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Cold hypnotic [ouvert à tous les voyageurs de Targoviste]

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Message  Le Dévoreur de temps Dim 25 Jan - 21:53



Les ténèbres, les parois froides et humides d'un tunnel qui s'élevait vers le ciel. Il ne fallut pas longtemps à Istvan pour comprendre qu'il était au fond d'un puits. Un regard vers le bas le lui confirma. Ses bottes trempaient jusqu'à mi hauteur dans une eau glacée. Il leva la tête vers la lumière. Un disque pâle et gris. Un ciel d'hiver comme il en avait connus beaucoup à Nagycenk. Quelque chose vint caresser sa peau et le fit frissonner puis fermer les yeux. Puis une autre petite caresse froide, encore une autre. Il neigeait. Où qu'il se trouvât, où que fût construit ce puits, il neigeait. Il rassembla ses souvenirs. Les portes de Vienne, l'attente interminable de ce maudit empereur des Français contre lequel ils devaient protéger la capitale des Habsbourg. Puis cette forêt, un cheval emprunté. Et cette fille. Ludmilla... Il se souvenait de leur difficulté à échanger, de leur défiance, de ce sentiment que malgré un âge proche qui les aidait à se sourire, ils ne se comprenaient pas. Elle cherchait quelqu'un aussi. Il pensa à Ludwik et il cria leurs deux noms. C'était stupide de hurler dans ce puits. Personne ne l’entendrait. Pourtant il appelait son frère et cette jeune fille dont il ne connaissait que le prénom. Il appelait son frère parce qu'il voulait le revoir, il l'appelait, elle, parce qu'elle était la dernière personne dont il se souvint. Il y avait ce grand homme aux cheveux blancs qui lui avait parlé. Il n'avait pas compris un traitre mot de ses paroles. Au moins, Ludmilla, même si elle disait des choses incompréhensibles, avait su s'intéresser à lui, parler d'elle. Il ne savait rien de cet homme qui les avait abordés. Il était inquiet pour elle. Qu'avait-il pu lui arriver ? Il se retrouvait maintenant avec deux personnes à chercher. Le mal de crâne était toujours là mais moins violent que lorsqu'il s'était éveillé au fond de ce trou.

Il allait en sortir. Un Hussard du 1er de Lanciers ne restait jamais prisonnier bien longtemps. Il devait retrouver son jeune frère. La guerre et les femmes lui avaient déjà pris son aîné. Il examina le mur glissant fait de petites pierres. Ses doigts se glissèrent dans les interstices et son pied chercha instinctivement une prise. Son sabre cogna contre la paroi, lui rappelant cette constante. Un cavalier magyar était fait pour chevaucher et se battre. Pas pour croupir au fond d'un puits. Il monta sur plusieurs mètres mais il aurait juré que le tunnel vertical s'étirait au fur et à mesure qu'il grimpait. Il s'essuya la tempe du coude et poursuivit son ascension sans avoir conscience qu'il était en chemise et non en uniforme et qu'une petite corolle rouge s'était dessinée sur sa manche.  Ne pas regarder en bas, ne pas regarder en bas. Il regarda pourtant. Il ne distinguait plus le fond. Il neigeait toujours. Ses cheveux étaient constellés de ces flocons qui ne fondaient plus vraiment. Son souffle formait une buée qui n'avait rien de factice . Le ciel était à portée de la main mais semblait toujours se dérober. Son pied glissa et il faillit chuter dans l'ombre. Un cri. Un cri de femme lui donna comme un coup de fouet et il reprit son ascension.

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- Mein Got ! Il va se tuer! Max ! Va vite prévenir Herr Professor ! Hurla Gertie en se plaquant les mains sur les joues.
Max le Bananier secoua ses feuilles d'un air catastrophé.

- Impossible ! Le professeur Stanzas est dans le vortex afin d'établir la connexion entre Hellheim et nous. Le temps qu'il revienne, je crains que ce jeune homme ne se soit rompu les os ! Sans compter le fait que cela mettrait Alceste et nos amis du nord en péril !

- Il faut alerter les invités! Ni Alceste, ni le professeur ne peuvent intervenir.

- Hors de question de déranger les invités, j'ai des consignes très strictes ! Il faut qu'ils se reposent pour les missions! Coupa court la robotte hôtesse

- Mais, Herr Max! Je ne peux pas grimper au mur avec mes cotillons et mes jupons pour raisonner ce jeune homme... et vous non plus avec vos roulettes...

Gertie se tourna vers Elymara et lui jeta un regard circonspect. Les bottes en simili cuir blanc et la mini robe de la robotte n'étaient certes pas très appropriées pour grimper au mur à la poursuite d'un gentilhomme mais elle était la seule libre de ses mouvements.

- Je ... je le voudrais bien... je vous assure... Mais le froid et la neige commencent déjà à engourdir mes circuits.

Vue de la pelouse de l'Abbaye, la situation semblait assez surréaliste. Un jeune homme escaladait le mur extérieur de l'édifice, vêtu de ses seules bottes de hussard et d'une liquette de nuit. Il était facile de reconnaître le jeune invité en état de choc que le Dévoreur avait ramené quelques jours plus tôt. Plongé dans un coma léger, il s'était longtemps contenté d’ânonner un prénom. Il s'était avéré plus tard qu'il s'agissait de celui d'une voyageuse. Mais il avait dû visiblement sortir de cet état et, pour une raison inconnue, avait préféré passer par le fenêtre pour escalader le mur extérieur, au lieu de sortir par la porte de sa chambre dans le couloir, où, même s'il avait fait forte impression sur les invitées de Mr Stanzas, affublé de ses bottes et de son sabre qu'il avait ceint par dessus sa liquette de nuit, il n'aurait pas risqué de se rompre le cou à chaque instant. Pour couronner le tout, il s'était mis à neiger sur Targoviste et si le paradoxe émanant du sas temporel généré par le professeur protégeait l'Abbaye de bien des incursions indésirables, les intempéries s'y invitaient selon leur bon gré. Parfois la météo de la "bulle " s'accordait avec la météo du temps fixe, soit 2015, parfois, elle se réglait sur les humeurs du générateur, soit le Professeur. S'il était en colère on avait droit à un bel orage pioché dans une époque de Targoviste. Mais ce soir on avait annoncé des averses de neige sur la Targoviste de 2015 donc le paradoxe se calait sur l'époque contemporaine. Il était à souhaiter que Thorvald et sa suite ne se matérialisent pas dans le centre ville mais sur la pelouse.

Gertie et son pragmatisme humain refirent surface après qu'Istvan faillit lâcher prise.

- Il faut demander de l'aide aux invités. Après tout , ils vont devoir se battre au côté du Dévoreur dès demain. Cela leur fera une mise en jambe.

Elle se rua dans le hall monumental de l'Abbaye et rugit au pied de l'escalier.

- ALLEEEERTE ! ALLEEERTE ! UN VOYAGEUR EN PERIL !


Pendant ce temps, Elymara s'était résolue à déranger ses invités et, aidée de Max, avec qui elle avait emprunté l'ascenseur, toquait aux portes de chambres. C'est ainsi qu'elle dérangea Démétrios qui s'apprêtait à s'endormir et frappa en vain dans la chambre de Ludmilla, laquelle était vide. Max, quant à lui, vibrait des circuits et ne s'étonna même pas de trouver Ludmilla dans la chambre d'Abigail, ni même du fait qu'elle avait perdu ses cheveux. Après tout, les vrais bananiers perdaient bien leurs bananes et Ludmilla était une VRAIE humaine. Elle perdait donc ses cheveux. Il pensait se souvenir que la chute capillaire ne se déroulait pas de cette façon chez les humains. Mais à Targoviste, on n'en était plus à cette expérience près. Il alla ensuite toquer le plus discrètement possible à la porte de la policière car il avait toujours une sorte de culpabilité face à un agent des forces de l'ordre. Surtout depuis que l'un d'entre eux l'avait pris pour un plant de marijuana mutant lors d'une mission. Il dédramatisa lorsqu'il la surprit en plein examen du tiroir à dessous féminins.

Voyant que les deux cyber avaient pris l'affaire en main, Gertie retourna sur la pelouse qui commençait à se couvrir d'un fin duvet blanc. Horrifiée, elle constata qu'Istvan était à présent parvenu à mi-hauteur de la tour de guet de cet ancien lieu de prière fortifié.

- Herr Chequeti ! Descendez! C'est un ordre ! Vous allez vous faire très mal et vous ne pourrez pas apprécier mon Kouglof demain matin !

Pour toute réponse elle n'entendit entre les halètements d'effort du jeune homme qu'une vague invective.

- Ce damné puits n'aura donc pas de fin ! J'en sortirai, même si je dois y perdre...

Mais le vent pudique couvrit la fin de la phrase, fort à propos. Malheureusement on ne pouvait pas en dire autant des fesses de la cavalerie des Habsbourg ...

-Mais pourquoi diable parle-t-il de puits  ?
S'exclama la brave femme au moment où des renforts arrivaient enfin sur la pelouse.

Avis aux voyageurs :
La plume : Genèse et Philosophie des lieux.
Empreinte : L'histoire de Vladimir Stanzas ou comment on devient le Dévoreur de Temps
Espace personnel : D'une porte cochère à l'autre {en construction}
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Message  Invité Lun 26 Jan - 14:37

Je dégustais mon bol de lait chaud tout en gardant précieusement le verre d’alcool pour me détendre après la douche, assise sur le rebord de mon nouveau lit. Je ressassais encore tout ce qui venait de m’arriver. Pour certains, cela n’aurai rien de bien important ou d’extraordinaire, pour moi c’était une situation sur laquelle je ne pouvais mettre de mots, ni décrire. Ici tout était différent et ma perception allait devoir se modifier pour adapter à ce genre d’évènements : comme traverser un vortex, parler à un bananier sur roulettes, une robotte en mini-jupe. Est-ce que j’étais en train de rêver ? Ou alors, ce n’était là que les prémices des symptômes liés à ma folie ? Hum … non, j’avais bien toute ma tête.  Et puis mon esprit vagabonda jusqu’à ma famille. Est-ce que mon père avait vécu tout cela lui aussi ? Peut-être que Gertie et les autres le connaissaient. Je leur poserai la question demain, si j’ai le temps. Je soupirai comme pour laisser toute ma tension nerveuse s’envoler loin de mon corps pour enfin déguster le lait chaud. Cela faisait du bien d’être au calme, et j’espérai que mes parents, surtout mon père, ne se fassent pas trop de soucis pour moi. Bon ! Il était temps de passer sous le jet d’eau chaude et de me plonger sous la couette. Le sommeil commençait à m’appeler et avant que je ne tombe inerte sur le matelas, un brin de toilette s’imposer. Puisque j’avais tout un panel de vêtements rien qu’à moi, ça aussi je n’en revenais toujours pas, je décidai de revenir étudier les tiroirs. Pour demain, un jean, un gros pull et des bottines feraient l’affaire. J’aimais être à l’aise dans mes mouvements.

Un brouhaha étrange me sortit de mes réflexions. C’était au début, très lointain, comme si cela venait de l’extérieur, mais soudain la porte de ma chambre s’ouvrit laissant entrer le fameux bananier qui m’expliqua avec une rapidité étonnante que Gertie avait besoin d’aide sur la pelouse de l’Abbaye, et que je devais penser à me couvrir car il commençait à neiger. Hum … Il n’y avait pas de neige quand j’étais arrivée avec Stanzas, il y a quelques heures. Le climat changeait à une allure folle ici … moi qui croyait qu’on devait tous dormir, se reposer pour être en pleine forme demain matin. Je pris le premier pull que je trouvai dans l’armoire, m’emmitouflant d’un  anorak et je filai au rez de chaussée pour rejoindre Gertie dehors. Le froid me gifla le visage. La température avait bel et bien baissé en peu de temps. Je relevai la capuche sur mes cheveux, essayant tant bien que mal de dompter mes mèches rebelles brunes.

- Gertie, que se passe-t-il ? Max m’a seulement expliqué que vous aviez besoin d’aide.

La bonne femme acquiesça et leva son index que je suivis du regard pour apercevoir  …

- C’est qui cet énergumène qui grimpe le mur de l’Abbaye ? Et dans  … cette tenue ?

- Un voyageur comme vous Mademoiselle Mills, mais il était dans une sorte de coma.

- Ouais … apparemment, il vient de se réveiller.

- Il va tomber et se rompre le cou.

- Effectivement … c’est une option à envisager.

- Il faut l’aider !

- Ok, ok… Gertie, il me faut  une bâche la plus résistante que vous trouverez. Vous resterez en bas avec Max et Elymara quand elle vous rejoindra. S’il a d’autres voyageurs, ça sera encore mieux ! Vous tendrez cette bâche en dessous de ce Monsieur … au cas où il tomberait de son perchoir.

- Je vais nous trouver ça de suite. Je reviens au plus vite !

Je laissai Gertie retourner à l’intérieur de l’Abbaye et je fis face à Max.

- J’ai besoin de toi aussi. Est-ce que Monsieur Stanzas possède des cordes ? Une longue corde solide ?

- Je crois savoir où il y en a une, je reviens Mademoiselle Mills.

Max regagna la grande bâtisse et je m’approchai du mur où l’inconnu continuer toujours à grimper.

- Hé ho !! Là-haut !! Vous savez que vous êtes en train de grimper à un mur extérieur et que vous avez atteint une hauteur bien trop importante ?!

Gertie me rejoignit alors avec la bâche qu’elle tenait dans ses mains.

- C’est Monsieur Istvan, mais il ne semble pas nous entendre.

- C’est bien embêtant. Dites-moi Gertie, il porte quoi sur lui ?

- Le pauvre, il va attraper froid. Il n’est vêtu que de sa liquette de nuit et de ses bottines. Il a aussi son sabre.

- Sa liquette … Mmm… je ne veux même pas savoir ce qu’il porte dessous … ou ce qu’il ne porte pas …

- Pardon Mademoiselle Mills ?

- Ah rien rien Gertie, je réfléchissais à haute voix.

Le bruit des roulettes de Max se fit entendre dans notre dos et à une de ses branches, il y avait la corde.

- C’est tout ce que j’ai trouvé.

- ça sera parfait !  Quand vous serez en nombre, étendez la bâche. Comment fait-on pour arriver sur les toits ?

- Vous prenez l’ascenseur jusqu’au dernier étage et après sur votre gauche, vous trouverez quelques marches qui vous mèneront à une porte qui donne sur le toit directement.

Je filai avec la corde sous le bras en direction de l’ascenseur et je parvins au dernier étage de l’Abbaye comme Gertie venait de me l’indiquer. Je trouvai la petite porte qui grinça au moment où je l’ouvris et la bourrasque de vent me fit presque perdre l’équilibre. A cette hauteur-là, les éléments paraissaient se déchainer. Je m’avançai avec précaution près de la margelle en pierre, m’accroupissant  pour éviter de tomber

- Istvan, je suis Eva … Une …euh …une amie … Vous êtes en danger … Vous aller tomber dans le vide. Je vais vous lancer une corde. Est-ce que vous me comprenez ?

