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{Achevé} Rien ne vaut un bon foyer

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Message  Zorvan Jeu 28 Fév - 23:22



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... Sur le sol sablonneux d'une caverne dans laquelle régnait une obscurité glacée et humide. Le sol était jonché de petits débris végétaux et de branchettes éparses. En contrebas, le ressac des vagues se brisant contre les rochers. Une falaise vertigineuse s'ouvrait sur la grotte et seul un sentier sinueux et étroit semblait en partir. Au loin, d'étranges bruits se faisaient entendre, vagissements de bêtes blessées, hurlements gutturaux. Quelques pierres grises et dures dépassaient du sable blond éclairé par la pâle lueur de la lune et Démétrios avait malencontreusement heurté l'une d'elle de son coccyx. Un léger courant d'air faisait voleter la voilette de Christiana. La grotte se situait dans une falaise surplombant la Baltique, sur le territoire de ce petit pays qu'on nommerait plus tard Estonie mais qui n'était pour l'heure, quelques cinq cent mille ans avant l'ère actuelle, qu'une vaste étendue sauvage partagée entre montagnes, plaines et collines...
La plume : son rôle dans vos voyages
Empreinte : Zorvan,Gardien de l'Antichambre, Prêtre Guerrier d'Aralia
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Date d'inscription : 01/03/2012
Zorvan
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{Achevé} Rien ne vaut un bon foyer  Empty Re: {Achevé} Rien ne vaut un bon foyer

Message  Invité Sam 2 Mar - 12:17

Zorvan était plus l’homme des répliques brèves et des silences tenaces que du discours solennel en trois points. Et pourtant c’est ce qu’il fit sitôt apparu dans un Champ des oublis devenu soudain étrangement silencieux. Le brouillard s’était refermé sur les dernières images venues de la mémoire de Christiana.
L’exorde fut bref et, pour une langue aussi acérée que celle du Gardien, amicalement familier. Il joua le rôle de l’aigle patriarche encourageant sa dernière couvée avant de la pousser hors du nid, la jugeant apte à voler de ses propres ailes.
Démétrios, qui avait toujours gardé en lui l’âme d’un bon élève malgré quelques incartades sans conséquences, se sentit rempli de reconnaissance pour celui qui, dès leur première rencontre, l’avait accueilli d’une bourrade telle qu’il s’était retrouvé projeté en arrière, retombant assis brutalement sur le sol marmoréen de l’Antichambre. Au moins, pour le départ, le Maître montrait plus d’humanité et même une pointe de réelle émotion en multipliant, tel un bon père de famille, conseils et mises en garde à propos des dangers qui les guettaient dans la dernière épreuve.

Pour la première fois également, quand le bras du Gardien se posa sur son épaule, Démétrios crut sentir un corps réel au lieu de ce fuligineux ectoplasme qui passait à travers les murs et se laissait traverser comme une ombre. Mais il n’en fut pas sûr car il était très ému et Zorvan parlait de nouveau.
Il leur promit une vie rude et sauvage, mais Démétrios avait survécu à trois tempêtes homériques, accroché pendant des jours à un banc de nage, sans manger et ne buvant que l’eau des paquets de mer qui s’abattaient sur sa tête. Quant au luxe des repas distribués aux éphèbes, il consistait à ce que l’oignon accompagnant le pain soit plus gros que celui de la veille.
Le Dévoreur allait reprendre pour quelques temps la conduite de leurs destinée. La nouvelle accrut l’émotion du sensible Athénien. Comme celui qu’il avait appelé successivement le Prince des Ours et Mentor lui paraissait désormais lointain, à demi irréel derrière toutes ces aventures vécues en Aparadoxis, ces plongées en lui-même, parfois plus éprouvantes et douloureuses que les coups d’épée des Varègues attaquant Constantinople ! Et il n’était même pas sûr de le voir réapparaître là où on les envoyait. Certes Zorvan avait dit que l’homme au manteau noir et au regard bleu électrique les y attendrait "embusqué". Mais ce n’était pas une promesse de l’y retrouver réellement. Le grand Voyageur pouvait tout aussi bien influer sur leur destinée comme le font les dieux qui tissent le destin des hommes sans jamais leur faire la grâce de se manifester pour les réconforter, lorsque le chemin de l’existence devient trop aride et solitaire.

L’apparition d’un couloir tourbillonnant, d’un rouge qu’on pouvait trouver de mauvais augure, interrompit ces pensées attendrissantes et Démétrios, qui avait la larme facile, toussota pour se donner une contenance et raffermir sa voix tout en se préparant au pire. Zorvan recommanda de se méfier de la viande de mammouth. L’Athénien ne savait de quel animal il s’agissait et se promit d’être végétarien durant son séjour. Il allait prononcer quelques paroles de gratitude du genre:

Je vous remercie, noble Zorvan, et j’espère vous revoir un jour. Je demeure votre obligé et serai toujours prêt à vous servir , bien que je sache combien je suis sans pouvoir et ignorant, face aux prodiges que vous suscitez et au savoir immense que...

Il fut seulement capable de s’exclamer "Ouch !" quand, au milieu d’un éclat de rire qui sembla s’enfler et remplir toute sa conscience, il se trouva projeté violemment dans la gueule rouge et béante qui venait de le happer. Il perdit d'un coup tout contrôle de ses actions et toutes les facultés rationnelles de son esprit.

Quand il retrouva et contrôle et facultés, évidemment, il était assis par terre, le séant douloureux et un silex lui entrant méchamment dans le gras de la cuisse. Ce devait être une aimable et dernière attention du Gardien mais Démétrios lui accorda le bénéfice du doute et s’occupa de régler la phase première du voyage, à savoir l’Arrivée.
Il se se mit à genoux, se frotta là où ça faisait mal, vit qu’il n’avait rien de fracassé, de déplacé ou d’entamé, sut qu’il éviterait cependant pendant quelques temps de s’asseoir trop brutalement sur n’importe quoi et décida de passer à la phase deux : l’Observation.
La lune blanche éclairait l’entrée d’un antre digne du Cyclope Polyphème. Le Grec se releva et se dirigea vers l’ouverture. La mer rugissait en contre-bas. Des cris impressionnants de bêtes nocturnes venaient du haut de la pente sur laquelle s’ouvrait la caverne. L’air sentait l’iode et les embruns, les algues pourrissantes et d'âcres odeurs de plantes inconnues. Il faisait plutôt frisquet. Heureusement il avait gardé son costume byzantin et il se hâta d’en resserrer la veste. Il se félicita d’avoir de bonnes bottes de cuir aux pieds. Il se les serait gelés, en costume national du IV° siècle avant JC.
Soudain lui vint l’idée qu’il n’avait pas voyagé seul et il rentra précipitamment pour voir où en était Christiana.


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{Achevé} Rien ne vaut un bon foyer  Empty Re: {Achevé} Rien ne vaut un bon foyer

Message  Invité Dim 3 Mar - 16:12

Christiana ne s'attendait pas à un tel flot de parole de la part de Zorvan. Lui qui, jusqu'à maintenant, se faisait discret, observateur et silencieux, voire invisible -elle se demanda d'ailleurs s'il n'avait pas profité à un moment ou à un autre pour s'esquiver-, le voilà qu'il se mettait à parler longuement et même à les prendre par l'épaule. La proximité physique avec cette ombre palpable créa un frisson dans le dos de Christiana. « Ne pas se montrer désagréable, il va nous permettre de retrouver Kyle ». Voilà ce que se répétait Christiana tout le long du contact physique entre ses épaules et le bras du gardien de l'antichambre.

Le long monologue suscita quelques interrogation chez la fille de mafieux. Son âge canonique ? S'il était bien vieux, elle le trouva alors plutôt bien conservé. Pas un cheveu blanc sur sa chevelure extravagante. À son époque, la mode capillaire masculine était aux cheveux courts, taillés de façon à ce qu'ils fut plus longs sur le dessus du crâne, bien lissés et gominés, avec une raie bien nette et parfois une légère ondulation. Il ne semblait pas non plus avoir de rides, en dehors des rides d'expressions. Quel âge pouvait donc avoir Zorvan ?! Ce n'était pas le moment de lui poser la question. Cependant, à en croire son monologue, Démétrios et elle allaient croiser le Dévoreur embusqué. Peut-être que celui-ci avait la réponse à cette question.

Venait-il de dire embusqué ? Christiana leva les yeux avec dépit. Elle avait autre chose à faire que de jouer à cache-cache avec le Dévoreur. Elle ne comptait pas le débusquer mais retrouver Kyle. Elle qui avait été si pressée d'en finir avec son rêve dans Blue Hospel. Elle qui avait patiemment passé la deuxième épreuve en deux parties, d'abord en solitaire puis en équipe, dans le Champ des Oublis. Voilà qu'elle devait encore repousser le lancement de sa quête de femme en mal d'amour et à l'âme torturé d'avoir repoussé un homme qui voulait bien d'elle. Pour Christiana, il y avait publicité mensongère. Elle voyait ce premier voyage à la destination imposée comme une troisième et dernière épreuve. Elle espérait vivement pouvoir vite trouver le Dévoreur, choisir sa première destination et se lancer à la recherche du Kyle perdu.

Quoi qu'en un sens, elle gagnait une chose dans cette nouvelle épreuve. Ce n'était plus Zorvan qu'elle allait avoir sur le dos. Mais le Dévoreur. Elle allait peut-être enfin savoir qui l'avait envoyé et donné l'étui à cigarette. Elle s'apprêtait à demander à Zorvan ce qu'il sous-entendait en parlant de viande de mammouth. Malheureusement, elle n'eut ni le temps de le lui demander, ni le temps de répliquer quelque chose à son Mouahahaha, car le vortex fit son grand retour. Tandis qu'elle avait la bouche ouverte pour questionner Zorvan, elle fut aspirée avec Démétrios. Rien ne sortit de sa bouche. Pas un mot. À la place, de l'air marin y entrait. Sans s'en rendre compte, elle avait fermé les yeux. Quand elle les rouvrit, Zorvan n'était plus là. Le visqueux de l'antichambre non plus. Tout n'était que sable, roche, vent iodé, bruits de remous et... bruits étranges.

Elle regarda Démétrios au sol. Il se releva pour se frotter ça et là, avant d'aller voir la falaise. Elle fit un pas dans la caverne pour le rejoindre et déplaça une grande quantité de sable, qui vint s'incruster dans une chaussure. Christiana lâcha un grognement, retira sa chaussure, vida le peu de sable et la remit. Elle avança alors à petit pas pour éviter une nouvelle invasion de sable dans ses souliers. Elle s'approcha prudemment du bord de la falaise, faisant craquer au passage les branchages secs, et se pencha. Sa voilette claquait contre son visage et un frisson, dû à la peur et à la fraîcheur, lui parcourut le corps. Finalement, elle fit rapidement un pas en arrière et se tourna vers l'intérieur. Les bruits qui les entouraient n'étaient pas plus rassurant que la falaise. Instinctivement, elle porta la main à son sac à main et sentit, à travers le tissu, la crosse de son colt banker special offert par Kyle et le petit couteau suisse de son père. Que c'était rassurant de les savoir toujours là. Démétrios la rejoignit.

- Je me demande où Zorvan nous a envoyé. Ces bruits environnants me sont totalement étrangers. Si encore cela ressemblait au bruit d'une voiture, d'un omnibus ou d'un taxi. Avez-vous les mêmes bruits étranges à votre époque ?

Christiana se frotta les bras et continua :

- Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que Zorvan a voulu nous faire un dernier petit tour avant de nous libérer totalement et nous laisser vagabonder comme bon nous semble.

Ha ! Christiana et la confiance, quel duo presque impossible !

- Nous devons trouver le Dévoreur, c'est cela ? Demanda-t-elle en relevant sa voilette pour la coincer dans le ruban de son chapeau et ainsi éviter de constamment se faire fouetter le nez par le vent. Je comprends mieux ce qu'il sous-entendait en parlant de notre confort.

Là, elle s'accroupit pour tâter le sable, les branchettes sèches et les pierres sur lesquelles Démétrios avait été réceptionné.

- En tout cas, cela semble bien réel.
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Message  Invité Dim 10 Mar - 19:11

L’obscurité de la grotte le surprit après la clarté lunaire et il pensa aussitôt qu’il fallait faire du feu. La triple fonction des flammes était ancrée en lui : lumière, chaleur, arme de défense et d’attaque. Premier geste de l’homme s’installant pour la nuit.
Il aurait été bien surpris d’apprendre que, au temps de Christiana, cette mentalité était celle des paysans ou des chasseurs oubliés de la civilisation. Certes, le feu restait l'élément majeur de toute transformation de la matière, mais les progrès techniques l’avait domestiqué dans la vie quotidienne. On ouvrait des robinets, pressait des boutons, des appareils sophistiqués le contenaient,le réglaient, des matières combustibles nouvelles le rendaient aussi moins spontanément naturel.
Pour Démétrios, faire du feu c’était reproduire le modèle ancestral : ramasser du combustible environnant, essentiellement végétal, bien qu’en certaines régions, de précieuses pierres noires s’y ajoutaient, l’enflammer par des gestes séculaires, avec des outils immuables nécessitant seulement patience et savoir-faire. il ne se sentait pas démuni. Les circonstances pour lui étaient redevenues peu confortables mais normales : la nuit, une caverne au bord de la mer, le besoin d’y voir clair, de se chauffer et d'écarter les fauves.
Et Il fallait rassurer Christiana.
Il la distingua alors qu’elle se rapprochait de la sortie et le clair de lune la silhouettait d’une ligne pâle qui la rendait gracieuse et féminine. Il carra involontairement les épaules et affermit son pas. Il s’attendait à la trouver tremblante car, de par sa nature timorée, la femme, outre la présence masculine, redoute l’obscurité, les fantômes et les bêtes sauvages. Il avait oublié qu’elle n’avait guère tremblé devant lui, pourtant tout à fait mâle d’aspect, ni devant Zorvan, qui, lui, tenait plutôt du fantôme, et oublié aussi que son père voulait faire d’elle le capitaine du Bacchus... Il prit sa voix la plus ferme pour lui lancer :

– Christiana ! tout va bien ?

Il redouta une fraction de seconde que le miracle des langues ne se produise plus. Ils n’étaient pas dans les mondes parallèles de l’Antichambre et la magie du Gardien ne devait plus s’exercer ici. Même en Aparadoxis, où il avait été plongé dans un univers réaliste, il ne comprenait pas les Varègues s’exprimant dans leur langue. Zorvan avait bien insisté sur le fait qu’ils se retrouveraient dans leur monde, là où était inscrite leur existence, où le temps comptait réellement. Quelle langue parlait Christiana ? Il savait combien, en dix siècles, le grec de son temps lui était devenu presque incompréhensible s'il n'était pas parlé par un érudit comme Nestor. Alors, encore mille ans plus tard ..Christiana ne lui avait-elle dit qu'il venait de l'Antiquité ?
La réponse de Christiana le rassura doublement. Elle ne semblait pas effrayée et il la comprit parfaitement, exception faite de deux mots désignant des animaux inconnus. Ils étaient certes grec et latin, mais curieusement employés. Associés à "voiture", ils semblaient désigner de bêtes de trait, comme le bœuf ou le cheval . Après tout, s’il connaissait sa situation dans le temps, il ne savait pas exactement d’où venait géographiquement la jeune femme.
Elle s’interrogeait sur les cris qui se croisaient dans la nuit, certains venant de très loin, d’autres descendant de la falaise, plus proches. Mais elle ne semblait pas paniquée et enchaîna en parlant de Zorvan sur un ton légèrement ironique.Le Gardien ne l’impressionnait pas alors que Démétrios qui pouvait parfois le détester, éprouvait une sorte de fascination respectueuse pour cet homme aux pouvoirs mystérieux. Il répondit en retournant vers l’entrée de la caverne où il s’arrêta :

-Il faut que nous fassions du feu pour nous réchauffer et écarter ces animaux. J’ai ma pyrite et de l’amadou. Et les pierres ici sont très dures. Il y a des brindilles sur le sol et des buissons sur le sentier. Heureusement il ne pleut pas. On devrait trouver quelques branches et mousses sèches. Sinon, il faut descendre sur la côte,où il y a toujours du bois flotté. Et vous sentez l’odeur de résine ? Les conifères brûlent facilement même encore vert .. cependant, on ne peut pas aller les repérer de nuit. Zorvan aurait pu veiller à ce que nous arrivions de jour et aussi à nous laisser prendre un paquetage. Quant à trouver le Dévoreur, je ne pense pas que ce soit le but de notre séjour. Je crois que c’est pour voir si nous débrouillons seuls pour survivre. Chez moi, il est vrai que les esclaves sont là pour tout faire à ma place, mais Zorvan sait bien que j’ai vécu à la dure plusieurs fois, par goût quand je suivais nos troupeaux de chèvres en montagne avec les bergers. ou par nécessité, durant mon éphébie ou des voyages en mer. Mais il n'en est pas de même pour vous sans doute ? Ne craignez rien. Je suis sûr que le Gardien n’est pas cruel, même s’il est parfois brutal.

Démétrios se passa une main précautionneuse sur le bas du dos et allait poursuivre quand retentit
un cri de terreur animale, un brame puissant, un galop de sabots, juste au dessus d’eux ,et un feulement rageur. Baissant la voix, comme lorsqu’on bivouaquait en zone dangereuse quand il chassait le brigand pour la gloire d’Athènes, il reprit :

-Chez moi, en dehors des lieux habités, on entend parfois des cris de fauves. Il y a des loups, des ours et des lions dans les montagnes, et des lynx. La nuit, ce sont surtout les chacals et les loups. Ce qui est bizarre ici, c’est que je crois avoir entendu des barrissements au loin. Et il me semble que nous sommes dans un pays froid et humide. J’ai vu des fleurs sauvages juste sur le rebord de la falaise et pourtant, on se dirait en hiver. Or les éléphants aiment la chaleur. Et ce sont des animaux diurnes...

Les bruits reprirent plus loin et s’y joignirent des hurlements confus et des jappements dans la distance.

-Vos taxis et omnibus font aussi du bruit la nuit ? Ce doit être bien gênant pour leurs propriétaires. Ce sont des animaux de bât ,ou de trait ? Ressemblent-ils aux chevaux, aux buffles, ou à ces grands chameaux poilus qui viennent de la Bactriane et que j’ai vus en Colchide ? Il faudra me parler de votre nation . Ce que j’en ai aperçume fait l’effet d’un rêve ..et cet énorme oiseau avec des ailes tournantes...s’’il se met à crier, ce doit être un épouvantable vacarme.
Je vais chercher du bois. Vous venez ?


Il avait pris un ton léger mais en fait il était inquiet et n’aimait pas trop cette caverne. d’abord il avait un préjugé culturel contre ces lieux traditionnellement peuplés de monstres ou bien antichambre du monde souterrain, cryptes ténébreuses, passages vers les lieux d’où nul ne retourne
Il y avait des débris végétaux sur le sol et il ne voyait pas comment les expliquer. Des hommes occupant la caverne auraient écarté ces pierres inconfortables. Les herbivores mangent leur nourriture sur place. Il s’agissait peut-être de rongeurs inconnus.
Le vent avait un peu forci et on entendait le ressac gronder au pied de la falaise. Des buissons s"accrochaient dans les creux , Démétrios reconnut l’odeur du bois de cade et sentit sous sa main les feuilles étroites et dures du genévrier. Il en fut très content car les fumées d’un feu de ce bois huileux écartaient les maladies et les insectes.
On trouva quelques belles branches cassées et même un arbuste épineux déraciné que Démétrios se chargea de tirer vers la caverne pour épargner les jambes exposées de Christiana. Son vêtement si peu féminin n’était vraiment pas adaptée à la situation et on pouvait se demander pourquoi elle portait un chapeau de forme aussi étrange. Le filet très fin qu'elle avait d’ailleurs relevé, pouvait indiquer que son pays était infesté de moustiques. Mais avec un bon feu de genévrier, on serait tranquille. Les bruits d’animaux se calmaient. On ne devait pas être loin de l’aube

Ils s’entendirent pour construire leur feu presque à l’entrée de la caverne afin de ne pas s’enfumer et pour sortir rapidement en cas de danger. Démétios déroula la longue écharpe de soie qui lui servait de ceinture et le petit sac où il avait ses objets personnels, emportés de chez lui, et aussi quelques uns de son séjour en Aparadoxis. Il avait craint de ne pas les retrouver mais si, ils étaient là. En particulier le poignard coutelas et la pyrite. Sans elle il aurait dû faire du feu en frottant un morceau de bois dans une bûche évidée et c’était bien plus long et difficile. Il n’était même pas sûr d’y arriver. Quant à penser qu’on fait du feu en frappant deux silex, il n’y avait que les enfants pour le croire. On produisait bien des étincelles mais pour une raison mystérieuse, elles ne communiquaient pas de chaleur à l’amadou et, sans braises, pas de flamme. Tout aussi mystérieusement, la pyrite frappée d’un silex produisait des étincelles portant au rouge l’amadou ou la mousse sèche : alors on pouvait enflammer des feuilles ou des brindilles. La nature était remplie de mystères.
Quelques minutes plus tard, le feu flambait et Démétrios s’assit sur une grosse pierre, en retenant une grimace...il imagina Zorvan se prenant les pieds dans ses robes et s’étalant en cognant son beau nez bien droit sur une dalle bien dure. On se venge comme on peut. Il récupéra sa ceinture et dit :

-Voilà ce que j’ai avec moi : quelques pièces, dont un statère d’or, de la monnaie byzantine, une boucle d'oreille et un reçu, un sceau, souvenirs de famille, un poignard excellent, également byzantin, pyrite et amadou, mais peu, et une toute petite statuette du Dieu Odin, en argent, que j'ai achetée à un Varègue. Ce n'est pas beaucoup. Sauf le statère si nous rencontrons un village. Et vous, Christiana ? qu'avez-vous dans votre besace ?
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{Achevé} Rien ne vaut un bon foyer  Empty Re: {Achevé} Rien ne vaut un bon foyer

Message  Invité Lun 11 Mar - 18:41

Démétrios était revenu vers l'intérieur de la grotte pour lui demander si tout allait bien sur un ton très différent de celui arboré jusqu'à présent. Peut-être la situation allait-elle faire ressortir le côté soldat de Démétrios, sa face combattante. Celle qu'elle avait pu entrapercevoir dans des souvenirs du Champ des Oublis. Christiana lui répondit d'un signe positif de la tête. Puis elle regarda vers l'extérieur tout en restant silencieuse. En réalité, tout n'allait pas si bien. Ils ignoraient où ils avaient atterri. Quand ils se trouvaient. Tout ce qu'ils savaient, c'était le pourquoi. Débusquer le Dévoreur.

