne parlait certainement pas le langage des dieux. Brusquement, le mystère s'éclaircit : le Traducteur ! Il l'avait fermé pour économiser l'énergie. Rasséréné, il fit un signe pour que Bobby l'attende.
Celui-ci s'apprêtait en fait à descendre et s'arrêta de mauvaise grâce. Il n'aimait ni les étrangers ni les olives et ce type bizarre inquiétait tout le monde, surtout après son exploit sur le toit. Il soupçonnait la patronne d'avoir engagé un garde du corps à l'insu de son frère et Bobby ne savait trop quoi en penser. Il attendit cependant devant la chambre où était rentré ce type qu'il fallait ménager, étant donné  son coup de fusil  et le fait que la patronne lui refilait les pyjamas de son frère.

L'appareil de nouveau en état de marche, Démétrios revint auprès du garde qui lui dit d'un ton  où perçait une certaine impatience :

-Eh, faudrait vous dépêcher, M'sieur de Zéa ! Miss Christiana m'attend. Elle va peut-être vous demander de descendre, mais pas en pyjama ! Les flics sont là . A cause du grabuge de cette nuit. Nous, on est couvert, on a nos ports d'armes ; on est honnêtement connu des Services... Mais  vous, vous avez descendu un bonhomme après tout. Et d'un seul coup ! Seriez pas un tireur d'élite plutôt qu'un marchand d'olives ?  Z'êtes en règle, j'espère ? Z'êtes citoyen américain ?

-Citoyen, oui, mais d'Athènes. Je n'ai pas bien entendu tout à l'heure, mais il me semble que quelqu'un a tenté de me réveiller. Où est miss Von Carter ?

-En bas. Elle va recevoir les gars du FBI et m'a fait dire de la rejoindre. Si vous descendez, faites gaffe. Vu le nombre de types qu'ils ont amenés, ils ne vont pas vouloir s'en repartir tout seuls. Faut vous habiller chaud ..N'oubliez pas vos papiers et si j'étais vous, j'emporterais ma brosse à dents.

Le traducteur avait du mal à suivre, sa pile solaire était fatiguée et les expressions populaires ne correspondaient que fort approximativement entre l'argot new-yorkais et le grec ancien.  Démétrios ne s'expliqua pas pourquoi Bobby eut un sourire ironique comme s'il avait fait une bonne plaisanterie. Il répondit sans chercher à en savoir plus:

-Si vous voyez Miss Christiana , prévenez-la que je  m'habille et la rejoins.

Il  se vêtit rapidement, pas du tout inquiet. Le FBI avait été traduit par Service d'Enquête  de la Nation et Démétrios n'avait rien à se reprocher. Il avait défendu une demoiselle américaine et le garde cherchait à lui faire peur parce qu'il était peut-être un peu jaloux de ce coup de fusil réussi. Et puis, si le FBI posait trop de questions, il penserait très fort à Zorvan et à la porte d'Aparadoxis, disparaîtrait aussitôt et, pour le distraire, il irait raconter ses aventures au Gardien.

Démétrios passa par la salle de bain, se rasa  le menton tant bien que mal mais mieux que la veille, car il eut l'idée de lire les étiquettes au Traducteur et fit ainsi la différence entre la pâte pour les dents et la crème pour la barbe. Coiffé, lotionné, il s'admira dans la glace, se coupa un peu les boucles avec le rasoir, car les hommes de ce temps semblaient privilégier le poil court, hésita un instant devant la brosse  que le traducteur s'entêtait à appeler Colgate mais c'était la seule brosse pouvant convenir aux dents et il la mit dans sa poche puisque Bobby l'avait conseillé.
Il avait dit aussi de se vêtir chaudement. Les vêtements laissés la veille par Christiana étaient toujours là. Il mit donc une veste bleue par-dessus son sweater et les boutons dorés gravés d'une petite ancre de marine lui parurent fort beaux. Il pensa à mettre des chaussures et prit celles qui lui parurent les plus souples. Un homme d'action ne doit pas avoir mal aux pieds et le New-York de Christiana ne semblait pas un lieu propice à la rêverie.
Ah ! Bobby avait dit également de ne pas oublier ses papiers. Dans la cuisine, Christiana lui avait donné un petit bloc de feuilles où elle inscrivait ses courses et c'était les seuls papiers dont il disposait. Il relut ses notes de la veille, savoura le mot chocolat et y ajouta F.B.I , que le Traducteur Mental lui dicta, voyant ses hésitations.  Ainsi armé, l'Athénien prit la direction de l'escalier. Bobby remontait et  s'offrit à le guider.

Au bas de l'escalier, deux hommes surveillaient les accès. Des bruits venaient de la droite, du personnel s'affairait, on entendait déplacer des objets, crier des ordres. Mais Bobby montra la porte de gauche en disant que c'était là et Démétrios fut introduit dans une pièce qui lui donna immédiatement envie de ressortir et si possible à l'air libre.
Les murs étaient surchargés de boiseries, de tentures, de panneaux décorés. Les lumières électriques, provenant d'un plafond cloisonné ou bien de verres dépolis fixés ici et là, éclairaient de façon irrégulière, laissant des coins sombres. Partout des verreries étincelaient dans la pénombre. Remplie d'objets élaborés et mystérieux, encombrée de tables rondes et de fauteuils de cuir luisant, cette pièce feutrée évoquait pour le Grec un antre de dieu souterrain, une caverne de Circé et, fils d'un peuple de pâtres et de marins, il se demandait comment tant de richesses pouvaient conduire à ce confinement.
Accoudés à un meuble massif et haut, en bois artistement chantourné et vernis, des hommes se tenaient debout et six paires d'yeux se fixèrent sur le nouveau venu. Ils avaient tous un long manteau plus ou moins ouvert, la main négligemment dans la poche ou à hauteur de ceinture. Des chapeaux mous étaient posés  en rang derrière eux, sur le comptoir. Démétrios luttait contre un sentiment d'étouffement qu'accentua le bruit de la porte refermée derrière lui.
Christiana était assise et une jeune femme disposait un grand plateau sur une des tables tandis que, sur le point de s'asseoir à son tour, un grand homme arrêta son mouvement pour se tourner vers Démétrios. Son air grave et son regard intelligent  plurent immédiatement à l'Athénien qui aimait les visages aux traits sobres et réguliers.
Christiana fit les présentations et Démétrios remarqua son changement de coiffure, cependant il était trop mal à l'aise pour savoir ce qu'il en pensait. La jeune femme paraissait minuscule entre tous ces hommes debout mais nullement intimidée par la situation. Démétrios s'assit sur le fauteuil qu'elle lui indiqua et il attendit la suite des événements, sentant que l'heure était décisive mais il ne savait pas pour qui et en quoi. Un seul point positif. Du plateau montait un chaud parfum crémeux. Indubitablement, du chocolat.
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Message  Le Dévoreur de temps Dim 9 Fév - 8:24

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Il y eut un remue ménage sans doute inhabituel pour le Bacchus à cette heure matinale et cela amusa Eliot. Il se remémorait d'autres descentes qu'il avait faites à l'aube, il y avait quelques années. Surprendre les maffieux dans leur sommeil ou au saut du lit, armé d'un mandat, était une de ses spécialités. Il amassait les indices, voire les preuves durant la nuit, puis tirait le juge de son lit pour obtenir un mandat et débarquait la fleur à la mitrailleuse pour fondre sur les escrocs, tel la misère sur le pauvre monde. Aujourd'hui, il n'avait aucune ordonnance d'un quelconque juge et il allait falloir bluffer, mais il avait d'autres atouts dans sa manche. L'un d'eux était un nom, celui d'un homme dont Christiana Von Carter avait fait récemment connaissance. L'autre celui d'un proche qui lui était cher. Alors qu'un porte flingue allait tirer sa maîtresse du lit il passa en revue dans sa tête la façon dont il allait procéder. L'attente ne fut pas longue. Peu si l'on considérait que c'était une femme qu'on tirait du lit. Le garde du corps revint après qu'ils eurent entendu, du hall d'entrée, une voix féminine qui donnait des ordres et le cliquetis d'un plateau chargé qui passait des cuisines au couloir adjacent à l'entrée. Le type à la mine patibulaire les introduisit dans un petit salon que Ness connaissait pour y avoir déjà interrogé le père et les frères. Pas toujours de façon fructueuse. Les Von Carter étaient protégés par un accord dont ils ignoraient eux-même la teneur et la raison, et qui leur avait permis de conserver la propriété du Bacchus et certaines de leurs activités lors du grand nettoyage que le FBI avait fait dans la maffia new yorkaise quelques années auparavant. Échange de bons procédés, le FBI avait tu ce qu'il savait sur l'origine de Kyle Von Carter, et ce, surtout parce qu'il ne voulait pas embarrasser leur agent infiltré.