J’attachai la corde solidement  à une petite tourelle en fer, que je lançai près de l’inconnu … Je savais très bien que toute seule … je n’y arriverai pas …
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Message  Invité Sam 31 Jan - 13:32

Démétrios dormait, allongé sur un de ces lits XXe siècle qu'il mettait au compte des très agréables inventions du futur terrestre,comme le robinet d'eau chaude, le chocolat, le rasoir mécanique et le waterman à piston (n'ayant pas encore découvert le charme des stylos-cartouches et de la pointe Bic).
Il éprouvait bien un léger scrupule en se livrant à ces plaisirs car il avait été élevé dans le principe que l'amollissement des sens conduit à l'avachissement des muscles et à la corruption des mœurs. Au moment de se coucher il avait même pensé à retourner à ses habitudes quasi spartiates et à se rouler dans son manteau pour s'étendre sur le sol. "N'est vraiment fatigué, disait son père, que celui qui peut s'endormir sur un lit de cailloux."
 Mais il n'avait pas de manteau où s'enrouler, seulement une sorte de longue veste capitonnée avec une fermeture-éclair. Encore une invention qu'il jugeait très réjouissante, n'en ayant pas encore coincé une dans son slip. En descendant de voiture, le chauffeur Igor venu le chercher à l'aéroport lui avait remis une "parka"  préférable à son duffle-coat Londres-1944.
 Igor était un Voyageur au service du Dévoreur et quand l'automobile franchit le portail du domaine, il dit seulement : " Transfert ! Arrivée 2015 !". Le millésime réjouit l'Athénien qui venait d'avancer de soixante ans dans le temps linéaire sans perdre une seule dent.
Et en effet il faisait frisquet en débarquant au pays des Daces et des Scythes. Il y était venu dans sa première vie, quand on ne parlait ni de Roumanie ni de Bucarest  Accablé de fièvres sur un rivage inhospitalier, pendant plusieurs semaines, il y avait alors traîné une misérable existence avant de pouvoir rentrer à Athènes où il avait finalement rencontré le Dévoreur... C'était .. il y avait longtemps. Du moins pour le temps historique compté en siècles et millénaires. Mais pour lui, il avait vécu environ six semaines au IXe siècle, puis passé trois ou quatre jours au bord d'une mer froide sous un ciel agité en compagnie de mammouths. Il avait enchaîné sur deux jours à New-York-1944 et trois pour rejoindre Bucarest, dont 24 heures à London, Grande Bretagne. Le Dévoreur lui avait promis des voyages, il avait été comblé...

Donc il dormait quand on frappa à la porte. Il sauta hors du lit, immédiatement éveillé et comme il avait laissé la lampe de chevet allumée après avoir sombré à la troisième ligne de l'Abrégé de l'histoire du Monde, il sut immédiatement où il était et dit au visiteur d'entrer.
Il fut d'abord surpris de voir devant lui une plante au feuillage fort développé . Mais presque aussitôt il reconnut Max le majordome,  rencontré chez Zorvan  dans des circonstances brumeuses. Le cyber Bananier métallique chargé de costumer les invités, l'avait superbement initié aux charmes du vêtement rock. Il fut très ému de le retrouver et lui saisit à deux mains trois feuilles à la fois pour les secouer vigoureusement en s'exclamant :

-Mon cher Max ! Quel plaisir de vous savoir ici ! Et vous avez changé de pot ! Vous vous déplacez ! Vous souvenez-vous de moi ?

Max rendit la poignée de mains comme il put et de sa voix aux accents métalliques, il répondit tout en effectuant une pirouette pour montrer qu'en effet, il maîtrisait parfaitement ses roulettes :

-Bien sûr ! Vous avez été un invité très facile et fort poli alors que d'autres m'ont pris pour une simple décoration un peu kitch et ne m'ont même pas remercié. Je me suis permis de vous tirer du sommeil car on a besoin d'hommes dans la cour où l'on craint un accident. Dame Gertie m'envoie chercher du secours. Et habillez-vous, monsieur de Zéa, il neige..

Max expliqua rapidement qu'un invité, porteur de bottes, d'un sabre et d'une simple chemise de nuit, escaladait la tour ouest pour des motifs inconnus. Il s'excusa de ne pas escorter Démétrios mais il allait continuer de rassembler de l'aide. Malheureusement ni le professeur Stanzas ni Alceste n'étaient présents. Ayant dit, le cybermajordome s'élança sans plus attendre et disparut en mimant le pas des patineurs.
Démétrios portait un pyjama à rayures de chez Harrods (Elliott avait du goût) et avait donc laissé inemployée la chemise de nuit qu'il avait trouvée sur le lit. Il la déplia pour voir si c'était également un vêtement d'extérieur et décida qu'il s'en tiendrait au pyjama. En pays froid, le pantalon scythe était plus judicieux, de même ses boots qu'il avait d'abord jugé encombrantes. Il mit son bonnet, enfila sa parka ,  et prit aussi sur le bras son duffle-coat (également Harrods via F.B.I).

Il se perdit un peu dans les couloirs de la vaste demeure, croisa un gros chat blanc qui faisait semblant de dormir en haut d'un escalier alors qu'on entendait des éclats de voix venant du dehors, des pas précipités dans la maison, des portes qui se fermaient, certainement inhabituels à cette heure de la nuit. Il déboucha enfin sur une courette déserte. L'espace bleu sombre miroitait de flocons et deux ou trois fenêtres éclairées trouaient de lumière pâle ce rideau léger et virevoltant. Sans doute dérangé par une agitation inhabituelle, un cheval hennit non loin de là et Démétrios se réjouit que Targoviste n'hébergeât pas que des automobiles comme moyen de transport. 
Après quelques hésitations, il arriva dans la cour cernée par la nuit. Les lampadaires du perron accentuaient le mur des ténèbres fermant l'espace où s'agitaient Max et Gertie au pied d'une des tours. Ils étaient empêtrés dans une bâche qu'ils dépliaient difficilement, le majordome coinçant ses roues dans la neige fraîche et Dame Gertie levant constamment la tête vers le mur en poussant des oh mon Dieu ! et des Mein Gott !, ce qui guida le regard de Démétrios vers la cause de tant d'émotion.
En effet,  au-dessus d'une fenêtre restée ouverte, un grand gaillard se hissait sur la paroi, s'accrochant difficilement aux aspérités des pierres. Les bottes, le sabre et la chemise de nuit, tout y était. Démétrios vit que le vêtement était trempé par la neige fondue et plaqué par le vent. L'homme devait être glacé et il risquait d'ici peu la chute autant par ankylose que par fatigue.
Max lui dit la voix un peu contrainte :

Mademoiselle Mills, une invitée, va essayer de monter sur le toit avec une corde. Elle nous a demandé de tendre une bâche mais je ne suis pas équipé pour ce genre de manoeuvre. Elymara, notre hôtesse d'accueil, est partie chercher les autres invités. Mais la bâche sera inutile . Il est déjà à plus de quinze mètres. Calculez l'énergie cinétique … on ne pourra pas résister au choc.

Démétrios ne savait pas calculer l'énergie cinétique mais il avait vu tomber un esclave d'une corniche sur l'Acropole et approuva le majordome :

-Je vais rejoindre cette demoiselle. S'il faut le remonter, elle ne le pourra pas seule. S'il tombe, faites attention. Il peut vous tuer à l'arrivée. Une voiture avec de la paille, vous n'avez pas ça ? J'ai entendu un cheval... Ou bien une très grande échelle  comme pour les sièges ?

Il y avait un petit côté forteresse dans le manoir du Dévoreur et Démétrios se souvenait du siège de Constantinople.

-Le temps d'aller la chercher, il sera en haut. Ou en bas, dit Max philosophiquement et il lui indiqua le chemin.
Démétrios trouva l'ascenseur et appuya sur le plus haut bouton , un peu anxieux du résultat . Mais deux minutes plus tard il rejoignait Miss Mills sur le toit, laissant le duffle-coat à l'intérieur.
Il vérifia d'un coup d'oeil le nœud qui arrimait la corde. Son passé marin lui fit penser " Pas mal pour une femme, mais mal placé. Le bord du toit avait tout pour cisailler le câble si on s'y accrochait. La femme tentait le dialogue avec l'homme en chemise et le Grec se crut revenu en arrière, sur le toit d'un immeuble à Nex-York, Elliott Ness raisonnant une Voyageuse qui menaçait de sauter dans le vide. Mais celui-là n'avait nulle intention de lâcher prise et il grimpait, brique après brique, s'arrêtant à chaque prise et repartant battu par le vent, aveuglé par la neige, tenace, courageux .
Démétrios fit l'économie des présentations et se pencha auprès de Miss Mills, sortie sans bonnet, échevelée et enneigée comme une Ménade hyperboréenne.  A cette hauteur, l'éclairage au sol ne portait plus, l'homme semblait sortir d'un grand trou noir. On distinguait à peine un mâle visage levé vers le toit. Le sabre râclait les pierres, ajoutant à l'insolite de la situation. L'homme était un guerrier dans un monde où on ne se promenait pas habituellement avec ce genre d'arme. Oublieux de tout, il n'avait cependant pas abandonné ce qui le définissait : son sabre et ses bottes. Que lui &tait-il arrivé ? Le choc d'un Vortex mal négocié ? Un mauvais tour de Zorvan mélangeant les interfaces des multiplans ?  Le pauvre égaré ne semblait pas avoir vu la corde lancée, d'ailleurs un peu courte. Le Grec eut une idée, se pencha encore plus et cria :

-Militaire ! Courage ! Vous avez presque réussi ! Saisissez cette corde à votre gauche, nous allons vous sortir de là.
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Message  Invité Sam 14 Fév - 23:44

( From : [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]
Et si je n'ai pas besoin de me mettre cela, eh bien, vengez vous en sur Abby, elle en est ENTIÈREMENT responsable vous voyez. )


Ludmilla se sentit rassurée quand l'autre fille poursuivi la conversation comme si de rien n'était. Elle songea que tout aurait été beaucoup plus facile si elle avait pu savoir ce que l'autre pensait. Cela aurait même été plus simple si cela avait été le cas pour tout le monde. Et pourtant, elle n'avait pas toujours, voire presque jamais, le sentiment d'être face à une barrière quand elle parlait avec certaines personnes, pas toujours; ses amis, certains membres de sa famille, et même cette mystérieuse inconnue dont , malgré ses doutes, elle s'était finalement sentie proche, et à raison. Peut-être avec le temps, les doutes allaient s'estomper. Ou peut-être pas ,se rappela-t-elle mentalement à l'ordre. Ce n'était certainement pas le moment de faire des projets d'avenirs. Pour le moment, elle devait absolument savoir. Ce n'était pas seulement une pure curiosité, c'était aussi des informations dont elle sentait qu'elle devait disposer. Elles seraient, après tout, peut-être son dernier lien avec les gens qu'elle connaissait.

 Cependant, la phrase suivante ne fût pas celle qu'elle attendait – c'est à dire des réponses. A la place, encore un joli cliché. Super! soupira intérieurement Ludmilla. Au moins, ce n'était pas quelque chose qui la visait – pas directement. Elle pouvait faire avec. Elle hésita , ne sachant pas très bien quel rôle elle devait jouer. Maintenant qu'elle « était » un garçon, peut-être devait elle agir à l'instar de tous ces gens qui se fichaient de ce qu'ils pouvaient causer comme souffrance aux autres. Après tout, en tant qu'il, elle était bénéficiaire de ce système. Il était peut être logique qu'elle fasse comme si elle le soutenait . Non, quand même pas . Mais de toutes façons, elle ne pouvait rien dire. N'étais ce pas pour éviter ce genre de choses qu'elle faisait tout pour ne pas être perçue comme elle, après tout ? Elle se contenta donc de laisser son visage aussi peu expressif que possible, comme si rien ne l'avait interpellée.

 Pourtant, à l'intérieur, elle se sentait lasse. Ainsi, ce n'était toujours pas finit, ça, même pas trente-cinq ans plus tard ? Bien sûr, elle ne s'attendait pas à ce qu'un mécanisme aussi bien ancré se brise en si peu de temps, loin de là. Il avait fonctionné depuis si longtemps. Mais elle avait espéré, oh c'était ridicule...Mais que les choses changeraient un peu. Juste un peu. Ce n'était pas le cas. Elle le voyait au naturel du ton qu'avait emprunté la blonde pour balancer négligemment une absurdité. Et elle craignait que ça ne finisse jamais. C'était à la fois horrible et désespérant de pressentir que tout cela se poursuivrait, pour toujours. Les malédictions resteraient les mêmes, et il y aurait toujours des cages. Toujours.

 Mais comme elle ressentait cela, une sorte de prédiction terrifiante, la femme à côté d'elle s'excusa. Ludmilla sentit cette fatigue sourde s'éloigner aussi sec. Quelque chose a changé. Oh, pas beaucoup, mais c'était là, et c'était tout ce dont elle avait besoin pour l'instant. Peut-être que plus tard, bien plus tard, il y aurait ce genre de monde où l'on pouvait vivre sans se faire déchiqueter. Ce n'était plus impossible. D'ailleurs, si Abigail avait cru cela, c'est qu'elle n'avait pas vraiment rencontré de types autres que méprisants dans son existence, apparemment. Elle soupira intérieurement, songeant que ces imbéciles n'avaient toujours pas appris que leur attitude équivalait plus à celle d'une espèce de moisissure puante que le légitime comportement d'une personne sympathique. Elle lui sourit, compréhensive, ayant l'expérience de ce genre de mépris, avant de se rappeler qu'elle n'était pas censée connaître ça, et de se dépêcher de faire comme si de rien n'était. Pendant ce temps, l'autre avait poursuivi.

 Elle lui parla tout d'abord de musique. Ludmilla n'écoutait pas vraiment de musique – ou plutôt, elle ne parvenait pas à se concentrer assez pour juste écouter de la musique, faisait autre chose, et oubliait alors le son dans ses oreilles. Julie avait beau lui envoyer des playlists entières de chansons ponctuées de hurlements, rien à faire, elle oubliait qu'elle entendait quelque chose, même quand le son était très fort. Ce n'était juste pas assez pour capter son attention. C'est pourquoi elle ne réagit pas vraiment à la nouvelle, songeant plutôt que son amie aurait sans doute adoré savoir cela . Elle aurait même adoré être là, de toute façon.

  Ludmilla se demanda une seconde ce que l'apprentie détective pouvait bien faire, en ce moment, avant de se rappeler – il faudrait vraiment qu'elle demande quand on était, et qu'elle écoute la réponse, cette fois – qu'elle n'était probablement pas née, maintenant. Et après? Pour l'instant, elle ne savait pas si elle était retournée dans son présent. Un vertige la saisit. Ce qui était pour elle l'avenir était, quelque part, déjà arrivé. En effet, il y avait cette Ludmilla qui pouvait être là-bas, en 2014, rentrée chez elle avant d'avoir disparu, et qui cachait secrètement tout ce dont elle s'était sortie. Où elle pouvait ne pas être là. Et c'était déjà décidé. Elle frissonna. Si je pouvais aller vérifier... Non, elle ne pouvait pas. Peut-être avait elle bien fait de regarder tous ces films avec Lucas, finalement. Elle savait que si elle pouvait savoir cela, alors...Quelque chose ne marcherait plus. Et puis, elle n'avait même pas la possibilité de prendre le risque. Se dire tout cela n'enleva pas pour autant de sa tête l'idée qu'elle pouvait. Elle se dépêcha de chasser ces pensées intrusives, et replongea plutôt dans le récit d'Abigail.