Contrairement à Démétrios, Christiana ne se posa aucune question sur la barrière probable de la langue dans la réalité. En fait, elle ne songeait qu'à une chose : trouver le Dévoreur. Rien d'autre n'habitait son esprit. Pas même la potentielle douleur qu'avait pu susciter la pierre sur laquelle Démétrios s'était retrouvé. Pas même l'endroit où ils étaient. Le Dévoreur n'était pas loin. Il était l'objet d'une traque improvisée par Zorvan. Voilà tout ce qui important à Christiana.

Mais que faire pour le trouver ? Par où commencer ? Dehors, il n'y avait aucune autre lumière que celle reflétée par la lune. Pas de lumière de ville. Peut-être étaient-ils en campagne ? Mais même dans la plus profonde des campagnes, aucuns bruits similaires n'existaient dans les celles qu'elle connaissait. Christiana chercha donc dans les bruits plus exotiques, fouillant dans sa mémoire un bruit pouvant s'apparenter à celui d'un animal d'un zoo ou d'un cirque. Mais rien ne lui revint. Après tout, le zoo et le cirque n'avaient pas été des sorties courantes dans son enfance. Une ou deux fois seulement, lorsqu'elle était toute petite. Vraiment toute petite. Quand Drew était encore en vie.

Démétrios la sortit de sa réflexion quand il parla de faire un feu. Ce n'était pas une mauvaise idée. Elle était même meilleure que celle de Christiana, qui consistait à traquer le Dévoreur au plus vite, une fois le soleil levé. Elle détacha son attention de l'extérieur et la porta sur son compagnon voyageur d'infortune. Son acolyte victime d'une dernière farce Zorvanienne. Démétrios lui révéla qu'il allait pouvoir faire du feu. Cette nouvelle fut bien accueillie par le silence de plomb qu'imposait ou s'imposait Christiana. Elle l'écouta attentivement, recevant une sorte de cours de survie en pleine nature. Elle aurait pu lui dispenser d'un cours de survie dans la jungle urbaine si Zorvan n'avait pas fait le filou. Il pensait que le Dévoreur n'était qu'une excuse pour Zorvan. Peut-être avait-il raison. Dans tous les cas, si le Dévoreur n'était réellement pas dans les parages, Christiana se disait qu'il n'était pas pour autant impossible de ne pas le voir. Elle songeait à le faire venir, plutôt qu'à aller vers lui. Après tout, si le Dévoreur avait pu les trouver une première fois pour les envoyer dans les couloirs de l'Antichambre, peut-être pouvait-il le refaire si celui-ci était contraint de pointer le bout de son nez. Restait à savoir ce qui pouvait le faire venir. Et ça, Christiana n'en savait encore rien puisqu'elle ne l'avait pas appelé, il lui avait été envoyé.

- Je ne crains pas Zorvan, même si son étrangeté devrait me faire peur, dit Christiana quand Démétrios eut terminé sa tirade pour finalement baisser d'un ton et poursuivre sur ses hypothèses quant à la faune locale. Un doigt dans une boite en ivoire est bien plus inquiétant qu'un homme aux cheveux longs et en robe de chambre. Que ce soit une farce de Zorvan, un mission de survie ou une traque du Dévoreur, tant que j'arrive... qu'on arrive à voyager là où bon nous semble et dans le temps de notre choix... je me moque de connaître la raison de notre présence dans cette caverne.

Puis Démétrios reprit et parla de la faune de son époque. Ha ! S'il savait que les loups chez Christiana étaient des hommes aux mœurs peu louables, que les ours gardaient l'entrée des endroits malfamés et que les lynx étaient des fouines envoyés chez l'ennemi... En tout cas, il s'intéressait aux véhicules énoncés.

- Oui les taxis et les omnibus font du bruit la nuit. Mais ce ne sont pas des bêtes. Ce sont des véhicules de transports. Des... hmm... comment vous expliquez cela, dit-elle en réfléchissant rapidement. Disons que ce sont des charrettes, tout en métal, sans animal pour la tirer. Il y a une chose appelée moteur, qui fait du bruit quand on le fait fonctionner, mais il permet de faire avancer le véhicule. Ce que vous qualifier d'énorme oiseau est un hélicoptère. Cela permet de voler. Vous pourrez en voir un vrai, mais pour cela, il faut partir d'ici, rappela-t-elle.

La conversation cessa car le feu devait être fait et Démétrios avait pris les choses en main. Pas besoin de dire quoi que ce soit. De toute façon, qu'aurait-elle dit ? Elle n'avait rien à dire. Ne savait rien faire pour être utile avec le feu et la caverne. Elle allait devoir écouter, suivre les conseils de Démétrios et patienter. La patience semblait habiter Démétrios. Il préparait le feu avec minutie et une lenteur nécessaire pour permettre les premiers crépitements de feu. Christiana regretta un bref instant de ne pas avoir pris l'habitude de fumer. Au moins, dans son sac, elle aurait eu un briquet ou des allumettes. Penser au fait de fumer lui rappela le boîtier à cigarette, pensée qui s'éclipsa rapidement quand Démétrios énonça le contenu de ton sac, l'étalant sous les yeux de Christiana. Quand elle vit les biens de Démétrios, elle retint surtout le poignard.

Christiana fit de même et ouvrit son sac pour étaler le contenu devant elle. Elle sortit la trousse à maquillage, qu'elle n'utilisait pratiquement pas mais qui était bien utile pour prétexter un repoudrage de nez et une fuite facile. Elle sortit aussi le portefeuille contenant la photo de sa mère, de ses frères et de son père, ainsi que 10 dollars, les bonbons à la menthe, le crayon et le carnet d'adresse comprenant quelques noms et adresse utile en cas de besoin, comme un bon armurier. Puis elle termina avec le petit couteau suisse et le Colt Banker Special chargé de ses 6 cartouches.

- Ces deux-là pourront nous être utile, dit-elle en montrant le couteau suisse et le colt. Ce dernier est fait pour tuer. Malheureusement, je n'ai que 6 cartouches. Donc seulement 6 tirs et donc 6 chances de tuer. Vous savez que vos pièces d'or pourraient rapporter gros à mon époque. Une petite fortune.

Des collectionneurs privés donneraient cher pour en avoir. En plus, une fois fondu, l'or rapportait gros. Christiana le savait. L'idée d'aller à l'époque de Démétrios, d'obtenir une pièce ou deux et de les vendre à son époque, lui effleurait l'esprit. Avec l'argent obtenu par elle-même, sans à avoir par passer au Bacchus, elle se disait qu'elle pourrait avoir un peu plus que les 10 dollars de son portefeuille pour retrouver Kyle.

Le jour se levait peu à peu. Doucement. Le ciel se teintait de rouge. La nature du lieu où ils avaient atterri allait enfin s'offrir à eux. Christiana mit de côté son plan pour obtenir des fonds, remit ses effets personnels dans son sac à main et se frotta les mains près des flammes.

- Je suis curieuse de voir ce qu'il y a hors de cette caverne. Pas vous ? Vous vous y connaissez en feu, est-ce que vous avez des notions en choses comestibles ? Plantes, champignons, fruits... Car c'est bien d'avoir chaud. Mais si on a chaud et faim, nous n'allons pas aller bien loin. Les pièges à lapin peut-être ?



"Le Colt Banker Special et le couteau suisse de Christiana:
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Message  Invité Jeu 14 Mar - 22:07


Les femmes sont inconséquentes

Très surpris, Démétrios écouta Christiana parler avec désinvolture et de Zorvan et du Dévoreur. Qu’elle ne les craignît pas était tout à à son honneur de femme déterminée et lui-même restait persuadé que les deux guides temporels ne leur voulaient aucun mal. Il n’en avait pas peur non plus. Il avait été prévenu qu’il y aurait du danger, il avait accepté de le courir, qu’il y aurait des épreuves, il s’y était soumis volontairement. Mais elle avait une nuance de défi dans ses propos, comme si elle considérait plus ces guides comme des obstacles à contourner que comme des initiateurs à suivre. Même envers Zorvan qui pouvait être exaspérant, il était rempli de respect et même de reconnaissance. Sa vie avait cessé d’être un fil qui se déroulait toujours dans le même sens. C’était maintenant une tresse multicolore où la réalité s’égarait sur les chemins du rêve et où les rêves étaient aussi tangibles que le vécu. Il en avait encore la preuve douloureuse en un endroit de sa personne, certes peu poétique, mais qui justement inscrivait ce qui lui arrivait dans le concret et le trivial. Comment Christiana pouvait-elle se comporter comme s’il n’y avait rien d’extraordinaire dans ce qui leur arrivait? Pis encore, comme si tout cela était juste un moment gênant à passer.

Il ne comprenait pas non plus très bien pourquoi elle affirmait n’attacher aucune importance à la raison de leur présence en ce lieu inconnu. On aurait dit qu’elle était sûre d’avance du résultat de son passage dans l’Antichambre, que ce n’était qu’une formalité ennuyeuse, un caprice irritant de Zorvan, une lubie faite pour l’empêcher d’agir comme bon lui semblerait. Il en était impressionné, mais aussi un peu effrayé. L’arrogance était la faute morale majeure dans son éducation attique. Ne voyait-elle donc pas que ces deux êtres étaient détenteurs de savoirs et de pouvoirs inouïs, capables d’inverser les lois les plus strictes de la Nature. Les simples mortels devaient rester dans leurs limites et ne pas se croire supérieurs à ceux qui désormais réglaient leur destinée. Elle osait même qualifier de "farce" les prodiges qu’elle vivait depuis son entrée dans l’Antichambre. Il se demanda si au XX° siècle, les événements étaient tous si extraordinaires qu’elle en était blasée et que rien ne l’étonnait plus.
La révélation de la nature des taxis et des omnibus corroborait cette possibilité. Des véhicules qui se déplaçaient grâce à un moteur, mot qui sentait le latin et le mouvement, des chars volant sans chevaux ailés, le feu éclairant qu’il avait vu enfermé dans des globes, des villes qui montaient dans le ciel, cela dépassait les inventions de Dédale. Or l’imprudent avait, en défiant la nature des choses, engendré des catastrophes et précipité sa fin et celle d’Icare.
Soupçonneux, Démétrios regarda Christiana avec l’idée que Zorvan lui avait peut-être adjoint cette femelle insolente comme un élément de l’épreuve. Il fallait qu’il observe la mesure pour deux. Pan metron, de la mesure en toute chose, comme le lui avaient enseigné ses maîtres et surtout son aïeul Théramène. Christiana était peut-être, telle une nouvelle Pandore, prête à ouvrir des boîtes qu’il était sage de laisser closes.
Pour l’instant elle ouvrait son sac et la curiosité l’emporta sur la prudence.

Le sac aux trésors

Démétrios avait déjà noté la sophistication de tous les objets venus de l’avenir . Le sac lui-même ne faisait pas exception, le cuir travaillé jusqu’à un poli impeccable, avec des fermoirs en métal poncé, satiné. L’artisan qui l’avait fabriqué devait recourir à des techniques totalement nouvelles. Surprenante aussi était l’absence d’ornements rajoutés, comme si la pureté des lignes et la perfection du travail suffisaient à l’esthétisme de l’objet. C’était un peu comme si on avait trouvé suffisante la forme d’un vase ou d’une statue sans prendre la peine de les peindre pour en assurer la valeur artistique.
Les objets qui sortirent du sac étaient d’une complexité étonnante, assemblage de pièces parfois minuscules, toutes parfaitement ajustées et dans des matériaux qu’il n’identifiait pas clairement. Il vit avec plaisir qu’elle possédait plusieurs photos qu’elle lui laissa examiner. Le portrait d’une très belle femme, qui ressemblait à Christiana, lui plut extrêmement. Elle avait un sourire très doux et charmeur, rempli de grâce féminine. Fardée avec art, elle paraissait devoir être une courtisane de haut vol et, par discrétion, il ne demanda pas qui ce pouvait être. Il reconnut le père et les garçons aperçus dans le Champ des Oublis.
Il y avait aussi un billet de dix dollars, dit Christiana. C'était une sorte de reconnaissance de dettes qu’on pouvait échanger. Il admira la finesse du vélin couvert de dessins et d’un portrait très détaillé, entouré d’écriture et de symboles, mais le carnet et le stylet lui parurent le summun du pratique par rapport à la tablette de bois ou le tesson de poterie. Il s'imagina écrivant sur son carnet, avec cette pointe fine qui semblait courir toute seule.
Lui aussi se sentit soudain extrêmement pressé de partir librement à la découverte du futur. D’ailleurs, ils étaient peut-être déjà dans cet avenir fabuleux et quand ils arriveraient à une ville, il s’achèterait de ces carnets et il noterait toutes ses observations et tout tiendrait dans sa ceinture ! L’or gardait son prestige à travers les siècles. Son statère pourrait certainement lui permettre l’achat de trois ou quatre merveilles d'ingéniosité.
L’exploration du sac reprit, Démétrios tout à fait enchanté et rempli de curiosité.
Les friandises étaient très étranges d’aspect, là aussi très soigneusement présentées, calibrées, sans défauts. Il fallait les conserver précieusement puis que c’était le seul comestible en leur possession.
La multiplicité des petites lames du couteau le ravit. Son frère aurait dû lui en laisser un au lieu de ce bonnet qui avait tant fait sourire le Dévoreur et Zorvan. Mais il fallait aussi admettre que. s’il n’avait pas suivi le Dévoreur, celui-ci n’aurait certainement pas voulu voir traîner un si merveilleux petit objet dans les mains d’un Athénien du temps d’Alexandre.
L’autre objet important était une arme, mais comment l’utilisait-on ? Le tuyau lui rappela d’abord les sarbacanes utilisées par les bergers pour tuer grives et cailles, puis, vu son côté très élaboré, les tubes lance-flamme des dromons de Constantinople. Sa petitesse ne l’empêchait pas de tuer. Ainsi, non seulement les femmes du temps de Christiana dirigeaient-elles des navires, mais elles étaient l’égal des siphonarios, les plus respectés des combattants à bord de la flotte byzantins. Il comprit que l’objet n’avait que six charges, qu'on appelait cartouches. Christiana était peut-être optimiste en pensant que de si petites charges suffisaient à tuer, mais il se pouvait que le feu grégeois ait été amélioré et soit devenu tel un éclair foudroyant. Il remarqua, très impressionné :

- Il faudra garder ces cartouches pour se défendre si nous sommes en danger. Je devrais pouvoir fabriquer des épieux pour chasser. Dites, le tube est-il mortel à chaque fois ? Les cartouches doivent être très petites pour tenir dans un si petit objet. Elles enflamment suffisamment pour entraîner la mort ? comment allume-t-on la charge ?

Prudent, il ne toucha pas au crochet qu’elle lui indiqua tout en lui expliquant sommairement comment fonctionnait l’arme. Finalement c’était plutôt une sarbacane, mais on n’avait pas besoin de souffler dedans.
Il admira aussi la trousse de maquillage dont le rouge à lèvre l’amusa beaucoup, sortant et rentrant sa pointe lisse si on roulait le tube entre les doigts. Christiana, avec des lèvres couleur de rubis ou de framboise...il n’osa pas lui demander une démonstration.

Les hommes manquent de sérieux

D’ailleurs la nuit s’effaçait et il nota que le levant était derrière la grotte. Christiana était pressée de sortir et de trouver de quoi se nourrir. Elle fit appel à ses compétences présumées, ce qui le flatta beaucoup. L'homme doit subvenir aux besoins des êtres faibles. De nouveau il se sentit très fort et se promit d'assurer leur survie coûte que coûte.
Il n’éteignit pas le feu mais regroupa les braises sous la cendre pour les conserver le plus longtemps possible. Le ciel était nuageux sans être menaçant. Il approuva la décision de sortir mais précisa :

-C’est trop tard pour piéger les lapins qui sortent le soir et je ne sais que poser des collets. Et puis il faut trouver un endroit où ils ont des terriers. On ne peut pas espérer en attraper avant deux ou trois jours. Et surtout je n’ai pas de cordelette. Il faudra trouver des lianes solides. Mais sur la côte on ramasse toujours quelque chose à manger. Des coquillages, des crabes, et même des poissons dans les roches. Mais le mieux ce serait de tomber sur des colonies d’oiseaux de mer. Les oeufs sont très bons mais souvent il est difficile d’aller les chercher. Les oiseaux pondent le long des falaises, sur des corniches. Mais on peut quand même avoir de la chance.

Auparavant Démétrios proposa de monter sur la crête : il voulait trouver de forts bâtons et la forêt ourlait le haut de la falaise. On n’entendait plus les bruits violents de la nuit mais des piaillements et des sifflements d’oiseaux tout à fait normaux au lever du soleil.
Le sentier montant était raide et il aida plusieurs fois la jeune femme que sa tenue fort peu adaptée gênait considérablement. Le tissu diaphane qui couvrait ses jambes fut vite zébré de déchirures. Comme il lui tendait la main pour l’aider à se hisser sur une grosse pierre, tombée en travers du chemin bordé d’épineux, il eut une vue plongeante sur le joli visage qui se levait vers lui, la bouche entr’ouverte dans l’effort, et il laissa son regard suivre la ligne svelte du cou et parvint tout naturellement un peu plus bas dans l’échancrure de son corsage. Ce qu’il vit lui plut fort et il sentit une agréable chaleur lui monter aux joues. L’étrangeté des circonstances de leur rencontre avait fait que Christiana n’avait jusqu’ici éveillé en lui aucune des pensées qui naissent spontanément quand un homme côtoie une jeune femme inconnue, riche encore de tous les possibles. En plus, Démétrios aimait les filles aux longues jambes et il avait remarqué d’abord la petite taille de cette compagne imprévue.
Mais à cet instant, lui, la dominant de sa stature et de sa force, elle, semblant si fragile, accrochée à sa main, les yeux levés vers lui, sa féminité révélée par le mouvement qui entr’ouvrait le tissu fleuri, il ne vit plus alors qu’une gracieuse créature qu’il aurait aimé soulever, emporter contre lui dans une étreinte qui n’aurait plus été ce geste de bon camarade venant au secours de celle qu'arrête un simple rocher. Mais elle serra les lèvres et le rejoignit au même moment. Démétrios se contenta d’un :

-Et voilà. Vous vous débrouillez bien !

Il se détourna aussitôt et reprit sa montée, essayant de reprendre son souffle devenu plus court. Il allait devoir passer de longues heures, des jours peut-être, seul avec Christiana et il ne fallait pas rendre les choses difficiles s'i ne l'intéressait pas.
Il eut le plaisir d'apercevoir des chanterelles dès les premiers bosquets. Il s'approcha du bord dégagé où elles poussaient et aussitôt, il s’immobilisa. Sur la droite, au loin, en suivant le bord de la falaise, un mince filet de fumée montait au dessus des arbres.

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Message  Invité Lun 18 Mar - 21:21

Voyager dans le temps... Serait-ce comme passer une journée à Coney Island ?

Avant d'avoir rangé ses affaires dans son sac, Christiana avait laissé Démétrios examiner ses seuls biens. Ses derniers biens. Après tout, ce sac et son contenu étaient tout ce qui lui restait. Elle avait quitté le Bacchus et suivit le Dévoreur sans demander à emporter plus d'affaire. Préparer un sac de voyage ne lui avait pas effleuré l'esprit. De toute façon, l'aurait-elle pu ? Ne s'était-elle pas faite transportée quelques années plus tôt, dans l'usine où la voiture de Jared avait été construite ?
Certes, ce premier voyage dans le temps fut accidentel. Il n'avait eu lieu uniquement parce qu'elle avait légèrement agrippé le Dévoreur à la vue de l'étui à cigarette.
Christiana repensa à ce premier saut dans le temps. Elle avait eu le sentiment que ses pieds ne pouvaient plus sentir le sol, qu'il allait se dérober lorsqu'elle descendrait de la voiture. Ce ne fut pas le cas. Elle avait l'impression d'avoir traversé une tempête, que tout devenait flou et tournoyait. Non. La sensation était plutôt similaire à la remontée de cœur qu'elle avait ressenti dans le Cyclone, les fameuses montagnes russes de Coney Island, quand le chariot descendait à toute allure les fortes pentes. Elle n'y était allée qu'une seule fois et c'était promis de ne plus ressentir ces hauts-le-cœur spécifiques aux descentes des montagnes russes. Et pourtant, elle allait devoir s'y faire ! Elle s'y ferait. Elle le savait, en avait l'intention.
La sensation que tous ses organes intérieurs remontaient n'avait pas été si désagréable quand elle l'avait vécu contre la volonté du Dévoreur. Elle ne l'était pas car elle s'était vite éclipsée à la vue d'un nouveau paysage, marquant ainsi le fait qu'elle s'était déplacée dans le temps et l'espace.
Cette fois-ci, ce voyage jusque dans cette caverne était donc son deuxième voyage dans le temps. La sensation fut présente et vite volatilisée à la vue de la caverne. Le bol d'air frais qu'elle s'était subitement prise en pleine volette avait pas mal aidé. Le sable dans les chaussures avait fait son effet, lui aussi. S'il n'allait y avoir que cela !

Tandis qu'elle refermait son sac, après avoir rangé ses maigres affaires, Christiana répondit aux questions de l'abondante curiosité de Démétrios.

- Les garder pour se défendre est une bonne idée. Ce serait dommage de les gâcher pour chasser alors que vous pouvez faire des épieux. Le tube est mortel chaque fois que le tireur touche mortellement sa cible.

Christiana saisit son colt banker special, poussa le barillet pour le sortir et en retira une cartouche. Fermement tenue entre le pouce et l'index, la cartouche était mise en évidence sous le nez de Démétrios.