Christiana était devenue un joli brin de fille. Il avait à peine entre aperçue la gamine durant les années où il avait croisé le clan. Les hommes Von Carter protégeaient leurs femmes. Il se souvenait d'une fillette au regard sombre et à la chevelure épaisse et disciplinée. Le regard n'avait pas changé, il s'était juste durci. Les cheveux étaient à présent domptés en une coiffure un peu passée de mode, mais élégante qui la faisait ressembler aux stars de cinéma quelques années en arrière. Elle trônait dans son salon et ne parut pas s'émouvoir de leur entrée en force. Alors qu'il se présentait , inutilement selon son sentiment, car il était persuadé qu'elle savait qui il était, un homme inconnu fut introduit à son tour dans le salon. La maitresse de maison fit les présentations et Ness fronça les sourcils. Démétrios de Zéa ? Un homme de la maffia grecque, peut-être ? Le nom ne lui disait rien et n'était sans doute qu'un nom d'emprunt. Le type avait pourtant l'air exotique, un peu hébété au milieu du salon. Elle le présenta comme un commerçant en produits grecs. Des olives ? La bonne blague...

- Mademoiselle Von Carter, l'objet de ma visite est des plus privés et je ne pense pas qu'il soit souhaitable que vos relations d'affaires y soient mêlées...

Pourtant il s'interrompit lorsqu'un de ses agents lui murmura à l'oreille:

- Selon le dossier que nous a transmis Monsieur S, la description du meurtrier donnée par son agent sur le toit correspond à ce gugus.

- Mais nous pourrons entendre Monsieur de Zéa pour un complément d'enquête... Voyons voyons... Prenons les choses par le début de cette nuit... Commença-t-il en demeurant debout alors que ses deux interlocuteurs étaient assis. Vous avez quelque chose qui nous intéresse et, pour ainsi dire, nous appartient. Une famille rivale de la vôtre s'y intéresse également. Vous avez intercepté leurs hommes sur le toit cette nuit, alors que nous étions en embuscade. Nous les suivions depuis quelques temps et ils allaient nous mener à ce que nous cherchions. Vous l'avez récupéré avant nous et nous le voulons...

C'était bien tenté mais sans grand espoir. Ness ne pouvait croire que la fille Von Carter allait lui remettre de bonne grâce ce que lui et Stanzas voulaient. Il savait qu'il allait devoir lui faire comprendre que leurs intérêts étaient plus ou moins communs, et pour cela lui faire des révélations bouleversantes mais, il fallait prendre quelques précautions.

- Je vous demanderais de bien vouloir me suivre dans nos bureaux pour poursuivre cette conversation mais il est hors de question que je parte sans ce que vous avez trouvé sur le toit cette nuit. Je vous donne donc le choix suivant : soit vous allez le chercher et nous suivez avec votre "invité", soit nous emploierons la force.

Il fit un signe de tête à ses hommes et trois d'entre eux se dispersèrent dans les pièces avoisinantes.

- En revanche, j'exige que vos hommes se regroupent dans la grande salle du club, sous la surveillance des miens. Personne ne doit entrer ni sortir du Bacchus et aucun d'entre eux ne doit entendre la teneur de ce qui va suivre. Il en va de leur sécurité et de la vôtre... Quoiqu'il en soit je veux que vous m'apportiez ce que vous avez soustrait sous le nez de mes agents, cette nuit même.

Ce disant il avait enveloppé Christiana de son regard pénétrant, de celui qui aurait pu convaincre une catin d'entrer au couvent pour échapper à la vindicte d'un clan rival.

- Un de mes hommes surveillera aussi celui que vous chargez habituellement de répondre au téléphone. Si votre frère vous appelle, il ne pourra avoir la communication. Les fils ont été coupés. Il ne doit rien savoir ce ce qui s'est passé cette nuit et de ce qui se passe actuellement. S'il veut venir au Bacchus, il trouvera sur sa route une de nos voitures qui effectuera un long contrôle de la sienne... Assez long pour nous permettre de  partir discrètement dans un lieu plus approprié. Le temps presse et je vais devoir vous demander d'écourter votre petit déjeuner.  
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{Achevé} Déroute au Bacchus Empty Re: {Achevé} Déroute au Bacchus

Message  Invité Jeu 13 Mar - 14:00

Christiana prit sa tasse de thé tiède. Elle l'aimait pas trop chaud, pour le boire rapidement . Ni trop froid, car le thé froid la répugnait. Elle porta la tasse à ses lèvres et se ravisa lorsque Démétrios entra. Sans reposer sa tasse, Christiana fit les présentations. Puis elle but enfin le délicieux nectar à la menthe. Délicieux ? Pas vraiment. Christiana grimaça et reposa la tasse en fronçant les sourcils.

- Noir... grommela-t-elle en s'essuyant délicatement les lèvres avec une serviette.

Le malheureux ou la maladroite qui avait préparé le thé de la patronne s'était trompé, lui préparant un thé noir plutôt que son thé vert importé de Chine. Elle reposa la serviette et leva les yeux vers ce troupeau d'hommes venus la voir.
Ness en personne était venu s'entretenir avec elle. Christiana ne savait pas trop comment réagir à sa présence. Devait-elle être flattée et se considérer comme une personne très importante pour que Ness se déplace en personne et vienne faire son cinéma de super agent ? Ou devait-elle avant tout se méfier ? Il était évident qu'elle se méfiait du FBI. Mais avant tout, pourquoi étaient-ils là de si bonne heure ?

Ness prit la parole et montra que la présence de Démétrios ne lui convenait pas. Christiana leva les sourcils. Elle était chez elle, sur son territoire. Elle n'appréciait pas qu'on lui dise ce qui était souhaitable. Surtout si cela était dit d'un agent du FBI. La déranger de trop bonne heure, se présenter armés et ne pas se cacher du port de leur arme, lui dire ce qui était souhaitable... s'il voulait la mettre de mauvaise humeur, il était sur la bonne voie ! Christiana serrait les dents. Après la nuit difficile sur le pont, sa rencontre avec le Dévoreur, son séjour chez Zorvan puis cette nuit de fusillade sur le toit... Christiana avait besoin de tout sauf d'être contrariée. Et cela n'allait pas en s'améliorant lorsque Ness fut interrompu par un de ses hommes. Christiana avait horreur des messes basses. Surtout quand elle ignorait ce qui se tramait autour d'elle. Cela puait le secret et les cachotteries. Au Bacchus, seuls les Von Carter étaient les maîtres des cachotteries.

Christiana n'avait invité que Démétrios à s’asseoir. Elle ne comptait pas en faire autant avec Ness et ses hommes. Pas s'ils persistaient à mettre un poing sur la hanche, soulevant ainsi le pan de leur manteau pour bien lui montrer où ils rangeaient leur arme. S'ils essayaient de l'impressionner, c'était loupé ! Elle avait vu bien pire, depuis toute petite, à travers la fenêtre de la cave interdite.

Ness dévoila enfin la raison de sa présence. Elle avait quelque chose lui appartenant. Ils n'étaient donc pas là uniquement pour les échanges de feu sur le toit. Il voulait la boite trouvée dans le conduit.

- Quelque chose présent sur ma propriété vous appartiendrait ? S'étonna Christiana en prenant un faux air de surprise. Vraiment ?

Christiana croisa les bras et posa un regard sombre, du moins, encore plus sombre, sur Ness. Pourquoi mentir et cacher la vérité. Si Ness était là, c'est qu'il savait. Il ne se déplacerait pas lui-même pour bluffer. Il était certain pour Christiana qu'il savait de quoi il parlait. Alors elle ne blufferait pas.

- La chose que vous cherchez, je l'ai ouverte et j'ai pris plaisir à fouiner dedans. Monsieur de Zéa et moi avons vu ensemble des choses qui se positionnent maintenant dans le trio de tête de la liste de mes centres d’intérêt. Son contenu est plus qu'intéressant. Il est fascinant. N'est-ce pas, Monsieur de Zéa ? Ne trouvez-vous pas que je ressemble fortement à ma mère ? Alors, voyez-vous, Monsieur Ness, il va vous falloir me donner des informations bien plus croustillantes que le contenu de la boite pour en détourner mon attention.