 Elle apprit en l'écoutant que la musique devait avoir une importance pour elle. Au fur et à mesure qu'elle en parlait, son visage s'animait, et Ludmilla compris qu'elle ne se contentait pas de relater des événements d'un contexte lointain et sans vie, mais bien quelque chose qui la concernait. C'est à ce moment-là que la blonde révéla son lien avec ce qu'elle narrait, son père. A nouveaux, un sentiment d'étrangeté saisit Ludmilla. Le père de cette femme, qui avait l'air au moins aussi vieille qu'elle , enfin, peut-être – elle n'était vraiment pas douée pour attribuer un âge aux gens - avait donc son âge à elle. C'était plutôt déstabilisant. Elle l'avait peut-être croisé dans la rue, et maintenant sa fille qui n'existait alors pas encore était devant elle. Ce qui l'amena à penser à tous les autres gens qu'elle avait pu croiser, avec qui elle avait pu parler, bref, qu'elle connaissait. Se redressant, elle planta des yeux décidés dans ceux d'Abby.

- Continues. Il faut que tu me dises ce qu'il se passe après. Ce qu'il se passe pour tout. Je dois savoir.

 Obtempérant , l'autre se mit à raconter, sur le ton un peu lointain de celle qui ne peut pas vraiment s'en sentir touchée, un futur qui ressemblait au début d'un basculement. Un basculement vers quelque chose de pire. Ludmilla se sentait trembler, comme si il faisait froid, sauf qu'elle n'avait pas froid. Elle avait peur. Elle n'aurait pas du écouter, elle pensait, consciente qu'elle s'aventurait dans un terrain qui ne voulait pas de sa présence. Et, en même temps, fascinée, elle ne pouvait s'empêcher de laisser se former dans sa tête l'image d'une espèce de tragédie inévitable vers lequel presque tout ce qu'elle connaissait se jetait à toute vitesse. Son imagination évita cependant habilement les choses terrifiantes, elle se raccrocha aux détails qui annonçaient l'existence d'une sorte de progrès. Mais rapidement, elle n'y parvint plus. Du racisme . Non, décidément, c'était bien finit. Il n'y aurait plus de progrès. Cette espèce de haine gonflée d'injustice qu'elle sentait partout n'allait pas s'éteindre, elle augmentait, et elle finissait par tuer, encore plus qu'elle ne le faisait déjà dans son présent. Les petites icônes brillantes, l'idée que quelque chose de bien finirait par arriver, que toutes ces choses horribles prendrait une fin, se noya profondément dans un amas glacé, quelque chose comme de la boue et du sang.

 Elle sourit à la blague qui conclut l'histoire d'Abby, mécaniquement, comme un tic. A l'intérieur, elle ne savait plus trop ce qu'elle ressentait. Cette femme  lui avait parlé de quelque chose, et ce quelque chose ressemblait à n'importe quel banale histoire post-apocalyptique comme celles qui fleurissaient un peu partout ces derniers temps. Sauf que c'était réel, cette fois. Ça allait se passer. C'était complètement dingue. Ludmilla essaya de calmer l'angoisse qui montait en elle, ce qui aurait été bien plus facile si son cerveau ne s'obstinait pas à lui passer en boucle des images de tout ce qu'elle connaissait se craqueler, se détruire, disparaître. Saleté de cerveaux. pensa-t-elle. Mais le pire était peut-être que cette crainte n'avait aucun exutoire. Elle ne pouvait rien faire. Ça allait juste arriver et elle ne pouvait rien faire. Son monde, dont elle avait appris les codes, les règles silencieuses et le fonctionnement réglé, un monde qu'elle maîtrisait et où elle pouvait vivre, allait bientôt s'enfoncer dans un chaos dont la fin était inévitable. Elle leva des yeux perdus vers une horloge invisible – quand ? Quand est-ce que tout allait basculer ? Mais c'est déjà fait , se corrigea-t-elle avec amertume. C'était quelque chose de prévisible, tellement prévisible que des dizaines de milliers de romanciers en avait incorporés leur livres, et maintenant tout le monde se précipitait docilement vers ça. En cet instant, elle aurait beaucoup, beaucoup donné pour pouvoir retourner là-bas – chez elle – et changer, changer tout avant que ça n'arrive, mais non, elle était là, assise dans la chambre de cette parfaite inconnue qui n'était même pas encore née d'après les lois de la physique qu'elle connaissait, et, pour ce qu'elle en savait, là où elle était, elle non plus n'était pas encore née, et d'ailleurs, les coups qui résonnaient contre la porte non plus n'étaient pas encore nés, et...

- J'arrive, j'arrive !

 La voix d'Abby sortit Ludmilla de sa léthargie. Clignant des yeux, hébétée, elle assista à l'apparition, dans l'encadrement de la porte, d'une femme qui les toisait, l'air calme.

- Il y a un problème , commença-t-elle d'une voix douce.

 Quelques minutes plus tard, elles avaient apprit qu'un type avait décidé de jouer à l'escalade en pleine nuit sur le mur attenant, visiblement parce qu'il n'avait pas compris que jouer à l'escalade en pleine nuit sur un mur n'était pas une bonne idée. Mais il ne l'avait apparemment toujours pas compris et c'est pourquoi l'aide des deux filles était demandée. Tout de suite. Ludmilla se leva avec hésitation, bizarrement gênée par quelque chose chez cette femme qui venait de tout débiter d'un air imperturbable – en fait, ce n'était pas si bizarre, d'être gênée, du coup - et elles la suivirent. Ce n'est qu'au moment où l'inconnue mentionna le nom d'Istvan que Ludmilla sentit une sorte de brûlure dans sa poitrine, moitié parce qu'elle le connaissait et que maintenant elle arrivait beaucoup mieux à l'imaginer s'écraser par terre, moitié parce qu'elle se sentait quelque part coupable. Après tout, elle l'avait frappé. Elle regrettait d'avoir obéit sans discuter au Dévoreur. Bon, en même temps, ce n'était qu'un coup de poing...Mais...Quand même.

 Elles étaient donc descendues en bas, avant qu'une voix ne leur crie qu'il fallait plutôt monter, et s'étaient finalement retrouvées sur un toit balayé par des rafales de vent qui les firent chanceler. Ludmilla se mit instantanément à trembler. Il faisait vraiment froid. Sans y prêter attention, elle se dirigea vers le lieu du drame.

 Deux personnes se tenaient déjà là, appelant, visiblement sans réponse. Ludmilla baissa les yeux pour constater l'ampleur du désastre. Un homme, en chemise de nuit, vêtu étrangement de bottes, s'accrochait aux pierres battues par le vent d'un air déterminé, ignorant ses doigts et ses lèvres bleuies, ainsi que la corde qui se balançait tristement à côté de lui. En fait, ses yeux, brillants et cerclés de rouge, ignoraient tout cela, puisqu'ils étaient visiblement tendus vers quelque chose que personne d'autre que lui ne pouvait voir. Il délire, diagnostiqua Ludmilla. Son père, dans une situation pareille, aurait sans doute eu un quelconque produit à lui enfoncer dans les veines qui l'aurait suffisamment endormi pour qu'il ne soit plus en état de grimper où que ce soit . Sauf que son père n'était pas là, qu'elle ne savait même pas pourquoi de type délirait, et que le fait qu'il crie de temps à autre son prénom d'un ton plein de rage était franchement flippant. Si ça se trouve, il rêve littéralement de me tuer , songea Ludmilla avec une bizarre envie de rire, tellement la situation était étrange. Elle pouvait presque voir Lucas faire une blague stupide sur King Kong version sabre ou quelque chose du genre . Était-elle vraiment à deux doigts d'éclater de rire alors que l'homme là-bas risquait de passer du statut d'humain esthétiquement à peu près correct à celui de bouillie qui devait l'être beaucoup moins? Je suis vraiment fatiguée, se dit-elle, avant de tenter, de sa plus belle voix grave, n'ayant pas oublié son rôle tout neuf :

- Eh ? Monsieur ?

 Aucune réaction. Elle se retourna vers les autres, et de dire à toute vitesse, plus pour elle-même que pour quiconque :

- Il délire...ll n'a pas vu la corde...Il ne voit rien...Et il n'entend rien...Mais plus il monte, plus il risque de tomber...L'hypothermie...S'il n'imagine pas que sauter est amusant...Il faut qu'il voie cette fichue corde...

 La nervosité moqueuse qui avait commencé par s'emparer d'elle était retombée depuis longtemps comme elle prenait toute la mesure de la situation. Chaque petit mouvement du type en contrebas le rapprochait d'une plongée dans le vide, et elle n'était pas sûre que le voyage serait agréable. Il était temps de passer aux choses sérieuses. Elle inspira profondément, désespérément en quête d'une quelconque idée. Le problème, c'était qu'il ne voyait rien...Qu'il n'entendait rien...Qu'il n'entend rien?

 Son père, qui racontait quelque fois des petites choses de son travail, leur avait déjà expliqué comment comment certains des patients qui déliraient percevaient le monde.  La réalité était bien perçue par les sens, mais, en route vers le cerveaux, le message était brouillé par ce à quoi ce qui était perçu lui faisait penser. Ce qui d'habitude n'était rien de plus que la vague idée anodine que ce truc vert qui était de l'herbe ressemblait à un dragon devenait au moment du délire par un raccourci directement un dragon . Mais il y avait, cette fois, peut-être un contact. Istvan avait crié son nom. Ludmilla se demanda si son esprit ne relierait pas, elle, à son délire, puisqu'elle en faisait apparemment déjà partie. La voix de Ludmilla lui ferait donc peut être penser à Ludmilla. Et il l'entendrait. C'était peut-être n'importe quoi, elle ne savait même pas si c'était bien le type de délire dont souffrait la personne en bas, mais elle n'avait pas d'autre idées et pas le temps d'en attendre une meilleure. Il suffisait donc qu'elle lui parle avec sa voix habituelle. Elle regretta une demie-seconde sa couverture qui allait probablement voler en éclat avant de se décider. Au mépris du vertige, elle se pencha en avant, les mains en porte-voix, pour être sûre d'être entendue, et cria :

- Istvan ? Eh ? Vous m'entendez ? C'est moi...Ludmilla, lâcha-elle, un peu à contrecœur.

 J'espère que ça en vaut la peine . ne pu-t-elle s'empêcher de penser, pas trop sûre de l'effet qu'elle produirait. Après tout, il pouvait tout aussi bien vraiment rêver de la tuer .  Elle se concentra. Essaie de rendre cette corde réelle, Lu'. Il faut qu'il la voie. En effet, il fallait. Les doigts crispés avaient de plus en plus de mal à s'agripper aux pierres, de plus en plus froids, de plus en plus raides.

- Vous voyez, à côté de vous ? Il y a une corde. Vous devez l'attraper. Vous la voyez ?



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Cold hypnotic [ouvert à tous les voyageurs de Targoviste] Empty Nouvelles feuilles, nouveaux visages

Message  Invité Dim 15 Fév - 4:32

Attendre après les questions de Lou, c’était un exercice qu’Abigail se serait évertuée à endurer si l’on n’avait pas frappé à ce moment à la porte. Comme ce pouvait être désagréable, songea – t – elle, d’être ainsi tirée d’une discussion si prometteuse, au dénouement si prometteur … La blonde soupira, agacée.

- J’arrive, j’arrive …

Son éclat de voix avait sorti Lou de ses pensées, si bien qu’il avait suivit chaque pas de la jeune femme jusqu’à la porte. Abby tira sur la poignée, passablement énervée, sans plus de raison. Elle fut fortement étonnée de trouver face à elle ce qui était très vraisemblablement un cyborg. Non, une cyborg, et un modèle hautement sophistiqué ! La Néo – New Yorkaise manqua de peu de pousser un sifflement d’admiration. Vladimir a vraiment des invités étonnants, s’émerveilla la jeune femme. Avant qu’aucun son ne sorte de sa bouche, la voix impersonnelle de la machine annonça qu’il se passait une chose terrible à l’extérieur du bâtiment, nécessitant notre aide immédiate. Lou s’était aussitôt levé, volontaire, et Abigail se dit même qu’elle trouvait à cette attitude une certaine forme d’héroïsme, car elle même ayant été seule n’aurait sans doute pas proposé d’aider. Elle n’était pas vraiment douée pour ce genre de choses. Cependant, ne voulant pas rester en retrait, et risquer de perdre du crédit aux yeux de ce nouvel ami, elle décida de fermer la marche, suivant celle que se faisait appeler Elymara, et l’admirable Lou. Ce faisant, ils s’étaient rendus à l’extérieur. Là, le spectacle était assez impressionnant. Il y avait en effet un homme légèrement vêtu qui escaladait la façade, et d’autres personnes tentant de le ramener à la raison – avec Dame Gertie pour seul visage connu, mais plus effrayant encore pour Abigail, il y avait juste là, devant, ce qui ressembler dangereusement à un bananier en pot à roulettes, celui – ci « tenant » entre ses feuilles les coins d’une bâche que la gouvernante et lui tentaient d’étendre. Bonne idée, elle ne pu s’empêcher de penser. Si le gars tombait, ça aiderait peut – être ? Et ce – dit bananier aurait pu, en bonne plante en pot, se contenter d’avoir l’air étrange, soutenant ainsi une bâche, mais il fallut en plus qu’il parla ! Car oui, la voix qui leur indiqua poliment que leur présence serait peut – être plus salutaire sur le toit sembla sortir directement du tronc luisant de l’arbuste. La blonde en fut secouée par un frisson d’angoisse. Cette chose était nécessairement plus qu’un simple bananier en pot à roulettes. Alors, quand Lou l’entraina dans son ascension éclaire vers les hauteurs de la bâtisse, la jeune femme se laissa emporter, perdue dans des réflexions plus ou moins vraisemblables quand à la nature profonde de cet objet. Ils furent très vite arrivés en haut. Quand Lou poussa la porte, le vent qui s’engouffra à l’intérieur et qui fit voler les mèches pâles de l’américaine la glaça jusqu’aux os. Elle regretta aussitôt d’avoir laissé sa combinaison au fond de son sac. Bien qu’Elymara ait jugé bon de les avertir du froid, Abigail avait préféré se frotter aux bourrasques vêtue de son seul pull pour protection contre le temps capricieux. Ce n’était visiblement pas un choix judicieux. Avec eux, Abby compta un homme et une femme. Des invités du docteur Sanzas, très certainement. La jeune femme se demanda de quand ces deux personnes venaient. Mais le mouvement de Lou vers le bord du toit lui rappela qu’ils étaient montés pour une autre raison que des présentations. Elle voulu faire un pas, mais une rafale de vent la balaya, manquant de peu de la faire tomber. Elle se replaqua alors aussitôt au mur. Elle se mit à observer la scène, un peu hagarde, ne sachant pas vraiment quoi faire pour se rendre utile. Elle se tenait là, adossée à un mur de pierre pour ne pas être emportée par le vent, incapable de s’approcher du lieu de l’action. Tout ce qu’elle parvenait à faire, c’était regarder son nouvel ami se pencher dangereusement au – dessus du vide. Elle n’aimait pas ça. Non vraiment, ce genre de jeux, ce n’était pas pour elle. Soudainement, son mal de tête refit surface. Il choisissait toujours bien ses moments. Elle ferma un instant les yeux. Non vraiment, il faisait trop froid en haut. Quand elle rouvrit les yeux, la blonde fut prit d’un violent haut – le – cœur, et elle manqua de répandre le contenu de son estomac sur le sol. En quelques secondes, elle analysa la situation : l’homme risquait de mourir, là, s’il tombait. Elle, vu son état, allait potentiellement tomber dans les vapes sous peu. Le calcul était vite fait, elle ne devait pas être sur le toit si cela arrivait. Les trois avaient déjà bien trop à faire avec le suicidaire pour avoir à gérer une mourante en plus. Sans un mot, elle décida donc de reprendre l’ascenseur, se glissant sans bruit à l’intérieur, puis dévalant quelques marches et poussant enfin la grande porte qui la séparait de l’extérieur. Le sang tapait si violemment sur ses tempes qu’elle se demanda si elle n’aurait pas été plus sage de retourner se terrer dans sa chambre. En quelques pas, elle rejoignit le terrifiant bananier, et Gertie. Machinalement, elle adressa un sourire à la plante quand elle lui prit l’un des coins de la bâche des feuilles.