- C'est du 38 Colt Police Positive. La charge s'allume ainsi. Mon colt est un double action. Pour tirer, je dois agir en deux temps. Premier temps, on arme le chien en l'abaissant, dit-elle en montrant du le bout du canon au dessus de la crosse. Deuxième temps, on presse la détente et le coup part. Le chien vient percuter l'amorce à l'arrière de la cartouche, expliqua-t-elle en montrant le cul de la cartouche. L'amorce fait je-ne-sais-trop-quoi à la poudre appelée charge propulsive et la balle est envoyée à travers le canon et... à travers toute matière qui se trouvera devant. Vivant comme matériel.

Christiana eut une petit sourire en coin de lèvre quand elle rangea la munition dans le barillet et le colt dans son sac, retournant à ses propositions de pièges à lapin. Cependant, ses idées de lapin à la moutarde sans moutarde furent mises à mal par les envies exploratrices de Démétrios qui s'éveillaient face au levé de soleil. L'aurore rougeâtre laissa échapper un soupire de contentement de la part de Christiana. Elle n'en avait jamais vu de pareil et ne pensait qu'à en partager des milliers avec Kyle.


À bas les bas !
Démétrios s'occupait de préservait les restes de leur feu. Pendant ces quelques secondes, Christiana scrutait la besace de son acolyte et imaginait les pièces d'or à l'intérieur, s'entrechoquant les unes contre les autres tout en faisant un petit tintement métallique. Elle était à deux doigts de proposer à Démétrios de l'accompagner à son époque afin de mieux découvrir sa... vie ? Non ! Ho que non ! Pour mieux découvrir les pièces d'or et ainsi en rapporter quelques unes. Deux étaient un bon nombre. Ainsi, pas de jalousie entre les pièces. Chacune aurait son creux de main pour s'y sentir au chaud. Elles feraient la paire, ces petites pièces. Surtout après avoir été revendue pour une belle somme à un acheteur d'une époque généreuse en billet vert.

Démétrios se releva, proposa plutôt des fruits de mer ou une omelette et sonna l'heure de l'exploration. S'offrit alors à eux un chemin raide, rocailleux et glissant à cause de l'embrun. Elle n'avait vraiment pas la tenue adéquate pour ce genre d'expédition. Jupe et petits talons. Ce n'était pas du tout recommandé pour une promenade en environnement inconnu, sûrement hostile et probablement dénué de toutes civilisations urbaines. Le vent redoublait de puissance et Christiana ne fut pas mécontente d'avoir coincé sa voilette, qui ne pouvait plus lui fouetter le nez. Au moins, c'était cet embêtement en moins. C'était sans compter sur ceux à venir. Ses bas en étaient témoins. D'abord filés, puis finalement déchirés, le nylon en avait pris un coup. DuPont, le fabriquant de ses bas, promettait dans ses réclames que les bas ne filaient plus. Ha ! La finesse et la légèreté étaient bien au rendez-vous. Mais pour ce qui était de la résistance, elle était aux abonnés absents. Aux premiers rochers à escalader, les bas de Christiana partaient en morceaux. Ce qui éveilla en elle de multiples grognements. Christiana vociféra intérieurement contre DuPont. Elle se répétait qu'ils auraient mieux fait de rester dans l'industrie de la poudre à canon et laisser les jambes des femmes en paix. Les critiques s'écroulèrent sur DuPont et ses bas de piètre qualité. Christiana était si remontée contre ces bas qu'elle pensait vraiment solides, qu'il ne lui vint même pas à l'idée que l'objet de son mécontentement n'étaient tout simplement pas fait pour la nature sauvage mais plutôt pour la jungle urbaine.
L'escalade du dernier rocher fut la fin définitive de son bas droit, qui ne couvrait plus du tout son mollet tellement il était filé et déchiré. Tandis que Démétrios lui offrit quelques mots encourageants et probablement voulus comme réconfortants, Christiana leva les yeux et lâcha un soupire dû à l'effort. Une fois le rocher passé, elle resta sur place, les mains sur les hanches, la tête jetée en arrière, tentant de reprendre son souffle. Quand elle baissa les yeux et vit ses jambes, elle soupira de lassitude. Ses mollets n'étaient pas seulement à nu, ils étaient aussi légèrement égratignés. Elle passa une main sur ses bas et constata le désastre.

- Retournez-vous, ordonna Christiana à Démétrios. Maintenant. S'il vous plaît... et ne bougez pas. Merci.

Le « s'il vous plaît » et le « merci » furent libérés avec beaucoup d'effort car sur le moment, Christiana n'était pas d'humeur aux bonnes manières mais plutôt encline à arracher les bas et se passer les nerfs dessus. Quand enfin Démétrios regarda ailleurs, elle observa les alentours pour s'assurer qu'aucune autre âme errait dans le coin. Tout en gardant un œil sur Démétrios, elle releva sa jupe, détacha ses bas de son porte-jarretelles et les laissa glisser avant de remettre sa jupe convenablement. Elle retira ses chaussures, puis les bas et remit ses chaussures.

- C'est bon, vous pouvez vous de nouveau boug...

Moi Cracheuse de feu, lui Génie du feu. Toi être qui ? Grrr
Christiana s'approcha de Démétrios, qui ne bougeait toujours pas. Il lui montra d'une main la fumée qui s'élevait dans le ciel. C'était un mince filet. Ses bas en main, ses jambes à nu, Christiana observait la fumée.

- Deux possibilités. Soit ce sont les restes d'un feu naturel, soit c'est d'origine humaine. Vu la finesse de cette fumée, je pencherai pour la deuxième. A moins que le feu d'origine naturelle ait été vraiment très très petit. Je me dis qu'aller voir n'est pas une mauvaise idée. Pas vous ?

Ce fut d'un pas motivé, sans attendre l'avis de Démétrios, que Christiana s'élança vers ce point de fumée, bien décidée à peut-être croiser un être humain. Elle espérait fortement que ces potentiels êtres humains aient en leur possession un véhicule ou une carte, ou n'importe quoi qui pourrait les rapprocher de la civilisation. Elle ignorait ce qu'ils allaient pouvoir trouver de l'autre côté des arbres. Mais cette fumée était un signe d'activité quelconque.

Elle n'avait jamais marché aussi vite depuis le début de leur exploration. Il fallait dire que le sol était bien plus praticable que celui du chemin emprunté plus tôt. Même si les petits talons de ses chaussures la dérangeaient toujours, il n'y avait plus de rocher ou de branchage pour lui égratigner les jambes. Démétrios n'avait pas besoin de trop presser le pas pour la rattraper ni pour tenir sa cadence. Christiana n'allait pas bien vite. Juste... plus qu'elle et ses petites jambes en avaient l'habitude. Il fallait dire que mademoiselle était toujours transportée en voiture. Jamais elle ne marchait dans New York. Jamais elle ne prenait les transports en commun. L'usage de ses jambes et de ses pieds se résumait à aller d'une pièce à l'autre, d'une porte d'entrée à la portière d'une voiture.

Après quelques minutes de marches, ils furent enfin à proximité de la fumée. Pas seulement de la fumée. Il y avait aussi un petit groupe d'homme... des cavernes ! Le visage de Christiana se décomposa. Ses yeux étaient écarquillés. Tout autant que ceux des hommes préhistoriques qui tournaient en rond autour d'un foyer éteint, tandis qu'un autre brandissait une torche éteinte, elle-aussi, tout en poussant des cris proches de la lamentation. Le vent soufflait terriblement. Ils semblaient être dans un courant d'air bien fort. Si fort que la voilette de Christiana sortit du ruban du chapeau et reprit sa place, devant son visage.

- Quand sommes-nous ? Demanda alors Christiana.

Enfin ! Enfin elle se souciait de l'époque où ils avaient atterris.

Les cris des hommes cessèrent. Ils fixaient maintenant Christiana et Démétrios.
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Message  Invité Ven 5 Avr - 1:03

La réaction de Christiana surprit une fois de plus le Grec. A la vue de la fumée, elle s'était élancée vivement sur le chemin serpentant sur le haut de la falaise comme si elle était sûre d'avance de l'accueil qu'on lui ferait.[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]
Ce n'était qu'une piste incertaine comme celles que laissent les animaux se rendant à un point d'eau ou vers des lieux de pâturage. La forêt bien que très feuillue, offrait une végétation de sous-bois assez dispersée, mousses et  lichens qui sentaient le climat frais et humide. Des conifères aux fortes odeurs de résine descendaient dans les échancrures des falaises jusqu'aux éboulis bordant les plages. Démétrios avait vu des paysages de ce genre dans le haut pays Thrace mais l'été y était très chaud  et la végétation d'ci était celle de la belle saison. En y repensant, la nuit aussi avait été bizarre, avec une sorte de lumière diffuse montant de l'horizon et maintenant le soleil levé restait plus bas que la normale. Pythéas de Marseille avait parlé de ces jours sans fin rencontrés vers les pays hyperboréens et du froid glacial de l'hiver où la nuit régnait. Interrogés, les Varègues d'Aparadoxis avaient confirmé les dires du navigateur grec. Se pouvait-il qu'ils aient été tous deux projetés là-haut, plus haut que les sources du Boristhène ?
Et voilà que Christiana décidait de partir comme une chèvre échappée ! Il s'était attendu à une concertation sur la meilleure façon d'aborder un groupe d'inconnus. L'ignorance de l'endroit où ils étaient devait les inciter à la plus grande prudence. Ce pouvait être des brigands, une peuplade barbare, des guerriers en maraude, des marchands d'esclaves. Si le pays était en guerre, on pouvait les prendre pour des espions. Il fallait observer de loin avant de se précipiter. Et si Zorvan les avait envoyés dans le futur, même si ce n'était pas forcément celui de Christiana, ces individus possédaient sans doute des armes encore plus puissantes que son....colt. Oui c'était ainsi qu'elle appelait la petite chose qui tuait d'un coup à distance. Alors, ne faudrait-il pas mieux atteindre un village où on aurait plus de chance de se faire entendre en parlant commerce par exemple, qu'auprès d'une troupe isolée dans la nature? Le plus probable, étant donné l'unique et mince filet de fumée, était qu'il s'agissait d'un campement de chasseurs peu nombreux.. encore fallait-il d'abord s'en assurer. Mais la jeune femme irréfléchie s'était déjà éloignée. En pensant aux cris des bêtes sauvages entendus durant la nuit, Démétrios eut un geste d'exaspération. Il lui fallait un épieu. Son poignard ne pourrait que difficilement venir à bout ne serait-ce que d'un sanglier. Les sages avaient raison, les femmes sont des têtes sans cervelle et comme disait Platon qui croyait à la métempsychose  "ce qu'une femme peut espérer de mieux c'est de devenir un homme." Il la héla mais le vent soufflait en bourrasques et emporta ses paroles.

Un grain s'annonçait, montant rapidement de l'horizon marin. La mer était devenue gris acier et menaçante, avec de courtes vagues hargneuses courant vers la côte comme pour attaquer d'invisibles ennemis massés sur les grèves. Christiana s'éloignait. Démétrios ramassa une branche assez grosse, à peu près droite et dont la pointe s'était cassée en biseau. Il faudrait se contenter de cette arme improvisée. La tenant fermement en main, il s'élança à la poursuite de la demoiselle qu'il rattrapa très vite car elle commençait déjà à s'essoufler n'ayant visiblement pas l'habitude de courir. Il l'avertit aussitôt :

-Il faut nous cacher pour observer qui a fait ce feu. Et puis, il va y avoir de l'orage. On ferait mieux de chercher un abri.. toute la falaise est remplie de trous où s'abriter . Et puis..

Mais elle ne l'entendait pas  et poursuivait sa marche dans le tumulte grandissant. Quelle entêtée femelle ! Des embruns fouettèrent leurs visages et Démétrios vit qu'il avait plu dans la zone où ils arrivaient, une de ces ondées précédant le gros de l'orage. La végétation ruisselait en se tordant sous les rafales. Quelle idée il avait eu de suivre Christiana. Il aurait dû la prendre sous son bras et la ramener de force vers la grotte où ils avaient passé la nuit .
Ils arrivèrent devant une brusque déclivité et en contrebas s'ouvrit une sorte de terrasse rocheuse qui dégagea brusquement la vue. Ils s'arrêtèrent à la lisière des arbres. Le ciel noir roulait d'énormes nuages qui se pressaient comme un immense troupeau de cavales en furie sorties des ombres de l'Hadès. Dans l'espace ouvert devant sa ruée,  le vent de tempête s'engouffrait en forcené, se déchaînait en hurlements stridents. Des zébrures de pluie voilèrent la mer où les vagues s'ourlaient d'écume menaçante. Une seconde averse courait vers l'ouest
Mais ce qu Démétrios et Christiana regardaient, c'était en bas de la pente, une demi-douzaine d'hommes en proie à une sorte de panique.Ils étaient vêtus grossièrement de fourrures et de peaux mal taillées que la pluie récente plaquait misérablement sur leurs silhouettes courtes et râblées. Ils levaient les bras au ciel en vociférant et en se lamentant devant un feu éteint vraisemblablement par la première averse. L'un d'entre eux fouillait fébrilement le tas de tisons noircis et essayait d'en préserver quelques uns en les plaçant entre des pierres plates dressées en cône. Un autre soufflait sur ces débris mais ils ne fumaient même plus. De sous l'endroit ou se trouvaient les voyageurs montaient entre les glapissements du vent, des cris de femmes , des pleurs d'enfant .
Démétrios essayait de comprendre. Leur feu éteint les consternait , c'était évident. Etaient-ils sauvages au point de ne pas savoir faire du feu ? Oui, ce devait être de ces hommes-bêtes dont parle Hérodote.
La voix de Christiana le surprit et sa question le laissa perplexe. Quand sommes-nous ? Mais il n'en savait rien ; des hommes-ours étaient signalés de son temps vers les terres froides et des hommes-singes vers le haut Nil. Ceux-là qui s'agitaient en bas tenaient un peu des deux.
Un éclair zébra le ciel suivi aussitôt d'un violent coup de tonnerre. Les hommes parurent ragaillardis ; ils commencèrent à danser sur place et celui qui tenait une torche, un simple bois  poisseux de résine, la leva vers le ciel en criant un mot que Démétrios entendit sans comprendre : Fa hi ! Fa-Hi . Apparemment le traducteur zorvanien ne fonctionnait ici qu'entre les voyageurs.. Les autres reprirent  Fa-hi ! Fa-Hi ! d'abord en désordre, puis peu à peu créant un rythme qui se précipita, devint haletant, martelant le mot comme un lugubre cri d'angoisse. Du pied frappant en cadence le sol, rejetant la tête en secouant leur épaisse toison emmêlée, tournant sur eux-mêmes dans une sorte de transe sur fond de grondements de tonnerre, tous levaient les yeux au ciel . Démétrios tira Christiana en arrière mais trop tard .Les hommes les avaient vus.
La pluie arrivait en trombes rugissantes. Fa-Hi ! Fa-hi ! hurlaient les voix disloquées par le vacarme. Les danseurs s'étaient figés mais continuaient leur incantation. Fa-hi! Fa-Hi !

Il devenait dangereux de rester sous les arbres. Il fallait descendre. Démétrios saisit la main de Christiana dont la voilette était retombée et se plaquait sur le visage et l'entraîna sur la pente devenue glissante d'eau boueuse. Les hommes s'étaient jetés à genoux à leur approche, se tenant la tête à deux mains, hululant de peur et d'espoir mêlés.
Démétrios brandit son épieu et lança un Fa-Hi ! retentissant presque aussitôt couvert par le fracas d'un éclair qui  s'abattit non loin du campement. Une large et profonde anfractuosité dans le rocher abritait le reste du groupe. Il y entra, toujours tenant la main de Christiana. Le femmes se jetèrent face contre terre, les enfants criaient de frayeur.

-Je crois que nous sommes les dieux du vent et de la pluie ou quelque chose d'approchant.,
dit Démétrios avec une sorte de grimace de soulagement encor incertain. Mais au moins on est au sec.
Et avisant des branches sèches accumulées dans un coin, il ajouta :

- Fa-Hi va faire du feu.
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Message  Invité Mer 17 Avr - 20:29

Démétrios n'avait rien répondu à la question de Christiana. Le pouvait-il ? Avait-il une réponse ? Probablement que non.
Les individus qu'elle avait devant elle n'avait pas la physionomie d'un humain comme Démétrios et elle. Ils étaient si primitifs, velus... La découverte de ces hommes du passé permirent à Christiana de déterminer une chose : il était dans un passé lointain, qui était aussi un passé pour Démétrios. Christiana et l'école avaient toujours fait deux. La Christiana n'avait que faire des cours d'histoire. Elle préférait les mathématiques, les additions surtout. Additions qu'elle révisait souvent avec son père, avec des chiffres de la comptabilité du Bacchus.
Elle se rapprocha de Démétrios, tout en se mettant légèrement derrière lui, un peu en retrait au cas où ces êtres de la préhistoire n'aient des gestes trop brutaux à leur égard. Puis elle lui dit à voix basse :

- Je pense que nous sommes dans un temps qui est le passé pour mon époque mais aussi le votre. Je crois que... à moins que des êtres primitifs et physiquement peu similaires à vous et moi ne se cachent dans un coin reculé de mon époque... je crois que nous sommes dans un temps plus ancien que le votre.

La pluie se faisait de plus en plus forte. Pour Christiana, cela allait être la deuxième averse prise dans ces vêtements. Ils allaient sentir le linge mal séché. A moins que son odeur corporelle ne finisse , à un moment donné, par camoufler celle de ses vêtements. Christiana ignorait combien de jour s'étaient écoulés depuis sa rencontre avec le Dévoreur et le début de l'aventure. Pour le moment, elle ne sentait rien de désagréable sur elle-même. Enfin si. Elle sentait la pluie de bord de mer. Elle fut sortie de ses songes hygiéniques par l'énorme Fa-Hi que venait de crier Démétrios. Elle sursauta même face à cet élan de communication primitive. Les yeux écarquillés, la bouche bée, elle dévisageait Démétrios.

- Vous tentez de faire du copinage avec ces indigènes ? Demanda-t-elle en le voyant s'engager vers l’abri du groupe.

Un abri signifiait pas de pluie sur la tête. Même si elle allait devoir se mêler avec la faune locale, Christiana suivit Démétrios et l'entendit parler de divinité. Il émit l'hypothèse que ces hommes, s'ils pouvaient être qualifiés ainsi, les prenaient pour des dieux. A défaut de ne plus être la princesse du Bacchus, elle était maintenant Déesse d'un temps inconnu. Christiana arbora une mine réjouie.

- Être leur déesse ? Hmm... pourquoi pas ! Si cela peut leur faire plaisir et les faire cesser de crier.

Pendant que Démétrios entreprit de faire un nouveau feu, Christiana joua la carte de la déesse à fond. Une idée lui traversa l'esprit. Elle sortit son Colt Banker Special et abaissa la crosse. Elle s'approcha de l'extérieur. La pluie lui chatouillait le visage. Derrière elle, Démétrios usait de sa pyrite pour refaire un feu. En frappant sa pyrite avec un silex, des étincelles rougissaient la mousse sèche présente sur les branchages stockés dans un coin de l'abri. Christiana pouvait entendre les « clac » résultant du choc entre les deux minerais. Puis tout d'un coup, les cris changèrent de ton. Le Dieu Fa-Hi avait ressuscité le feu. Ses adorateurs poilus allaient pouvoir le vénérer. Christiana, son colt toujours en main, se tourna pour mieux voir la scène. Démétrios était debout au milieu du groupe d'autochtones qui levait les bras et poussaient des cris de joie. Voilà Démétrios élevé au rang de Dieu du feu. Il venait d'apporter réconfort et joie au groupe. Un sourire malicieux apparut sur le visage de Christiana, qui voulait elle aussi une part de divinité. Elle interpella Démétrios avec un « hep Fa-hi ! » et agita son colt.

- Vous voulez une petite démonstration ? Approchez et observez.

Elle refit face à l'extérieur et attendit. Silencieuse. Elle écoutait le ciel, le bras tendu, arme en main, visant la grosse souche qui se trouvait juste en face d'elle. Quand le ciel fut silencieux, qu'aucun éclair ne retentit, elle pressa la détente et le coup partit. La balle alla se loger dans la souche. Le bruit du coup de feu avait raisonné dans la forêt silencieuse. Derrière elle, les autochtones ne faisaient plus un bruit. Christiana venait de faire rugir le tonnerre avec son arme. Pour les autochtones, si Fa-Hi faisait le feu, Christiana faisait la colère du ciel.

Elle venait de gaspiller une cartouche uniquement pour... fanfaronner et se faire déifier. C'était une stupidité dont elle aurait pu se passer. Mais elle était contente d'elle. Elle ne rangea pas son arme aussitôt. Le canon était chaud. Elle invita alors Démétrios à aller examiner la souche, prendre note de l'impact. Ce qu'il fit sans hésitation, malgré la pluie, poussé par la curiosité du résultat obtenu par l'étrange arme que sa co-voyageuse appelait Colt Banker Special.
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Message  Le Dévoreur de temps Jeu 18 Avr - 23:11

HRP:
Spoiler:
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Mais lorsqu'il s'approcha du tronc d'arbre, Démétrios put distinctement entendre celui-ci gémir doucement. S'il n'avait pas la cognition animiste des shamans du grand boréal, son esprit ouvert n'excluait rien totalement tant que l'absurdité n'était pas absolument avérée. En l'occurrence Christiana avait usé d'une arme au sujet de laquelle elle se vantait de pouvoir tuer et blesser. Il ne pouvait donc totalement exclure que la souche protestait et souffrait mais lorsqu'il la contourna, il mesura l'horreur de la situation: un enfant aux cheveux hirsutes se tenait le flan, hébété, presque terrorisé et les yeux brillants de larmes, semblait le supplier de ne pas le blesser davantage.

- Kalami ma tapouta kokilo kété !!! kokilo kété !

Puis, avec son autre main, il aplanit la terre humide devant lui et frénétiquement, il se mit à dessiner. Démétrios aurait certainement voulu s'inquiéter tout de suite de cette vilaine blessure provoquée par sa compagne de voyage mais l'enfant semblait le supplier de regarder ses arabesques et pointait en se retournant sans cesse, un point au delà de la forêt.

-Kokilo kété ma tapouta ! Mamootaa! Mamootaa!