Les lèvres de Christiana s'étirèrent en un petit sourire narquois lorsque Ness passa aux menaces. Christiana le laissa parler longuement. Elle écoutait, mais se moquait de ce qu'il disait. Elle réfléchissait surtout à une solution pour retourner la situation à son avantage. Elle avait une capacité lui permettant d'aller où et quand elle voulait. Elle pouvait très bien finir en prison. Ce n'était pas les barreaux d'une cellule qui la retiendraient prisonnière. Mais elle n'était pas seule dans cette situation. Il y avait aussi Démétrios. Elle le trouvait d'ailleurs très calme. Ou peut-être ne comprenait-il tout simplement pas ce qui se passait. Quelle que fut sa réaction face à tout ça, il n'en demeurait pas moins présent et Christiana devait agir en conséquence. Pendant que Ness déblatérait ses menaces et ses ordres, Christiana réfléchissait à un plan. Elle ferait bien participer Démétrios à cette réflexion mais c'était tout simplement impossible.

Comment se dépêtrer de cette situation ? Elle avait la faculté de se déplacer comme bon lui semblait, sans voiture, sans avion, sans vélo ni train. Sur sa simple volonté, elle pouvait aller où bon lui sembler. C'était ça, la base de son plan.
Ness était persuadé qu'il était en position de force, mais il ignorait ce dont elle était capable. Christiana se dit qu'elle devait lui laisser croire qu'il était réellement le dominant de cette situation. Alors elle se dit que jouer le jeu et aller chercher la boite était pour le moment ce qu'il y avait de mieux à faire. Mais elle ne comptait pas aller la chercher en marchant.
Pour cela, il fallait le laisser parler sans l'interrompre. Lui laisser dominer encore un peu la situation. En plus, cela permettait à Christiana d'imaginer la totalité de son plan.

Quand Ness eut terminé son discours, Christiana avait pu songer à une façon de retourner la situation. Une façon qui n'était pas sans risque pour elle. Mais Ness avait fini plus tôt et elle manquait de temps pour terminer totalement sa réflexion. Elle devait donc en gagner un peu. Il lui manquait juste une chance de sortir du petit salon seule, afin de pouvoir voyager jusque dans sa chambre.

Christiana se leva brusquement et s'avança vers Ness. Elle était bien plus petite que lui, bien plus frêle mais son regard avait la même détermination que l'agent du FBI. Elle était si près de lui qu'elle dut bien lever le menton pour lui parler en le regardant dans le blanc des yeux.

- Vous pourriez me maîtriser simplement avec la force de vos mains et vous osez tout de même proférer des menaces à mon encontre. Douteriez-vous, Monsieur Ness, de votre force d'homme à maîtriser la petite femme que je suis ? De la simple force de vos bras, vous pourriez me charger sur votre épaule, me jeter dans votre voiture et me conduire de force dans vos bureaux pour me faire parler de force et ainsi me faire dire où se trouve la boite. Quoi que vous pourriez tout aussi bien me  maîtriser avec vos bras et laisser vos hommes fouiller ma maison.

Christiana recula d'un pas et présenta ses poignets à Ness.

- Une femme qui en plus ne fait aucune résistance, n'a pas fui en apprenant votre arrivée et vous a accueilli dans un salon plutôt que dans le hall d'entrée, ajouta-elle en rabaissant ses mains. Pourquoi en venir directement aux menaces ? Demander gentiment en me donnant une raison valable de vous donner la boite, n'était-ce pas une solution plus logique. Vous connaissez ma famille, il suffit de nous donner un plus gros os pour nous faire lâcher celui que nous avons. Ho ! J'y pense... vu vos menaces et votre insistance pour que j’obtempère, je mettrais ma main à couper que vous n'avez pas un de ces petits papiers magiques d'un magistrat pour prendre quelque chose se trouvant dans mon domicile. Je me trompe ? Demanda-t-elle en souriant.

Elle s'écarta davantage de Ness et vit, derrière lui, la chose qui lui manquait. Christiana contourna Ness et alla tirer sans relâche sur la corde qui fit teinter la cloche d'appel du personnel, tout en continuant de parler :

- Je suppose que non, vous n'avez aucun papier officiel pour récupérer la boite, sinon vous ne seriez pas venu avec autant d'hommes, vous auriez déjà brandit votre papier et ne perdriez pas votre temps à bavarder et à menacer une personne qui s'est présentée à vous dans les plus brefs délais malgré le fait qu'elle était au lit et qui en plus, a fait servir du café aux mal-élevés que vous êtes ! S'exclama-t-elle en pointant vigoureusement du doigt le plateau. J'en viens à me demander si votre présence ici est officielle. Et donc, si votre mission concernant la boite l'est aussi.

Christiana s'acharnait sur la corde jusqu'à ce que la porte s'ouvre doucement. Une tête apparut. Christiana fondit dessus et ouvrit la porte en grand. C'était Sarah, la domestique. Christiana montra le plateau et dit sèchement :

- Du thé noir. Immonde ! Vous demanderez à la personne qui l'a préparé s'il est si difficile de se rappeler que je préfère le thé vert.

Christiana se tourna vers Ness et le dévisagea. Son plan faisait un peu mélodramatique à son goût. Mais puisque Ness s'était attribué le rôle du flic autoritaire et puissant, Christiana se disait que c'était à son tour de montrer qu'elle pouvait s'attribuer un rôle dans cette comédie. Il jouait de la force de l'autorité et des menaces ? Christiana, elle, allait jouer du chantage. Il voulait la boite ? Il allait être servi.

- Je vais la chercher, lança-t-elle à Ness en regardant l'heure à l'horloge, mais n'imaginez pas que je vais vous laisser franchir le seuil de ma chambre et vagabonder dedans comme vos hommes le font dans mon club. Démétrios, je vous en prie, prenez votre petit-déjeuner, dit-elle en lui souriant. Monsieur Ness peut bien vous laisser le prendre pendant que je vais chercher sa fichue boite. Après tout, il vient nous lever du lit de bonne heure et veut nous forcer à le suivre dans son bureau. Mais il ne faut pas lui en tenir rigueur, il semble pressé et dépourvu de bonnes manières. Il ne doit sûrement pas avoir autant de temps que vous et moi, ni en avoir le même usage ou la même notion, au point qu'il en est rendu aux menaces pour parler de ce qui s'est passé sur le toit, ajouta-t-elle en appuyant sur les mots « temps », « même usage » et « toit ». Vous, laissez le chocolat chaud et les biscuits pour Monsieur de Zéa et rapportez le plateau, ils ne sont pas là pour le café, ordonna-t-elle à Sarah. Aller on se dépêche ! Pressa-t-elle.

La domestique était à peine entrée que Christiana se faufila entre elle et l'encadrement de la porte. En un clin d’œil, la porte était refermée brusquement au nez de Ness, ralenti par la domestique qui entrait. Christiana s'était volatilisée du couloir vide, ce qui fut une chance inouïe pour elle, après avoir fermé les yeux pour se concentrer sur sa destination.

Lorsqu'elle rouvrit les yeux, Christiana constata qu'elle était dans son placard à vêtement. Elle en sortit précipitamment et regarda l'heure à son réveil. Elle était en avance d'une petite minute sur l'heure indiquée par l'horloge du petit salon.
Ce n'était pas volontaire mais cela lui laissait le temps de faire ce qu'elle avait en tête avant que Ness passe à son tour la porte du petit salon et ne s’aperçoive qu'elle n'était pas en train de monter les escaliers. L'arrivée aussi, était encore un peu hasardeuse. La maitrise des voyages allait demander de la pratique. Lors de son premier voyage, de la préhistoire au Bacchus, Christiana s'était retrouvée debout sur le canapé du salon. Là, au lieu d'arriver devant la tablette où se trouvait la boite, Christiana s'était retrouvée dans le placard à vêtements.
Elle s'empara de la boite qui renfermait tout son contenu et ouvrit un tiroir pour prendre un briquet ayant appartenu à Kyle. Puis, elle regarda l'heure, ferma de nouveau les yeux et se concentra sur le toit, espérant arriver le bon jour, à la bonne heure et pas au bord du toit.
Une fois les yeux de nouveau ouvert, Christiana fut ravie de voir qu'elle se trouvait au milieu du toit. Mais dans la flaque de sang d'un des hommes morts pendant la nuit.
Dégoûtée et sentant la nausée monter, Christiana s'écarta vite du cadavre. Si elle pouvait voir des morts de loin, il lui était tout de même difficile de presque leur marcher dessus. Elle alla donc s'asseoir sur le bord du toit, attendant que sa disparition soit remarquée et qu'on vienne voir si elle se trouvait sur le toit. Ce qui allait être plus rapide qu'elle l'imaginait car un des hommes de Ness sortit de derrière un des conduits d'aération. Aussitôt, Christiana se leva et se recula au maximum contre la toute petite balustrade, se trouvant presque au-dessus du vide. L'homme la somma de donner la boite.

