( From :
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] Et si je n'ai pas besoin de me mettre cela, eh bien, vengez vous en sur Abby, elle en est ENTIÈREMENT responsable vous voyez. )
Ludmilla se sentit rassurée quand l'autre fille poursuivi la conversation comme si de rien n'était. Elle songea que tout aurait été beaucoup plus facile si elle avait pu savoir ce que l'autre pensait. Cela aurait même été plus simple si cela avait été le cas pour tout le monde. Et pourtant, elle n'avait pas toujours, voire presque jamais, le sentiment d'être face à une barrière quand elle parlait avec certaines personnes, pas toujours; ses amis, certains membres de sa famille, et même cette mystérieuse inconnue dont , malgré ses doutes, elle s'était finalement sentie proche, et à raison. Peut-être avec le temps, les doutes allaient s'estomper.
Ou peut-être pas ,se rappela-t-elle mentalement à l'ordre. Ce n'était certainement pas le moment de faire des projets d'avenirs. Pour le moment, elle devait absolument savoir. Ce n'était pas seulement une pure curiosité, c'était aussi des informations dont elle sentait qu'elle
devait disposer. Elles seraient, après tout, peut-être son dernier lien avec les gens qu'elle connaissait.
Cependant, la phrase suivante ne fût pas celle qu'elle attendait – c'est à dire des réponses. A la place, encore un joli cliché.
Super! soupira intérieurement Ludmilla. Au moins, ce n'était pas quelque chose qui la visait – pas directement. Elle pouvait faire avec. Elle hésita , ne sachant pas très bien quel rôle elle devait jouer. Maintenant qu'elle « était » un garçon, peut-être devait elle agir à l'instar de tous ces gens qui se fichaient de ce qu'ils pouvaient causer comme souffrance aux autres. Après tout, en tant qu'il, elle était bénéficiaire de ce système. Il était peut être logique qu'elle fasse comme si elle le soutenait .
Non, quand même pas . Mais de toutes façons, elle ne pouvait rien dire. N'étais ce pas pour éviter ce genre de choses qu'elle faisait tout pour ne pas être perçue comme elle, après tout ? Elle se contenta donc de laisser son visage aussi peu expressif que possible, comme si rien ne l'avait interpellée.
Pourtant, à l'intérieur, elle se sentait lasse. Ainsi, ce n'était toujours pas finit, ça, même pas trente-cinq ans plus tard ? Bien sûr, elle ne s'attendait pas à ce qu'un mécanisme aussi bien ancré se brise en si peu de temps, loin de là. Il avait fonctionné depuis si longtemps. Mais elle avait espéré, oh c'était ridicule...Mais que les choses changeraient un peu. Juste un peu. Ce n'était pas le cas. Elle le voyait au naturel du ton qu'avait emprunté la blonde pour balancer négligemment une absurdité. Et elle craignait que ça ne finisse jamais. C'était à la fois horrible et désespérant de pressentir que tout cela se poursuivrait, pour toujours. Les malédictions resteraient les mêmes, et il y aurait toujours des cages.
Toujours. Mais comme elle ressentait cela, une sorte de prédiction terrifiante, la femme à côté d'elle s'excusa. Ludmilla sentit cette fatigue sourde s'éloigner aussi sec.
Quelque chose a changé. Oh, pas beaucoup, mais c'était là, et c'était tout ce dont elle avait besoin pour l'instant. Peut-être que plus tard, bien plus tard, il y aurait ce genre de monde où l'on pouvait vivre sans se faire déchiqueter. Ce n'était plus impossible. D'ailleurs, si Abigail avait cru cela, c'est qu'elle n'avait pas vraiment rencontré de types autres que méprisants dans son existence, apparemment. Elle soupira intérieurement, songeant que ces imbéciles n'avaient toujours pas appris que leur attitude équivalait plus à celle d'une espèce de moisissure puante que le légitime comportement d'une personne sympathique. Elle lui sourit, compréhensive, ayant l'expérience de ce genre de mépris, avant de se rappeler qu'elle n'était pas censée connaître ça, et de se dépêcher de faire comme si de rien n'était. Pendant ce temps, l'autre avait poursuivi.