- J’ai pensé que vous pourriez avoir besoins d’un coup de main, ici aussi.

Puis comme tout le monde, son regard s’envola vers l’individu qui tentait de jouer un remake de Spiderman, combi-moulante et superpouvoirs en moins.

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Message  Le Dévoreur de temps Ven 13 Mar - 18:29

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Des voix qui lui parvenaient de l'extérieur, du bord du puits. Il leva la tête mais ne vit d'abord rien que les myriades de flocons de neige tombant en bourrasque du haut du ciel devenu noir. Une voix de femme, bientôt rejointe par celle d'un homme lui parla d'une corde qu'il devait attraper. Il plissa les yeux et aperçut effectivement un homme coiffé d'un bonnet de laine à côté duquel se tenait une demoiselle des plus exquises. Il lui revint immédiatement en mémoire une chanson de garnison tout à fait de circonstance.

La voilà la corde mon ami,
Sous des dentelles si jolies,
Pour te pendre à son cou
Et te laisser sans le sou

Marie-toi, mon frère
Avant de partir en guerre
Passe-toi avant tout
Joyeusement la corde au cou

Et quand tu reviendras,
Dans ton lit tu trouveras
Un brave bourgeois
qui l'aura chauffé pour toi



- Je ne veux pas de corde, ni de mariage arrangé!
Hurla-t-il dans le vent glacé. D'abord je ne vous connais pas. Vous dites être de mes amis ?

Mais les paroles de l'homme lui redonnèrent de l'allant et il poursuivit:

- Je n'ai pas besoin de corde, regardez me voilà bientôt auprès de vous ! Je me débrouille très bien tout seul ... Est-ce l'usurier de la rue Sefonska qui vous envoie ?  J'ai promis que je le rembourserai sitôt ma  solde de printemps perçue.
Ajouta-t-il en se souvenant d'une dette contractée pour tirer une de ses maîtresses d'une méchante affaire galante.

Il trouvait étonnant que cet homme de main soit venu le relancer jusqu'au bord d'un puits et probablement accompagné d'une des ribaudes de son commanditaire. Peut-être était-ce eux qui l'avaient balancé dans ce puits accidentellement alors qu'ils le bousculaient. Un accident est si vite arrivé avec un homme ivre...Et peut-être avaient-ils regretté  de l'avoir ainsi mis dans l'incapacité de rembourser sa créance et essayaient-ils de le faire remonter ? Mais alors qu'il se demandait comment il allait bien pouvoir se soustraire à leur présence une fois la-haut, une voix familière se fit entendre et il vit le visage de Ludmilla, éclairé par le seul clair de lune se pencher dangereusement par dessus la margelle. Par St Stanislas ! Ces gueux avaient enlevé la jeune fille et lui avait rasé la tête pour la vendre aux galères  ou aux colons du Nouveau Monde ! Il allait les massacrer ! De si beaux cheveux !

- Ne craignez rien Ludmilla ! J'aurai tôt fini cette ascension et je vais occire vos bourreaux ! Faquins, lâches et cupides bourgeaillons ! Vous allez tâter de mon sabre et de ma main !


Mais alors qu'il venait d'achever sa phrase, son pied glissa sur une pierre lisse et mouillée et il perdit l'équilibre. Suspendu par les doigts, avec pour seules prises ses mains tétanisées, il les sentit céder peu à peu et glisser lentement sur les pierres ruisselantes. Il chuta ...

Et saisit au vol, presque par hasard une corde qui devait bien être celle dont on lui parlait. Au passage, il avait cru voir un ange blond à côté de Ludmilla mais ce devait être l'effet de sa blessure à la tête, laquelle s'était remise à saigner copieusement, rougissant l'échancrure de sa chemise. La brûlure de la corde lorsqu'il freina sa descente en serrant les doigts autour eut pour effet de le réveiller complètement. Il leva les yeux vers le trio qui lui hurlait des ordres et s'étonna qu'un puits pût être crénelé. Il crût sentir la corde bouger et remonter. Les trois compères étaient-ils en train de le hisser ?
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Empreinte : L'histoire de Vladimir Stanzas ou comment on devient le Dévoreur de Temps
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Message  Invité Sam 14 Mar - 18:55

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La tempête ne cessait de s’amplifier. Là- haut sur le toit de l’Abbaye, la température était glaciale et on ne voyait quasiment rien à l’horizon. La force du vent était inouïe et j’avais bien du mal à garder mon équilibre même en appui contre la margelle. Cet homme en tunique de nuit grimpait à mains nues le mur de l’édifice et à chaque avancée, il pouvait glisser et se rompre le cou. Il était où Stanzas hein ? Nan parce qu’on était tous chez lui et comme me l’avait expliqué Gertie, un peu avant, c’était lui aussi un invité du Dévoreur. Sauf qu’il n’y avait aucune trace de ce même Dévoreur. Je ne sais pas quoi ! Il aurait pu faire intervenir un mec avec une cape rouge et des collants pour nous aider ! Comment ça ce n’est pas possible ? Ouais bah dans ces moment-là, moi j’aurai bien aimé avoir un super-héros  pour nous aider à récupérer cet énergumène avant que la situation ne nous échappe et qu’un grave accident se produise. J’avais attaché la corde comme j’avais pu me souvenant de ce que j’avais appris à l’école de police. Néanmoins, je savais aussi qu’elle ne tiendrait pas très longtemps une fois qu’il l’aurait attrapée. La corde s’userait vite contre les pierres et on aurait peu de temps pour le remonter. Je dis « on » parce que je fus très vite rejointe par un homme qui m’était inconnu, mais au moins, il était dans le même état d'esprit que moi : sauver cet individu et le pousser à prendre cette fichue corde !

Je soupirai presque bruyamment quand je l’entendis nous parler de mariage. Non mais nous nagions en plein délire ! Le type en bas confondait la corde qui lui servirait à sauver ses fesses et le mariage. D’ailleurs pourquoi tous les hommes ont cette manie de voir le mariage comme une prison qui entrave leur liberté ? Au final, peut-être que je lui passerai la corde au cou, mais pas pour l’épouser, mais pour l’étrangler à nous faire geler comme cela et à parlementer pour rien ! Rhaaaa les hommes ! Pourquoi sont-ils toujours compliqués ? Je me penchai de nouveau, me tenant au rebord en m’en faire mal aux mains pour éviter de passer moi-même par-dessus et tomber.

- Oubliez le mariage et la dette ! Nous ne sommes pas là pour ça ! Nous sommes des amis de Vladimir Stanzas ! Donc il serait plus sage de prendre cette corde qui va nous servir à vous remonter !  Vous allez droit à l’hypothermie dans cette tenue !

J’avais l’impression de parler dans le vide. Cet homme continuait dans sa démence à nous prendre pour ses ennemis.  Je vérifiai un instant si les autres étaient en bas, mais je ne distinguais aucune silhouette avec ce mauvais temps. Rappelez-moi un instant pourquoi j’étais ici : je ne devais pas passer cette nuit à me reposer pour être en forme demain matin ? C’était légèrement raté ! Oui c’est de l’ironie ! Une autre personne arriva sur le toit. C’était une jeune femme qui tentait elle aussi de faire prendre conscience à notre homme araignée qu’il serait plus sage de prendre la corde. Elle l’appela par son prénom, donc elle devait le connaitre. Peut-être qu’un visage familier lui ferait reprendre ses esprits.

- C’est ce qu’on essaye de lui faire comprendre depuis le début, mais apparemment son délire rend les choses  très complexes.

J’espérai vraiment qu’il attrape la corde et qu’il arrête d’imaginer le pire. Cette jeune femme semblait être notre dernière option pour le sauver d’une chute mortelle. Au moins cela fit réagir cet homme nommé Istvan. Il se saisit alors de la corde et  on commença à tirer de toutes nos forces. J’étais devant et j’avais pris appuie avec mon pied contre le petit muret pour me donner plus de forces. On tirait ! Encore … encore … encore … A chaque fois, mes yeux fixaient la corde qui s’usait et se craquelait.

- On y est presque ! Encore un petit effort !

Puis une main bleuie par le froid se cramponna à la bordure et une seconde. Mon réflexe fut de tirer Istvan par le col de sa chemise pour éviter qu’il ne perde l’équilibre. Les autres m’aidèrent à le ramener entièrement sur le toit.

- Non non ! Pas un mot de plus ! On file se mettre à l’abri parce que je ne sais pas si vous vous rendez compte, mais nous sommes au beau milieu d’une tempête de neige !

Heureusement qu’il connaissait la jeune femme, car malgré ses regards noirs qu’il nous lançait, il fut plus enclin à nous suivre. On regagna l’intérieur avec difficulté à cause des bourrasques glaciales. Une fois la porte ouverte, on dut se mettre à plusieurs pour la refermer et faire face à la puissance du vent. Je me laissai tomber contre cette même porte pour reprendre mon souffle et masser mes paumes douloureuses et blessées. Les autres, en bas, avaient dû observer toute la scène, car Gertie venait de nous rejoindre la première, à la fois affolée et soulagée que nous soyons tous sains et saufs. Elle déposa une couverture sur les épaules d’Istvan et nous invita à rejoindre le salon pour nous réchauffer en attendant qu’elle nous serve des collations bien chaudes.
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Message  Invité Dim 29 Mar - 0:47

jamais Démétrios n'avait eu aussi froid, son nez coulait lamentablement et ses mains se raidissaient  sur la corde, prêtes pour le choc quand l'énergumène aurait l'idée de la saisir.
Il gelait peu  dans son Attique natale, les chutes de neige des sommets du nord atteignaient  rarement la ville et n'y duraient guère. Cependant  il avait connu des hivers frisquets en Chersonèse taurique quand l'huile se figeait dans les amphores en arrivant sur les quais et il se pensait aguerri à la froidure parce qu'il avait vu du givre sur les navires de Panticapée. Et puis, grâce aux récits de Pytheas de Marseille, avant même de rencontrer Thorvald, il savait aussi  que les mers hyperboréennes pouvaient geler et la neige recouvrir toute la terre durant des hivers interminables. Mais le savoir livresque est un rempart fragile contre la  réalité et il s'était cru très bien équipé avec sa parka de Londres et son bonnet sino-péruvien. Il ne s'attendait pas à se tenir là, arcbouté dans un vent glacial qui lui coupait le souffle et la neige lui cinglant les yeux.
L'escaladeur de muraille semblait, lui, avoir des réserves d'énergie inépuisables et sa voix ne tremblait pas quand il leur lança  une réponse sans aménité, levant vers eux son pâle visage plaqué de mèches où la neige fondue commençait à geler. Le vent violent avait d'abord hérissé cette chevelure portée longue, et le  résultat était assez effrayant, entre démon des glaces et gorgone furieuse.
Irrité par la mauvaise volonté manifestée, Démétrios commençait à perdre patience  mais tentait néanmoins de trouver un sens aux inepties que l'autre leur criait : "Il ne veut pas de corde ? C'est un fou !  Il sait quand même à quoi ça peut servir ? Chez lui, c'est peut-être un objet tabou. Et quel rapport avec se marier ?  Vient-il d'un pays où accepter de saisir une corde c'est accepter d'épouser la personne qui est à l'autre bout ? J'ai vu ça en Colchide, on attache la promise avec une longe et le fiancé l'emmène chez lui en la tirant comme une vache ou une jument tandis qu'elle doit pleurer et se débattre afin de prouver qu'elle est vierge et entend le rester."
Jetant un coup d'œil à sa voisine, il pensa que, si corde et mariage étaient liés dans l'esprit de l'excité  celui-ci pourrait regretter son refus actuel quand il verrait qui se trouvait  à l'extrémité... La demoiselle  était plus que jolie, toute enneigée et crispée par le froid qu'elle fût, et dans l'éclairage fantômatique, ce qu'on pouvait deviner de sa silhouette incitait plutôt à vouloir poursuivre l'observation en plein jour.
Cependant, Démétrios voyant ses mains sur la corde près de celles de Miss Eva, se dit qu'il faisait peut-être partie du lot matrimonial dans la vision de l'homme en chemise. Tous les us et coutumes sont possibles si on en croyait Hérodote. Dans ce cas, il comprenait mieux les protestations du fiancé malgré lui et il se préparait à lui lancer des paroles rassurantes quand la porte d'accès au toit claqua derrière lui et, sans lâcher la corde, il se retourna, surpris.
Deux inconnus se tenaient sur le seuil, pris au dépourvu par les rafales de neige qui tourbillonnaient autour des clochetons pittoresques de l'édifice. Démétrios aperçut alors des objets métalliques dépassant un peu partout des toits et qu'il n'avait pas distingué en arrivant, préoccupé par ce qui se passait en bas. Il savait que c'était lié à l'Electricité mais ici il y en avait d'étranges, en forme de coupe et aussi des sortes de grilles ou de spires éclairées de lumières bleues diffuses. La science du Dévoreur  était à l'œuvre et cela le ragaillardit. Quel dommage qu'il n'ait pas été  là. Il aurait rétabli la situation en deux mouvements de ses longs doigts habiles. Son observation fut de courte durée. Tandis que la jeune fille rentrait à l'intérieur précipitamment, le garçon s'était approché, jaugeant la situation et encourageant le grimpeur à se saisir de la corde. Ce dernier le reconnut et prit un ton protecteur en l'appelant Ludmilla puis repartit de plus belle dans sa fureur première.
Il menaça d'occire les bourreaux et les "méprisables petits propriétaires urbains". C'est du moins ce que comprit Démétrios. Le traducteur offert par le Dévoreur manquait parfois de mots pour se faire comprendre d'un Grec antique et paraphrasait alors de façon plus ou moins approximative. L'Athénien se sentit vexé  que ce soudart parlât ainsi à un noble citoyen et il allait le traiter d'hoplite de bas étage, malgré la situation, quand l'irascible individu dérapa brusquement, se rattrapa in extremis par les mains  tandis que retentissaient les "oh !" catastrophés de l'assistance au sol et des secours au sommet.
Mais le militaire n'entendait pas mourir si vite : d'un coup, la corde se tendit et  Démétrios  faillit perdre l'équilibre. Heureusement  Miss Eva résista,  appuyée sur le muret crénelé et Ludmilla, malgré son allure de gracieux Ganymède, apporta une aide bienvenue .
Bientôt  le rescapé prenait pied à côté de ses sauveteurs. Il n'était pas beau à voir. Il saignait de la tête et ressemblait plus que jamais à un monstre, une strygge, une goule, une abomination de la nuit sortie des Enfers.
Dans le blizzard, il n'était pas question de présentations et tout le monde se précipita  pour se mettre à l'abri, entraînant le grimpeur qui paraissait d'un coup trop épuisé pour trucider qui que ce soit .
Gertie apporta des couvertures et entraîna l'équipe dans sa cuisine qui parut délicieusement surchauffée. La gouvernante guida immédiatement Monsieur Istvan, roulé dans sa couverture, vers une  porte ouverte sur une salle de service et  lui dit d'un ton ferme et maternel à la fois :

Elymara va vous soigner dans la pièce à côté où Max  a apporté de quoi vous changer. Vous êtes bon pour la pneumonie si vous restez en chemise. Ne soyez plus inquiet. Plus tard, si vous le voulez, vous nous expliquerez pourquoi vous avez failli nous faire tous mourir de peur et de froid. Ici, vous êtes en sécurité, chez le Professeur Stanzas qui a beaucoup d'estime pour vous et Monsieur votre frère.