- Dites à Ness que s'il veut parler, c'est ici et maintenant. Sinon, je mets le feu au contenu, dit-elle en ouvrant la boite et allumant le briquet, ce qui stoppa l'homme dans sa marche vers elle et lui fit sortir son arme.

Christiana secoua négativement la tête et approcha un peu plus le briquet du contenu de la boite.

- Si vous essayez de la prendre par la force, je saute dans le vide avec la boite. Si vous me tirez dessus, le choc me fera basculer en arrière et tomber aussi dans le vide. Demandez-vous ce que penserons les passants lorsqu'ils verront la patronne du Bacchus gisant sur le trottoir au pied de son établissement, alors que des hommes du FBI sont à son domicile. Car même si vous essayez d'obtenir le silence de mes hommes et employés, il y a tellement de monde qu'il y aurait forcément une fuite. Ma famille n'est peut-être plus dans le business comme avant, mais elle a toujours de bons contacts qui n'hésiterons pas à faire du grabuge pour venger ma mort.

La flamme du briquet s'éteignit, donnant un sursit au contenu. L'agent du FBI baissa son arme mais ne la rangea pas pour autant. Comprenant qu'elle avait toute l'attention de l'homme, Christiana continua :

- Dites à Ness qu'il a été très bavard jusqu'à maintenant mais qu'il va devoir parler de choses plus intéressantes pour moi. Je veux savoir en quoi le contenu de cette boite, qui est lié à ma mère officiellement morte, l'intéresse tant, au point de venir sans papier officiel et de se montrer si menaçant. Je la lui donnerai dès qu'il aura tout dit. Précisez-lui que si un agent du FBI autre que lui et Monsieur de Zéa monte les escaliers, que ce soit quand ils arrivent ou à n'importe quel moment de notre conversation, je saute. Donc soyez mignon, allez chercher Ness et mon ami Grec pour que nous parlions ici.

Christiana savait qu'elle se mettait dans une situation dangereuse. Toutefois, elle se demanda dans quoi elle s'embarquait encore. Elle ignorait jusqu'où Ness était près à aller pour récupérer la boite. Ses chances de faire un plongeon dans la rue pouvaient être plus grandes qu'elle ne se l'était imaginé dans la réflexion de son plan. C'est alors qu'elle se demanda si, lors d'un plongeon, elle arriverait à voyager ailleurs avant de rencontrer le sol.
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Message  Invité Mar 1 Avr - 13:24

Un certain énervement gagnait Démétrios qui, s'il saisissait le sens des paroles prononcées, n'en voyait pas l'exacte portée et s'en rendait très bien compte. Il en éprouvait un sentiment de frustration   d'autant qu'il sentait parfaitement la tension qui montait dans cette pièce étouffante.
Il regrettait de plus en plus d'avoir, là bas dans l'époque des smilodons, commis l'imprudence d'accepter l'invitation de Christiana. Il avait dit oui parce que cela confirmerait son nouveau statut de voyageur du temps, parce qu'il se sentait mieux en ayant cette jeune femme à ses côtés pour affronter tant d'imprévus. Il la savait bien plus instruite que lui sur le monde, sa géographie par exemple, plus proche du Dévoreur face au progrès des sciences et dans le maniement d'objets qu'il percevait d'abord comme magiques avant d'y penser en tant que produits de l'industrie humaine.
Mais il n'avait pas prévu qu'il se sentirait aussi étranger, un huluberlu sorti de sa caverne, clignant des yeux devant un monde éclairé d'un nouveau soleil, et  prétendant néanmoins s'intégrer à une humanité qui n'était plus la sienne et le regardait avec méfiance. Christiana était gentille avec lui, mais il finissait par se sentir humilié de son statut d'enfant à qui il faut tout expliquer. Il voyait bien que les autres le prenaient pour un imbécile et bien qu'il n'en ait pas saisi la  teneur, le chuchotement à l'oreille de Ness ne lui avait pas échappé. Il avait l'impression qu'on avait parlé de lui comme d'un  pauvre type qu'il ne fallait pas brusquer. Le prenait-on pour un tueur et un fou ? Et il n'avait pas envie d'être soumis à un "complément d'enquête". Il venait en voyageur et s'il avait tué un malandrin, c'était dans la plus totale légitimité. Quelle époque refuserait à un homme le droit de se défendre ? Mais il avait eu tort de renoncer à demeurer lui-même en son temps, en son monde,  tort de vouloir sortir du destin taillé par les dieux à sa mesure.
Et signe tangible bien que trivial, il se sentait engoncé dans cette défroque d'emprunt, étroite,  remplie de coutures  irritantes qui lui donnaient envie de se gratter -ah, il était beau, l'éphèbe grec !-alors que tous ces hommes autour de lui semblaient si à l'aise dans leur costume sombre et devaient le regarder comme un singe déguisé. Le chef surtout avait une sorte d'élégance nonchalante dans le moindre de ses gestes dont les vêtements suivaient l'aisance naturelle. Il s'exprimait avec politesse et fermeté comme un vrai chef, mais Démétrios  ne savait s'il était dans son droit de réclamer la fameuse boîte. Fallait-il prendre parti ?
Il songea un instant à fausser compagnie à  tous ces soucis. Il lui suffirait de penser à chez lui ou bien de retourner dans la belle demeure étrusque de son amie Larthia à Tarquinia. Il n'aurait rien à expliquer, tout le monde éduqué parlait grec et il comprendrait même l'étrusque grâce au traducteur. Larthia, depuis trois ans qu'il l'avait quittée, aurait certainement pris d'autres amants mais il était sûr qu'elle l'accueillerait bien. Elle l'appelait son petit dieu grec et  lui avait prouvé de toutes les manières combien elle trouvait sa compagnie agréable. Le tout sans inutiles complications.  Aruns, le mari, en excellents termes avec Larthia, appréciait tout à fait la compagnie de Démétrios et n'avait pas le mauvais goût de refuser à son épouse les plaisirs qu'une jeune et belle femme pouvait espérer de la vie. Le noble Etrusque, beaucoup plus âgé que sa femme commençait à préférer les discussions sur Aristote aux exercices physiques et Démétrios de son côté appréciait, presqu'autant que  les rencontres avec Larthia, la sagesse d'Aruns et son humour devant les vicissitudes de l'existence. Il incarnait admirablement l'ouverture d'esprit et l'aimable liberté de moeurs de la nation tyrrhénienne, encerclée par l'implacable ambition romaine..
Oui, il serait bien mieux à Tarquinia que dans cette pièce calfeutrée et avec cette odeur de chocolat chaud qui d'un coup lui donnait un peu mal au coeur.
Cependant, ce qui le retint de cette évasion par les couloirs du temps, ce fut le souvenir des précautions prises par son frère Lycias pour que dans la famille personne ne se doute de son talent particulier. Il n'y avait pas besoin de réfléchir longtemps pour comprendre que révéler qu'il était possible de de ne plus subir la linéarité du temps entraînerait de telles oppositions d'intérêts que ce serait la fin de l'humanité. Une seule volonté devait diriger la distribution prudente du don pour ne pas engendrer le chaos. Ainsi savait-il que sa brusque disparition pourrait avoir des répercussions en chaîne très vite imprévisibles. Christiana serait obligée de l'imiter aussitôt pour ne pas être interrogée, le Bacchus serait en effervescence, les journaux publieraient la nouvelle. S'il revenait plus tard pour connaître l'évolution de cette aventure, on l'arrêterait et tout cela pourrait nuire aux intentions mystérieuses, mais certainement estimables, du Dévoreur. Il avait aidé Christiana à récupérer cette boite et il ne disparaitrait pas sans savoir pourquoi tant de monde se la disputait. Et puis, il apprenait bien des choses sur cette époque et Isocrate avait dit :" La peine pour apprendre est le prix du savoir." ou quelque chose d'approchant.
D'ailleurs, le fils de Démoclès ne pouvait envisager sa vie de voyageur comme une succession de fuites, aussitôt que la situation lui déplairait. Se sentir ridicule hors de son temps et considéré comme un excentrique était une gêne à prévoir, surtout à ses débuts. Chaque voyage lui donnerait une meilleure connaissance du futur et pour le passé, il ne s'était pas si mal débrouillé. A part le fait qu'elle connaissait le mot préhistoire, Christiana n'était guère plus documentée que lui sur la chasse aux smilodons et le caractère des mammouths. Il essaierait de se renseigner un peu plus sur sa prochaine destination et Lycias pourrait l'aider s'il ne retrouvait pas le Dévoreur. Il avait déjà appris à se servir d'appareils électriques en cette ère de presse-boutons.