Le Grec se grattait la tête, bien ennuyé. En se penchant sur l'oeuvre primitive, peut-être y avait-il bien vu une des ces bêtes dont il avait entendu parler par son cher moine byzantin, les éléphants d'Hannibal qui avaient passé les Alpes ou presque. Peut-être bien même avec de plus longues défenses. Mais il ne comprenait peut-être pas trop ce que le malheureux enfant baragouinait . Alors qu'il songeait sans doute à esquisser un geste pour rassurer le jeune enfant et le convaincre de se laisser soigner, Christiana arrivait en courant toute essoufflée derrière lui.

- Vous ne devinerez jamais ce que j'ai trouvé dans mon sac en rangeant mon colt ...

Elle s'interrompit et écarquilla les yeux, prenant sans doute la mesure des conséquences de son geste en voyant le flanc ensanglanté que l'enfant pressait d'une main. Elle avait, quant à elle, dans sa main, un petit boîtier avec un bouton rouge qui ressemblait à un poudrier fermé. Lorsqu'elle l'ouvrit, elle ne put que plisser les yeux et lire ce qui s'affichait dans sa langue natale. Les instructions d'utilisation de ce qui était un traducteur universel venu du futur et offert par le Dévoreur en récompense de leur vaillance. Ultime cadeau avant leur grand départ pour les couloirs du temps. Il était clairement indiqué que si on enclenchait le bouton rouge lorsque une assemblée de personnes parlant des langues différentes se réunissait, chacun entendait les propos des autres dans la sienne propre. Le Dévoreur avait conclu son message par une "Bonne chance à vous et remerciez Zorvan si vous le croisez à nouveau un jour, c'est à lui que nous devons cette technologie et d'ailleurs, si vous vous comprenez tous deux bien que vous ayez quitté l'Antichambre depuis un moment, c'est parce qu'il vous suivait par l'esprit et traduisait vos dialogues. A présent vous serez vraiment seuls. Soyez prudents! PS: pensez à désactiver le traducteur lorsque vous n'en avez pas l'usage. Il se recharge à l'énergie solaire, donc pensez à l'exposer à la lumière du jour pour le recharger. VS."
Spoiler:
Soudain le jeune garçon se remit à crier de plus belle, complètement affolé:

- Les mammouths sont venus dans mon village ! Ils ont écrasé toutes les huttes et tué presque tout le monde... C'est à cause des chatsabres... Ils vont sentir mon sang et venir tous nous tuer ! On va tous mourir ! Mourir !


Un des hommes du groupe sortit alors de la caverne et hurla en gesticulant, faisant mine de chasser l'enfant :

- Les chatsabres ? Tu dois partir !!!! Va t'en, ton sang va les attirer ! Va loin d'ici où nous allons te jeter dans la grande eau !
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Message  Invité Ven 19 Avr - 0:28

Christiana avait lu le message laissé par le Dévoreur. D'abord dans sa tête, puis à haute voix pour le partager avec Démétrios. Les voilà donc seul, sans que l’œil de Zorvan ne plane au-dessus d'eux. Christiana ne put s'empêcher de sourire. Un sourire satisfait accompagné d'une étrange lumière dans son regard. Cette lumière n'avait rien de rassurant. Elle referma l'objet qui s'ouvrait comme son poudrier et d'un coup de menton, pointa le sac de Démétrios pour l'inciter à regarder dedans.
S'il y en avait un, tant mieux pour Démétrios. S'il n'y en avait pas, tant pis pour lui. Elle ne comptait pas partager à la suite de cette halte dans la préhistoire. D'une manière ou d'une autre, elle se débrouillerait pour quitter Démétrios en emportant le précieux traducteur qui se rechargeait au soleil. Cette manière de s'alimenter étonna Christiana. Elle avait tourné et retourné l'objet pour chercher un fil pouvant se brancher sur une prise de courant. Mais il n'y avait rien. Elle ne tendit pas l'objet à Démétrios. Elle se contentait de l'exposer à son regard, loin de ses mains. Puis rapidement, elle le remit dans son sac pendant que Démétrios baissait les yeux pour examiner le contenu de son sac.

- Vous devriez regarder s'il n'y en a pas un qui accompagne vos effets personnels.

Elle contourna Démétrios tout en gardant une main sur son sac où le précieux traducteur avait été rangé. Loin de la portée de main de Démétrios signifiait loin de toutes ses potentielles tentatives pour obtenir l'objet s'il n'en avait pas obtenu un. Puis, Christiana se pencha vers l'enfant.

- Je n'ai pas voulu cela. Mon père appellerait cela une « putain de salle balle perdue ».

Elle soupira et secoua la tête face à sa bêtise. Que dirait Kyle s'il la voyait dans une telle situation ? Il serait sûrement déçu d'elle. Même si elle n'était pas d'une morale parfaite, Christiana n'était pas pour autant une tueuse d'enfant. Les mafieux ont une morale. La leur. Celle qu'ils veulent bien se donner. Tuer ou blesser des enfants ne faisait pas partie de celle des Von Carter. Blesser par balle des adultes innocents étaient le cadet des soucis de George Von Carter. Blesser un enfant c'était une autre histoire.

- Il faudrait regarder sa plaie, dit-elle en se penchant davantage et en observant le dessin.

Appuyer sur le bouton rouge comme indiqué dans la notice fut un formidable retournement de situation pour eux. Ils pouvaient communiquer avec les autochtones. Et les premiers mots traduits ne furent pas des plus rassurants. L'enfant s'égosillait en parlant de mammouth et de chatsabre. Elle s'agenouilla à côté de lui et lui demanda ce qu'était un chatsabre. Elle n'eut aucune réponse. Le petit se faisait déjà agresser et rejeter par les siens, apeurés à l'idée que son sang n'attire les bêtes. Le jeter dans la grande eau ? Cela sonnait comme les menaces de son père : « payez ou vous goûterez à l'eau de l'Hudson ». Christiana se releva brusquement et fusillait le groupe du regard. Elle s'approcha d'un pas ferme vers eux et s'écria :

- Taisez-vous !

Sans ce soucier de l'impact de son ordre sur le groupe, elle attrapa l'enfant par le bras et le souleva pour le forcer à se lever. Elle l’entraîna à l'intérieur de l'abri et le fit asseoir dans un coin. Puis elle s'adressa à Démétrios :

- Si le petit ne saigne plus, l'objet de leur peur ne viendra pas. Et nous, nous pourrons continuer notre route. Je n'ai que mes bas pour servir de pansement. Et... il y a aussi... hésita-t-elle en tâtant le bout des manches de son chemisier, les manches de mon chemisier...

En finir avec cette dernière épreuve et premier voyage temporel puis entamer ce qu'elle avait en tête grâce au gadget du futur... voilà ce qui était le plus important pour elle. Pourtant elle pensa au petit blessé.

- Démétrios, quelles sont vos compétences en soin ?
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Message  Invité Dim 21 Avr - 18:43

Entre Physis et Physique.

Poussé par la curiosité et l'injonction de Christiana, il s'était approché de la souche. Mais l'arme du futur l'avait déçu. Certes, il avait sursauté à la détonation, mais le bruit localisé, très vite éteint dans le rugissement du vent, semblait peu efficace pour stupéfier durablement l'ennemi. Même si quelques éclats de bois et de mousse avaient jailli du vieux tronc, on en faisait autant avec une fronde, le bruit en moins. Certes, si le projectile était bien parti se loger dans la souche, ce pouvait en effet être mortel à condition de pénétrer dans le coeur ou la tête de la cible.
Le rationalisme de Démétrios fut satisfait que l'arme de Christiana ne soit pas une sorte de foudre divin, comme celui de Zeus, capable d'incendier des chênes. Christiana ne le frappait pas par une majesté olympienne et il aurait été déçu d'avoir à trembler devant un être sacré qui ne lui arrivait qu'à hauteur de l'estomac.
Et puis,grâce à son passage au IX° siècle, il savait qu'un produit noir venu d'orient permettait aux hommes de rivaliser avec les effets pyrotechniques des forges même d'Héphaistos. La légende les plaçait sous le volcan Etna en Grande Grèce et Démétrios en avait observé les effets lors d'un passage à Catane, le port fondé par ses compatriotes. Il n'avait rien d'un barbare superstitieux, tels ces malheureux,i ahuris tout autant de le voir allumer un foyer que d'entendre le Colt imiter le tonnerre. Il s'estimait capable de distinguer un effet purement matériel d'un mystère de la nature à connotations possiblement surnaturelles..
C'est pourquoi quand il entendit les plaintes qui venaient de la souche atteinte, il eut à la fois le sentiment d'une anomalie,et la certitude qu'une solution rationnelle ne s'imposait pas forcément. Les cloisons entre les choses et les êtres étaient perméables et souvent illusoires. Il n'avait pas de preuves de l'existence des centaures ou des harpies mais il ne refusait pas la possibilité de leur existence. Les noirs nuages de l'orage pouvaient bien gronder d'une voix de géant; pourquoi donc un arbre n'aurait-il pu, dans certaines conditions, se plaindre de l'outrage reçu ? Il ne fallait pas repousser l'idée que les choses puissent avoir une voix et que des esprits habitent les arbres. Qui pouvait prouver que cela ne soit pas ? Il avait beaucoup rêvé aux dryades, nymphes des forêts, dansant au clair de lune, égrenant le cristal de leurs rires dans le murmure des sources, plongeant leur regard d'émeraude dans le miroir sylvestre des étangs. Certes, en lui, l'élève d'Aristote savait bien qu'il ne suivait que les fantasmes de son imagination, toujours prête à peupler son univers intérieur de ce qu'il ne trouvait pas dans le monde réel. Mais il était Grec, du temps où la nature, à peine encore objet de raison et et de science, demeurait avant tout une immense force palpitante, le souffle des dieux, l'élan de toute existence vers sa réalisation harmonieuse dans l'ordre du cosmos. Démétrios sentait vivre le monde comme un énorme champ de possibles. La raison pouvait en éclairer certains endroits, mais la raison était humaine et le monde divin. Son panthéisme émotif naissait de l'enthousiame devant la beauté souveraine de la nature, et aussi de l'amertume devant la sereine indifférence du Tout, dont il se sentait, en tant que conscience individuelle, à jamais exclu.
Il était donc prêt à croire l'incroyable, pour peu qu'il se manifestât devant lui, et le prodige d'une souche gémissante ne lui paraissait finalement pas plus étonnant que la course des astres dans le ciel ou les pluies d'étoiles filantes par certains soirs d'été.
C'est pourquoi, si l'hamadryade, esprit locataire possible de l'arbre dont il ne restait que la souche, devait logiquement être morte depuis longtemps, restait possible l'existence d'une dryade apparaissant, humide et nue, dans la pénombre de la futaie, surprise, alors qu'elle reposait, par la brutale intervention des hommes.

L'enfant blessé

La découverte d'un jeune barbare, aussi peu toiletté que les adorateurs de Fa-Hi, remit les choses à leur place et la dryade au rang des songes. Le jeune garçon pleurait de peur et de douleur et du sang tachait la main qu'il tenait pressée sur sa hanche. Mais cela signifiait qu'il n'avait qu'une blessure peu profonde. S'il avait été atteint au ventre, il se serait tordu de souffrance atroce, alors qu'il se tenait accroupi et parlait distinctement dans une langue inconnue. Démétrios tendit la main pour l'aider mais fut intrigué par son comportement très agité, car voyant qu'on ne le comprenait pas, le blessé s'était mis à dessiner une silhouette dans la terre détrempée par la pluie. Pas de doute, c'était un éléphant, le porteur d'ivoire, comme le décrivaient Aristote et les soldats d'Alexandre, récits confirmés par le savant Nestor.
Il fallait rassurer l'enfant, aussi le Grec, montrant le dessin, hocha-t-il plusieurs fois la tête pour montrer qu'il avait compris :

-Oui Oui ! c'est un éléphant !

Et comme le petit répétait : "Mamootaa , Mamootaa!" Démétrios reprit : Mamoota ! sans savoir si c'était le nom de l'animal ou celui de l'enfant qui se présentait ainsi. Le petit sembla soulagé et renifla en s'arrêtant de pleurer. Son regard noir effrayé se fixa sur le sien, suppliant, appelant à l'aide et Démétrios se dit qu'il fallait le porterà l'abri et voir l'étendue de la plaie.
Christiana arriva juste à cet instant, très excitée et assez peu préoccupée par la découverte d'un blessé.
Ce qui l'agitait était une boîte qu'elle montra sans la lâcher, puis qu'elle ouvrit, et dès qu'elle eut appuyé sur une petite bosse rouge, Démétrios eut la surprise de comprendre le flot de paroles que l'enfant reprenait avec la même insistance affolée.
Les mammouths ! Mamootaa ! Ses paroles n'étaient cependant pas très cohérentes quant aux raisons de sa terreur. Des éléphants mamootaa avaient détruit son village et tué les habitants, suivis ou précédés de Chats-Sabres. L'enfant craignait que l'odeur de son sang n'attire ces animaux inconnus et apparemment féroces, ce qui fut confirmé par la réaction d'un Fa-histe sorti de la caverne et qui voulut chasser l'enfant.
Le danger semblait réel et Démétrios s'apprêtait à demander des explications puisqu'on se comprenait de nouveau, mais Christiana était tellemnet absorbée par sa boîte qu'elle l'interrompit en lisant à voix haute ce qui devait être gravé à l'intérieur et qu'elle présenta comme un message du Dévoreur;

La boite à paroles

Outre l'utilité immédiate de l'instrument, Démétrios retint surtout que le Dévoreur les jugeait vaillants et capables de se débrouiller sans Gardien. Il en fut plus fier qu'heureux et plus attristé que satisfait. Il aimait bien la vie mouvementée et les prodiges étonnants qu'il avait connus dans l'Antichambre et il aimait bien aussi Zorvan ,malgré ou peut-être à cause de son humour grinçant et son sens particulier de l'accueil. Il regrettait aussi que le Dévoreur ne se soit pas rendu visible mais le Voyageur avait dit qu'il le reverrait et il n'y avait qu'à continuer jusqu'à ce qu'il vienne en personne, dans son grand manteau noir, leur expliquer ce qu'il attendrait d'eux.
Malgré l'invitation de Christiana, Démétrios n'était pas trop pressé de vérifier dans sa ceinture s'il avait le même appareil ou si le Dévoreur n'en avait mis qu'un seul à leur disposition. Si Le Dévoreur voulait qu'il ait aussi un appareil, il l'avait déjà ou en aurait un le temps voulu. S'il ne leur en avait laissé qu'un, c'était qu'il avait ses raisons, à commencer la poursuite en équipe de leur aventure actuelle. Un seul traducteur leur était alors nécessaire. Il se sentait irrité par la sorte de précipitation que montrait la femme à s'approprier un objet au lieu de le mettre en commun. Ce qui lui semblait une indication qu'il n'y avait qu'un traducteur était que dans le message, tout était au singulier pour le traducteur et au duel pour les utilisateurs : .. un traducteur universel offert par le Dévoreur en récompense de leur vaillance. Ultime cadeau ( au singulier) avant leur grand départ ... pensez à désactiver le traducteur lorsque vous n'en avez pas l'usage. Il se recharge à l'énergie solaire, donc pensez à l'exposer à la lumière du jour pour le recharger.

Christiana était devenue étrangement méfiante à son égard – elle n'avait même pas voulu qu'il touche l'objet. Et quelle prudence mesquine à garder ainsi la main sur son sac comme si lui, Démétrios, était un voleur ! Petite mentalité de marchande à l'étalage, qui surveille ses navets et ses trois sous...Il ne regarderait pas s'il en avait un, non, pas tout de suite, Il ferait confiance au Dévoreur. Après tout, elle devait mieux que lui savoir utiliser ces appareils et elle avait le caractère typiquement féminin de se précipiter comme elle l'avait montré en courant sans réfléchir vers un campement inconnu et ensuite en utilisant une de ses précieuses munitions pour un motif peu clair, vu que les barbares ne leur avaient manifesté aucune hostilité. Il tira de sa ceinture la pochette de toile où reposait son maigre bagage et allait l'ouvrir quand Christiana décida de s'intéresser à l'enfant, houspilla le groupe qui jacassait derrière celui qui parlait de jeter le petit à la mer et, sans ménagement, tira le blessé par le bras pour le conduire à l'abri.

Soins au blessé

Démétrios qui s'apprêtait à prendre l'enfant dans ses bras, se dit que décidément, cette femme de l'avenir aimait prendre la direction des opérations, quitte à bousculer les gens. Aucune douceur ni pitié dans ses paroles quand elle fit remarquer qu'il fallait arrêter le sang. Ce geste était simplement nécessaire pour qu'ils puissent poursuivre leur route. Au moins, elle était franche dans son froid égoïsme. Elle l'interpella comme on s'enquiert auprès d'un esclave de ce qu'il sait faire pour se rendre utile. Sans lui répondre, il se baissa vers l'enfant et enleva doucement la petite main souillée pressée sur la plaie. A sa grande satisfaction, le sang avait noirci et la pression exercée par la main avait suffi pour l'arrêter, au moins partiellement. La chair était arrachée en biais sur le haut de la hanche, mais assez nettement et ne semblait pas avoir touché l'os. Il demanda de l'eau. Une vieille l'écarta fermement en disant :

-Pas toi. Affaires de femmes, les blessés.


D'un coup sec de son poignard, il coupa le pan de sa belle écharpe bysantine, le tendit à la femme qui le prit avec un respect inquiet et déclara d'abord à Christiana puis au cercle qui s'était rassemblé :

-Je ne suis pas médecin. Il me semble que ce n'est pas trop grave, mais il faut que la plaie demeure saine. On met de la sauge sur ce genre de blessure. C'est tout ce que je sais .Et maintenant, il faut nous attendre à l'arrivée des fauves. Il a perdu du sang près de la souche. Ce doit être comme un appât pour eux Il faut barrer l'entrée de la caverne avec du feu . Oui , une suite de brasiers et on essaiera de les atteindre en lançant des branches enflammées. Le Colt Tonnerre servira s'ils arrivent à passer.

Feu contre Fauves

Les hommes avaient compris et leur stock important de branchages fut vite érigé en barrage tandis que d'autres allèrent au dehors pour en rentrer davantage. Du bois trempé certes, mais qui sécherait assez vite auprès des flammes. Et la fumée du bois mouillé serait éventuellement une dissuasion de plus. Les hommes de la caverne avaient bien choisi cet habitat car orienté favorablement par rapport au vent marin.
On alluma le feu pour être prêt mais seulement au centre, pour ménager le combustible et des hommes se mirent en position de garde le long du cordon de branchages. Un jeune fut commis à la surveillance du premier feu allumé par Fa-Hi, avec mission de l'entretenir sans discontinuer.
Deux femmes s'activaient autour de l'enfant. Elles hachaient des feuilles, peut-être de sauge ? et des champignons découpés en tranches épaisses. Les autres se joignirent aux hommes pour transporter le bois mort. L'orage s'éloignait, qui avait pu retenir les fauves dans quelque abri. Tout le monde agissait en silence. Les adultes et adolescents s'étaient armés d'épieux et de lances rudimentaires à pointes de pierre assez bien façonnées. Une lance ! L'hoplite se réveilla dans Démétrios..Il tendit la main et aussitôt, on lui remit la plus grande. Il demanda,tourné vers l'enfant :

-Les chats-sabres sont-ils nombreux ?


A sa grande surprise, le chef leva, un à un, quatre doigts. Il connaissait donc l'existence de ces fauves qui devait rôder dans la région. Démétrios était surpris. Seulement quatre chats pour terroriser une dizaine d'hommes ? Le Grec fronça le sourcil et se mordit la lèvre, réfléchissant rapidement :

-Hmmm, ils sont grands comment, les chats, par ici ?

Tous les hommes levèrent la main au dessus de leur tête.et étendirent les bras en montrant que les bêtes dépassaient largement cette envergure.

-Heu .. fit Démétrios, oubliant sa nature de dieu impavide. Il ajouta : Et... les dents ?
Le geste fut sans équivoque. Deux crocs dépassant la longueur d'une main, plus le poignet.
Démétrios toussota:

-Bien, bien, bien....je suppose qu'ils ont aussi des griffes assorties. Et pour les mamootas ?

Encore peu confiant dans l'appareil du Dévoreur, pour mieux se faire comprendre, il fit le geste de s'allonger le nez en trompe, ce qui provoqua le rire d'un marmot dans les bras de sa mère, laquelle, inquiète de l'irrespect du jeune âge envers l'avatar de Fa-Hi, le fit taire aussitôt.
Le chef répondit de sa voix gutturale, parlant en monosyllabes saccadés mais qui s'organisaient aussitôt en phrases claires dans l'esprit des auditeurs étrangers :

-Ils ne peuvent pas venir ici .Trop raide, pas de chemin large. Ils sont très nombreux. Les chats-sabres attaquent les plus petits et les vieux. Les mammouths fuient devant eux et s'affolent. C'est ainsi qu'ils ont détruit les huttes des Pilouas. Et aussi les Pilouas, ou du moins beaucoup d'entre eux." Il montra l'enfant d'un geste dédaigneux et ajouta l'air satisfait :

- Nous, on est des Opolos. " et il ajouta, condescendant d'abord puis prenant un air sombre: "On s'est allié pour tuer les chats-sabres. Sales bêtes. Ils ont tué la moitié des Opolos." Il montra la petite troupe qui se pressait autour d'eux et conclut : "C'est tout ce qui reste. Les autres sont dans le ventre des chats-sabres.

Démétrios était atterré. Sa foi en lui-même vacilla. En plus la faim le rattrapa aux derniers mots de l'Opolo. Il fit machinalement :

-Et le chat-sabre, ça se mange ?

Il n'entendit pas la réponse . Les hommes mettaient le feu à toute la barrière. Les chats-sabres étaient en vue.