 Elle le poussa d'office dans la pièce et on entendit la voix de Max qui saluait l'arrivant en l'appelant Colonel, puis une aimable voix féminine - la nommée Elymara à coup sûr - assurant qu'elle était ravie de faire connaissance, politesse qu'elle fit suivre aussitôt d'un péremptoire "Déshabillez-vous !"

La prévenante Gertie avait mis une grande marmite de bouillon sur le feu, ce qui ajoutait un parfum roboratif à l'atmosphère accueillante. Elle précisa qu'il y avait aussi thé, café et grog mais qu'elle recommandait le bouillon pour reprendre des forces. Après avoir distribué des serviettes pour s'éponger un peu, elle fit poser les vestes, tricots et bonnets mouillés qu'elle porta au séchoir.. On se laissa ensuite tomber avec gratitude sur les chaises disposées autour de la grande table paysanne, héritage de l'ancien monastère

Démétrios se sentait étourdi et resta un moment affalé sur sa chaise. Le sang lui revenant aux mains et au visage lui donnait des picotements douloureux mais l'odeur du bouillon épicé était délicieuse. Voyant  Dame Gertie commencer à servir des bols fumants, il se releva et lui proposa de l'aider, puisqu'il savait que dans le futur, il fallait être très prévenant et poli avec les dames et que les personnels domestiques n'étaient pas des esclaves.  Gertie le remercia mais déclina son offre. On sentait que ce n'était pas une femme à partager ses prérogatives professionnelles.
Il ne connaissait aucun des hôtes de Stanzas et se demanda ce qui les réunissait dans cette belle  cuisine de dame Gertie où il faisait si délicieusement chaud. Il pensa que ce serait bien de se présenter et donna l'exemple :

-Je m'appelle Démétrios, je viens d'Athènes et du IVe siècle avant l'ère chrétienne. J'ai déjà un peu voyagé et j'arrive de New York 1945 parce qu'on m'a dit que le Dévoreur de temps aurait peut-être besoin de moi.
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Cold hypnotic [ouvert à tous les voyageurs de Targoviste] Empty Sauvé et sauveurs

Message  Invité Lun 30 Mar - 21:38

Elle avait cru mourir de peur. Oui mourir ! Cet imbécile en bottes et nuisette avait lâché prise l’espace d’une seconde. Bien qu’il se rattrapât aussitôt à la maudite corde que lui avaient jeté les autres, le choc provoqué par cette amorce de chute avait suffit à faire voir des confettis à Abigail. Comme chaque fois que son corps menaçait de la lâcher, il lui semblait qu’un voile de flocons noirs et blancs dansait devant ses yeux. Ses jambes tremblaient aussi. Elle avait vraiment eu peur. Et évidemment, le froid la rongeait. Elle se maudissait à chaque seconde, alors que ses doigts rougissaient, brûlés par le vent glacé. Elle n’avait jamais ressentit une telle chose. C’était atrocement douloureux. Elle aurait voulu tout lâcher et s’enfuir à l’intérieur, jusque dans sa chambre. Mais sa fierté l’empêchait d’abandonner Gertie et Max, qui devaient très certainement avoir tout aussi froid qu’elle.

Cependant, Dieu ou autre chose dû entendre ses prières silencieuses, car bientôt l’escaladeur fou fût remonté complètement, et les trois se ruèrent à l’intérieur. Dame Gertie, soulagée, se tourna vers… le bananier… et la blonde.

- Il faut aller les aider ! Plions la bâche et…
- Allez-y, se permit de la couper Abby, je vais m’en occuper. Ils ont plus besoins de vos soins que cette bâche !

La gouvernante hésita un instant, bouche ouverte, mais elle la referma finalement, décidant d’accepter la proposition.

- C’est très gentil de votre part. Mais ne restez pas ici trop longtemps, on gèle. Je vais faire du bouillon …

Et elle se précipita à l’intérieur. Max, resté avec la jeune femme, lui indiqua en quelques mots comment rejoindre la cuisine, puis la remercia chaleureusement, et suivit Gertie en faisant couiner ses roulettes. Voyant la lourde porte de l’abbaye se referment sur la plante, Abigail s’asséna une claque mentale. Ne pensait-elle pas justement une minute plus tôt qu’elle ne rêvait que de se mettre à l’abri ? Et maintenant, elle avait promis de replier toute seule une bâche immense, et ce dans le froid et le vent. Ses lèvres s’étirèrent dans une grimace déconcertée. Elle était vraiment stupide parfois. Mais docilement, elle rassembla les bords deux à deux, assez grossièrement tout de même, et quand la chose fut transportable et un minimum plié, elle s’élança à son tour vers l’entrée du bâtiment.

Un soupire de soulagement s’échappa d’entre ses lèvres quand elle se retrouva à l’abris des épais murs de pierre. Non qu’il fasse excessivement chaud dans ce hall, mais la différence de température avec l’extérieur était indéniable. Abigail songea qu’à son arrivée, elle s’était dit vouloir se promener dans le jardin. Elle n’aurait pas pensé une seconde que cela se ferait aussi vite. Mais ce n’était pas comme si elle avait flâné pensivement sur l’herbe verte. Alors ça ne comptait pas vraiment, si ? Observant autour d’elle, l’américaine se demanda où elle pourrait abandonner l’encombrante bâche. Mais elle n’osait pas la laisser n’importe où et risquer d’embêter quelqu’un. Que dirait Vladimir s’il apprenait qu’elle laissait des choses trainer dans les couloirs de chez lui ? Ses joues se tintèrent de rose alors qu’elle imagina le Docteur Stanzas, une main sur la hanche, l’autre pointant un doigt accusateur vers elle, les sourcils froncés, et faisant claquer sa langue sur son palais en signe de mécontentement. Un petit rire lui échappa. Il fallait dire que cette vision était assez drôle. Décidant finalement qu’il serait plus sage de remettre l’objet de ses tourments à la vieille femme, Abby se pressa dans la direction indiquée un peu plus tôt par Max.

Elle arriva rapidement devant ce qui devait être la porte de la cuisine. La bonne odeur du bouillon promis par Dame Gertie filtrait à travers le bois, faisant saliver la Néo Newyorkaise ; et elle crut entendre une voix masculine avant de pousser la porte. Celle-ci grinça. Au plus grand damne de la blonde, qui vit soudainement tous les visages se tourner vers elle. Elle reconnu Lou, les deux sauveteurs qui étaient sur le toit, et la gouvernante qui lui fit un large sourire. Mais aucune trace de Spiderman, du ficus, ou de C-3PO version fille. La jeune femme se sentit soudainement intimidée, elle n’aimait pas spécialement attirer l’attention comme ça.

- Euh… bredouilla-t-elle, je… Je ne savais pas quoi en faire, elle balbutia en tendant la bâche devant-elle.

Gertie la remercia encore, se dépêchant de la débarrasser, troquant bâche contre serviette, et d’aller ranger cette chose encombrante dans un coin. Abigail passa la serviette autour de ses épaules, et en profita pour aller s’asseoir rapidement entre son ami et la fille brune.

- Pardon, je vous ai coupé.

Elle avait parlé si doucement qu’elle fut étonnée de recevoir une réponse, ayant fortement douté que quiconque l’ait entendue.

- Ne vous en faites pas. Nous n’étions pas en grande conversation, je venais de me présenter. Je m’appelle Démétrios.

Démétriquoi ?! C’est une blague ? Comment peut-on porter un nom pareil…
La jeune fille fit un sourire penaud, et jeta un regard aux autres, attendant de voir si quelqu’un voulait ajouter un mot. Mais puisque personne ne semblait vouloir parler, elle lâcha :

- Moi c’est Abby.

Elle se dit que le diminutif était peut-être un peu trop familier.

- Abigail, corrigea-t-elle.

Le jeune homme la regardait avec l’air sincèrement intrigué.

- Et d’où venez-vous ? De quand ?

Nouveau regard sur les convives. Elle espéra que Lou ne soit pas ennuyé de réécouter sa présentation.

- J’arrive de Néo New York, en 2050.

L’annonce fut accueillie par un petit souffle d’étonnement. Même Lou avait les yeux brillants, comme s’il se souvenait seulement de ce détail. Un peu gênée que l’attention reste bloquée sur elle, Abby s’éclaircit la voix et demanda, joignant ses mains toujours rouges de froid :

- Je suis la seule à venir d’aussi loin ?

Elle ne parlait bien sur pas de distance, mais de temps. Mais ça, les autres invités avaient dû le comprendre. Elle se rendit compte qu’elle ne savait pas de quand venait ce Diamantéros devant elle. Il l’avait peut-être dit avant qu’elle ne rentre ? Elle le détailla le plus discrètement possible. Si elle se fiait à son style vestimentaire, il ne semblait pas venir d’une époque très lointaine. Mais avec un prénom pareil … tout pouvait être possible ! Son prénom … Démontrios ? Elle avait déjà oublié.
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Message  Invité Lun 27 Avr - 23:45

La ruse de Ludmilla avait fonctionné a merveille. Elle s'était sentie rassurée quand Istvan avait finalement réussit à remonter jusqu'à eux. Quand l'autre fille présente sur le toit avait tiré le soldat par le col de la chemise, l'adolescente avait tout de même hésité un instant à s'éloigner, au cas où il lui prendrait l'idée de se venger de son petit combat éclair dans les bois. Mais visiblement, il ne s'en souvenait pas, ou ne lui en voulait pas, car s'il lança des regards pleins de colère aux autres voyageurs - ils étaient très certainement des voyageurs - il s'était presque collé a elle.

C'était un peu gênant, d'ailleurs. Ludmilla se demanda s'il croyait toujours qu'elle était en danger. Elle pensait pourtant qu'il aurait comprit, maintenant, qu'elle n'était pas une "pauvre fâme en détresse"... Une autre pensée la dérangeait. Ses cheveux. Si il délirait, peut-être qu'il la voyait toujours avec ses longs cheveux. Et du coup, il savait qui elle était. En fait, maintenant, tout le monde l'avait entendue dire qu'elle était Ludmilla. Elle dégluti. Non. Non pas tout le monde ! Abigail était partie avant d'avoir pu l'entendre. Elle, peut être qu'elle pourrait encore croire qu'elle était un garçon. En fait, elle espérait même faire croire aux autres qu'elle était quand même un garçon. Après tout, quelle loi interdisait d'appeler son fils Ludmilla ? Ce serait certes peu commun, mais tout à fait possible. Elle ne voulait pas se résoudre à avoir fait tout ce qu'elle avait fait pour rien.

Mais il fallait être logique. Ils n'allaient peut-être pas la croire. Peut-être qu'ils seraient plus enclins à croire Istvan, si lui était persuadé que Ludmilla était une fille, car il était un "homme adulte", et que les hommes adultes étaient toujours plus crus que les filles adolescentes. Ludmilla fronça les sourcils. Si elle n'avait pas été seule, elle aurait volontiers insulté fictivement un homme adulte et suffisant. Ils l'étaient tous, de toute manière.

Une idée. Il lui fallait une idée. Quelque chose de tellement simple qu’ils y croiraient tous. Il le fallait. Sinon ils ne la respecteraient jamais. Ou peut-être que si, mais elle ne voulait pas prendre le risque. Après tout, s’ils étaient ici c’est qu’ils connaissaient le Dévoreur. Ils étaient peut-être même ses amis. Et pour être amis avec ce sale type – qui n’était même pas un type d’ailleurs, plutôt un monstre, ou un affreux machin, et encore c’était méchant pour le machin ! – il fallait forcément être un peu comme lui, donc au mieux seulement suffisant, au pire, suffisant et stupide et condescendant et égoïste et narcissique et âgiste et misogyne et avec le complexe du sauveur-qui-sait-mieux-que-tout-le-monde… Enfin elle préférait ne pas trop penser à lui, parce qu’il la mettait en colère, même quand il n’était pas là. Le simple fait qu’il soit dans ses pensées l’irritait. Bref, face à tout cela, à ce risque potentiel, il lui fallait un plan d’attaque super solide. Comment expliquer qu’elle puisse être Ludmilla aux yeux d’Istvan, sans être Ludmilla pour autant. Il aurait fallut qu’elle puisse être deux. Mais oui ! C’est évident ! C’était exactement ça : elle n’avait qu’à être deux ! Il lui fallait une sœur jumelle, c’était tout à fait cohérent ! Il lui suffirait d’expliquer que Ludmilla était en fait sa sœur, et que pour une raison quelconque, elle, ou plutôt lui, Lou, était parti a sa place ! Cette idée était tellement parfaite qu’un sourire étira les lèvres de la jeune fille sans qu’elle y fasse attention, et toute pensée négative concernant un certain Dévoreur s’envolèrent loin, très loin d’elle.

Alors qu'ils descendaient dans l'ascenseur, la fille brune et l'homme parlant à Istvan, Ludmilla se demanda si elle allait retrouver sa nouvelle amie en bas. Elle se demandait où elle avait bien pu filer, bien qu'elle se doutât qu'elle fut allée aider les autres dans le jardin. Quand l'ascenseur s'ouvrit, Dame Gertie les attendait avec une couverture chaude. La vieille femme passa la couverture autour des épaules d'Istvan, et les invita tous à la suivre jusque dans la cuisine. Il faisait bien plus chaud dans cette pièce qu'à l'extérieur, et Ludmilla apprécia de sentir le sang raffluer jusque dans ses joues. Cela lui rappelait un hiver où Julie et elle étaient restées en planque dans la neige pendant presque trois heures avant de rentrer boire un chocolat chaud. Elle avait eut la même sensation : comme si des minuscules fourmis courraient sous sa peu. Tout de suite, la gouvernante emmena le Colonel Css-css (elle n’arrivait toujours pas a prononcer son nom, même dans sa tête…) dans une autre pièce.

Ça sentait bon, dans la cuisine. Ça sentait comme dans la cuisine de chez son grand père. Une odeur de soupe chaude, préparée maison. Même si ce n’était pas son plat préféré, elle en buvait toujours un bol quand son grand-père lui en servait un. Après il lui montrait toujours de nouvelles choses dans l’atelier. Alors un bol de soupe, c’était devenu excitant pour elle.

Dame Gertie distribua des serviettes éponges. Ludmilla la remercia ; il fallait avouer que même s’il faisait bon, le fait d’être trempée à cause de la neige fondue ne l’aidait pas à se réchauffer. Elle la passa grossièrement dans ses cheveux récemment coupés. Elle trouva que c’était amusant : avant, elle laissait ses longues mèches sécher toute seules, lui mouillant le dos quand elle oubliait de les enrouler dans une serviette. Et ça prenait des heures. Maintenant, quelques frottements de tissu, et ils étaient presque secs ! Elle passa la serviette sur ses épaules. Au même moment, Gertie leur proposa des boissons chaudes. Ludmilla et les autres en profitèrent pour s’asseoir autour d’une immense table en bois. Elle accepta de prendre un bol de bouillon. Après tout, elle était encore très fatiguée, à cause du voyage, et à cause d’Abigail qui l’avait réveillée, même si au final elle était contente de l’avoir rencontrée. Un thé lui aurait aussi fait envie. Elle en demanderait peut-être un après le bouillon, si elle en avait encore envie. Elle posa ses mains encore engourdies de chaque côté du bol chaud. Le contact la brûla un petit peu d’abord, puis la chaleur se répandit lentement dans ses paumes, puis dans ses avants bras. Elle grimaça, retira ses mains. C’était peut-être un peu trop chaud pour le moment. Elle releva les yeux. Les autres convives semblaient contemplatifs de leur bol fumant. Elle en profita pour les ré regarder, parce qu’elle n’avait pas vraiment eut le temps sur le toit. Il y avait un homme. Il semblait plutôt jeune, et ses cheveux mouillés devaient certainement être blonds quand ils étaient secs. La fille à côté d’elle, ne semblait pas bien vieille non plus, elle devait avoir sensiblement le même âge qu’Abigail, et portait les cheveux longs, et sombres. Alors que ses yeux se reportaient sur l’homme face à elle, Ludmilla remarqua qu’il allait parler.