Pendant qu'il réfléchissait sur sa situation, Christiana tenait tête à l'homme du FBI en prenant un ton de dédain railleur qui ne pouvait tromper personne. Elle cherchait à rabattre l'autorité d'Eliott Ness pour assurer la sienne, certainement pour ne pas donner l'impression qu'elle était sans armes devant un adversaire plus fort qu'elle et aussi parce que seule femme au milieu de tant d'hommes, elle voulait rappeler qu'elle était d'abord la patronne du Bacchus. Ces hommes représentaient l'Etat, la Cité, qui est au dessus des préoccupations personnelles et a droit de vie et de mort sur l'individu. Mais la femme du XX° siècle n'en était pas plus impressionnée que cela.
Tout en parlant et se déplaçant de façon assez insolite vu la situation, elle sembla s'orienter d'abord vers ce que Démétrios estima être une tactique de diversion féminine, se présentant comme une créature délicate et sans défense confrontée à la force brutale du mâle, dans le genre" Enlèvement des Sabines" ou " Proserpine emportée aux enfers".. Démétrios imagina aussitôt Ness dans le rôle de Pluton, jetant  sa proie dans son char infernal aux noirs destriers remplacés ici par des chevaux-vapeur et, poussé par l'Eros vulgaire (Démétrios connaissait son Platon..), l'entraînant inexorablement au fond de l'Hadès policier.
De leur côté, les hommes de Ness se regardèrent en cachant mal un sourire et l'un d'eux pouffa même à l'évocation de son patron transformé en inspecteur lubrique assouvissant ses instincts sous couvert d'interpellation musclée.
 
A la grande surprise de Démétrios, Ness laissa Christiana poursuivre son discours, gronder la servante survenue à son appel et s'esquiver pour aller chercher la boîte. Le Grec fut content de la voir réussir à tromper la vigilance de ses adversaires. Mais il ne voyait pas où elle voulait en venir, bien qu'il eût compris qu'elle allait faire usage du Temps à l'abri des regards et qu'elle voulait le voir rester dans la pièce sous prétexte de déjeuner.
Pourquoi  s'échapper seule pour aller chercher la boîte, pourquoi Ness l'avait-il laissée faire, ne prenant pas même la précaution de laisser un homme gardant la porte ? Allait-elle disparaître sans retour après avoir pris la boîte ? Il pourrait dire ce qu'elle contenait mais Ness le savait déjà au moins partiellement et y attachait une importance particulière puisqu'il la désirait pour lui au point d'utiliser la force. A moins que la boîte ne fût qu'un prétexte et que ce qu'il voulait, c'était sortir Christiana du Bacchus ?

Avant de disparaître, Christiana avait insisté pour qu'il déjeune. Elle avait un plan, autant lui obéir. Il attira vers lui le plateau au chocolat et pâtisseries assorties et déclara en essayant de paraître à l'aise :

- C'est vrai que les émotions de la nuit m'ont creusé l'estomac. Mais je peux vous raconter ce qui s'est passé sur le toit du Bacchus, si vous êtes intéressés par mon témoignage.

HRP:
Spoiler:
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Message  Le Dévoreur de temps Lun 26 Mai - 20:19

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Ness avait le souvenir d'un Patriarche Von Carter peu facile à manœuvrer, roublard et ancré dans ses certitudes mais il ne connaissait pas la version poule avec caquet du clan "Von C" comme on les appelait au QG. Habituellement les tractations se passaient toujours entre hommes. D'abord avec le père puis après sa disparition avec le fils lunatique et coléreux, Jared. Moins charismatique que le père, il était aussi dangereux, mais différemment. Il avait des sautes d'humeur liées à sa santé instable et négocier avec lui un quelconque arrangement ne pouvait pas se faire par dessus la jambe, pour ces raisons. Si le père était méfiant, il était sûr de lui et tenait pour acquis que le FBI ne chercherait pas à lui proposer un marché de dupe. Il négociait toujours les termes et les annexes d'un arrangement, mais le plus souvent pour la forme. Avec Ness, cela avait été un jeu de chat et de la souris durant des années. Ness soupçonnait et parfois avait des preuves. Quand elles étaient suffisantes pour entraver le "commerce" des Von C , alors il pouvait négocier un pacte lui permettant de faire tomber de grosses pointures de la mafia. Ainsi grâce à ce genre de petite facilité apportée par l'excellent travail de terrain de ses hommes qui traquaient la moindre activité des petites frappes à la solde de Papa Von C, Ness avait-il pu le contraindre à balancer quelques concurrents de la pègre de la côte ouest mais aussi de Seattle. Cela était remonté si haut que le gouvernement lui avait même adressé de vives félicitations lorsque le nettoyage de San Francisco et Los Angeles avait permis de coffrer l'équivalent de la population d'un petit village, soit tous les chefs et leurs bras-droits des principaux rivaux de la mafia new-yorkaise. En revanche, il n'avait jamais été possible de le faire cracher le morceau sur l'organisation locale et ses ramifications. Et pour cause. Von Carter père était loin d'être idiot et n'allait certainement pas couper la branche sur laquelle il était assis et dénoncer les petits caïds new-yorkais. Même si certains étaient ses rivaux. Il y avait un code dans la "famille", même s'il n'avait rien de vraiment honorable. On ne balançait pas un "voisin".

Le fils qui avait pris en main l'affaire familiale, après la "disparition" de ses deux frères, Jared, était quant à lui connu pour ses crises de paranoïa et un peu moins rationnel que le père dans les affaires. Ainsi, un agent envoyé par le successeur de Ness au bureau d'investigations l'avait-il payé de son nez. Bien qu'il y eût un traité entre les Von Carter et le FBI et ce depuis l'affaire Kyle Von C, le nouveau chef de famille, Jared qui, s'il ignorait les fondements de ce traité, aurait tout de même dû l'honorer, avait tout bonnement pris la mouche lorsque l'agent était venu le voir pour lui demander de l'aider à piéger Luigi le désossé. Ce dernier était un chef de gang pas vraiment ami des Von C, qui inondait la ville de whisky frelaté distillé à la sauvette dans des roulottes mobiles. C'était astucieux et à chaque descente des voitures du gouvernement, les gars de Luigi faisaient sauter leur roulotte. Boum, explosion, incendie, pas de preuves car elles étaient détruites par les flammes, pas de pinces aux poignets de Luigi. Aussi le F.B.I. lassé de voir ce petit gringalet en fauteuil roulant leur glisser entre les doigts avait-il décidé de le piéger à la livraison, puisque la fabrication itinérante rendait difficile l'inculpation pour production de substances prohibées. Jared devait jouer les chèvres et "passer commande " à Luigi qui serait serré lors de la transaction. Seulement voilà, Jared, ne se contentant pas d'être méfiant comme le pater familias, avait imaginé que les fédéraux voulaient faire d'une pierre deux coups et le faire tomber aussi dans le flagrant délit. Sa réponse à la requête du F.B.I. avait été une figure de style du genre, qui servait encore d'exemple anecdotique à l'école de police de New York 2014. Ness était bien placé pour le savoir, lui qui intervenait parfois comme comme conférencier pour la NYPD. " Voilà ce qui arrive quand on met le nez dans les affaires des Von Carter! " avait dit Jared au malheureux qui avait tout de Jim Carrey dans The Mask après que son profil fût passé au fil de son cran d'arrêt . Le geste avait, de fait, pratiquement plus marqué les agents que si leur camarade eût été froidement abattu. D'aucuns disaient qu'il était facile de s'imaginer ce que pouvait encourir un homme ayant trempé son biscuit dans une demoiselle Von Carter. A la voir siroter son thé d'un air pincé puis esquisser une grimace de dégoût, Ness n'était pas loin de penser que Christiana confirmait la règle et qu'elle accomplirait elle-même la loi du Talion si on devait seulement toucher à la vertu d'une de ses domestiques. Le père était un dur à cuire, le fils un paranoïaque doublé d'un sadique possiblement, mais la fille ... Cette froideur apparente, cette dignité de veuve corse, ce regard noir qui ne laissait passer aucun sentiment mais renvoyait une détermination et ne semblait pas connaître la peur... Qu'avait donc pu voir cette gamine qu'il avait croisée furtivement bien des années auparavant, qu'avait pu vivre l'adolescente pour être devenue une femme si résolue et imperméable aux émotions ? Ness fronça les sourcils pour chasser un début de compassion à la pensée de ce qu'avait pu être la vie de Christiana Von Carter entre ces hommes dont le crime était la profession.