Elle lui parla tout d'abord de musique. Ludmilla n'écoutait pas vraiment de musique – ou plutôt, elle ne parvenait pas à se concentrer assez pour juste écouter de la musique, faisait autre chose, et oubliait alors le son dans ses oreilles. Julie avait beau lui envoyer des playlists entières de chansons ponctuées de hurlements, rien à faire, elle oubliait qu'elle entendait quelque chose, même quand le son était très fort. Ce n'était juste pas assez pour capter son attention. C'est pourquoi elle ne réagit pas vraiment à la nouvelle, songeant plutôt que son amie aurait sans doute adoré savoir cela . Elle aurait même adoré être là, de toute façon.
Ludmilla se demanda une seconde ce que l'apprentie détective pouvait bien faire, en ce moment, avant de se rappeler – il faudrait vraiment qu'elle demande
quand on était, et qu'elle écoute la réponse, cette fois – qu'elle n'était probablement pas née, maintenant.
Et après? Pour l'instant, elle ne savait pas si elle était retournée dans son présent. Un vertige la saisit. Ce qui était pour elle l'avenir était, quelque part, déjà arrivé. En effet, il y avait cette Ludmilla qui pouvait être là-bas, en 2014, rentrée chez elle avant d'avoir disparu, et qui cachait secrètement tout ce dont elle s'était sortie. Où elle pouvait ne pas être là. Et c'était déjà décidé. Elle frissonna.
Si je pouvais aller vérifier... Non, elle ne pouvait pas. Peut-être avait elle bien fait de regarder tous ces films avec Lucas, finalement. Elle savait que si elle pouvait savoir cela, alors...Quelque chose ne marcherait plus. Et puis, elle n'avait même pas la possibilité de prendre le risque. Se dire tout cela n'enleva pas pour autant de sa tête l'idée qu'elle
pouvait. Elle se dépêcha de chasser ces pensées intrusives, et replongea plutôt dans le récit d'Abigail.
Elle apprit en l'écoutant que la musique devait avoir une importance pour elle. Au fur et à mesure qu'elle en parlait, son visage s'animait, et Ludmilla compris qu'elle ne se contentait pas de relater des événements d'un contexte lointain et sans vie, mais bien quelque chose qui la concernait. C'est à ce moment-là que la blonde révéla son lien avec ce qu'elle narrait, son père. A nouveaux, un sentiment d'étrangeté saisit Ludmilla. Le père de cette femme, qui avait l'air au moins aussi vieille qu'elle , enfin, peut-être – elle n'était vraiment pas douée pour attribuer un âge aux gens - avait donc son âge à elle. C'était plutôt déstabilisant. Elle l'avait peut-être croisé dans la rue, et maintenant sa fille qui n'existait alors pas encore était devant elle. Ce qui l'amena à penser à tous les autres gens qu'elle avait pu croiser, avec qui elle avait pu parler, bref, qu'elle connaissait. Se redressant, elle planta des yeux décidés dans ceux d'Abby.
- Continues. Il faut que tu me dises ce qu'il se passe après. Ce qu'il se passe pour tout. Je dois savoir. Obtempérant , l'autre se mit à raconter, sur le ton un peu lointain de celle qui ne peut pas vraiment s'en sentir touchée, un futur qui ressemblait au début d'un basculement. Un basculement vers quelque chose de pire. Ludmilla se sentait trembler, comme si il faisait froid, sauf qu'elle n'avait pas froid. Elle avait
peur. Elle n'aurait pas du écouter, elle pensait, consciente qu'elle s'aventurait dans un terrain qui ne voulait pas de sa présence. Et, en même temps, fascinée, elle ne pouvait s'empêcher de laisser se former dans sa tête l'image d'une espèce de tragédie inévitable vers lequel presque tout ce qu'elle connaissait se jetait à toute vitesse. Son imagination évita cependant habilement les choses terrifiantes, elle se raccrocha aux détails qui annonçaient l'existence d'une sorte de progrès. Mais rapidement, elle n'y parvint plus. Du
racisme . Non, décidément, c'était bien finit. Il n'y aurait plus de progrès. Cette espèce de haine gonflée d'injustice qu'elle sentait partout n'allait pas s'éteindre, elle augmentait, et elle finissait par tuer, encore plus qu'elle ne le faisait déjà dans son présent. Les petites icônes brillantes, l'idée que quelque chose de bien finirait par arriver, que toutes ces choses horribles prendrait une fin, se noya profondément dans un amas glacé, quelque chose comme de la boue et du sang.