- Je m'appelle Démétrios, je viens d'Athènes et du IVe siècle avant l'ère chrétienne. J'ai déjà un peu voyagé et j'arrive de New York 1945 parce qu'on m'a dit que le Dévoreur de temps aurait peut-être besoin de moi.

Ludmilla écarquilla les yeux. Elle eut soudainement l’impression que le temps s’était matérialisé devant elle, s’était mis à courir, et ne s’était plus jamais arrêté. Une vague sensation de vertige la saisit. C’était extraordinaire ! Elle songea un instant à sa professeur de Latin, si passionnée. Elle aurait certainement tué pour être ici, à sa place, en face d’un vrai grec du IVème siècle. Alors qu’elle allait lui demander ce qui l’avait poussé a quitter son époque, la porte de la cuisine s’ouvrit. Ludmilla se tourna pour reconnaître Abigail, encombrée d’une énorme bâche. Gertie s’approcha d’elle, lui donna une serviette à elle aussi, et prit la bâche pour aller la ranger. En quelques pas hésitant, la blonde rejoignit la table de voyageurs. Elle s’excusa d’avoir coupé la conversation. Démétrios répéta sa présentation, et elle se présenta à son tour. A l’évocation du futur dont Abigail était originaire, Ludmilla eut un petit sourire. Elle se rappela rapidement leur discussion dans la chambre un peu plus tôt. C’était tout de même épatant, quand elle y pensait, que cette boucle dans le temps soit possible. Elle commençait à se faire à l’idée que l’on puisse aller dans le passé. Mais le futur … Elle se demanda une seconde ce que pouvait bien ressentir Démétrios, éloigné de chez lui d’un peu plus de 2000 ans. Ça devait être terrifiant.

- Je suis la seule à venir d’aussi loin ?

La question d’Abby tira Ludmilla de ses pensées. Elle attendit une seconde, mais puisque personne ne semblait vouloir prendre la parole, elle se lança.

- Je viens de 2014.

Les regards se tournèrent ver elle. Elle fit un vague signe de tête pour saluer ceux à qui elle n’avait encore jamais parlé, et continua.

- Je m’appelle Lou, lâcha-t-elle sans sourciller ; elle devait paraître tout à fait naturelle si elle voulait qu’on croie à sa ruse. Je viens d’un village pas très loin du Mans, en France. Je suis parti pour …

Elle jeta un regard a son auditoire. C’était le moment où jamais.

- … retrouver un ami. En fait, c’est ma sœur jumelle qui a rencontré le Dévoreur la première. Mais elle a dû rester en 2014, alors je suis parti à sa place.

Évoquer le Dévonul lui avait demandé un effort surhumain. Mais elle l’avait fait, et son histoire avait l’air de prendre. C’était donc une bonne nouvelle. Satisfaite, elle attendit que quelqu’un d’autre ne prenne la parole.
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Message  Le Dévoreur de temps Ven 1 Mai - 20:27

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Sitôt hissé et passé par dessus la margelle du puits, laquelle s'avéra ne pas être du tout ce qu'il avait cru voir, mais un crénelage de place forte, il fut pris en main sans aménité, tant par l'homme au bonnet coloré, que par la délicieuse maquerel... heu, finalement, vue de près, elle tenait plus de l'Amazone des récits que lui et ses frères aimaient à lire le soir, lorsqu'ils étaient enfants, que d'une maîtresse ribaude à la tête d'un lupanar. Non, cette jeune femme, pour peu qu'elle eut porté des atours convenant aux dames au lieu de cette espèce de veston à boudins qui ressemblaient à des boyaux de porcs teints et bourrés de paille, serait tout à fait à même de faire tourner la tête d'un régiment entier de Hussards. Mais Istvan ne devait pas oublier qu'on était en guerre et que tout était bon aux espions de l'ennemi pour détourner l'honnête soldat de son devoir. Il pinça donc les lèvres et plissa les yeux et s'apprêtait déjà à exprimer ses droits en qualité de prisonnier lorsqu'on le saisit manu militari pour l'entrainer vers l’intérieur. Il ne protesta pas trop car c'était aussi le chemin que prenait la seule personne qui lui était familière ici: Ludmilla. Istvan avait certes des devoirs envers son régiment, mais il n'oubliait pas qu'il l'avait cherché en vain dans les bois durant un long moment et que cette jeune fille avait été la seule personne à essayer de lui parler et de lui expliquer quelque chose...Quoi déjà ?

AAAh il était dans le futur en 2015. En France qui plus est. Il se souvenait avec peine de la suite. Un type aux cheveux blancs comme neige qui lui débitait un laïus totalement incompréhensible. Istvan se souvenait avoir pensé qu'il devait protéger Lumdillla de cet énergumène illuminé. Puis plus rien ... Trou noir. Il s'était réveillé et avait vu une lueur dans l'obscurité, l'avait suivie. Il s'était avancé dans le fond d'un puits sans se rendre compte qu'il était simplement sur le balcon donnant sur la chambre dans laquelle il délirait depuis des jours. Et il s'était mis à grimper pour essayer de retrouver Ludmilla. On l'avait jeté au fond de ce puits après l'avoir assommé et sitôt qu'il avait repris conscience, s'il avait du mal à se situer et à se remémorer  les événements, il se souvenait très bien s'être promené un peu égaré, dans un bois, aux côtés d'une jeune fille brune nommée Ludmilla. Elle avait selon ses dires presque le même âge que lui, mais semblait si bouleversée qu'il s'était promis de la protéger et s'en souvenait encore malgré le délire et la désorientation.

Aussi lorsque une grosse dame dont le visage lui semblait étrangement familier, le prit par la chemise, qu'il avait trempée, pour l'entrainer dans une pièce contiguë à la cuisine, non sans lui promettre une pneumonie, fut-il passablement contrarié qu'on diffère encore ses retrouvailles et explications avec les jeune femme. Une plante brillante se mit alors à parler et lui tendit de ses feuilles rutilantes et rigides, différentes pièces textiles qui s'avèrent être des habits bien peu commodes.  Istvan se dit qu'il avait dû être drogué par les espions à la solde de l'ennemi mais admit néanmoins qu'il serait plus décent de s'habiller complètement et d'abandonner sa liquette collée à son corps par la pluie et la neige. Cependant, les pantalons proposés étaient si serrés, qu'une fois enfilés, il eut le sentiment que ces derniers contristaient sa virilité. La chemise proposée manquait singulièrement d'amplitude et serait à coup sur craquée aux coutures au moindre mouvement de combat. Enfin, il y avait un bonnet étrange avec deux trous, peut-être pour les oreilles, mais dans un tissu si léger qu'il ne tenait absolument pas chaud. Pour clôturer le ridicule, on y avait adjoint des mitaines de laine, sans aucun doigt mais avec un coude et une longueur de poignet extravagante. Toutefois, Istvan qui n'était pas dépourvu du sens de l'observation, avait vu sur les jambes du  dénommé Démétrios, les mêmes tricots et il conclut que cela était pour les pieds tout en se demandant comme cela tenait sans porte bas. Alors qu'il était entre deux eaux et entre deux tenues, une jeune femme un peu guindée et habillée de façon totalement indécente vient l'accueillir en lui disant qu'elle était ravie de faire sa connaissance. S'agissait-il, cette fois-ci, bien d'une ribaude ? Istvan affirma avec la plus grande fermeté qu'il n'était pas intéressé. Il était encore tout étourdi de l'effort fourni et claquait à présent des dents, l'adrénaline ne faisant plus office d’inhibiteur de sensations. Il avait des vertiges et ne pensait qu'à une chose:

- Par le diable cornu des Enfers ! Allez-vous cesser tout ces ronds de jambes et m'expliquer ce qu'il est advenu de Ludmilla, mon amie ? Qui a osé couper sa si belle chevelure ? Je jure que le coupable va tâter de ma botte et que s'il s'agit d'un noble en mal de défis idiots, je suis son serviteur sur l'heure pour un duel !  Qui veut être mon officiant témoin ? Laissez-moi avant toute chose m'assurer qu'elle va bien !

C'est en chaussettes, moulé dans le jean qui collait absolument à son arrière train et la chemise encore pas boutonnée, l'étrange bonnet avec des trous d'oreilles à la main et non sur la tête, qu'il fit irruption, après avoir bousculé l'arbre parlant et la ribaude aguicheuse, dans la cuisine où toute la compagnie était en train de se sustenter.

- Par la barbe de Saint Stanislas, s'il y a encore du brouet, j'en veux bien et avec force schnaps ou vodka, quelque jambonneau fera aussi mon bonheur. Et ... qu'on me laisse trinquer au bonheur d'avoir retrouvé là, il pointa du doigts Ludmilla qui était en train de se restaurer, la tête plumée comme un moineau éconduit de la couvée, cette amie et gente damoiselle. Quant au lâche qui m'a occit le crâne tantôt, et dont je me souviens fort bien, cet homme aux cheveux de neige, qu'il ose se présenter à mes yeux et il connaitra l'honneur des Cseszneky !
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Message  Invité Mer 6 Mai - 16:42

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Je m’étais laissée glisser contre la grosse porte en bois qui donnait sur le toit de l’Abbaye. Je ne sentais plus mes mains meurtries par le froid et le contact de la corde. La prochaine fois, faites-moi penser à prendre aussi des gants. Mes bras étaient endoloris, mais au moins nous n’avions pu sauver Istvan. La silhouette de Gertie se présenta à nous. Elle avait dû observer toute la scène d’en bas et elle nous avait rejoint quand elle avait compris que l’invité frigorifié du Dévoreur était maintenant sain et sauf. Comme une mère qui garde toujours un œil bienveillant sur ses enfants, elle avait amené de quoi couvrir Istvan et elle nous invitait à venir nous réchauffer au coin du feu dans sa cuisine. Ce n’était vraiment pas de refus. Je laissai toute la petite troupe suivre sagement Gertie, récupérant encore un peu. Le vent glacial avait engourdi mon corps et je dus faire un effort surhumain pour me remettre sur mes pieds et suivre à mon tour le chemin de la cuisine que j’avais juste entraperçue au moment de mon arrivée à l’Abbaye. Notre homme des neiges survolté fut conduit dans une autre pièce, certainement pour se soigner et s’habiller plus chaudement. Ce qui n’était pas trop mal avec l’état de sa nuisette et ses … euh comment dire … Vous savez  bien, le froid s’infiltre partout avec ce genre de vêtement ! Je me penchai sur le côté pour mieux distinguer la liquette qui lui moulait un cul d’enfer.

Il fut poussé dans cette fameuse pièce et la porte se referma au moment où je passais devant, reconnaissant la voix d’Elymara qui lui demandait de se déshabiller. Mon sourire s’esquissa alors sur mes lèvres, essayant d’imaginer la scène de l’autre côté. Ah ! La cuisine ! Quel délice de sentir la chaleur venir caresser mon visage.  Tout le monde prenait place et donnait à Gertie les vestes et autres bonnets, veste mouillés. Je fis de même avec mon anorak et en échange Gertie nous distribua des serviettes de bain bien chaudes pour nous sécher. Je rejoignis instinctivement le feu de cheminée, tamponnant doucement l’éponge moelleuse sur mon visage froid.  Mon pull blanc semblait être tout aussi glacé que ma peau. J’avais dans l’idée de venir camper ici avec un sac de couchage et de ne plus en partir. Je m’installai sur un petit tabouret  assez bas pour être toute proche des flammes qui crépitaient dans l’âtre. Gertie nous avait concoctés du bouillon tout en précisant qu’il y avait du café, du thé et autres petites douceurs pour ceux qui préféreraient ces boissons chaudes. J’acceptai pour ma part un bol de bouillon. L’homme qui m’avait aidé sur le toit brisa le silence de la cuisine en se présentant en premier. Il était vrai que nous étions tous ici réuni par un même homme, mais nous ne nous connaissions pas.

Gertie passait près de nous pour servir à chacun ce qu’il désirait. Je pris avec bonheur ce bol de bouillon tout chaud entre mes mains, tout en restant calée près du feu. Cet homme,  le seul autour de nous, se nommait Démétrios et il venait de l’Athènes du  IVe siècle avant J.C. C’était impressionnant de toucher du bout des doigts ce que Stanzas m’avait raconté ainsi que mon père. Écouter les récits, c’est une chose. Y être plongée directement, c’est quelque chose qui ne s’expliquait pas. Je pensais que nous étions tous là, mais lorsque la porte de la cuisine s’ouvrit de nouveau, je compris que cette jeune femme blonde était elle aussi une future Voyageuse. Elle avait dû aider les autres à l’extérieur. Je lui fis un sourire amical quand elle se mit soudainement à bredouiller devant nous. Elle s’excusa d’avoir coupé l’élan à Démétrios. Elle révéla alors son prénom. Elle s’appelait Abby que je saluais d’un signe de tête. Et elle venait du futur, de l’année 2050.

Seule l’amie d’Istvan qu’il avait nommé à plusieurs reprises par son prénom Ludmilla n’avait pas encore parlé, tout comme moi d’ailleurs. Je n’avais pas tout saisi sur le problème des cheveux, disons que je n’y avais pas prêté cas, car notre Spiderman en liquette avait assez dit de bêtises tout au long de sa croisade contre le mur de la bâtisse. Elle nous détaillait comme je le faisais moi aussi. J’avais l’impression qu’elle cherchait quelque chose ou je ne sais quoi. Je bus une première gorgée du bouillon, appréciant son gout. Elle dévoila enfin venir de 2014. Tiens, elle se faisait appeler Lou. C’était peut-être un diminutif de Ludmilla ou un petit surnom qu’elle avait eu jadis dans son enfance. Et puis tout commença alors à se mettre en place.  En fait c’était un garçon qui avait remplacé sa sœur jumelle. Un garçon ? Ah ouais ? Istvan aurait-il pu se tromper en le/la voyant ? Il/elle avait les traits du visage fin, des lèvres très fines et une voix qui ne ressemblait guère à celle d’un jeune homme. Tout ceci, de toute manière, ne me regardait pas. Bon, il était temps à mon tour de prendre la parole parce que j’étais la seule à n’avoir rien dit depuis le début.

- Bonsoir à tous, je suis très contente de faire votre connaissance et de pouvoir mettre un prénom sur chacun d’entre-vous. Je m’appelle Eva et je suis de cette époque. Enfin, je veux dire de l’époque où l’on se trouve actuellement. J'ai juste changé d’endroit. Je née à Sacramento en Californie bien que j’ai vécu mon enfance, en grande partie, en Espagne. Je suis la fille d’un Voyageur et je suis à la recherche de ma sœur ainée Isabella qui a … disparu.