Une pensée furtive traversa son esprit, rassurante et chargée d'un espoir de salut pour cette femme. Stanzas avait dit qu'elle aimait un homme. Elle était donc capable d'amour. Il allait voir à quel point. Cependant, la demoiselle ne manquait pas de perspicacité et de subtilité. Elle avait deviné sans mal qu'il n'agissait pas pour le compte officiel du F.B.I. et ne possédait aucun mandat et, bien qu'il lui montrât une moue amusée lorsqu'elle vint lui aboyer sous le nez du haut de ses un mètre soixante, jouant les jeunes filles sans défense et effarouchées, il en fût contrarié. Il esquissa avec un flegme apparent qu'il ne possédait plus, une réponse vague:

- Allons Mademoiselle, ne montez pas sur vos grands chevaux... Je représente l'ordre mais je suis un gentleman, l'ignorez-vous ?

Il sentait comme un tric-trac se dessiner de façon informe, comme une silhouette hantant les marais à la saison d'automne. Lorsqu'il vit la domestique entrer puis se faire sermonner par sa maîtresse, lorsque son regard se porta sur le grec qui regardait sa tasse de chocolat d'un air dubitatif, il était déjà trop tard. Pris d'un doute, il se précipita vers la porte qui venait de se refermer mais buta contre la servante qui était moins alerte que sa patronne, la poussa avec fermeté et ouvrit la porte sur un couloir... désert. Blasé par son manque d'anticipation, il ne fut pas surpris du subterfuge. Il appela les hommes restés dans le salon et ceux-ci s'empressèrent d'exécuter ses ordres. L'un alla surveiller l'entrée de service, l'autre la principale, plus pour empêcher quelqu'un d'entrer que de sortir, car il se doutait bien que ses "clients" n'avaient pas besoin de porte pour sortir, le troisième se précipita à sa suite jusqu'à l'étage. Par un réflexe atavique d'agent, il avait dégainé et, l'arme dans une main, il tournait une à une les poignées des portes du couloir de l'étage, pour s'assurer que chaque pièce était vide. Toutes l'étaient mais dans la dernière les rideaux dont la fenêtre était ouverte se gonflèrent.

- Le toit ! Hammond, allez voir sur le toit ! Il y a une porte ouverte là-haut, qui fait courant d'air!

Il se souvint alors que Christiana avait lourdement appuyé sur le mot toit sans doute pour envoyer un message à son complice! Le Grec! Où était ce fichu mangeur d'olives ? Il pointa justement le bout de son bonnet dans l'embrasure de la porte. Ness se rua sur lui et l'empoigna.

- Vous ! Dites-moi ! Vous êtes aussi un voyageur pas, vrai ? C'est vous qui venez d'Athènes ? Je ne sais pas ce que vous avez combiné avec Mademoiselle Von Carter, mais elle court un grand danger ainsi que plusieurs personnes qui lui sont chères. Si cette boite ...

Hammond revenait rouge comme un coq et tout essoufflé.

- La fille Von Carter a la boîte! Elle est au bord du toit et menace de sauter et de mettre le feu à la boîte si je m'approche ou si vous ne montez pas seul avec Monsieur Zilla !

Ness l'écouta avec la plus grande impatience, sans pour autant lâcher le malheureux Démétrios qui semblait se rembrunir et avait saisi les poignets du chef des fédéraux pour lui signifier de le lâcher.

- Plutôt le contraire Hammond, plutôt le contraire... Bon! Au moins on sait qu'elle a toujours la boîte. Empêchez quiconque de monter !

Puis, relâchant enfin les épaules du voyageur au bonnet:
- Vous m'accompagnez! Il faut l'empêcher de faire l'un comme l'autre! Ce serait catastrophique! Vladimir ne veut en aucun cas qu'il arrive malheur à Mademoiselle Von Carter. Je pensais bien rencontrer quelque obstruction de sa part mais pas un tel entêtement ! Ahh les femmes !

Ness sortit dans le couloir et courut jusqu'à l'escalier qui menait au toit, étroit et abrupt. Lorsqu'il y déboucha, il vit la silhouette vacillante de la jeune femme sur la corniche juste gardée par une petite balustrade  basse par dessus laquelle elle pouvait basculer à tout moment. Se baissant lentement, il posa son arme à terre et ôta sa veste pour qu'elle constate qu'il ne dissimulait rien. Il s'avança d'un pas, les mains ouvertes et tendues...

- Mademoiselle Von Carter ... Ne soyez pas stupide ... Éloignez-vous du bord! Cette boîte renferme de précieux renseignements mais aussi des informations qui mettent la vie de plusieurs personnes proches de vous en danger ... Pensez-vous que Kyle voudrait que vous vous mettiez en danger, que vous le mettiez lui-même en danger ? Voulez-vous le revoir ? Vous tenez pour ainsi dire sa vie entre vos mains ...
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{Achevé} Déroute au Bacchus Empty Re: {Achevé} Déroute au Bacchus

Message  Invité Dim 29 Juin - 15:21

Assise sur le bord du toit, le dos regardant le vide, Christiana serrait la boite contre elle d'une main et le briquet de l'autre. Son regard était menaçant. Elle était comme une lionne protégeant son gibier des autres chasseurs. [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]

Lorsqu'elle était enfant, elle avait eu droit à des histoires sur le FBI. Papa avait été très clair à leur sujet : « Le FBI, c'est pas bien différent de nous. Ils font leur petit business, eux aussi. S'ils peuvent être utiles et apporter des petits avantages à la famille, il ne faut pas pour autant leur faire confiance.  »
Alors de Ness, Christiana s'en méfia comme de la peste. Dans le petit salon, il lui avait dit être un gentleman. Mais comment le croire quand, lors d'un dîner à table, papa Von Carter avait dit à sa fille, pas encore âgée de 10 ans.
Christiana se souvenait de ce soir-là comme s'il ne datait que de quelques jours, alors qu'il remontait à janvier 1929. Elle s'en souvenait bien car c'était le dernier dîner en famille avec Drew. Son frère aîné perdait la vie le lendemain.

Elle se revoyait, assise à table, les fesses posées sur un gros coussin. Papa était devant elle, entouré de Jared et Drew. Kyle à sa gauche. Pour une fois, il n'y avait pas d'hommes ou « amis » à papa pour le dîner. C'était un des rares dîners 10 % Von Cater.
Ce soir-là, papa Von Carter avait entrepris d'apprendre à sa fille pourtant encore loin d'être une femme, avec l'aide des deux frères les plus âgés, l'art de reconnaître un homme trop entreprenant avec les femmes.

- Faut pas croire un monsieur qui te dit être un gentleman. C'est des putains de foutaises ! Des conneries pour mieux attraper les merveilles dans ton genre. Nous les hommes, nous sommes pas souvent malin, pas comme vous les femmes. Mais quand il s'agit des femmes, on sait être futé. Et faire le gentleman est le piège numéro 1 pour faire ce qu'on veut d'une femme. Demande à Drew !


La bouche pleine de steak, Le frère aîné secoua positivement la tête, car à table, quand papa Von Carter était là, on ne parlait pas la bouche pleine. Cela risquait de faire pleuvoir les baffes. Surtout quand on était à proximité de sa main, comme ce fut le cas ce soir-à pour Drew.

- C'est ce que tous les hommes disent à une femme pour l'attraper dans ses filets. Mais rassure-toi ma Princesse, cela ne t'arrivera pas. On va tout t'expliquer et de toute façon, on sera là pour assurer tes arrières.  Et s'il y en a un qui insiste auprès de toi...

- On lui tranche les burnes à ce salopard ! S'exclama Jared en plantant son couteau dans la table.

Christiana se rappelait mot pour mot l'intervention inattendue de Jared. Non par parce qu'il avait dit les mots « burne » et « salpoard » devant elle, mais parce que son frère c'était pris une raclée monumentale derrière la tête, suffisamment grande pour que Jared puisse voir des petites étoiles tourner autour de lui et pour que papa Von Carter se frotte la main de douleur.

- Putain la table ! Et pas de grossièreté devant ta sœur ! Je dois te le dire combien de fois !

En se remémorant ce souvenir, Christiana se fit une réflexion qui l'amusa intérieurement : vu les claques que se prenait Jared, qui poussait bien souvent leur père à bout, il n'était pas étonnant qu'il soit devenu si peu équilibré. Et il était encore plus étonnant qui se soit trouvé une femme...