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Message  Invité Sam 27 Avr - 22:34

Démétrios n'avait pas été autorisé à nettoyer la plaie du petit garçon. Les femmes s'étaient précipitées pour le prendre en charge, décrétant que ce n'était pas les affaires de Démétrios, et plus largement des hommes. Démétrios avait sacrifié une partie de ses vêtements pour servir de bandage au garçon.
Démétrios avait raison, la plaie n'était pas bien profonde. La balle avait effleuré le flanc du garçon. Elle n'avait pas pénétré dans la chair, il n'y avait donc nullement besoin d'extraire la balle. Celle-ci devait se trouver quelque part de l'autre côté de la cachette du garçon. Probablement pleine de sang. Si le sang attirait bien les dents de sabre, il leur fallait la trouver au plus vite. Mais entre la pluie, les autochtones perturbés et l'arrivée imminante des fauves, elle allait devoir attendre. Elle ne se souciait pas des potentiels troubles temporels qui pouvaient résulter de l'abandon d'une balle écrasée dans la préhistoire. Elle pensait surtout à l'appel du sang.

- Je n'ai que 5 cartouches, dit Christiana quand Démétrios parla de son colt. Il ne me faudra pas faire d'erreur si son utilité devient avérée. Je pense que dans un premier temps, se défendre selon leur méthode, en l'associant à vos compétences militaires. Je suis de la ville et des réseaux mafieux. La survie en pleine nature ne fait pas partie de mes compétences. Vous m'auriez demandé de soutier des informations à un individu en le torturant, je n'aurai pas manqué d'idée. Mais là, je ne puis faire grand chose d'autre qu'attendre que les fauves passent et utiliser mon colt si besoin.

Christiana et Démétrios regardèrent les hommes s'affairer à la préparation du barrage anti-fauves. Le feu allait les repousser, c'était certain. Mais si les gros éléphants décrit par le garçon arrivaient, le petit feu n'allait peut-être pas être aussi efficace.

- Tout à l'heure, son dessin au petit... c'était un mammouth, dit Christiana à Démétrios pendant que les hommes préparaient le feu et les femmes s'occupaient des enfants. Le petit criait Mamootaa et dessinait un éléphant. Mais ce n'était pas un éléphant comme vous l'avez dit. Souvenez-vous des derniers mots de Zorvan. Il nous a dit de ne pas abuser de la viande de mammouth. Mammouth... Mamootaa... S'ils viennent, je ne sais pas si le petit feu les repoussera. Un coup de colt pourrait les effrayer. C'est proche du bruit du tonnerre, mais cela peut les affoler et les faire foncer sur nous.

Les propos de Christiana furent confirmé quand l'homme décrivant les bêtes dit mammouth à la place de Mamootaa.

Le feu était maintenant allumé. Les hommes de la tribu étaient en attente, armes en main, attentifs au moindre bruit, prêt à se défendre contre les dents de sabre. L'homme qui répondit à la question posée par Démétrios, lui aussi armé, indiquait qu'ils allaient être quatre. Christiana restait silencieuse. Elle écoutait, elle aussi, la nature environnante, tout aussi silencieuse qu'elle. Un silence sinistre. La forêt semblait s'être arrêtée de vivre. Puis au bout de longues minutes d'attente, alors que tout le monde commençait à se relâcher, pensant que rien n'allait arriver, des rugissements se firent entendre. Ils étaient bien là.

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Démétrios avait réagit le premier. Le soldat qui était en lui venait de s'éveiller au premier rugissement. Caché derrière le feu, à l'affut du premier dent de sabre, il se mettait en position. A voir les hommes de la tribu, l'expérience de la guerre semblait leur manquer. Ils ne tenaient pas leur arme de la même manière que Démétrios, qui semblait peu gêné par le poids et la longueur de l'arme. Celle-ci semblait être la continuité de son bras. Christiana sortit son colt. Il valait mieux se préparer à tout, même à l'utiliser. Puis le premier smilodon fit son apparition au détour d'un amas de buisson. La bête était grosse comme un lion. Christiana avait vu un lion une fois au zoo de Central Park. Sauf que ce lion là était tacheté comme un tigre, avait la queue courte et deux grandes dents bien en avant. L'une était pointue et longue d'au moins 20 centimètres. L'autre était brisée et sa longueur réduire de moitié.

- On dirait un lion. Je n'ai jamais fait de safari, je n'ai jamais vu la chasse au lion. Savez-vous chasser le lion à votre époque ? demanda-t-elle à Démétrios qui se mettait à l'aise sur ses deux pieds, tout en fixant le smilodon.

Il attendait le bon moment pour attaquer. Mais les hommes de la tribu, quant à eux, étaient bien plus pressés. Une lance fusa et alla se planter dans le flan de l'animal, qui poussa un terrible rugissement. Il n'était que blessé. Il s'agitait méchamment. Puis trois autres bêtes apparurent. Il y en avait deux grandes, comme la première, et une plus petite. Surement plus jeune.
En demandant si cela se mangeait, Démétrios avait fait remarqué qu'il avait faim. Il n'était pas le seul. Christiana aussi, avait les crocs. Et la demoiselle était habituée à manger à heure fixe des repas composés d'un apéritif, d'une entrée, d'un plat principal, d'un dessert et d'un digestif. Mais là, elle avait tellement faim que même la viande d'un smilodon lui conviendrait.

- Le petit pourrait faire un bon repas. Il est petit, il doit forcément être plus faible que les autres. Visez le petit, ordonna Christiana aux hommes de la tribu.

La déesse du tonnerre avait parlé mais les ordres semblaient mettre du temps à atteindre le cerveau des autochtones mâles, visiblement pas habitués à recevoir des ordres d'une femelle. Ils grommelaient des choses que Christiana avait du mal à discerner. Disait-il "toutatfay" ? Pourquoi le traducteur ne traduisait pas ? Peut-être était-ce une grossièreté non traduisible.

- Tuez le petit ! ordonna Christiana en serrant son colt.

Les hommes se regardèrent du coin de l’œil afin de ne pas quitter des yeux les bêtes qui se rapprochaient tout en s'agitant, rugissant et griffant le sol. Le danger était juste de l'autre côté du feu. A seulement quelques mètres. Le feu faisait effet. Ils en avaient peur. Ils voulaient aller de l'autre côté. Mais à chaque approche des flammes, les trois gros smilodons rugissaient contre les flammes. Le petit était resté en retrait derrière et ne semblait pas aussi téméraire que ses aînés. Christiana se pencha et attrapa une branche enflammée qu'elle tenta de lancer de l'autre côté du feu pour effrayer et repousser les bêtes. La force dans son geste était trop faible pour faire voler au loin la branche en feu. Mais étrangement, deux hommes l'imitèrent et obtinrent un résultat plus concluant. Surprises, les bêtes reculèrent un peu.
Subitement, Christiana attrapa la lance de Démétrios et s'apprêta à enrouler un de ses bas au bout.

- Ils ont peur du feu donc ne vont pas approcher. Mais il faut qu'ils partent. Mettons le feu au bas et lancez votre lance sur une de ces bêtes. Le bas est en nylon, il ne brulera pas mais va fondre. Si vous plantez votre lance dans une bête, le nylon va lui fondre dessus et lui faire certainement très mal. Un animal blessé et en difficulté fuit non ? Il ne va pas insister ?


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Message  Invité Mar 7 Mai - 15:25

Des dieux, des hommes et des bêtes
Bien que les femmes aient fermement écarté Démétrios de l'enfant blessé, il sentit que c'était loin d'être par un réflexe de défense du territoire féminin contre une intrusion du sexe opposé. Pour ces âmes encore remplies des ombres de l'ignorance, il n'était pas un homme mais un envoyé des esprits du Monde, une manifestation du pouvoir de faire jaillir l'étincelle salvatrice et la chaleur du foyer tribal, de souffler devant soi l'incendie ravageant les forêts, de libérer les fleuves de feu sur les pentes noircies du volcan réveillé. Le sang versé en dehors des rites était une souillure et seules les femmes, dont l'impureté marquait la fin de l'enfance, ne risquaient rien. Fa-Hi ne perdrait pas sa force au contact d'un sang mortel. Le Grec retrouvait là des croyances millénaires qui rôdaient encore dans certaines traditions de son temps.
De la même façon Christiana ne devait pas être perçue en tant que femme mais comme le double de la divinité des Orages dont la voix remplit les vallées et secoue les échos des montagnes. Son corps féminin pouvait n'être qu'une apparence. Démétrios voyait bien que les hommes s'écartaient prudemment à son approche comme à la sienne en détournant la tête.
Le morceau de ceinture qu'il avait sacrifié fut reçu à deux mains, avec un émerveillement craintif, car ces créatures ne connaissaient rien qui ressemblât à la soie aux riches chamarrures venue de Byzance. Ils ne semblaient même pas connaître le plus grossier tissage bien que les lambeaux de peau dont ils se revêtaient aient été assemblés par de grossières lanières de boyaux séchés.

Christiana l'avertit qu'elle risquait d'être prise au dépourvu, malgré son colt, devant la nécessité d'affronter des bêtes sauvages. Mais elle restait ferme et sans crainte, semblant connaître la violence au cours d'expériences étranges pour une femme. Il se demanda quel rôle elle avait pu jouer qui ait nécessité de torturer des hommes pour les forcer à parler. La torture n'était pas un bon moyen pour découvrir la vérité, les philosophes le disaient et Démétrios partageait leur point de vue. En temps de guerre, elle avait certes un impact sur le courage de l'ennemi et certains peuples se taillaient une réputation effrayante en inventant des méthodes spectaculaires pour terroriser à l'avance les populations. Les envahisseurs turcs, lui avait-on dit lors de son passage à Byzance, pratiquaient un supplice, dit de l'empalement, apporté de l'orient et particulièrement atroce. Il était souhaitable que cette pratique ne soit pas imitée en Europe. Démétrios préférait les méthodes plus expéditives des armées grecques et jugeait comme un grand acquis de la civilisation qu'un citoyen athénien ait droit à un procès et ne puisse être torturé au nom de la loi..
Il regarda donc Christiana avec encore plus d'étonnement. Décidément, le temps entraînait de grands changements mais la violence demeurait une constante regrettable de la nature humaine.

Les branches s'accumulaient fermant la large ouverture. Démétrios sortant son poignard se mit en demeure d'affiner le bout des épieux disponibles, une douzaine en tout, et les hommes regardaient voler les éclats de bois en poussant d'enfantins gloussements de joie. Lui était plus soucieux. Il estimait qu'ils ne pourraient tenir que deux heures avec les réserves car il ne serait pas question d'économiser le combustible. Les flammes devaient être hautes et claires. ll faudrait abattre au moins deux animaux durant ce temps de répit si le chiffre indiqué par le chef, quand on en était encore à parler avec les mains, se révélait exact. Ensuite,il faudrait affronter directement les fauves
Christiana s'inquiéta des mammouths. Apparemment son traducteur avait des problèmes pour atteindre sa conscience car le chef avait déjà expliqué pourquoi, en raison de l'étroitesse du sentier qui permettair d'accéder à leur refuge, les énormes bêtes ne pourraient pas suive les chats sabres.Et puis les herbivores ne poursuivaient pas leurs prédateurs carnassiers. Les buffles s'enfuyaient devant les lionnes ou les panthères. Mais on était en territoire inconnu. Le mammouth local était peut-être féroce et vindicatif. Démétrios fut content d'apprendre que Christiana connaissait les mammouths.Ce la les rendaient plus accessibles Ce n'était pas des éléphants d'après elle, bien qu'ils aient trompe, défenses et grandes oreilles.Il allait demander en quoi consistait la différence, quand le chef intervint et ses propos ne le rassurèrent pas . Les proportions du mammouth lui semblèrent dépasser celles de l'éléphant, ils avaient une épaisse toison qui dévierait les épieus et amortirait l'impact des pointes en silex, peut-être même les projectiles du colt.

Il n'eut pas le temps de se renseigner plus avant. Les fauves rugirent de rage en voyant le feu de garde. On enflamma aussitôt la barrière avec les torches.

Rien ne vaut un bon brasier

Lance en position de réception, car il craignit un instant que les flammes ne montent pas assez vite, Démétrios, voyant la taille des monstres, sentit le froid de la peur lui serrer la poitrine mais il n'avait nulle intention de se laisser faire et le feu retenait les félins à distance. Les lions de Grèce étaient bien plus petits mais ceux-là n'étaient bien que quatre et avec les femmes on pouvait compter sur une douzaine de combattants dont cinq hommes vigoureux .
Il ne put retenir un geste de dépit quand un adolescent qui brandissait une lance la jeta sur le premier animal qui s'approcha des flamme. L'arme atteignit son but mais on avait perdu une lance et celle-ci était précieuse pour maintenir les animaux à distance si le feu ne faisait plus barrage. L'homme qui se tenait près du garçon sembla partager l'avis du Grec car sans mot dire, se retournant l'air furieux, il lança une gifle magistrale qui fit trébucher le coupable sottement désarmé.
Mais brusquement Christiana indiqua un des chatsabres de taille nettement inférieure et révéla qu'elle avait une idée très précise concernant l'avenir de l'animal. Démétrios l'aurait approuvé si, au vu de la situation, les intérêts tactiques avaient pu passer après les préoccupations culinaires. Il fallait évidemment se débarrasser d'abord des adultes pendant qu'ils étaient retenus par les flammes et n'attaquer le faible que le feu éteint.
Démétrios observait la façon dont les fauves se déplaçaient et en particulier s'ils avaient des mouvements répétitifs, s'ils s'arrêtaient et en quel endroit, afin de leur lancer à bon escient les épieux enflammés. La chasse était un apprentissage des hoplites mais aussi de tout mâle de son époque, à la fois par nécessité et par tradition. Christiana ne savait pas chasser, c'était clair, mais elle avait l'habitude de se faire obéir et en déesse (ou en dieu) du Tonnerre, elle était excellente.Elle ordonna donc sans hésiter :

-Visez le petit!

Le Chef avait entrepris d'allumer des torches de bois résineux. Il releva la tête, étonné, et dit :

-Faut garderle jeune pour fin, sinon parents manger nous avant. Et gros, eux bons aussi. Pour manger petit, faut pas avoir gros encore sur pattes. Urghn comprend pas. Mais moi obéir Bzzipam.

Démétrios eut l'impression d'entendre un grésillement et de ne plus comprendre la traduction mentale transmise par la boîte de Christiana, mais aussitôt le traducteur enchaîna :
vo : BZZIPAM, onomatopée : Ce-que-disent-l'Eclair-et-le-Tonnerre . Valeur de nom propre. Peu usité.

Démétrios n'avait pas été surpris du langage simplifié qui lui était transmis. Un langage évolué, selon sa conception, supposait un raisonnement de même, et visiblement ces barbares étaient des plus primitifs. Quand il entendait s'exprimer Christiana, il saisissait ses propos comme s'ils étaient exprimés en un grec aisé. Si certaines notions lui échappaient, c'était parce qu'il n'avait pas d'images à mettre derrière un mot comme taxi. Ce traducteur saisissait parfaitement les niveaux de langage. Celui de ces hommes frustes devait nécessiter des ajustements.
Ainsi Christiana était Bzzipam ! Fa-Hi et Bzzipam !
La jeune femme avait dû aussi percevoir cette brève hésitation de la machine de Zorvan car elle eut l'air un peu déphasée comme lorsqu'on mélange deux pensées dont l'une n'a rien à faire avec l'autre.
Si Démétrios avait connu le mot interférence, il aurait pu penser:" Christiana a des interférences. C'est peut-être parce qu'elle a faim. Elle doit penser à un gigot bien rôti ou un jambon fumé appétissant.

Mais revenant à la situation, elle réitéra son ordre brutal : Tuez le petit!

Par le colt et par l'épieu
Le chef la voyant lancer une branche enflammée, jeta alors sa torche sur un des fauves, imité par le dadais qui avait perdu sa lance et voulait se racheter. Le chef réussit à toucher l'épaule du plus grand animal. Cela sentit le poil grillé, un rugissement furieux fit piailler toutes les femmes qui s'activaient à entretenir les feux.
Les autres fauves grondèrent et reculèrent un peu plus. Il ne fallait surtout pas qu'ils s'installent et attendent, hors de portée. Le temps jouerait en leur faveur.
Les hommes enflammèrent les épieux. Démétrios, l'air sévère dans le style : Le Dieu regarde et médite, calculait le nombre d'armes restantes et hésitait quant aux épieux à garder en résercve. Si on les utlisait tous maintenant, certains des assiégés n'auraient que des brandons enflammés pour se défendre si le feu ne retenait plus l'assaillant.
Mais quand l'intrépide jeune femme lui saisit brusquement sa lance, l'ancien hoplite faillit, par un réflexe militaire, lui lancer un bon coup de pied dans le bas-ventre. C'était SA lance. Il se retint à temps pour ne pas offrir aux indigènes le navrant spectacle d'une querelle entre Fa-Hi et Bzzipam, et puis, que dirait le Dévoreur apprenant qu'on maltraitait une de ses recrues ? Il céda donc aussitôt, jurant cependant entre ses dents et prêt à lui retourner le bras si la femme faisait mine de jeter son arme par dessus le feu. Mais non. Elle emmaillota la pointe avec le bas enlevé précédemment, à la consternation de Démétrios. Une pointe en silex ne valait déjà pas une pointe en métal, si en plus, on lui mettait une chaussette ! Il apprit au passage le nom et l'existence du nylon, pensa rapidement à tous les animaux qu'enrage la douleur, effaçant en eux l'instinct de la survie par la fuite, et finit par s'exclamer à l'intention de tous :

-Non! Pas avec la lance ! Pas maintenant. Aux épieux ! !

Ce qui fut fait. Le chef atteignit le jeune en pleine tête et par une chance inouïe, l'épieu lui entra dans l'œil. L'animal, sous le coup de la douleur, fit un grand saut désordonné, retomba de biais sur le côté, forçant l'épieu qui cassa après s' être enfoncé de trois pouces dans l'orbite. La bête avait son compte.et s'effondra.
Le chef ivre de joie se frappa la poitrine de ses poings velus, poussant un hurlement : BZÏÏÏPÂAAM ! en l'honneur de la puissante divinité qui lui avait inspiré ce coup fabuleux.
De leur côté, les hommes avaient atteint un chatsabre et il saignait beaucoup, en secouant l'épieu enfoncé dans son épaule comme une banderille. Il restait un seul animal indemme. Démétrios se tourna vers Christiana :

-Si vous tiriez sur le dernier ? Les chances sont pour nous. Juste une fois, au moins pour l'affaiblir.


Christiana se mit en position. A l'aisance de ses gestes on voyait qu'elle n'improvisait pas. Le coup partit et le seul animal encore indemme s'écroula. Agité de soubresauts, il ne pouvait plus se redresser. Il restait le premier animal, légèrement atteint, et l'autre qui tentait toujours de se débarrasser de son épieu dans l'épaule .
Le combat fut terminé en un petit quart d'heure. On déblaya un passage dans la barrière. Le fauve à l'épieu chargea mais toutes les lances l'attendaient et il fut achevé au milieu des cris effrayants que poussaient les hommes sentant la victoire proche. Démétrios criait avec eux, enthousiasmé d'être vivant, d'être vainqueur, de brandir sa lance comme Zeus son terrible foudre et de pouvoir bientôt manger des côtelettes grillées.
Il y avait, outre le gamin à l'intérieur, un seul autre blessé, l'étourdi dadais qui, en aidant à éteindre le feu avait pris un tison à pleine main par la mauvaise extrémité.
On vérifia que le tigre enfui ne rôdait pas aux environs mais il avait disparu et la trace de sang montrait qu'il se dirigeait vers le village détruit.
Démétrios lui souhaita de rencontrer les mammouths et qu'ils soient particulièrement grands, nombreux, poilus et de mauvaise humeur.

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Message  Invité Dim 12 Mai - 21:41

Christiana avait demandé à Démétrios s'il savait chasser le lion. Apparemment, il savait même faire plus. Cela ne l'étonna pas. Ses souvenirs, vus dans le champ des oublis, lui avait montré un Démétrios guerrier. L'écart entre les capacités des autochtones et celles de Démétrios était palpable. Le jeune qui avait lancé le pieu précipitamment n'avait pas pris le temps de réfléchir avant d'agir. Certes la situation n'était pas à la réflexion. Mais quand même ! Économiser les armes était la priorité du petit groupe. Économiser les armes mais aussi le combustible. Les femmes entretenaient le feu en utilisant énormément de branchage. Voilà qu'en plus des armes et du bois, il ne leur fallait pas perdre temps s'ils ne voulaient pas se retrouver à court de bois et donc de protection.

La correction du jeune incompétent ne se fit pas attendre. La gifle était si violente que le visage du garçon fut projeté sur le côté, le faisant vaciller. Il devait la sentir passer celle-là. Christiana n'y prêta aucune attention. Des gifles de ce genre, elle en avait déjà vu avant. Vécu non, seulement vu. Elle ne s'en émut pas contrairement aux autres femmes de la tribu qui, dans leur regard, faisaient preuve de compassion pour le garçon. Mais juste dans le regard. La correction était méritée. L'homme avait puni, la femme n'avait rien à dire.

La gifle passa vraiment inaperçu dans le groupe d'homme. Ils avaient autre chose à penser. Il fallait faire partir les smilodons. Impérativement. C'était les bêtes ou les humains. La suite des événements fit que ce furent les hommes les plus victorieux. Les chat-sabres avaient eu leur compte. Non sans difficulté finalement. Mais l'idée de Christiana, constatation à les faire souffrir pour les faire fuir, permit à Démétrios de prendre la décision d'utiliser les épieux, scellant ainsi la défaite presque totale des fauves préhistoriques. Trois sur quatre. Le repas allait être plus copieux qu'avec le petit uniquement. Christiana avait perdu une munition, pour en achever un. Cette fois-ci, ce ne fut pas du gâchis comme pour la première balle. Mais maintenant, il ne lui en restait plus que quatre. Encore deux usages et le besoin de se ravitailler en munition allait se faire sentir.

Quand le feu fut réduit et un passage créé pour sortir de l'abri et le smilodon téméraire abattu, le petit groupe s'approcha de chaque bête pour s'assurer que leur compte était bon. Quand ce fut confirmé, les femmes laissèrent éclater leur joie, ne voyant pas que le jeune maladroit s'était brûlé. Christiana s'approcha de lui et lança en lui passant devant :

- Tu es stupide ou tu le fais exprès ?