En parlant de ma sœur, je me souvenais alors des paroles de Stanzas au sujet d’un de ses amis proches qui avait aidé mon père et qui était en plein combat dans son royaume. Donc, il manquait bien un Voyageur. Ce n’était pas Démétrios ni Istvan. J’aurai bien aimé discuter avec cet homme mystère et savoir ce qu’ils avaient fait tous les deux durant ces années, ce qu’ils avaient vu et vécu pour retrouver ma sœur, les informations qu’ils avaient récoltées, les endroits qu’ils avaient fouillés.
Je levai mon regard vers Gertie.

- Excusez-moi Gertie, Le Professeur Stanzas n’est pas à Targoviste ?

La discussion aurait pu continuer en toute tranquillité sans l’intervention de notre. Tout le monde se tourna vers lui. Heureusement que j’étais assise parce que le spectacle était très … intéressant. Il avait troqué sa liquette pour un jean qui épousait … Waouh ! Putain ! Euh … oui, navrée. Je ne voyais pas ses fesses, mais la vision était tout aussi plaisante. Une chemise sur ses épaules, déboutonnée, qui mettait en valeur un torse bien bâtit et pour couronner le tout, je dû regarder avec insistance ce qu’il tenait dans sa main. Non ? Sans blague … il tenait un sous-vêtement masculin.  Je failli partir dans un fou rire, mais je me retins pour ne pas provoquer d’incidents diplomatiques, buvant une nouvelle gorgée de mon bouillon. Il avait bien nommé Ludmilla la personne qui nous avait parlé d’une sœur jumelle.  C’était bien ce que je me disais, c’était une fille.

- Re-bonsoir … je vois que vous avez repris des couleurs après vos acrobaties. Vous n’êtes pas fatigué après toute votre aventure dans la neige et le vent glacial ? Restaurez-vous  avant ça sera mieux pour vous. Il n’y a personne ici qui vous veut du mal. Peut-être que votre coup à la tête n’est qu’un mauvais hasard. Il y a toujours une explication à chaque chose.

Je me levai de mon petit tabouret, déposant le bol vide et je fis le tour de la table, tournant le dos aux autres, exprès, tout en essayant de murmurer mes phrases pour ne pas le mettre mal à l’aise.

- Euh … Hum… comment vous dire … Ce que vous tenez dans la main… ça se met… sous votre pantalon, enfin avant votre pantalon… C’est pour éviter le frottement et  … comment dire … quand vous allez ouvrir la fermeture éclair … ça peut faire mal … Mettez-le dans votre poche pour le moment ...

Bon, peut-être que Démétrios  saurait certainement mieux expliquer cela à Istvan en tête à tête. Gertie était revenue avec une assiette pour notre homme araignée. Il fallait que je rebondisse sur autre chose.

- Venez-vous mettre à table.
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Message  Invité Ven 22 Mai - 16:53

On était au chaud, revigoré par le bouillon de dame Gertie. Plus d'efforts à fournir, de lutte à soutenir contre les éléments, on n'avait qu'à se laisser aller. Ce n'était peut-être qu'un répit mais il fallait savourer cet instant. Disparue, la vision angoissante d'un corps désarticulé sur la neige rougie, sabre planté un peu plus loin comme une sinistre croix. Au soulagement ressenti se joignait  une certaine fierté du devoir accompli. En tant que Voyageur, Démétrios s'était jusqu'alors surtout préoccupé de sauver sa propre peau et celle de ses alliés, ce qui, le danger passé, n'apportait pas la même satisfaction morale que d'avoir contribué au sauvetage d'un inconnu à qui il ne devait rien.
Enfin, toute improvisée qu'elle soit, la réunion des hôtes de Targoviste dans la cuisine de Gertie ajoutait une note conviviale à cette satisfaction intime et prenait comme une allure de réjouissances pour célébrer la fin heureuse  d'un évènement qui aurait pu tourner au drame.
Démétrios se sentait donc disposé à trouver tout le monde sympathique, à commencer par cette charmante jeune fille blonde qui venait de dire qu'elle s'appelait Abby-Abigail et arrivait de 2050. Comparé au souvenir de ses propres déplacements temporels, le décalage devait être moins dépaysant. Certains vieillards pouvaient raconter leurs belles années au début du siècle. Le nom de la ville d'où elle était originaire le surprit. Néo New York ? Il s'apprêtait à lui demander si c'était le futur nom du même New York qu'il avait entrevu en 1945 et si le peu qu'il en connaissait avait beaucoup changé, mais à ce moment le garçon aperçu sur le toit vint s'asseoir en face de lui.
Démétrios se souvenait que le militaire en chemise l'avait appelé Ludmilla, nom dont la désinence lui avait fait penser que c'était peut-être un jeune Barbare du nord du Danube. En effet, lors de son passage au IXe siècle dans l'empire byzantin, Démétrios avait reçu du moine Nestor quelques leçons d'histoire sur les grandes invasions et la chute de l'empire de Rome. Il avait retenu les noms du terrible Attila le Hun et de Wulfila le Goth qui avait inventé l'alphabet gothique pour traduire la Bible à l'intention de son peuple. Attila, Wulfila, Ludmilla.
Ludmilla ne pouvait être un Hun : Attila et ses cavaliers étaient râblés, sur de courtes jambes en arceau, hideux de visage avec des yeux comme des fentes dans un visage aplati. Ludmilla était au contraire un charmant garçon aux attaches déliées. Et ce n'était pas un Goth non plus car il venait de se présenter déclarant s'appeler Lou, venir de France et avoir une sœur jumelle laissée en 2014.  Il devait être très jeune car sa voix n'avait pas encore mué et il n'avait pas même une ombre de pilosité naissante sur son visage aux traits quasi féminins.
La révélation d'une jumelle éclaircit un peu la conduite étrange du grimpeur nocturne. Il avait dû prendre le frère pour la sœur, sa blessure à la tête lui embrumant le cerveau.Tout cela demeurait cependant quelque peu ambigü, Par exemple le silence du garçon qui n'avait pas cherché à rétablir la  vérité en criant à l'énergumène accroché à sa muraille qu'il n'était pas Ludmilla mais Lou et qu'il venait de se faire tailler les cheveux. Mais le voyage temporel déstabilisait bien des choses et l'explication viendrait plus tard.
D'ailleurs l'attention se portait vers la jeune femme qui avait organisé le sauvetage et dont il connaissait le nom grâce à Max. Miss Eva eut des mots aimables pour l'assemblée et Démétrios apprit avec intérêt que son père était Voyageur. Il pensa à son frère Lycias qui se promenait aussi dans le temps.  S'attendrissant un peu, il imaginait les voyageurs comme une famille allant s'agrandissant quand le rescapé de la tour, apparaissant sur le seuil, attira immédiatement tous les regards. Démétrios qui hésitait sur la localisation exacte de l'Espagne par rapport à la Californie, suivit le mouvement général et détailla la métamorphose.
Celui que Gertie avait appelé Monsieur Istvan n'avait plus rien d'un épouvantail en chemise. Le visage nettoyé du sang qui le maculait, les cheveux encore humides mais à peu près ordonnés, vêtu en style contemporain, il était méconnaissable et d'une prestance mâle indéniable, malgré le fait qu'il était en chaussettes. Seul son caractère irascible n'avait pas changé comme le montra l'apostrophe diabolique qu'il lança à la compagnie. Il restait axé sur deux idées fixes : protéger Ludmilla son amie et menacer le reste de la compagnie tout en agitant ce qui semblait être un slip.
L'homme avait peut-être mal supporté le décalage temporel. Il venait certainement du passé Il avait déjà voulu se battre au sabre pour défendre son amie Ludmilla alors que déjà en 1945, date repère pour Démétrios, cela ne se faisait plus qu'avec des fusils et des colts. Plus grave, même en pleine lumière, il prenait toujours Lou pour Ludmilla.
Se pouvait-il qu'il ait voyagé dans le temps sans aucune préparation ? Il était possible qu'un accident d'orientation se soit produit durant le transfert d'Istvan. Et le Dévoreur qui n'était pas là pour arranger les choses ! Il se rendit compte que personne n'avait parlé de son expérience du Voyage, s'ils arrivaient de l'Antichambre ou étaient déjà aguerris. Comment tous s'étaient-ils retrouvés ici ?i ? Elliott Ness à NewYork lui avait demandé de le suivre car le Dévoreur avait besoin d'aide mais il n'avait rien dit de précis. Comme apparemment le chef du FBI n'était pas Voyageur, il l'avait conduit en avion jusqu'à Targoviste, le laissant arriver seul à la demeure du Professeur. Quelqu'un en savait-il plus que lui ?? Démétrios  se sentait repris par l'inquiétude. Max peut-être...
Istvan poursuivait sur sa lancée belliqueuse. Après le démon, il invoqua la barbe d'un Saint inconnu (Démétrios, grâce à Nestor, connaissait quelques saints et saintes honorés au IXe siècle. Il était imbattable sur Sainte Pélagie par exemple, mais ensuite, la religion s'était éloignée de ses préoccupations et les New Yorkais qu'il avait fréquentés semblaient plus enclins aux jurons obscènes qu'aux pieuses exclamations).
Cependant on put croire un instant que l'irascible colonel allait s'apaiser, manifestant un appétit vigoureux et semblant enfin se rendre compte que celui qu'il prenait pour sa Ludmilla n'était nullement menacé. Mais sa dernière phrase catastropha Démétrios. Istvan accusait le Dévoreur- l'homme aux cheveux de neige- de l'avoir assommé par traîtrise. Il fallait lui expliquer que le Professeur n'avait pu agir ainsi que pour une bonne raison, par exemple le sauver d'un danger imminent. Ce contact expliquait l'arrivée sans préparation : le passage brutal dans le Vortex précédé du coup sur la tête, il y avait de quoi chambouler l'esprit le plus sain.
Pendant que Démétrios cherchait comment il fallait s'y prendre pour ramener totalement à la raison le colonel Tchessneki ( ou quelque chose d'approchant, le Traducteur mental grésillant un peu comme à chaque fois que son voyageur était inquiet) miss Eva lui parlait de façon apaisante puis l'invita à poursuivre son idée de se restaurer après avoir mis le slip dans sa poche. Démétrios jugea qu'étant donné  le caractère extra moulant du jean, c'était une opération risquée.
Le Grec se leva donc aussitôt pour céder sa place proche du feu et en vis à vis de Lou, ce qui permettrait peut-être que le colonel se rende compte qu'il n'était pas Ludmilla. Il crut bon aussi de renouveler sa présentation en y ajoutant une nuance militaire et une allusion au mélange des époques, afin de l'amener à prendre les choses avec moins de méfiance :

-Je suis Démétrios, ancien hoplite de l'armée grecque antique et voyageur du temps. Je suis très honoré, colonel, de vous rencontrer et je dois dire que vous nous avez tous impressionnés par votre prestation sur la tour. Si Hector avait eu à sa disposition de pareils escaladeurs de murailles, aurait-il eu besoin de recourir à la ruse pour entrer dans Troie ?

Gertie avait déjà rapporté une marmite de bouillon fumant. Puis elle sortit d'un lardoir attenant un  énorme jambon tandis que Max installait en bout de table un bloc de ce qu'il nomma pastrama.  Entre ses feuilles le bananier-majordome fit apparaître un mince ruban de lumière vibrante lequel, avec une précision et une rapidité incroyables, découpait de longues tranches de viande fumée qui se couchaient en rang sur une grande assiette. L'odeur épicée était on ne peut plus apéritive.
Démétrios s'assit un peu plus loin et regarda Lou avec insistance. Il fallait détromper le colonel, lui expliquer son erreur, mais il n'osa rien dire, c'était vraiment une affaire personnelle.
Puis il prit l'assiette remplie et l'offrit à  Abby-Abigail. Un bruit de verre tintant se fit entendre. Max avait dû demander de l'aide et un garçon, visiblement réveillé depuis peu, entra portant un panier rempli de flacons colorés tandis que l'hôtesse Elymara posait des bouteilles d'eau sur la table.
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Message  Invité Mer 15 Juil - 21:09

Après Abigail, ce fût au tour d'une femme du nom d'Eva de se présenter.  Elle aussi se retrouvait dans cette pièce parce qu'elle cherchait quelqu'un. Est-ce que ce n'était pas un peu bizarre comme coïncidence? Le Dévoreur avait-il décidé de remplacer les services de renseignement? A quelle époque elle se trouvait, déjà? Est-ce que les licornes pouvaient voler ? Et est-ce que quelqu'un avait mit une substance hallucinogène dans cette soupe? C'est du moins ce qu'elle se demanda quand Istvan entra dans la pièce.

 Ce qui était assez logique, en réalité. Vu que le mec avait décidé que cette fois, ce qui serait vraiment intelligent, ce serait de se balader avec un sous-vêtement à la main, l'air guilleret. Ludmilla regarda son bol avec suspicion, avant de se rappeler qu'elle ne l'avait pas encore approché de sa bouche.. Alors, elle releva la tête, et contempla ce spectacle, atterrée.

Mais c'est quoi ce mec, il est teubéééé !

 En fait, elle ne le trouvait même pas si amusant que ça. Pour sa part,  il lui faisait pitié. Ce pauvre garçon avait bien de la chance que personne n'ait encore brandit un portable pour le mettre sur Youtube. Ou alors, peut-être qu'il l'aurait voulu, parce qu'il y avait de quoi se faire de l'argent, là. En fait, quand elle y pensait, le potentiel comique de ce type, pour qui n'aurait pas partagé ses scrupules, était très élevé. Il avait donc une vraie carrière bien lucrative toute tracée. Entre ça et l'escalade nocturne à moitié nu , il était prêt pour passer à la caméra cachée. Ou dans un show de strip-tease norvégien, vu comme il aimait  apparemment à se déshabiller alors qu'il faisait quelque chose comme moins trente.

 Mais sa compassion s'évanouit complètement quand le gars cassa sa couverture. Merde! C'est là qu'elle se rappela qu'elle s'était faite passer pour elle-même (elle n'aurait jamais cru avoir l'occasion de penser cette phrase un jour) auprès d'Istvan. Elle avait complètement oublié ce petit problème par la suite, surtout parce qu'elle s'était dit que le type devait avoir été mis dans les vapes avec une bonne tonne de cachets histoire de l'empêcher de retenter la montée du château. Il aurait dû roupiller un bon moment, et à son réveil, ne se souvenir de rien. Or, il se tenait-là, l'appelant Ludmilla, et elle n'avait même pas réfléchit à une solution pour se sortir de là. Or, il ne lui restait plus beaucoup de temps pour le faire, vu que le soldat avait achevé sa diatribe enflammée.

 Par chance, Eva avait décidé de calmer les ardeurs nudistes d'Istvan, ce qui lui laissait le temps de réfléchir un peu. D'ailleurs, elle se demanda pourquoi Eva faisait ça, vu qu'elle matait clairement le mec avec l'air de Julie quand elle voyait un gros poisson (un vrai gros poisson, hein. Julie adorait la pêche). Mais enfin, elle n'avait pas à s'en plaindre. Ces minutes lui étaient précieuses. Déjà, parce qu'Istvan voulait casser la gueule du type qui lui avait collé un pain. Ce qui était plutôt flippant, considérant que c'était elle qui lui avait collé ce pain. Et elle l'avait un peu trop bien collé, vu sa réaction. Concrètement, c'était le Dévoreur qui lui avait demandé ça, et c'était donc de sa faute , mais bon, vu sa tête, Istvan n'avait pas l'air décidé à s'en tenir aux détails.  En réalité, on aurait plutôt dit un bulldozer prêt à tout exploser sur son passage pour assouvir sa soif de vengeance. Certes, pour l'instant, il restait persuadé que c'était un vieux qui l'avait frappé, mais combien de temps avant qu'il ne retrouve la mémoire et qu'elle ne se fasse réduire en charpie? Elle devait donc trouver quelque chose de suffisant pour qu'il ne découvre jamais la vérité. Du moins, pas avant qu'elle n'ait mis quelques milliers de kilomètres entre eux. Ou quelques milliers d'années.