Christiana revint à la réalité quand elle entendit la porte menant au toit s'ouvrir et se refermer en claquant. Elle vit arriver Ness. Il était accompagné par Démétrios, comme elle l'avait exigé. Son compagnon de voyage ne semblait pas trop décoiffé, ses habits ne semblaient pas désordonnés. Christiana en conclut qu'aucun acte de violence n'avait été perpétré sur son nouvel (et quasiment premier) ami.

- Vous avez été rapide, dit Christiana lorsque Ness s'approcha, veste retirée, visiblement non armé. Cette boite doit vraiment, vraiment vraiment être importante à vos yeux pour venir sans vos hommes sur le toit, apparemment sans arme, et ne sachant pas si en plus du briquet, je suis en possession de mon arme.

Christiana descendit du bord et fit un petit pas vers le milieu du toit. Pas trop pour ne pas être à porté de main de Ness et pour garder le vide à proximité. Ness commença à parler rapidement, très rapidement, comme s'il espérait dire tout ce qu'il avait à dire avant d'être interrompu. Il parla de Kyle. Ses mots laissaient entendre qu'il était en vie, mais pas en sécurité. En l'espace de quelques heures, de deux jours tout au plus, il était la seconde personne qui lui laissant penser que l'homme qu'elle aimait était toujours en vie. Il y avait d'abord eu Le Dévoreur de Temps, avec l'étui à cigarettes. Puis maintenant, Ness.
Cette boite était donc précieuse pour suffisamment de personne pour qu'elle faillit être l'objet d'un vol cette nuit.

- Cette boite m'est aussi précieuse qu'à vous. Si vraiment vous savez ce qu'elle contient, alors vous devez vous douter qu'elle m'est peut-être encore plus précieuse qu'à vous. Il y a dedans des choses sur une personne que je n'ai jamais connu. Une femme qui m'a abandonné ici.

Christiana serrait les dents pour contenir ses émotions. Papa Von Carter lui avait appris à le faire. Mais avec tout ce qu'elle avait vécu avec Zorvan, ce qu'elle avait découvert sur elle... Avec ce qu'elle avait vécu durant la préhistoire, car même si elle ne se l'avouait pas, le fait de tuer pour la première fois ne l'avait pas épargné totalement. Entre voir les gens mourir et donner la mort, il y avait une différence dont elle ignorait l'existence.
Sans le sentir, sans réussir à la retenir, une petite larme perla le long d'une joue. Elle serait la boite contre elle et se mit à crier à Ness :

- C'est peut-être tout ce que j'ai pour le retrouver ! Et vous voulez me le prendre ?! Tout ce que j'ai décidé de faire, c'est pour lui ! Vous parlez de danger, de Kyle... Vous croyez que vous aurez quoi que ce soit de moi sans poser carte sur table ? Le vide est juste là...

Décidément, entre elle et le vide, cela devenait fréquent ! Après le vide sous le pont lors de sa rencontre avec le Dévoreur, il y avait maintenant le vide au pied du Bacchus face à Ness. L'un comme l'autre ramenait Kyle sur le tapis. D'abord le Dévoreur avec l'étui à cigarettes, maintenant Ness avec une histoire de danger.

- Qu'est-ce qui me dit que vous ne dites pas cela juste pour avoir la boite et qu'il n'y a pas de danger, ni de Kyle ?! Qui êtes-vous pour pouvoir me dire tout cela ? demanda-t-elle sur un ton de reproche, tout en essayant d'essuyer du revers d'une main la larme qui lui chatouillait le menton. Pourquoi vous faites cela ?
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Message  Invité Mar 29 Juil - 21:52

Honnêtement, Démétrios se demandait de plus en plus ce qu'il faisait là devant ce chocolat qui commençait à le dégoûter avec ce côté sirupeux, poisseux,  sucré, tentateur, féminin en quelque sorte,alors que tout s'agitait de façon inexpliquée autour de lui et qu'il avait envie de grand air, d'émotions fortes et belles et non d'embrouilles, de meurtres et de "je te tiens, tu me tiens par la barbichette..."

Étouffant, c'était l'impression qui le dominait de plus en plus dans cette pièce remplie d'objets et d'hommes et remplie aussi de pensées étrangères, de révélations partielles et de toutes façons aux trois-quarts incompréhensibles. Logos traduisait mais n'expliquait rien, sans doute désorienté par l'afflux des concepts à décrypter, pour un esprit qu'il devait juger obtus.
Lui-même avait reçu trop d'impressions nouvelles  d'un seul coup. Pour voyager dans le temps, il fallait justement le prendre, le temps, et il pensa que puisque apparemment, le temps passé dans une autre époque se rétractait brusquement quand on retournait dans la sienne, et bien, il allait plaquer ce Newyork agité et incohérent et aller s'inscrire dans une Ecole où il apprendrait calmement, mettons pendant au moins un an, l'histoire des siècles qui lui manquaient et il étudierait comment on pouvait vivre dans ce monde du futur,immense, surpeuplé, rempli d'objets et de machines et d'armes qui pouvaient vous faire tuer de loin, presque sans le vouloir.
Tuer un homme à la lance ou à l'épée ? c'était un geste qui exigeait de la force, on le sentait à travers tout son corps en voyant l'autre foncer vers vous, la hache ou l'épée haute, c'était votre volonté et votre peur  qui vous poussaient en avant. Il avait touché l'homme du toit par hasard et en ne sachant même pas  s'il accomplissait le bon geste.  Et cela n'avait rien à voir avec la flèche qui ne part que parce que votre bras lui a communiqué sa vigueu. Un enfant de trois ans pouvait appuyer sur une gâchette. Restait le seul coup d'oeil. Achille combattant sur les plages de Troie, Léonidas aux Thermopyles, c'était bien fini. Les guerriers devenaient les serviteurs des machines et Thorvald, s'il venait à son secours au XXe siècle, paraîtrait sans doute au volant d'une automobile plutôt que dressé sur son grand cheval hennissant .

Cependant  Ness réagissait et quittait le salon avec hâte. Il appela ses hommes depuis le couloir après avoir sorti une arme à feu et on ne pouvait pas dire, c'était plus facile à dissimuler qu'une épée et plus maniable aussi. En tout cas, cela respirait le danger. Démétrios n'avait sur lui que sa brosse à dents et sa petite liasse de papier pour prendre des notes. Dans son esprit passa une de ces images incongrues qui lui venaient à la moindre occasion et ce, souvent quand il aurait dû se centrer sur une péripétie exigeant toute son attention. Il s'imagina un instant armé de sa lance et emboitant le pas au chef FBI, comme une sorte de garde, entre celui qui surveille et celui qui protège. En fait, il ne savait pas pourquoi se produisait tout cet enchaînement de menaces, de comportements bizarres, de quel côté était la raison et de quel côté, l'erreur et le désordre. En ramenant les évènements du matin au plus simple, il pouvait résumer ainsi :
Monsieur Ness veut la boîte appartenant à Christiana et Christiana ne veut pas la lui donner.
Sa fidélité à Christiana, voyageuse comme lui, le poussait à l'aider mais elle agissait parfois de façon vraiment incompréhensible. Ainsi, au lieu de s'enfuir, elle aurait mieux fait d'essayer de savoir pourquoi le FBI voulait cette boîte et en discuter calmement.
A cause de cette boîte, la veille au soir, ils préparaient des voyages en Egyte et Christiana voulait retrouver sa mère pour l'interroger au sujet de Kyle. Etait-ce si problématique ? Christiana lui avait-elle caché d'autres secrets contenus dans les documents ? Elle devait peut-être le juger trop ignorant pour lui être vraiment utile.
En quoi monsieur Ness, du FBI, était-il intéressé par ce romanesque projet ?
Et d'ailleurs, à quoi rimait de le laisser ici, seul face à du chocolat ? elle se doutait bien que Ness et ses hommes se lanceraient à ses trousses sitôt qu'elle leur aurait faussé compagnie... Il fallait qu'il bouge. 
Finalement, ce ne serait pas Christiana qu'il irait chercher mais  Monsieur Ness qu'il allait suivre, et s'il pouvait demander à cet élégant policier de lui dire exactement ce qui se passait, lui, Démétrios, pourrait peut-être alors aider Miss Von Carter à sortir de l'impasse où elle semblait s'être  mise.