Elle sourit à la blague qui conclut l'histoire d'Abby, mécaniquement, comme un tic. A l'intérieur, elle ne savait plus trop ce qu'elle ressentait. Cette femme lui avait parlé de quelque chose, et ce quelque chose ressemblait à n'importe quel banale histoire post-apocalyptique comme celles qui fleurissaient un peu partout ces derniers temps. Sauf que c'était réel, cette fois. Ça allait se passer. C'était complètement
dingue. Ludmilla essaya de calmer l'angoisse qui montait en elle, ce qui aurait été bien plus facile si son cerveau ne s'obstinait pas à lui passer en boucle des images de tout ce qu'elle connaissait se craqueler, se détruire, disparaître.
Saleté de cerveaux. pensa-t-elle. Mais le pire était peut-être que cette crainte n'avait aucun exutoire. Elle ne pouvait rien faire. Ça allait juste arriver et elle ne pouvait rien faire. Son monde, dont elle avait appris les codes, les règles silencieuses et le fonctionnement réglé, un monde qu'elle maîtrisait et où elle pouvait vivre, allait bientôt s'enfoncer dans un chaos dont la fin était inévitable. Elle leva des yeux perdus vers une horloge invisible – quand ? Quand est-ce que tout allait basculer ?
Mais c'est déjà fait , se corrigea-t-elle avec amertume. C'était quelque chose de prévisible, tellement prévisible que des dizaines de milliers de romanciers en avait incorporés leur livres, et maintenant tout le monde se précipitait docilement vers ça. En cet instant, elle aurait beaucoup, beaucoup donné pour pouvoir retourner là-bas – chez elle – et changer, changer tout avant que ça n'arrive, mais non, elle était là, assise dans la chambre de cette parfaite inconnue qui n'était même pas encore née d'après les lois de la physique qu'elle connaissait, et, pour ce qu'elle en savait, là où elle était, elle non plus n'était pas encore née, et d'ailleurs, les coups qui résonnaient contre la porte non plus n'étaient pas encore nés, et...
- J'arrive, j'arrive ! La voix d'Abby sortit Ludmilla de sa léthargie. Clignant des yeux, hébétée, elle assista à l'apparition, dans l'encadrement de la porte, d'une femme qui les toisait, l'air calme.
- Il y a un problème , commença-t-elle d'une voix douce.
Quelques minutes plus tard, elles avaient apprit qu'un type avait décidé de jouer à l'escalade en pleine nuit sur le mur attenant, visiblement parce qu'il n'avait pas compris que jouer à l'escalade en pleine nuit sur un mur n'était
pas une bonne idée. Mais il ne l'avait apparemment toujours pas compris et c'est pourquoi l'aide des deux filles était demandée. Tout de suite. Ludmilla se leva avec hésitation, bizarrement gênée par quelque chose chez cette femme qui venait de tout débiter d'un air imperturbable – en fait, ce n'était pas si bizarre, d'être gênée, du coup - et elles la suivirent. Ce n'est qu'au moment où l'inconnue mentionna le nom d'Istvan que Ludmilla sentit une sorte de brûlure dans sa poitrine, moitié parce qu'elle le connaissait et que maintenant elle arrivait
beaucoup mieux à l'imaginer s'écraser par terre, moitié parce qu'elle se sentait quelque part coupable. Après tout,
elle l'avait frappé. Elle regrettait d'avoir obéit sans discuter au Dévoreur. Bon, en même temps, ce n'était qu'un coup de poing...Mais...Quand même.
Elles étaient donc descendues en bas, avant qu'une voix ne leur crie qu'il fallait plutôt monter, et s'étaient finalement retrouvées sur un toit balayé par des rafales de vent qui les firent chanceler. Ludmilla se mit instantanément à trembler. Il faisait vraiment froid. Sans y prêter attention, elle se dirigea vers le lieu du drame.
Deux personnes se tenaient déjà là, appelant, visiblement sans réponse. Ludmilla baissa les yeux pour constater l'ampleur du désastre. Un homme, en chemise de nuit, vêtu étrangement de bottes, s'accrochait aux pierres battues par le vent d'un air déterminé, ignorant ses doigts et ses lèvres bleuies, ainsi que la corde qui se balançait tristement à côté de lui. En fait, ses yeux, brillants et cerclés de rouge, ignoraient tout cela, puisqu'ils étaient visiblement tendus vers quelque chose que personne d'autre que lui ne pouvait voir.