 Et puis, elle était persuadée que cet incident suffirait à briser son masque. Elle avait pensé que l'homme oublierait qu'elle lui avait dit être Ludmilla, vu qu'il délirait complètement, mais s'il se souvenait, c'était différent. Peut importait qu'elle lui serve sa petite histoire, il resterait persuadé qu'elle était Ludmilla, elle en était certaine.  Ce mec avait l'air sacrément buté, et il ne la lâcherait pas comme ça. Il suffisait de voir combien il s'accrochait à une rancune tenace à propos d'un pauvre petit coup de poing (alors que c'était un soldat! Il s'était jamais battu de sa vie, ou quoi?) .Il n'allait sûrement pas arrêter de la ramener avec ses "Ludmilla". Elle devait trouver quelque chose pour le convaincre qu'il se trompait.

 Et si je disais je suis bien Ludmilla, mais que je suis aussi un mec trans? Points positifs: elle n'aurait pas à le détromper, et puis ça expliquerait son mensonge (après tout, on ne fait pas son coming-out à n'importe qui), mais en plus, ça permettrait de minimiser l'impact des "Ludmilla" Istvaniens. Points négatifs: d'abord, elle n'était pas un mec trans, et c'était carrément irrespectueux de se faire passer pour tel, alors c'était niet. Ensuite, ça ne lui servirait à rien. Non seulement le sexisme reviendrait au galop, mais en plus, il serait accompagné de transphobie. Enfin, est-ce que ce crétin savait ce que voulait dire trans? Sûrement pas. En tout cas, son plan semblait sur le point de partir en miettes.

 Découragée, elle pensa qu'elle pouvait juste abandonner. Après tout, elle avait surtout fait ça pour le passé. Vu que d'après tout ce qu'elle en savait, à ces époques, encore plus qu'aujourd'hui, une femme avait un rôle bien définit. Et surtout pas celui d'aventurière. Sa liberté de mouvement serait quasi-nulle, et ne parlons pas des dangers auxquels elle s'exposerait. Là, elle ne risquait pas grand-chose, comparé à tout ça...Sauf de passer pour une mythomane, ce qui ne l'enchantait pas des masses. Mais bon, faute avouée, faute à moitié pardonnée. Non?

 Cependant, alors qu'elle décidait de se contenter d'écouter la conversation avant de laisser sa couverture sauter, si elle en avait tellement envie, en elle se rendit compte quel ton employait Eva pour parler au soldat. Elle s'illumina. La solution était là! En effet, Eva parlait à l'homme comme s'il était débile. En fait, réalisa Ludmilla avec excitation, tout le monde dans cette pièce doit le prendre pour un gros débile. Ce type venait après tout de faire de l'escalade nocturne dans son presque-plus simple appareil, pour juste après débarquer pour s'énerver contre les gens qui coupaient les cheveux tout en balançant joyeusement un slip dans sa main comme si c'était un jouet . Personne n'allait le prendre au sérieux! Jamais ! Elle avait eu tort de s'inquiéter. Très satisfaite de son analyse, elle décida de passer à l'attaque.

 Elle recula sur sa chaise, avec un petit sourire insolent comme Lucas les affectionnait quand il décidait de jouer les adolescents énervant, et déclara de sa voix la plus grave, celle-là même que Julie lui avait supplié d'enregistrer parce qu'elle trouvait que ça faisait mec sexy (elle avait refusé) :

- Eh, monsieur. Vous inquiétez pas pour ma sœur jumelle, elle va bien. J'vois que vous me prenez pour elle, c'est normal, on se ressemble beaucoup, mais moi, j'suis son frère, en fait. Enfin, j'espère que ça se voit quand même, que je suis un mec. , compléta-t-elle avec un petit rire un peu irrité, genre j'en-ai-marre-que-tout-le-monde-me-prenne-pour-une-meuf.

 Elle avait choisi de changer de façon de parler pour se distancier encore de la vision qu'Istvan avait de Ludmilla. Et la petite remarque de la fin, c'était le genre de truc qui l'immuniserait des soupçons à vie. Comme tous les garçons, elle venait de protéger cette petite chose fragile qu'était la virilité, une entité qui pouvait s'effondrer en mille morceaux si on prenait un garçon pour -horreur! enfer! damnation!- une...fille ! A force de voir de nombreux mectons pleurnicher comme si c'était la fin du monde quand on osait les comparer à cet autre genre, elle avait comprit que c'était pour eux l'insulte suprême. Et là, en montrant bien qu'elle se sentirait pareillement détruite si on lui faisait subir un tel affront, elle réaffirmait cette virilité. Brillant!

- Et euh...Tout à l'heure, sur le toit, comme vous étiez en plein délire et que vous la connaissiez, je me suis fait passer pour elle, vu que j'me disais que vous alliez l'écouter mais...Elle est jamais venu ici, en fait.

 Parfait! Comme ça, si une des personnes qui se trouvaient sur le toit l'avait entendue, bah...Tant pis. Ravie de la facilité avec laquelle tout s’enchaînait, elle ajouta tranquillement:

  - Quand au gars qui vous a frappé, euh...J'espère qu'vous allez le retrouver pour...La vengeance, tout ça...Ça a l'air grave kiffant votre truc ... Mais va falloir vous en passer, le mec, il est pas là, hein...

 Bon, là, elle se couvrait, mais elle allait quand même pas dire que c'était elle qui lui avait quelque peu abîmé la figure. Elle n'avait pas envie de terminer sa vie en rôti. Découpé, le rôti. Et puis au moins, elle n'avait pas dit qu'un homme correspondant exactement à la description qu'il venait d'énoncer d'un air assez mécontent se trouvait juste là à porté d'épée, ce qui rattrapait un peu le tout.

- Et euh...Ben je m'appelle Lou au fait, voilà.

 Elle jeta un regard désolé au reste de l'assemblée, du genre: "le pauvre, il va peut-être protester et dire n'importe quoi mais bon lui en voulez pas c'est pas sa faute, il est juste un peu fou ", puis, assez satisfaite de sa prestation, elle se renfonça dans son siège d'un air confiant.

 C'est à ce moment là qu'une porte s'ouvrit, et que de nouveaux arrivants pénétrèrent dans la pièce. Elle reconnu la fille très jolie et très glaciale qu'elle avait déjà vue, il y avait aussi un jeune garçon inconnu, et enfin...un putain de bananier à roulettes qui bougeait tout seul !!!

 Elle écarquilla les yeux, stupéfaite. Bon, la drogue n'était pas dans sa soupe, mais elle était peut-être dans l'air. Elle devait forcément être quelque part. Parce que là, c'était complètement n'importe quoi. On aurait dit un de ces comique-relief ridicules, la petite mascotte énervante, celle qu'ils sentent toujours obligé de fourrer dans les dessins animés pour enfants. Sauf que, problème, c'était la réalité.

 Elle se dit que ça devait forcément être un robot. Mais pourquoi un robot aussi débile? Découragée, elle expira douloureusement. Est-ce que les robots ne pouvaient pas être plus cool? Est-ce que c'était ça qui allait se passer dans le futur?

 Non content de briser ses rêves au sujet de l'avenir de la robotique, la chose sortit des lasers...Pour découper du jambon. Alors là! C'était un tel gâchis de talent ! Franchement, elle se sentait mal. Sa première rencontre avec un robot du futur, et il découpait du jambon avec des lasers! Sérieusement! Tant d'énergie gaspillée! Il ne pouvait même pas sortir un couteau? Enfin, c'était un bananier, il n'avait pas de mains...Mais c'était justement le problème! Pourquoi un ba-na-nier ???

 Et surtout, elle se sentait fatiguée. Toutes ces tensions, additionnées au fait qu'elle n'avait pas encore dormi, l'avaient épuisées. Au point qu'elle n'avait même pas le courage de demander au robot s'il voulait bien se faire démonter, histoire qu'elle améliore quelques trucs si c'était possible. Tant pis, elle verrait demain.

 Elle s'étira, et se leva:

- Euh...C'était sympa de vous rencontrer les gars, mais là, faut que j'aille dormir. Désolé de vous abandonner comme ça mais ... - elle s'interrompit pour baîller -... mais là, je suis carrément mort. Vu qu'il y a plus de mec à sauver ... - elle indiqua d'un geste vague Istvan - , je pense que ça sert plus à rien que je reste, donc...Je vais me coucher. A plus.

 Et elle s'avança vers la sortie.



Spoiler:
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Cold hypnotic [ouvert à tous les voyageurs de Targoviste] Empty Quelques héros autour d'une soupe...

Message  Invité Mer 15 Juil - 21:16

Eva. La belle jeune femme s’appelait donc Eva. Elle venait de Californie. Cette nouvelle tira un sourire à Abby, qui reconnu un nom de lieu familier. Mais son sourire se changea vite en grimace, quand la blonde songea que la pauvre Eva allait surement voir venir à elle les premiers symptômes d’un monde qui allait à sa perte. D’une Terre malade.

Eva dit aussi qu’elle avait grandi en Espagne. Abigail n’avait jamais vu l’Espagne. Elle en avait entendu parler, elle avait vu des photos aussi, mais c’était surtout grâce à Shelley, son amie rousse, qui elle y avait vécu pendant quelques mois. Les voyages, ça n’avait jamais été vraiment son truc, à Abby. Jusqu’à ce qu’elle rencontre Vladimir Stanzas.

La jeune femme termina sa présentation en précisant qu’elle était à la recherche de sa sœur disparue. Le cœur de la Néo New Yorkaise se serra. Soudainement, elle se remémora un peu plus tôt dans la soirée, cette Brittany qu’elle avait vu, ou plutôt imaginée, dans sa chambre. Cette vision l’avait terriblement chamboulée. Et maintenant, elle se disait qu’elle aurait adoré pouvoir, elle aussi, être à même de retrouver sa jumelle, au lieu de se souvenir à jamais de cette terrible effusion de sang, chaque fois qu’elle fermait les yeux.

Alors qu’elle avait terminé sa courte présentation, Eva s’adressa à la gouvernante, lui demandant si le maître des lieux était présent. Le cœur d’Abigail se serra un peu plus. Elle se demanda quand cette Eva avait pu arriver, pour qu’elle ne sache pas que Vladimir s’était absenté. Il m’a laissée toute seule… Abby fronça les sourcils, à la limite de se remettre a bouder. Mais fort heureusement pour elle, au même moment, Spiderman décida de faire son entrée, assez remarquable d’ailleurs. Elle releva les yeux sur lui, heureuse de voir qu’il s’était habillé. Et puis il semblait en meilleure forme. Dire qu’il avait manqué de mourir à peine quelques minutes plus tôt ! Il affirma être heureux de retrouver… Ludmilla ? Le tout en désignant Lou. Abigail fronça les sourcils. Mais de quoi parlait ce type ? Elle tourna les yeux vers son ami. Il doit le prendre pour sa sœur. Mais pourtant… Ça se voit que c’est un garçon ! Et puis s’il le dit … Le jeune garçon leva les yeux au ciel, visiblement irrité. Il devait en avoir marre d’être pris pour cette Ludmilla. C’était compréhensible. Elle même n’avait pas vraiment eu le temps de vivre ça, mais elle était certaine qu’elle aurait détesté être confondue avec Brittany. Eva échangea quelques mots avec le nouveau venu, se leva même pour aller lui susurrer quelque chose à l’oreille ; et finalement, le prénommé – était-ce bien ça déjà – Dimitry, quoi qu’elle n’en soit pas vraiment certaine, enfin plus simplement, le beau gosse blond face à elle se leva pour laisser sa place à Spiderman, tout en le saluant. Abigail manqua de s’étouffer quand il se présenta comme un « ancien hoplite de l’armée grecque antique ». Alors c’était de cette époque là qu’il venait ? C’était il y a tellement longtemps… Elle ne put s’empêcher de dévisager Dimitr… Non décidément ce n’était pas ça son nom ! Elle baissa les yeux. Et alors Lou prit la parole à son tour. Abby songea qu’il usait d’un vocabulaire bien plus familier que lors de leur rencontre. Ce qui lui déplaisait fortement, il fallait l’avouer, mais elle songea que le jeune homme devait être fatigué, ce qu’il confirma d’ailleurs.

A ce moment, le bananier roulant, suivi par la cyborg qui était venue les cherchés tous les deux pour sauver Spiderman, et un jeune garçon qu’Abby n’avait jamais vu entrèrent dans la pièce. La blonde pû admirer le talent de la plante pour découper du jambon au laser, et finalement, le beau blond lui fit passer l’assiette. Elle la prit poliment, en lui adressant un sourire, en prit une tranche qu’elle laissa tomber dans sa soupe, et fit passer l’assiette à Eva.

Lou reprit la parole. Il voulait aller se coucher. Il se leva prestement, visiblement désireux de retrouver son lit. Une sorte d’angoisse s’empara de la blonde : elle ne voulait pas, soudainement, se retrouver seule avec ces autres personnes qu’elle ne connaissait pas. Alors elle se leva d’un bon, faisant lever les regards sur elle.

- Lou ! Attends !

Il se retourna, la regardant d’un air surpris, et vaguement embêté.

- Je…

Elle se rendit compte de la stupidité de cette imprévue timidité. Après tout, ni Eva, ni Spiderman, ni surement le grec au nom impossible à retenir n’avaient de tendance cannibale, donc elle ne craignait globalement pas grand chose – sauf si le bananier décidait de se lancer dans un remix de massacre à la tronçonneuse version laser … Elle s’empourpra. Il ne fallait pas être aussi égoïste, Lou avait besoins de repos, elle le verrait plus tard.

- B-bonne nuit, Lou !

Il sembla hésiter un instant, puis finalement son visage se fendit d’un sourire, et il quitta la pièce. Rapidement, elle se rassit sur sa chaise, pour ne pas plus attirer l’attention.
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Message  Le Dévoreur de temps Sam 12 Sep - 17:35



Alors que tous les invités du Professeur Stanzas étaient réunis dans la grande cuisine de l'Abbaye autour d'une collation après les émotions partagées lors du sauvetage d'Istvan, des vibrations furent ressenties, troublant la surface des bols de soupe et des verres, un bruit de tonnerre envahit l'espace, suivis d'un appel lancé par une voix grave, très grave et dotée d'un fort accent nordique. Dame Gertie se précipita d'instinct pour regarder derrières les petits carreaux de la fenêtre.

- Mein Gott! Der Professor!  Ohhh il y a aussi toutes les grandzs barbuuus à cheuvalll! Je vais avoir de la cuisine ! Mais  mais !!

Au même moment Max, qui était parti aux nouvelles revint tout tourneboulé des bananes.

- Vite vite! Il y a des blessés! Beaucoup de blessés! Tous les valides avec moi ! Il faut aller les aider !

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Empreinte : L'histoire de Vladimir Stanzas ou comment on devient le Dévoreur de Temps
Espace personnel : D'une porte cochère à l'autre {en construction}
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