Elle traversa le groupe de femme en liesse et en informa une que le gamin s'était blessé seul, tout en le désignant d'un coup de pouce par dessus l'épaule. Elle s'éloigna du bruit et profita que tout le monde se félicitait pour aller jeter un coup d’œil dans leur abri. Elle regarda un peu partout pour voir s'il y avait des choses intéressantes à découvrir, ou à emporter, tout en étant observée par le chef. Mais rien. Le chef s'avança timidement vers celle qu'il considérait comme une divinité de l'orage et, sans trop la regarder pour ne pas croiser son regard et se faire foudroyer, il lui demanda si une offrande particulière lui faisait envie. Il alla jusqu'à lui proposer un des jeunes hommes vigoureux. Christiana leva un sourcil et resta perplexe. Pourquoi un jeune homme. Le chef se tourna vers Démétrios et proposa une offrande féminine. Cela arracha un sourire à Christiana, qui était amusée de la situation.

- Nous allons les manger, répondit Christiana, en essayant d'utiliser des mots simples, puisque le traducteur semblait avoir eu une défaillance quelques minutes plus tôt, lors du combat.

Le chef écarquilla les yeux, effrayé par ce qu'il venait d'entendre. Mais on ne refuse pas un repas à des divinités. Il attrapa un jeune garçon par le bras et le jeta vers Christiana qui, par réflexe, s'écarta sur le côté pour éviter tout contact avec le jeune garçon élancé vers elle.

- Les chat-sabres... nous allons manger les chat-sabres. Dépecez-les et préparer la viande. Je mange la viande rouge saignante.

Christiana profitait pleinement de son nouveau statut de déesse. C'était un brin mieux que princesse du Bacchus. Là, elle donnait les ordres pour son bien à elle et non celui d'une famille ou d'un club. Déesse, ça avait du bon ! Elle s'assit sur la souche lui ayant servi de cible un peu plus tôt et attendit, les bras et les jambes croisées. Elle accorda un regard à Démétrios et l'invita à la rejoindre. Quand il fut assez près pour lui parler à voix basse, elle lui dit :

- J'ai fort envie de voir les mammouths. Pas vous ? Après nous être rempli l'estomac, nous pourrions nous accorder du repos bien mérité. Les autochtones nous sont fidèles. Regardez....

Là, elle montra d'un coup de menton une femme qui était non loin d'eux, attendant l'autorisation d'approcher. Christiana lui fit signe d'une main et la femme lui demanda s'ils souhaitaient quelque chose en plus de la viande.

- Je ne serai pas contre une couche pour me reposer après le dîner.

Aussitôt la femme se précipita pour préparer un coin reposant pour leurs divinités, dans l'abri.

- Vous voyez, je compte bien profiter de cet instant pour me reposer. Après les épreuves de Zorvan, quoi que nous sommes dans une dernière épreuve actuellement, et surtout après cette chasse au fauve, me poser me ferait le plus grand bien. Je n'ai pas l'habitude de telles péripéties, dit-elle en retirant ses chaussures et dévoilant des ampoules aux pieds.

Christiana n'avait pas la tenue adéquate pour une excursion au temps des mammouths. Démétrios semblait plus en situation qu'elle. Christiana le scruta de haut en bas, puis de bas en haut. Démétrios avait posé des questions quand il avait vu le contenu de son sac, à son tour maintenant. Ils avaient tout le temps de se questionner. Tant que les autochtones n'avaient pas préparé le repas, ils devaient attendre. Alors autant utiliser ce temps à bon escient.

- Vous sembliez savoir comment soigner l'enfant que j'ai blessé. Vous avez des connaissances en médecine ? Parlez-moi de votre époque aussi. Vos us et coutumes. Comment ne pas paraitre suspect en voyageant dans votre temps ?

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Message  Invité Mer 22 Mai - 23:41

Après la victoire

Si les préparatifs du combat contre les chats sabres, la tension de l'attente et les émotions durant l'attaque avaient secoué les nerfs et vidé les réserves d'énergie, ce n'avait pas été aussi violent et brutal qu'une lutte au corps à corps, une véritable bataille. Les assiégés étaient restés le plus longtemps possible derrière leurs défenses et avaient ainsi économisé leurs forces sans jamais avoir senti la rage du désespoir, l'angoisse des efforts inutiles, la certitude de la mort imminente. Pas une minute, les hommes n'avaient perdu le contrôle. Il fallait admettre que la maîtrise du feu et le pistolet de Christiana les avaient sauvés . Démétrios se dit que les connaissances du futur pouvaient donner à un Voyageur dans le passé une maîtrise inusitée des évènements et par là même le pousser à vouloir en tirer avantage .
Mais ce qui est écrit est écrit. On ne devait pas pouvoir modifier le passé en s'y taillant la part du lion. Il n'était pas question par exemple de prévenir les erreurs et les traîtrises qui avaient permis aux Spartiates de soumettre Athènes. Se retrouver à Aigos Potamos avec la recette du feu grégeois, transformer le désastre naval en victoire éclatante ou bien voir un Démétrios adulte apparaissant enfin aux côtés de son père à Chéronée, là où l'adolescent n'avait su prendre sa place... Non, le destin une fois écrit devenait la loi suprême et le malheur accompli ne saurait plus être effacé par une réécriture en palimpseste. Toujours, la version initiale serait la seule vérité .
Il se souvint de l'horrible émotion qui l'avait saisi quand Zorvan lui avait montré vivante sa jeune épouse Chrysothémis. Il la savait couchée pour l'éternité, son nouveau-né contre elle, dans le tombeau dressé pour eux sous les oliviers de Mégare. Accepter la joie de retrouver la seconde Chrysothémis, c'était aussi refuser la première et son triste destin. N'était-ce pas le sens de l'histoire d'Orphée ? On ne doit pas se retourner sur le passé infiniment inaccessible mais marcher droit vers la fin du tunnel, suivi de la cohorte invisible de ses morts.
Parfois Démétrios se demandait quel était le but poursuivi par le Dévoreur peuplant de Voyageurs les couloirs du temps. Le respect profond qu'il avait immédiatement ressenti pour celui que son frère Lycias lui avait présenté comme un Prince, l'émerveillement devant ses pouvoirs et sa noblesse de pensée, tout le lui rendait aussi sacré et mystérieux qu'un être semi-divin, un Heraklès ou un Achille, malgré son évidente humanité. Comment ne pas être rempli de respect et d'admiration pour un tel personnage ? L'Athénien s'étonnait parfois de la désinvolture avec laquelle Christiana évoquait le Dévoreur, Zorvan tout aussi bien, considérés avant tout comme des utilités nécessaires à ses seuls projets et réalisations personnelles. Elle ne s'inquiétait apparemment pas du pourquoi de son recrutement et n'attendait que sa libération des épreuves et l'acquisition du pouvoir promis.
Avant leur plongée dans le vortex et la séparation devant la porte de Zorvan, le grand Voyageur lui avait promis de le revoir. Démétrios attendait donc le retour du Dévoreur et alors, il saurait sans doute pour quelle fin toute cette immense machine avait été mise en place et quel rôle il aurait à y jouer. Saurait-il dire non, si les buts révélés s'avéraient décevants, ou même contraires à ce qu'il jugeait être bon?

Démétrios vit que Christiana, qui s'était assise au dehors, lui faisait signe de la rejoindre ; il obtempéra, ramassant au passage un épieu resté dans l'herbe. Oui, s'asseoir ferait du bien et aussi peut-être vérifier dans sa ceinture si lui aussi avait reçu cet objet étonnant qui transposait les pensées exprimées. Il lui semblait que c'était le premier signe de l'apparition prochaine du Dévoreur et il fallait savoir s'il en serait exclu. La méfiance soupçonneuse manifestée par Christiana à son égard quand elle avait découvert l'objet semblait avoir disparu. Les femmes étaient peut-être aussi sensibles à la fraternité née du combat et des dangers partagés et il était certain que la jeune femme s'était comportée en brave, se rangeant sans hésitation du côté des hommes, se donnant toute entière à la lutte, petite Athéna sans peplos, sans casque et sans égide. Il sourit en pensant à leur divinité supposée. Christiana jouait à la déesse avec autant d'aplomb qu'elle avait joué au chasseur de tigres.
Il sentit, en se laissant tomber sur le tronc de l'arbre couché près de la souche où elle s'était assise, que lui aussi apprécierait ce moment de repos. Après tout, ils étaient victorieux et les dieux vainqueurs se réjouissent toujours comme les simples mortels en prenant place au banquet, buvant le divin nectar du succès.

Le repos des dieux
~
chacun son traducteur
L'odeur de viande grillée commençait à envahir le camp. Démétrios poussa un grand soupir de satisfaction.
Tout le camp s'activait. Les hommes dépouillaient les bêtes avec des racloirs en pierre taillée. Les femmes rassemblaient les tisons fumants du brasier, houspillant les plus jeunes pour qu'ils aillent ramasser du bois et une sorte de plante que Démétrios connaissait bien pour en avoir apprécié le fort goût de céleri lors de ses séjours en Dacie où elle était fort répandue. Le traducteur de Christiana nommait la plante livèche mais lui savait que c'était de l'ache des montagnes. Du coup, il plongea la main dans sa ceinture et tâta le petit sac allongé où il gardait son modeste bagage. Il retint un sourire. Oui, il y avait un objet de plus, un objet cylindrique un peu renflé. Apparemment le Dévoreur adaptait son cadeau à la personnalité de chacun de ses protégés. Démétrios n'en attendait pas moins de la part du grand magicien et quand ses doigts rencontrèrent ce qui devait être le fameux bouton rouge, il appuya sans hésiter. Aussitôt les paroles qu'échangeaient les Opolos se modifièrent légèrement. La femme qui venait de rejeter les herbes apportées par un gamin penaud en disant d'un air fâché : "De la livèche, ça .?" renvoya ce dernier en haussant les épaules : "Tu ne sais pas encore reconnaître de l'ache ? Sers-toi de ton nez, petit idiot !"
Prodigieux ! Le traducteur s'adaptait au langage et au savoir de son porteur ! Cela expliquait quelques petits dérapages quand seul le traducteur de Christiana fonctionnait. Démétrios aurait bien embrassé Zorvan s'il s'était manifesté, mais à la réflexion, en Zorvan insubstantiel, ç'eût été assez effrayant, et en Zorvan tangible.. on pouvait redouter la réaction. Le gardien avait la bourrade amicale plutôt surprenante.
~~
Conversation d'avant dîner
Démétrios allait montrer sa trouvaille quand Christiana prit la parole et la regardant, il vit
que la jeune femme montrait des signes de fatigue. La simplicité soignée qu'elle présentait dans l'Antichambre avait fait place au désordre dans sa tenue, sa coiffure, un épuisement visible marquant ses traits naturellement volontaires. Sa voix resta cependant décidée quand elle s'adressa aux femmes pour ordonner quelques détails de confort et ses premiers mots à l'adresse de son compagnon d'aventure montraient qu'elle était loin de se laisser aller, organisant le présent et planifiant l'avenir immédiat. Elle voulait voir les mammouths et se félicita de leur déification. Le Grec apprécia au passage le mot autochtone. Ainsi ces braves créatures étaient-elles nées de la Terre, comme Cecrops, le roi-serpent, fondateur d'Athènes. Démétrios ne croyait pas à Cecrops alors que les barbares en peaux de bête étaient on ne peut plus réels. Mais le traducteur revint sur le mot et le remplaça par, au sens dérivé : indigène, propre au lieu . De toutes façons, Christiana en savait plus que lui sur leur situation dans le temps, certes sans trop de précision, mais enfin elle connaissait les mammouths, au moins de nom.
Démétrios lui répondit, tout en prenant son poignard pour retailler l'épieu épointé.

-J'aimerais bien voir aussi des éléphants poilus géants. Mais il faudra être prudent. Ces animaux ont écrasé le village de l'enfant blessé et tué les habitants. Certes les pachydermes étaient effrayés par les chats sabres. Et puis..

Il s'arrêta, jeta un regard inquiet sur les pieds qu'exhibait la jeune femme qui s'était débarrassée de ses chaussures Elle poursuivit , semblant désireuse de converser en attendant que la viande soit prête, et lui posa à la file plusieurs questions. Il y répondit dans l'ordre , tout en se demandant si elle était vraiment intéressée. Comment parler de toute son époque en attendant simplement de dîner ? Ses us et coutumes ? Mais tout était us et coutumes. Elle voulait peut-être seulement être aimable.

-Je ne sais en médecine que ce que chacun apprend de l'expérience. Les maladies , les blessures reçues au sport ou au combat ou dans les accidents. J'ai navigué et en mer, on est bien obligé de se débrouiller. Et aussi pour les maladies du voyage, les fièvres, les maux de ventre. Les médecins vous donnent des plantes. On finit par les reconnaître. A propos, il faudrait mettre du plantain sur vos ampoules et vous entourer les pieds de bandes de peaux bien souples. Sinon demain vous ne pourrez plus marcher sans souffrir terriblement. Nos hôtes devraient avoir ce qu'il faut.


Il réfléchit un instant avant de poursuivre:

-Parler de mon époque ? Il faudrait mieux que vous me disiez ce que vous, vous en savez, et je rectifierai et complèterai au besoin. J'ai vu que dix siècles plus tard, il n'en restait que des lambeaux dans la mémoire des hommes, avec autant de légendes et d'erreurs que de connaissances exactes sur ce que nous fûmes. Et cependant, ces Byzantins en savaient sur le monde et l'usage des choses bien plus que moi qui passais pour savant en mon temps .
Plus de vingt siècles nous séparent. Je croyais que nous autres Athéniens avions atteint le niveau quasi optimal des connaissances permises aux hommes. Mais je commençais à en douter car le monde s'était élargi avec Alexandre et le savoir semblait s'être développé ailleurs que dans ma patrie. Vous devez avoir trouvé la réponse à bien des mystères


Il s'arrêta de tailler son épieu, inquiet en pensant que, s'il devenait Voyageur, il perdrait à jamais la tranquille assurance de celui qui ne peut que suivre le cours du temps et pour qui demain est toujours un autre jour. il reprit :

-Mais je répondrai à votre dernière question. Vous ne voulez pas paraître suspecte ? Vous êtes une femme. Ou bien il vous faudra vivre en recluse et ne vous occuper que de votre intérieur. Ou bien vous devrez être une esclave, une femme du bas peuple ou encore une prostituée. C'est ce dernier état qui me paraît le plus souhaitable pour vous, mais si vous ne voulez pas d'un sort méprisé et misérable, vous devrez vous présenter en hétaïre déjà riche et précédée de votre renommée. vous devrez vous entourer de danseuses et de musiciennes de talent, être cultivée dans l'art de la conversation et de la séduction.Evidemment, si je vous accompagne, je veillerai à célébrer vos mérites. Quelle est la situation des prostituées dans votre temps ?

Il regarda, l'air sceptique, la fragile stature de Christiana et conclut :

-C'est dommage que vous ayez une forte poitrine . Le mieux serait de vous faire passer pour un garçon . Je ne suis pas connu pour les aimer. Mais ce serait un excellent moyen d'être reçu partout que de passer pour mon.. Oh! voilà des brochettes. Je meurs de faim . Et de soif...mais pour le vin de Chypre, je crois que ce n'est pas encore l'époque !

Le lendemain
Démétrios regarda vers la grotte où ils avaient passé la nuit . Christiana, les pieds et les mollets bandés de lanières de cuir et de fourrures, paraissait déjà habituée à ce chaussage inédit et se déplaçait apparemment sans douleur. Il trouvait quand même trop risqué de partir vers le village ravagé par les mammouths d'autant que les hommes trouvaient l'idée très mauvaise. Ils avaient d'ailleurs une façon très puérile de considérer leurs rapports avec des êtres censés être divins. Divins, soit, puis qu'essentiellement mystérieux et dotés du pouvoir de faire le feu, possédant des objets totalement inconnus et sans rapport avec leur maigre possessions : armes de bois et de pierre taillée, quelques bols creusés dans le bois ou d'argile grossière, des colifichets de dents perforées, de pierres colorées et d'ambre, des peaux de bêtes mal préparées. Christiana avait froncé son joli nez en se laissant bander les pieds dans du cuir qui sentait le fauve et le suint.
Oui, ils étaient les dieux du feu et de l'orage. Mais de là à les entourer d'un respect ritualisé, à ne voir en eux que l'Esprit sacré et oublier leur enveloppe humaine, il y avait un degré de spiritualité que ces êtres à l'aube de l'humanité n'avaient pas encore atteint. Les Opolos dirent donc nettement que les mammouths devaient être encore dans les environs et qu'ils n'iraient pas. Ils attendraient deux ou trois jours pour donner le temps au troupeau de s'éloigner à la recherche d'un autre pâturage. On avait à manger. Quel besoin de quitter la grotte. Rien ne vaut un bon foyer !
Démétrios voulait certes voir les mammouths et ce village car il espérait, même détruit, y trouver un état de civilisation un peu plus évolué, des armes plus efficaces, des renseignements sur la région , un but pour aller de l'avant.L'idée de rester dans la grotte à manger du chat sabre faisandé tout en ramassant du bois mort ne lui plaisait guère. Zorvan leur avait dit que ce séjour devait montrer leurs capacités à survivre dans un milieu rude et primitif, eux, les enfants gâtés, privilégiés chacun dans son époque. Démétrios était bien décidé à lui montrer ce que valait un Athénien, fils de Théramène le sage et du général Démoclès de Phalère. Mais partir à deux, sans escorte, était bien irréfléchi. Démétrios hésitait encore, arpentant la clairière, quand un homme apparut sortant du bois, boîtant bas, appuyé sur une lance. Il parut terrorisé en le voyant et s'effondra sur les genoux en poussant une clameur suraigüe. Tout le monde sortit de la grotte, y compris le gamin blessé du village des Pilouas, qui poussa un cri de joie :
-Oncle Tukhur !

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Message  Invité Mer 29 Mai - 21:40

L'odeur mettait en appétit. Cela n'avait rien de la délicieuse saveur qui se dégageait chaque soirs des plats préparés par le traiteur du Bacchus. Ce mélange de saveur que Christiana avait toujours connu. Cette odeur préhistorique se rapprochait de celle des grillades. Typiquement le genre de chose que Christiana n'avait jamais connu. Cette grillade de smilodon fut la première pour la jeune femme. Son premier feu de camp, premier barbecue sauvage dans tous les sens du terme ! Feu de camp, viande préhistorique et compagnie primitive.
Tout était bien huilé chez les Opolos. Une organisation quasi militaire. Christiana se demanda si Démétrios soupirait de satisfaction face au repas qui allait bientôt arriver ou à la manière dont celui-ci était préparé.
À moins que ce soupir ne fut le résultat d'autre chose. Elle regarda son compagnon de voyage plonger sa main dans sa sacoche. Elle se doutait de la raison d'une telle exploration de ses biens. Le traducteur du Dévoreur devait y être pour quelque chose. Démétrios devait vérifier s'il en possédait un lui aussi. Instinctivement, Christiana porta la main à son sac pour deviner les formes de son traducteur. Non pas qu'elle n'avait pas confiance en Démétrios, au contraire, elle commençait à avoir foi en la fiabilité du grec. Mais question d'habitude. La méfiance subsistait et Christiana s'assurait que le traducteur était toujours en sa possession et non dans le sac de Démétrios.

Satisfaite de sentir la chose du futur calée entre son colt banker special et son carnet, elle frotta sa jupe au niveau des cuisses et remettait en place sa tenue. Du moins elle fit comme elle put. Plus de bas, une jupe à l'ourlet déchiré, une voilette garnie de moucherons, une coiffure digne d'un lever après une nuit mouvementée. Elle n'avait plus rien de la meneuse tirée à quatre épingles qui n'hésitait pas à tyranniser les employés du Bacchus. Elle retira les épingles à cheveux qui tenait son chapeau sur sa tête et laissa tomber son couvre-chef. Elle le posa délicatement sur ses cuisses et entreprit de débarrasser sa voilette des moucherons et autres saletés quand Démétrios se mit à parler longuement, répondant ainsi à ses questions. Lui aussi occupait ses mains tout en parlant. L'épieu allait devenir encore plus piquant.

Il émit le souhait de vouloir, lui aussi, voir les mammouths.

- Parfait ! Nous irons donc les voir. Ce serait dommage de quitter ce temps sans voir une autre créature disparue.

Puis vinrent les réponses aux questions. D'abord, il lui conseilla un soin pour ses pieds. Conseil qui fut le bienvenue et bientôt exécuté par les bonnes mains obéissantes qu'étaient les Opolos.

- Je dois avouer que je ne sais pas grand chose de votre époque. Je ne suis pas un rat de bibliothèque, je n'ai jamais cherché pas à me cultiver. Je n'ai toujours assimilé que ce qui pouvait profiter aux intérêts de ma famille. Je connais bien quelques noms de vos dieux. Le club de ma famille porte bien le nom romain de votre Dionysos. De la Grèce, je ne connais que ce qu'elle est à mon époque. Une époque de conflit en tout genre, de guerre mondiale. Je sais qu'il y a de nombreuses ruines antiques, un peu comme un Égypte.

Pour la suite, Christiana ne cacha pas son mécontentement quand elle comprit qu'il allait lui être difficile de naviguer à l'époque de Démétrios selon son bon vouloir. Elle comprit que son premier voyage à l'époque de Démétrios allait devoir se faire en sa présence. Christiana commença à imaginer divers moyens d'aller à cette époque seule, en toute liberté. Mais une question soudaine de Démétrios la sortit de ses songes. Une question à laquelle elle ne s'attendait pas. Le grec souhaitait en savoir plus sur la prostitution de son époque. Christiana le fixa avec des yeux ronds.

- La... prostitution ? Eh bien... Hmmm... Dans les grandes villes, elle est surtout dirigée par les familles mafieuse. C'est une des rares activités dans laquelle ma famille n'a pas mis les pieds. La situation des prostitués est... disons que... en fait je n'en sais rien. Et je ne me suis jamais posée la question. Elles ne m'intéresse pas le moins du monde.

Démétrios avait émis l'idée de faire passer Christiana pour un homme mais que sa poitrine allait poser problème. Aussitôt, Christiana regarda ses seins et fronça les sourcils. Démétrios semblait avoir suffisamment observé sa gorge pour s'être fait la remarque que cela n'allait pas être possible. Tandis qu'elle jetait un regard glacial au grec, celui-ci se jetait sur la viande qui leur était servie par les autochtones.