Il délire, diagnostiqua Ludmilla. Son père, dans une situation pareille, aurait sans doute eu un quelconque produit à lui enfoncer dans les veines qui l'aurait suffisamment endormi pour qu'il ne soit plus en état de grimper où que ce soit . Sauf que son père n'était pas là, qu'elle ne savait même pas pourquoi de type délirait, et que le fait qu'il crie de temps à autre son prénom d'un ton plein de rage était franchement flippant.
Si ça se trouve, il rêve littéralement de me tuer , songea Ludmilla avec une bizarre envie de rire, tellement la situation était étrange. Elle pouvait presque voir Lucas faire une blague stupide sur King Kong version sabre ou quelque chose du genre . Était-elle vraiment à deux doigts d'éclater de rire alors que l'homme là-bas risquait de passer du statut d'humain esthétiquement à peu près correct à celui de bouillie qui devait l'être beaucoup moins?
Je suis vraiment fatiguée, se dit-elle, avant de tenter, de sa plus belle voix grave, n'ayant pas oublié son rôle tout neuf :
- Eh ? Monsieur ? Aucune réaction. Elle se retourna vers les autres, et de dire à toute vitesse, plus pour elle-même que pour quiconque :
- Il délire...ll n'a pas vu la corde...Il ne voit rien...Et il n'entend rien...Mais plus il monte, plus il risque de tomber...L'hypothermie...S'il n'imagine pas que sauter est amusant...Il faut qu'il voie cette fichue corde... La nervosité moqueuse qui avait commencé par s'emparer d'elle était retombée depuis longtemps comme elle prenait toute la mesure de la situation. Chaque petit mouvement du type en contrebas le rapprochait d'une plongée dans le vide, et elle n'était pas sûre que le voyage serait agréable. Il était temps de passer aux choses sérieuses. Elle inspira profondément, désespérément en quête d'une quelconque idée. Le problème, c'était qu'il ne voyait rien...Qu'il n'entendait rien...
Qu'il n'entend rien? Son père, qui racontait quelque fois des petites choses de son travail, leur avait déjà expliqué comment comment certains des patients qui déliraient percevaient le monde. La réalité était bien perçue par les sens, mais, en route vers le cerveaux, le message était brouillé par ce à quoi ce qui était perçu lui faisait penser. Ce qui d'habitude n'était rien de plus que la vague idée anodine que ce truc vert qui était de l'herbe ressemblait à un dragon devenait au moment du délire par un raccourci directement un dragon . Mais il y avait, cette fois, peut-être un contact. Istvan avait crié son nom. Ludmilla se demanda si son esprit ne relierait pas, elle, à son délire, puisqu'elle en faisait apparemment déjà partie. La voix de Ludmilla lui ferait donc peut être penser à Ludmilla. Et il l'entendrait. C'était peut-être n'importe quoi, elle ne savait même pas si c'était bien le type de délire dont souffrait la personne en bas, mais elle n'avait pas d'autre idées et pas le temps d'en attendre une meilleure. Il suffisait donc qu'elle lui parle avec sa voix habituelle. Elle regretta une demie-seconde sa couverture qui allait probablement voler en éclat avant de se décider. Au mépris du vertige, elle se pencha en avant, les mains en porte-voix, pour être sûre d'être entendue, et cria :
- Istvan ? Eh ? Vous m'entendez ? C'est moi...Ludmilla, lâcha-elle, un peu à contrecœur.
J'espère que ça en vaut la peine . ne pu-t-elle s'empêcher de penser, pas trop sûre de l'effet qu'elle produirait. Après tout, il pouvait tout aussi bien
vraiment rêver de la tuer . Elle se concentra.
Essaie de rendre cette corde réelle, Lu'. Il faut qu'il la voie. En effet, il fallait. Les doigts crispés avaient de plus en plus de mal à s'agripper aux pierres, de plus en plus froids, de plus en plus raides.
- Vous voyez, à côté de vous ? Il y a une corde. Vous devez l'attraper. Vous la voyez ?- HRP:
C'est bien à moi de poster? Si non, je supprime de fait, demandez moi tout de suite ! Et toutes mes excuses.