Repoussant le plateau du déjeuner, il se leva et allait pour ouvrir la porte quand, pensant aux armes que tous ces messieurs sortaient de leur veste et exhibaient sans complexe, il eut une idée : s'il tenait sa main dans la poche de sa veste, on penserait qu'il y tenait aussi un revolver et sa réputation de tireur d'élite, dont Bobby s'était fait l'écho, pourrait lui servir. Bobby ne lui avait-il pas donné du Monsieur de Zéa en venant le réveiller ?
Mais dans la poche du blazer, ses doigts rencontrèrent la laine de son bonnet qu'il avait plié là en quittant sa chambre. Non qu'il comptât le porter, il avait noté que les messieurs circulaient tête nue dans le Bacchus et les hommes en chapeau de Ness avaient retiré le leur devant Christiania. Mais il trouvait ces grandes poches plaquées sur les pans de sa veste si engageantes, si pratiques.... il avait eu envie immédiatement de les remplir. Et puis c'était son bonnet parmi toutes ses frusques d'emprunt. Il l'avait porté  à travers toutes  ses aventures de voyageur depuis que, sur une lointaine plage ensoleillée, il avait tendu la main au Dévoreur.  Grâce à lui, les Varègues de Thorvald  l'appelaient joyeusement Casque Mou  et lui donnaient dans le dos des bourrades  amicales.
Que les Moires boivent le chocolat du Bacchus si cela leur chantait, il allait voir ce qui se passait.
D'un geste décidé, il mit son bonnet, tira sur les oreilles pour le faire descendre bas sur son front , ce qui lui donnait un air menaçant, du moins il le pensait, et ouvrit la porte.
Avant qu'il ait eu le temps de réagir, Ness qui était juste devant lui, se  retourna et d'une main de fer le saisit par l'épaule et l'apostropha, tout en l'immobilisant d'une clef au cou , se servant du bras alors que la main tenait le pistolet.  
Le Grec  fut d'abord si furieux d'être ainsi maltraité qu'il ne fit pas immédiatement attention à ce que lui disait le policier. Il s'agrippa au bras qui le maintenait sur place et tenta même, avec une belle inconscience, d'attraper l'arme à feu. Puis les paroles de Ness firent le tour de sa pensée et la surprise y supplanta la colère, bien que par réflexe il poursuivît ses efforts pour se dégager. Il jugea prudent  de ne rien dévoiler du Secret devant les autres : Ness avait pris soin de donner une tournure anodine pour ceux qui auraient ignoré ce que pouvait signifier le mot "Voyageur" prononcé en certaines circonstances et sur un certain ton:

–Voyageur ? bien sûr que je voyage ! Et je n'ai rien combiné avec Miss Christiana ! Lâchez-moi ! De toutes façons, je voulais vous suivre!

Mais il ne s'intéressait pas en fait à ce qu'il disait, ni même à Christiana et où elle pouvait être . . Ness savait que le marchand d'olives était Voyageur ! il savait que Christiana l'était tout autant et il devait donc connaître le Dévoreur, puisque en dehors de Christiana, personne ne pouvait savoir à son sujet... hé, mais si ... Lycias, son frère devait s'en douter, Thorvald le savait et Ness était peut-être lui-même un  Voyageur. Quelle histoire !
Il se débattit encore  par réflexe de noble citoyen vexé d'être harponné par cet homme maigre qui  cachait des muscles d'hercule sous des manches en tuyau de poêle. Il protesta encore :l

– D'abord, la boîte est à elle ! Vous n'avez pas le droit. Et puis,  bien sûr que je viens d'Athènes ; tout le monde le sait !

Il réussit à immobiliser un poignet de Ness, heureusement distrait par l'arrivée d'un sbire et qui peut-être avec une certaine appréhension, avait vu  le Grec tenter de se saisir du pistolet à pleine main, ce qui lui fit relâcher un peu sa prise .Les nouvelles  jetèrent un certain affolement.
Christiana était sur le toit  menaçant de sauter dans le vide ou d'incendier la boîte et voulait voir Ness et lui-même sans témoin.
C'était tout ? Elle n'avait qu'à le dire tout à l'heure. Il avait cru au contraire qu'il devait rester en bas . Il aurait suffi de le demander à Ness ou d'accepter de le suivre au FBI à condition de l'y voir en privé.  Qu'est-ce qu'elle cachait avec ce chantage à l'incendie et au suicide,  tout à fait disproportionné avec le contenu de la boîte ? en tout cas, il fallait profiter du trouble jeté par la nouvelle.
Démétrios ne s'était pas entraîné au pancrace pour rien et si, au gymnase, il n'était pas permis de mordre son adversaire ou de lui enfoncer son doigt dans l'oeil, il n'allait pas se priver d'un coup  prohibé puisqu'on n'était pas au gymnase. Il allait mordre la main armée puis filer un coup du genou, vicieux mais autorisé, juste là où ces ridicules pantalons dessinaient parfaitement l'endroit à atteindre.
Mais à ce moment, Ness le libéra en lui demandant de le suivre. Démétrios s'ébroua pour reprendre son souffle tout en hochant vigoureusement la tête pour montrer qu'il allait obéir. Le chef FBI semblait réellement prendre l'affaire au sérieux et au moins, lui semblait savoir ce qui n'allait pas. En plus, il  partageait son point de vue : Christiana, qui pouvait sembler si maîtresse d'elle-même , compliquait inutilement une situation à débattre sans tout ce spectacle. Voilà ce que c'était de donner trop d'importance aux femmes. C'était très vite les cris, les scènes. Pourvu que là-haut sur son toit, elle ne se mette pas à pleurer ! Démétrios ne supportait pas les femmes sanglotant, s'arrachant les cheveux et reniflant en pointant un doigt vindicatif vers le malheureux mâle réduit au rôle de bourreau, de tyran implacable et cruel.
Au moins, il savait que Ness partageait son avis sur ces créatures, certes indispensables au bonheur de l'homme, mais qui le lui faisaient rudement payer.
L'allusion à un certain Vladimir, protecteur de la vie de Christiana et sans doute commanditaire de l'intervention de Ness dans l' histoire de la boîte, ne lui dit rien. Tant que chacun garderait ses secrets pour soi, il resterait prudemment sur la réserve. Heureusement, tout le monde semblait vouloir le bien de Miss von Carter et cela convenait parfaitement à Démétrios.

Il ne reconnut guère le toit dans la lumière crue du matin. Les grandes ombres de la nuit et l'éclairage incertain des globes électriques avaient accentué le mystère de ce lieu balayé  des bruits de la ville nocturne. En plein jour, ce bruit était devenu infernal. Démétrios fut assailli d'un concert de trompes, de grondements déchirés de stridences que Démétrios savait être le vacarme de machines  et non de monstres échappés de l'Hadès. Et puis l'immensité vertigineuse de cette ville de géants …! La menue silhouette de Christiana paraissait un simple jouet posé au bord du vide.
Etourdi, cherchant ses repères, Démétrios rejoignit d'un pas mal assuré Eliott Ness qui semblait devant Christiana exécuter  un ensemble de gestes connus, répertoriés, effectués avec le plus grand calme possible. C'était une attitude raisonnable, loin des glapissements de voisines que chez lui on appelait à la rescousse dans des cas semblables. Ness semblait convaincu qu'un grand danger était lié à cette boîte et sa tactique fut aussitôt suivie d'effet. Le Grec s'attendait à de longs pourparlers, se préparait à intervenir que c'était déjà réglé
Christiana se mit à parler d'une voix quasiment posée, nuançant sa satisfaction d'être obéie rapidement en insinuant quelques menaces et allusions au fait qu'elle était sans doute armée. Donc pas de sanglots pathétiques ni de cris de harpie outragée. Démétrios en fut soulagé. it Elle descendit de sa corniche sans se presser,  puis changeant d'attitude, elle parut  émue et finalement revint aux motifs qu'elle avait de ne pas vouloir donner la boîte : le souvenir de sa mère et une chance de retrouver Kyle. Comme une larme perlait sur un cil, Démétrios se sentit ému et s'approcha d'elle :

–Ne pleurez pas, Christiana. Monsieur Ness est là pour vous aider. Il sait que nous sommes des voyageurs et il ne vous veut aucun mal. Au contraire. Si vous connaissez un monsieur Vladimir, je crois même qu'il vient de sa part. Calmez-vous et écoutez Monsieur Ness vous expliquer ce qu'il veut. Je peux m'éloigner si vous le préférez. Je reste bien entendu à portée de voix .


Il se tourna ves le chef FBI :

- Je vous fais confiance. Vous devez connaître le Dévoreur de Temps pour savoir que je viens d'Athènes et non de l'Athènes qui vend des olives à New York mais de l'Athènes  antique, comme vous l'appelez. Vous comprendrez que j'ai un certain mal à appréhender ce qui arrive ici.  Je reste à votre disposition pour tout ce qui peut servir les intérêts du  Dévoreur et ceux de Christiana
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