Les hommes offrirent à Christiana sa part, sans oser la regarder dans les yeux. Des yeux qu'elle avait encore d'un peu glacial.
Elle se vit donc apporter une part digne d'une déesse ! Elle savait qu'elle n'allait pas tout manger. Alors elle ne prit que ce qu'elle voulut et laissa le reste aux Opolos, leur demandant prestement d'aller apporter cela aux femmes, le tout accompagné d'un signe de main dédaigneux. Elle goutta ensuite la viande du bout des dents. Elle mastiqua longuement et finalement, croqua plus goulûment dans la viande.

- Cela a le goût du gibier et la texture de l'alligator. En avez-vous déjà mangé ?

Le repas se poursuivit presque en silence. La conversation entamée sur la découverte de leur époque respective s'était interrompue au profit du pique-nique préhistorique, pour finalement se solder par une nuit de repos bien méritée dans la grotte, sur les lits de fortunes confectionnés par les femmes à la demande de Christiana.

Le lendemain, Christiana eut les pieds bandés afin de soigner ses ampoules et égratignures, ainsi qu'un sermon au sujet de leur volonté de voir les mammouths de plus près. Elle se pencha vers la femme qui lui pensait le pied droit et dit sèchement :

- J'irai voir les mammouths. De loin. Certes. Mais je les verrai. Et si cela ne convient à perso...

Christiana fut interrompue par un enfant qui se mit à crier de joie. Oncle Tukhur ? A peine le bandage terminé, Christiana se leva brusquement et s'avança pour mieux voir l'homme qui arrivait. Il se précipita vers l'enfant qui venait de prononcer son nom et le serra contre lui. Puis l'oncle Tukhur apperçut Christiana et Démétrios. Aussitôt, la panique l'envahit. Le garçon le rassurant en lui expliquant que c'était Fa-Hi et Bzzipam, les dieux venus les guider dans leur combat contre les chats sabres. Le traducteur faisait son effet, Christiana avait tout compris. Visiblement, Démétrios aussi car quand le garçon parla de lui à son oncle, celui-ci prit un air assez fier de lui. Cela arracha un sourire en coin de bouche à Christiana, qui se dit que finalement, elle n'était peut-être pas la seule à apprécier le statut de divinité.

- Vous arrivez du village ? Demanda brusquement Christiana à l'oncle Tukhur, sans mettre la moindre forme dans sa demande.

Pas de temps à perdre ! Dans l'esprit de Christiana, cela fonctionnait ainsi : « on questionne et on agit ensuite. Pas le temps pour les formalités ». Toujours en finesse !

- Êtes-vous seul à avoir survécu aux mammouths ? Sont-ils toujours prêt du campement ?

Christiana se tourna vers les Opolos.

- Vous n'avez toujours pas envie d'aller jeter un coup d’œil au village ? Quand je vous disais, qu'il fallait y aller. Hein ?! S'exclama Christiana, faisant ainsi passer son envie d'aller au village pour voir les mammouths de plus près pour un prétendu acte de divination.
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Message  Invité Lun 3 Juin - 13:43

Oncle Tukhur était un gaillard qui, une fois que son neveu eût rapidement lancé quelques explications, ficha sa lance en terre, leva les bras au ciel, ce qui semblait être un geste fréquent chez les Opolos, avec le grattage de tête et d’autres endroits très personnels.
Le chef poussa quelques grognements en dansant d’un pied sur l’autre, ce qui embrouilla le traducteur qui finalement se fixa sur "expression rituelle de bienvenue." tandis que, jouant très bien le rôle de la déesse s’adressant aux faibles mortels, Christiana prenait la direction de l’interrogatoire.

Il ressortit de explications que Tukhur avait fui le village au début du passage des mammouths et rejoint la côte avec trois autres villageois. Il les énuméra en montrant ses doigts et annonçant leur nom, tous précédés de Oncle. Pour échapper aux smilodons, ils s’étaient cachés dans les petites grottes suspendues qui creusaient les falaises. Au matin, lui, brave parmi les braves, avait décidé de quérir du secours chez les Opolos pour ensuite aller en groupe au village afin de voir si les pachydermes s’étaient éloignés. Il craignait que les foyers non alimentés ne se soient éteints. Le chef montra Fa-Hi puis Christiana et son propre foyer à l’entrée de la grotte avec force gestes explicatifs. Le traducteur avait choisi de résumer très brièvement ces démonstrations à peine articulées d’où il ressortait que Fa Hi avait la Pierre du Feu et Bziippam la Main de Foudre. Tukhur recommença sa pantomime, imité par la tribu et Démétrios, qui aimait les beaux discours, commençait à trouver ces palabres gestuels et démonstrations bruyantes plutôt fastidieux. Tukhur reprit son récit alternant gestes, paroles brèves et exclamations.
Sur la pente, en venant, il avait glissé et s’était tordu la cheville, ce qui l’avait ralenti. Et par ailleurs, trois hommes étaient partis pêcher des truites avant le passage des mammouths, ils étaient peut-être encore vivants, mais ils pouvaient avoir été dévorés par les smilodons. Le chef montra les peaux qui séchaient au soleil, ce qui entraîna à nouveau toute une série de cris de victoire des Opolos, mimant les gestes de la chasse, transperçant un gibier invisible, prenant des pauses exagérées tout en roulant des yeux farouches.
Christiana en profita pour proposer de nouveau d’aller visiter le village pour rechercher d’autres survivants. Mais les Opolos trouvaient plus sages de ramener les rescapés de la falaise afin de ne pas laisser le camp sans défense. Position de bon sens que Fa-Hi approuva malgré l’impatience de Christiana qu’il commençait d’ailleurs à partager. Le soleil était déjà haut, le temps ne semblait pas compter pour ces primitifs et chaque proposition émise entraînait d'abord un silence puis des réactions en chaînes provoquant enfin un tumulte général, signe de refus collectif ou d’approbation. Tout le monde participait, sexes confondus, ce qu’interpréta Démétrios comme un caractère net d’organisation archaïque : donner la parole aux femmes, c’était évidemment courir au devant du bavardage stérile. Finalement, on envoya donc trois hommes chercher les rescapés.

Pendant ce temps, on fit rôtir un large morceau de smilodon et Tukhur l’engloutit voracement. Démétrios déclara à Christiana :

-De toutes façons, il faut que nous bougions; on ne peut pas plus pour aider ceux-là.

Il regarda autour de lui avec satisfaction. Le foyer flambait haut et clair. Il avait expliqué au chef qu’il pourrait allumer du feu en essayant toutes les pierres qui ressembleraient à sa pyrite, en les frappant sur des silex, abondants dans le coin. Peut-être un Opolos finirait-il un jour par voir s’élever un petit ruban de fumée au dessus des brins de mousse sèche.
Il avait ramassé un silex particulièrement noduleux et le chef l’installa sur la souche frappée par Main-de- Foudre, tapa du pied, leva les bras au ciel, fit un Hohouhoufahi ! repris en choeur et que le traducteur après avoir annoncé : interprétation en cours , finit par estimer être l’équivalent de Super Caillou de Fa-Hi -Pierre de Feu. Démétrios ne put s’empêcher de sourire d’un air satisfait et paternaliste, mais il crut saisir une lueur d’amusement dans le regard de Christiana et joua aussitôt l’indifférent.
Il reprit son travail de taillage d’épieu pour passer le temps, Christiana arrangeant sa tenue.
Le garçon Piloua, blessé la veille justement derrière la souche, s’était remarquablement remis. Le morceau d’étoffe prélevé sur la ceinture byzantine maintenait en place l‘emplâtre d’herbes et d’argile confectionné par les femmes et Démétrios avait remarqué qu’on ne touchait le tissu qu’après avoir effectué un geste rapide du pouce et de l’index dessinant deux traits parallèles. Geste de révérence envers les Dieux ou d’appropriation d’un objet sacré ?
..................*
Christiana venait d’une époque où la terre était connue en son entier, aussi lui demanda-t-il si elle connaissait des terres à mammouths. Non, il n’y avait plus de mammouths au xx° siècle ni déjà dans son temps à lui, qu’il savait s’appeler l’Antiquité. Finis, les mammouths. Nulle part. Espèce éteinte.
Ce qui expliquait qu’elle voulait absolument les voir. Lui aussi ; il les avait imaginés comme des éléphants d’une taille exceptionnelle, des curiosités ; mais qu’ils aient disparu totalement, et les smilodons aussi et des bêtes terribles que Christiana appelait des Dinosaures, cet effacement définitif leur conférait une sorte d’aura sacrée. Il se sentit un peu mal à l’aise. Un jour, l’homme s’éteindrait-il aussi, soufflé comme une lampe à huile ?
Il interrogea alors la jeune femme sur les pays qu’elle connaissait. Démétrios avait lu Platon et suivi les cours des disciples d’Aristote et il savait donc, comme tous les lettrés de son temps, que la terre était ronde. Il avait lui-même dans ses voyages vu les étoiles et les mâts des navires disparaître peu à peu derrière l’horizon et aussi vérifié que l’ombre de la terre sur la lune était ronde lors des éclipses. Il s’apprêtait à interroger Christiana sur l’Atlantide et le Vinland, dont lui avait parlé Thorvald, et sur cette Chine où il ne fallait pas laver les bonnets, quand on vit revenir le groupe parti à la recherche des trois rescapés.
Le temps s’accéléra brusquement. Enfin ! fini l’épointage et les rêveries !
Christiana, légère dans ses bottes de fourrures, était déjà debout. Démétrios saisit sa lance et un épieu qu’il passa dans sa ceinture mise en baudrier. Le chef décida de rester mais joignit un de ses hommes aux quatre "oncles" Pilouas et après un bref repas - encore du smilodon !- la troupe ne fut pas longue à quitter le camp au milieu des hurlements féroces des hommes et des hululements des femmes mimant la désolation. Le traducteur précisa aimablement : "vifs encouragements à vaincre l’ennemi et lamentations anticipées au cas où vous seriez piétinés ou dévorés." On allait voir. Pour l’instant, c’étaient eux qui digéraient les chats-sabres.

00000

Le village n’était qu’une douzaines de huttes de branchages, effondrées sur le passage de la horde des mammouths, toutes semblables dans leur dénuement.
Des vautours s’envolèrenr à leur arrivée, abandonnant deux cadavres déchiquetés. l’odeur de mort et l’horrible spectacle plongèrent le groupe dans le silence jusqu’au moment où trois feux éteints provoquèrent des exclamations de douleur chez les Pilouas.Tous regardèrent Démétrios. Il se sentit investi de la fonction sacrée d’Allumeur de feu, et s’efforça, en officiant, de mettre de la dignité dans le moindre de ses gestes. Mais tout fut gâché quand il se donna un coup de pyrite sur le pouce gauche et jura grossièrement en invoquant les attributs d’Héraklès. Le traducteur eut la délicatesse de juste grésiller.
On entendit alors un gémissement venant d’une hutte et on découvrit une femme, coincée sous les branchages, à peine éraflée ; c’était Tante Saukko, terrorisée et à demi morte de faim et de soif. La fouille des décombres se fit en vain. En allant vers la lisière des bois, cependant trois autres corps de villageois avaient attiré d’énormes rats qui s’éloignèrent à regret, leurs babines sanglantes se découvrant sur des canines démesurées.
Il fallait quitter ce lieu de désolation. Démétrios fit transporter les cadavres sur ce qui restait de la plus grande hutte et y mit le feu, sans que cela provoque de réactions hostiles. Impossible de savoir combien il y avait d’habitants, les Pilouas débitant des noms, essayant de leur attribuer un doigt , mais totalement affolés dès qu’ils dépassaient la dizaine. On perdait du temps. Il restait peut-être des fuyards réfugiés dans la forêt . Un troupeau qui débarque, cela s’entend de loin surtout s’il s’agit de mammouths.
En attendant, on pouvait toujours voir si on trouvait les pêcheurs de truite. Les Indigènes Pilouas indiquèrent qu’il fallait remonter le cours d’eau, large d’une quinzaine de pas, qui longeait le village. Les traces des mamouths le franchissaient en s’éloignant vers le nord. Les pêcheurs devaient avoir eu leur chance. Il fallait rejoindre le lieu de pêche. On laissa Tante Saukko près du brasier en lui donnant une tranche déjà cuite de smilodon.
Après une bonne heure de marche silencieuse, on arriva à une brusque dénivellation de terrain que le cours d’eau franchissait en demi-cascade, entre des rochers en escaliers. Démétrios se croyait obligé de marcher en tête en tant que Fa-Hi et son air sombre accompagnait le souvenir de ce qu’ils avaient découvert.
Or, arrivé au sommet, s’offrait la surprise d’un paysage paisible où, entre des rives bordées de sombres conifères, s’étendait un lac dont les eaux transparentes reflétaient les nuages flottant dans le ciel bleu. Le bruit de la cascade, régulier et fluide, remplissait le silence qui devait habiter ce vaste panorama.
La beauté tranquille de l’endroit apaisa immédiatement l’ humeur crispée de l’Athénien. Tant de pureté après la brutalité de la nature et le spectacle de la mort dans ce qu’il avait de plus sordidement répugnant... Les hommes arrivant s’arrêtèrent à ses côtés, sans manifester d’émotions particulières. Démétrios allait prendre Christiana à témoin du charme de l’endroit et se retournant, vit qu’elle n’était pas encore arrivée. Elle devait avoir du mal à escalader les rochers, surtout avec ses bottes improvisées. Il s’en voulut de l’avoir laissée en arrière et revint sur ses pas. Mais soudain un Opolos cria en montrant les rochers de l’autre côté de la cascade : -Kalloogh !
Un homme courait venant des rochers et disparut dans la forêt. Il était nu, le corps peint en ocre rouge. Puis un autre le suivit. Ecarquillant les yeux, Démétrios ne put que constater que la pente était vide.
Il hurla :

-Christiana l

Le bruit de l’eau lui parut soudain énorme, étouffant le son de sa voix et il sentit l’effroi lui serrer le cœur.
Christiana avait disparu !


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Message  Invité Mer 5 Juin - 13:32

En disant qu'il fallait bouger, Démétrios montra la même impatience que Christiana. Celle-ci ne put qu’acquiescer. Elle voulait aussi quitter les Opolos. Tous deux avaient des choses à faire. Mais avant de partir, ils devaient aller au village et voir les Mammouths.
Christiana avait suivi les Opolos et Démétrios vers le camp détruit. Elle ne fit pas grand chose. De toute façon, que pouvait-elle faire ? Ou voulait faire ? Les Opolos se chargeaient de tout et une tante fut sauvée. Après cela, Démétrios aida pour un feu funèbre.
Les Pilouas, les Opolos et les deux voyageurs prirent la direction du lieu de pêche afin de s'assurer que les pêcheurs allaient bien. Même si les traces des Mammouths indiquaient une autre direction, Démétrios n'était pas contre être certain de la survie des autres membres de la tribu. Les femmes, les enfants et les hommes trop âgés ou fatigués restèrent avec la Tante Saukko. Seuls Démétrios, Christiana, trois Opolos et deux Pilouas quittèrent le campement pour rechercher les pêcheurs.

La route allait être longue. Au bout d'une heure, le coin des pêcheurs n'apparaissaient pas encore à l'horizon. En tête, Démétrios ouvrait la route, grâce àun Pilouas et ses indications. A la traîne, Christiana commençait à se dire qu'elle aurait mieux fait d'attendre au campement. Elle n'avait pas mal aux pieds, pas avec les peaux. Cela aurait été différent avec ses propres chaussures. Une femme Opolos les lui gardait précieusement. Comme s'il s'agissait d'un bien divin. Heureusement d'ailleurs. Elle n'aurait pu marcher sur les pierres glissantes avec ses chaussures du XX° siècle.
Un écart s'était creusé entre le groupe qui marchait vite et Christiana qui grommelait, la marche n'était décidément pas sa tasse de thé. Un écart suffisamment important pour que le groupe ne s'aperçut pas qu'ils étaient suivis. Trois hommes totalement nus, rouges et trop forts pour elle lui fondirent dessus. Le bruit de la cascade contribuait à cacher leur présence et les cris potentiels de Christiana. Une main sur la bouche, les bras et les jambes fermement tenus, elle ne pouvait rien faire. Elle gesticulait, se tortillait mais rien n'y faisait. L'un d'eux voulut l’assommer mais l'autre grogna :

- Non. Les Ombres ont dit d'être gentil avec le ventre qui donne la vie.

Christiana écarquilla les yeux. Le traducteur venait-il de se tromper ou ces trois hommes la prenait pour une pondeuse ! Elle ne put que constater l'écart qui se creusait entre les Opolos, Démétrios et elle. Ses ravisseurs allaient à l'opposé de la direction prise par son groupe. Elle était prise au piège.

Tandis que deux la maintenaient fermement et la transportaient comme du bétail, une poule qu'on conduit à sa fin, le troisième surveillait leurs arrières. Avant de disparaître derrière les rochers, un Opolos le remarqua. Il ne vit pas Christiana et les deux autres hommes. Mais la présence du Kallough, « ceux qui sont rouges, mangent les leurs et implorent les monstres » selon les Opolos et les Pilouas, ainsi que l'absence de Christiana pouvaient aider le Grec à tirer la bonne conclusion sur la situation.

Les trois Kallough marchaient vite. Bien plus vite que les Opolos et Pilouas. Ils semblaient bien connaître les lieux. Ils savaient où mettre les pieds, sans tomber en bas de la falaise. Ils gravirent les abords de la cascade sans tomber ni lâcher Christiana. Puis tout d'un coup, l'un d'eux porta Christiana sur une de ses épaules et prit un passage étroit entre les rochers. En ayant les mains libérées, Christiana put en glisser une dans son sac et saisir son colt. L'homme qui la portait accéléra le mouvement, déclarant qu'il était pressé. Le chemin étroit menait à une caverne derrière la cascade. L'entrée était bien camouflée par l'eau qui chutait, des lianes et de la mousse.

Christiana fut entraînée au fond de la caverne. Puis jetée au sol sans ménagement. Là, le plus fort des trois, celui qui l'avait porté comme un sac, se frotta les mains et dit :

- Moi d'abord.

Il se précipita sur elle, déchirant le haut de son chemisier. D'un geste vif, elle sortit sa main de son sac et tira dans le ventre de l'homme. Le bruit du tonnerre résonna dans la caverne, accentuant son effet sur les autochtones. L'homme recula brusquement, le ventre en sang, s'écroula à genoux puis au sol, en gémissant et en se roulant. Les deux autres s'éloignèrent, surpris par le bruit et les plaintes de leur chef. Christiana se leva brusquement et sans réfléchir, fit quelques pas vers celui qui voulait la violer et lui tira une balle dans la tête. Sans la moindre hésitation. Sans réfléchir. C'était elle ou lui de toute façon. Le chef gisait au sol, deux trous béants dans le crâne. Un petit pour l'entrée, un plus gros pour la sortie de la balle. Le sol s'inondait de son sang.

Christiana se tourna ensuite vers les deux autres tout en s'emparant de son couteau suisse. Le colt dans une main, le couteau dans l'autre, elle ne répondait plus de rien. Oser la kidnapper. Oser porter atteinte à sa pudeur ! Oser faire d'elle une chose. Aucun homme n'avait encore touché à sa vertu. Ce n'était pas un être inférieur qui allait commencer. Ces hommes pouvaient maintenant regretter leur intention.

L'un s'était réfugié là où elle avait été jetée et l'autre était tombé à la renverse. Sur le dos, il rampa pour s'écarter de Christiana au fur et à mesure qu'elle s'avançait vers lui. Quand la paroi de la caverne se fit sentir et qu'il se retrouva pris au piège, Christiana se rua sur lui et plaqua sa lame contre sa gorge. Elle n'eut aucune peur d'être assaillie par le second. Celui-ci était en train de se faire dessus, au fond de la caverne. Elle l'entendait supplier les Ombres de le rendre plus fort. Elle se concentra donc sur celui qu'elle tenait.

- Écoute-moi bien, espèce de créature inférieure, si tu ne veux pas finir comme ton chef. Un jour je reviens ici, toi et les tiens m’accueilleront comme il se doit. N'oublie pas mon visage car il peut revenir à tout moment pour réclamer vengeance. On ne touche pas les Puissants. Compris ?

Christiana fit glisser la lame de son couteau suisse de la gorge aux attributs de l'homme. La froideur de celle-ci le fit tressaillir. A moins que ce ne fut l'idée de perdre sa masculinité. Elle se baissa encore plus au-dessus de lui et murmura à son oreille :

- Si tu veux que ton espèce perdure, retiens bien ceci... tu n'es qu'un un insecte insignifiant face à moi. Je dicte les règles et toi tu les appliques. Je reviendrai un jour. Soit s'en certain. Et ce jour-là, si tu croises mon chemin, tâches de ne pas oublier ce moment.

Christiana se releva et veilla à ce que sa veste de tailleur fut bien fermée. Son chemisier déchiré mettant à mal sa pudeur naturelle. Elle se tourna brusquement vers l'autre homme qui était recroquevillé au fond de la caverne humide. Le bruit de la cascade couvrait le bruit de pas de Christiana, qui prenait un plaisir à frapper le sol de ses pieds recouverts de fourrure. L'effet aurait été plus fort si elle avait ses chaussures à talon. Mais celles-ci lui faisaient trop mal aux pieds. Elle s'avança vers l'autre survivant, sans poser un regard sur celui qu'elle avait tué. Son premier mort. Elle s'accroupit en face de l'homme. Le rouge avait disparu dans son entrejambe. La peur avait relâché sa vessie. Le pauvre s'était fait dessus.

- Quant à toi... commença Christiana en frappant une cuisse de l'homme avec le plat de sa lame. Regarde-toi. Si faible que tu t'es fait dessus. Et tu crois être un homme bon pour la reproduction ? Tu es tout juste à l'égal d'un enfant face à un chat-sabre. Si tu ne veux pas finir comme ce crétin, dit-elle en pointant du doigt le cadavre, toi aussi... n'oublie pas qui je suis.

Cette fois-ci, ce fut du bas jusque sur la joue que Christiana fit glisser sa lame. Lentement, elle fit une entaille sur le visage de l'autochtone.

- Une petite marque... au cas où ta mémoire serait défaillante et te ferait oublier qui est le chef maintenant.

Elle se releva et se planta au milieu de la caverne.

- Debout ! Ordonna-t-elle en criant.

Sa voix raisonna. Les deux hommes rouges s'exécutèrent aussitôt. L'un d'eux regarda le mort et ne put s'empêcher de se jeter aux pieds de Christiana et d'implorer sa clémence. Il lui promit de peindre ses exploits sur les murs de sa caverne. Christiana regarda les dessins et s'offusqua. Il était hors de question que son visage figure sur un mur aux côtés de deux des démons que ces hommes vénéraient. Elle leur montra les photos de sa famille et leur dit qu'elle leur ferait subir le même sort si ils osaient. Là, les deux autochtones poussèrent des cris d’effroi. Leur maîtresse pouvait enfermer les individus sur un étrange support plat. Ils fixèrent leur camarade mort. Pour eux, Christiana tuait de bien des façons. Il déclarèrent alors qu'ils n’immortaliserait pas leur maîtresse sur le mur. Car telle était sa volonté.

La jeune femme s'attarda enfin sur celui qu'elle avait tué. C'était la première fois qu'elle ôtait la vie de ses propres mains. Elle avait participé aux conversations de son père et Jared, quand il s'agissait de décider de la mort d'un homme. Elle avait donc contribué en un sens à la mort de plusieurs personnes. Mais donner elle-même la mort, ce fut inédit. Elle venait de passer une sorte de baptême funèbre. Elle soupira. Soulagée de s'en être bien sortie. Rassurée que Démétrios n'ait rien vu, ce qui aurait pu lui faire perdre un allié de taille pour ses voyages. Mais terrifiée à l'idée qu'elle venait d'agir en une véritable Von Carter. Elle avait usé des mêmes mots et menaces de son père et de Jared. Ce qu'elle cherchait à fuir en devenant voyageuse était bien plus ancré en elle qu'elle ne l'imaginait. Pour retrouver Kyle, cela pouvait toujours lui être utile. Les couloirs du temps n'avaient rien de sûr, elle en avait la preuve avec cette première expérience. Il lui fallait donc garder cela comme un potentiel avantage dans la réalisation de son but. Pour tourner la page et construire une nouvelle vie avec Kyle, les efforts pour changer allaient être grands pour perdre ces mauvaises pratiques. Cependant, chasser le naturel, il revient au galop. Changer... Christiana pouvait-elle en être capable ?

Elle rangea son couteau suisse, effleura le traducteur, se rassurant ainsi de sa présence et de son avantage. Une nouvelle flopée d'ordres traduits sortirent de sa bouche. Lorsqu'elle était petite, Jared et Drew avaient l'habitude d'offrir à leur princesse une chaise pour se déplacer. Les deux frères croisaient leur bras d'une certaine manière qu'elle pouvait s'asseoir dessus et se faire promener à sa guise. Ces deux Kalloogh reçurent l'ordre d'en faire autant. Voilà comment elle allait retrouver Démétrios : portée par deux esclaves. S'il lui était possible de les embarquer avec elle pour son prochain voyage, elle n'aurait pas hésité une seconde. A défaut de les promener, elle avait en ce temps et en ces lieux reculés, deux paires de bras musclés pour lui servir de guide et de protecteur. Si un jour elle devait revenir ici, elle savait qu'elle pouvait le faire seule, qu'une protection l'attendrait sur place.

- En route, dit-elle en s’asseyant sur les bras des deux hommes et en s'agrippant à leur épaule.

En réalité, la route ne fut pas bien longue puisqu'au bout de l'étroit chemin pris pour arriver dans la caverne, ils tombèrent nez à nez avec Démétrios et les Opolos armés jusqu'aux dents pour sauver leur déesse. Une déesse qui finalement s'était sauvée seule. Démétrios et les amis autochtones étaient sur leur garde, en position, prêts à surgir des buissons. Lorsque Christiana et ses deux Kalloogh apparurent, les sauveurs faillirent se ruer sur eux. Ce fut Démétrios qui arrêta les Opolos en voyant aucun danger. Les autochtones se relâchèrent et se mirent à crier en levant les bras au ciel.

- Tout va bien, je me suis occupée des trois hommes, dit Christiana en descendant de sa chaise à porteur bien particulière. Ils sont à moi maintenant, ajouta-t-elle en les désignant du pouce par dessus son épaule, comme elle l'avait fait avec Zorvan, avec la même désinvolture.

Aussitôt, les deux hommes se ratatinèrent sur eux-même, comme s'ils courbèrent l'échine, reconnurent l'autorité supérieure. Démétrios ne vit que deux hommes et il lui demanda où se trouvait le troisième. Christiana se mordit les lèvres. Son regard en disait long.

- Il n'y a plus de troisième homme.
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Message  Invité Jeu 13 Juin - 1:59

La vue de Christiana transportée entre deux guerriers kallooghs bariolés et imposants fut si inattendue que Démétrios eut un instant d’ébahissement avant même d’éprouver un intense soulagement. Bien que ses certitudes concernant la faiblesse féminine aient été sérieusement ébranlées depuis qu’il connaissait l’Américaine, il se sentait toujours responsable de la remise en bon état de sa compagne d’épreuves aux autorités de l’Antichambre.
Il était prêt à passer le reste de sa vie au temps des smilodons pour la retrouver vivante et voilà qu’elle était là, le sourcil hautain et la mine sévère ! Le Grec allait s’exclamer de joie quand les Pilouas poussèrent un rugissement menaçant en pointant leurs lances vers le groupe insolite.
Démétrios prit sa voix de Ka-Hi pour prévenir d’avoir à se tenir calme. Il comprenait la réaction pilouaque car en suivant la piste des ravisseurs, il s’était renseigné sur ces hommes rouges.
Ils étaient apparus récemment, venant du sud. Les Pilouas les craignaient beaucoup. Ils possédaient des arcs anormalement performants et n’avaient aucun sens des tabous que respectaient les tribus convenables : à savoir le partage des femmes à l’intérieur de la tribu et l’interdiction d’y introduire des femelles de sang étranger. En conséquence les kallooghs volaient les femmes pilouas ou opolos. Ils se peignaient en ocre rouge alors que seul le noir est bénéfique, ils mangeaient de la chair humaine, ce qui était strictement interdit sauf en période d’extrême pénurie et de grand froid, ils saluaient le lever du Soleil en criant Ahiha hi ha alors que la bonne formule est Ahi ha hi ho.. ce qui mécontentait le dieu et provoquait des pluies diluviennes qui rendaient la chasse difficile. Ils sentaient mauvais, avaient du poil frisé sur la poitrine, des yeux de couleurs différentes, des pieds dont le gros orteil dépassait les autres, ce qui porte malchance. En plus, ils n’articulaient que des sons incompréhensibles.
Démétrios avait approuvé le dégoût opolos pour la chair humaine. Le reste montrait simplement que la xénophobie avait de sérieuses racines dans le passé humain.
Pour les femmes, les Pilouas avaient tort, mais c’était leur problème de ne pas remarquer qu’ils avaient tous un strabisme plus ou moins affirmé, ce qui devait les gêner pour le tir à l’arc, un menton prognathe disgracieux et des genoux cagneux. Au contraire les Kallooghs pratiquant l’exogamie,étaient de très beaux specimens à tout point de vue.
Les exploits de Christiana élucidés, Démétrios proposa de renvoyer les Kallooghs car on ne serait pas tranquille avec des prisonniers susceptibles de se révolter. En plus il avait en lui un Périclès en sommeil, un Bienfaiteur des Peuples, lequel ne demandait qu’à s’exprimer. Il annonça aux esclaves qu’ils ne l’étaient plus, à charge pour eux de porter à leur tribu la nouvelle que les dieux protégeaient Pilouas et Opolos et kalooghs également.
Les deux lascars se jetèrent à terre puis demandèrent s’ils pouvaient accomplir les rites funéraires pour leur compagnon victime du foudre de Bzzipam. Charmé par ce signe de la civilisation en marche, Démétrios accorda la faveur en se remémorant le beau passage où Achille consent à rendre le corps du noble Hector à son malheureux père et où tous deux pleurent ensemble, réconciliés un instant par la douleur et l’émotion qui les étreint. Ah, il ne fallait jamais désespérer de l’humanité, même la plus primitive. Très ému, Démétrios regarda s’éloigner les Kallooghs et poussé par son habituelle curiosité de savoir le pourquoi et le comment, il demanda aux Pilouas :
-Que font-ils pour honorer leurs morts ? Ils les enterrent ou ils les brûlent ?

-Ils les mangent.fut la sobre réponse.

Les pêcheurs furent retrouvés peu après. On les vit sortir des fourrés où ils s’étaient cachés en voyant rôder des Kallooghs. Démétrios et Christiana laissèrent les chasseurs se débrouiller entre eux pour la révélation de la destruction du village, la présence des dieux de l’orage et du feu parmi les Opolos, l’abondance récente du smilodon grillé aux repas. Le dernier miracle était que les Kallooghs avaient enfin appris le langage des Pilouas puisque, pour une fois, on les avait compris.
Tout cela fut accompagné des habituelles vociférations et trépignements et pour passer le temps, Démétrios vida les truites pêchées, les enfila sur des baguettes de bois vert et alluma un feu, ce qui déchaîna une nouvelle manifestation de danse et de gesticulations. La truite grillée, c’est délicieux. Les pêcheurs avaient du sel, le décor était superbe, l’air était doux et sentait la résine et l’herbe fraîche. Ce fut un instant magique, tout baignait dans l’harmonie des premiers matins du monde et Démétrios se promit de revenir en cet endroit merveilleux quand il serait devenu Voyageur.

On repartit vers le village, la journée s’avançait. Quand on arriva au gué où avaient été repérées les traces de mammouths, Démétrios regarda Christiana en se demandant si elle pensait la même chose que lui. Mais il était retenu par la prudence et le sens qu’il donnait à sa conduite en ce lieu. Zorvan avait dit de montrer leurs capacités à survivre dans le dénuement et en milieu hostile. Jusqu’ici, ils s’en étaient bien tirés. Mais risquer de tout perdre en voulant satisfaire une curiosité qui n’avait rien d’essentiel, n’était-ce pas une faute, un manque de retenue, un excès d’hubris, cette démesure condamnée par les sages, née des passions et de l’orgueil et entraînant tôt ou tard la perte de l’homme ?
Vertueusement, il fallait renoncer aux mammouths, ne pas céder à la tentation, ne pas se comporter comme une femme curieuse, rester modéré dans ses vues et modeste dans ses objectifs, ne pas..

-On pourrait peut-être suivre les traces ?

S’entendant parler, il eut un mouvement d’humeur contre son inconséquence. Comment pouvait-on réfléchir et agir ensuite en dehors de toute réflexion ?
Autour de lui, ce fut un beau tohu-bohu. Les Opolos et les Pilouas n’avaient aucun hubris à dominer. Selon eux, il fallait retourner au village puis rejoindre le camp en altitude, manger du smilodon et s’amuser, entre hommes et femmes, dit le traducteur un peu vague.
Un des Opolos précisa que Fa-Hi et B pourraient choisir en premier mais que ce serait bien qu’ils ne se limitent pas, car ainsi, la tribu s’enrichirait de nombreux futurs demi-dieux. Les perspectives ouvertes par l’invitation terrorisèrent  Démétrios qui répliqua :

-Rentrez au camp. Nous devons aller dans cette direction. Nous reviendrons plus tard. Entretenez bien votre feu.

Un coup d’oeil suffit pour voir que Christiana le suivrait et au milieu du vacarme habituel que les primitifs déclenchèrent pour saluer le départ des dieux, ils franchirent le gué, portés par les Opolos qui devaient penser que les dieux, surtout du tonnerre et du feu, ne devaient pas se mouiller les pieds.
La prairie semée de bosquets se poursuivait en larges ondulations jusqu’à une ligne lointaine de collines.
Ils longèrent un bois de hêtres et de chênes occupant un vallonnement. La piste des animaux, très visible à travers les herbes se poursuivait vers le sud mais des branches cassées à l’orée des arbres attirèrent leur attention. Un petit groupe de bêtes s’était détaché et avait pénétré dans le sous-bois. Presque aussitôt comme l’appel d’une énorme trompette, un barrissement retentit, accompagné d'un fracas de bois brisé sous les frondaisons.

-On grimpe ! décida Démétrios, impressionné. Et avisant un chêne à la fourche très basse, en dehors de la piste, il hissa Christiana à bout de bras et la suivit tandis que le bruit augmentait. On distinguait des piétinements qui ébranlaient le sol et résonnaient entre les arbres, puis des souffles géants, des branches craquant devant l’avancée des monstres. Un nouvel appel tonitruant, à briser les oreilles, tout proche, et le premier mammouth apparut.
Il était si énorme que Démétrios fut figé de peur. Le dos ,couvert d’une toison rêche, longue et épaisse, passa à deux mètres à peine sous eux. Si l’animal levait la trompe, il pouvait les atteindre. Deux autres mammouths suivirent, puis encore deux plus petits. On entendait qu’un autre arrivait et quand il parut, ce fut accompagné d’un petit encore tout humide et mal assuré sur ses pattes. il était aidé dans sa progression par la trompe de sa mère qui le palpait, le redressait, lui offrait un appui pour qu’il ne trébuche pas. Enfin un dernier mammouth fermait la marche, très vieux, une défense brisée, le poil emmêlé, les oreilles mangées sur les bords et qui aidait le petit quand celui-ci quittait le flanc de sa mère. Visiblement le petit venait de naître et son escorte de monstres poilus était là pour le protéger des prédateurs attirés par l’odeur du sang. L’effroi de Démétrios fit place à une grande émotion. Le mystère et la beauté de la vie qui vient d’apparaître, l’attendrissant spectacle du petit tout lourdaud, tout velu, la majesté de ces créatures d’un autre âge, tout se mêlait en un sentiment d’exaltation admirative.
Les deux voyageurs restèrent un instant silencieux. Les petits bruits de la vie forestière reprenaient autour d’eux, comme timidement, sur le fond de silence des grands espaces.
Démétrios aida Christiana à redescendre et ils reprirent le chemin du village en échangeant leurs impressions d’étonnement et de satisfaction d’avoir assisté à un tel déploiement de force et de vie dans un monde violent et cruel. Ils demeuraient d’ailleurs en alerte, sentant bien que dans un décor semblable, le danger rôdait en permanence.
Le ruisseau était en vue et ils  discutaient de ce qu’ils feraient sitôt que le Dévoreur les sortirait de là. Démétrios exultait. On lui avait promis des aventures et des prodiges et tout se réalisait. Christiana lui parla encore de son monde. Elle voulait rentrer chez elle pour rassurer son frère, régler certaine affaires restées en suspens.
Et bien oui, sa première destination serait l’Amérique de Christiana et le Bacchus, qui finalement n’était un navire que par métaphore. En fait, c'était une sorte de Maison de plaisir, cependant sans hétaïres, ce qui était dommage.

- Si vous vouliez me guider un peu dans votre monde.. New-York, les maisons comme des montagnes, l’électricité ; comment dites- vous, la radio ?...les appareils roulant et volant.. L’avenir est fascin..

Couvrant sa voix, un brusque vacarme retentit, juste derrière eux, immédiatement reconnaissable. Un mammouth !
L’animal sortit d’un bosquet et s’immobilisa au milieu de la piste. Que faisait-il là, si loin de la horde.? Les mâles solitaires rôdant autour des troupes constituées sont fréquents chez les animaux. Mais l’heure n’était pas à la zoologie. Que faire ? l’animal soufflait comme une forge, trompe dressée et piétinant le sol avec impatience. Il semblait hésiter, comme aux aguets. Un grand souffle froid balaya l’espace. Démétrios et Christiana se tournèrent de nouveau vers le village. En même temps que le pachyderme s’ébranlait pour les charger, un pont se matérialisa , l’autre rive disparut dans le brouillard. Saisissant la main de Christiana, Démétrios bondit vers le pont, un simple assemblage de planches mal jointes. Le mammouth fonçait sur leurs talons, barrissant avec fureur. Ils étaient sur le pont et la bête allait les y suivre quand le brouillard les happa et sembla aussitôt s’éclaircir. Derrière eux on ne voyait plus rien, la rive et le mammouth avalés par cette brume mouvante.


Debout au milieu du pont, une haute silhouette en long manteau noir les attendait.

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Message  Le Dévoreur de temps Jeu 13 Juin - 22:18

Il avait imaginé cet instant bien des fois, avec inquiétude, ou dans un sourire. Suivant les moments qu'il avait retenu de l'observation quotidienne de ses deux voyageurs par le truchement de Zorvan. Quand ils l'attendrissaient ou le faisaient rire, ou bien encore quand il était soucieux de leur survie, cela impactait forcément sur la façon dont il anticipait alors le moment où il viendrait à leur rencontre pour leur annoncer qu'ils avaient son approbation pour voyager dans toutes les époques passées et même retourner voir Zorvan qui serait obligé par sa propre honnêteté à se montrer plus agréable et accueillant avec eux qu'il ne l'avait été durant l'épreuve. Il se tenait donc sur le pont, qui comme souvent -quelle maestria ce Zorvan, tout de même- s'était matérialisé juste au moment critique pour leur offrir une échappatoire méritée et bienvenue. Il leur sourit alors qu'ils couraient vers lui et se mit de côté pour les laisser passer en trombe sur le pont. Une fois qu'ils furent saufs et de l'autre côté, il les rejoignit dans la brume ambiante et posa son pied sur la rive tandis que le pont s'évanouissait pour laisser la place à ... un autre pont tout aussi désert mais très différent. La voiture de Jared s'y trouvait encore, bien que les feux se furent éteints, sans doute à cours d'énergie.

- Christiana, vous voici revenue au point de départ mais différente... Fit-il en considérant la jeune femme aux joues encore rougies par la course pour échapper au Mammouth. Vous avez brillamment passé toutes les épreuves. Vous avez appris et on vous a appris. Le voyage n'a pas été vain. C'est toujours ce qu'il faudra vous demander. Qu'ai-je appris aux autres et que m'a-t-on appris ? Le voyage a-t-il été vain ? Je vois devant moi une nouvelle Christiana, plus déterminée que jamais à prendre sa vie en main mais pourtant déjà tributaire des aléas de son époque. Vous allez devoir dépanner cette voiture pour aller où vous le souhaitez avec votre nouveau compagnon d'aventure mais je ne doute pas que la jeune ambitieuse que vous êtes y parvienne. Ajouta-t-il en désignant le véhicule éteint.

Puis il se tourna vers Démétrios et lui sourit.

- Que de vaillance dans tout votre parcours. Vous êtes le digne fils de Théramène. Votre père peut être fier du guerrier que vous avez dévoilé, comme de l'homme avisé que vous êtes devenu. Votre ouverture d'esprit et votre sens de l'adaptation vous honorent tout autant. Vous avez le don de partager ce que vous savez pour en faire bénéficier les personnes que vous croisez. Le félicita-t-il en coulant un regard entendu vers Christiana. Toutefois, sachez vous garder des calculs et sournoiseries que vous traverserez. L'homme n'a pas perdu les vices que vous lui connaissez et il en a gagné quelques uns en chemin... La femme aussi d'ailleurs. Démétrios, vous êtes un explorateur né !

S'approchant des deux acolytes, il leur prit la main et sourit à le tressaillement.

- N'ayez crainte ! C'est un des mystères de ce Don! Je ne propulse dans les couloirs du temps par simple contact qu'une seule fois la même personne. Je pourrais encore vous emmener où bon me semble ou vous semble mais cette fois seulement si je le souhaite et me concentre fortement sur ce lieu. Mais à présent, vous n'avez plus besoin de moi pour vous déplacer, car vous même, il vous suffit de penser à un endroit pour vous y rendre. Vous en doutez ? Eh bien c'est vous qui vous êtes transportés ici par votre propre volonté ! Oh bien sûr, je vous ai un peu aidés pour ajuster l'arrivée de façon synchronisée. Veillez bien à concentrer vos pensées sur le même endroit et simultanément. Si je n'avais rectifié le tir pour Démétrios, il se serait retrouvé, j'ignore pour quelle raison, dans la maison close de la Mère Sascha, vous voyez, deux pâtés de maison plus bas que le Bacchus, Christiana...

Il sentit l'émotion le gagner mais l'heure de les quitter approchait.

- Vous pouvez sur simple pensée, aller dans toutes les époques passées et aussi rendre visite à Zorvan. Ne lui tenez pas rigueur des siennes et ne l'oubliez pas. Il est bien seul et revoir les Voyageurs qu'il a aidé à s'affranchir lui fait bien plus plaisir qu'on pourrait le penser. Le futur, ce sera pour plus tard. Il ya beaucoup plus de turbulences encore et des choses à comprendre et à connaître avant. De même je ne vous donnerai pas accès dès à présent au temps ou se réécrit l'Histoire... Eh oui, il existe... C'est une excroissance de l'Antichambre d'ailleurs, mais qui se matérialise dans un autre point de l'univers quantique... enfin je ne vais pas faire mon Zorvan ... Y pénétrer est extrêmement dangereux pour celui qui y pénètre mais aussi pour l'équilibre de tous les mondes connus et ... inconnus, me dit le gardien... Moi-même, je n'y suis entré qu'une fois et resté peu de temps... Mais à nous tous ... un jour, qui sait ... Prenez soin de vous, soyez prudents, toujours. Si vous avez besoin de mon intervention, il vous suffit d'y penser très fort et je viendrais... Ahh j'oubliais... Il en va de même entre vous... Le premier voyage vous a liés à jamais. Si l'un a besoin d'aide et appelle ou pense à l'autre, il sera entendu. Votre coeur vous dira ce qu'il convient de faire... vous aurez le choix de répondre ou pas à cet appel de votre premier compagnon de voyage... Vous me reverrez parfois, sans m'avoir appelé,lorsque vous serez prêts à connaître certaines choses ou si j'estime mon intervention nécessaire... Mais désormais l'Infini vous ouvre ses Portes... Bon voyage Démétrios, bon voyage Christiana ! N'oubliez pas, il vous suffit de penser très fort... pour voyager...

Et avant qu'ils prennent conscience de ce qui leur était délivré, le Dévoreur disparut dans une bourrasque de nuit et laissa les deux Voyageurs sur le pont, à côté de la voiture de Jared.
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